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Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi ce jour, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
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Modification de l'ordre du jour
M. le président. Par courrier en date de ce jour, M. François Rebsamen, président du groupe socialiste et apparentés, demande :
- le retrait de l’ordre du jour réservé de la séance du jeudi 13 décembre 2012 de la proposition de loi visant à verser les allocations familiales et l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance et de la proposition de loi visant à accorder la nationalité française aux pupilles de la Nation ;
- et l’inscription à l’ordre du jour de cette même séance de la deuxième lecture de la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.
Acte est donné de cette demande.
En conséquence, l’ordre du jour de l’espace réservé au groupe socialiste du jeudi 13 décembre, de neuf heures à treize heures, est ainsi modifié.
Pour l’examen de la proposition de loi relative au bisphénol A, la durée globale du temps des orateurs dans la discussion générale pourrait être fixée à une heure et le délai limite pour le dépôt des amendements en séance au mercredi 12 décembre à dix-sept heures.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à vingt-deux heures.)
M. le président. La séance est reprise.
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Recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe du RDSE, la suite de la discussion de la proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires (proposition n° 576 [2011-2012], texte de la commission n° 11, rapport n° 10).
Je rappelle que la discussion générale a été close lors de la séance du 15 octobre dernier.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes de nouveau réunis ce soir pour examiner la proposition de loi relative à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Ce texte prévoit de passer d’une interdiction de principe de la recherche, permise seulement sous dérogations, à une autorisation sous conditions.
Le 15 octobre dernier, j’ai exprimé le point de vue du Gouvernement : il ne semble pas pertinent de maintenir un principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Il s’agit donc de lever une restriction de la liberté de la recherche qui nous semble, pour reprendre les mots de Mme Laborde, relever d’une forme d’hypocrisie et qui fragilise les partenariats européens et internationaux.
Permettez-moi de rappeler certains principes clairs sur lesquels repose cette proposition de loi et qui ont été mis en avant par plusieurs d’entre vous lors du débat que nous avons eu il y a quelques semaines.
Premièrement, s’agissant des embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental, la recherche doit être limitée à des finalités médicales.
Deuxièmement, le couple qui fait don de l’embryon à la recherche doit être informé.
Troisièmement, doit être prévu un encadrement des procédures assurant la pertinence scientifique et le respect des règles éthiques, encadrement assuré par une agence ayant la capacité de diligenter à tout moment un contrôle de l’avancée de la recherche et des équipes.
Quatrièmement, enfin, les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.
Pourquoi cette proposition de loi est-elle une avancée tant attendue par les chercheurs ?
Quels sont précisément les enjeux sociétaux, éthiques et juridiques soulevés par cette proposition de loi à l’issue du débat que nous avons eu le 15 octobre dernier ?
La question n’est pas simple, et c’est l’une des raisons, monsieur Retailleau, de l’instabilité juridique que vous avez déplorée, lors de notre dernière séance, et invoquée pour réclamer une sorte de moratoire. Mais, vous le savez bien, il ne suffit pas de suspendre sa réflexion pour évacuer un problème.
C’est parce que la question est délicate, sensible et, d’une certaine manière, impossible à trancher d’une façon qui satisfasse tous les points de vue qu’elle anime régulièrement nos délibérations. Mais c’est précisément parce que c’est une question importante qu’il est de notre responsabilité de progresser dans les réponses que nous lui apportons.
Les solutions proposées jusqu’à ce jour ne sont pas satisfaisantes. Elles ne l’étaient pas en 2004, et le furent moins encore en 2011. La loi de 2011 organise une forme d’inefficacité scientifique, au nom de principes éthiques qu’elle ne respecte finalement pas. Je ne dis pas que nous devons dissocier convictions éthiques et science : la décision que nous prendrons, la loi qui sera votée, correspondra de toute façon à une certaine conception du vivant et de l’embryon.
Examinons d’abord les choses du point de vue scientifique.
