M. Philippe Marini. Qui donc, autrefois, pourfendait les ordonnances ?...
L’article 13 vous habiliterait, monsieur le ministre, à procéder par ordonnances à une réforme du régime des établissements de crédit, en particulier dans le but de créer une nouvelle catégorie dédiée aux sociétés financières spécialisées.
Cette réforme est rendue nécessaire, nous dit-on, par la prochaine entrée en vigueur du règlement européen du paquet CRD 4, actuellement en discussion au sein de l’Union européenne et visant à transposer au niveau européen les recommandations de Bâle III.
Dans un souci légitime de protection des droits du Parlement, l’Assemblée nationale a réduit de quinze à six mois le délai d’habilitation. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Cependant, ce délai semble peu réaliste en raison du retard pris par les négociations européennes sur le paquet CRD 4, dont l’adoption conditionne la réforme envisagée du statut d’établissement de crédit. À cet égard, monsieur le ministre, je le souligne, le report sine die de l’application de Bâle III par les États-Unis plaide pour un important report de l’entrée en vigueur du texte européen.
M. Alain Chatillon. Exactement !
M. Philippe Marini. L’urgence n’est donc pas avérée. Il est même urgent de ne point se hâter, dans l’intérêt de nos entreprises et de la capacité de crédit du système bancaire dans l’économie. (M. Albéric de Montgolfier acquiesce.)
En conséquence, afin de prendre acte des retards pris dans la négociation européenne et des incertitudes qui pèsent sur le texte final du règlement européen et, donc, de l’ordonnance, le présent amendement vise à supprimer l’habilitation à légiférer par ordonnance.
En tout état de cause, si les discussions au niveau européen devaient s’accélérer, le projet de loi portant réforme bancaire auquel faisait justement allusion tout à l’heure notre collègue Albéric de Montgolfier et qui devrait être discuté devant le Parlement au cours du premier semestre 2013 – peut-être allez-vous le confirmer -, constituerait un véhicule législatif tout à fait désigné pour cette réforme.
Monsieur le ministre, je ne sais pas si c’est l’effet de la paranoïa que vous évoquiez tout à l’heure, mais cette habilitation me paraît vraiment suspecte… (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. La loi des suspects !
M. Philippe Marini. Il faudrait peut-être que vous nous disiez, sur le fond, s’agissant de Bâle III, où en est la mise en œuvre de ces accords des deux côtés de l’Atlantique.
C’est un sujet qui a été évoqué à plusieurs reprises au sein de notre commission. À cet égard, je rappelle que notre collègue Richard Yung a présenté une proposition de résolution européenne qui a été remarquablement rapportée par M. le rapporteur général, et que le Sénat a formé à cette occasion le vœu que nous n’allions pas plus vite que les États-Unis. Pourquoi l’Europe serait-elle meilleure élève et infligerait-elle des dommages supplémentaires à son tissu économique en se montrant plus rapide que les États-Unis dans la mise en œuvre des normes de Bâle III ?
M. Alain Chatillon. Très bien !
M. Philippe Marini. Par conséquent, monsieur le ministre, en évitant la transposition par ordonnance, nous nous donnerons du temps et, dans ce domaine, compte tenu de l’évolution de la situation et des difficultés des entreprises, ce serait probablement une bonne décision.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Comme nous nous orientons vers la fin de la discussion de ce texte, et souhaitant sans doute détendre un peu l’atmosphère, M. Marini nous invite tantôt à une chasse au trésor – c’était l’objet de l’amendement précédent –, tantôt à une course aux suspects… (Sourires.)
M. Christian Bourquin. Hier, on parlait cinéma !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Certes, les jeux de société seront à l’honneur dans toutes les familles en cette fin d’année, mais je crains de ne pas pouvoir suivre notre collègue sur ce ton fort sympathique et même ludique.
