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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à faciliter l’organisation des manifestations sportives et culturelles est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des finances a fait connaître qu’elle a d’ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu’elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d’une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2012 actuellement en cours d’examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
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Loi de finances rectificative pour 2012
Suite de la discussion et rejet d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2012.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans mon intervention lors de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, j’avais souligné que celui-ci constituait en réalité un deuxième plan d’austérité, lequel en appellerait un troisième. Nous y voilà !
La proposition formulée dans ce projet de loi de finances rectificative de faire supporter par les consommateurs une part du financement de la protection sociale constitue une nouvelle mesure de rigueur tout aussi injuste que les précédentes. Elle vient s’ajouter à la liste des réductions de prestations sociales. Je pense notamment au gel des allocations familiales, à l’insuffisance de l’ONDAM, l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie, à l’instauration d’un jour de carence pour les fonctionnaires et à l’ajout d’un quatrième jour pour les salariés, ou bien encore à d’autres mesures, tel l’élargissement de l’assiette de la CSG – la contribution sociale généralisée – ou l’augmentation du prix des mutuelles. Ce sont une nouvelle fois les travailleurs qui sont sommés de mettre la main à la poche.
Vous qui êtes toujours très prompts, madame la ministre, mes chers collègues de l’opposition sénatoriale, à dénoncer l’assistanat, pouvez-vous nous dire qui sont les premiers assistés ? Les assurés sociaux qui, d’année en année, de plan de rigueur en plan de rigueur, voient leurs prestations diminuer ? Les salariés dont le pouvoir d’achat diminue ? Ou bien les actionnaires, les riches, les puissants, c'est-à-dire celles et ceux qui profitent de vos politiques ?
Ainsi, pour la seule année 2011, les entreprises, en particulier les plus grandes d’entre elles, ont bénéficié, sans contrepartie en matière d’emploi, de 175 milliards d’euros d’exonérations fiscales, auxquelles il convient d’ajouter plus de 20 milliards d’euros d’exonérations sociales. Ces sommes colossales nuisent à la protection sociale et la plongent structurellement dans une situation déficitaire. Cela justifie que vous preniez, année après année, des mesures toujours plus injustes, toujours plus antisociales.
La hausse de la TVA, parallèlement à une nouvelle réduction des cotisations patronales, viserait selon vous à réduire le coût du travail. Je reviendrai sur cet argument, mais je tiens tout d’abord à dire que cette hausse est tout sauf sociale. Nous le savons, elle sera supportée plus lourdement par les familles modestes, qui, du fait de leurs faibles ressources, ne peuvent épargner, et dont l’immense majorité des revenus est orientée vers la consommation.
Cette mesure va également entraîner une hausse des prix. Il n’y a que les ministres pour croire qu’elle ne sera pas au moins partiellement répercutée sur les prix, entraînant de facto une diminution du pouvoir d’achat des plus modestes. En réalité, cette mesure portera un coup supplémentaire à la croissance de notre pays. Et les Français paieront deux fois : en tant que consommateurs et en tant que salariés, victimes de la récession !
Par ailleurs, cette hausse de la TVA ne constitue pas, comme vous l’affirmez aujourd’hui, une mesure anti-délocalisation. À en croire le Président de la République, le coût du travail serait, en raison du niveau des cotisations sociales, trop important en France, notamment par comparaison avec l’Allemagne. Pourtant, selon les données rendues publiques par le Bureau of Labor Statistics américain, en 2000, une heure de travail allemande valait 25,4 dollars, soit 19 % de plus qu’en France. En 2010, cet écart s’était réduit à 8 %, mais toujours en faveur de la France.
Une étude récente de l’INSEE, à laquelle il a été fait référence cet après-midi, montre quant à elle que le coût unitaire du travail dans l’industrie manufacturière est identique en France et en Allemagne. La comparaison avec l’Allemagne ne va décidément pas dans le sens de votre démonstration.
