M. Georges Patient. Les concours financiers de l’État aux collectivités territoriales d’outre-mer nécessitent une réelle adaptation aux réalités de ces régions. En Guyane, par exemple, les collectivités territoriales ne sont pas en mesure d’assumer leurs responsabilités dans de nombreux domaines.
Tous ces domaines font l’objet d’amples développements dans l’étude d’impact de ce projet de loi – et pour cause ! –, qu’il s’agisse de l’éducation, où l’on assiste à une inflation des dépenses scolaires en raison de l’explosion démographique du territoire et de l’immigration clandestine, qu’il s’agisse des prestations sociales, où la non-compensation des transferts de charges de l’État aux collectivités met celles-ci dans une situation intenable, qu’il s’agisse enfin d’investissements, avec les charges liées aux besoins d’équipements structurants vitaux assurant une dignité de vie aux citoyens d’outre-mer – assainissement, eau potable, collecte et traitement des déchets, transports.
En conséquence, la seule véritable solution pour compenser cette croissance inévitable des charges des collectivités, forcément supérieure à celle de leurs recettes, demeure, pour l’heure, une meilleure adaptation des concours financiers de l’État aux réalités des territoires d’outre-mer.
Pour la Guyane, l’État doit adapter la dotation globale de fonctionnement, en se fondant sur des critères plus opérants, tels que le revenu moyen par habitant, le nombre d’élèves scolarisés sur le territoire par rapport à la population totale, la situation sociodémographique, avec une pyramide des âges à base très élargie, qui n’a rien à voir avec les standards nationaux.
En outre, l’État doit supprimer le plafonnement qui frappe la dotation superficiaire, institué pour les seules communes de Guyane et qui leur fait perdre annuellement 16 millions d’euros, quitte à instaurer une péréquation de ce montant entre les seules communes de Guyane.
Enfin, l’État doit rétrocéder aux communes de Guyane les 27 millions d’euros qui leur font défaut au titre de l’octroi de mer. Il faut préciser qu’elles sont les seules communes d’outre-mer à subir un tel prélèvement.
Au total, au titre de ces deux recettes, 43 millions d’euros échappent chaque année aux communes de Guyane. Ce constat est unanimement dressé par les élus locaux et également repris dans le rapport de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer.
Cet amendement vise donc à remédier, dans un premier temps, à la situation financière dégradée des collectivités territoriales d’outre-mer par la remise d’un rapport sur la situation de ces finances.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à obtenir du Gouvernement le dépôt d’un rapport relatif à l’adaptation des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales d’outre-mer. Il me semble que la commission des finances pourrait se saisir d’un tel sujet, en organisant une mission d’information qui lui serait propre. Je ne suis pas certain qu’il soit nécessaire de demander un nouveau rapport au Gouvernement.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Victorin Lurel, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable, parce qu’une étude est engagée dans le cadre de la préparation de la loi portant réforme territoriale – et probablement, nous l’espérons tous, réforme des finances des collectivités locales. Il n’y a donc pas lieu d’établir un rapport spécifique sur les outre-mer, même si je n’ignore pas les particularités de ces territoires, notamment le plafonnement de la dotation superficiaire en Guyane.
Je demande donc à M. Patient de bien vouloir retirer son amendement.
Mme la présidente. Monsieur Patient, l’amendement n° 33 est-il maintenu ?
M. Georges Patient. J’ai déposé cet amendement en profitant de l’occasion fournie par l’article 8. Dans la mesure où l’on exonère les collectivités locales de l’obligation de participation minimale aux investissements, on ouvre la voie à une étude plus globale sur l’adaptation des concours financiers de l’État aux collectivités d’outre-mer.
Je retire mon amendement, mais je vous annonce d’ores et déjà, monsieur le ministre, que je présenterai des amendements relatifs à la Guyane, notamment à la dotation superficiaire et au prélèvement sur l’octroi de mer, lors de la discussion de la loi de finances initiale pour 2013.
