M. Félix Desplan. Je ne reviendrai pas sur le dispositif du projet de loi, que M. le ministre, MM. les rapporteurs et certains de nos collègues ont déjà explicité. Je voudrais simplement redire, dans le court temps qui nous est imparti, qu’il y a effectivement urgence.
La situation économique et sociale outre-mer est particulièrement préoccupante. En Guadeloupe, le taux de chômage a augmenté de près de 5 % en un an. À Pointe-Noire, ville dont je suis le maire, la ligne budgétaire du centre communal d’action sociale pour 2012 a été épuisée en à peine huit mois : c’est une première.
Alors que la précarité ne cesse de s’accroître, que les revenus de la grande majorité des ultramarins diminuent – je rappelle que les revenus des ménages ultramarins sont, en moyenne, inférieurs de 35 % à ceux des ménages hexagonaux –, les prix non seulement de l’alimentation et de l’essence, mais aussi de produits devenus indispensables aujourd’hui, comme l’accès à internet ou la téléphonie, restent exorbitants. Dans le secteur de la grande distribution, selon l’Autorité de la concurrence, pour un échantillon de soixante-quinze produits importés de métropole, les prix relevés en magasin dans les DOM sont supérieurs d’au moins 55 % à ce qu’ils sont dans l’Hexagone, dans la moitié des cas !
L’encadrement de certains prix, et tout particulièrement ceux des produits de première nécessité, apporte, certes, un apaisement dans l’immédiat. C’est pourquoi le Gouvernement, tout en privilégiant la négociation avec les organisations professionnelles, a décidé de se donner les moyens de le mettre en œuvre.
Cependant, le seul encadrement des prix n’apporte pas toujours de solution pour le long terme, et n’oublions pas qu’il peut être générateur d’effets pervers : alignement des prix sur le maximum autorisé, ruptures de stock ou risque d’augmentation exponentielle par la suite.
Aussi faut-il procéder à un changement structurel, aller de façon durable et pérenne vers plus de transparence et de concurrence, l’absence de celles-ci se faisant cruellement sentir sur nos territoires, encore trop marqués par une économie de comptoir. C’est le choix du Gouvernement, et je m’en félicite.
Il est vrai qu’opter pour une telle politique ne relève pas de la facilité : changer les comportements et les pratiques des importateurs, des distributeurs et des divers intermédiaires demandera du temps, et les effets de cette démarche ne seront pas immédiatement perceptibles par une population impatiente parce que confrontée, dans son quotidien, à la cherté de la vie, et d’autant plus exaspérée qu’elle a aujourd’hui les moyens de connaître les prix pratiqués dans l’Hexagone.
Il est vrai aussi que ce projet de loi n’est qu’une étape dans un processus d’assainissement des pratiques du commerce dans nos territoires et vers la modernisation de notre économie.
L’important, c’est que nous disposons là des premiers outils, et que ces outils sont efficaces. D’autres devront encore être étudiés et mis en place, notamment pour améliorer la chaîne logistique, favoriser le développement des coopératives et des interprofessions ou permettre une véritable coopération caribéenne favorisant la consommation et l’échange de produits locaux.
Mais ce texte représente d’ores et déjà un grand pas dans la bonne direction, une avancée courageuse. Traduisant le respect de l’engagement politique pris par le président François Hollande, il constitue un signe fort à l’adresse de nos populations, la marque d’une vraie volonté de changer le cours des choses. Pour ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à soutenir ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gillot.
M. Jacques Gillot. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les mesures proposées dans ce projet de loi visent à lutter contre la vie chère en facilitant le jeu de la concurrence, afin d’améliorer la chaîne de formation des prix dans les outre-mer.
L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs observé à plusieurs reprises, au travers de ses différents avis rendus depuis 2009, que les frais de transport et l’octroi de mer ne justifient pas à eux seuls des écarts de prix pouvant aller jusqu’à plus de 55 % entre la métropole et les marchés ultramarins. Les mesures envisagées, conformes au droit européen, vont dans le sens d’un renforcement de la régulation, au niveau tant des importateurs grossistes que des détaillants.