L’intérêt de la recherche sur les cellules souches n’est plus à démontrer : elle permet de grandes avancées en termes de solutions thérapeutiques, de connaissance du développement humain. La question est de savoir si nous disposons d’alternatives aux cellules souches embryonnaires pour mener ces recherches.
J’ai entendu les arguments de ceux qui, pour défendre leurs légitimes convictions, veulent croire qu’il est possible de les remplacer par les cellules souches pluripotentes induites, IPS, par les cellules fœtales ou par les cellules issues du sang de cordon. Mais c’est un fait qu’il existe un large consensus parmi les chercheurs pour affirmer qu’aucune de ces solutions de rechange ne peut remplacer aujourd’hui les cellules souches embryonnaires. Au contraire, celles-ci sont indispensables pour parfaire les techniques nouvelles.
Chacune des solutions de rechange, que nous n’écartons pas par plaisir, comporte des inconvénients majeurs : les cellules IPS sont causes possibles de cancer, les cellules fœtales posent encore des problèmes techniques d’utilisation et les cellules issues du sang de cordon sont encore insuffisantes en nombre, difficiles à individualiser et à cultiver.
Voilà quels sont les termes scientifiques du débat.
Quant à la dimension éthique, comme l’a fait remarquer Mme Dini, ce sujet est sensible ; il dépend en effet, pour chacun de nous, de conceptions éthiques, religieuses, philosophiques, souvent liées à notre histoire personnelle.
Laissez-moi vous dire dans quel état d’esprit j’entends aborder cette question délicate, où la vérité n’est jamais qu’un horizon.
Je suis une ministre rationnelle, qui croit profondément à la notion de progrès. Mais le progrès, à mes yeux, c’est à la fois plus large et plus restrictif que le progrès scientifique.
Plus restrictif, parce que toutes les avancées scientifiques ne sont pas bonnes en soi, et qu’il nous revient, à nous, élus, citoyens, de faire le tri entre les usages que l’on peut en faire.
Plus large, parce que la notion de progrès suppose l’idée de sens, de direction. Et ce n’est pas la vocation de la science d’énoncer des valeurs, de définir le sens de la vie humaine ! C’est, dans l’acception la plus noble du mot, la vocation de la politique de définir les projets collectifs et de fixer les caps.
Il est important, j’en suis convaincue, que la loi à venir témoigne de notre confiance envers nos chercheurs et inverse la logique de la loi de 2011. Je préfère à la logique du soupçon, qui oblige le chercheur à solliciter des dérogations, celle de la confiance, qui lui permettra de mener ses recherches, dans le cadre de conditions bien définies, pour le bénéfice de la société tout entière.
Comme l’a souligné M. Berson le 15 octobre dernier, il ne revient pas aux sénateurs – ni même, ajouterai-je, au Gouvernement – « de dire ce que doit être la recherche scientifique ». En revanche, il nous revient, comme l’a également dit M. Berson, de « mettre à la disposition des scientifiques le cadre légal, strict mais protecteur, qui leur est nécessaire pour déployer leur recherche, en bénéficiant de cette confiance citoyenne sans laquelle il n’est pas d’avancées scientifiques partagées ».
Il ne s’agit pas de déréglementer les usages de la science. Il ne s’agit pas seulement de répondre à l’impatience des chercheurs. Mais il est légitime de se donner les moyens de trouver des réponses thérapeutiques, de répondre aux attentes des patients et de l’ensemble de la société.
En revenant sur cette interdiction, vous adresserez un signe fort non seulement à la communauté scientifique, en termes de liberté académique et de confiance, mais aussi aux malades et à la société tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. de Legge, Revet, G. Bailly, Bas, Vial, Bécot, Retailleau, Gélard, César, Darniche, J. Boyer, Hyest, Pointereau, Cardoux, Bizet, Leleux, Frassa, Trillard, Pierre, Reichardt, Pinton, de Montgolfier, Lorrain, Sido, Guené, B. Fournier, Ferrand, Mayet, Lecerf, Charon, Couderc et Billard, Mmes Sittler, Troendle, Giudicelli, Lamure et Duchêne, MM. du Luart, Gilles, Détraigne, Lefèvre, Pozzo di Borgo, Laufoaulu, Saugey et Marini, Mme Hummel et M. Grignon, d'une motion n° 1 rectifiée bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires (n° 11, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Dominique de Legge, auteur de la motion.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’aborder les questions de fond, je tiens à m’élever contre la manière dont ce texte vient en débat ce soir.