Mme la présidente. L’amendement n° 33 est retiré.
Article 9
I. – En vue de rapprocher les règles législatives applicables à Mayotte des règles législatives applicables en métropole ou dans les autres collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution, ou de les mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne dans le cadre de l’accession au statut de région ultrapériphérique à compter du 1er janvier 2014, le Gouvernement est autorisé, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et dans un délai de dix-huit mois suivant la publication de la présente loi, à modifier par ordonnance :
1° Les dispositions de l’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ;
2° Les dispositions du code de l’action sociale et des familles relatives à l’adoption, à l’allocation personnalisée d’autonomie et à la prestation de compensation du handicap ;
3° La législation relative à la couverture des risques vieillesse, maladie, maternité, invalidité et accidents du travail, aux prestations familiales ainsi qu’aux organismes compétents en la matière ;
4° La législation du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle.
II. – Chaque ordonnance procède à l’une ou l’autre des opérations suivantes ou aux deux :
1° Étendre la législation intéressée dans une mesure et selon une progressivité adaptées aux caractéristiques et contraintes particulières à Mayotte ;
2° Adapter le contenu de cette législation à ces caractéristiques et contraintes particulières.
III. – Le projet de loi de ratification de chaque ordonnance est déposé devant le Parlement au plus tard le dernier jour du sixième mois suivant celui de sa publication.
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud, sur l’article.
Mme Aline Archimbaud. L’article 9 habilite le Gouvernement à modifier l’ordonnance du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte afin de la mettre en conformité avec la législation européenne et métropolitaine en la matière, compte tenu de la départementalisation de Mayotte intervenue en mars 2011.
Nous voterons cet article, mais je souhaite auparavant formuler quelques remarques.
Voter cet article nous amène à faire appliquer à Mayotte le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, tel qu’il a été modifié par le précédent gouvernement, c’est-à-dire avec des dispositions liberticides, contre lesquelles nous nous étions mobilisés aux côtés d’un certain nombre de camarades de gauche. Nous comprenons bien la logique qui nous amène aujourd’hui à devoir étendre l’application de ces mesures à Mayotte, mais nous espérons que cette législation sera bientôt réformée par la nouvelle majorité.
Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
Mayotte
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
, dans la perspective de la mise en œuvre d’un nouveau visa applicable à Mayotte, plus adapté aux contraintes issues de la pression migratoire ;
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à encadrer l’habilitation du Gouvernement à adapter les dispositions de l’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte.
Le rapport de nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan a montré l’urgence d’une nouvelle législation applicable à Mayotte en la matière, avec notamment le remplacement du visa actuel, mis en place en 1995 et qui n’a pas mis fin aux drames des kwassas kwassas ni permis de lutter efficacement contre l’immigration clandestine. Il convient donc d’introduire un nouveau visa, plus réaliste et mieux adapté à la situation migratoire de Mayotte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Serge Larcher, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Victorin Lurel, ministre. Contrairement aux deux rapporteurs, j’ai un avis défavorable sur cet amendement.
En effet, il vise à restreindre l’habilitation demandée par le Gouvernement pour rapprocher du régime de droit commun le régime applicable à Mayotte en matière d’entrée et de séjour des étranges.
Par ailleurs, la mission de M. Christnacht doit rendre prochainement ses conclusions – à la fin du mois de septembre – sur le régime d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte. Il semble opportun d’attendre ses conclusions pour prévoir une évolution en la matière. Il serait donc prudent et de bonne politique de retirer cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je défends avec force cet amendement, la situation de l’immigration à Mayotte, comme l’a dit M. le rapporteur pour avis, étant devenue intolérable. Des passeurs envoient de nombreux bateaux très frêles, les kwassas kwassas, où prennent place des centaines de personnes dans des conditions lamentables et tragiques. On recense presque chaque semaine des morts : un bébé a perdu la vie la semaine dernière au cours de l’une de ces traversées.
