M. Maurice Antiste. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis a pour objet de rendre effective la libre concurrence dans une économie insulaire qui souffre de la petite taille de ses marchés et de leur éloignement des principales sources d’approvisionnement.
Ce texte est l’occasion pour nous, représentants de nos populations, de prendre nos responsabilités en mettant fin à la situation actuelle d’inégalité économique entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone.
Il n’est plus possible de laisser des facteurs structurels et géographiques favoriser indirectement la constitution de monopoles ou d’oligopoles et de rester sourds au désarroi grandissant d’une population ultramarine au bord de l’explosion sociale.
En effet, la cherté de la vie, accentuée ces dernières années par la crise économique mondiale, a déclenché depuis 2008-2009 des crises sociales récurrentes.
Les consommateurs domiens ont protesté contre les écarts de prix entre l’outre-mer et la métropole pour les produits alimentaires de première nécessité, qui atteignent souvent de 30 % à 50 %.
Cependant, l’exiguïté des marchés en question et leur éloignement ne suffisent pas à expliquer le niveau élevé des prix.
En effet, l’organisation des marchés de gros et de détail a aussi sa part de responsabilité dans le manque de concurrence sur les marchés domiens.
Selon l’Autorité de la concurrence, le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire est trop peu concurrentiel dans les DOM en raison de la longueur des circuits logistiques vers les territoires ultramarins et de la rareté du foncier commercial, qui favorise un niveau de concentration élevé. Par exemple, certains groupes détiennent des parts de marché supérieures à 40 % en termes de surfaces commerciales, soit sur la totalité du département concerné, soit sur une ou plusieurs zones de chalandise.
S’agissant du marché de détail, la faible concurrence est d’autant plus préjudiciable au consommateur domien que, en amont, les importateurs grossistes sont relativement préservés des pressions concurrentielles et que, dans le même temps, les pratiques d’exclusivité territoriale atténuent la capacité des distributeurs à arbitrer entre différents importateurs-grossistes.
Ainsi, ces diverses entorses à la liberté de la concurrence sont les causes profondes de la vie chère dans les territoires ultramarins, sachant que les tarifs maritimes, entre autres taxes, accentuent encore l’envolée des prix.
Pour conclure, je souhaite préciser que le présent projet de loi a pour mérite de comporter des mesures immédiates. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que le meilleur remède contre la vie chère consiste à jouer sur les mécanismes de composition des prix. On sait que plus il y a d’intermédiaires, plus le prix final est élevé. Il s’agira donc, monsieur le ministre, de réduire au maximum leur nombre et de tenter de produire, idéalement, sur place.
Ainsi s’ouvre devant nous une nouvelle voie d’exploration : comment produire au maximum localement, malgré les contraintes et les dimensions du territoire, tout en privilégiant l’éclosion d’initiatives nouvelles, la condition étant bien sûr de mettre à la disposition des volontaires des lieux de production, tant pour l’agriculture et l’artisanat que pour l’industrie ?
Mener cette réflexion n’est possible que si l’État et les décideurs locaux apportent un soutien à travers – pourquoi pas ? – la mise à disposition d’espaces de production ou de transformation, voire de zones franches, comme je l’avais déjà préconisé lors de la discussion sur la réforme portuaire.
Un texte nécessaire, donc, et audacieux nous est soumis aujourd’hui, qui recueille tout notre soutien, d’autant que vous l’annoncez, monsieur le ministre, comme étant le premier d’une heureuse série à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Vous voulez lutter, monsieur le ministre, contre la vie chère outre-mer : bravo ! La situation actuelle est inacceptable, en effet. Les prix sont beaucoup trop élevés et gangrènent les économies ultramarines.