Engagée un lundi soir d’octobre, interrompue en raison des contraintes de temps, la discussion de la proposition de loi, qui devait être reprise le 13 décembre, a été brutalement avancée ce soir à vingt-deux heures en catimini,…
M. Charles Revet. Ce n’est pas normal !
M. Dominique de Legge. … alors même que l’ordre du jour dégagé par le projet de loi de finances pour 2013 permettait de fixer notre débat en journée.
M. Philippe Bas. C’est vrai !
M. Michel Berson. Cela fait vingt ans qu’on travaille sur ce texte !
M. Dominique de Legge. Convenez que la démocratie parlementaire s’en trouve passablement malmenée.
Mme Élisabeth Lamure. Une fois de plus !
M. Dominique de Legge. C’est notre responsabilité de législateur qui est en cause !
Le rapporteur, M. Barbier, reconnaît lui-même qu’est ici en jeu une disposition centrale de la loi de bioéthique.
De surcroît, l’annonce de nouvelles réformes sur ces sujets relatifs à la bioéthique dans le cadre des débats à venir sur le mariage pour tous et la procréation médicalement assistée, la PMA, n’est pas pour nous rassurer. Un « appel » de cent députés en faveur de l’élargissement du projet de loi sur le mariage pour tous à la PMA vient en effet d’être adressé au Président de la République. Comment imaginer, mes chers collègues, revoir les règles de la PMA au détour de ce texte sans réviser les lois de bioéthique, qui nécessitent précisément un vaste débat préalable ? Il semble à l’évidence qu’il aurait été plus opportun, sur des sujets aussi graves, d’avoir une vision globale, de vraies consultations préalables et surtout une continuité dans les débats.
Y avait-il une urgence législative pour procéder de la sorte ? J’avoue être gêné et même choqué par la méthode, et je sais que ce sentiment est partagé par nombre de mes collègues, indépendamment de leur position sur le fond ou de leur appartenance politique. Cette méthode, qui traduit une volonté d’esquiver le débat, nous conforte dans l’idée qu’un tel sujet aurait mérité à tout le moins des consultations préalables et un vaste débat. Rien que pour cela, cette proposition de loi nous semble inopportune.
J’en viens maintenant au fond.
La loi de bioéthique du 7 juillet 2011 avait été précédée d’un large débat public sur tout le territoire national.
Tout d’abord, des avis et rapports avaient été commandés par le gouvernement d’alors afin d’approfondir la réflexion ; je veux parler du mémoire du Comité consultatif national d’éthique ainsi que des rapports de l’Agence de la biomédecine et du Conseil d’État.
Ensuite, le gouvernement avait pris une initiative innovante, démocratique et républicaine en organisant les « états généraux de la bioéthique », qui s’étaient déroulés durant tout le premier semestre de 2009. Il s’agissait d’élargir le débat au-delà du cercle des spécialistes, en donnant aux citoyens la possibilité de participer à des forums régionaux, en compagnie de médecins, de juristes et de philosophes, afin d’alimenter la réflexion sur les enjeux éthiques qui engagent notre avenir commun. La contribution finale a ainsi permis de donner la parole à l’opinion publique, de nourrir le débat et de confronter les experts aux questions et réflexions pertinentes des citoyens.
Ce n’est qu’ensuite que le Parlement, éclairé par la synthèse de ces travaux, a été saisi du projet de loi. Les rendez-vous de la bioéthique organisés dès 2009 ici même par la commission des affaires sociales du Sénat avaient déjà permis d’engager la réflexion, afin que chacun d’entre nous puisse se confronter, avant le vote, aux questions de fond. Les auditions sénatoriales du rapporteur Alain Milon ont par la suite complété cette consultation en profondeur des responsables concernés.