De plus, les entreprises françaises délocalisent pour s’installer non pas Outre-Rhin, mais dans des pays qui ne respectent pas les règles environnementales et qui sous-paient les salariés. La course au plus bas coût du travail avec ces pays est perdue d’avance. Ce n’est pas sur cette voie qu’il faut s’engager. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire.
Une chose est certaine : votre politique, madame la ministre, satisfait le MEDEF, qui appelait cette mesure de ses vœux. Après la suppression de la taxe professionnelle, qui a coûté 8 milliards d’euros, vous organisez une nouvelle fois un transfert de financement de la sécurité sociale des entreprises vers les ménages, renforçant simultanément la fiscalisation de notre protection sociale et son étatisation. Ce faisant, vous franchissez une nouvelle étape vers la fin de la gestion paritaire de la sécurité sociale.
Pour notre part, nous avons d’autres solutions, plus conformes à l’esprit des rédacteurs du programme du Conseil national de la Résistance, plus conformes surtout aux besoins de notre pays.
Alors que vous voulez limiter les prélèvements sociaux, notamment les cotisations patronales, sur la base du dogme libéral, nous considérons que le relèvement de la part des salaires dans la valeur ajoutée permettrait un financement dynamique de la sécurité sociale. Or cette part, vous le savez, s’est affaissée de dix points au cours des trente dernières années.
D’ailleurs, à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, nous avons fait ici la démonstration qu’il était possible, en rompant avec cette logique strictement financière, de conforter le financement de la protection sociale, de recouvrer l’équilibre et d’investir plus encore dans la santé et le développement social.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Dominique Watrin. Ce cercle vertueux que nous appelons de nos vœux, c’est celui de l’emploi et des salaires. Cela exige de rompre avec les logiques libérales et financières, qui conduisent à l’accumulation des richesses par une poignée de privilégiés qui favorise les pratiques spéculatives.
M. Éric Bocquet. Absolument !
M. Dominique Watrin. Cela exige de mettre un terme à la financiarisation de notre économie, qui détourne les richesses produites par les entreprises et favorise les délocalisations.
Cela exige, comme nous l’avons récemment proposé, d’interdire les licenciements boursiers dans les entreprises qui distribuent des dividendes et que tout soit mis en œuvre pour faire passer l’emploi avant l’intérêt des actionnaires.
Je n’oublie pas que, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, la nouvelle majorité sénatoriale avait voté une réduction de plus de 30 % des déficits sociaux. Ces mesures structurelles, fondées sur la définition d’une nouvelle assiette de cotisations sociales faisant porter les efforts sur le capital autant que sur le travail, vous n’en avez pas voulu ! Vous préférez que paient les salariés et les consommateurs. Cela est d’autant plus injuste que ce projet de loi ne nous offre aucune certitude formelle que le surplus de recettes de TVA ira bien dans les caisses de la sécurité sociale.
Enfin, cette mesure ne permettra pas le retour à l’équilibre des comptes sociaux, qui continuent à être victimes d’un sous-financement que vous organisez volontairement.
En résumé, le courage n’est pas de s’attaquer au monde du travail comme le fait le Président de la République. Le courage consistera à imposer, demain, une réorientation des richesses produites vers l’investissement, vers une politique cohérente et globale de réindustrialisation et un plus juste partage des richesses. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je traiterai du Mécanisme européen de stabilité, le MES, qui va de pair avec le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, dit « TSCG ».
Ce sont 6,5 milliards d’euros de crédits de paiement et 16,3 milliards d’euros d’autorisations d’engagement qui sont inscrits dans le projet de loi de finances rectificative. Le déficit s’en trouve ainsi aggravé, passant de 78,7 milliards d’euros en loi de finances initiale à 84,9 milliards d’euros en loi de finances rectificative. Bien sûr, au sens « maastrichtien » du terme, rien ne bouge. Mais, pour le contribuable, où est la différence ?
Qu’arrivera-t-il au moment où les pertes apparaîtront ? Elles seront couvertes par le capital appelé, puis par un montant approprié du capital appelable, soit un total pour la France, je le rappelle, de 142 milliards d’euros. Or, comme Mme la rapporteure générale l’a fait observer tout à l'heure, on ne sait pas dans quelles conditions ces sommes faramineuses ont été consenties. Nous n’avons à ce jour vu aucun texte sur ce point.