Certes, l’éloignement, l’insularité, l’étroitesse, voire l’exiguïté, des marchés ne peuvent être effacés. Toutefois, ces handicaps structurels n’expliquent pas à eux seuls les différences de prix constatées. On est confronté à des abus de position dominante manifestes, autrement dit à des monopoles échappant absolument à toute concurrence.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Christian Cointat. Vous voulez notamment prendre par décrets des mesures pour remédier à ces dérives : c’est parfait ! Mais ce que vous envisagez sera-t-il suffisant ? J’en doute, même beaucoup, tellement les circuits sont verrouillés et les habitudes ancrées. Les flux financiers qu’engendre cette situation anormale depuis des décennies, malgré de nombreux efforts pour y remédier, sont loin d’être négligeables, et les gains qui en résultent, vous le savez, monsieur le ministre, ne sont pas perdus pour tout le monde !
Vous allez vous heurter à des structures bétonnées, bien organisées, qu’il sera très difficile d’ébranler, voire de contourner, et qui, tels les tentacules d’une pieuvre, s’efforceront insidieusement d’étouffer la moindre velléité de concurrence. Quelques compagnies aériennes s’en souviennent amèrement. Je pense que vous vous en souvenez également, monsieur le ministre. (M. le ministre acquiesce.)
Il vous faudra donc, si vous voulez réussir, mettre en œuvre des moyens puissants, résolument et sans concessions. Or, malheureusement, je ne les vois pas dans le projet de loi que vous nous soumettez. Toutes les excuses, même celles à la sonorité de bon aloi, comme par exemple la protection de l’emploi local, qui est pourtant loin du compte, vous seront habilement opposées : saurez-vous y résister et ne pas vous laisser prendre au piège ? Même l’administration tombe parfois dans la trappe du monopole !
M. Michel Vergoz. Très bien !
M. Christian Cointat. Je n’oublierai jamais la réponse qui m’a été faite lorsque, au cours d’une mission du Sénat à Saint-Pierre-et-Miquelon, je demandai pourquoi le nouvel aéroport construit à grands frais pour désenclaver l’archipel n’était pas ouvert à d’autres compagnies que la compagnie locale, qui ne possédait que deux modestes avions : c’était pour éviter que la concurrence n’aggrave son déficit ! (Mme Karine Claireaux opine.) Édifiant, n’est-ce pas ?
Je vous souhaite donc beaucoup de courage et de détermination, monsieur le ministre, car il est vital pour les économies d’outre-mer de faire sauter le terrible verrou que représentent les économies de comptoir, encore florissantes, hélas !
Seules la concurrence et la transparence, notamment dans la composition des prix, seront à même de modifier en profondeur le paysage du coût de la vie. Il convient d’encourager et de promouvoir les mécanismes naturels de régulation et d’équilibre. Par exemple, l’obligation de publier les différentes étapes de formation du prix des produits est certainement un moyen de contourner les résistances. L’ouverture des marchés à la concurrence par le biais d’incitations, y compris fiscales, pourra jouer un rôle positif, notamment en matière de transport aérien, mais à la condition d’assurer un suivi et une protection du marché contre toute entente.
Pour des raisons institutionnelles et de compétences, le présent projet de loi visant à la lutte contre la vie chère ne concerne ni la Nouvelle-Calédonie ni la Polynésie française. Pourtant, l’expérience démontre que c’est dans ces territoires que le coût de la vie est le plus élevé. Que l’on ne nous oppose pas l’argument de l’éloignement, car j’ai pu voir un produit métropolitain de consommation courante vendu presque deux fois moins cher dans un magasin de Port Vila, au Vanuatu –archipel encore plus lointain –, que dans les grandes surfaces de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie.
Aussi, dans l’intérêt tant des consommateurs que des économies locales, il serait utile de conduire une action de conseil et d’accompagnement auprès des gouvernements de ces territoires afin qu’ils entreprennent, eux aussi, les efforts nécessaires pour lutter avec efficacité contre les monopoles, les positions dominantes, les abus de marges commerciales et qu’ils ramènent les prix à un niveau raisonnable.