La boîte à outils mise en place au travers de ce texte renforcera l’arsenal juridique dont disposent les pouvoirs publics pour remédier aux atteintes au principe de liberté des prix et de la concurrence, lesquelles privent tous les consommateurs, ainsi que, bien souvent, les entreprises, du bénéfice de produits et de services de qualité au meilleur prix.
J’approuve donc l’amendement du Gouvernement prévoyant la tenue d’une négociation annuelle dans chacune de nos collectivités ultramarines, un accord de modération du prix global pour une liste de produits de grande consommation et l’intervention du préfet en cas d’échec de ces négociations.
En effet, il était nécessaire de réviser cet arsenal juridique, qui n’avait le pouvoir de contraindre le marché et de réglementer les prix que dans des situations très exceptionnelles, comme celles de catastrophe naturelle, pour prendre un exemple extrême.
Ce projet de loi marque donc une grande avancée dans la lutte contre la vie chère. Son adoption permettra d’accroître la marge de manœuvre du Gouvernement dans cette lutte, ainsi que celle des collectivités, en leur permettant de saisir directement l’Autorité de la concurrence, et de renforcer les pouvoirs de cette dernière outre-mer.
Ce texte est une des solutions au problème de la vie chère. Toutefois, nous savons qu’il nous faudra approfondir d’autres pistes dans les mois prochains. Ce texte est un premier acte posé dans la lutte contre la vie chère outre-mer ; il est nécessaire, mais il doit être conforté.
Je pense notamment à la possibilité, voire la nécessité, de développer des échanges commerciaux avec nos voisins proches, par exemple la zone Caraïbes ou l’Amérique latine. Aujourd’hui, en raison de notre appartenance à l’Union européenne, nous sommes soumis à des normes dont je ne remets pas en cause le bien-fondé, mais qui sont parfois un élément contraignant. Si ces normes, dans leur dessein initial, visent à nous protéger, cette protection devient dans certains cas une contrainte trop importante. N’y a-t-il pas là matière à réflexion et à négociation avec les instances européennes sur cette réalité, afin de dégager un facteur supplémentaire d’amélioration de la concurrence dans nos territoires ?
Prenons l’exemple concret de l’approvisionnement en carburant. Si, aujourd’hui, la Guadeloupe pouvait s’approvisionner auprès de pays exportateurs de pétrole de sa zone régionale, tel le Venezuela, le prix du carburant à la pompe en Guadeloupe pourrait être réduit de façon significative, et ce gain ne serait pas négligeable pour le pouvoir d’achat des Guadeloupéens.
Je veux aussi appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessaire mise en œuvre rapide de la loi après son vote. Je sais que vous avez déjà pris des engagements sur ce point, monsieur le ministre, mais il importe vraiment que, une fois la loi promulguée, les décrets d’application soient rapidement publiés, afin que les différentes mesures prennent leur plein effet dans les meilleurs délais. Rappelons-nous, à cet égard, du retard pris dans la publication des décrets de la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM.
S’agissant du cas particulier des carburants, la crise économique actuelle appelle des mesures urgentes. Certaines d’entre elles, non mises en œuvre à ce jour, avaient été proposées au travers des nombreux rapports élaborés à la suite des mouvements sociaux de 2009. Je pense notamment à la filialisation des activités de stockage de la société anonyme de raffinerie des Antilles, la SARA, à l’ouverture du stockage à de nouveaux importateurs et à l’affichage des prix dans les stations-service, ainsi qu’à l’arrêt de la publication de prix plafonds, sur lesquels tous les distributeurs s’alignent, ce qui fausse le libre jeu de la concurrence. Dans ce domaine particulier, vous vous êtes déjà engagé à prendre rapidement des mesures, monsieur le ministre : ce serait un signal fort adressé à nos populations.