Le Mécanisme européen de stabilité sera-t-il plus efficace que le Fonds européen de stabilité financière, qui l’a précédé ? Est-il sûr que le MES parviendra si facilement à lever 500 milliards d’euros de fonds ? Son attractivité dépendra des agences de notation…
Je ne sais pas qui souscrira aux obligations émises par ce MES, dont le but est de tenir la tête hors de l’eau de pays comme la Grèce. Je ne crois pas que les marchés financiers se bousculeront pour souscrire aux émissions d’un organisme dont le rôle est de prêter à des États menacés de faire défaut. Mais admettons qu’il puisse en effet disposer de ces sommes considérables. Même avec 500 milliards d’euros, le MES n’est pas un pare-feu suffisamment puissant.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il n’est pas à l’échelle des enjeux. Sans avoir à donner les chiffres de l’endettement des pays sous tension, il me semble que cette constatation est évidente.
La zone euro ne peut résorber ses handicaps structurels, qui viennent de l’hétérogénéité principalement économique des nations qui la composent. Penser l’inverse, c’est partager la même erreur que tous ceux qui ont soutenu le traité de Maastricht, comme l’a d’ailleurs fait le Président de la République, que j’entendais tout à l'heure s’exprimer à la télévision.
Le ministre des affaires étrangères britannique, M. William Hague, comparait il y a peu la zone euro à un édifice en feu sans issue de secours. Le MES, madame la ministre, n’est pas la grande échelle qui lui serait nécessaire, pour employer le langage des pompiers. (Sourires sur certaines travées du RDSE.)
Vous arguerez que le capital autorisé du MES a été fixé à 700 milliards d’euros. Mais il faudrait d’abord les verser. Qui a autorisé cet engagement ? Pour être complet, il faut ajouter que la nouvelle souscription de la France au capital du FMI s’élève à 31 milliards d’euros. Il faut bien contourner la répugnance de ce dernier à s’engager à plus de 10 % dans le plan d’aide à la Grèce. Je rappelle d’ailleurs que, initialement, sa participation au plan d’aide devait s’élever au tiers de celui-ci. Il serait peut-être temps de faire retentir la sonnette d’alarme…
M. Yvon Collin. Ou le tocsin !
M. Jean-Pierre Chevènement. … à Washington, dont le FMI constitue, d’une certaine manière, l’œil sur les affaires de l’Europe.
La solidarité est un beau mot. Mais il ne faudrait tout de même pas faire appel au contribuable au-delà de toute mesure, pour renflouer un édifice qui prend l’eau de toutes parts !
La meilleure garantie de la survie de la monnaie unique réside bien évidemment dans l’effroi qu’inspire son possible éclatement. Comme l’évoque l’éditorialiste du Financial Times, Martin Wolf, la zone euro ressemble à « un mariage raté qui ne subsiste qu’en raison du coût affolant qu’entraînerait un partage des actifs et des dettes ».
Le MES, en cas de crise grave ne serait qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Sa mise en œuvre est liée, dans les considérants des deux traités, à l’acceptation du traité dit « TSCG », qui impose une austérité à perpétuité.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement !
M. Jean-Pierre Chevènement. La prétendue règle d’or, en fait règle d’airain, implique une économie de 4 points de PIB. À cela vous ajoutez un effort pour faire passer l’endettement de 90 % à 60 % du PIB, soit 30 points à récupérer en vingt ans. Cela représente 1,5 point de PIB par an à trouver, soit 120 milliards d’euros.
M. Jacques Mézard. Une paille !
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est un véritable exercice de mortification à perpétuité qui nous est offert.
Le TSCG est un piège mortel, dont le MES est l’appât.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. Certains vont arguer que la conditionnalité n’est pas rigide puisqu’elle ne figure que dans les considérants des traités. Pas d’hypocrisie, et trêve de balivernes ! Il est évident que cette conditionnalité est une exigence sine qua non de l’Allemagne. Il faut avoir signé le TSCG pour bénéficier du MES.