Je terminerai mon intervention en évoquant brièvement les mesures que vous souhaitez prendre par ordonnance, monsieur le ministre, pour lutter contre l’immigration clandestine à Mayotte.
J’ai participé, sous la conduite du président Jean-Pierre Sueur et en compagnie de mon collègue Félix Desplan, à une mission d’information de la commission des lois du Sénat à Mayotte, dont le rapport propose beaucoup de pistes de réflexion et de solutions. M. le rapporteur pour avis de la commission des lois en sait quelque chose. Nous avons pu constater que, malheureusement, les efforts remarquables effectués ces dernières années pour lutter contre l’immigration clandestine, assortis de sévères conditions d’accès au territoire du fait de la délivrance au compte-gouttes des visas, étaient désormais devenus vains. Ça a marché, mais ça ne marche plus ! Il ne faut pas se voiler la face, notre dispositif de sécurité aux frontières de Mayotte, bien que très coercitif, est devenu une passoire. Il faut donc en changer.
La départementalisation de Mayotte représente une chance considérable pour son développement économique et social, mais celui-ci tient à une condition incontournable : le développement économique des Comores, grâce à une coopération régionale bien comprise et bien maîtrisée avec Mayotte. La France en détient les clés. Elle peut faire un geste fort en relançant le principe de libre circulation dans l’archipel. Il lui suffit de remplacer le « visa Balladur » par un visa délivré à l’arrivée sur le territoire à tout détenteur d’un passeport comorien en règle, avec prise d’empreintes et de photographie, de manière à connaître exactement les entrées et les sorties et à pouvoir, le cas échéant, reconduire à la frontière ceux qui ne respecteraient pas la durée autorisée de séjour. Tout Comorien en situation irrégulière serait donc toujours obligé, avec ce nouveau dispositif, de quitter le département. Cette main tendue n’aurait pas seulement une haute valeur symbolique ; elle créerait également les conditions d’un essor économique partagé, indispensable au développement de Mayotte, cent-unième département français.
Il y a encore, bien entendu, beaucoup de choses à dire sur le présent projet de loi, monsieur le ministre, mais j’en resterai là, car je dépasse le temps de parole qui m’est imparti.
Ce texte a au moins un mérite : celui d’exister. Pour moi, il ne va pas assez loin, et surtout il n’est pas assez fort, mais comme je préfère un bon « tiens » à rien du tout, monsieur le ministre, à titre personnel, je le voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz.
M. Michel Vergoz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une page se tourne, un dernier chapitre se termine, un livre se referme aujourd’hui, celui de l’histoire économique de l’outre-mer durant ces dernières décennies, une histoire faite d’abus de toutes sortes et construite à partir de monopoles, d’oligopoles et autres positions dominantes, tous insolents, voire provocateurs.
Et si la colonie ne s’éteignait que ce soir seulement ? Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce jour est un grand jour. Ce n’est pas l’aboutissement d’un combat, car le combat pour la justice ne s’arrête jamais, mais c’est le début d’une nouvelle ère pour les outre-mer.
Ce texte sur la régulation économique outre-mer, sur la lutte contre la vie chère et une partie de ses racines profondes, représente une véritable rupture avec un système jusqu’ici verrouillé. Tous les mots sont pesés.
Monsieur le ministre, vous avez porté ce texte novateur jusqu’à cet hémicycle. Au mois de juillet dernier, lors de votre premier déplacement officiel à la Réunion, je ne pensais pas que vous parviendriez à le conserver intact.
Vous avez fait mieux : vous l’avez positivement enrichi. L’article additionnel sur le « bouclier qualité prix » l’atteste, ainsi que l’adoption de l’amendement que j’ai présenté en commission, portant sur l’ouverture de la « gestion des facilités essentielles » à la concurrence.
Monsieur le ministre, je salue les convictions chevillées au corps que vous avez manifestées avec ardeur et un courage certain lors de la défense de ce texte.