En l’occurrence, j’aurai une position légèrement différente de celle que j’ai exprimée précédemment. Néanmoins, je sollicite le retrait de cet amendement. J’en comprends l’esprit, et ce d’autant mieux que j’avais moi-même déposé un amendement identique la semaine dernière, lorsque nous avons examiné cette question au sein de la commission des finances. Cependant, je l’ai retiré après que le ministre nous a expliqué que le calendrier d’adoption du règlement européen devrait rester très serré – on visait le début de 2013 -, et qu’il semblait donc absolument nécessaire de disposer dès à présent de cette habilitation à procéder par ordonnances.
J’ai été aussi rassuré que l’Assemblée nationale ait ramené le délai de quinze mois à six mois, ce qui est tout de même une garantie. En effet, si les négociations européennes tendaient à s’enliser, ce délai ne serait pas suffisant et l’habilitation deviendrait caduque. Le Parlement serait alors de nouveau sollicité pour une nouvelle habilitation, ou bien il trouverait le véhicule législatif approprié à partir du mois de juillet prochain.
Enfin, je rappelle que la présente habilitation porte non pas sur les normes prudentielles elles-mêmes, ce qui doit également nous rassurer, mais seulement sur une adaptation de notre régime d’établissement de crédit pour les sociétés financières spécialisées.
Il ne s’agit donc pas d’un blanc-seing ou d’une capitulation de l’Europe concernant l’application des ratios de Bâle III.
Dès lors que ces garanties nous apparaissent comme suffisantes, il me semble, monsieur Marini, que vous pourriez accéder à ma demande et retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Pierre Moscovici, ministre. L’argument de M. Marini, dont je n’oublie pas qu’il est président de la commission des finances, est…
M. Éric Doligé. Très bon !
M. Pierre Moscovici, ministre. … habile et intelligent. Il consiste à dire que, puisque les Américains n’agissent pas, nous ne sommes pas pressés non plus.
En réalité, cet argument peut se renverser, et je vais vous expliquer brièvement pourquoi.
Le présent amendement est motivé à titre principal par des considérations de calendrier : une récente annonce des États-Unis vise à reporter Bâle III, ce qui aboutirait du même coup à un report important de l’entrée en vigueur du texte en Europe.
En même temps, et c’est sur ce point qu’il faut être vigilant, une incertitude très importante, sinon totale, pèse sur la date d’entrée en vigueur du règlement. Il ne peut pas être exclu qu’elle intervienne au premier semestre de 2013. La présidence chypriote envisage que l’accord politique soit examiné au sein du COREPER, le Comité des représentants permanents, le 19 décembre 2012. La Commission est favorable à un calendrier resserré pour maintenir la pression sur nos partenaires américains, car il s’agit aussi de cela, mesdames, messieurs les sénateurs.
Par ailleurs, dans le cadre des discussions entre le Conseil et le Parlement européen, la possibilité de dissocier l’entrée en vigueur du règlement et de la directive a été évoquée ; si cette solution était retenue, le règlement pourrait entrer en vigueur très rapidement après la publication du texte. Tel est en tout cas ce que semble souhaiter le Parlement européen dans le cadre des négociations.
Monsieur Marini, vous indiquez que le projet de loi portant réforme bancaire constituerait le véhicule législatif approprié. C’est possible. Cela étant, l’examen de ce texte, qui aura lieu au cours du premier semestre, prendra du temps, car c’est un projet très ambitieux. Je le présenterai la semaine prochaine en conseil des ministres et il nous donnera l’occasion de passer beaucoup de temps ensemble…
Que se passera-t-il s’il nous faut, dans l’intervalle, adapter la législation française s’agissant des règles relatives aux sociétés financières ? Si nous n’avons pas d’habilitation – je rappelle à ce propos, à l’instar de M. le rapporteur général, que l’habilitation à légiférer par ordonnances ne porte pas sur les normes prudentielles elles-mêmes – nous nous exposerons en vérité à un risque très important.
