Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin
Secrétaires :
Mmes Michelle Demessine, Marie-Hélène Des Esgaulx.
3. Suivi des enfants en danger par la transmission des informations. – Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mmes Claude Greff, secrétaire d'État chargée de la famille ; Muguette Dini, rapporteur de la commission des affaires sociales.
Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Jacques Mézard, René-Paul Savary, Mme Aline Archimbaud, MM. Gérard Roche, Georges Labazée.
Mme la secrétaire d'État.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard, Mmes le rapporteur, la secrétaire d'État, M. Philippe Bas. – Retrait.
Adoption définitive de l'article unique de la proposition de loi.
M. le président.
4. Demande de procédure simplifiée pour l’examen d’un projet de loi
5. Communication du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
6. Loi de finances rectificative pour 2012. – Discussion d'un projet de loi
Discussion générale : M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement ; Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances ; M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales ; Mme Isabelle Pasquet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la « branche famille ».
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
M. Philippe Marini, président de la commission des finances.
MM. Jean Arthuis, Jacques Mézard, Jean-Vincent Placé, François Marc, Éric Bocquet, Philippe Dallier, Aymeri de Montesquiou, François Patriat.
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
9. Loi de finances rectificative pour 2012. – Suite de la discussion et rejet d'un projet de loi
Discussion générale (suite) : MM. Dominique Watrin, Jean-Pierre Chevènement, Mme Fabienne Keller, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Pierre Charon, Mme Christiane Demontès, MM. Serge Dassault, Georges Patient, Jean Germain, Mme Patricia Schillinger, M. Jean-Étienne Antoinette.
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Clôture de la discussion générale.
Motion n° 5 de la commission. – Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances ; M. Francis Delattre, Mme le ministre, MM. François Marc, Éric Bocquet. – Adoption, par scrutin public, de la motion entraînant le rejet du projet de loi.
10. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
11. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt de documents
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, l’avenant n° 1 relatif à une dotation complémentaire au Fonds national d’amorçage et la convention portant avenant aux conventions de mise en œuvre des actions du programme d’investissements d’avenir confiées à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des finances, ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Ils sont disponibles au bureau de la distribution.
3
Suivi des enfants en danger par la transmission des informations
Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations (proposition n° 224, texte de la commission n° 371, rapport n° 370).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Claude Greff, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, chargée de la famille. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier Mme la rapporteur Muguette Dini, ainsi que tous ses collègues qui ont soutenu la proposition de loi de Mme la députée Henriette Martinez, d’avoir cherché à améliorer encore la législation relative à la protection de l’enfance.
La protection de l’enfance est une question prioritaire pour le Gouvernement et d’importance majeure pour la société. Elle doit être en permanence renforcée et rendue plus efficace ; cette proposition de loi y contribue largement.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance avait déjà amélioré le repérage et la prise en charge des enfants en danger ou risquant de l’être, notamment avec la mise en place des cellules de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes, qui sont maintenant généralisées à l’ensemble des départements.
Je tiens à préciser que la mise en œuvre de cette loi est aujourd’hui acquise et que son suivi et son évaluation constituent une priorité pour le Gouvernement. Ainsi, le rapport sur la mise en place des cellules est prêt et sera transmis prochainement au Parlement.
Par ailleurs, j’ai souhaité organiser avec Roselyne Bachelot-Narquin une manifestation le 5 mars prochain pour célébrer les cinq ans de cette grande loi réformatrice et échanger avec l’ensemble des acteurs concernés à propos des avancées qu’elle a permis d’obtenir et des pistes d’amélioration envisageables.
Le texte dont nous débattons aujourd’hui constitue sans aucun doute une avancée notable pour la protection des enfants.
La question du suivi des enfants en danger avait fait l’objet, dans le cadre des états généraux de l’enfance fragilisée qui se sont déroulés en 2010, de travaux et de propositions : il est en effet apparu que le suivi des enfants en danger pouvait parfois être interrompu du fait du déménagement de familles et qu’il convenait d’organiser ce suivi dans l’intérêt des enfants à protéger.
Cette proposition de loi vise justement à renforcer la coordination entre les services, entre tous les intervenants : certaines familles ont compris que le nomadisme est le meilleur moyen de passer entre les mailles du filet : le déménagement dans un autre département permet de se soustraire au suivi tant social que judiciaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis tout comme vous persuadée qu’il faut intervenir bien en amont, lorsque la procédure en est au stade préventif, celui de l’information préoccupante, et avant que le signalement ne soit formalisé, que l’enquête sociale ne soit enclenchée, que la justice ne soit saisie. La proposition de loi favorise ce traitement, ce partage des informations, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’objectif de ce texte est d’assurer la transmission des informations pour mieux protéger l’enfant et assurer, dans l’intérêt de ce dernier, la continuité et la cohérence des actions de protection.
Le président du conseil général, qui a été consacré comme le pivot, le chef de file de la protection de l’enfance par la loi de 2007, a, de ce point de vue, une responsabilité essentielle, puisqu’il est le garant de cette continuité et de cette cohérence.
Je reviendrai donc sommairement sur les deux grandes avancées du texte.
La première partie de la proposition de loi prévoit que, lorsque la nouvelle adresse de la famille est connue en cas de déménagement, le président du conseil général assure la transmission des informations et des dossiers relatifs aux enfants en danger ou risquant de l’être au président du conseil général du nouveau département, dès lors que ces enfants ont fait l’objet d’une information préoccupante, d’une mesure administrative ou d’une décision judiciaire de protection de l’enfance.
À l’Assemblée nationale, le Gouvernement a présenté un amendement, qui a été adopté, visant à renvoyer explicitement à un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, le soin de déterminer les modalités de transmission de ces informations.
Je tiens à vous indiquer que ce décret est en cours de finalisation par mes services, en vue d’une publication en avril ou en mai 2012, donc très prochainement. Il vise à homogénéiser les pratiques, mais surtout à assurer la sécurité et l’efficacité de ces échanges d’informations. L’organisation de ces derniers doit en effet présenter toutes les garanties nécessaires. Ce décret sera soumis à l’avis de la CNIL et de la CCEN, la Commission consultative d’évaluation des normes.
La seconde partie de la proposition de loi, qui a, elle aussi, été amendée par le Gouvernement, concerne les situations où la nouvelle adresse de la famille n’est pas connue. Le pouvoir donné par ce texte au président du conseil général, à savoir la possibilité de saisir les caisses d’assurance maladie et les caisses d’allocations familiales pour obtenir la nouvelle adresse de la famille, constitue un levier important de protection de l’enfant.
Le texte prévoit aussi l’obligation pour le président du conseil général de saisir l’autorité judiciaire dans ces situations.
En effet, si l’interruption de l’évaluation d’une information préoccupante ou d’une mesure administrative ou judiciaire de protection de l’enfance met l’enfant en danger, il y a bien lieu pour le président du conseil général, en l’absence de connaissance de la nouvelle adresse, de saisir l’autorité judiciaire.
Cette clarification des critères de saisine de l’autorité judiciaire améliorera utilement la coordination entre présidents de conseils généraux et procureurs de la République.
La procédure prévue par la proposition de loi peut par conséquent intervenir en complément et parallèlement à la saisine de l’autorité judiciaire : elle n’a pas vocation à la remplacer.
Dans ces conditions, je comprends le sens de l’amendement déposé par M. Mézard, qui souhaite optimiser encore l’effet de cette proposition de loi. Toutefois, pour des raisons que je préciserai tout à l’heure, j’estime que cet amendement n’est pas nécessaire pour atteindre les objectifs visés par son auteur.
Je souhaite que le Sénat adopte ce texte, afin qu’il puisse être rapidement mis en œuvre et que les enfants soient mieux protégés, car il est de notre devoir à tous de renforcer l’aide et la protection que nous leur devons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais pouvoir compter sur vous : nous partageons tous cette ferme volonté de faire progresser encore la protection de l’enfant, d’assurer le respect de ses droits et de veiller collectivement à son intérêt supérieur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue députée Henriette Martinez, dont je suis heureuse de noter la présence dans les tribunes aujourd’hui, porte sur la procédure de suivi qui est mise en œuvre à l’échelon départemental pour les enfants en danger ou risquant de l’être.
Vous le savez sans doute, la loi du 5 mars 2007 a introduit des changements essentiels dans le système de protection de l’enfance, afin de le rendre plus lisible pour les acteurs locaux et, surtout, plus protecteur pour les enfants.
Elle a en particulier consacré le président du conseil général comme chef de file de la protection de l’enfance et créé, sous son autorité, la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes.
Le dispositif départemental de protection de l’enfance a ainsi gagné en cohérence et en efficacité. Toutefois, on constate aujourd’hui que, lorsqu’une famille titulaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance quitte un département pour un autre, les informations la concernant ne sont pas transmises au-delà de cette frontière administrative. Il en résulte une rupture, soit dans la prise en charge de l’enfant, soit dans l’évaluation des informations préoccupantes à son sujet.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune coordination interdépartementale n’est en effet organisée sur le plan national. Certains départements ont bien mis en place un système d’alerte, dit « de signalements nationaux », mais ce dispositif n’a pas de base réglementaire et son efficacité reste limitée en raison de pratiques variables selon les départements.
La proposition de loi vise donc à combler ce vide juridique en conférant un cadre légal à la transmission des informations relatives aux enfants en danger entre le département d’origine et le département d’accueil, démarche qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, relève du bon sens.
Pour ce faire, elle distingue deux cas de figure.
Le premier, le plus simple, s’appliquera lorsque la famille qui déménage informe le département d’origine de sa nouvelle adresse.
Actuellement, et c’est assez singulier, aucun dispositif de transmission d’informations n’est prévu entre le département d’origine et le département d’accueil.
Désormais, lorsqu’une famille titulaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance ou d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance communiquera sa nouvelle adresse au département qu’elle quitte, le président du conseil général du département d’origine le signalera à son homologue du département d’accueil et lui transmettra, pour l’accomplissement de ses missions, les données relatives au mineur et à sa famille. Cette procédure s’appliquera également lorsqu’une information préoccupante sur la situation de l’enfant est en cours d’évaluation.
Comme l’a souligné Mme la secrétaire d'État, les modalités de cette procédure de transmission seront définies par décret en Conseil d’État, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, étant donné l’enjeu de confidentialité qui y est associé.
Pour autant, je rappelle, à mon tour, que la loi du 5 mars 2007 prévoyait déjà un décret de ce type.
Mme Michelle Meunier. Eh oui !
Mme Muguette Dini, rapporteur. Cinq ans plus tard, nous l’attendons toujours.
Mme Michelle Meunier. En effet !
Mme Muguette Dini, rapporteur. Interpellée sur ce sujet par nos collègues députés, la ministre des solidarités et de la cohésion nationale, Roselyne Bachelot-Narquin, s’est engagée à publier le décret dès le mois de mars prochain.
Madame la secrétaire d'État, j’espère que le Gouvernement tiendra parole, car cette mesure de transmission des informations, qui répond aux préconisations formulées lors des états généraux de l’enfance fragilisée tenus en mai 2010, présente deux avantages.
Premièrement, elle garantit au département d’accueil la possibilité de disposer de toutes les informations nécessaires à la continuité de la prise en charge, pour répondre au mieux aux besoins du mineur.
Deuxièmement, elle permettra au jeune devenu adulte qui consulte son dossier de reconstituer l’ensemble de son parcours au sein du dispositif de protection de l’enfance. Ce n’est pas là un sujet mineur, car nous savons que, une fois devenus adultes, les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance ont quelquefois bien du mal à se retrouver dans leur propre histoire.
J’en viens au second cas de figure : la famille qui déménage sans laisser d’adresse.
Dans ce cas, le suivi des situations préoccupantes ou signalées se révèle évidemment beaucoup plus difficile. Il faut en effet attendre que toute la procédure interrompue dans le département d’origine ait été relancée dans le département d’accueil, par le biais d’une nouvelle transmission d’informations préoccupantes ou d’un nouveau repérage. Un temps précieux est ainsi perdu, ce qui, dans certains cas, peut avoir de très graves conséquences sur l’enfant concerné.
Les acteurs de la protection de l’enfance observent même que certaines familles profitent de cette insuffisante coordination entre départements pour échapper aux filets des services d’aide sociale à l’enfance.
Pour corriger les failles du système actuel, le texte propose deux mesures.
La première oblige le président du conseil général du département d’origine à prévenir sans délai l’autorité judiciaire du départ inopiné d’une famille impliquée dans un processus d’évaluation d’informations préoccupantes, d’aide sociale ou de protection de l’enfance, dont l’interruption met en danger le mineur.
Cette clarification des critères de saisine de l’autorité judiciaire, également recommandée dans les conclusions des états généraux de l’enfance fragilisée, devrait utilement améliorer la coordination entre les présidents de conseils généraux et les procureurs de la République.
La seconde mesure permet au président du conseil général du département d’origine d’obtenir des organismes sociaux – caisse primaire d’assurance maladie et caisse d’allocations familiales – communication de la nouvelle adresse dans les dix jours.
À l’heure actuelle, le président du conseil général peut déjà formuler cette demande par l’intermédiaire de l’autorité judiciaire. Néanmoins, cette procédure présente deux inconvénients majeurs : elle est longue et elle est pratiquée de façon différente selon les parquets.
Dans la mesure où la famille éligible aux prestations sociales ne manque généralement pas d’en faire la demande dans son nouveau département de résidence, les caisses de sécurité sociale semblent les plus à même de connaître l’adresse de cette famille et de la communiquer rapidement aux services du conseil général. Pour obtenir cette information, les caisses d’assurance maladie seront d’ailleurs habilitées à consulter le répertoire national inter-régimes. Tout ce réseau respectera évidemment les règles du secret professionnel applicables à la protection de l’enfance, lesquelles offrent les garanties requises, dans l’unique intérêt du mineur.
Enfin, pour boucler ce circuit d’information, le président du conseil général du département d’origine communiquera bien sûr sans délai à son homologue du département d’accueil la nouvelle adresse ainsi que les informations relatives à la famille et à l’enfant, conformément à la procédure de coordination interdépartementale que nous allons instaurer.
Vous le voyez, mes chers collègues, il s’agit d’un texte de nature technique, simple et opérationnel, qui, en améliorant la transmission d’informations entre les acteurs de la protection de l’enfance, offrira les conditions d’un meilleur suivi des enfants en danger. Notre commission en est convaincue, puisqu’elle l’a adopté, à l’unanimité, dans une rédaction conforme à celle de l’Assemblée nationale.
Toutefois, les échanges approfondis auxquels nous avons procédé ont fait apparaître que, si cette proposition de loi apporte une réponse concrète à un problème précis, elle ne résout pas l’ensemble des difficultés que pose, sur le terrain, l’application de la loi du 5 mars 2007.
En effet, de nombreuses questions demeurent en suspens, comme les moyens du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, la prise en charge des mineurs étrangers isolés ou la notion du « secret partagé » : autant de sujets sur lesquels notre commission se propose de travailler dans les prochains mois pour faire évoluer une loi qui, bien entendu, reste perfectible. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui sollicités pour statuer sur un aspect de la protection de l’enfance en danger, sujet complexe et grave, transversal à l’ensemble de notre société et pour lequel modestie et persévérance s’imposent.
Protéger les enfants, ces êtres fragiles en construction, relève de la responsabilité des parents. Il faut souligner que, globalement, les familles assument bien leur rôle éducatif et ce, de plus en plus longtemps, du fait non seulement de l’allongement des études, mais aussi de la réalité du chômage des jeunes.
Lorsque des difficultés surviennent en ce qui concerne la sécurité morale ou physique de l’enfant ou du jeune, il est de la responsabilité de la société de prendre le relais, temporairement ou durablement. Il en est ainsi dans toutes les sociétés humaines.
Relevant autrefois des familles élargies ou de la charité, la prise en charge des enfants en danger ou risquant de l’être a fait l’objet de nombreuses évolutions législatives et organisationnelles au cours du temps, pour être confiée aux conseils généraux, en 1983, dans le cadre des premières lois de décentralisation. Les départements sont chargés d’organiser la prise en charge de ces enfants, en lien avec leurs familles le cas échéant. Il en va de même pour les enfants abandonnés ou privés durablement de famille, dont la collectivité doit organiser la prise en charge, voire l’adoption.
Bien que promulguée le même jour que la loi relative à la prévention de la délinquance, et ayant à ce titre fait craindre des amalgames, la loi du 5 mars 2007 a été en général plutôt bien accueillie par les conseils généraux et les professionnels de la protection de l’enfance. Rappelons ses trois objectifs principaux : renforcer la prévention ; réorganiser les procédures de signalement via notamment la création des cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes ; diversifier les modes de prises en charge.
Pour notre part, nous y avons vu un texte comportant des mesures de nature à clarifier les rôles de la justice et des conseils généraux, misant sur la prévention et laissant une place aux familles. Nous avons également considéré que ce texte proposait des moyens d’agir.
Cinq ans plus tard, où en sommes-nous ? Qu’en est-il de la mise en œuvre effective de cette loi ? Qu’a-t-on produit, en réalité, sur l’ensemble du territoire national, en métropole comme outre-mer ? Telles sont les véritables questions auxquelles nous devons répondre.
Or, aujourd’hui, on nous propose, avec cette proposition de loi, non pas de mettre un terme à des situations dramatiques, mais d’opérer un simple ajustement relatif aux familles qui déménagent.
À mes yeux, la protection de l’enfance mérite mieux que des mesures d’opportunité, même si je ne nie pas la nécessité de mieux définir les rôles et les responsabilités des uns et des autres en la matière.
Comme l’a affirmé Mme la secrétaire d’État, cette proposition de loi permet de préciser les responsabilités entre la justice et le président du conseil général lorsque les familles en cours de mesure éducative ou de mesure d’investigation à la suite d’une information préoccupante quittent le département. Il est proposé de faire glisser peu à peu sur les épaules du président du conseil général une responsabilité qui incombe à la justice, afin – nous dit-on – de gagner en rapidité et efficacité.
Or les obligations d’un conseil général s’inscrivent dans le cadre d’une relation contractuelle avec la famille ou dans celui de l’exécution d’une mesure judiciaire. La proposition de recherche d’informations personnelles n’entre pas dans le champ des responsabilités du président du conseil général, même à titre facultatif, car la justice a seule le pouvoir d’enquêter.
Le service d’aide sociale à l’enfance du département de départ informe le conseil général d’arrivée lorsqu’il connaît la destination. Dans le cas contraire, il transmet ses constats et ses informations à l’autorité judiciaire, laquelle peut enquêter afin de retrouver le nouveau domicile des parents. On ne devrait compter que quelques situations de ce type chaque année, ce qui ne devrait pas engorger les tribunaux.
Il est donc clair que cette proposition de loi vise principalement à régler les questions de répartition des responsabilités pénales entre les uns et les autres, quand il nous faudrait surtout continuer à renforcer la qualité des échanges entre l’Aide sociale à l’enfance et la justice.
À cet égard, je regrette qu’aucune approche quantifiée n’étaye le dossier. De même, ni l’avis du groupement d’intérêt public – ou GIP – Enfance en danger, ni celui de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, n’ont, me semble-t-il, été sollicités.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, cinq ans après sa promulgation, il est temps de dresser un bilan complet de la mise en œuvre de la loi réformant la protection de l’enfance, en lien avec tous les partenaires concernés : bien sûr, les départements et l’ADF, mais aussi l’ONED, le GIP Enfance en danger, les représentants des associations, la protection judiciaire de la jeunesse, ou PJJ, et bien entendu la justice.
En effet, les conseils généraux ont pris à bras-le-corps leurs responsabilités. Ils sont même allés au-delà, en faisant preuve d’inventivité dans la construction de nouvelles modalités de travail et de nouvelles réponses de prévention et d’accueil des mineurs en danger.
Pour les départements, je le rappelle, c’est tout d’abord une lourde responsabilité morale, puisqu’il s’agit d’aider des enfants blessés à se construire et à se faire une place dans la société, malgré toutes les embûches rencontrées.
C’est ensuite une responsabilité pénale, que nombre de présidents de conseils généraux ont parfois dû assumer devant les tribunaux.
Enfin, c’est une responsabilité budgétaire. Les dépenses afférentes à cette politique étant en grande partie liées aux décisions des magistrats, elles s’imposent aux conseils généraux sans aucune discussion ni prévision possible.
Si les départements font face à leurs responsabilités autant qu’il leur est possible, on ne peut pas en dire autant de l’État.
En effet, cinq ans après la promulgation de la loi réformant la protection de l’enfance, plusieurs décrets d’application manquent encore.