Vous vous êtes sûrement heurté à tous les archaïsmes, aux conservatismes, à toutes ces puissances qui ont fait plier tant de bonnes volontés dans le passé. Vous n’avez pas cédé, car vous savez que la population ultramarine, dans sa grande majorité, vit une véritable désespérance sociale. Nous avons tous en mémoire les colères contre la vie chère qui se sont exprimées, ces dernières années, dans tous nos territoires.
Le texte qui nous est soumis est certes très technique, mais il s’attaque de front, et au fond, à tous les mécanismes qui verrouillent notre économie, paralysent son développement et sont à l’origine, pour une bonne part, de la vie chère.
C’est une belle « boîte à outils » que vous nous livrez au travers du présent texte, monsieur le ministre.
L’injonction structurelle ou l’interdiction des clauses d’exclusivité, le renforcement du contrôle des concentrations sont des armes dissuasives pour rendre enfin normal le fonctionnement de nos économies, pour donner enfin de la respiration à nos sociétés.
La vie chère est un problème majeur dans nos territoires, mais les mesures structurelles proposées dans cette loi vont encore plus loin car, en favorisant la concurrence, en la rendant sincère, libre et loyale, elles favoriseront l’émergence d’activités, le développement tout court : la création d’entreprises, la création d’emplois, le développement social.
Cette promesse d’un développement solidaire, cette promesse d’un véritable changement, les ultramarins l’ont plébiscitée lors des dernières élections présidentielle et législatives. Cette loi, mes chers collègues, restera, quoi qu’on en dise, un marqueur du changement.
Dans les combats que vous engagez au travers de ce texte, vous me trouverez à vos côtés, monsieur le ministre, pour les faire vivre de manière responsable, car ces combats seront rudes et la pédagogie permanente devra être la démarche maîtresse.
Pour conclure, je reprendrai les mots d’Hannibal s’engageant dans la traversée des Alpes avec des éléphants, au iiie siècle avant Jésus-Christ : « Nous trouverons un chemin, ou nous en tracerons un. » Quel beau et grand chantier vous nous ouvrez ici : merci, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Catherine Tasca. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jacques Cornano.
M. Jacques Cornano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard des espoirs déçus nés de la réforme engagée en 2009, après les événements socioéconomiques qui ont secoué l’outre-mer et l’engagement pris par François Hollande de lutter sans concessions contre les monopoles et les marges abusives, le combat mené par les pouvoirs publics contre la vie chère suscite parmi nos concitoyens des attentes légitimes, qu’il ne faut pas décevoir.
Nous ne pouvons donc que saluer l’initiative du Gouvernement, qui s’est saisi de la question dès son entrée en fonctions, en adoptant de surcroît une approche différente, fondée sur des mesures de régulation ex ante de la concurrence outre-mer.
La mise en œuvre d’une réglementation nouvelle des structures concurrentielles se devait de reposer sur une approche spécifique aux enjeux des marchés économiques dans nos territoires ultramarins, et le texte qui nous est aujourd’hui soumis marque une étape fondamentale en ce sens. Le présent projet de loi offre ainsi un nouvel outil permettant d’espérer un développement de la concurrence par les prix.
Ce texte appelle néanmoins plusieurs remarques de ma part.
En premier lieu, la création d’une nouvelle infraction économique réprimant les accords exclusifs d’importation devrait permettre aux marchés de retrouver les conditions de la pleine concurrence, nécessaire à une baisse des prix. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur les effets indirects que peut induire la mise en place d’une telle infraction, notamment sur les collectivités qui sont également soumises au droit de la concurrence lorsqu’elles exercent une activité économique, l’étude d’impact étant restée silencieuse sur ce point.
En deuxième lieu, les collectivités territoriales se voient offrir le droit de saisir librement l’Autorité de la concurrence de tous les actes ou comportements contraires au droit de la concurrence. J’espère que cette disposition les incitera à jouer pleinement, voire effectivement, leur rôle de surveillance du marché.