La France, monsieur le ministre, dépense 50 millions d’euros par an pour organiser des reconduites à la frontière.
Or que se passe-t-il ? Ceux qui arrivent à Mayotte sont « accueillis », si l’on peut dire, dans un centre de rétention administrative dont je vous conseille la visite, car il ne fait pas honneur à la République française – il va être refait, mais il faudra attendre un certain temps. Ensuite, nombre de ceux qui sont « accueillis » dans ce centre de rétention sont reconduits à la frontière, mais ils reviennent…
Le résultat, c’est que Mayotte compte une population d’immigrés en situation irrégulière très importante, dont une part de mineurs isolés livrés à eux-mêmes, ce qui est particulièrement tragique. Cela pose de réelles difficultés à la fois pour ces derniers, mais aussi, M. Mohamed Soilihi a appelé notre attention sur ce point, pour les Mahorais. Cela ne peut pas durer.
Il existe un visa, le visa Balladur, que notre rapport préconise de remplacer. Je cite : « Il faut lui substituer un dispositif d’attribution de visa plus réaliste et rigoureux afin de mieux maîtriser l’immigration. » La publication de ce rapport a donné lieu à une campagne de presse dénonçant le laxisme d’une telle réforme. Certes, ce visa pose des conditions très strictes, mais son degré d’application est nul ! En réalité, la frontière est une véritable « passoire », si vous me permettez l’expression. Nous disposons donc d’un visa magnifique mais qui n’a aucun effet et, lorsque nous disons qu’il faut le réformer, on nous accuse de laxisme ! Mes chers collègues, cela est insupportable.
Par conséquent, la mission que vous avez citée, monsieur le ministre, a été certainement très judicieuse et utile dans la mesure où M. Christnacht a eu le mérite, je tiens à le dire ici publiquement, de préciser les choses à Mayotte dans la presse.
Toujours est-il qu’il faut revoir ce système : la République française ne saurait tolérer les conditions dans lesquelles des êtres humains se noient presque chaque semaine. Le bilan est très lourd, tragique. Nous dépensons beaucoup d’argent pour aboutir à une situation détestable, qui ne profite ni aux personnes intéressées, ni aux Mahorais, ni aux Comores. Ce système ne fonctionne pas.
Nous soutenons votre texte avec beaucoup de ferveur, monsieur le ministre, mais je prendrais très mal, je vous le dis franchement, que le Gouvernement s’oppose à un amendement de M. Mohamed Soilihi, adopté à l’unanimité par la commission des lois –même si, par principe, nous ne sommes pas excessivement favorables aux ordonnances –, afin qu’un nouveau visa plus adapté aux réalités soit mis en œuvre par cette voie. C’est absolument nécessaire ; nous ne pouvons pas faire comme si le problème n’existait pas !
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Monsieur le ministre, vous êtes quelqu’un de réaliste, de pragmatique : quand vous vous trouvez confronté à une situation qui paraît bonne sur le papier mais qui se révèle très mauvaise dans la pratique, vous ne pouvez pas rester sans rien faire ! Puisque vous allez prendre des mesures par ordonnances, vous serez obligé d’agir parce que le visa Balladur, s’il a fonctionné à une époque, ne fonctionne plus aujourd'hui. Comme le président de la commission des lois l’a rappelé, Mayotte est une véritable passoire, ce qui nous met de surcroît politiquement et diplomatiquement en difficulté avec ses voisins. Il s’agit donc d’une situation « perdant-perdant ». Soyons réalistes, il est temps de reprendre les choses en main et de le faire avec autant de bon sens que possible.
S'agissant d’une ordonnance, le législateur se dessaisissant de son pouvoir législatif au profit du Gouvernement, il est normal qu’il lui donne quelques instructions. Cet amendement ne vous lie pas les mains, monsieur le ministre. Tel qu’il est rédigé : « dans la perspective de la mise en œuvre d’un nouveau visa applicable à Mayotte, plus adapté aux contraintes issues de la pression migratoire », il est tout de même très large. Nous vous laissons le soin de choisir ce qu’il faut faire. Nous précisons simplement que nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle, et vous-même ne pourrez que parvenir à la même conclusion.