La discussion en séance, longue et fructueuse, avait permis à chacun de s’exprimer en son âme et conscience, notamment sur le sujet crucial de la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches qui en sont issues.
On le voit, ce sont un long chemin démocratique et des débats d’une ampleur sans précédent qui ont permis d’aboutir à la loi du 7 juillet 2011. Le texte auquel nous étions parvenus tenait tout à la fois compte de l’état de l’opinion et de l’avis de la communauté scientifique. Il a du reste été salué par de nombreux observateurs comme un texte équilibré et de compromis.
Le vote final du Parlement avait tranché en faveur du principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon humain, assortie de dérogations. D’aucuns auraient certes préféré le principe d’une autorisation assortie d’un encadrement, et c’est d’ailleurs le sens de la proposition de loi qui nous est soumise. S’agit-il pour autant d’une modification mineure ?
Il est clair que la portée d’un régime d’autorisation assorti de restrictions est très différente de celle d’un principe d’interdiction assorti de dérogations. On peut supposer qu’il y a, dans les deux cas, une même volonté de protéger l’embryon et d’éviter les dérives, mais il n’en est rien !
Comme l’a souligné le rapporteur Gilbert Barbier, l’interprétation juridique sera toujours différente. Dans le cas de l’interdiction, la possibilité de déroger est d’interprétation stricte ; dans le cas de l’autorisation, c’est la condition qui restreint la liberté de la recherche qui est d’interprétation stricte. Poser le principe de l’autorisation de la recherche sur l’embryon humain entraînera évidemment une accélération des autorisations de protocoles accordées par l’Agence de la biomédecine. Et nous sommes bien là au cœur du sujet !
La proposition de loi qui est soumise aujourd’hui à notre examen tend donc à revenir sur la philosophie même de la loi, en établissant un régime d’autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon humain. Il s’agit d’un revirement à 180 degrés portant sur le cœur même du texte de la loi de 2011. Je crains qu’une telle approche, si elle est exclusivement à la main d’enjeux scientifiques, voire financiers ne constitue pas un progrès.
Rouvrir le débat dix-huit mois après l’adoption de la loi mériterait à tout le moins qu’on s’interroge sur les éléments scientifiques nouveaux susceptibles de justifier l’examen par le Parlement de cette modification.
Je note tout d’abord que très peu d’auditions ont été organisées pour préparer ce texte et que nombre d’arguments renvoient aux débats antérieurs au vote de la loi de 2011. Certes, je ne nie pas que ce qu’une majorité a fait, une autre peut le défaire. Mais, en l’espèce, on peut espérer que ce texte soit inspiré par d’autres considérations que celle d’un détricotage systématique des réformes adoptées par un autre gouvernement.
Alors, qu’y a-t-il de nouveau sur le fond pour qu’on légifère une nouvelle fois toutes affaires cessantes ?
Je constate que l’actualité conforte le vote de 2011 et confirme ce que l’état des recherches laissait déjà apparaître.
La communauté scientifique internationale, en couronnant les travaux du biologiste anglais John Gurdon et du médecin chercheur japonais Shinya Yamanaka du prix Nobel de médecine, vient de reconnaître que la transformation des cellules adultes en cellules souches constitue une solution de remplacement efficace à la recherche sur les embryons humains, désormais évitable.
Le comité Nobel a indiqué que ces découvertes avaient permis de montrer que les cellules adultes pouvaient être reprogrammées pour devenir pluripotentes, donc dotées de la capacité de se différencier en plusieurs types de cellules, et qu’elles révolutionnaient notre compréhension de la manière dont les cellules et les organismes se développent. Les cellules « reprogrammées » pourront ainsi régénérer différents tissus humains et permettre de traiter certaines maladies dégénératives, notamment nerveuses, sans le recours, éthiquement délicat, aux embryons humains.