Je m’interroge également sur le rôle et les moyens de l’Observatoire des prix et des revenus. Malgré sa récente réforme, l’Observatoire des prix de la Guadeloupe peine à publier des comparaisons avec la métropole, ce qui nuit à l’information du consommateur et, d’une certaine manière, à la transparence des prix. Le Gouvernement a-t-il l’intention, monsieur le ministre, de renforcer les moyens de cet organisme ?
Enfin, il me semblerait opportun de mettre en place une réglementation des tarifs bancaires pour tenter de corriger d’éventuelles situations de monopole dans un secteur qui n’est pas exempt de comportements abusifs, contre lesquels nous souhaitons également lutter. Je sais que je ne vous apprends rien sur ce sujet, monsieur le ministre, et je connais votre engagement en la matière. En tout état de cause, les comparatifs publiés annuellement placent les outre-mer aux premiers rangs des départements les plus chers à cet égard. Le Gouvernement envisage-t-il de prendre quelques mesures concernant ce secteur ?
Monsieur le ministre, je sais que la promotion de la production locale, dont nous devons favoriser le développement, est aussi une priorité pour vous.
En fait, la lutte contre la vie chère appelle le recours à des moyens multiples. Elle doit mobiliser l’ensemble des acteurs publics – Gouvernement, collectivités, Autorité de la concurrence, observatoires des prix –, mais également la société civile, par le biais notamment des associations de consommateurs et des médias. Pour être véritablement efficace, elle ne pourra être que collective.
Je formule donc le vœu que la nouvelle loi soit le premier outil en vue du règlement du problème du pouvoir d’achat des ultramarins. Vous avez dit, monsieur le ministre, que ce texte marquait le début d’une révolution ; nous serons à vos côtés dans le combat pour faire gagner nos territoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux remercier l’ensemble des orateurs pour la qualité et la pertinence de leurs interventions dans cette discussion générale. Ce texte, j’ai eu l’occasion de le dire, n’a cessé d’évoluer depuis les premiers temps de son élaboration, grâce à la très large concertation que nous avons conduite. Je ne puis que me féliciter de l’intérêt des contributions, et même des objections, que j’ai pu entendre durant cette discussion.
Tout cela permet encore, à ce stade, de faire évoluer de façon positive le texte, conformément à la philosophie qui n’a cessé de nous animer.
Monsieur le rapporteur, cher Serge Larcher, je tiens à vous renouveler mes remerciements pour le remarquable travail que vous avez conduit, notamment pour les modifications de forme, mais aussi de fond, particulièrement opportunes que vous avez apportées à ce projet de loi. Pour employer une expression aujourd’hui quelque peu connotée, ce fut une très belle coproduction législative ! (Sourires.)
Monsieur le rapporteur pour avis, je comprends tout à fait que les délais contraints aient pu compliquer la tâche de la commission des lois. Cela rehausse encore la qualité des améliorations qu’elle a apportées au texte, notamment à l’article 2 sur la notion de clauses des contrats commerciaux. Toutefois, je tiens à rappeler que, même dans l’urgence, nous avons mis en ligne l’avant-projet de loi dès les premiers jours du mois d’août et saisi dans les temps l’ensemble des collectivités locales des outre-mer. Celles-ci ont toutes formulé un avis, favorable dans la plupart des cas d’ailleurs, accompagné de remarques complémentaires dont nous avons tenu compte. J’ai en outre eu l’occasion de recevoir tous les parlementaires, députés et sénateurs. Un travail approfondi en amont a donc été mené.
Monsieur Requier, j’ai apprécié vos propos et votre intérêt pour « la lointaine France des grands horizons ». Je suis évidemment sensible à la position bienveillante du groupe RDSE sur ce projet de loi. Je veux, en tout cas, vous renouveler notre engagement à agir très précisément, comme vous le souhaitez, sur les facteurs structurels de la vie chère.