Au total, mes arguments s’opposent aux vôtres sur un point politique qui me paraît décisif : je connais, comme vous, les mesures qu’ont adoptées et annoncées les États-Unis. J’ai toutefois eu l’occasion de rencontrer hier l’un des conseillers du président Obama, M. Froman, de passage à Paris sur la route de Moscou, où l’on commence à préparer le G20 : celui-ci m’a assuré que ces déclarations n’étaient encore que des propositions, et non des décisions définitives.
Nous restons attentifs. Sur ce point, je rejoins d’ailleurs Michel Barnier, qui a déjà indiqué que l’Europe était vigilante et faisait en sorte que tous soient à pied d’œuvre pour respecter les règles du comité de Bâle.
Être attentif, cela signifie également ne pas être naïf : je ne le suis pas. Cependant, et c’est la raison pour laquelle mon analyse est diamétralement opposée à la vôtre, il nous faut conserver la possibilité d’agir vite, dans l’hypothèse où ces règles entreraient en vigueur en Europe, pour ne pas être surpris, pour ne pas être placés en situation de faiblesse. Tel est le sens de cette demande d’habilitation, laquelle nous offre le véhicule adéquat.
Monsieur le sénateur, je le répète, à mes yeux, vos arguments sont réversibles. C’est en tout cas ainsi que j’y réponds.
M. le président. Monsieur Marini, l’amendement n° 41 est-il maintenu ?
M. Philippe Marini. Je ne suis pas réellement convaincu par les arguments qui m’ont été opposés ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Germain. Ce n’est guère étonnant !
M. Philippe Marini. Mes chers collègues, lorsque l’on est dans la majorité, on retire souvent ses amendements – cela nous est arrivé à tous ! – mais, lorsque l’on est dans l’opposition, on les maintient !
Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, argumentée et substantielle. Toutefois, dans la période d’atonie que nous connaissons en matière d’investissements, dans la phase de basses eaux économiques que nous traversons, est-il urgent de déboucher, dans cette négociation euro-atlantique, sur la mise en œuvre de normes prudentielles bancaires qui exigeront davantage de capitaux propres et qui, par conséquent, exerceront une contrainte supplémentaire sur la quantité de crédit distribuée dans l’économie ? Telle est la question de fond que je me permets de poser.
Vos arguments n’emportent nullement ma conviction, pas plus, au demeurant, que ceux du commissaire européen Michel Barnier, je m’empresse de le souligner !
Je le répète, il s’agit d’une question de stratégie économique. Au demeurant, la menace d’une possible accélération des négociations, pour redoutable qu’elle soit, n’emporte pas non plus ma conviction. Non, monsieur le ministre, je n’y crois pas. Il est bien naturel que vous disposiez de sources d’information plus approfondies et plus directes que les miennes ; néanmoins, je vois mal comment les autorités américaines iraient beaucoup plus loin et beaucoup plus vite sur ce sujet.
Au total, monsieur le ministre, si vous envisagez une transposition par voie d’ordonnance, cela signifie que votre texte est, sinon prêt, du moins en cours de rédaction. Dans ces conditions, qu’est-ce qui s’opposerait à ce que le Gouvernement fasse usage de son droit d’amendement, lors de l’examen du texte relatif aux établissements de crédit, le fameux projet de loi bancaire ? Je le souligne d’autant plus volontiers que vous faites vous-même un usage pour le moins efficace du droit d’amendement. Nous l’observons notamment à l’occasion de la discussion du dernier projet de loi de finances rectificative.
M. Albéric de Montgolfier. Avec un amendement de quatre pages à 20 milliards d’euros !
M. Philippe Marini. Quarante amendements du Gouvernement défendus devant l’Assemblée nationale ! Au point que l’on ne peut plus dire que le collectif budgétaire est modifié : il est littéralement bouleversé,…
M. Albéric de Montgolfier. Bouleversé, et par quatre pages !
M. Philippe Marini. … et par un amendement majeur, de 20 milliards d’euros, déposé sur un texte qui, à l’origine, ne tendait à modifier que 2 milliards d’euros de crédits ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Bravo !