En troisième lieu, possibilité est donnée à l’Autorité de la concurrence d’adresser des « injonctions structurelles » au secteur de la grande distribution, par exemple en modifiant, en complétant ou en résiliant des accords ou des actes qui conduisent à limiter le jeu de la concurrence, pouvant aller jusqu’à des cessions de surfaces. Je reste dubitatif quant aux perspectives que semble offrir cette disposition : comment sera utilisé ce nouveau pouvoir par l’Autorité de la concurrence ?
Enfin, on peut estimer qu’il aurait été utile d’approfondir et de clarifier la politique de surveillance – et non de contrôle – des prix, en accordant des moyens juridiques, matériels et surtout humains supplémentaires aux différents organismes chargés de cette politique. Je songe à l’Observatoire des prix et à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, dont les effectifs sont en constante baisse en raison du non-remplacement des agents partant à la retraite ou du non-renouvellement des postes.
Pour conclure, si le présent projet de loi n’est pas tout à fait exhaustif – mais quel texte législatif l’est ? –, nous pouvons nous accorder pour dire qu’il constitue une bonne avancée dans le cadre de la lutte contre la vie chère outre-mer. C’est pourquoi je voterai pour son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, 49 %, c’est le différentiel de prix pour un panier de produits alimentaires de base entre la métropole et la Guyane. Un Guyanais réaliserait une économie de 23 % s’il s’installait en métropole.
Faut-il le rappeler, ces chiffres s’inscrivent dans des territoires qui subissent de lourds retards infrastructurels, dans des collectivités locales confrontées aux défis du rattrapage et aux contraintes de la mise aux normes européennes, et dont la population gagne beaucoup moins qu’en métropole tout en payant beaucoup plus cher pour tout, même pour les produits cultivés ou fabriqués sur place. (Mme Catherine Tasca acquiesce.)
Si certains s’en sortent mieux, le reste de la population souffre véritablement dans sa chair, à tel point que la question du pouvoir d’achat suscite outre-mer, fait rarissime, des mouvements sociaux intercatégoriels. De surcroît, ces conflits sont bien plus longs, plus graves et plus profonds que les autres.
Pour combattre la vie chère, le Gouvernement veut agir sur la formation des prix : il a raison ; il faut intervenir pour remédier aux caractéristiques des marchés ultramarins qui freinent le jeu de la concurrence.
Pour que la vie chère ne soit plus une fatalité, il est nécessaire que les progrès de la productivité ne soient pas captés par les intermédiaires commerciaux via leurs rentes de situation monopolistique ou oligopolistique.
L’affirmation de la compétence de l’Autorité de la concurrence, la condamnation des droits exclusifs d’importation, la lutte contre les concentrations sont ainsi des mesures salutaires que le Gouvernement a la responsabilité de porter au plus haut niveau d’exigence au travers de l’habilitation qu’il reçoit pour remédier aux dysfonctionnements des marchés de gros.
Mais prenons garde que le renforcement global de la concurrence pour les échanges entre la métropole et les outre-mer ne masque l’hétérogénéité des prix pratiqués sur un même territoire. En effet, le rapport entre les prix sur le littoral et les prix à l’intérieur des terres peut parfois être de un à dix. Le prix du sac de ciment est ainsi multiplié par cinq entre Cayenne et Maripasoula. Pis encore, quand le prix de la bouteille de gaz est, par arrêté, fixé par péréquation, il reste, en Guyane, plus élevé d’une commune à l’autre. En outre, alors que certaines filières sont subventionnées, défiscalisées et exonérées, il est très fréquent que le prix proposé au consommateur demeure élevé. De même, le coût d’une production locale peut être exorbitant par rapport à ce qu’il est en métropole. Ainsi, le prix du mètre cube d’oxygène produit à Kourou pour l’hôpital de Cayenne s’élève à 9 800 euros, lorsque la même quantité d’oxygène coûte 300 euros en métropole. Ce rapport de un à trente est choquant, et ne s’explique pas exclusivement par l’étroitesse du marché, la fiscalité, le coût de la main-d’œuvre ou je ne sais quel autre alibi. Il convient de se pencher sérieusement sur les marges pratiquées outre-mer.