Dernière question : comment va s’exercer le contrôle du Parlement sur les fonds alloués au MES, qui risquent de se trouver appelés avant même que le Parlement ait eu à se prononcer sur des engagements toujours croissants ? À ma connaissance, les mesures envisagées, nous l’avons entendu de la bouche du directeur général du Trésor, relèvent de l’information et non du contrôle du Parlement sur des fonds potentiellement colossaux.
Le MES est un mécanisme opaque qui ne permet pas le contrôle des fonds publics par le Parlement. Il conduit avec le TSCG à une Europe post-démocratique. Seule une crise majeure pourrait conduire, s’il en est encore temps, à adosser le MES aux ressources de la Banque centrale européenne et à organiser en Europe la croissance plutôt que la récession.
C’est possible, si la BCE reçoit mission de ramener le cours de l’euro au moins à sa parité de lancement, pour faire souffler sur notre continent une brise de croissance.
C’est possible à travers un plan européen d’équipement et de transition énergétique financé par des eurobonds.
Ce serait possible, enfin, si les pays dont la compétitivité le permet acceptaient une certaine relance salariale.
Alors, l’Europe repartirait. Avec le retour de la croissance, on pourrait commencer à résorber la dette !
Malheureusement, le MES est trop faiblard. Nous en reparlerons la semaine prochaine, dans le débat prévu pour autoriser la ratification de ce traité. En tout état de cause, le MES ne constitue pas un argument pour voter le projet de loi de finances rectificative. Il est vrai que ce n’est pas le seul. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise est un révélateur. Elle montre les faiblesses de notre pays comme elle met en exergue ses atouts. Elle suscite des craintes de voir la France dégradée comme l’espoir de la voir réformée.
Mais la crise nous révèle aussi l’état d’esprit des Français, que nous rencontrons dans nos territoires. Quelle que soit leur sensibilité politique ou leur situation sociale, ils savent bien que nous devons continuer à réformer la France. Ils sont prêts à faire des efforts supplémentaires, si nous sommes à la fois courageux et justes.
Être courageux, c’est adopter un langage de vérité.
Être juste, c’est engager des réformes tout en protégeant les plus fragiles.
Le courage consiste tout d’abord à donner les moyens à nos entreprises et aux salariés d’être plus compétitifs.
Madame la ministre, vous nous proposez le choix d’une vision responsable, qui favorise l’emploi et la croissance à long terme. Une vision qui libère des marges de manœuvre pour les entreprises et leur donne les moyens de se développer. C’est le dispositif de la TVA anti-délocalisation.
Dans un monde où les échanges sont globalisés, nos entreprises subissent non seulement la concurrence des pays émergents, mais également, et surtout, celle des autres pays européens. Dans ce cadre, il n’est ni raisonnable ni souhaitable de continuer à faire peser le coût des prestations sociales sur l’emploi. Nous devons au contraire aider les entreprises à gagner en compétitivité, à conquérir de nouveaux marchés, notamment à l’export, et à augmenter leur chiffre d’affaires.
Madame la rapporteure générale, selon vous, ce dispositif ne créera pas d’emplois. Je voudrais m’inscrire en faux contre cette affirmation. Comme vous le savez, le dispositif d’exonération des charges patronales pour les cotisations familiales sera très largement ciblé sur les bas salaires, complétant ainsi le dispositif Fillon. Il sera donc très favorable aux créations d’emplois, comme le démontrent les différentes études déjà évoquées par les précédents orateurs.
Le deuxième volet, vous avez longuement expliqué, repose sur l’augmentation du taux de TVA. On peut estimer que, dans la situation de quasi-déflation dans laquelle nous vivons aujourd'hui, Jean Arthuis l’a évoqué, la hausse de la TVA ne se traduira pas par une hausse des prix. Elle ne devrait donc pas avoir d’effet de ralentissement de la croissance, c'est-à-dire pas ou très peu d’impact négatif sur l’emploi. La TVA anti-délocalisation pourra ainsi pleinement produire ses effets en matière de créations d’emplois.