Cette avancée a été saluée par de nombreux scientifiques : le professeur Marc Peschanski, qui y voit une « excellente nouvelle », le professeur écossais Ian Wilmut, « père » de la brebis clonée Dolly, qui a rejoint l’équipe du professeur Yamanaka et abandonné ses travaux sur les cellules souches embryonnaires, et le scientifique Axel Kahn.
Face à ce concert d’avis unanimes émanant de spécialistes d’horizons différents, nul besoin de bagage scientifique particulier pour mesurer le bouleversement décisif et prometteur causé par ces faits récents.
Dans ces conditions, le texte dont nous débattons ce soir est-il innovant ?
À la lumière d’une telle actualité, les dispositions de la présente proposition de loi apparaissent comme conformistes, voire décalées, et sont en tout cas contredites par les évolutions de la science elle-même. Je regrette que ce texte envoie un message à contre-courant, au risque d’aggraver le retard de la recherche française sur les cellules souches non embryonnaires.
Certains chercheurs, comme Mme Gluckman, présidente de l’association Eurocord, avaient d’ailleurs déclaré dès mars 2011 au Sénat, lors de la table ronde sur les cellules souches organisée par la commission des affaires sociales, qu’ils craignaient que « nous n’ayons pris beaucoup de retard sur les États-Unis et l’Asie » dans le domaine des cellules souches pluripotentes induites.
Dans un article récent du Quotidien du médecin, M. Privat, ancien directeur d’unité à l’INSERM, et Mme Adolphe faisaient également état du retard considérable que la France a déjà pris dans le domaine de la recherche sur les IPS, faute d’un financement adéquat.
L’argument majeur volontiers avancé par les auteurs de la proposition de loi pour justifier leur démarche est que ce texte permettrait à la recherche française de ne pas être en décalage par rapport à la recherche internationale. Cependant, n’est-ce pas précisément l’effet inverse qui se produirait en cas d’adoption de ce texte ?
Les crédits disponibles n’étant pas extensibles à l’infini, inciter à la recherche sur l’embryon humain reviendrait de fait à pénaliser pour partie la recherche d’avenir que constitue la recherche alternative sur les cellules souches adultes.
Sur le fond, la proposition de loi ne répond donc pas véritablement à un impératif scientifique.
Au regard de la procédure et du droit, l’examen de ce texte intervient au mépris de l’article 46 de la loi relative à la bioéthique, qui dispose : « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
« À la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation. »
Le moins que l’on puisse dire est que toutes ces étapes, qui figurent dans la loi votée en 2011, ont été allègrement ignorées. Nul débat public, pas la moindre consultation d’experts, aucune concertation d’élus n’ont précédé la présentation de cette proposition de loi, qui n’a fait l’objet d’aucune publicité.
Le Gouvernement, sur ces sujets de société, semble très frileux, redoutant la confrontation des idées et des points de vue, et préférant l’opacité. Lui toujours si prompt à créer des comités Théodule ou à commander des rapports sur tant de sujets où les éléments du débat sont connus est bien loin ici de la transparence réclamée et affichée comme une méthode de gouvernement ! Ce débat confisqué hypothèque considérablement la crédibilité du texte que nous examinons.
M. Jean-Pierre Leleux. Eh oui !
M. Dominique de Legge. Le rapport de M. Barbier fait état de seulement quatre auditions. J’insiste sur ce point essentiel, car de l’absence de concertation naît l’arbitraire, coupable sur un tel sujet. Nous sommes aux antipodes de la démarche consultative qui avait précédé l’examen de la loi de 2011. Cela me paraît insuffisant pour renverser la philosophie de la loi.