M. Philippe Marini. Autant dire que vous êtes pour le moins rompu à l’exercice ! Dans ces conditions, pourquoi ne pas user de votre droit d’amendement, si votre texte est pour ainsi dire prêt, lors de la discussion du projet de loi bancaire ?
Mes chers collègues, pardonnez-moi de prolonger quelque peu cette discussion. (Protestations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Les uns et les autres, nous avons été raisonnables hier après-midi et hier soir : aussi me suis-je permis de développer ces quelques remarques.
Pour répondre à votre question, monsieur le président, je maintiens mon amendement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bérit-Débat. Attention, ça va changer de ton ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Pierre Moscovici, ministre. Je ne souhaite pas non plus prolonger excessivement les débats. Toutefois, je tiens à opérer deux mises au point.
Premièrement, j’évoquerai brièvement les travaux à venir de la Haute Assemblée, et notamment le projet de loi de finances rectificative. De fait, je ne peux pas laisser sans réponse l’intervention de M. Marini !
C’est vrai, l’amendement que le Gouvernement s’apprête à présenter au Sénat est exceptionnel, non seulement par le calendrier dans lequel il s’inscrit mais aussi par son ampleur, probablement sans précédent. Je ne peux pas le nier.
M. Albéric de Montgolfier. De fait, 20 milliards d’euros en quatre pages, cela fait tout de même 5 milliards d’euros la page !
M. Pierre Moscovici, ministre. Du reste, j’ai eu l’occasion de m’exprimer à ce propos devant l’Assemblée nationale.
Toutefois, il est non moins vrai que la cause que nous défendons est exceptionnelle.
M. Jean-Jacques Mirassou. Voilà !
M. Pierre Moscovici, ministre. Il s’agit de doper, de muscler et de renforcer la compétitivité de nos entreprises.
Mesdames, messieurs les sénateurs, lisez les chiffres du chômage et de l’investissement, observez la situation de notre compétitivité, consultez le rapport Gallois : il n’était pas possible d’attendre plus longtemps dans la situation que nous connaissons !
M. Marc Daunis. Pas d’attentisme !
M. Pierre Moscovici, ministre. Il fallait aller vite et aller fort. Je n’insisterai pas davantage sur ce point, que j’aurai l’occasion de développer au cours des jours à venir : je n’ai qu’un but, c’est que, dès le 1er janvier prochain, une fois ce collectif budgétaire adopté, les entreprises françaises puissent sans délai commencer à accumuler des créances sur l’État pour investir et embaucher, en bénéficiant de ce crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
M. Jean-Jacques Mirassou. Bien sûr !
M. Jean Germain. Évidemment !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’était de l’ordre de la loi de finances initiale pour 2013 !
M. Pierre Moscovici, ministre. Je le répète, face à une situation exceptionnelle, nous prenons des mesures exceptionnelles.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Avec des réponses décalées !
M. Pierre Moscovici, ministre. … en tout cas pas plus que la question elle-même, quelque peu éloignée du sujet que je souhaitais évoquer. Mais il était logique que je réponde à M. Marini. (M. Jean Germain applaudit.)
Cela étant, je n’oublie pas que, dans les jours à venir, une discussion aura lieu devant le Sénat au titre du collectif budgétaire. J’attends donc avec intérêt les débats qui auront lieu au Sénat au cours des prochains jours.
Deuxièmement, pour revenir au sujet qui nous occupe aujourd’hui, je dois dire que, évidemment, la France est vigilante, active et attentive dans le cadre des discussions sur le CRD 4, ou CRR. Les enjeux sont considérables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que nous n’agissons pas dans la précipitation et que, surtout, nous n’abandonnons rien : sur ce sujet, nous négocions pied à pied.
Si j’ai pu vous paraître pressé, je tiens à vous détromper : tel n’est pas le cas. Je souhaite certes aller vite mais, avant d’aller vite, je désire que cela aille bien, c'est-à-dire que nous préservions nos capacités, c’est-à-dire notre souveraineté, et que nous restions attentifs à la défense de nos intérêts. C’est ce que fait le Gouvernement !