D'ailleurs, la présente proposition de loi vise l’un des « chaînons manquants » de la loi de 2007, bien qu’un texte réglementaire eût, à mon avis, pu suffire.
Ce n’est d’ailleurs ni le seul ni le principal chaînon manquant ; Mme la rapporteur vient d’en rappeler quelques-uns. Pour ma part, je citerai les moyens et les missions du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, la prise en charge des mineurs étrangers isolés, le refus du Gouvernement de procéder à la publication du décret relatif à la définition de la nature de l’information préoccupante, la question des appels à projets dans le secteur public départemental de la protection de l’enfance et, enfin, la non-publication du décret sur la tarification des lieux de vie et d’accueil et les appels à projets les concernant.
Les désengagements successifs de l’État dans le domaine éducatif – au sens large – viennent aussi peser, au final, sur la protection de l’enfance. Sans dresser un inventaire à la Prévert, j’évoquerai plusieurs mesures dont les effets affectent directement les publics concernés : la diminution des postes RASED, qui permettent de détecter au plus tôt les situations difficiles et d’élaborer des réponses, en lien avec les familles et la communauté éducative ; l’augmentation des effectifs dans les classes maternelles et primaires, qui limite, de fait, la disponibilité des enseignants et enseignantes auprès des élèves et des familles ; l’érosion, depuis de très nombreuses années, des prestations familiales et les menaces récurrentes du Gouvernement de ne pas verser ces allocations aux familles dites « défaillantes », alors même que la pauvreté accentue indéniablement les tensions familiales.
Je citerai également l’insuffisance des places en structures de soins spécialisés dans le domaine médicosocial ou dans celui de la pédopsychiatrie. En effet, cette insuffisance amène à maintenir trop longtemps des enfants dans des structures inadaptées, voire contraires à leurs besoins spécifiques. Par ailleurs, elle « embolise » l’urgence et le système d’accueil de la protection de l’enfance. Surtout, elle ne permet pas de proposer aux enfants et aux jeunes concernés un lieu adapté à leurs besoins.
Vous l’aurez compris, je saisis l’occasion offerte par cette discussion générale pour formuler le vœu qu’un véritable bilan de la loi du 5 mars 2007 soit rapidement établi, portant sur ses avancées – car il y en a ! – comme sur ses manques, ou sur ses dispositions susceptibles d’être améliorées.
Ne l’oublions pas, la protection de l’enfance fait parler d’elle lorsque des drames surviennent : mon département, la Loire-Atlantique, a ainsi été endeuillé, l’an dernier, par un drame à rebondissements autour du meurtre de la jeune Laetitia.
Toutefois, nous devons souligner que, de manière globale, les professionnels des conseils généraux et des associations habilitées – les travailleurs sociaux, les assistantes familiales, les travailleuses et travailleurs en intervention sociale et familiale – réalisent un travail éducatif remarquable. Grâce à leur implication sans faille, les enfants qui leur sont confiés ont toutes leurs chances de se construire un avenir meilleur, car la plupart de ces jeunes sortent « par le haut » de leurs difficultés. À nous de le faire savoir également, lors de ce bilan, pour que les enfants et les jeunes malmenés par la vie, ainsi que leurs familles, leurs éducateurs et leurs éducatrices, gardent confiance en eux-mêmes et en l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Gérard Roche applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est, je le reconnais, plutôt d’ordre technique, puisqu’il s’agit d’organiser, en cas de déménagement des familles, la transmission d’informations portant sur les enfants en danger, du département d’origine à celui d’accueil. Cette mesure est même tellement technique que le recours à la procédure législative était peut-être superflu. Nous aurions en effet pu nous contenter d’une mesure d’ordre réglementaire, attendue de longue date, notamment par les présidents des conseils généraux et, de toute façon, indispensable pour la bonne application de cette proposition de loi, une fois celle-ci adoptée.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit, notamment par Mme la rapporteur. Comme vous le savez, les présidents des conseils généraux se sont vu confier, depuis 2007, des compétences nouvelles en matière de protection de l’enfance. Nous ne contestons d’ailleurs pas cet échelon de compétence, dans la mesure où il est déjà retenu pour l’attribution des aides sociales à l’enfance.
Nous avons tous en mémoire des drames rares, mais douloureux, qui nous rappellent la part de responsabilité qui est la nôtre en la matière. Ils justifient, ainsi que tous les cas que nous pouvons éviter, qu’une transmission interdépartementale puisse s’organiser de manière pérenne. Certains conseils généraux, profitant de la nouvelle rédaction de l’article 226-13 du code pénal relatif au secret professionnel, ont d’ailleurs expérimenté des mesures équivalentes préfigurant ce système : il nous faut désormais généraliser et encadrer cette coopération interdépartementale fondée sur le volontariat. À cet égard, cette proposition de loi constitue un premier pas positif, que nous ne pouvons que saluer.
Toutefois, nous regrettons que cette proposition de loi ne soit pas plus complète. Il faudra sans doute l’accompagner de mesures réglementaires, ce qui retardera d’autant son application. J’en reviens donc à mon analyse d’origine : plutôt qu’une proposition de loi, il aurait été plus pertinent que le Gouvernement élabore, en lien étroit avec les acteurs locaux et leurs représentants, l’Assemblée des départements de France, par exemple, une mesure réglementaire plus opportune.
Je pense, par exemple, à l’établissement d’une définition commune, sur la base de critères objectifs et négociés avec les acteurs, de la notion même d’enfance en danger. Je pense également à la nécessité d’élaborer des référentiels et un protocole communs de transmission, afin que le travail de recueil et de traitement de l’information soit facilité, mais je crois avoir compris qu’un décret sur cette question était en attente de publication.
Malgré ces quelques insuffisances, nous voterons cette proposition de loi, mais ce vote, madame la secrétaire d’État, n’entame en rien notre vigilance concernant les moyens mis à la disposition des départements pour accomplir ces missions : en effet, ceux-ci font cruellement défaut.
Je n’ignore rien de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, à la suite du dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité par le département des Côtes-d’Armor, qui estimait que la loi de 2007 violait l’article 72 de la Constitution. Le Conseil a tranché : considérant que le législateur « n’a procédé ni à un transfert aux départements d’une compétence qui relevait de l’État ni à une création ou extension de compétences », il a estimé que l’État n’était pas tenu au financement de ces mesures.
Toutefois, je n’ignore pas non plus que M. Philippe Bas, alors ministre, s’était engagé devant le Sénat, au nom du Gouvernement, à abonder le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, ou FNFPE, promesse non entièrement tenue. (M. Ronan Kerdraon approuve.) Je me souviens également qu’il aura fallu l’action du département de Saône-et-Loire devant le Conseil d’État pour contraindre le Gouvernement à enfin prendre le décret créant le FNFPE.
Je sais aussi que tout un pan de la protection de l’enfance en danger reste en friche aujourd’hui, du fait même du désengagement de l’État. Je pense ainsi à la suppression des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, dont la mission est pourtant essentielle dans l’accompagnement et le développement des enfants les plus en difficulté.
Je pense également à l’absence de réponses concrètes en ce qui concerne les « mineurs étrangers isolés » : les départements gèrent seuls les demandes, l’État ne participant pas au financement des structures d’accueil.
Je pense, enfin, au sort qui est réservé aux travailleurs sociaux, à la réduction des moyens qui leur sont accordés pour mener à bien leur mission d’accompagnement et d’émancipation : cette mission est devenue de plus en plus difficile à accomplir du fait de la révision générale des politiques publiques, au point que les finalités mêmes de leur engagement sont progressivement remises en cause. Les logiques comptables et chiffrées qu’on leur impose aujourd’hui sont incompatibles avec les notions d’humanisme et de solidarité qui fondent historiquement le sens de leur activité.
On dit souvent que l’on mesure la qualité d’une société au sort qu’elle réserve à ses jeunes. Malgré l’adoption de cette proposition de loi, qui est utile, je n’en disconviens pas, il nous semble que beaucoup reste encore à faire dans notre pays pour que les droits et les besoins de tous les enfants soient garantis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette période pré-électorale mouvementée, il est agréable de constater qu’il reste des sujets dépassant les clivages partisans et sur lesquels un consensus peut se dégager au sein de notre Haute Assemblée. Tel est pour nous le cas avec cette proposition de loi dont l’adoption doit permettre de mener à leur terme l’ensemble des enquêtes sociales diligentées en vue de protéger des enfants en danger.
Ce texte consensuel, de nature technique, est rendu nécessaire par une lacune de la loi du 5 mars 2007, qui n’a pas prévu de coordination interdépartementale. Cette loi a cependant permis de franchir une étape essentielle dans la construction d’un dispositif de protection efficace de l’enfance, fondé sur l’intérêt de l’enfant : le développement de la prévention, un meilleur dépistage des enfants en danger et l’amélioration de l’intervention auprès des enfants et de leurs familles ont été mis en avant lors de la discussion de ce premier texte.
De même, le principe de la primauté de la protection administrative sur la protection judiciaire a été consacré. De fait, le rôle central dans le dispositif de protection de l’enfance a été dévolu au président du conseil général, à l’instar du « directeur de la protection de la jeunesse » que connaissent nos amis québécois. Ce président centralise dorénavant l’ensemble des informations préoccupantes transmises par tous les intervenants du secteur.
Pour l’aider dans le recueil et le traitement de ces informations, il peut s’appuyer sur la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, qui les conserve et les analyse, et sur l’observatoire départemental de la protection de l’enfance, auquel participent tous les acteurs de cette politique.
Cinq années ont passé depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2007, qui a rendu plus efficace et cohérent le système de protection. Malheureusement – nous le savons, nous qui gérons ces collectivités locales –, certains ménages ont cerné les limites d’un dispositif départemental. Deux tragiques faits divers récents nous en ont apporté une preuve aussi cruelle qu’évidente : des familles suivies par la protection de l’enfance ont pu passer entre les mailles des filets tendus aux frontières des départements et se sont purement et simplement soustraites aux enquêtes sociales.
De telles situations sont rares – on parle, en tout et pour tout, d’une centaine de familles –, mais elles font courir un risque d’une grande gravité aux enfants, dès lors que les parents souhaitent sciemment échapper aux services sociaux en se réfugiant de l’autre côté de la frontière administrative dressée par la loi du 5 mars 2007.
Mes chers collègues, je ne peux que me féliciter, au nom de mon groupe, de la solution retenue par l’auteur de cette proposition de loi qui facilite la transmission d’informations entre départements, lorsque la nouvelle adresse du ménage est connue, mais aussi lorsqu’elle ne l’est pas. Le président du conseil général du département de départ pourra alors saisir les services qui versent les prestations sociales aux fins d’obtenir la nouvelle adresse qu’il communiquera au département d’accueil. Cet outil efficace et rapide permettra de faire face aux cas les plus difficiles.
Madame la secrétaire d’État, il aura fallu attendre près de cinq ans pour corriger les imperfections de la loi du 5 mars 2007 et un an et demi pour inscrire ce texte à l’ordre du jour de la Haute Assemblée après son vote par nos collègues députés.
Permettez-nous de rester dubitatifs quant aux réelles intentions du Gouvernement en matière de protection de l’enfance. À ce jour, nous n’osons plus espérer la publication du décret d’application de la loi de 2007 définissant et sécurisant la transmission des informations, tant nous l’avons attendu !
Nous nous interrogeons également sur cette étrange logique qui pousse, d’un côté, à développer la protection de l’enfance et, de l’autre, à battre en brèche tous les principes protecteurs prévus par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Je pense aussi à l’attitude du Gouvernement face aux conseils généraux : une fois encore, vous opérez un transfert de charges et de compétences sans contrepartie financière.
M. Jacques Mézard. Les 40 millions d’euros que vous avez daigné affecter au Fonds national de financement de la protection de l’enfance attestent, au regard des 6 milliards d’euros que coûte l’aide sociale à l’enfance, de votre manque de considération pour nos collectivités territoriales.
Les sénateurs radicaux de gauche et l’ensemble des membres du RDSE auraient préféré une réforme d’envergure qui aurait enfin pris à bras-le-corps la question du « secret partagé ».
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Nous aussi !
M. Jacques Mézard. Certes limité, le texte qui nous est soumis constitue néanmoins une avancée qui facilitera la prise en charge et la protection des enfants en situation de grave danger, raison pour laquelle nous voterons unanimement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, ce débat nous rassemble, au-delà des clivages politiques, en raison de notre volonté commune d’avancer sur la question de la transmission, de département en département, des dossiers des enfants en danger.
Plusieurs histoires tragiques d’enfants maltraités ou même assassinés dans leur famille ont malheureusement prouvé que notre système de signalement et de suivi de ces enfants pouvait encore être amélioré : au travers de ce texte, il s’agit d’assurer une coordination territoriale systématique des différents intervenants.
En effet, dans les situations de maltraitance, le temps constitue un facteur décisif : lorsque des parents déménagent sans laisser d’adresse, on peut craindre qu’ils souhaitent ainsi échapper à la surveillance des services sociaux et judiciaires.
La loi du 5 mars 2007 a fait des présidents de conseil général les pivots de la protection de l’enfance dans les départements. C’est au sein des conseils généraux que sont constituées les cellules départementales de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, qui filtrent les informations leur parvenant et diligentent les enquêtes sociales nécessaires, puisqu’elles rassemblent les différents partenaires chargés de s’occuper de l’enfance en danger.
La loi confie aux présidents de conseils généraux une mission de recueil, de traitement et d’évaluation de ces informations préoccupantes, à tout moment et quelle qu’en soit l’origine. Ils ont montré – je puis en témoigner, en tant que président de conseil général – qu’ils savaient prendre leurs responsabilités.
Un sénateur du groupe socialiste. Contrairement au Gouvernement !
M. René-Paul Savary. Le dispositif de suivi des enfants est en grande partie efficace. Lorsque l’enfant fait l’objet de mesures éducatives, il n’y a pas de problème de suivi.
C’est en amont, lorsque la procédure n’en est qu’au stade préventif et social, c’est-à-dire celui d’une enquête sociale qui n’a pas encore abouti ou, plus encore, d’une simple information préoccupante, qu’il est impératif d’améliorer le suivi d’un département à un autre.
M. René-Paul Savary. En tant que président du conseil général de la Marne, je peux témoigner, à l’échelle de ce département, que l’information est bien traitée et communiquée, d’où ma surprise initiale, que j’ai marquée en commission, à l’annonce de la nécessité d’une loi.
Cependant, notre rapporteur l’a très bien expliqué, aucune coordination départementale n’est organisée sur le plan national. Seuls certains départements ont mis en place des dispositifs d’alerte improvisés afin de signaler les informations préoccupantes. Les pratiques différant d’un département à l’autre, il y avait lieu de légiférer.
Lorsque la famille franchit la frontière administrative du département, la localisation de l’enfant est trop souvent perdue et le suivi suspendu. Pour mettre fin à cette frontière administrative, il relève donc de notre devoir de légiférer.
Afin de faire suivre les informations relatives à une famille qui a fait l’objet d’un signalement, le président du conseil général se verra officiellement confier la mission d’interroger les organismes qui délivrent les prestations sociales – caisses d’allocations familiales et caisses primaires d’assurance maladie –, par le biais de la saisine du répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie. Il pourra ainsi transmettre la nouvelle adresse et les éléments relatifs au signalement au président du conseil général du département d’accueil.
Je rappelle que ce texte est issu d’une concertation menée par Mme le député Henriette Martinez, qui a recueilli les avis des associations de protection de l’enfance, de l’Assemblée des départements de France, du Médiateur de la République et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, afin de s’assurer que le texte ne contrevient pas à la protection de la vie privée des familles.
Il en ressort que la consultation des fichiers par des organismes sociaux aux fins de transmettre les adresses des familles ne peut être autorisée que par la loi ; une disposition d’ordre réglementaire n’aurait pas suffi.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, il nous appartient d’agir vite et de légiférer avant la suspension des travaux parlementaires, ce qui ne sera possible qu’en adoptant ce texte conforme. En d’autres circonstances, nous aurions été heureux de présenter des amendements afin d’améliorer le dispositif législatif sur différents points.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Nous aussi !
M. René-Paul Savary. Certains d’entre eux auraient d'ailleurs pu recueillir un large assentiment.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. René-Paul Savary. Le vote de cette proposition de loi, que j’ai qualifiée de « technique », ne doit pas nous faire oublier – je réponds en cela à M. Mézard – que plusieurs autres dispositifs doivent être revus. La loi du 5 mars 2007 mérite d’être évaluée, afin de comprendre pourquoi ses dispositions, dans certains domaines, n’ont pas été suivies d’effet.
À ce titre, les mesures d’accompagnement social personnalisé, les MASP, n’ont pas encore fait la preuve de leur pleine efficacité, puisqu’elles devraient être beaucoup plus nombreuses. En 2011, le département dont je suis l’élu n’en comptait ainsi que vingt-sept. Il convient de créer une relation nouvelle entre le monde social et le monde judiciaire, de façon à prendre en compte les difficultés de chacun et à trouver une solution. Ce type de dispositif mérite d’être évalué et amélioré, dans le respect des prérogatives des uns et des autres, sans occulter les nécessaires répercussions financières.
S'agissant des mineurs étrangers isolés, sujet auquel Isabelle Debré a consacré un rapport intéressant, il faudra bien prendre des décisions, quelle que soit l’issue des prochaines élections. Il importe de trouver des solutions adéquates, et nous nous y emploierons !
Les présidents de conseils généraux sont prêts à assumer leurs responsabilités ; cependant, en matière de prise en charge des mineurs étrangers isolés, il conviendra de trouver une solution, en tout cas sur le plan financier, et nous y parviendrons si nous nous comprenons mutuellement. Je rappelle que la prise en charge d’un mineur coûte 50 000 euros par an. Si nous devions assumer les difficultés rencontrées par les mineurs étrangers sur notre territoire, ce serait au détriment de nos propres ressortissants.
Nous devons trouver, sur cette question, une solution novatrice. Le Fonds national de financement de la protection de l’enfance a été mentionné. À titre d’exemple, le département de la Marne a perçu seulement 100 000 euros pour plus de 16 000 mineurs et consacre au total 53 millions d’euros à la protection de l’enfance et de la famille.
Nous avons des propositions à formuler dans ce domaine, que nous soumettrons au Gouvernement dans un esprit constructif.
En ce qui concerne le secret partagé, le partage de l’information, qui est déterminant, il nous faudra trouver des règles déontologiques sur le plan social, comme il en existe sur le plan médical.
M. René-Paul Savary. Signaler n’est pas dénoncer : ce dispositif, rappelons-le, permet régulièrement de sauver des enfants. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.)
Nous devrons également chercher des solutions, qui pourraient être partagées, en ce qui concerne les allocations familiales, en particulier l’allocation de rentrée scolaire. L’ARS continue en effet d’être versée aux familles dont les enfants sont confiés par le juge au département pour être placés. Dans ce cas, nous proposons que l’ARS soit perçue par le département pour qu’il la mette à la disposition de l’enfant, sauf avis contraire du juge prévoyant de la confier à la famille. Nous souhaitons inverser le dispositif. Nous devons être à même de revoir les dispositifs de la loi de 2007 et de trouver ensemble les solutions qui conviennent.
Quoi qu’il en soit, nous n’en sommes pas là ! Pour l’heure, nous soutiendrons la proposition de loi qui nous est soumise pour permettre une mise en œuvre rapide de ses dispositions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, régulièrement, des drames concernant des enfants maltraités défraient la chronique. Extrêmement douloureux, ils ne sont hélas que la partie émergée de l’iceberg.
Chaque année, environ 300 000 enfants sont pris en charge au titre de la protection de l’enfance, prise en charge qui se répartit à égalité entre les mesures éducatives, prodiguées en milieu ouvert ou directement au domicile de l’enfant, et les mesures de retrait de l’enfant de son milieu familial.
Pour éviter les drames à venir, l’enjeu est donc bien d’identifier tous les enfants en danger afin de leur proposer, ainsi qu’à leurs parents, une aide adaptée – c'est-à-dire, selon la loi, les mineurs non émancipés dont « la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger » ou dont « les conditions d’éducation ou de développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ».
En ce sens, la loi du 5 mars 2007 constitue un net progrès, mes collègues l’ont rappelé, en visant un triple objectif d’amélioration de la prévention, de repérage des enfants en danger et d’intervention en leur faveur.
La notion d’enfant en danger a été substituée à celle d’enfant maltraité, afin de tenir compte de toute la palette des situations pouvant, physiquement ou moralement, mettre en danger les mineurs.