Lors de la première mission que j’ai effectuée à Mayotte, la police aux frontières se targuait de ramener chaque année 27 000 personnes. Lorsque nous demandions ce que devenaient les enfants, on nous répondait qu’il n’y en avait pas ! Or nous savions bien que ces familles comptaient de nombreux enfants. Nous nous sommes donc rendus auprès de la direction des affaires sanitaires et sociales. Elle nous a indiqué que les enfants restaient sur le territoire, mais que ce n’était finalement pas si grave puisque, le mois suivant, 90 % des mères étaient revenues… Peut-être, mais au péril de leur vie !
Nous ne pouvons pas continuer comme cela ! Il faut ouvrir la possibilité de trouver des solutions mieux adaptées : c’est, ni plus ni moins, ce que nous vous proposons par cet amendement. C’est la raison pour laquelle j’espère que vous reviendrez sur votre position, monsieur le ministre, et que vous vous en remettrez à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. Je souhaite bien évidemment appuyer les propos du président de la commission des lois et de Christian Cointat. La situation migratoire qui prévaut à Mayotte ne peut plus continuer. La population compte près de la moitié de clandestins. Comment voulez-vous engager le moindre projet viable à Mayotte avec de telles données – un projet pour combien de personnes ? –, sans compter les drames humains auxquels nous assistons mois après mois, année après année !
Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Or cette situation est en partie due au visa pour entrer à Mayotte, un dispositif « passoire » qu’il convient de changer. Tel est le propos de la commission des lois. Ne pas le dire ou refuser de le dire équivaut à laisser empirer la situation. Acceptons-nous que, dans dix ans, la population soit peut-être à 60 % clandestine ?
Plus de la moitié des reconduites à la frontière de la France sont effectuées à Mayotte. Trouvez-vous cela normal ? Cela signifie-t-il que Mayotte ne fait plus partie de la République et que l’on y tolère des pressions migratoires que l’on ne pourrait pas tolérer ailleurs ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre. Même placé au banc du Gouvernement, je ne veux pas être plus royaliste que le roi, mais il est de mon devoir de rappeler le contexte. Je n’ignore pas les réalités et je crois pouvoir faire preuve de courage quand il le faut.
Monsieur le président Sueur, la remise de votre rapport d’information a suscité des déclarations et la publication de dépêches de l’AFP, Félix Desplan pourrait en témoigner. Vous avez dû revenir sur quelques incompréhensions, l’opinion publique de Mayotte s’étant emparée du sujet. M. Christnacht a dû organiser une conférence de presse pour préciser que rien n’était décidé et qu’il n’était pour le moment pas question de revenir sur le visa dit « Balladur ». Le sujet est extrêmement sensible.
Même si je comprends que ce soit le législateur qui décide, dans sa pleine souveraineté, il n’en reste pas moins qu’adopter cet amendement serait vider de sa substance la mission de M. Christnacht et, quoi qu’on en dise, enfermer l’ordonnance dans un cadre. Ce serait apporter une restriction à la liberté – si j’ose dire – du Gouvernement dans sa rédaction.
J’aurais pu vous associer en amont à la rédaction de cette ordonnance mais, puisque vous insistez, tout en connaissant l’impact de ces mesures sur les opinions publiques, je vais m’en remettre à la sagesse du Sénat. Je demande cependant aux sénateurs de bien mesurer les conséquences avant de décider qu’il y aura « un nouveau visa […] adapté aux contraintes issues de la pression migratoire ». Nous savons que la pression migratoire est problématique, mais il y a probablement d’autres facteurs à prendre en compte.
Vous ne voulez pas attendre, je m’en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. Si l’opinion publique manifeste parce que je demande que la part clandestine de la population de Mayotte diminue, j’en assumerai les conséquences.