Mais cette mesure doit être juste. C’est pourquoi la hausse de la TVA ne s’applique pas aux produits qui ont un taux de TVA réduit, notamment les produits alimentaires et l’énergie.
Le courage, c’est ensuite oser prendre les devants et adopter – enfin ! – une taxe sur les transactions financières, la TTF. Vous le savez, elle a été imaginée par l’économiste américain James Tobin, il y a de longues années de cela.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Tobin a bon dos !
Mme Fabienne Keller. Pendant très longtemps, cette taxe sur les transactions financières est restée au stade de la simple idée. Elle va enfin devenir une réalité.
Nous connaissons tous les tergiversations de certains de nos partenaires européens sur ce dossier. Nous connaissons aussi les protestations virulentes du monde de la finance. Malgré les obstacles sur le chemin de la TTF, le Président de la République et vous-même, madame la ministre, avez tenu votre promesse. Je tiens à saluer votre courage politique et cette initiative volontariste.
Chacun le sait, cette taxe sur les transactions financières est une nécessité budgétaire, morale et politique. Il semble juste que le secteur financier, en grande partie à l’origine de la crise financière de 2008 du fait de la multiplication et de la sophistication des opérations financières, apporte une contribution équitable au rétablissement de l’équilibre budgétaire. En outre, il est actuellement moins taxé que les autres secteurs de l’économie, qui sont tous mis à contribution. Pourquoi le secteur financier devrait-il y échapper ?
Enfin, le taux très raisonnable de cette taxe, fixé à 0,1 % – pour l’instant ! –, permet de ne pas trop pénaliser notre « industrie financière ». Son montage, particulièrement bien travaillé, évitera des délocalisations rapides. Mais compte tenu de son taux, je plaide pour que la taxe s’applique à toutes les transactions financières, sans exception.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous dites comme moi !
Mme Fabienne Keller. D’aucuns diraient que le dispositif prévu pour cette taxe est insuffisant et que son assiette, notamment, est trop étroite. Mais je voudrais affirmer qu’il ne s’agit que d’une première étape. Avec la révision des directives MIF et EMIR, des transactions pourraient être mieux connues parce qu’elles seront déclarées ou enregistrées. Une assiette plus large s’appuyant sur des marchés mieux connus pourrait être alors envisagée par la suite.
Cette TTF est surtout un signal fort, alors que la directive européenne sur ce sujet sera discutée à la Commission au mois d’avril et au Parlement européen en juin.
Enfin, cette taxe doit également permettre de resserrer les liens du pacte social que la finance tend à délier. S’il est nécessaire que les recettes de cette taxe abondent le budget de l’État, il est aussi souhaitable qu’elles soient utilisées dans le sens de son idée initiale, c'est-à-dire pour financer des grands objectifs comme l’aide au développement et la lutte contre le changement climatique.
En conclusion, ces deux mesures majeures, la TVA anti-délocalisation et la TTF, marquent la volonté du Gouvernement de poursuivre son action réformatrice.
Ces réformes sont à la fois courageuses et justes. Ce sont des réformes dont la France a besoin. Elles sont une réponse à la crise et ne peuvent donc pas attendre. La motion tendant à opposer la question préalable qui sera présentée par la majorité sénatoriale nous propose, elle, de remettre leur examen à plus tard.
Mes chers collègues, cette question préalable, si elle était adoptée, s’apparenterait à un abandon de poste. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un collectif budgétaire qui engage une modification profonde du financement de notre système de protection sociale, et ce à deux mois jour pour jour de la fin d’une législature calamiteuse pour la gestion des finances publiques.
Je dis « calamiteuse » à l’intention de ceux qui, comme Philippe Dallier tout à l’heure, s’émerveillent des 260 millions d’euros d’économies budgétaires réalisées sur un quinquennat en oubliant que ce sont 500 milliards d’euros de dette qui ont été accumulés sur la même période.