La procédure de signalement des enfants en danger a été clarifiée, ainsi que les rôles respectifs de la protection administrative et de la protection judiciaire.
Un cadre légal a été fixé au partage d’information entre les professionnels soumis au secret professionnel de différents services participant aux missions de protection de l’enfance, pratique qui, bien que tolérée par l’autorité judiciaire, était auparavant interdite en droit et donc susceptible d’être poursuivie pénalement par les parents.
Enfin, pour pallier le partage insuffisant des informations, celles qui sont préoccupantes sur les mineurs sont désormais centralisées et traitées par les présidents des conseils généraux, qui sont donc devenus la clef de voûte de la protection de l’enfance. C’est aujourd’hui sur leurs épaules que repose « le recueil, le traitement et l’évaluation des informations préoccupantes », même si les représentants de l’État et l’autorité judiciaire leur apportent bien sûr leur concours.
Malgré toutes ces avancées, des lacunes demeuraient après 2007. La proposition de loi relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations qui est soumise aujourd’hui au Sénat n’en traite qu’une, mais qui est importante.
La prise en charge d’enfants en danger ou le travail d’évaluation concernant des enfants suspectés de l’être sont parfois interrompus par un déménagement, une séparation, une mutation professionnelle, ou même parfois une volonté de se soustraire à l’autorité.
Un vide juridique existe alors, puisqu’aucun dispositif ne prévoit pour l’instant de transmission d’informations entre départements lorsqu’une famille déménage, même dans le cas où celle-ci informe le département d’origine de sa nouvelle adresse.
C’est ce vide juridique qu’il s’agit ici de combler, en fixant un cadre légal à la transmission entre départements des informations relatives aux enfants en danger.
Le président du conseil général peut désormais transmettre les informations et les dossiers concernant les enfants en danger – ou risquant de l’être – à son homologue du département d’accueil. En outre, dans les cas où la famille n’a pas laissé de nouvelle adresse, il peut demander communication de celle-ci aux organismes sociaux.
Cette mesure technique allant clairement dans le bon sens, les membres du groupe écologiste appellent bien évidemment à voter pour ce texte, dans une version conforme à celle qu’a adoptée l’Assemblée nationale, afin que les dispositions prévues entrent en vigueur au plus vite.
Mes chers collègues, permettez-moi néanmoins de formuler quelques remarques.
Tout d’abord, je le souligne à mon tour, les conditions dans lesquelles il nous est aujourd’hui donné d’examiner ce texte ne sont pas satisfaisantes du point de vue démocratique.
Nous constatons, en le déplorant, que la proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale le 13 janvier 2011, voilà donc plus d’un an, et que le Gouvernement nous met en quelque sorte au pied du mur en nous contraignant à l’examiner en urgence et à l’adopter sans l’amender, pressés par la fin imminente de la session parlementaire.
Ensuite, cette proposition de loi est extrêmement restrictive et ne comble qu’une des lacunes de la loi du 5 mars 2007. J’en citerai trois autres.
Premièrement, ce texte n’évoque en rien les moyens et les missions du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, le FNPE, qui manque cruellement de moyens financiers, comme nous avons pu le constater lors du débat budgétaire.
Deuxièmement, il ne comporte rien non plus en ce qui concerne la difficile venue en aide aux mineurs isolés étrangers. Or il existe une très grande inégalité de fait dans la répartition territoriale de ces mineurs, six départements accueillant la plupart des mineurs isolés étrangers, soit environ 6 000 jeunes : la Seine-Saint-Denis, Mayotte, Paris, le Nord, le Pas-de-Calais et l’Ille-et-Vilaine.
M. Claude Dilain. Très bien !
Mme Aline Archimbaud. Leur effectif suit par ailleurs une augmentation alarmante. À titre d’exemple, en Seine-Saint-Denis, leur nombre est passé de 150 en 1997 à un peu plus de 1 000 aujourd’hui.
La question de la répartition entre l’État et le département des compétences les concernant n’ayant toujours pas été tranchée, dans les faits, ces départements font face à un surcoût important – certains présidents de conseils généraux ont d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme –, mais également à une surcharge considérable, qui a des conséquences sur le fonctionnement de leurs services, car elle déstabilise l’ensemble de l’aide sociale à l’enfance. Le travail des équipes est rendu difficile. On demande à des travailleurs sociaux de mener une mission alors qu’ils ne disposent pas des outils nécessaires !
Je ferai enfin une dernière remarque sur les décrets d’application, lesquels sont source de difficultés dans le secteur de l’enfance en danger.
Le décret d’application de la loi du 6 mars 2000 visant à renforcer le rôle de l’école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants, qui devait fixer les modalités exactes d’organisation des visites médicales de détection des enfants maltraités et des séances annuelles d’information et de sensibilisation n’a toujours pas été pris. Douze ans après le vote de cette loi, la mise en œuvre de solutions préventives est malheureusement bloquée !
Par ailleurs, je rejoins tous ceux qui, avant moi, se sont émus de la suppression incompréhensible et inacceptable des RASED, une mesure aggravant évidemment la situation. Un certain nombre de syndicats et d’associations ont récemment lancé des appels. Il faut absolument les écouter.
Quant aux sept décrets de la loi du 5 mars 2007, ils n’ont pas encore été publiés. Les circonvolutions auxquelles a donné lieu la publication du décret sur la remontée de données par les départements à l’Observatoire national de l’enfance en danger posent un sérieux problème : à ce jour, et depuis 2006, nous ne disposons pas de données fiables sur les populations prises en charge par les conseils généraux. Il faut absolument rattraper ce retard ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Claude Dilain. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte sur une action très précise de la protection de l’enfance : le suivi dans leur famille, après un signalement social ou judiciaire, des enfants considérés comme étant en danger. Cette mesure, bien qu’elle ne règle qu’un problème ponctuel, n’en était pas moins attendue.
La proposition de loi permettra en effet de donner un outil supplémentaire et très précieux aux présidents de conseils généraux, qui en ont bien besoin pour remplir la lourde mission qui leur est confiée. Comme l’a très bien expliqué notre collègue et rapporteur Muguette Dini, ce texte comble un vide juridique qui posait problème.
Aujourd’hui, lorsqu’une famille bénéficiaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance quitte un département pour un autre, les informations la concernant ne sont pas transmises au-delà de la frontière administrative du département, ce qui entraîne une rupture dans la prise en charge de l’enfant ou dans l’évaluation de sa situation. Aucune coordination interdépartementale n’est organisée à l’échelon national. En tant que président du conseil général de la Haute-Loire, j’ai, comme tous mes collègues gérant un département, été confronté à ce problème.
Pour y faire face, certains départements, dont celui dont j’ai la responsabilité, ont mis en place le système d’alerte qui a déjà été évoqué, celui des signalements nationaux. Toutefois, cette mesure n’ayant pas été prise dans tous les départements, elle ne peut bien évidemment avoir qu’une efficacité limitée.
La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise apporte une réponse pertinente au problème posé.
Je ne reviendrai pas sur le détail du dispositif proposé, car il a déjà été suffisamment rappelé, mais vous me permettrez de formuler un regret, une interrogation et une louange.
Je commencerai par énoncer un regret, madame la secrétaire d’État.
Dans le cas où une famille bénéficiaire de la prestation d’aide sociale à l’enfance, ou faisant l’objet d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance, a informé le département d’origine de sa nouvelle adresse, le texte prévoit que le président du conseil général du département d’origine devra la transmettre à son homologue du département d’accueil. Or une telle disposition était déjà prévue dans la loi de 2007 !
Cinq ans après la promulgation de cette loi, le décret d’application n’a toujours pas été publié. Cela n’est évidemment ni normal ni satisfaisant, comme l’ont déjà fait observer certains de mes collègues. Vous avez toutefois pris l’engagement, madame la secrétaire d’État, que ce décret serait publié au mois de mars. Je ne peux que m’en réjouir. Mieux vaut tard que jamais !
J’en viens maintenant à mon interrogation : si nous adoptons le présent texte aujourd’hui, n’y aura-t-il pas redondance ou doublon ? Autrement dit, à quoi servira ce décret si cette proposition de loi est adoptée, et réciproquement ?
En outre, cette situation ne pose-t-elle pas un problème constitutionnel ? En effet, en vertu des articles 34 et 37 de la Constitution, une même mesure ne peut être à la fois de nature réglementaire et législative. Éclairez-moi, madame la secrétaire d’État, car, en tant que nouveau sénateur, j’avoue être un peu perdu !
Enfin, mes louanges iront au dispositif prévu dans le cas où les familles concernées déménagent sans laisser d’adresse. Ce mécanisme est double : il prévoit, d’une part, l’information immédiate de l’autorité judiciaire, et, d’autre part, la recherche et la transmission de la nouvelle adresse au département d’accueil via les organismes sociaux. Il est de nature à apporter une solution efficace et concrète au problème.
En résumé, parce qu’il corrige une lacune reconnue par tous de la loi du 5 mars 2007, il est bien naturel que ce texte ait été adopté conforme et à l’unanimité en commission des affaires sociales. J’espère que tel sera également le cas aujourd'hui en séance.
Toutefois, comme je l’ai dit au début de mon intervention, ce dispositif ne règle qu’un problème ponctuel.
Le champ d’application de la loi du 5 mars 2007 est bien plus vaste et il reste très mal défini sur bien des points, les décrets d’application n’ayant toujours pas été publiés.
Les moyens manquent pour la protection de l’enfance, d’autant que le système a été perverti – c’est de nouveau le président du conseil général qui parle à présent. L’État ne prenant plus en charge les jeunes majeurs, les départements ont dû s’y substituer, ce qui a compromis tous leurs efforts d’organisation et leurs efforts financiers en faveur de l’aide sociale à l’enfance. L’État doit compenser au département la charge réelle que représente cette compétence, du moins pour les départements qui ont le plus de difficultés financières.
Plus globalement, cinq ans après la loi de 2007, quatre problèmes peuvent être identifiés : la prise en charge des jeunes majeurs, l’insuffisance de l’abondement du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, le financement des lieux d’accueil et de vie des jeunes, enfin, la prise en charge des mineurs étrangers isolés, ce problème étant actuellement sous les feux de l’actualité.
Il faut donc aller au-delà de la mesure ponctuelle que nous examinons aujourd’hui. Une remise à plat du système est nécessaire : il faut l’évaluer et, le cas échéant, le réformer.
Il revient à la commission pour le suivi de l’application des lois du Sénat de faire dans les plus brefs délais un point très précis sur l’application de la loi de 2007.
En outre, je me rallie à la proposition de Muguette Dini, notre rapporteur, de constituer un groupe de travail sur ce sujet au sein de la commission des affaires sociales, groupe auquel reviendra éventuellement le soin de formuler des propositions d’amélioration du système.
Dans l’attente de ces travaux si importants, il ne me reste plus qu’à féliciter la commission, sa présidente, Annie David, et son rapporteur, Muguette Dini, pour l’excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, examiner cette proposition de loi aujourd’hui, c’est partir du constat que la législation existante en matière de protection de l’enfance est incomplète.
Des familles faisant l’objet de mesures éducatives ou d’enquêtes sociales consécutives à un signalement d’enfant en danger déménagent sans laisser d’adresse. Qui peut rester insensible aux drames qui se jouent en leur sein ? Personne, nous sommes bien d’accord. Dans ce domaine, nous n’avons pas droit à l’erreur.
Ce texte a pour objectif de mieux protéger les enfants dont les familles font l’objet d’une enquête sociale. Il vise à garantir la poursuite des enquêtes sociales jusqu’à leur terme.
En effet, si le suivi judiciaire des affaires les plus graves prévu par la loi ne soulève a priori pas de problème, il n’en est pas de même du suivi administratif et de l’enquête sociale au stade des premières informations préoccupantes et de la première demande d’informations, de même que dans la phase de prise en charge sociale de la famille.
À cette fin, et ceux de mes collègues qui m’ont précédé à la tribune l’ont maintes fois répété, la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise prévoit que le président du conseil général devra, en cas de déménagement, transmettre les données concernant ces enfants à son homologue du département où s’installe la famille.
Mes chers collègues, madame la rapporteur, nous soutiendrons ce texte majoritairement, voire unanimement, car la démarche qui nous est proposée ne peut qu’être approuvée. Elle favorisera en effet un meilleur suivi des enfants et permettra sans doute d’éviter des drames.
Toutefois, force est de constater que ce texte est de portée limitée. Il montre bien les décrochages de l’État dans le domaine de la protection de l’enfance.
Il m’appartient aujourd'hui de vous faire partager mon avis sur l’obligation qui sera imposée, une fois de plus, aux présidents de conseils généraux.
Lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, au mois de janvier 2011, Mme Bachelot avait elle-même avoué que de nombreux décrets d’application de la loi de 2007 étaient encore en cours de rédaction. Il en était de même pour une circulaire informative.
Finalement, quatre ans après l’adoption de la loi, le dispositif est en cours d’élaboration, mais pas vraiment construit.
Mme Martinez, la députée qui est à l’origine de ce texte, ne voyant pas venir le décret d’application, a souhaité faire adopter cette mesure par voie législative. Le texte qui nous est aujourd'hui soumis vise donc à mettre en œuvre l’un des chaînons manquants de la loi, même si un dispositif d’ordre réglementaire aurait été suffisant. L’objectif était de gagner du temps, mais il n’a pas été atteint, puisque le Sénat n’examine ce texte qu’aujourd'hui, soit plus d’un an après l’Assemblée nationale.
Il semblerait que Mme Bachelot n’ait pas les mêmes priorités que tout le monde, à moins qu’elle ait une conception différente de la nôtre de ce qu’est une priorité…
J’en veux pour preuve la loi du 6 mars 2000 visant à renforcer le rôle de l’école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants. Nous attendons toujours son décret d’application devant fixer les modalités exactes d’organisation des visites médicales de détection des enfants maltraités et des séances annuelles d’information et de sensibilisation.
Il est certain que le dispositif actuel mérite d’être évalué et amélioré, comme l’a déjà indiqué notre collègue Michelle Meunier. Nous ne manquerons pas de nous atteler à cette tâche.
J’évoquerai maintenant le dispositif qui nous est proposé. Pour qu’il soit efficace, il faut en définir précisément les contours et dégager les moyens nécessaires à son bon fonctionnement.
L’ambiguïté de ce texte réside non pas dans son contenu, mais plutôt dans ses oublis, directement liés au désengagement global de l’État des politiques de protection de l’enfance et de la jeunesse. Tous les orateurs, quelle que soit leur appartenance politique, l’ont souligné.
La procédure, madame la secrétaire d’État, aurait mérité d’être perfectionnée au moins sur trois points.
Premièrement, il eût fallu mieux définir le cadre légal du secret professionnel partagé.
Deuxièmement, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner en commission, je souhaite attirer votre attention sur les problèmes que posent les départements transfrontaliers.
Ainsi, à Hendaye, dans les Pyrénées-Atlantiques, département dont je préside le conseil général, la moitié des enfants scolarisés sont des Espagnols qui viennent de Saint-Sébastien ou de la frontière plus proche. Si cette mixité est enrichissante, comment assurer la transmission des informations dans les départements transfrontaliers ? Comment appliquer ce texte, madame la secrétaire d’État, dans des territoires comme le mien ?
Troisièmement, il faut définir les responsabilités de chacun, à commencer par celles du président du conseil général et celles des organismes de sécurité sociale qui seront saisis. Savons-nous bien jusqu’où iront ces responsabilités en cas de dysfonctionnement ? Qui, dans les services départementaux, sera chargé d’assurer le suivi des enfants ? Quels moyens seront dégagés pour accomplir ces tâches nouvelles ?
Martine Pinville, députée de Charente, a proposé d’établir une grille déterminant les informations à communiquer en fonction du signalement. Elle a également proposé de distinguer les situations d’accompagnement acceptées par les familles de celles dans lesquelles les familles ne participent pas. Je regrette que sa proposition n’ait pas trouvé d’écho.
Je ne prolongerai pas mon intervention, monsieur le président, le temps qui m’est imparti étant écoulé. Chacun a pu exprimer son point de vue sur les relations de plus en plus complexes entre l’État et les conseils généraux.
Pour terminer, il convient de faire preuve de volonté, afin de concilier impératif déontologique et nécessité du travail social. Je recommanderai aussi, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, d’engager le débat sur la question du partage des informations confidentielles dans le secteur social et médicosocial.
Je ne saurais achever mon propos sans évoquer la très forte inquiétude des départements transfrontaliers. Pardonnez-moi d’insister sur ce point, mais ils existent, mes chers collègues ! Les conseils généraux doivent supporter des charges de plus en plus lourdes, dues notamment à l’accueil des enfants mineurs étrangers et de leur famille. Les départements transfrontaliers sont encore plus sensibles que les autres à ces mutations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Claude Greff, secrétaire d'État. Nous venons d’entendre une discussion générale fort intéressante, portant sur une proposition de loi elle-même remarquable. Je salue d’ailleurs son auteur, Mme Martinez, présente dans les tribunes de ce bel hémicycle.
Cette proposition de loi est importante, comme en témoignent les nombreuses questions que les différents intervenants ont été amenés à me poser.
Madame la rapporteur, vous avez évoqué le décret relatif à la transmission des informations entre conseils généraux, tout comme d’autres orateurs, d’ailleurs. Sachez qu’il était en préparation quand la loi Martinez fut discutée à l’Assemblée nationale, en janvier 2011.
Mme Michelle Meunier. Comme par hasard !
Mme Claude Greff, secrétaire d'État. Nous avons voulu travailler sur deux scenarios différents. Une première version de ce décret prenait en compte les conditions en vigueur avant que la loi Martinez ne soit présentée. Une seconde prenait en considération l’état du droit prévalant après son adoption au Sénat, qui change, évidemment, les modalités d’action en la matière.
En tout état de cause, je vous l’ai déjà indiqué, ce décret sera publié au cours du premier trimestre 2012, probablement en mars prochain.
J’en viens à la question de Mme Meunier, portant sur l’évaluation de la loi de 2007. Établi en coopération avec l’ensemble des acteurs concernés, un bilan, je le rappelle, est réalisé annuellement, dans le cadre du comité de suivi de la réforme. Je tiens aussi à vous préciser, madame la sénatrice, que, contrairement à ce que vous avez affirmé, tous les décrets prévus par la loi de 2007 ont été publiés à la fin de l’année 2011. En effet, le décret portant sur la transmission des informations n’est pas un texte d’application de la réforme de 2007.
Je voudrais aussi vous rappeler que le décret relatif à la définition de l’information préoccupante, sujet abordé à de très nombreuses reprises, n’a pas d’objet. En effet, cette définition n’a pas à donner lieu à un texte réglementaire, car elle est déjà rappelée dans les guides sur l’action des cellules départementales de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes.
Madame Pasquet, monsieur Mézard, vous avez évoqué, avec d’autres, le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, ou FNPE. Il a été créé pour compenser les nouvelles charges induites par la réforme de 2007, comme la mise en place des cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. Il a, pour ce faire, été abondé à hauteur de 40 millions d’euros.
Je précise que les mineurs étrangers isolés ne font pas partie du dispositif. Beaucoup d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont indiqué que nous devions nous emparer de ce thème. Ils ont raison. C’est pourquoi nous avons mis en place un groupe de travail sur ce sujet.
L’encadrement du partage d’information entre professionnels est déterminé par la loi de 2007. Des protocoles ont été conçus lors de la mise en place des cellules de recueil et de traitement des informations préoccupantes. Voilà ce que je voulais vous dire sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.
Monsieur Savary, dans votre remarquable intervention, vous avez souligné que le dispositif fonctionnait bien dans le département dont vous présidez le conseil général. Je ne peux que vous en féliciter. Pour autant, nous avons vu que tel n’était pas le cas sur tout le territoire français, loin s’en faut. Notre action doit donc s’attacher à favoriser une répartition géographique harmonieuse du dispositif. C’est aussi l’objet de la proposition de loi présentée par Mme Martinez.
Je partage votre inquiétude sur les mineurs étrangers isolés. Ce sujet nous préoccupe grandement. Comme je l’ai rappelé, un groupe de travail interministériel a été mis en place. Il associe les principaux conseils généraux concernés par les mineurs étrangers isolés, ainsi que l’Assemblée des départements de France, l’ADF. Il travaille à l’élaboration de solutions concrètes visant à résoudre les problèmes liés à la répartition des mineurs entre les différents conseils généraux, ou encore au financement de ces derniers. Bref, il étudie tous les sujets que vous avez abordés, monsieur Savary.