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 5
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
5° Les dispositions du code de la santé publique ;
6° Les législations applicables à l'énergie, au climat, à la qualité de l'air, ainsi qu'à la sécurité et aux émissions des véhicules ;
7° La législation des transports ;
8° La législation relative à la protection de l'environnement.
La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre. Sans exposer tout le dispositif qui vous est proposé, je rappelle qu’actuellement les règles communautaires ne s’imposent pas à Mayotte. Le changement de statut communautaire de Mayotte, qui deviendra prochainement une région ultrapériphérique, suppose l’extension et la modification d’un certain nombre de dispositions législatives en matière de santé publique, de transports routier, maritime et aérien, ainsi que de protection de l’environnement pour les rendre compatibles avec les normes de l’Union européenne.
Tel est l’objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. Madame la présidente, je vous livre l’avis de la commission des lois, qui n’est pas forcément mon avis personnel.
La commission des lois a été surprise de prendre connaissance de cet amendement, transmis hier par le Gouvernement, relatif à de nouvelles habilitations. Nous sommes conscients que l’application du droit commun à Mayotte nécessite du temps, mais pourquoi cette demande d’habilitation ne figurait-elle pas dans le projet de loi initial ?
Par ailleurs, le choix d’inclure ces habilitations dans un amendement ne nous permet pas de connaître les actions que le Gouvernement compte conduire en la matière, ce que nous regrettons.
Compte tenu de ces observations, la commission des lois a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Permettez-moi d’ajouter un mot à ce que vient de dire excellemment M. le rapporteur pour avis.
Monsieur le ministre, nous ne doutons pas de votre volonté de faire en sorte que la situation s’améliore à Mayotte. C’est là un grand défi, et nous mesurons l’ampleur de ce qu’il reste à accomplir. Cela étant, le présent amendement nous paraît appeler quelques observations.
Tel qu’il était initialement rédigé, le texte de l’article 9 faisait déjà une part très grande aux ordonnances. Nous aimerions donc savoir si l’amendement que vous nous proposez aujourd'hui vise à dessaisir complètement le Parlement sur la question de Mayotte. En effet, avec cet amendement déposé à la dernière minute, voilà qu’entrent soudainement dans le champ des ordonnances les domaines de la santé, de l’énergie, du climat, de la qualité de l’air, de la sécurité des véhicules, des transports, etc. Par conséquent, nous nous demandons si, dans votre esprit, il s’agit de faire de Mayotte la terre de l’ordonnance…
Les ordonnances sont utiles pour régler un certain nombre de questions urgentes ; nous sommes responsables et, cela, nous le comprenons parfaitement. Mais nous pensons que, sur d’autres sujets, il n’est peut-être pas sage de dessaisir le Parlement.
Soyez en tout cas assuré, monsieur le ministre, que nous serons vigilants sur tous les sujets relevant de ces ordonnances, notamment sur l’immigration. Nous ne doutons d’ailleurs pas que vous associerez le Parlement aux décisions que vous serez amené à proposer dans ce cadre.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 9, modifié.
(L'article 9 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 9
Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par M. Labbé, Mmes Archimbaud, Aïchi, Ango Ela, Benbassa, Blandin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard et Gattolin, Mme Lipietz et M. Placé, est ainsi libellé :
Après l'article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'épandage aérien des produits mentionnés aux deux alinéas précédents est interdit. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Si vous le permettez, madame la présidente, je défendrai également l’amendement n° 10.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 10, présenté par M. Labbé, Mmes Archimbaud, Aïchi, Ango Ela, Benbassa, Blandin et Bouchoux, MM. Dantec, Desessard et Gattolin, Mme Lipietz et M. Placé, et ainsi libellé :
Après l'article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L'épandage aérien des produits mentionnés aux deux alinéas précédents est interdit dans les territoires d'outre-mer. »
Veuillez poursuivre, monsieur Labbé.