Lors de la commission mixte paritaire sur la loi de bioéthique, en juin 2011, les parlementaires avaient débattu du point de savoir s’il était opportun ou non de réviser la loi tous les cinq ans. Certains estimaient qu’une révision valait désaveu et qu’il ne fallait pas imposer de délai aussi arrêté sur des dispositions votées par le Parlement. D’autres, au contraire, trouvaient qu’il était nécessaire de s’adapter aux réalités, notamment scientifiques. Au final, un consensus s’était dégagé sur le point suivant : dès qu’il y avait nécessité de réviser la loi de bioéthique, un débat était indispensable.
Oui, mes chers collègues, à l’heure où l’on prône la démocratie participative, la création de commissions d’enquête ou la réunion d’états généraux, il est singulièrement paradoxal de glisser dans l’ordre du jour chargé d’actualité, sans aucun débat préalable, une proposition de loi destinée à légiférer sur un sujet éthiquement si sensible !
Sur le plan juridique, la proposition de loi n’a donc manifestement pas respecté les procédures préalables prévues par la loi de 2011, qui fut, elle, votée dans les règles, en toute transparence et à l’issue de consultations ouvertes.
Pour toutes ces raisons, à la fois démocratiques, scientifiques, éthiques et juridiques, de nombreux collègues et moi-même avons pris l’initiative de déposer une motion tendant à opposer la question préalable. Celle-ci vise essentiellement à faire respecter la loi et à permettre un débat sur un sujet éthiquement si important. À nos yeux, cette motion constitue une mesure de sauvegarde à l’égard d’un texte qui n’est à l’évidence ni scientifiquement opportun, ni juridiquement légitime, ni méthodologiquement recevable. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, contre la motion.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite au préalable préciser à notre excellent collègue Dominique de Legge qu’il s’agit ici non pas d’un projet de loi, mais d’une proposition de loi. Sachez que le RDSE assume totalement ce texte, qui est en accord avec les convictions que notre groupe exprime depuis de longues années.
Nous considérons que cette question doit, tout comme d’autres, faire l’objet d’un examen par le Parlement. Nous sommes maîtres, au même titre que les autres groupes, des textes que nous souhaitons soumettre à l’approbation de la Haute Assemblée dans le cadre de l’ordre du jour qui nous est réservé.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Jacques Mézard. Ainsi va la vie démocratique dans une enceinte comme la nôtre !
Mes chers collègues, le texte que nous vous soumettons dépasse les clivages politiques traditionnels. Depuis sa création en 1892, notre groupe s’est en effet toujours inscrit dans une tradition : la défense de la liberté de conscience, de la liberté d’expression et le respect de la diversité des opinions ; il s’est toujours prononcé en faveur de l’humanisme, contre l’obscurantisme et pour les avancées sociétales.
Nous entendons les arguments de ceux qui s’opposent à nos idées. Nous les respectons, même si nous déplorons certaines argumentations, comme celle exprimée par notre excellent collègue Bruno Retailleau. Malgré la grande estime que je porte à son intelligence et à son travail, en soutenant qu’« en nous abstenant de voter ce texte, […] nous éviterions de commettre une trangression anthropologique », il utilise un argument qui, selon moi, va trop loin.
Ces questions sociétales posent des problèmes de conscience, et nous ne l’oublions pas. Nous exprimons aussi notre conception de l’humanité et de l’homme.
Comment, à l’occasion d’une telle discussion, ne pas se souvenir des combats de tous ceux qui, depuis Galilée, ont fait avancer la raison ? Personnellement, comment pourrais-je oublier les débats intervenus ici même en 1975 sur la loi Veil ? J’y ai assisté dans la tribune du public et l’auteur de mes jours en était le rapporteur. Comment ne pas se rappeler la violence des opposants, lesquels se dressaient à l’époque contre l’avortement en se prévalant de l’existence de la pilule après l’adoption de la loi Neuwirth, qu’ils avaient pourtant combattue quelques années auparavant ? Comment oublier que nombre de ceux qui criaient « Laissez-les vivre ! » votaient quelques années plus tard contre l’abolition de la peine de mort ? Aujourd'hui, il en va de même avec ceux qui contestent le mariage pour tous, en se référant au PACS qu’ils avaient combattu avec hargne.