Monsieur Roche, le décret relatif à la transmission des informations préoccupantes entre conseils généraux était en préparation quand cette loi a été présentée par Mme Martinez. Je crois avoir déjà couvert le champ de vos questions à travers mes précédentes réponses.
Je tiens sincèrement à saluer votre travail, mesdames, messieurs les sénateurs. J’ai bien senti la volonté des différents orateurs, qui est aussi celle de tous les membres de cette assemblée, d’améliorer la situation encore plus que le présent texte ne le permet. Je ne puis, d’ailleurs, que partager votre sentiment sur ce point.
Toutefois, je salue la détermination du Sénat, ainsi que celle de l’Assemblée nationale, à apporter enfin une solution pratique et pragmatique, dans le seul intérêt des enfants. En permettant la transmission des informations entre les différents conseils généraux, notre action contribuera à faire en sorte que la protection des enfants soit effective. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique du texte de la commission.
Article unique
(Non modifié)
Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’article L. 221-3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 221-3. – Lorsqu’une famille bénéficiaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance, hors aide financière, ou d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance change de département à l’occasion d’un changement de domicile, le président du conseil général du département d’origine en informe le président du conseil général du département d’accueil et lui transmet, pour l’accomplissement de ses missions, les informations relatives au mineur et à la famille concernés.
« Il en va de même lorsque la famille est concernée par une information préoccupante en cours de traitement ou d’évaluation.
« Les modalités de cette transmission d’informations sont définies par décret en Conseil d’État, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. » ;
2° Après l’article L. 226-3-1, il est inséré un article L. 226-3-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 226-3-2. – Dans le cas où la procédure de transmission d’informations prévue à l’article L. 221-3 est rendue impossible par l’absence d’information sur la nouvelle adresse de la famille et si l’interruption de l’évaluation ou du traitement de l’information préoccupante, de la prestation d’aide sociale à l’enfance ou de la mesure judiciaire de protection de l’enfance met en danger le mineur concerné, le président du conseil général du département d’origine avise sans délai l’autorité judiciaire de la situation en application de l’article L. 226-4.
« Le président du conseil général du département d’origine peut également, pour ses missions de protection de l’enfance, saisir la caisse primaire d’assurance maladie et la caisse d’allocations familiales compétentes, qui lui communiquent la nouvelle adresse de la famille dans un délai de dix jours à compter de la réception de la demande et dans le respect des dispositions relatives au secret professionnel. À cette fin, la caisse primaire d’assurance maladie peut accéder aux informations contenues dans le répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie visé à l’article L. 161-32 du code de la sécurité sociale.
« Le président du conseil général du département d’origine communique sans délai au président du conseil général du département d’accueil l’adresse de la famille et lui transmet les informations relatives à cette famille et au mineur concerné en application de l’article L. 221-3 du présent code. »
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Mézard et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, ou lorsqu'une information préoccupante est recueillie après le départ de la famille
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un amendement d’appel, mais nous souhaitons que cet appel soit entendu !
Dans un certain nombre de cas, les informations préoccupantes sont recueillies après le départ de la famille, alors que celle-ci n’a laissé aucune indication quant à sa destination.
Pour tout vous dire, c’est une préoccupation que nous partageons avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la MIVILUDES, et qui porte sur des cas tout à fait évidents et précis.
Cet amendement vise à étendre le champ de compétences du président du conseil général du département d’origine aux situations où le recueil d’informations préoccupantes intervient plusieurs semaines ou plusieurs mois après que la famille a changé de département.
Cette mesure apporterait une réponse pratique aux situations familiales conflictuelles ou, surtout, aux situations de dérives sectaires, qui se traduisent, dans les faits, par un brusque départ de la famille et par une rupture soudaine des relations avec les autres membres de celle-ci.
Nous pourrions ainsi garantir, conformément à l’article 371-4 du code civil, le droit des enfants et de leurs ascendants à entretenir des relations personnelles, dans toutes les situations où les informations préoccupantes ne peuvent pas être traitées en raison de l’absence de localisation géographique de la famille.
En effet, dans ces cas-là, ce droit est souvent bafoué, notamment lorsque les titulaires de l’autorité parentale sont victimes d’une dérive sectaire, ce qui entraîne généralement une rupture avec l’environnement d’origine et un rejet du monde extérieur. Faute de pouvoir localiser leurs enfants et petits-enfants, les grands-parents, par exemple, n’ont actuellement pas la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales territorialement compétent. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muguette Dini, rapporteur. M. Mézard a bien précisé qu’il s’agissait d’un amendement d’appel. Si nous comprenons le souci qui motive cette disposition, il ne nous semble pas opportun de l’introduire au sein du présent texte.
En outre, je ne suis pas absolument certaine, mon cher collègue, que le dispositif que vous proposez réponde tout à fait à la question posée ; par définition, les familles qui connaissent des dérives sectaires ne se manifestent pas auprès des organismes d’allocations familiales ou de sécurité sociale. Sa mise en œuvre me semble donc, pour l’instant, extrêmement compliquée.
Par ailleurs, vous le savez, nous souhaitons que la présente proposition de loi soit adoptée conforme, afin qu’elle puisse s’appliquer le plus rapidement possible.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Claude Greff, secrétaire d'État. J’entends votre argument, monsieur le sénateur. Il est vrai que des questions se posent en la matière.
Cependant, la transmission que cet amendement tend à instituer est, de fait, réalisée, puisque le rôle de la cellule départementale, tel qu’il a été défini dans le code de l’action sociale et des familles, est justement de recueillir à tout moment, quelle qu’en soit l’origine, les informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, et de veiller au traitement de leur dossier.
Naturellement, dès lors que l’information préoccupante concerne une famille qui n’est pas du ressort de la cellule départementale, le responsable de cette dernière transmet cette information, s’il connaît l’adresse de la famille, à la cellule du département concerné. La précision apportée par l’amendement que vous avez présenté, monsieur le sénateur, n’est donc plus nécessaire.
La présente proposition de loi permet la transmission des informations, même après le départ de la famille. Ainsi, votre amendement me semble satisfait.
Je rejoins donc la position de la commission : monsieur le sénateur, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, faute de quoi j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Ce débat permet de vérifier le consensus dont fait l’objet la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, un texte porté par tous les professionnels du secteur de la protection de l’enfance et adopté sans la moindre opposition.
Au demeurant, et je le dis sans malice, cela prouve que l’on peut légiférer de manière sérieuse, utile et unanime jusqu’au mois de mars même lorsqu’il y a une élection présidentielle en mai ! (Mme la secrétaire d’État acquiesce.)
M. Georges Labazée. Cela dépend !
M. Jean-Claude Gaudin. Il n'y a pas toujours unanimité…
M. Philippe Bas. Cependant, je partage un certain nombre des regrets qui ont été exprimés au cours de la discussion générale, en particulier en ce qui concerne le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, dont la création répondait à une exigence portée avec force par le Sénat : permettre la compensation intégrale pour les départements des charges nouvelles liées à l’effort de prévention de la maltraitance imposé par la loi du 5 mars 2007. J’espère que nous trouverons dans les mois à venir les moyens de doter convenablement ce fonds.
À cet égard, je salue l’initiative et l’action de Mme Martinez, qui s’inscrivent dans la continuité de son engagement au service de la réforme depuis 2007.
Cette proposition de loi est nécessaire. Je ne voudrais donc pas que la Haute Assemblée prenne le risque d’en retarder l’adoption en retenant une disposition qui peut certes paraître utile, mais dont l’introduction dans le texte aurait pour effet d’empêcher un vote conforme avec l’Assemblée nationale.
M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, je m’attendais à ce que notre collègue Philippe Bas nous fournisse quelques explications complémentaires. Je constate que cela n’a pas été le cas !
Contrairement à ce qu’affirme Mme la secrétaire d’État, mon amendement n’est pas satisfait. Il y a bien un problème. Ce que nous demandons, c’est une modification de l’alinéa 4 pour étendre le champ de compétence du président du conseil général aux situations où le recueil d’informations préoccupantes intervient plusieurs semaines ou plusieurs mois après que la famille a changé de département. C’est une question importante, et nous n’avons obtenu aucune réponse.
Peut-être aurait-il été intéressant d’inscrire une telle disposition dans un texte de simplification du droit… (Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.) Mais trêve de plaisanterie : je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.
Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de loi.
Je rappelle que ce vote vaudra pour l’ensemble de la proposition de loi.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, je salue la présence dans nos tribunes de Mme Henriette Martinez, venue assister à l’adoption définitive par la Haute Assemblée de la proposition de loi qu’elle a déposée.
4
Demande de procédure simplifiée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. Au cours de sa réunion de ce jour, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a demandé que le projet de loi autorisant l’approbation des amendements à l’accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement soit examiné selon la procédure simplifiée, le mardi 28 février prochain.
Le délai pour revenir, le cas échéant, à la procédure normale pourrait être fixé au vendredi 24 février à dix-sept heures.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
5
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 22 février 2012, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2012-239 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Loi de finances rectificative pour 2012
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2012 (projet n° 389, rapport n° 390, avis n° 398).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme la ministre du budget nous rejoindra dans quelques instants. J’ai donc l’honneur d’ouvrir la discussion sur ce projet de loi de finances rectificative.
Ce texte témoigne de la grande réactivité dont le Gouvernement fait preuve dans un contexte international encore difficile et incertain. Il aborde plusieurs enjeux qui sont déterminants pour l’avenir de la France comme pour celui de la zone euro.
Je pense à la compétitivité et à la nécessité de poursuivre à ce titre notre programme de réformes.
Je pense au soutien apporté à la Grèce et au Mécanisme européen de stabilité que nous mettons en place pour écarter durablement tout risque pesant sur les dettes souveraines des États membres.
Je pense, enfin, au projet de taxe sur les transactions financières, qui est aujourd’hui un dispositif national, mais qui fera bientôt partie des principes reconnus et défendus par l’ensemble des pays de la zone euro.
Avant de détailler ce projet, je souhaite revenir sur les dernières avancées en matière de soutien apporté à la Grèce. Nous avons négocié pendant près de quatorze heures, entre lundi après-midi et mardi matin, afin d’aboutir à un accord qui permet, me semble-t-il, de répartir équitablement le fardeau entre le public et le privé, entre la solidarité européenne et les efforts proposés par le gouvernement grec.
Ces éléments de solidarité, au même titre que les solutions que nous apportons dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité, le MES, sont des preuves tangibles de notre engagement résolu en faveur de l’Europe. D’autres se satisfont d’une abstention qui ne sera et ne pourra jamais être dynamique.
Il faut d'ailleurs une certaine dose d’aveuglement ou de duplicité pour justifier un comportement aussi irresponsable par le manque d’engagement européen en faveur de la croissance. Il faut rétablir la vérité : sans l’aide apportée aujourd’hui par le Fonds européen de stabilité financière et demain par le Mécanisme européen de solidarité, la Grèce va au-devant de grandes difficultés.
Si l’on affirme vouloir aider la Grèce, si l’on compatit bruyamment aux difficultés économiques et sociales qu’elle traverse, il faut aussi s’engager en faveur de la solidarité qui, dans sa traduction administrative et budgétaire, prend la forme du fonds européen, dans un premier temps, et du Mécanisme européen de stabilité, dans un second temps. On ne peut pas tenir un double langage, d’un côté dire : « Aidons les Grecs », et, de l’autre, choisir de les laisser tomber en s’abstenant sur l’essentiel, à savoir sur le vote du Mécanisme européen de stabilité.
Comment peut-on parler du « choix de l’austérité » quand les États membres de la zone euro et le Fonds monétaire international vont mobiliser, comme les ministres des finances de la zone euro l’ont décidé, près de 130 milliards d’euros supplémentaires pour accompagner la Grèce dans son redressement ?
Dois-je aussi rappeler que le Conseil européen du 30 janvier dernier, sous l’impulsion du Président de la République et de la chancelière allemande, était consacré en priorité à la croissance et à l’emploi ? Quand j’entends dire que l’abstention vise à adresser un message en faveur d’un nouveau projet portant sur la croissance, je me dis que c’est soit de la duplicité, soit de l’ignorance, puisque l’élément constitutif de l’accord du 30 janvier dernier est, justement, la solidarité, la discipline budgétaire, mais aussi la croissance.
Tout est lié, il s’agit d’un paquet global ; c’est l’ensemble du dispositif qu’il faut naturellement valider et accompagner. Je regrette donc vraiment l’abstention des socialistes sur le MES à l’Assemblée nationale.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est une attitude très surprenante !
M. François Baroin, ministre. Et je ne doute pas, même si je m’efforcerai d’être convaincant, qu’il y aura un parallélisme des formes ici, au Sénat. C’est dommage, car il s'agit d’un texte qui engage la France et l’avenir de l’Europe. Je note, à ce titre, que les autres partis d’opposition européens font, eux, le choix du courage et de la responsabilité.
Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, je le dis sans esprit partisan : pas un représentant socialiste dans un pays membre de la zone euro ne rejette le message de la consolidation budgétaire, de la réduction des déficits et des mesures d’économies. Ce n’est pas être de droite ou de gauche que de faire des économies : c’est la lucidité, c’est le courage, c’est le sens de l’État ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland du Luart. C’est la solidarité !
M. François Baroin, ministre. Même les socialistes espagnols ont voté la règle d’or, comme la droite qui était dans l’opposition à l’époque. Nous devrions être animés du même esprit. L’approche de la campagne électorale ne doit pas faire perdre à la représentation nationale le sens des responsabilités. Ce vote contribuera à sauver la Grèce, à éviter la contagion, à garantir la solidité et l’unité de la zone euro et à créer les conditions d’un rebond de croissance.
Il en ira de même lors du Conseil européen du 2 mars prochain, au cours duquel la France et l’Allemagne feront des propositions.
Revenons à notre action en faveur de la Grèce, qui remplit désormais toutes les conditions requises pour le lancement du programme de soutien. Le parlement grec a adopté l’accord agréé avec la troïka – Commission européenne, Banque centrale européenne, Fond monétaire international – le 12 février dernier.
Par ailleurs, les réformes permettant la modernisation du marché du travail sont déjà engagées ; d’autres les suivront dans les prochaines semaines. Le Premier ministre grec, M. Papademos, a pris des engagements sur ce point lundi soir. Ces réformes visent à restaurer la soutenabilité des finances publiques grecques et la compétitivité de l’économie grecque, gage d’une croissance soutenable. Le 15 février dernier, les partis de la coalition au pouvoir, le Pasok et la Nouvelle Démocratie, se sont engagés par écrit à soutenir et à mettre en œuvre les réformes requises par le second programme.
En contrepartie de ces efforts significatifs et après plus de treize heures de négociations, nous sommes parvenus à un accord d’envergure sur un plan de sauvetage de la Grèce, dont je rappellerai rapidement les principaux paramètres.
En premier lieu, les États membres de la zone euro et le FMI apporteront 130 milliards d’euros de prêts – et non de subventions – d’ici à 2014, en plus du précédent programme de 110 milliards d’euros. Ces prêts seront rémunérés aux conditions de marché. Les États créanciers ont accepté de réduire les taux d’intérêt servis par la Grèce sur les prêts bilatéraux antérieurs, et ce de manière rétroactive. Le FMI décidera, au cours de la deuxième semaine de mars, du montant définitif de sa participation à ce prêt.
En ce qui concerne la participation du secteur privé, la Grèce lancera dans les prochains jours l’offre d’échange de sa dette souveraine. Cette offre implique une décote de la valeur nominale de la créance, qui représente une annulation de dette de plus de 100 milliards d’euros. Les taux d’intérêt sur la nouvelle dette seront plus faibles que ceux de la dette ancienne : cela correspond à un effort significatif de la part des créanciers privés. Je précise que cet effort est consenti sur la base du volontariat, ce qui permet d’éviter un défaut de la Grèce et, par voie de conséquence, le déclenchement des contrats d’assurance sur les titres souverains, les fameux CDS.
En deuxième lieu, la Banque centrale européenne, la BCE, et les banques centrales nationales ont pris des décisions fortes, dans le plein respect de leur mandat.
La BCE et les banques centrales nationales restitueront les plus-values réalisées sur les titres grecs dans le cadre du programme d’achat sur le marché secondaire ou dans le cadre des opérations de portefeuille. Ces deux contributions s’ajoutent aux interventions conduites par la BCE au profit du refinancement bancaire.
En troisième lieu, la mise en œuvre des engagements pris par la Grèce fera l’objet d’un suivi régulier et renforcé. Certains ont abusivement parlé de tutelle ; il s’agit en réalité du renforcement du dispositif de contrôle et de la fréquence des visites des experts de la troïka, ainsi que du maintien de leur intervention, sous forme de conseils, afin d’accompagner le Gouvernement grec dans la mise en œuvre des réformes qu’il s’est engagé à mener.
Enfin, les autorités grecques modifieront leur Constitution d’ici à 2013, pour faire du paiement des intérêts et du remboursement de la dette souveraine une dépense prioritaire.
Ce plan de sauvetage permettra à la Grèce de restaurer la soutenabilité de ses finances publiques et la compétitivité de son économie.
La prochaine étape est désormais celle du renforcement des pare-feu européens : tel est l’objet de l’article du projet de loi de finances rectificative portant sur le Mécanisme européen de stabilité.
Je voudrais maintenant rappeler brièvement le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit ce collectif budgétaire.
En France, l’activité a rebondi au troisième trimestre 2011, mais son ralentissement s’est poursuivi dans la zone euro, où le taux de croissance s’est établi à seulement 0,1 %.
Ce ralentissement s’est confirmé au quatrième trimestre, et le PIB de nombreux pays de la zone s’est contracté. En France, en revanche, la croissance a bien résisté : elle s’est établie à 0,2 %. Sur l’ensemble de l’année 2011, la croissance du PIB est donc de 1,7 % dans notre pays, chiffre conforme à la prévision du Gouvernement.
Que n’avions-nous entendu à ce propos lors de la discussion du projet de budget pour 2012 ! On nous disait que c’était un objectif inatteignable, compte tenu du contexte mondial, du ralentissement de l’économie américaine… Les mêmes « encouragements » nous avaient été prodigués à propos des perspectives de réduction du déficit public. On nous avait affirmé que nous ne pourrions jamais ramener celui-ci de 7 % à 5,7 % ; or nous ferons mieux encore !
Cela signifie que, sur les deux points essentiels, sur les deux éléments constitutifs de la matrice de la construction budgétaire, à savoir la perspective de croissance et la réduction du déficit public, nous avons atteint ou dépassé nos objectifs, contre les prévisions des observateurs et à rebours de l’ensemble de la zone euro, puisque la France est le seul pays à avoir enregistré de la croissance au dernier trimestre de 2011. Je veux insister sur ce point, car cela renforce les arguments que nous développons à l’appui de ce collectif budgétaire. (M. René-Paul Savary applaudit.)
Reconnaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, que la stratégie adoptée par le Gouvernement dans cette conjoncture particulièrement difficile est la bonne et qu’elle a porté ses fruits. Elle a respecté un parfait équilibre entre la consolidation des finances publiques et la préservation de notre croissance.
Pour autant, nous tenons compte naturellement de l’environnement, et le Gouvernement fait preuve de la plus grande prudence.
Ainsi, nous avons retenu, pour 2012, une prévision de croissance de 0,5 %, qui reflète les incertitudes pesant encore sur l’activité mondiale. Je ne doute pas que l’accord intervenu lundi soir contribuera puissamment, dans la durée, à restaurer la confiance des investisseurs en la stabilité de la zone euro.
Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que les résultats du dernier trimestre nous donnent déjà un acquis de croissance, pour cette année 2012, de 0,3 %.
Certains indicateurs signalent une évolution plus favorable de l’activité en début d’année. Ainsi, les dernières enquêtes de conjoncture ont cessé de manifester une détérioration. En outre, le financement de l’économie demeure globalement satisfaisant, et le Gouvernement veille à ce que la consolidation des fonds propres des banques françaises ne pèse pas sur le marché du crédit.
Nous restons extrêmement vigilants sur le niveau de crédit aux ménages et aux entreprises françaises. À la fin de décembre, l’encours de crédit à l’économie française était en hausse de 5,3 % sur les douze derniers mois, contre 1,3 % sur la même période pour l’ensemble de la zone euro.
En ce qui concerne le crédit aux collectivités locales, sujet qui vous préoccupe légitimement, afin d’éviter tout risque de détérioration de l’accès au financement, nous avons décidé de mettre en place une enveloppe exceptionnelle de 5 milliards d’euros à partir des fonds d’épargne, dont 2 milliards d’euros seront disponibles dans les tout prochains jours.