M. Joël Labbé. Ces amendements visent à interdire purement et simplement les épandages aériens. L’amendement n° 9 vise à les interdire sur l’ensemble du territoire français, l’amendement n° 10, à les interdire plus spécifiquement dans les territoires d’outre-mer.
Si nous avons choisi de déposer ces amendements sur le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, c’est parce que des dérogations à l’interdiction des épandages aériens sont accordées en très grand nombre dans ces territoires.
L’épandage aérien, je le rappelle, est interdit, sauf dérogation très précisément motivée.
En Guadeloupe, depuis trente ans, les bananeraies sont traitées environ cinq fois par an par voie aérienne, parfois jusqu’à douze fois lorsqu’il s’agit de traiter la cercosporiose noire. Résultat : les populations des zones traitées subissent une contamination chronique.
Autre exemple concret, toujours en Guadeloupe : en décembre 2011, une dérogation ministérielle à l’interdiction de l’épandage aérien de pesticides a été accordée à de grandes plantations de bananes. Plusieurs pesticides ont ainsi été épandus. Parmi les sept produits autorisés par la dérogation, trois sont d’ores et déjà classés comme cancérogènes possibles par l’agence de protection de l’environnement des États-Unis.
Alors que l’arrêté du 31 mai 2011 relatif aux conditions d’épandage de produits autorisés prévoit qu’une distance minimale de sécurité de 50 mètres doit être respectée par rapport aux habitations, jardins, parcs et bâtiments, plusieurs habitants de diverses localités ont attesté avoir été littéralement arrosés de pesticides pendant leurs déplacements ou à proximité de leur habitation.
Ce problème sanitaire existe depuis trop longtemps, exposant l’homme et l’environnement à de graves dangers.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 9 et 10 ?
M. Serge Larcher, rapporteur. L’amendement n° 9 vise à interdire l’épandage aérien sur tout le territoire national, l’amendement n° 10, à l’interdire uniquement outre-mer. Il s’agit, à l’évidence, de deux amendements d’appel, et j’imagine que M. le ministre pourra répondre à certaines de vos inquiétudes, mon cher collègue.
Je ne vous étonnerai pas en vous disant que l’amendement n° 9 constitue un cavalier puisqu’il concerne tout le territoire national. Il n’est ni possible ni souhaitable d’intégrer des dispositions concernant l’ensemble du territoire national dans un texte portant spécifiquement sur les outre-mer.
Au reste, les deux amendements me paraissent être hors du champ du projet de loi, lequel porte essentiellement, je le rappelle, sur la problématique de la vie chère dans les outre-mer. À vouloir faire passer trop de messages, on risque de brouiller le message essentiel.
Avant d’évoquer l’objet de l’amendement n° 10, permettez-moi, mon cher collègue, de vous signaler que les « territoires d’outre-mer » n’existent plus depuis plus de dix ans dans les textes légaux. On parle désormais de « collectivités d’outre-mer » ou de « départements d’outre-mer ».
Pour ce qui est du fond, je ne suis pas un scientifique et je n’ai pas de position arrêtée sur le maintien de l’épandage aérien. En revanche, je vous invite à lire le rapport de Daniel Marsin, ancien sénateur de la Guadeloupe, sur la proposition de résolution tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne, proposition qui a été adoptée par le Sénat au printemps 2011. Notre collègue Daniel Marsin y soulignait que la banane antillaise est devenue la plus propre au monde. L’utilisation des produits phytosanitaires a diminué aux Antilles de près de 70 % en une décennie. Les producteurs y font entre deux et dix traitements, contre près de soixante en Colombie, dont la banane inonde le marché européen, en particulier le marché français. Or personne ne s’en offusque !
Selon moi, il convient de faire attention aux normes qu’on souhaite appliquer aux producteurs ultra-marins quand, dans le même temps, l’Union européenne soutient le développement des échanges avec des pays ne respectant pas les normes qu’elle nous impose.
J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?