Monsieur Magras, j’ai entendu les interrogations et les inquiétudes que vous avez exprimées sur certains aspects du texte au nom du groupe UMP. Même si je ne partage pas les préventions que vous avez pu formuler quant au rôle de l’Autorité de la concurrence, que je ne considère pas comme un adversaire du développement économique, ni de la liberté d’entreprendre, je suis heureux que notre travail commun ait pu dissiper vos craintes, même si cela ne supprime pas, pour autant, nos divergences idéologiques !
Je veux vous le redire : ce texte n’est ni une entrave à l’innovation et au progrès, ni une atteinte au droit de propriété.
J’ai été intéressé par votre réflexion sur la possibilité de lutter contre la vie chère en attaquant cette problématique par le versant des revenus, qu’il faudrait augmenter outre-mer, les prix y étant structurellement plus élevés. J’ai même cru entendre que vous ne pensiez pas seulement aux salaires, mais probablement aussi aux revenus du capital… (Rires sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Je peux souscrire à cet argument, mais je vous sais suffisamment avisé pour savoir que tout le monde ne dispose pas aujourd’hui, en tout cas dans les outre-mer, de la même capacité à valoriser son patrimoine foncier ou immobilier qu’un habitant de Saint-Barthélemy ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Naturellement, je vous rejoins quand vous dites qu’aucune loi ne résoudra les problèmes géographiques des outre-mer qui font et feront encore l’objet de nos politiques publiques.
La question des territoires d’approvisionnement doit, à l’évidence, être au cœur de nos réflexions. Pour autant, ce n’est pas, il me semble, au présent projet de loi d’y répondre. Il constitue une première réponse ciblée sur les causes structurelles de la vie chère et le Gouvernement, croyez-le bien, ne s’arrêtera pas à ce texte.
Je tiens aussi à vous rassurer en vous confirmant que nous ne nous défaussons pas sur les collectivités et que l’État ne renoncera en aucune façon à son pouvoir de saisine de l’Autorité de la concurrence.
En ce qui concerne l’article 5 et l’injonction structurelle, j’ai bien noté que l’UMP aurait souhaité supprimer cet article et mettait en doute sa constitutionnalité. Nous aurons à en débattre plus précisément lorsqu’il viendra en discussion.
Enfin, je peux souscrire à votre remarque sur le recours trop fréquent du Gouvernement aux ordonnances. Cependant, je tiens à vous faire observer que, en l’espèce, il s’agit, pour Saint-Pierre-et-Miquelon, d’une demande expresse des parlementaires. Par ailleurs, si le chapitre II comprend un certain nombre de ratifications et de nouvelles demandes d’habilitation, c’est parce que des retards ont été pris, dont la responsabilité incombe au gouvernement précédent.
Monsieur Labbé, madame Archimbaud, je veux vous remercier pour votre soutien à l’action du Gouvernement, plus particulièrement dans les outre-mer.
Je sais que vous avez tenu à consulter vos élus locaux et j’ai apprécié les échanges que nous avons eus. Je serai donc d’autant plus sensible à vos propositions, qui me semblent aller dans le bon sens : pour que cette réforme d’envergure puisse produire ses effets, il convient que les acteurs locaux s’en emparent et que les intéressés, y compris les parlementaires, puissent assurer un suivi étroit des effets de la loi. Cet accompagnement pourra aider, j’en suis sûr, le Gouvernement à résister aux différentes pressions qui ne manqueront pas de s’exercer, car pour notre part, nous voulons changer les choses de manière volontariste, et ce n’est jamais chose aisée, je puis vous l’assurer !
Sur la question des taux de sucre dans les aliments et les boissons outre-mer, dont vous avez fort justement rappelé la prégnance et l’urgence, je veux vous dire que la proposition de loi que j’avais défendue en tant que député sera reprise très rapidement, afin que cesse cette injustice qui frappe les outre-mer.