Cette enveloppe s’ajoute aux 5 milliards d’euros que le Gouvernement avait déjà débloqués à la fin de l’année dernière. Elle permet d’organiser la période de transition avant la finalisation de la mise en place de la nouvelle filiale commune de la Caisse des dépôts et consignations et de la Banque postale, issue du plan de restructuration ordonnée de Dexia. La nouvelle structure sera opérationnelle d’ici à la fin du premier semestre 2012.
Nous veillons aussi, naturellement, à ce que le secteur bancaire reste mobilisé pour financer l’ensemble des activités des collectivités locales.
Frédéric Lefebvre et moi-même avons réuni lundi dernier les principales banques françaises, la Banque de France et la Médiation du crédit. À l’issue de nos discussions, les banques se sont engagées à octroyer environ 10 milliards d’euros de crédits nouveaux aux collectivités locales en 2012, hors nouvelle enveloppe sur fonds d’épargne. Au total, entre la constitution de la joint venture de la Caisse des dépôts et de la Banque postale, l’enveloppe de 5 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros seront immédiatement disponibles, et l’engagement pris par le secteur privé d’accorder 10 milliards d’euros de crédits nouveaux, les besoins de financement des collectivités locales, qui sont estimés, pour l’exercice 2012, entre 17 milliards et 20 milliards d’euros, devraient être satisfaits sans difficulté.
Par ailleurs, comme ses partenaires, la France a pris l’engagement, au G20 et devant les instances européennes, de participer à la fois à la consolidation budgétaire et au soutien à l’activité économique. C’est tout le sens des propositions qui seront présentées tout à l’heure avec beaucoup de talent et d’énergie par Valérie Pécresse. À cet instant, je voudrais simplement prendre le contre-pied de quelques idées reçues.
Les cotisations sociales à la charge des employeurs sont de vingt-deux points plus élevées en France qu’en Allemagne. Un rapport publié aujourd’hui par l’INSEE montre que la France détenait un net avantage en matière de coût du travail horaire dans l’industrie en 1996 mais que l’écart avec l’Allemagne s’est entièrement résorbé depuis, les coûts étant équivalents en 2008.
On constate donc indiscutablement une perte de compétitivité, qui s’explique par l’évolution des coûts horaires. L’INSEE ne manque d’ailleurs pas de souligner que la mise en place des 35 heures a lourdement contribué à cette dynamique. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Caffet. L’INSEE dit le contraire !
M. François Baroin, ministre. C’est un handicap évident, et cela ne peut plus durer !
Il est impératif d’enrayer cette évolution pour améliorer la compétitivité de nos entreprises. Nous souhaitons donc supprimer la cotisation « famille » des employeurs pour les salaires allant jusqu’à 2,1 fois le SMIC, puis la réduire de façon dégressive jusqu’à 2,4 fois le SMIC.
C’est là une mesure forte, dont les effets bénéfiques sur l’emploi sont avérés : de 200 000 à 400 000 emplois ont été créés ou préservés grâce aux allégements de charges de 1995, de 400 000 à 800 000 l’ont été grâce aux allégements de charges décidés en 2003 !
Les faits sont là, mesdames, messieurs les sénateurs : chaque fois que des allégements de charges ont été mis en œuvre en France, des centaines de milliers d’emplois ont été créés ou sauvegardés ; chaque fois, cela a profité à notre économie dans son ensemble.
Je ne préciserai que deux aspects de cette réforme ambitieuse, qui sera présentée dans le détail par Valérie Pécresse.
Ces allégements de charges concerneront d’abord les bas salaires et les PME. Ils visent les entreprises qui sont le plus exposées à la mondialisation ; 80 % des salariés de l’industrie seront concernés, et 97 % de ceux de l’agriculture.
Pour ce qui est du financement de la mesure, je veux souligner que le relèvement du taux normal de TVA n’aura pas d’incidence sur le pouvoir d’achat des Français.
M. Jean-Pierre Caffet. Tu parles !
M. François Baroin, ministre. En effet, seul le taux normal de TVA est relevé. Or 60 % de la consommation des ménages français est assujettie aux autres taux de la TVA. Par ailleurs, le montant de l’augmentation de TVA est de 25 % inférieur à celui de la réduction des cotisations sociales. Il s’agit donc d’un projet vertueux.
En ce qui concerne maintenant le Mécanisme européen de stabilité, celui-ci sera mis en œuvre à partir du 1er juillet prochain, alors que l’échéance avait initialement été fixée au 1er janvier 2013. Il a été décidé d’inscrire ce dispositif dans la durée. Le montant de sa dotation n’a pas été modifié : il demeure fixé à 80 milliards d’euros, soit une quote-part, pour la France, de 16,5 milliards d’euros. Cette contribution de 16,5 milliards d’euros devait être versée en cinq annuités de montant égal. Il a été décidé d’anticiper les versements : dès 2012, la France versera deux annuités au lieu d’une, soit un montant de 6,5 milliards d’euros. Ce versement, je le rappelle, n’a aucune incidence sur le déficit public.
Davantage de solidarité européenne, cela signifie aussi davantage de discipline. C’est la raison pour laquelle le traité intergouvernemental instaure un ensemble de règles contraignantes, assorties de sanctions financières, qui s’imposeront de manière quasiment automatique. Ces règles préviendront et sanctionneront toute dérive budgétaire et tout déséquilibre macroéconomique.
Avec l’implication des parlements nationaux, la France a œuvré à l’ajout de deux volets complémentaires au traité, portant d’une part sur le renforcement de la gouvernance économique au sein de la zone euro, d’autre part sur la coordination des politiques économiques en vue de promouvoir la croissance.
En conclusion, j’évoquerai les contours de la nouvelle taxe sur les transactions financières.
La France a joué un rôle moteur, au sein du G20, sur cette question. Le Président de la République a lui-même été à l’origine d’une mobilisation générale autour de la mise en œuvre d’une contribution du secteur financier à la résorption de la crise.
Le dispositif que nous vous présentons aujourd’hui comporte deux volets.
Le premier consiste en l’instauration d’une taxe sur les acquisitions d’actions. L’objectif est de faire participer le secteur financier, comme je le disais à l’instant, au redressement des finances publiques.
Le second a trait à la mise en place de deux taxes destinées à modifier les comportements des acteurs de marché, dans la mesure où elles frapperont les activités les plus spéculatives. L’une porte sur les activités dites de « trading haute fréquence », l’autre sur la détention de certains contrats d’échange sur défaut souverain, ou CDS.
Cette dernière taxe permet de cibler spécifiquement les opérations de pure spéculation sur le défaut d’un État et de contraindre les opérateurs de marché à ne plus effectuer de telles opérations. Ce n’est en aucun cas une alternative au projet européen. Nous continuerons d’ailleurs d’apporter notre plein soutien de principe au projet de directive.
Huit autres ministres des finances de pays de la zone euro se sont joints à moi pour adresser une lettre à la présidence danoise de l’Union européenne, afin de l’inviter à accélérer le calendrier de la mise en œuvre du projet de directive. Réunir neuf États membres permet de mettre en place un projet de coopération renforcée.
C’est une avancée politique que nous devons à la détermination du Président de la République et de la Chancelière allemande. En tout état de cause, cela montre que la proposition de taxe inscrite dans ce projet de loi de finances rectificative contribue à accélérer la dynamique européenne. Nous voulons que ce nouveau dispositif entre en vigueur au 1er août 2012.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans un contexte économique difficile, le Gouvernement continue d’agir, de réformer ; il prend des mesures courageuses, pour l’avenir de la France comme pour le soutien à l’Union européenne. Je ne doute pas que la qualité de vos débats permettra d’éclairer l’opinion sur les enjeux et sur les positions des uns et des autres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord rendre hommage à la commission des finances du Sénat, qui a examiné ce projet de collectif budgétaire dans des délais très serrés.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est une habitude !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Présenter ce collectif était indispensable. La France, comme la plupart des pays européens, doit aujourd’hui relever deux grands défis : celui de la croissance et celui du désendettement. Au cœur de ces deux défis, il y a une notion essentielle : la compétitivité.
Il n’y aura ni croissance forte et durable, ni amélioration de l’emploi, ni désendettement possible si nous ne prêtons pas une attention toute particulière à la compétitivité de notre économie et de nos entreprises.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la compétitivité est donc au cœur de ce collectif. Si nous vous le présentons maintenant plutôt qu’hier ou que demain, c’est parce qu’il y a des décisions incontournables à prendre aujourd’hui même pour l’avenir de notre pays et que la conjoncture économique est indifférente au calendrier électoral ; mais surtout, c’est parce que les Français ne peuvent pas attendre : quand il s’agit de la croissance et de l’emploi, l’attentisme ne peut pas être une politique.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ni l’abstention !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Dans ces conditions, accuser le Gouvernement d’agir trop tôt ou trop tard n’a tout simplement pas de sens : l’important, c’est d’agir !
Cela fait quinze ans que notre pays est pris dans une spirale de déficit de compétitivité et notre responsabilité, aujourd’hui, est de tout mettre en œuvre pour l’en sortir, en poursuivant notre ambitieux programme de réformes. En effet, notre action s’inscrit dans une continuité parfaite depuis cinq ans.
Ce collectif va donc nous permettre de réaliser une nouvelle avancée majeure en matière de compétitivité.
Les chiffres sont parlants : si l’investissement et la consommation des ménages se portent plutôt bien, avec des hausses respectives de 0,9 % et de 0,2 % au quatrième trimestre 2011, nos performances commerciales, elles, se dégradent depuis plus de dix ans. Nos exportations progressent trois fois moins vite que celles de l’Allemagne. Notre part dans les exportations de la zone euro est passée de 15,8 % en 2000 à 12,9 % aujourd’hui. Parallèlement, nous importons de plus en plus : la part des importations dans la consommation de produits manufacturés des ménages est passée de 28 % à 42 %. Nous avons perdu 500 000 emplois industriels depuis dix ans, et notre déficit extérieur s’aggrave continûment depuis quinze ans.
Nul ne peut le contester, nous avons bel et bien un problème de compétitivité, en grande partie lié à la faiblesse de nos exportations. Devant cette situation, depuis 2007, nous n’avons pas cessé d’agir.
La gauche semble aujourd’hui découvrir ce problème et voudrait s’y attaquer en agissant d’abord sur la compétitivité hors coûts. Cette conversion tardive est louable, mais je rappelle que, depuis 2007, ce gouvernement a agi sur la compétitivité hors coûts au travers de deux paramètres essentiels.
Le premier de ces paramètres est l’innovation. En triplant le crédit d’impôt recherche, en réformant en profondeur le fonctionnement de notre appareil de recherche, en lançant un programme d’investissements d’avenir de 35 milliards d’euros, nous avons posé les bases d’une amélioration considérable de notre capacité d’innovation qui se diffuse largement dans notre tissu productif, puisque 80 % des bénéficiaires du crédit d’impôt recherche sont des PME.
Le second paramètre est l’investissement. En réformant la taxe professionnelle, nous avons supprimé une taxation pesant exclusivement sur l’investissement de nos entreprises. Cet effort de 5 milliards d’euros annuels constitue, là encore, une avancée majeure, dont 80 % des bénéficiaires sont des PME. Il s’ajoute aux 30 milliards d’euros investis depuis 2007 par l’intermédiaire du FSI, le Fonds stratégique d’investissement, et d’OSEO pour aider nos entreprises à se financer.
Aujourd’hui, avec l’abaissement du coût du travail, nous ouvrons le deuxième acte de cette politique, celui de la compétitivité-prix. En effet, c’est faire preuve de beaucoup d’aveuglement que d’ignorer l’incidence du coût du travail sur notre compétitivité.
Je rappellerai quelques chiffres à cet égard : le coût du travail par unité produite a augmenté entre 2000 et 2009 de 20 % en France, contre 7 % seulement en Allemagne ; pour un même coût du travail, par exemple 4 000 euros bruts, l’entreprise allemande acquitte 695 euros de charges patronales, l’entreprise française 1 217 euros, soit presque le double, le salarié français recevant 2 400 euros nets, son homologue allemand 2 615 euros. Au final, ce sont les salariés français et l’emploi en France qui sont pénalisés.
Nier notre problème de coût du travail, comme le fait aujourd’hui la gauche, n’est tout simplement pas possible. Il y a quinze ans, elle disait d’ailleurs strictement l’inverse : ainsi, à l’époque, M. Jospin écrivait à Edmond Malinvaud que le niveau des prélèvements sur le travail était l’un des problèmes majeurs de l’économie française et il avait fait de la réduction du coût du travail la sixième proposition du programme du parti socialiste en 2002.
Que dire de la proposition de François Hollande d’augmenter les cotisations sociales d’un point au minimum pour financer un retour en arrière sur la réforme des retraites, au risque de détruire des dizaines de milliers d’emplois ? Aucun gouvernement en Europe, de gauche ou de droite, ne s’aventure à soutenir un tel contresens ! Nous proposons de baisser le coût du travail, vous préconisez de l’augmenter : les Français sauront choisir entre ces deux politiques !
Dans cette perspective, le Gouvernement propose de supprimer totalement les cotisations « famille » pour les salaires allant jusqu’à 2,1 fois le SMIC, puis de les réduire de manière dégressive jusqu’à 2,4 fois le SMIC. Cette réduction des charges sociales, qui apportera un avantage de compétitivité de 13,2 milliards d’euros, sera financée d’une part par une augmentation de 1,6 point de la TVA à taux normal, ce qui représente une somme de 10,4 milliards d’euros – la hausse de la TVA est donc plus faible que la baisse du coût du travail –, d’autre part, dans un souci permanent d’équité, par une augmentation de 2 points des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, soit une recette supplémentaire de 2,6 milliards d’euros, apportée à hauteur de 50 % par les 5 % de ménages les plus riches. C’est là une nouvelle preuve que l’équité fiscale est au cœur de notre action.
Ce basculement de charges sociales vers la fiscalité représentera un gain de compétitivité majeur pour les entreprises, puisque la baisse de la masse salariale pourra aller jusqu’à 5,4 %. Ses effets seront immédiats. Dans un contexte de croissance ralentie et de concurrence accrue, l’intérêt des entreprises sera, dans la grande majorité des cas, de répercuter immédiatement la baisse des charges sur les prix, afin de gagner des parts de marché. J’ai accompagné le Premier ministre lors de son déplacement dans la Somme, la semaine dernière : les industriels de ce département étaient unanimes pour dire qu’une différence de prix de 1 % à 2 % décidait de l’attribution ou de la perte d’un marché. Une diminution de 5,4 % de la masse salariale représente donc un gain de compétitivité considérable pour nos entreprises.
Il résultera de l’application de cette mesure que les produits français seront avantagés par rapport aux produits importés, puisque les produits fabriqués en France verront leur prix baisser, sur le marché national et à l’exportation, alors que les produits importés subiront la hausse de la TVA sans bénéficier de la baisse de charges.
J’ajoute que le ciblage que nous avons retenu assure qu’il y aura un lien étroit entre emploi et compétitivité.
Le barème des allégements de charges doit d’abord être simple, pour pouvoir s’appliquer facilement aux PME et aux TPE. C’est pourquoi nous avons prévu une suppression intégrale des charges sociales familiales jusqu’à 2,1 fois le SMIC et dégressive jusqu’à 2,4 fois le SMIC. Ce ciblage nous permet de donner aux PME et aux TPE un avantage plus important que celui dont bénéficieront les grands groupes. Je sais que la Haute Assemblée est très attachée à un tel rééquilibrage fiscal entre PME et grands groupes.
Les PME et les TPE bénéficieront en effet de la moitié de la baisse du coût du travail : le gain immédiat sera pour elles de 6,5 milliards d’euros. L’essentiel des salariés des TPE seront concernés. Or, on le sait, ce sont d’abord elles qui créent l’emploi en France.
Le barème retenu nous permet en outre de cibler la baisse des charges sur les secteurs les plus exposés à la concurrence, au premier chef l’industrie, puisque notre barème permet d’alléger le coût du travail de 3,3 milliards d’euros dans ce secteur, soit 25 % de l’allégement global. Je m’étonne donc d’entendre dire que l’industrie serait insuffisamment concernée par cette mesure.
M. François Patriat. C’est bien le cas !
Mme Valérie Pécresse, ministre. L’industrie bénéficiera de 25 % de l’allégement global, alors qu’elle ne représente que 13 % de la valeur ajoutée française.
M. François Marc. Il ne faut pas que l’allégement profite au secteur du commerce ! C’est l’industrie qui est exposée !
Mme Valérie Pécresse, ministre. L’industrie profitera donc largement de la mesure, bien au-delà de son poids dans l’économie française, sachant que 80 % des salariés de l’industrie perçoivent moins de 2,4 fois le SMIC.
Notre barème couvre également 97 % des salariés agricoles, mais aussi très largement ceux des transports, de la recherche et développement et des services aux entreprises, qui sont eux aussi soumis à une concurrence internationale accrue.
Le barème que nous avons retenu nous permet donc de viser à la fois la compétitivité et l’emploi. J’indique à Mme la rapporteure générale qu’aucune étude sérieuse n’avait jamais été faite, dans le passé, sur les conséquences de la mise en place d’une baisse des charges sociales ciblée dans l’économie.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ah bon ? C’est le Trésor qui va être content ! Il aura travaillé pour rien !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous avons réalisé une telle étude en collaboration avec la direction générale du Trésor et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES : la baisse des charges que nous proposons d’instaurer devrait déboucher sur la création d’environ 100 000 emplois, au bénéfice, en priorité, des classes moyennes.
Toutes les études qui ont été faites sur la TVA sociale, madame Bricq, notamment le rapport Besson, portaient sur une baisse des charges sociales concernant l’ensemble de la grille des salaires, y compris le haut de celle-ci, tandis que la réforme que nous proposons est ciblée, d’où sa forte incidence sur l’emploi. Sachant que les précédents allégements de charges ont permis de créer ou de préserver entre 400 000 et 800 000 emplois, on conviendra que notre estimation selon laquelle environ 100 000 emplois devraient être créés est difficilement contestable. Cette politique a largement prouvé, par le passé, son efficacité. D’ailleurs, M. Manuel Valls, avant qu’il ne devienne porte-parole de François Hollande, la vantait lui-même en affirmant qu’une hausse de 10 milliards d’euros de la TVA permettrait de créer quelque 300 000 emplois. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Caffet. Vous en êtes là…
Mme Valérie Pécresse, ministre. Quand une mesure fait consensus, pourquoi ne pas le dire ? Grâce à ce dispositif, nous allons créer de l’emploi marchand, tandis que la mise en œuvre de votre programme en détruirait.
Enfin, contrairement à ce qu’en dit la gauche, cette réforme n’aura aucune incidence significative sur le pouvoir d’achat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mesdames, messieurs les sénateurs de gauche, vous aimez à dénaturer cette réforme, probablement pour faire oublier que vos propositions aboutiraient à accroître le coût du travail.
La première des caricatures, c’est de faire croire que cette réforme consiste à augmenter les taxes au profit de l’État.
M. Jean-Yves Leconte. Mais oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais non, cette réforme vise avant tout à abaisser le coût du travail : son objet est de développer l’emploi,…
M. François Marc. C’est bien d’y croire !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … ce n’est pas une réforme anti-déficit, puisque pas un euro supplémentaire n’ira dans les caisses de l’État. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) La baisse du coût du travail est strictement égale au produit de la hausse de la TVA et des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine – vous les oubliez toujours –, qui sera directement affecté à la branche famille de la sécurité sociale. Il s’agit bien d’un transfert de fiscalité vers la sphère sociale qui n’augmente pas les prélèvements obligatoires. Il n’y aura donc pas de hausse globale des impôts.
La seconde caricature, c’est d’invoquer le spectre d’une inflation galopante. En réalité, la réforme aura une très faible incidence sur les prix et le pouvoir d’achat des ménages.
Tout d’abord, la baisse du coût du travail, qui atteindra 13 milliards d'euros, est supérieure à la hausse de la TVA, qui représentera 10 milliards d'euros.
M. Jacky Le Menn. Cela ne touche pas les mêmes publics !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Ensuite, 60 % de la consommation des Français relève d’un taux de TVA nul ou réduit. C’est notamment le cas des loyers, des produits alimentaires, des médicaments. Ces biens et services bénéficieront dans une large mesure de la baisse du coût du travail et leur prix devrait donc diminuer.