Toutefois, et c’est la raison pour laquelle cette habilitation à légiférer par voie d’ordonnances est nécessaire, les événements peuvent s’enchaîner rapidement : une incertitude demeure quant au calendrier. Si j’avais la conviction que nous pouvions attendre, je pourrais accepter l’amendement de suppression, mais, je le répète, l’accélération dont je parlais peut, pour ainsi dire, intervenir à tout moment.
À mon sens, cette habilitation nous dote d’une souplesse, d’une capacité de réaction rapide dans un débat qui se déroule non seulement au sein de l’Union européenne, mais aussi entre l’Europe et les États-Unis.
Monsieur Marini, je l’ai bien compris, je ne parviendrai pas à vous persuader de retirer votre amendement. Je n’en espère pas moins convaincre la majorité de la Haute Assemblée de ne pas le voter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, pour explication de vote.
M. Albéric de Montgolfier. Philippe Marini a évoqué très justement la prochaine loi bancaire, dont nous avons pu examiner l’avant-projet lors de la réunion du comité de la réglementation bancaire et financière. Je note, d’ailleurs, que ce texte est très en retrait par rapport à l’ambition initialement affichée,…
M. Philippe Marini. Ô combien !
M. Albéric de Montgolfier. … à savoir la stricte séparation entre, d’une part, la banque de détail et, de l’autre, les activités de marché. Nous en sommes très loin !
Ce texte, que l’on nous présente comme très ambitieux, ne l’est en fait absolument pas. Peut-être souhaite-t-on occulter ce constat ! Mais tel n’est pas l’objet de notre débat.
Si j’ai bien compris, ce projet de loi est actuellement soumis au Conseil d’État. Il devrait être examiné, dès janvier, par le Parlement. Il s’agirait du bon vecteur pour la transposition dont nous parlons !
Dès la rentrée de janvier, donc, quand nous serons saisis du texte, il sera possible d’inclure les dispositions aujourd’hui visées par la demande d’habilitation. Pourquoi prévoir dès maintenant, à quelques jours de l’interruption de nos travaux en séance publique, une habilitation à légiférer par ordonnances, alors que le projet de loi bancaire est prêt ?
Je le répète, ce projet de loi constituerait le bon vecteur pour les dispositions que nous examinons à présent. Voilà pourquoi nous ne souscrivons pas à cette demande d’habilitation. Réservons-nous la possibilité d’inclure les dispositions concernées dans le texte de loi dont nous débattrons en janvier ! L’urgence n’est pas telle que nous ne puissions attendre jusqu’au mois prochain.
Pour cette raison, je voterai l’amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Monsieur Marini, vous nous avez affirmé que vous ne preniez pas tous les amendements qui se présentaient.
M. Henri de Raincourt. Certes non !
M. Richard Yung. Nous vous croyons. Au demeurant, même si vous ne parliez que pour vous-même, malgré tout, en vous écoutant, j’avais l’impression d’entendre la Fédération française des banques.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Richard Yung. En effet, elle nous tient le même discours : « Les banques sont étranglées. Nous n’allons pas pouvoir faire face. Nous sommes contraints de restreindre le crédit…
M. Albéric de Montgolfier. Et Bâle III ?
M. Richard Yung. … et de réduire nos bilans. Que va-t-il se passer ? Les activités bancaires et financières vont partir à l’étranger, l’emploi va diminuer encore… ».
M. Éric Doligé. Eh bien, nationalisez !
M. Philippe Marini. Tout va s’arranger, puisque vous aurez la BPI !
M. Richard Yung. Nous connaissons bien ce discours. Au reste, les banques sont beaucoup plus discrètes au sujet du projet de loi bancaire. Nous reviendrons sur ce point.
M. Albéric de Montgolfier. La montagne va accoucher d’une souris !
M. Richard Yung. Naturellement, les renseignements que je possède sont bien moins détaillés que les informations dont dispose M. le ministre. Toutefois, en observant cette situation, je n’ai pas l’impression que nous sommes à la veille d’un accord au niveau européen, en particulier avec les Britanniques.