M. Félix Desplan. C’est vrai !
M. Jean-Étienne Antoinette. Nous sommes passés d’une économie de comptoir à une économie de marges, à laquelle il faut s’attaquer. Je présenterai un amendement ayant cet objet.
J’invite le Gouvernement à ouvrir une perspective d’intégration des territoires d’outre-mer dans leur environnement régional, tout en veillant, bien sûr, à la production locale.
La structure des prix met trop souvent en relief cette aberration absolue consistant, par exemple, à importer de la métropole vers la Guyane des produits brésiliens. Il faut, et c’est le jeu de la concurrence, faciliter l’accès du consommateur ultramarin à ces produits presque locaux. Cela consistera, hélas, à encadrer, au bénéfice de la sécurité du consommateur, une pratique déjà existante, tant la débrouillardise, sinon la contrebande, est la réponse la plus courante à la vie chère.
Cela étant, si le jeu de la concurrence est un élément important dans la fixation des prix, il n’est pas le seul.
Tout d’abord, le seul renforcement de la concurrence ne peut suffire à remédier aux contraintes en matière d’accès aux marchés : les difficultés logistiques, le déséquilibre des flux sont autant de facteurs qui conduisent les opérateurs de fret à ne pas pratiquer des tarifs avantageux.
Ensuite, les effets de la concurrence sont peu perceptibles par le consommateur. Celui-ci a un point de repère, son pouvoir d’achat. Or ce dernier est également lié au revenu. La lutte contre la vie chère par le biais d’une concurrence effective ne doit en aucun cas conduire à négliger le soutien au développement économique que la situation des territoires d’outre-mer exige.
Monsieur le ministre, l’État doit donc jouer un rôle de stratège, consistant à renforcer les règles du marché au bénéfice des consommateurs, à inciter les opérateurs privés à contrôler leurs marges. Mais il est également de sa responsabilité d’être l’un des acteurs du développement économique des territoires d’outre-mer, condition même d’une vie moins chère.
Monsieur le ministre, chers collègues, les territoires ultramarins sont pris dans la nasse constituée de toutes les contraintes qui pèsent sur leur économie et n’ont pas de marge de manœuvre pour en sortir. Or on leur enjoint de surcroît de faire aussi bien qu’ailleurs, d’appliquer les normes européennes, de participer à l’effort national en temps de crise… On risque l’asphyxie ! Parallèlement, une image d’assistés, de « danseuses » ou de bénéficiaires de niches fiscales nous colle toujours à la peau. Il est temps que les vérités soient dites et comprises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer ce projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, que porte hardiment le ministre Victorin Lurel et qui met en musique, sans plus attendre, un nouvel engagement du Président de la République française en faveur des outre-mer.
Y aurait-il une fatalité à ce que les outre-mer subissent des prix élevés, que l’éloignement de l’Hexagone ne suffit pas à expliquer ? Y aurait-il également une fatalité à ce que les mêmes causes structurelles se retrouvent sur trois océans ?
Nous, parlementaires ultramarins et hexagonaux qui nous reconnaissons dans le socialisme, nous ne pouvons pas nous plier à quelque fatalité que ce soit.
En réalité, la Polynésie française ne se distingue des autres outre-mer français que par des spécificités liées à l’histoire du Centre d’expérimentation du Pacifique, le CEP, actif entre 1963 et 1996. C’est mon tout premier message.
Cette implantation a conduit à une inexorable flambée des prix et à la mise en œuvre d’un système dans lequel l’État et les autorités locales de l’époque ont rivalisé d’inconscience.