M. Jean-Yves Leconte. Qui va payer ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Enfin, pour les 40 % restants, les trois quarts des produits achetés sont fabriqués en France et verront leur prix hors taxe baisser.
M. François Marc. Tout va baisser, alors ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Certes, les produits importés, qui représentent 10 % de la consommation des ménages, subiront une hausse de TVA « sèche », sans baisse du coût du travail. Mais l’objectif de la réforme est justement de décourager les délocalisations et d’améliorer la compétitivité des produits français par rapport à ceux qui sont fabriqués chez nos partenaires européens. Néanmoins, nous estimons que le prix des produits importés, qui sont soumis à une pression concurrentielle extrêmement forte et dont les fabricants cherchent à gagner des parts de marché, ne devrait pas augmenter significativement. Les expériences étrangères, en particulier celles du Danemark ou de l’Allemagne, nous confirment qu’une telle réforme a peu d’effet sur les prix et nous incitent à suivre la même voie.
Dans ces conditions, comprenez, mesdames, messieurs les sénateurs, que je n’accepte pas l’idée selon laquelle cette réforme grèverait le pouvoir d’achat des Français. Je l’accepte d’autant moins que les sénateurs socialistes soutiennent l’augmentation des cotisations pour la retraite proposée par M. Hollande ! Cette augmentation, dont la finalité est de détricoter la réforme des retraites, représente une perte annuelle de 230 euros pour un couple dont chacun des membres gagne 1 500 euros par mois.
M. Rémy Pointereau. Eh oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Qui, dans ces conditions, porte atteinte au pouvoir d’achat des ménages ?
Augmenter les cotisations sociales salariales et patronales de 5 milliards d’euros, raboter les allégements de charges pour les bas salaires, remettre en cause la défiscalisation des heures supplémentaires, revenir sur la réforme de la taxe professionnelle, voilà le projet de l’opposition pour les PME : des charges, des charges, encore des charges, au détriment de leur compétitivité et de l’emploi ! Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, votre déclaration d’amour aux PME est en fait une déclaration d’impôt ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Notre projet est radicalement différent : il est d’alléger les charges pour donner aux entreprises la compétitivité qui leur fait défaut, afin qu’elles puissent produire en France, exporter et créer des emplois.
Cependant, je l’ai dit, en matière de compétitivité, les coûts ne sont pas l’unique déterminant. C’est la raison pour laquelle ce collectif contient également des avancées en termes de compétitivité hors prix, concernant le financement des entreprises et la formation des jeunes.
Dans le prolongement de notre action de financement des PME, nous proposons de créer une banque de l’industrie, filiale d’OSEO, qui sera spécifiquement dédiée au financement des PME et des établissements industriels de taille intermédiaire.
Cette banque de l’industrie sera dotée de 1 milliard d’euros de fonds propres et viendra compléter le socle très puissant des moyens que nous consacrons depuis 2007 au financement de l’industrie, par le biais notamment d’OSEO, du Fonds stratégique d’investissement et des investissements d’avenir.
Nous souhaitons, par ailleurs, accentuer notre effort en matière de formation en alternance : c’est, on le sait, un véritable tremplin vers l’emploi, contrairement aux différentes formules d’emplois jeunes, quel que soit leur nom. Avec le plan de développement de l’apprentissage, nous avons déjà obtenu de très bons résultats : près de 500 000 jeunes sont entrés en alternance en 2011 ; toutefois, il faut aller plus loin. Il est clair que, dans notre pays, les grandes entreprises ne font pas assez d’efforts à cet égard : la plupart d’entre elles comptent moins de 1 % d’apprentis, alors que nous avons fixé un quota de 4 %.
C’est pourquoi, au travers de ce projet de loi de finances rectificative pour 2012, nous faisons deux propositions : d’une part, doubler les pénalités pour les grandes entreprises qui ne respectent pas la règle du jeu ; d’autre part, relever le quota de jeunes en alternance à 5 %. À terme, grâce à la mise en application de ce nouveau quota, les entreprises devraient embaucher 270 000 jeunes de plus qu’aujourd’hui.
Outre les mesures tendant à renforcer la compétitivité, le collectif vise à garantir le respect de notre engagement en matière de déficit pour 2012, en dépit d’une croissance plus faible que prévu. Toutefois, François Baroin l’a dit excellemment, l’INSEE a confirmé que le quatrième trimestre de 2011 avait été meilleur qu’envisagé : la croissance française a été de 0,2 %, alors que la zone euro et nos principaux partenaires connaissent, quant à eux, une récession. Les PIB de l’Allemagne et du Royaume-Uni ont ainsi reculé de 0,2 %.
M. Michel Vergoz. Il ne faut pas grand-chose pour vous satisfaire !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Dans un contexte de ralentissement de la croissance mondiale, nos bons résultats sont, je le crois, de nature à faire taire les Cassandre qui nous annonçaient la récession, en l’imputant à Nicolas Sarkozy. Puisque le spectre de la récession s’éloigne, ces Cassandre ne pourront donc que reconnaître l’efficacité de la stratégie adoptée par le Gouvernement : nous avons su réduire nos déficits publics…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. … par des mesures ciblées, sans pour autant peser sur la croissance.
Nous atteignons ainsi un acquis de croissance de 0,3 %. C’est une bonne nouvelle, et cela prouve que la révision de notre prévision de croissance, passée de 1 % à 0,5 %, est totalement crédible, tout en restant prudente. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Madame Borvo Cohen-Seat, nous sommes prudents en permanence. Rappelez-vous ce que disait Lionel Jospin après le 11 septembre 2001 : « on ne change pas un budget dans l’urgence ».
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Oui !
Mme Valérie Pécresse, ministre. C’était un contresens absolu ! De ce fait, le budget voté pour 2002 était totalement insincère, son élaboration ayant répondu à des motivations électoralistes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ne parlez pas de 2002 et occupez-vous de 2012 !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Pour notre part, telle n’est pas notre stratégie. Nous sommes sincères et prudents (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), et nous révisons nos prévisions de croissance quand il le faut.
Au total, cette révision pèsera sur le solde des administrations publiques à hauteur de 5 milliards d’euros. Mais son incidence sur les recettes sera intégralement compensée, sans qu’il soit besoin de mettre en place un troisième plan de rigueur.
M. Jean-Pierre Caffet. Il y en a eu assez…
Mme Valérie Pécresse, ministre. Là aussi, les Cassandre en sont pour leurs frais !
Si nous ne demandons pas le moindre euro supplémentaire aux Français, c’est grâce à la très bonne gestion qui a caractérisé l’exercice 2011 et à la prudence de nos hypothèses pour 2012.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela prête à sourire : les déficits se sont creusés !
Mme Valérie Pécresse, ministre. J’évoquerai, d’abord, la bonne gestion.
Pour 2011, alors que l’opposition a répété, pendant des mois, que nous ne tiendrions pas nos objectifs, nos résultats seront meilleurs que prévu, de 4 milliards d'euros au minimum. Le déficit public, dont on pensait qu’il s’établirait à 5,7 %, devrait être inférieur à 5,5 %. Ce bon résultat aura naturellement des prolongements en 2012, à hauteur de 3,6 milliards d'euros, et explique en grande partie pourquoi nous pouvons absorber le ralentissement de la conjoncture et de la croissance sans avoir besoin d’un plan d’effort supplémentaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, ces 4 milliards d’euros sont loin d’être le fruit du hasard. Ils témoignent de la sincérité et de la réactivité de la gestion des comptes publics par le Gouvernement, en dépit des incertitudes qui pèsent sur la conjoncture.
M. François Marc. Merci Nicolas !
Mme Valérie Pécresse, ministre. En matière de gestion, nous avons fait des choix importants : nous avons réduit de 260 millions d'euros les dépenses de l’État – c’est une première depuis 1945 –, nous avons sécurisé nos recettes fiscales à hauteur de 1,3 milliard d’euros et nous avons consacré l’ensemble des produits exceptionnels, soit 3,1 milliards d'euros, à la réduction du déficit. Sur ce dernier point, il s’agit des efforts de valorisation du patrimoine de l’État, notamment de la mise aux enchères des fréquences de téléphonie mobile de quatrième génération pour 800 millions d'euros.
Cette bonne gestion s’accompagne de prudence. L’opposition nous a reproché, pendant des mois, d’en avoir manqué, mais, sur ce point encore, elle est démentie par les faits.
Notre estimation des taux d’intérêt, par exemple, est très prudente, ce qui nous permet de bénéficier de marges de manœuvre supplémentaires. Sur la base des taux de court terme constatés – 0,17 % à trois mois – et d’un scénario de remontée progressive, l’économie potentielle sur la charge de la dette dépasse largement, en théorie, 1 milliard d’euros. Nous proposons, à ce stade, de ne retenir qu’une partie de cet effet attendu sur la dette à court terme, soit 700 millions d’euros, afin de nous prémunir contre les conséquences d’un éventuel risque inflationniste.
Autre marque de prudence, nous avons pris la décision d’augmenter la réserve de précaution, pour la porter à 6 milliards d'euros.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La revoilà !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Là encore, cela nous permet de gérer la moindre croissance sans difficulté. Nous annulons, sur cette réserve, 1,6 milliard d’euros de crédits, dont 400 millions d’euros sont redéployés pour financer les mesures en faveur de l’emploi annoncées lors du sommet sur la crise du 18 janvier dernier. Il reste donc des marges de manœuvre, à hauteur de 4,4 milliards d'euros, pour faire face aux aléas de l’exécution du budget de 2012. Je rappelle que nous avions annulé plus de 2 milliards d'euros sur la réserve en 2011.
Ce collectif consolide par ailleurs nos recettes, grâce à deux décisions importantes.
D’abord, nous disposerons dès 2012 des gains liés à la mise en place de la taxe sur les transactions financières, dont François Baroin vous a parlé. Cette année, ladite taxe engendrera 500 millions d’euros de recettes en droits constatés. En année pleine, les recettes estimées sont de 1,1 milliard d’euros.
Ensuite, nous durcissons encore notre arsenal de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, ce qui devrait accroître nos recettes de 300 millions d’euros. Conformément à notre stratégie sans concession à l’égard de la fraude fiscale et sociale, je vous propose, au travers de ce collectif, de décupler le montant des amendes sanctionnant la fraude et l’évasion fiscales, qui n’ont pas été revalorisées depuis des décennies, et de faire de l’évasion fiscale un facteur aggravant dans l’échelle des peines applicables.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, comment sera intégralement compensée l’incidence de la révision de la croissance sur nos recettes. De la même manière que nous avons tenu notre objectif pour 2011, en dépit de deux révisions de la croissance, nous respecterons notre objectif pour 2012, avec une croissance moindre que prévu.
Le candidat François Hollande a dit que si la croissance n’était pas au rendez-vous, il ne tiendrait pas ses engagements de réduction des déficits publics. Les nôtres sont intangibles : quoi qu’il arrive, nous progresserons au rythme prévu sur le chemin du désendettement, pour atteindre l’équilibre en 2016, et non en 2017 – de surcroît seulement si la croissance est au rendez-vous –, comme l’annonce le candidat socialiste. C’est là toute la différence. Nous engageons la parole de la France, dans un esprit de totale responsabilité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’engagez rien du tout, vous n’êtes pas crédibles !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce collectif s’inscrit, avec une parfaite cohérence, dans la stratégie globale du Gouvernement. Il repose sur les deux piliers fondamentaux de notre action, qui sont autant d’engagements envers les Français : garantir le retour à l’équilibre budgétaire, en réduisant nos déficits publics, et réamorcer la croissance, en restaurant notre compétitivité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est complètement raté !
Mme Valérie Pécresse, ministre. La Cour des comptes l’a souligné dans son rapport sur la situation des finances publiques : sur le chemin qui mène à la croissance, le désendettement et la compétitivité sont deux exigences incontournables. C’est aussi la stratégie que préconisent la Commission européenne et le FMI.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors…
Mme Valérie Pécresse, ministre. Cette stratégie n’est donc ni de droite ni de gauche, elle est tout simplement d’intérêt général. C’est celle qui a fait ses preuves ailleurs en Europe, celle qui nous permettra de sortir renforcés de la crise, celle qui repose sur le choix de la lucidité et du courage, un choix que je vous propose de faire ensemble en adoptant ce collectif budgétaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative est inédit : sa discussion au Sénat intervient soixante jours avant l’élection présidentielle, alors même que le Président de la République, qui a voulu ce texte, est désormais candidat à part entière.
M. Francis Delattre. Et alors ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est l’abandon d’un principe républicain. Il était en effet entendu, jusqu’à présent, que l’on s’abstenait d’engager des réformes substantielles dans les semaines précédant les consultations électorales nationales.
M. Antoine Lefèvre. Et la crise ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Lorsque l’on est en campagne électorale, on confronte son programme à celui de ses adversaires.
Or, le 8 février 2012, le conseil des ministres a innové sur le plan institutionnel en décidant de soumettre au vote des assemblées parlementaires une composante d’une plateforme électorale. Le Gouvernement a choisi de soumettre au Parlement une réforme dont plusieurs voix autorisées qui comptent à droite disent depuis plusieurs années qu’elle constitue une réforme de début de mandat.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est bien ce qu’elle sera !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je fais référence ici, vous l’aurez compris, à la hausse généralisée de la TVA, curieusement qualifiée de « TVA sociale », mais aussi de « TVA emploi », de « TVA antidélocalisation », ou encore de « TVA compétitivité » ; bref, c’est un remède miracle ! Ces appellations, consécutives ou cumulatives, n’ont pas eu de succès, au point que désormais le Gouvernement ne qualifie plus sa réforme. C’est déjà ça !
M. Jean-Jacques Mirassou. Il est disqualifié !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je conteste donc le principe de ce collectif budgétaire, même si, juridiquement, le Gouvernement a la maîtrise de son ordre du jour réservé. En période pré-électorale, on peut concevoir un collectif budgétaire si les intérêts du pays sont menacés ou si des mesures urgentes sont nécessaires. Or, dans ce collectif, rien n’est urgent ! Dans le cas où le président-candidat serait réélu, les principales mesures qu’il contient n’entreraient pas en vigueur avant le mois d’août s’agissant de la taxe sur les acquisitions d’actions françaises et avant octobre pour ce qui est de la hausse de la TVA. Quant aux annulations de crédits, elles peuvent attendre, puisqu’elles portent sur des crédits qui sont déjà gelés. Il importe simplement que le Gouvernement s’abstienne de les dégeler d’ici là. Quant à la dotation en capital du Mécanisme européen de stabilité, on aura observé que la date retenue par les États pour l’entrée en vigueur de ce dernier est non pas le 1er juillet 2012, mais juillet 2012. Dès lors que la France a manifesté son intention de contribuer dans les délais, rien ne l’oblige à s’exécuter dès aujourd’hui.
Si rien n’est urgent dans ce collectif budgétaire, certaines de ses mesures sont carrément nocives. À partir du moment où le Gouvernement veut traduire les annonces du candidat- président dans une loi de finances rectificative, madame la ministre, il est obligé de réviser sa prévision de croissance pour satisfaire au principe de la sincérité budgétaire. C’est donc par là que je commencerai ma revue du texte.
Un taux de croissance de 0,5 % reste une hypothèse plausible pour 2012, même si le consensus des conjoncturistes est désormais plus proche de 0 %.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. M. Hollande dit 0,5 %, lui aussi !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Mais lui avait pris le risque d’annoncer dès le 25 janvier une croissance de 0,5 %.
N’ayant pas de boule de cristal, je ne m’aventurerai pas plus loin sur le terrain des prévisions de croissance ! En revanche, je dois constater que, comme à son habitude, le Gouvernement court toujours après la conjoncture plutôt que de l’anticiper. En estimant que la révision à la baisse de l’hypothèse de croissance imposait de prendre des mesures supplémentaires à concurrence de 5 milliards d’euros pour respecter l’objectif de déficit de la fin de l’année, le Gouvernement s’est, encore une fois, calé sur l’hypothèse la plus favorable, celle dans laquelle la crise ne réduit pas l’élasticité des recettes par rapport au produit intérieur brut.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Pour financer les 5 milliards d’euros dont il a besoin pour tenir la trajectoire de déficit, le Gouvernement profite, à hauteur de 3 milliards d’euros, des effets de l’exécution de 2011, mais il a aussi recours à la méthode très pratique consistant à transmettre à son successeur une « pilule empoisonnée » : je veux parler des annulations de crédits dans la réserve de précaution qu’il nous est proposé de voter. Depuis le mois de septembre, cette question nous oppose, madame la ministre.
Il faut avoir à l’esprit que, chaque année, la réserve de précaution est utilisée en cours d’exercice pour financer des besoins imprévus. En fin d’année, il reste de 100 millions à 200 millions d’euros de crédits – ce chiffre s’élevait à 114 milliards d’euros en 2010 et à 228 millions d’euros en 2011 –, que le Gouvernement peut choisir d’annuler. Or, dans ce collectif, on nous propose d’annuler dès le mois de février 1,2 milliard d’euros ! Ce n’est peut-être pas impossible, mais une telle demande est inédite. Pour qu’un tel changement d’échelle soit convaincant, il aurait fallu que le Gouvernement donne des précisions tant sur les ministères qui seront touchés que sur les dépenses ou projets précis qui seront concernés. Mais une fois encore, madame la ministre, lorsqu’il s’agit de dépenses, le Gouvernement préfère rester dans le vague…
Pour en terminer avec l’équilibre de ce collectif, le Gouvernement compense – au moins formellement – les conséquences sur le déficit de la révision à la baisse de la croissance, certes, mais il n’en demeure pas moins que le présent texte traduit, par rapport à la loi de finances initiale, une aggravation du déficit de l’État de 6,2 milliards d’euros. On peut donc dire que ce collectif a pour objet d’augmenter à la fois le déficit et les impôts sur les ménages.
Les prélèvements obligatoires ont été alourdis de 43 milliards d’euros entre 2010 et 2012.
M. Philippe Dallier. Vous dites le contraire !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Mon travail est de faire les comptes, monsieur Dallier, et de dresser un constat ! Je ne crois pas que mes chiffres soient contestables.
Cette fois-ci, les hausses d’impôt générales prévues par le collectif budgétaire pèseront sur les ménages, afin de compenser une réduction à due concurrence des cotisations sociales des entreprises : c’est le principe de la TVA dite « sociale ».
Ceux – il y en aura ! – qui, dans l’avenir, s’intéresseront au débat fiscal en France au tournant des années 2010 seront stupéfaits ! Voilà une réforme longuement débattue au sein de la droite, régulièrement écartée par les gouvernements que celle-ci soutient, passionnément défendue par certains, notamment dans cet hémicycle, toujours présentée comme un tournant majeur pour notre système fiscal, voire pour notre modèle économique ; eh bien ce que l’on voudrait nous vendre aujourd’hui comme un premier pas vers une grande réforme, qui aurait pu être présentée et défendue par les mêmes en début de mandat, est mise en œuvre sans enthousiasme par un gouvernement finissant, à peine soutenu par une majorité inquiète, comme on a pu le voir à l’Assemblée nationale ou hier en commission des finances ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous exagérez beaucoup ! Mme la ministre nous enthousiasme !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est, en fait, le bouquet final d’un quinquennat d’improvisation et de revirements fiscaux.
M. Roland Courteau. Bien dit !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Mon collègue Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales, soulignera ses conséquences sur le financement de la protection sociale.
Je dirai simplement, pour ma part, que la TVA sociale est une mauvaise idée proposée à partir d’un diagnostic erroné, selon lequel le coût salarial serait le facteur essentiel de notre perte de compétitivité. Or, un bon indicateur de la compétitivité de l’économie française nous est fourni par le récent rapport de la Commission européenne sur les déséquilibres macroéconomiques : la France a perdu, en cinq ans, 19,4 % de parts de marché à l’exportation, soit le pire score de l’Union européenne après la Grèce et Chypre ! Cela ne s’explique pas par un coût du travail qui serait trop élevé, puisque, dans le secteur manufacturier, il est comparable à celui de l’Allemagne.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cela s’explique par le déficit de compétitivité hors prix de l’économie française. Le diagnostic du Gouvernement étant mauvais, le remède ne sera pas efficace.
Je voudrais m’arrêter un instant sur l’argument principal mis en avant par le Gouvernement : cette mesure favoriserait l’emploi. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
Il s’agit des fameux 100 000 emplois que l’abaissement des charges sociales permettrait de créer. Comment parviendrait-on à ce résultat ? Nul ne le sait, puisque le Gouvernement n’a pas publié le détail de ses simulations. Ce résultat serait-il susceptible de modifier de manière significative le niveau de l’emploi dans notre pays ? Pas vraiment, si l’on a en tête qu’une appréciation de l’euro de 10 % – qui détruirait 149 000 emplois – en annulerait totalement les effets.