Monsieur Pozzo di Borgo, nous sommes bien d’ accord sur le fait que le précédent gouvernement n’a pas apporté les réponses structurelles qu’appelait la problématique de la vie chère outre-mer. Je tiens, néanmoins, à préciser que le présent projet de loi n’a pas pour seul objet de rehausser le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Il a aussi pour vocation de rétablir de la justice dans le mécanisme de fixation des prix. Par ailleurs, vous vous dites réticent à l’égard de l’instauration du « bouclier qualité prix », au motif que des dispositifs similaires existaient déjà. En réalité, les dispositions de la LODEOM ne prévoyaient qu’un pouvoir de blocage des prix dans des circonstances extrêmement restrictives qui, de fait, l’ont rendu inapplicable.
Ce que prévoit le projet du Gouvernement est d’un autre ordre. Il s’agit d’abord d’en appeler à la responsabilité des acteurs, en donnant la priorité à la négociation, mais surtout de viser un objectif de résultat : c’est pourquoi le préfet aura la capacité, en cas d’échec des négociations, d’arrêter les prix sur le fondement de facteurs objectifs.
Madame Assassi, je sais combien Paul Vergès aurait souhaité participer à ce débat : à la Réunion, il a contribué à animer les discussions autour du projet de loi, avec des propositions et des contributions utiles.
Nous sommes parfaitement conscients de la nécessité d’ouvrir d’autres chantiers, qui ne pouvaient être abordés dans ce texte, comme ceux de la diversification des sources d’approvisionnement – dans le respect des équilibres à préserver pour le développement de la production locale –, de la politique des revenus et de toute la chaîne de formation des prix.
La question précise des sur-rémunérations, à laquelle vous avez consacré un long développement, n’est pas abordée dans le projet de loi et elle ne figure pas aujourd’hui à l’agenda du Gouvernement, ce qui n’empêche évidemment ni les propositions ni le débat.
Je voudrais faire savoir à Paul Vergès que, sur cette affaire précise, il n’y a pas consensus quant au caractère nocif de la sur-rémunération pour la situation économique. Certes, elle augmente le pouvoir d’achat de certains, mais ce pouvoir d’achat est largement dépensé sur place, ce qui soutient l’activité, l’emploi et donc les revenus des personnes qui occupent ces emplois. Une réduction brutale du revenu disponible des ménages en outre-mer aurait incontestablement un effet déflationniste.
D’ailleurs, un de mes prédécesseurs, Mme Girardin, avait eu le courage de dire à ses propres amis politiques que l’on ne met l’accent que sur des aspects apparemment négatifs de la sur-rémunération, alors que celle-ci alimente la consommation, qui est le premier moteur de la croissance, avant l’investissement et le solde de la balance commerciale. Ne considérer que l’aspect inflationniste dans cette affaire, c’est analyser le problème par le petit bout de la lorgnette. Il nous faudra analyser précisément les choses, établir des simulations, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. La seule simulation dont on dispose aujourd’hui a été réalisée à la Réunion par le fils de Pierre Mendès-France, mais personne ne lit plus cette étude où il nuançait et tempérait les choses.
J’aurai plaisir à débattre de ce sujet avec M. Vergès. Que conviendrait-il éventuellement de faire ? Instaurer une épargne forcée, comme il le propose, supprimer la sur-rémunération pour les nouveaux entrants dans la fonction publique ou augmenter les revenus dans tous les autres secteurs de la société, comme cela se fait déjà par le biais des conventions collectives, des accords de branche et des accords d’entreprise ?
Ce n’est pas forcément sur ce point qu’il faut agir. C’est la raison pour laquelle nous nous attaquons aux structures et aux mécanismes fondamentaux du fonctionnement de nos économies.
Madame Claireaux, je suis évidemment conscient que la situation très particulière de Saint-Pierre-et-Miquelon, au regard notamment du faible volume d’importations et du monopole du fret maritime, ne permettra pas à la plupart des dispositions de ce projet de loi d’y être efficaces dans la lutte contre la vie chère.
C’est la raison pour laquelle, à votre demande et à celle de votre collègue députée Annick Girardin, le Gouvernement a décidé d’agir sur les revenus à Saint-Pierre-et-Miquelon, en étendant l’application des aides au logement et de l’action sociale et familiale.