M. Philippe Marini. Cette mesure n’était donc pas urgente !
M. Richard Yung. Toutefois, et c’est là que je veux en venir, sur le fond, les différentes dispositions qui figurent dans le CRD 4, les différentes restructurations de bilan, ou encore les divers ratios qui seront imposés au système bancaire, gardent leur vocation : rétablir de l’ordre dans le système bancaire et ramener les banques à une activité « normale »,…
Mme Michèle André. Eh oui !
M. Richard Yung. … en les rendant à leur véritable mission, qui consiste à financer l’économie réelle sans ces prises de risques inconsidérées qui nous ont conduits à la crise, en 2008 et que, au total, chacun d’entre nous a dû payer de sa poche ! Aujourd’hui, cette ambition conserve toute sa pertinence.
Au surplus, ce n’est pas parce que les États-Unis se dispensent d’appliquer cet accord que nous devons jeter l’ensemble de cette législation ! Voilà pourquoi, à mon sens, nous devons bien réfléchir à la mise en œuvre de ces différentes dispositions. Telle est en définitive la ligne que nous souhaitons suivre pour remettre de l’ordre dans le système bancaire français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. Mes chers collègues, la crise de 2008 nous a enseigné que, nous, parlementaires, devions d’une part nous approprier les problématiques de la régulation financière et bancaire, et, de l’autre, mettre un terme à ces mauvaises pratiques par lesquelles les gouvernements – aussi bien de droite que de gauche – se présentaient avec des amendements très techniques, que nous votions à la manière d’un client qui achèterait un lapin dans un sac, qui plus est un sac bien opaque...
Nous devons être capables, lorsque nous rentrons dans nos départements, d’expliquer à nos concitoyens les enjeux des textes dont nous avons débattu et que nous avons votés.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, j’appuie sans réserve l’amendement de Philippe Marini, dont les arguments sont absolument convaincants.
De plus, si l’urgence résulte de l’impatience du gouvernement chypriote, qui assume actuellement la présidence de l’Union européenne, peut-être pourrions-nous nous pencher sur le contrôle prudentiel bancaire tel qu’on le pratique à Chypre.
M. Daniel Raoul. Ah !
M. Jean Arthuis. Peut-être pourrions-nous également nous interroger sur les diligences qu’a multipliées la Commission européenne pour se prémunir contre les déconvenues. (M. Yannick Vaugrenard acquiesce.) Si j’ai bien compris, Chypre a sollicité l’assistance financière de l’Union. Je ne serais pas étonné que les conséquences soient significatives pour les États membres de la zone euro.
M. Jean Arthuis. Tout cela pour dire, monsieur le ministre, que vous pourriez peut-être calmer les impatiences de votre homologue chypriote…
Cela étant, je voterai l’amendement de Philippe Marini.
M. Alain Chatillon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. Je ferai deux observations.
Premièrement, je vois, derrière les explications qui sont données, une tentative, ou peut-être une tentation de faire oublier le recours aux ordonnances.
Si les explications données sont une chose, la méthode employée pour atteindre les objectifs en est une autre. Cette méthode a été décriée pendant longtemps. Nous l’avons d’ailleurs nous-mêmes tellement décriée que le précédent gouvernement avait pour l’essentiel renoncé à recourir aux ordonnances (Protestations sur les travées du groupe socialiste.), et ce alors que la tentation était grande.
Je veux ici apporter mon soutien total, ainsi que celui de mes collègues de l’UMP, à l’amendement de Philippe Marini. Dès lors que notre collègue a suggéré un moyen de traiter cette question sans tarder, dès le début de l’année prochaine, nous sommes défavorables à la méthode choisie par le Gouvernement.
Deuxièmement, à la suite de l’excellente intervention de notre collègue Jean Arthuis, qui parlait d’impatience, je suis finalement frappé de constater que l’on veut aller vite sans s’en donner les moyens, en refusant de traiter le problème de façon sereine et sérieuse pour parvenir à de bons résultats.