Pour ma part, je me suis livrée à un exercice d’évaluation des effets de la réforme sur l’emploi.
M. Francis Delattre. Au doigt mouillé !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. J’en tire la conclusion que la réforme sera globalement sans effet sur le niveau de l’emploi. Elle pourrait même en détruire.
M. Roland Courteau. C’est clair !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Voici encore un paradoxe de ce collectif « de trop » : parmi toutes les façons possibles d’instaurer la TVA sociale, le Gouvernement a choisi – en ne ciblant pas les bas salaires – celle qui est la moins susceptible de créer des emplois… Pour le détail de mes investigations, je vous renvoie à mon rapport écrit. Je défie quiconque de me prouver que mes calculs sont erronés ! Du reste, l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, aboutit aux mêmes chiffres dans une étude récente, à quelques milliers d’emplois près.
Pour changer de sujet, tout en restant dans le même esprit, on peut également dire que, de toutes les manières de taxer les transactions financières, le Gouvernement a retenu celle qui est la plus éloignée des conceptions de ceux qui préconisent cette taxation depuis des années.
Le dispositif du Gouvernement est composé de quatre éléments.
Je commencerai par faire un sort à la « taxe alibi » sur les « CDS nus » sur titres souverains. Taxer un produit financier sur le point d’être interdit – il le sera à compter du 1er novembre 2012 – par l’Union européenne, cela n’a rien d’audacieux ! Il eût mieux valu l’interdire dès 2010, comme l’Allemagne. À l’époque, nous avions demandé à Mme Lagarde pourquoi elle refusait de prendre une telle mesure. Elle nous avait expliqué que ce n’était pas possible, pourtant cela l’était en Allemagne. Il faut savoir ce que l’on veut ! L’Union européenne s’est ralliée à la position allemande, et c’est tant mieux.
Quant à la taxe sur le trading haute fréquence, je relève, comme vous l’avez fait en commission, monsieur le ministre, que le Gouvernement reprend un dispositif que j’avais moi-même proposé en novembre et que le Sénat a voté. Je suis donc bien placée pour vous dire qu’il s’agit d’une taxe non pas sur les transactions financières, mais sur les non-transactions, puisqu’il s’agit de frapper des ordres annulés. Ce que j’ai jugé bon en novembre, je ne vais pas le juger mauvais en février, bien évidemment, même si, de son côté, le Gouvernement a complètement changé d’avis ! Ce sujet est essentiel, tant il s’agit d’une pratique nocive, déstabilisante pour les marchés, mais il est distinct de celui de la taxation des transactions financières. J’attends du prochain gouvernement français, quel qu’il soit, qu’il soutienne la Commission européenne, laquelle va être confrontée aux lobbies dans son effort d’encadrement de cette pratique, puisqu’elle ne veut pas aller jusqu’à l’interdire. À cet égard, je rappelle que nous avons examiné voilà quinze jours, sur l’initiative de la commission des affaires européennes, le projet de nouvelle directive sur les marchés d’instruments financiers.
Je voudrais maintenant souligner un fait cocasse. Dans la rédaction initiale du projet de loi, l’article consacré à la création d’une taxe sur les transactions financières supprimait une taxe existante et portant, précisément, sur des transactions financières, en l’espèce les cessions de parts de sociétés ! La majorité de l’Assemblée nationale n’ayant pas accepté la suppression d’une mesure votée par le Parlement sur l’initiative du Sénat, le Gouvernement a dû composer avec elle, a minima malheureusement.
J’en viens enfin au morceau de choix : la taxe sur les actions françaises.
Le dispositif technique s’inspire de la taxe britannique, le stamp duty ou droit de timbre, sans aller aussi loin qu’elle en matière de périmètre et de taux.
Cela étant, je préfère concentrer mon propos sur la portée politique de la décision du Gouvernement. La place financière de Londres se porte très bien malgré le stamp duty. La France crée son droit de timbre, après avoir supprimé l’impôt de bourse en 2008,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … mesure à laquelle nous nous étions opposés. L’industrie financière se déclare « soulagée ». Quel enseignement tirer de cette attitude, sinon que cette industrie a eu très peur lorsqu’elle a entendu la France annoncer son intention d’anticiper la création de la taxe européenne et qu’elle s’est rassurée lorsqu’elle a découvert le dispositif proposé ! J’ai pu m’en assurer personnellement.
Dès lors, la France rend-elle vraiment service à la cause de la taxe conçue par la Commission européenne, qui elle est une vraie taxe sur les transactions financières ? À mon sens, elle ouvre plutôt une porte de sortie aux gouvernements qui proclament leur soutien à l’instauration d’une taxe sur les transactions financières tout en ayant peur d’affronter le secteur financier ! Avec la taxe sur les transactions financières « à la française » se fait jour un plus petit commun dénominateur, et l’on risque de voir se multiplier les taxes nationales à assiette étroite, au lieu de voir naître la taxe européenne.
L’objectif de lutte contre la spéculation est loin, on en revient à un impôt de bourse modernisé – c’est-à-dire adapté aux évolutions des plates-formes de négociation en Europe – qui ne frappe pas les transactions les plus spéculatives.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L’habillage et la cosmétique sont vraiment des spécialités du Gouvernement. La création de la « banque de l’industrie », improvisée le 29 janvier par le Président de la République, en constitue une autre illustration.
Il y aurait matière à réorganiser les soutiens publics à l’industrie en regroupant au sein d’une même entité les prestations aujourd’hui fournies par différents acteurs, comme le propose François Hollande. Peut-être faudrait-il d’ailleurs envisager une régionalisation de l’action de cette entité, afin qu’elle intervienne au plus près du terrain et des grappes d’entreprises, qui sont nécessaires à la compétitivité de notre tissu industriel.
On peut douter, en revanche, de l’intérêt de se lancer dans un jeu de Meccano consistant à créer une filiale d’OSEO proposant les mêmes services que sa maison mère, sous prétexte de donner un semblant de contenu politique à une opération de recapitalisation qui aurait en tout état de cause dû être menée et qui avait du reste été réclamée en 2010, à hauteur de 1 milliard d’euros, par le président-directeur général d’OSEO. Les membres de la commission des finances du Sénat, qui l’avait auditionné, en sont témoins.
En outre, pour financer l’opération, on puise dans les crédits du programme d’investissements d’avenir, ce qui confirme sa nouvelle vocation de « cagnotte » destinée à financer, en dehors de la norme de dépense, des annonces présidentielles, au détriment de secteurs d’avenir comme le numérique et la croissance verte…
Je pourrais compléter mon propos en citant divers exemples tirés des vingt-huit articles additionnels ajoutés par l’Assemblée nationale.
Prenons, par exemple, l’article 2 bis relatif au rachat de leurs actions par les sociétés non cotées. Il s’agit d’une disposition qui avait été introduite dans la loi de finances avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier budgétaire. Elle nous revient aujourd’hui sous un habillage qui n’est pas plus satisfaisant, nous offrant surtout un nouvel exemple du double langage tenu par le Gouvernement en matière de régulation financière : d’un côté, on nous annonce une volonté sans faille de réguler les marchés et la finance ; de l’autre, on approuve des mesures qui tendent à accorder aux entreprises non cotées certains avantages dont bénéficient les sociétés cotées sans les soumettre aux mêmes exigences, au détriment de la transparence et de l’intégrité des marchés, quoi que l’on en dise !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est très critiquable, en effet !
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Tout cela ne doit pas nous faire oublier l’essentiel, à savoir la situation de la zone euro.
Le programme de « prise en pension » à trois ans de la Banque centrale européenne a incontestablement permis de ramener le calme sur les marchés. Cette accalmie est bienvenue, mais rien ne garantit que la tempête ne soufflera pas à nouveau si les dirigeants européens ne se montrent pas à la hauteur des enjeux. Nous en reparlerons mardi prochain, lorsque nous examinerons les deux traités relatifs au Mécanisme européen de stabilité.
Cependant, ce projet de loi de finances rectificative aborde d’ores et déjà la mise en œuvre des décisions prises par les États de la zone euro, en permettant le versement des deux premières tranches de la dotation en capital de la France, qui explique la dégradation du déficit budgétaire constaté dans ce collectif. Il ne constitue que le premier de plusieurs versements, dont le montant total atteindra 16,3 milliards d’euros.
Il faut toutefois garder à l’esprit que s’ajoutent à ces 16,3 milliards d’euros de capital « appelé », dont le versement est certain, 126 milliards d’euros de capital « appelable », que la France s’engage, par le traité, à verser en cas de besoin.
Ce capital appelable du MES, dont la commission a débattu hier avec le directeur du Trésor, s’apparente à bien des égards à une garantie de l’État, dont la loi organique relative aux lois de finances prévoit qu’elle ne peut être accordée que par une loi de finances. C’est d’ailleurs au travers d’une loi de finances qu’a été accordée la garantie de l’État aux émissions du Fonds européen de stabilité financière, le FESF.
Par conséquent, si le Parlement décidait de ratifier le traité sur le MES en l’absence d’une « disposition miroir » inscrite dans une loi de finances, il permettrait que le seul fondement juridique interne de l’octroi de garantie soit un projet de loi de ratification, et non une loi de finances. La conformité à la LOLF du projet de loi de ratification serait discutable. J’imagine que le Gouvernement a mesuré la responsabilité qu’il prend à cet égard en élaborant ce projet de loi de finances rectificative…
Le MES constitue un mécanisme permanent de soutien aux États en difficulté en cas de menace pour la stabilité de la zone euro. Il est encore sous-dimensionné et ne peut se refinancer auprès de la Banque centrale européenne, mais il représente un attribut fort de la solidarité européenne. Malheureusement, il a été instrumentalisé, pour des raisons de politique intérieure, par la Chancelière allemande et le Président de la République, qui ont conçu le traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire, le TSCG.
Toutefois, étant d’un naturel optimiste, je veux croire que cette initiative franco-allemande véritablement contre-productive et prise sur une base intergouvernementale en court-circuitant le processus communautaire sera renégociée et connaîtra, en tout état de cause, le même sort que la précédente,…
M. Antoine Lefèvre. C’est de la naïveté !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … à savoir le « pacte de compétitivité », devenu ensuite le « pacte euro + », que tout le monde a oublié alors qu’il avait été présenté, au printemps 2011, comme un instrument essentiel de la gouvernance européenne. Il y a fort à parier que ce qui est aujourd’hui présenté par le Gouvernement et la majorité parlementaire comme primordial, au prix d’une instrumentalisation que je viens de dénoncer, le sera beaucoup moins d’ici quelques mois. Nous reviendrons sur ces sujets mardi prochain, lorsque nous examinerons les deux projets de loi de ratification des traités relatifs au MES.
Je conclurai en réitérant les raisons principales qui ont conduit la commission des finances à déposer une motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi de finances rectificative.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous n’avons pas compris pourquoi !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il n’y a pas lieu de délibérer d’un tel texte en pleine campagne présidentielle,…
M. Francis Delattre. Pourquoi ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … dès lors que, sur le plan des principes, il ne contient aucune disposition urgente et que, sur le fond, nous sommes opposés à l’essentiel de ses dispositions.
Mes chers collègues, pourquoi légiférer aujourd’hui sur des dispositions qui vont à l’encontre des propositions que nous entendons mettre en œuvre demain ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Francis Delattre. C’est l’aveu final : nous devons attendre !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis de deux articles du projet de loi de finances rectificative pour 2012 : l’article 1er, relatif aux dispositions fiscales améliorant la compétitivité des entreprises, qui prévoit la création de la TVA dite « sociale » et tous les ajustements qui lui sont liés ; l’article 8, relatif à la contribution supplémentaire à l’apprentissage, dont le barème serait augmenté pour les entreprises de plus de 250 salariés ne respectant pas un quota de jeunes en formation par alternance, lui-même en augmentation.
Avant de vous livrer les principales observations de notre commission sur le contenu de ces articles, je voudrais insister sur la méthode employée par le Gouvernement.
En ce 22 février, à deux mois exactement d’une échéance politique majeure pour notre pays, le Gouvernement nous demande de voter en urgence une réforme de grande ampleur, qu’il qualifie de déterminante pour l’avenir de notre économie et la compétitivité de nos entreprises,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. … visant à la fois la structure de nos prélèvements obligatoires et le mode de financement de notre système de protection sociale. Est-ce bien le moment ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La vie ne s’arrête pas parce qu’il y a des élections !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. De deux choses l’une : soit il fallait entreprendre cette réforme plus tôt, et je vous renvoie alors aux rapports Besson et Lagarde de la fin de 2007, qui n’étaient clairement pas favorables à la mise en place d’une telle mesure, soit il faut en faire l’un des éléments phares et prioritaires du programme présidentiel et prévoir sa mise en place après les échéances électorales du printemps.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L’immobilisme n’est pas une solution !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je note d’ailleurs que, à l’Assemblée nationale, tant Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales, que Gilles Carrez, rapporteur général du budget, ont vigoureusement soutenu à la tribune qu’il s’agissait là, à leurs yeux, d’une réforme de début de législature. Devant notre commission, hier, Jean Arthuis n’a pas dit autre chose.
Deux autres points, sur le plan de la méthode, me paraissent contestables.
Le premier a trait à l’urgence dans laquelle nous débattons.
Le projet de collectif a été adopté en conseil des ministres voilà tout juste deux semaines. La commission des finances de l’Assemblée nationale l’a examiné le jour même : c’est une performance à mettre au crédit de ses membres et de son rapporteur général, mais cela laisse planer un doute sur la profondeur du travail effectué. Enfin, après que l’Assemblée nationale eut voté le texte hier après-midi, la commission des finances du Sénat, dès hier soir, puis celle des affaires sociales, ce matin, ont examiné celui-ci à leur tour, avant d’entamer la discussion en séance publique cet après-midi… La suite du calendrier est, elle aussi, déjà arrêtée. Au total, le Parlement aura donc adopté, en trois semaines à peine, un texte dont les conséquences sont très loin d’être négligeables pour l’ensemble de nos concitoyens. Quel parlementaire, quelle que soit son appartenance politique, peut décemment accepter un tel passage en force, qui plus est sur des sujets aussi importants ? Ce sont les fondements mêmes de notre démocratie que l’on remet ainsi en question : les parlements n’ont-ils pas été créés, précisément, pour examiner et voter en toute indépendance et sérénité les lois budgétaires des États ?
Le second motif d’interrogation tient aux dates d’entrée en vigueur des réformes que l’on nous demande d’adopter.
Il est prévu que la TVA « sociale » s’applique à compter du 1er octobre prochain. Comment, dès lors, justifier l’urgence d’un vote avant les élections, sauf bien sûr à suivre le promoteur de cette mesure, qui attend de sa simple annonce un rebond de la consommation tout en se disant persuadé, dans le même temps, qu’aucune hausse des prix n’interviendra après l’augmentation de la TVA !
M. Jean-Pierre Caffet. Eh oui !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Il en va de même pour la mesure relative à l’apprentissage. L’article 8 prévoit de relever à 5 % le quota obligatoire de jeunes en alternance dans l’effectif de l’entreprise à compter de l’exercice 2015, c’est-à-dire que ce nouveau quota sera pris en compte pour le calcul de la taxe qui sera payée en 2016 !
Mme Christiane Demontès. Quelle urgence !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Quelle peut-être, là encore, l’urgence de la réforme ?
Ces deux points pourraient, à eux seuls, justifier le rejet du collectif et le vote d’une motion tendant à opposer la question préalable, mais je ne m’en tiendrai pas à ces seuls arguments : je vais maintenant évoquer la teneur des deux articles dont s’est saisie la commission des affaires sociales.
La TVA « sociale », tout d’abord, est une mesure à plusieurs facettes.
Son premier volet consiste en une baisse des cotisations sociales patronales affectées à la branche famille, qui s’élèvent actuellement à 5,4 % de la totalité des salaires versés par les entreprises. Le dispositif proposé tend à les supprimer complètement jusqu’à 2,1 fois le SMIC, puis à prévoir leur diminution progressive jusqu’à 2,4 fois le SMIC. Ce faisant, la mesure étend le dispositif d’allégement général, dit « Fillon », sur les bas salaires. Elle vise en particulier l’emploi industriel. Au total, la baisse de cotisations sociales envisagée atteindrait 13,2 milliards d’euros.
Pour compenser cette perte de recettes pour la branche famille, deux ressources sont mobilisées : la TVA et la CSG.
Le taux normal de la TVA serait ainsi relevé de 1,6 point, passant de 19,6 % à 21,2 %, ce qui rapporterait 10,6 milliards d’euros. Le taux de la CSG sur les revenus du capital serait relevé de deux points, passant de 8,2 % à 10,2 %, pour un produit attendu de 2,6 milliards d’euros.
Cette mesure consistant à mettre en place une TVA curieusement dite « sociale » ne nous paraît pas acceptable. En effet, malgré tous vos démentis, madame, monsieur les ministres, il est clair que la hausse de la TVA aura un effet inflationniste, au moins partiellement – tel a toujours été le cas, en France comme dans les autres pays –, et donc une incidence sur la consommation des ménages et, par voie de conséquence, sur la croissance. N’est-ce pas le contraire de l’effet recherché ?
Par ailleurs, comme nous l’avons toujours dit, la TVA est un impôt injuste, parce qu’il touche particulièrement les plus modestes de nos concitoyens, ceux qui consacrent à la consommation la totalité de leur revenu. Tous ceux qui ont aujourd’hui des fins de mois difficiles auront, dès la rentrée, des fins de mois impossibles !
De plus, l’effet attendu de la mesure sur le plan de la compétitivité semble devoir être relativisé. Les experts que nous avons interrogés nous ont expliqué que cet effet ne se ferait sentir que pendant un temps limité, car nos partenaires européens s’adapteront rapidement au nouveau contexte. De son côté, Jean Arthuis a assimilé la mesure à une dévaluation. Or chacun sait que les dévaluations ne produisent qu’un effet de court terme…
Notre problème de compétitivité est en fait d’une tout autre nature : il résulte d’un retard en matière de création, de recherche, d’innovation. C’est d’une vraie politique industrielle que notre pays a besoin !
Monsieur le ministre, vous avez mentionné une enquête de l’INSEE dont au moins deux grands quotidiens nationaux font largement état dans leur édition d’aujourd’hui. Je me suis procuré le texte complet de cette étude sur le site internet de l’INSEE. Je vais vous en livrer un extrait qui montrera que beaucoup de vérités apparemment bien établies méritent en fait d’être discutées…
À la page 60 de ce document, il est écrit que « dans l’industrie automobile, le coût horaire allemand est le plus élevé d’Europe. Il est en particulier supérieur de 29 % à celui observé en France : 43,14 euros contre 33,38 euros. L’écart se montait à 49 % en 1996 et a donc diminué depuis. Néanmoins, il reste fort important, alors même que le secteur automobile a contribué dans une large mesure à la dégradation du solde commercial de la France. »
Plus loin, on lit que le coût salarial unitaire, le CSU –notion permettant de prendre en compte, outre le coût horaire, la productivité –, a baissé de 0,5 % par an en moyenne dans l’industrie française depuis 1996 !
M. Jean-Pierre Caffet. En effet !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Par souci de vérité, il faut ajouter que, parallèlement, en Allemagne, le CSU a baissé de 0,7 % par an en moyenne, tandis que, au contraire, il a augmenté au Danemark, au Royaume-Uni et en Italie.
Mais il y a plus piquant encore : à propos du CSU, l’INSEE observe que « l’essentiel de la baisse s’est produite entre 1996 et 2000, c’est-à-dire au moment de la mise en place des 35 heures pour les entreprises volontaires (« Ah ! » sur les travées du groupe socialiste.), période où a eu lieu la majeure partie de la baisse du temps de travail ». Mes chers collègues, voilà qui relativise certains jugements catégoriques et hâtifs quelquefois portés dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est pour cela qu’ils n’ont pas supprimé les 35 heures !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le doute ne vous habite pas…
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Enfin, que dire de l’objectif affiché par le Gouvernement, qui prévoit la création de 100 000 emplois à la suite de la mise en place de cette mesure ? Même dans les rapports présentés en 2007 par Éric Besson et Christine Lagarde, il n’était pas question de plus de 30 000 à 40 000 emplois créés, et ce dans un délai de plusieurs années !