Enfin, je tiens à rectifier solennellement ici, devant le Sénat, l’étude d’impact de ce projet de loi en ce qui concerne la notion de PIB à Saint-Pierre-et-Miquelon. Celle-ci n’a, à mon sens, pas toute la pertinence souhaitable. Nous allons diligenter des études pour tenter d’y voir clair.
Monsieur Patient, je vous remercie de votre soutien actif, dans cette assemblée comme sur le terrain. Oui, les engagements de campagne du Président de la République – les soixante concernant la France hexagonale et les trente, voire trente-cinq, qui ont été pris envers les outre-mer – constituent la feuille de route du Gouvernement. Ils seront tenus, à l’instar de cet engagement n° 5 sur la vie chère que vous avez bien voulu rappeler.
Monsieur Laufoaulu, je veux vous dire que je suis sensible à votre soutien sur ce texte, dont vous convenez qu’il s’attaque à un problème majeur.
Vous avez appelé mon attention et celle du Gouvernement sur la situation spécifique de Wallis-et-Futuna. Vous avez raison, le coût d’accès à certains biens essentiels est « délirant », pour reprendre le terme que vous avez employé. Vous avez certainement l’électricité la plus chère de France, voire du monde. Manifestement, il faut faire quelque chose. Ce projet de loi, cette boîte à outils, nous donnera les moyens de discuter avec le monopoleur. Nous allons voir comment nous attaquer de manière plus résolue encore à cette question.
J’en ai bien conscience, ce projet de loi ne pourra répondre à tous les problèmes nés de l’éloignement et de l’insularité de nos territoires. Dès lors que la concurrence et le jeu des forces économiques peuvent faire baisser les prix et que l’on peut lutter contre la captation indue de marges par les opérateurs, nous œuvrerons pour aller dans ce sens. Mais encore faut-il qu’il y ait un marché !
Reste que – ce sujet n’a pas été évoqué – se pose la difficulté de s’attaquer à tous les maillons de la chaîne de formation des prix. Dès lors que nous aurons obtenu une réduction en amont, comment faire en sorte que la répercussion se fasse en aval ? Je pense, par exemple, au fret. Nous pourrions certes utiliser les armes que nous offre le code civil – je dis cela sous le regard de Portalis –, notamment la répétition de l’indu, mais il s’agit d’un processus lourd.
Vous le voyez, la tâche est ardue. Il nous faudra avoir une volonté forte et une grande patience pour s’attaquer résolument et durablement à ce problème.
Concernant l’habilitation du Gouvernement à adapter par ordonnance les dispositions du projet de loi, je ne puis que m’engager à votre endroit, mesdames, messieurs les sénateurs, à faire preuve de la diligence nécessaire.
Par ailleurs, je rechercherai tous les moyens pour résoudre les problèmes auxquels Wallis-et-Futuna doit, plus largement, faire face, et je m’attacherai à apporter les réponses qu’il nous sera possible de formaliser dès le 2 octobre, date à laquelle je recevrai une délégation de tous les élus wallisiens et futuniens.
Monsieur Cointat, je tiens tout d’abord à vous remercier sincèrement pour vos conseils avisés et votre analyse lucide – vous êtes un homme d’expérience et vous connaissez bien nos territoires – des freins qui empêchent, voire entravent les changements que nous voulons opérer dans les économies des outre-mer. Venant de vous, ces remarques n’en ont que plus de poids !
Considérant l’ancienneté des pratiques et la puissance des intérêts, vous dites douter de notre réussite. Je peux entendre de tels propos, mais j’espère que l’avenir vous donnera tort.
M. Christian Cointat. Je l’espère aussi !
M. Victorin Lurel, ministre. J’espère que nous saurons surmonter les résistances, les freins et les obstacles. En tout cas, nous sommes armés de suffisamment de courage, de volonté et de résolution pour aller au bout de cet engagement.