Mes chers collègues, n’oubliez pas cette phrase de Vladimir Illitch Oulianov, alias Lénine : « L’impatience n’est pas une vertu révolutionnaire ! » (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 41.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 60 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 174 |
Pour l’adoption | 170 |
Contre | 176 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. Alain Néri. Il a bien fait !
M. Albéric de Montgolfier. À une courte majorité !
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. le rapporteur général.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de ces deux journées d’un débat riche et constructif, je voudrais tout d’abord adresser mes remerciements à la présidence, qui a su laisser vivre nos échanges et ménager pour nos travaux de très bonnes conditions.
Je voudrais ensuite remercier les orateurs des différents groupes politiques, ceux de la majorité, bien sûr, qui ont su exprimer leur soutien à la naissance de la Banque publique d’investissement et qui ont développé leur vision de ce que devra être cet instrument au service de notre économie et de nos entreprises ; mais aussi ceux de l’opposition, qui, tout en exprimant parfois des doutes, à mon avis infondés, sur la pertinence même de la BPI, ont su également apporter leur pierre à l’édifice.
Les apports du Sénat à ce projet de loi sont significatifs.
La commission des finances a joué son rôle, la semaine dernière, en prenant plusieurs initiatives pour améliorer le texte.
Ainsi, le président du comité national d’orientation pourra participer aux travaux du conseil d’administration.
Ainsi, les présidents de région ont été rétablis à la présidence des comités régionaux d’orientation. Je sais qu’André Vairetto et ses collègues de la commission du développement durable partageaient cette préoccupation.
Ainsi, les transmissions de données de la BPI à l’État sur ses clients seront encadrées par le respect du secret statistique.
Mais je pourrais encore citer quelques autres améliorations.
De son côté, la commission des affaires économiques, par la voix de Martial Bourquin, a très opportunément amélioré la rédaction de l’article 1er et a su exprimer, à l’article 3 bis A, l’idée que beaucoup d’entre nous partagent, selon laquelle la BPI devra veiller à l’équilibre dans l’aménagement économique des territoires, « notamment des zones urbaines défavorisées, des zones rurales et des territoires d’outre-mer ».
Avec plusieurs de nos collègues radicaux, Martial Bourquin a également défendu l’idée que la BPI devra être présente aux côtés des entreprises dès la phase d’amorçage.
Le groupe socialiste, notamment Jean Germain, a aussi précisé les missions de la future banque, et contribué à ce que le Parlement participe à la nomination des personnalités qualifiées qui siégeront au comité national d’orientation de la BPI.
Nos collègues du groupe CRC ont également fait de nombreuses propositions. Nous en avons retenu plusieurs, dont celle, monsieur le ministre, qui a consisté à préciser la place de la Caisse des dépôts et consignations au sein du nouvel ensemble.
Le groupe écologiste, représenté par son président, Jean-Vincent Placé, a notamment précisé de manière opportune le rôle de la BPI dans le soutien de la transition écologique et énergétique.
Je n’oublie pas nos collègues ultramarins, dont certains amendements ont été acceptés, notamment pour tenir compte de la spécificité de leurs territoires.
Même l’opposition a finalement enrichi ce texte. C’est ainsi que des parlementaires de la majorité et de l’opposition siégeront, comme nous l’avons souhaité, au sein du comité national d’orientation de la BPI. Et même un opposant aussi sévère que M. Marini aura finalement obtenu la validation de son amendement qui, à l’article 7 A, tendait à préciser dans quelles conditions les grandes lignes du pacte d’actionnaires et le projet de doctrine d’intervention devront être transmis ou débattus au Parlement.
Merci enfin à vous, monsieur le ministre, et à vos collaborateurs, de votre écoute et de votre coopération.
Grâce au travail de tous, c’est avec la plus grande sérénité que je défendrai les positions du Sénat lors de la CMP qui aura à proposer un texte commun.
Dans cette attente fiévreuse, mais néanmoins confiante, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi que nous avons élaboré ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)