M. François Marc. Eh oui !
M. Jean-Pierre Caffet. Ces 500 milliards d’euros de dette supplémentaire sont, certes, dus à la crise, mais ils sont aussi pour une large part dus aux cadeaux fiscaux de ce gouvernement aux plus fortunés des Français.
L’urgence invoquée par ailleurs par le Gouvernement ne saurait faire illusion, puisque les mesures proposées ne seront mises en œuvre, pour l’essentiel, qu’au 1er octobre.
Mais commençons par le commencement. Ce collectif vise en premier lieu à tirer les conséquences de la révision à la baisse des hypothèses de croissance. Ce sera donc 0,5 %, au lieu de 1 %, voire 1,7 % auparavant. De même, la progression prévue de la masse salariale est non plus de 3 %, mais de 2,5 %. L’inflation prévisionnelle est maintenue à 1,7 %, mais nous savons qu’elle sera supérieure, en raison de la hausse de la TVA ; j’y reviendrai.
À l’évidence, ces nouvelles perspectives ne seront pas sans conséquences sur le montant des cotisations sociales et de la CSG, ainsi que sur l’évolution d’un certain nombre de prestations indexées sur les prix.
Or le texte que vous nous soumettez, en ne réajustant que les comptes de l’État, fait l’impasse sur la dégradation de ceux de la protection sociale. Où est donc votre projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative ? En vérité, madame la ministre, vous laissez filer le déficit à hauteur de 1,8 milliard d’euros, comme vous nous l’avez confirmé lors de votre audition devant la commission des finances.
Au-delà de cette absence d’ajustement, la réflexion sur le financement de la branche famille par des cotisations employeurs est, certes, parfaitement légitime. Elle n’est d’ailleurs pas nouvelle, puisque la création de la CSG avait à l’origine permis d’alléger les cotisations famille patronales.
Mais, avec ce texte, vous prétendez viser deux objectifs : l’amélioration de la compétitivité de l’industrie française et la création d’emplois, que vous chiffrez à 100 000 à court terme, grâce à une substitution de TVA aux cotisations patronales.
Ce faisant, vous commettez une erreur d’analyse, et vous prenez un pari particulièrement risqué.
C’est en effet une erreur d’analyse, ou plutôt devrais-je dire un « virage à 180 degrés » par rapport à vos propres analyses d’hier. Jean Germain, qui interviendra également pour le groupe socialiste, y reviendra.
Curieuse période, où l’hérésie d’hier est devenue vérité d’évangile par la grâce de l’arbitraire présidentiel.
N’en déplaise au Gouvernement, qui est obligé de se contredire, il y a bien erreur d’analyse, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, le problème français de compétitivité n’est pas celui du coût du travail. Dans l’industrie manufacturière – cela a été dit, mais je tiens à le répéter –, le coût horaire du travail est quasiment identique en France et en Allemagne. En outre, les Français travaillent en moyenne plus longtemps que les Allemands et leur productivité est plus élevée.
M. Jean Germain. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Caffet. Ce dont souffre l’industrie française, ce n’est pas d’un coût du travail plus élevé ; c’est d’un manque de compétitivité hors prix, en raison principalement d’un positionnement de gamme de production défavorable, de la faiblesse de notre tissu de PME exportatrices et d’un retard indéniable en matière d’innovation et de recherche.
Ce n’est pas l’étude de l’INSEE publiée ce matin qui me contredira. Comme l’a rappelé Yves Daudigny, cette étude indique que le coût du travail est de 29 % plus élevé en Allemagne qu’en France dans l’industrie automobile et que le commerce extérieur est pourtant largement excédentaire dans ce secteur en Allemagne, alors qu’il est très gravement déficitaire en France. Prétendre, comme l’a fait tout à l’heure M. Baroin, que cette étude conforte la TVA sociale, c’est faire preuve d’un « culot d’acier », une expression qui ne lui est sans doute pas étrangère…
Dans ces conditions, recourir à la TVA sociale revient à sacrifier la consommation pour des gains de compétitivité illusoires.