« Il a fallu acheter la paix sociale », reconnut l’amiral Vichot en 2009, faisant écho aux propos du général de Gaulle, qui, en 1962, avait déclaré, à propos de la Polynésie française : « Il ne faudra pas regarder à l’argent. »
Alors que toutes les voix sensées – celles de René Dumont, de Simon Nora et de beaucoup d’autres – lançaient, dès les années soixante-dix, des avertissements solennels, l’État ferma les yeux sur un système fiscal reposant presque exclusivement sur la consommation et laissa une aristocratie « néocoloniale » locale bâtir des fortunes considérables, à l’abri d’une fiscalité qui lui était indolore, et mettre en place des monopoles.
La période coloniale, qui ne s’arrêta pas avec la Constitution de 1946, nous avait légué une « économie de comptoir ». Le CEP, sans la supprimer, y juxtaposa une véritable « économie de garnison », trente années durant.
Je l’affirme à cette tribune nationale, parce que j’en ressens le devoir : la Polynésie française n’avait alors et n’a encore qu’un système économique artificiel, déviant et budgétivore, dont certains, localement, espéraient qu’il serait éternel, puisqu’il les mettait, grâce à la fiscalité, à l’abri des crises et des soubresauts sociaux suscités par un peuple traditionnellement peu enclin à se plaindre.
Pourtant, cette histoire qui fut la nôtre engendra des poisons : le clientélisme et la corruption, une gabegie organisée sur fonds publics, le creusement d’un fossé de plus en plus large entre les riches et les exclus de cette économie artificielle.
Lutter contre la cherté de la vie en Polynésie, c’est donc aussi et d’abord ne plus reproduire et réalimenter ce modèle économique périmé et politiquement déviant, car ce serait là une bien grave erreur. C’est mon second message.
Les prix élevés locaux ne sont que le reflet de ce modèle sociétal devenu injuste et plus « cruel » que ne le laissent penser les images idylliques de nos côtes.
On met souvent en avant le statut d’autonomie et les compétences respectives de l’État et de la collectivité polynésienne. Mais quand l’État a eu besoin de la Polynésie, il a su contourner par la force, la ruse et l’achat certaines compétences statutaires locales. Avec ce texte, tournons ensemble, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette première page difficile de l’histoire commune entre l’État et la Polynésie.
Aujourd’hui, il est temps de remettre les pendules à l’heure, dans un esprit apaisé et d’apaisement, mais seulement au terme d’un examen de conscience politique bilatéral.
Malgré les tentatives de réformes voulues par le gouvernement polynésien en place depuis avril 2011, une partie importante de la classe politique et de la classe possédante dispose encore des moyens d’empêcher que, dans une collectivité de la République, soient appliqués les grands principes d’égalité devant l’impôt et devant les charges publiques qui font la fierté de la nation française.
Au travers de l’examen de ce projet de loi, que je voterai avec conviction, je vous demanderai, monsieur le ministre et, surtout, mes chers collègues, de ne plus voir la problématique de la vie chère en Polynésie française sous le seul prisme d’une lecture froide et brutale de la répartition des compétences entre le pays et l’État, mais sous l’angle de mesures ciblées, audacieuses, telles que celles que présenteront modestement mes amendements, pour aider le Gouvernement polynésien à vaincre les obstacles que l’histoire a placés devant lui.
Monsieur le ministre, je sais – vous m’avez déjà rassuré sur ce point – que vous ne serez pas celui qui, sous prétexte de respecter les compétences statutaires, aura laissé la misère et l’ignominie continuer à exercer, en Polynésie française, leur pouvoir destructeur. Vos – nos – concitoyens des antipodes savent pouvoir compter sur votre aide.
Pour ces raisons, je voterai résolument ce projet de loi, qui est devenu un peu le nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Félix Desplan.