M. Christian Cointat. Très bien !
M. Victorin Lurel, ministre. Je tiens à vous assurer de ma résolution, de celle du Gouvernement et de celle des autorités au plus haut niveau. J’en veux pour preuve le souhait personnel du Président de la République d’accélérer le calendrier pour ne pas laisser le temps aux lobbies de s’organiser.
Je suis évidemment favorable à la mise en place d’un accompagnement des collectivités locales de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie.
Enfin, nous débattrons du visa Balladur lors de la discussion de l’amendement de M. Thani Mohamed Soilihi.
Monsieur Abdourahamane Soilihi, monsieur le maire de Mamoudzou, je dois dire que vous m’avez agréablement surpris. J’ai d’abord eu droit à une charge en règle de votre part, mais vous avez finalement admis que nous étions de bonne volonté. Nous sommes tous responsables, et même coresponsables, de ce qui se passe à Mayotte. J’y suis allé plusieurs fois – d’ailleurs, j’y retournerai –, et la vérité exige de dire que la situation n’y est pas évidente.
Au demeurant, vous pourriez au moins m’en rendre grâce, le Gouvernement a déjà fait preuve de volontarisme dans votre territoire. Alors qu’un duopole imposait une véritable captation de prix, pour ne pas dire autre chose, avec une bouteille de gaz à 36 euros, contre 21 ou 22 euros ailleurs, nous avons imposé une baisse de 10 euros. Cela aurait pu être fait avant ! Cette situation a perduré jusqu’à notre arrivée au gouvernement, malgré les belles promesses qui avaient été faites. Nous, nous avons agi !
M. Cointat a raison, on m’a fait un chantage à l’emploi, au motif que les entreprises allaient déposer le bilan. Saura-t-on y résister ? Y compris nous, élus locaux ? En tout cas, l’ambassadeur de l’île Maurice est venu me dire que j’avais eu raison d’agir ainsi.
Je peux vous l’assurer, ici, du haut de cette tribune, j’ai dit à l’un des monopoleurs qu’il s’agissait non pas de 28 euros, la presse ayant distillé cette information, mais de 22 euros ! Il m’a répondu vouloir en discuter. Résultat, le prix est passé de 36 euros à 26 euros. Certes, on aurait peut-être pu faire en sorte qu’il soit compris entre 22 et 26 euros, mais il faut respecter le prix de revient et le seuil de rentabilité des entreprises.
On le dit très fortement, il ne s’agit pas de stigmatisation. Il faut comprendre ce qui se passe. Nous allons examiner des amendements relatifs à la publication des informations relatives à la formation des prix. M. Cointat, avec d’autres de ses collègues, a souligné que de telles informations étaient nécessaires. Or, contrairement à ce que l’on croit aujourd’hui, nous ne les avons pas, pas plus que l’INSEE. Il n’y a pas de centrale de bilans. Au-delà des études globales macroéconomiques et méso-économiques qui ont été réalisées, nous ne sommes pas informés des mécanismes de formation des prix. Alors oui, il faut aller plus loin en imposant une obligation de publication sans pour autant aller contre le secret commercial ! Telle est l’ambition du Gouvernement.
En conclusion, même si cela va peut-être vous surprendre, j’aimerais invoquer les mânes de Turgot, de Colbert et de Portalis.
Turgot avait lutté contre les entraves, les droits de douane, l’octroi et autres patentes, pour créer un marché unique. Or cela existe encore chez nous.
Colbert, lui, avait combattu le pacte, la monodirectionnalité, une réalité encore très prégnante.
Portalis, par le biais du code civil, a clarifié un certain nombre de points, pour ce qui concerne tant les États que les droits des personnes.
C’est donc sous les auspices de ces trois statues de votre hémicycle que nous menons notre action. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, de la détermination du Gouvernement à aller au bout de son ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Mes chers collègues, la commission des affaires économiques se réunira à dix-neuf heures pour examiner les amendements extérieurs, qui sont nombreux, ce qui nous conduira probablement à siéger un peu tard cette nuit.