Deuxièmement, c’est également une erreur de croire que la TVA est le bon levier pour améliorer nos échanges extérieurs. Matraquer la consommation pour renchérir les importations, qui en représentent seulement 20 %, n’a jamais restauré la compétitivité d’un pays. L’idée selon laquelle ce seraient les importations qui paieraient la protection sociale est fausse. Très franchement, si la TVA pouvait être utilisée comme un droit de douane, cela se saurait ! D’ailleurs, M. Marini a dû s’en apercevoir, puisqu’il évoquait dans son intervention la nécessaire diminution du coin social, c’est-à-dire la différence entre le coût salarial et l’ensemble des cotisations sociales salariales et patronales. Mais c’est une tout autre problématique. Il est vrai que la diminution du coin social via une baisse des cotisations patronales peut favoriser le salaire net, mais à la condition que les employeurs l’acceptent. Et, dans ce cas, pourquoi ponctionner l’augmentation des salaires nets par une majoration de la TVA ?
Troisièmement, vous vous trompez de cible. Sur les 13 milliards d’euros d’allégements de cotisations sociales, un peu plus de 3 milliards d’euros seulement iront à l’industrie. Les principaux bénéficiaires de cette mesure seront les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, comme les services, y compris les services financiers, le bâtiment et la grande distribution, dont les activités ne sont pas délocalisables et peu concurrencées.
Cette stratégie est particulièrement risquée, notamment en matière d’inflation. Selon le Gouvernement, la hausse de la TVA n’entraînera aucune augmentation des prix, en raison de la pression de la concurrence.
Mais, à supposer que l’inflation n’augmente pas, qui donc paiera cette augmentation de TVA, sinon les entreprises en diminuant d’autant leurs prix hors taxes ? On peine alors à comprendre sur quel raisonnement économique repose une mesure consistant à baisser les charges sociales des entreprises de 13 milliards d’euros pour ensuite leur faire payer pratiquement à due concurrence l’augmentation de TVA. À trop vouloir montrer que cette réforme ne pèsera pas sur le pouvoir d’achat des ménages, le Gouvernement s’enferme dans une logique absurde.
En réalité, nous le savons bien, la majoration du taux normal de TVA se traduira inéluctablement par un regain d’inflation, certes difficile à chiffrer, mais d’autant plus important que les entreprises voudront reconstituer leurs marges bénéficiaires. Or, dans l’industrie manufacturière, ces marges se sont dégradées de l’ordre de dix points au cours de la dernière décennie. Il y a donc fort à parier que beaucoup de ces entreprises industrielles profiteront de cet allégement pour les restaurer. C’est dire la fragilité du raisonnement conduisant à diminuer le coût du travail pour améliorer notre compétitivité industrielle.
Quant aux autres entreprises, celles qui sont à l’abri de la concurrence mondiale, elles bénéficieront d’un effet d’aubaine que rien ne saurait justifier dans la période économique actuelle. Et les ménages subiront inéluctablement une nouvelle baisse du pouvoir d’achat.
Ajoutons enfin que ce choix de la TVA induira une nouvelle injustice fiscale. C’est décidément la marque de fabrique de ce quinquennat, notamment pour les ménages les plus modestes, sur lesquels la TVA pèse trois fois plus que sur les ménages à revenus élevés.
Mes chers collègues, avec ce collectif, nous assistons à une fuite en avant du Gouvernement, fondée sur une stratégie économique erronée, à une nouvelle injustice fiscale et à une sorte de prise en otage du Parlement à quelques semaines d’une élection majeure qui va donner la parole au peuple. En réalité, ce projet de loi de finances rectificative, qui témoigne d’une fébrilité certaine, vise à priver le peuple français de son droit à choisir entre deux projets politiques à la veille d’une élection présidentielle.
Autant de raisons pour que le groupe socialiste refuse cette aventure funeste et s’exprime en faveur de la motion de procédure adoptée hier en commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)