Mes chers collègues, quel que soit l’angle sous lequel on examine la réforme proposée – dont certains aspects, je ne le conteste pas, sont a priori séduisants –, on est conduit à douter fortement de son efficacité. Il nous paraît donc impossible de l’adopter aujourd’hui en l’état et d’imposer à nos concitoyens une hausse aveugle de la TVA.
J’ajoute qu’aucune garantie réelle n’est apportée quant à une compensation à l’euro près de la perte de recettes que subira la branche famille de la sécurité sociale. Certes, la remise au Parlement d’un rapport faisant le bilan des comptes est prévue, mais notre commission a déjà connu de telles situations dans le passé : on en revient toujours à ce constat que la sécurité sociale est une variable d’ajustement commode pour le budget de l’État… Étant donné la situation déjà dégradée des comptes de la branche famille, nous ne pouvons cautionner une telle légèreté !
J’en viens à l’article 8, qui porte sur la réforme de la contribution supplémentaire à l’apprentissage. S’il est d’une moindre portée que l’article 1er, il n’est pas moins surprenant. En effet, son dispositif n’entrera pleinement en vigueur qu’en 2016 seulement… Une fois de plus, il s’agit donc surtout d’une mesure d’affichage !
Qui pourrait s’opposer au développement de l’apprentissage dans notre pays ? Personne, bien sûr ! Je le rappelle, nous avons déjà réformé ce mécanisme de soutien à l’apprentissage en juillet dernier, en décidant de le rendre progressif afin de récompenser les entreprises qui augmentent le nombre de jeunes en alternance qu’elles accueillent ou qui vont au-delà de l’obligation légale en la matière, actuellement fixée à 4 % de l’effectif salarié.
Aujourd’hui, il est proposé de relever ce quota à 5 % à compter de 2015. Le dispositif prévoit également une modulation du taux de la contribution supplémentaire à l’apprentissage en fonction de l’écart constaté entre l’effectif des jeunes en alternance présents dans l’entreprise et le seuil fixé par la loi. N’aurait-il pas été plus pertinent, avant de modifier les dispositions de la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, d’attendre que celle-ci ait été complètement mise en application et qu’une évaluation sérieuse de ses effets ait pu être menée ?
Toutes ces considérations militent en faveur du rejet de l’article 8 de ce projet de loi de finances rectificative.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a décidé de soutenir la motion tendant à opposer la question préalable qui a été adoptée hier soir par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Isabelle Pasquet, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la branche famille. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la branche famille, je ferai un constat sans appel : une fois encore, la branche famille sert de variable d’ajustement de nos finances publiques.
Sous prétexte de diminuer le coût du travail et de restaurer la compétitivité de l’économie française, on prive notre protection sociale de ses recettes traditionnelles : les cotisations patronales.
Or la branche famille, autrefois excédentaire, est entrée, depuis 2008, dans un cycle déficitaire d’une ampleur sans précédent. Cette situation résulte pour partie, outre d’un déséquilibre dans la répartition des richesses qui est loin d’être anecdotique, de la crise économique, qui a fait perdre à la branche famille près de 2,7 milliards d’euros de recettes, mais elle s’explique surtout par les conséquences de plusieurs mesures négatives votées ces dernières années, dont la plus significative sur le plan financier et la plus symbolique sur le plan politique est la prise en charge par la branche famille de prestations jusqu’alors servies par la branche vieillesse : je veux parler de la majoration de pension pour les assurés ayant élevé au moins trois enfants et de l’assurance vieillesse des parents au foyer. Pour la seule année 2011, ces deux prestations ont coûté 8,8 milliards d’euros à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF. Il est donc clair que le déficit de la branche famille résulte d’abord d’un choix de politique économique opéré à son détriment pour réduire le déficit du système de retraite.
Mais il y a plus grave encore : la CNAF a connu une fragilisation sans précédent de ses recettes lors de l’élaboration de la loi de finances pour 2011.
En effet, vous vous en souvenez certainement, lors du débat sur le financement de la dette sociale, il a été décidé de doubler le montant de la dette mise à la charge de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, en lui transférant 130 milliards d’euros supplémentaires ! Pour assurer le financement de cette dette, le Gouvernement n’a pas trouvé mieux qu’affecter à la CADES 0,28 point de CSG dont bénéficiait précédemment la branche famille.
À l’époque, notre commission avait unanimement dénoncé cette décision, la qualifiant de « marché de dupes ». Même si je suis personnellement défavorable à la CSG, le fait est qu’il s’agit d’une ressource pérenne et dynamique. En guise de compensation, la branche famille s’est vu attribuer trois recettes aléatoires : la taxe spéciale sur les contrats d’assurance maladie dits solidaires et responsables, dont le produit annuel représente un peu plus de 1 milliard d’euros ; la taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation des entreprises d’assurance, qui doit rapporter 835 millions d’euros en 2011 et en 2012 ; la CSG prélevée « au fil de l’eau » sur les contrats multisupports d’assurance-vie, dont le produit, nous disait-on, s’élèverait à 1,6 milliard d’euros en 2011.
Certes, en 2011 et en 2012, ces trois recettes nouvelles compenseront les 3,5 milliards d’euros de CSG perdus. Mais, dès 2013, le compte n’y sera plus : en effet, la taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation des entreprises d’assurance, qui est une mesure temporaire, ne rapportera plus rien, tandis que le rendement de l’imposition des contrats multisupports d’assurance-vie commencera à décroître, avant de s’annuler à l’horizon 2020. Ce ne sont donc plus 3,5 milliards d’euros, mais seulement 2,3 milliards d’euros, que la branche famille percevra. Elle subira ainsi un manque à gagner de 1,2 milliard d’euros.
Je reconnais qu’il avait également été prévu d’allouer à la branche famille, à compter de 2013, le produit de la contribution assise sur les primes d’assurance obligatoire en matière de circulation des véhicules terrestres à moteur, évalué à 1 milliard d’euros par an. Mais, dans le même temps, la loi de finances pour 2012 a instauré une clé d’affectation des droits de consommation sur les tabacs qui sera moins favorable à la CNAF dès 2013. Ces nouvelles règles d’attribution se traduiront pour cette dernière par une perte de recettes de 400 millions d’euros. Le Gouvernement a donc repris d’une main ce qu’il donnait de l’autre !
En définitive, ce petit montage financier ne rapportera à la branche famille que 600 millions d’euros, soit la moitié de la compensation intégrale annoncée. Et il y aurait beaucoup à dire sur la complexité du système mis en place…
Il résulte de tout cela que le déficit prévisionnel de la branche famille pour 2012 s’élève à 2 milliards d’euros, ce qui est tout à fait considérable. Ce résultat s’inscrit d’ailleurs dans une continuité parfaite mais déplorable avec ceux des années précédentes : le déficit de la branche famille s’est établi à 2,6 milliards d’euros en 2011, à 2,7 milliards d’euros en 2010 et à 1,8 milliard d’euros en 2009.
Dans ce contexte de dégradation continue, je maintiens que la priorité aurait dû être de rétablir l’équilibre de la branche famille, surtout dans la période de crise que nous connaissons, où il est plus que jamais nécessaire de soutenir les plus démunis.
Aujourd’hui, le Gouvernement décide une nouvelle fois de ponctionner les recettes de la branche famille en ne simplifiant pas –c’est le moins que l’on puisse dire – la tuyauterie financière !
Bien sûr, il affirme que la suppression des cotisations patronales affectées à la branche famille sera entièrement compensée par l’affectation à celle-ci des nouvelles recettes de TVA et de CSG. À l’entendre, il s’agirait donc d’un simple transfert financier. Cependant, quelle garantie nous donnez-vous, madame, monsieur les ministres, que la perte de recettes subie par la branche famille sera effectivement et intégralement compensée ? Que se passera-t-il si les recettes de TVA attendues ne sont pas au rendez-vous, du fait d’une réduction de la consommation ?
Le projet de loi de finances rectificative prévoit seulement le dépôt d’un rapport analysant a posteriori les conséquences de cette opération pour l’équilibre de la branche. Est-ce bien sérieux, quand les enjeux sont aussi lourds ?
Le procédé retenu ne peut que nous faire douter de la neutralité du transfert… Il aurait fallu, au minimum, introduire une clause garantissant que la réduction des cotisations sociales serait compensée à l’euro près pour la branche famille.
Cette fragilisation sans précédent de la structure financière de cette branche compromet à coup sûr son retour à l’équilibre à court et à moyen terme. En définitive, c’est l’ensemble de la politique familiale qui est peu à peu détricotée. Je rappellerai, à cet instant, le gel de la revalorisation des prestations familiales décidé à la fin de l’année dernière, mesure que nous avions très vivement dénoncée et à laquelle notre commission s’était opposée. Elle ne constituait en réalité qu’une première étape…
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales pour la branche famille, je vous demande de rejeter ce projet de loi de finances rectificative en adoptant la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Charles Guené remplace M. Jean-Pierre Raffarin au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené
vice-président
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, j’ai de nombreux points de désaccord avec l’analyse présentée par Mme la rapporteure générale (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)…
Mes chers collègues, vous n’allez tout de même pas déposer une motion tendant à opposer la question préalable à mon intervention ! Je vous en prie, écoutez-la ! (Sourires.)
Cela dit, je souscris au propos de Mme Bricq sur un point : le présent projet de loi de finances rectificative est bien inédit,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vrai !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … ce dont, pour ma part, je me réjouis, pour deux raisons en particulier.
Premièrement, il est assez remarquable qu’un gouvernement sortant se livre à un exercice de transparence en matière de finances publiques deux mois avant l’élection présidentielle.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça, c’est du courage !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Un quelconque gouvernement précédent a-t-il agi de même ?
M. Michel Bécot. Jamais !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ne vous sentez pas visés, chers collègues de la majorité sénatoriale, je ne cite personne… Mais vous pourrez le vérifier dans la chronique législative parlementaire : cela est inédit, je le répète !
Qu’observe-t-on ? Dans cette période de croissance incertaine, nous arrivons à tenir le cap, à rester sur le chemin de la convergence.
Deuxièmement, ce n’est pas parce que nous sommes entrés dans un cycle électoral que nous devons nous priver d’idées nouvelles et nous en tenir à quelques discours, engagements, paroles plus ou moins bien pesés, ou encore à quelques compromis entre formations politiques.
On ne peut que se réjouir, à la fin du mandat présidentiel, que le débat soit nourri par l’examen d’une mesure importante, intéressante, structurelle, à savoir l’instauration de la TVA sociale. Si l’on croit en la démocratie, on ne peut que se féliciter de l’inscription à l’ordre du jour de la Haute Assemblée d’un tel texte.
Mme Bricq, citant mon ancien collègue rapporteur général de l'Assemblée nationale Gilles Carrez, indique à juste titre qu’il s’agit plutôt d’une réforme de début de législature. En effet, le chemin que nous empruntons comporte trois étapes : l’engagement qu’il vous est proposé de prendre, mes chers collègues, et de figer dans la loi, tout d’abord,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce sont les Français qui décideront !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … la consultation du corps électoral, ensuite, et enfin la mise en œuvre de la mesure, si elle est adoptée, au 1er octobre prochain ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Attendez que le peuple s’exprime !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Réfléchissons-y, mes chers collègues : comment réussir une réforme de début de législature sans la préparer correctement en fin de législature précédente ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On atteint des sommets !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Le mieux serait de ne pas faire d’élections !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Les nouveaux pouvoirs élus doivent-ils fatalement, avant de pouvoir avancer la moindre idée, passer des semaines, voire des mois, à admirer les dorures de leurs bureaux, à organiser leur administration, à rédiger des décrets d’attribution, à rechercher les compromis nécessaires pour arriver à gouverner ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous parlez de vous !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Écoutez les syndicats !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Les formations qui soutiennent l’actuel gouvernement n’ont-elles pas le droit d’essayer une autre méthode ? En quoi cela vous choque-t-il ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les Français vous répondront !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pourquoi voulez-vous vous évader aussi vite du débat en votant une motion tendant à opposer la question préalable ? Que redoutez-vous ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Rien !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pourquoi nous proposez-vous cette échappatoire ? Qu’est-ce qui vous gêne tant ?
Mme Isabelle Debré. Il faut accepter le débat !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les Français vont être consultés, ce sera plus clair !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Madame Borvo Cohen-Seat, vous le savez bien, pour ce qui nous concerne, nous sommes prêts à consacrer des journées, des nuits à un examen minutieux de chaque article du présent projet de loi de finances rectificative. Quelle disposition de ce texte est à ce point gênante à vos yeux que vous vouliez interrompre un débat à peine commencé ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En plus, ils sont majoritaires ! C’est dommage !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le Gouvernement qui est choquant !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mes chers collègues, qui peut dire que tout aurait été fait en matière de lutte pour la compétitivité et contre le chômage ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout le monde sait que vous n’avez pas tout fait !
Mme Isabelle Debré. François Mitterrand est le seul à avoir dit que tout avait été essayé…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Qui peut soutenir qu’une mesure comme la TVA sociale ne doit pas être débattue, voire essayée ?
Selon l’analyse chiffrée intéressante, fouillée, un peu tendancieuse toutefois de Mme Bricq (Rires sur les travées de l'UMP.) – mais je ne saurais le lui reprocher –, …
Un sénateur du groupe socialiste. Il ne manquerait plus que cela !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … au pire, cette mesure ne créera pas d’emplois. Mais au mieux, elle peut en créer !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au mieux, les prix augmenteront !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ne faut-il pas prendre ce risque, au moment où, selon l’INSEE, le taux de l’inflation est inférieur aux prévisions,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’INSEE dit que le coût du travail est le même en France qu’en Allemagne !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … où l’on observe que le coin social est beaucoup plus important en France qu’en Allemagne ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez dit le contraire !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous ne m’avez pas bien écouté, ma chère collègue !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Elle n’est pas là pour ça !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Si vous ne m’interrompez pas, je m’efforcerai d’être plus pédagogique.
En France et en Allemagne, les charges salariales sont d’un ordre de grandeur voisin, même si elles sont désormais supérieures dans notre pays, alors qu’elles étaient moins élevées auparavant. En revanche, l’écart entre le coût d’un salarié pour l’entreprise, toutes charges incluses, et la rémunération dont bénéficie celui-ci est bien différent d’un pays à l’autre.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Évidemment !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cet écart, déterminant pour la politique de l’emploi, pour la politique salariale de l’entreprise, est beaucoup trop important en France. Nous pouvons le réduire grâce à l’expérience qui nous est proposée, tendant à déplacer le financement du régime des allocations familiales, à concurrence de quelque 13 milliards d’euros, des cotisations patronales vers la TVA –dans une mesure très modérée, voire trop modérée – et la CSG pesant sur les revenus du patrimoine. Cette dernière mesure représente au demeurant un effort important pour l’épargne et pour les classes moyennes ou moyennes supérieures de notre pays.
Mes chers collègues, pour ma part, je soutiens cette expérimentation. Je forme le vœu que le débat soit fructueux et ne s’arrête pas à la suite du vote d’une motion.
Par ailleurs, j’avoue que certaines considérations relatives à d’autres dispositions du présent projet de loi de finances rectificative m’ont surpris.
Hier, lors de la réunion de la commission des finances, j’ai cru comprendre que la souscription française de 6,5 milliards d’euros au capital du Mécanisme européen de solidarité aurait eu vocation à être compensée par un meilleur pilotage de la dépense, afin de ne pas pénaliser davantage nos finances publiques.
On nous a également dit que l’effort de 1,2 milliard d’euros portant sur la réserve de précaution était trop difficile. J’avoue être en désaccord avec cette vision des choses. Je pense que Mme le ministre apportera des précisions sur ce point. La réserve de précaution s’établissant à 4,5 milliards d’euros, on doit pouvoir, en début d’année, annuler 1,2 milliard d’euros de crédits, et prendre les mesures de rigueur de gestion nécessaires pour s’assurer qu’à la fin de l’exercice on ait bien accompli le chemin prévu et respecté l’objectif fixé en matière de déficit.
J’avoue une fois encore ma surprise devant ce que j’estime être un manque de cohérence des arguments qui nous sont opposés. D’un côté, on va presque jusqu’à prêcher pour plus de rigueur en matière de gestion des deniers publics. De l’autre, on soutient que la concrétisation de nos engagements européens – avec l’anticipation du pare-feu que constituera le Mécanisme européen de stabilité – et la constitutionnalisation des principes de gouvernance budgétaire, en d’autres termes la règle d’or, qui consolide la crédibilité de l’édifice européen aux yeux des investisseurs et du reste du monde, sont contestables. Sur ce point encore, on s’évade par l’abstention.
Nous aimerions comprendre la cohérence des arguments qui nous sont opposés. Pour l’heure, nous avons beaucoup de peine à nous y retrouver.
M. Roland du Luart. Absolument !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On va y venir !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. À titre très exceptionnel, je pourrais même me sentir en sympathie avec une déclaration récente de M. Daniel Cohn-Bendit, qui évoquait une hypocrisie de la gauche française et voyait dans l’accord sur le MES l’une des rares concessions positives arrachées à l’Allemagne !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il faut tout lire !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je ne suis pas un admirateur du personnage, mais j’ai trouvé que, comme d’habitude, sa façon de présenter les choses avait le mérite de clarifier certains éléments du débat. Des explications et des réponses sur ce point doivent être apportées.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. On y viendra !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pourquoi se réfugier dans l’abstention sur un sujet aussi crucial que la pérennité de la zone euro ?
Ce sujet figure bien dans le présent collectif budgétaire, puisque la principale proposition qu’il comporte est d’engager 6,5 milliards d’euros pour anticiper la mise en place du Mécanisme européen de stabilité.
La cohérence ne me semble pas davantage prévaloir sur deux autres sujets.
Je pensais que la majorité sénatoriale applaudirait la mise en place d’une taxation des transactions financières, compte tenu des débats antérieurs et de la difficulté que j’ai pu autrefois éprouver à m’opposer à une vision que j’estimais quelque peu angélique en la matière.
Je me remémorais – ce souvenir est encore plus récent – le débat de l’automne sur le trading haute fréquence. Mme Bricq avait déposé un amendement auquel M. Lellouche, au nom du Gouvernement, s’était opposé. Or voici que le Gouvernement propose aujourd'hui le même amendement, et que notre excellente rapporteure générale fait la fine bouche… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) C’est en tout cas le sentiment que j’ai eu !
En somme, comme l’écrit un quotidien, nous nous retrouvons un peu à front renversé sur ce sujet. Cela peut parfois arriver dans les débats parlementaires…
S'agissant du financement de l’économie, et en particulier de l’industrie, j’avoue, en ce qui me concerne – mais je ne suis qu’un observateur extérieur –, ne pas bien comprendre quelles sont les différences essentielles entre la proposition qui nous est faite de capitaliser OSEO-Industrie à hauteur de 500 millions d'euros et ce qui figure dans le programme du candidat soutenu par l’essentiel de la majorité sénatoriale.
M. Jean-Pierre Caffet. Plagiaire !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En effet, il s’agit là aussi de créer une nouvelle banque publique destinée à faire fructifier les initiatives des entreprises, en particulier des PME.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. À la vérité, qu’est-ce qui sépare ces deux propositions ? Pourquoi rejeter, pour des raisons de forme, le dispositif présenté dans ce collectif budgétaire, alors qu’il vise manifestement le même objectif d’intérêt général que la proposition du candidat socialiste ?
Mes chers collègues, faut-il s’attrister que, sur certains points d’ordre plutôt technique, les grandes familles politiques de notre pays puissent se retrouver ? Cela me semble être plutôt une bonne chose que, dans des domaines de cette nature, nous puissions évoquer sans faire la fine bouche des solutions qui ne sont finalement pas si différentes l’une de l’autre.
En conclusion, mon sentiment est que la motion qui va nous être présentée constitue une fuite devant le débat.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
Mme Isabelle Debré. C’est dommage !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mes amis et moi-même regrettons très profondément cette initiative. S'agissant de l’abstention annoncée de la semaine prochaine, nous considérons qu’il serait encore plus regrettable que vous mainteniez cette attitude.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est irresponsable !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Arrêtez !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En effet, il s’agirait là aussi, de votre part, d’une fuite devant les responsabilités qui sont les nôtres. Une grande formation politique de gouvernement, ou du moins qui aspire à gouverner, doit à notre sens faire passer l’intérêt général, l’intérêt national avant les questions électoralistes et les intérêts de parti ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous faites passer l’intérêt des banques avant celui des peuples !
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je voudrais dire à mon tour combien je me réjouis que le débat sur le financement de la protection sociale, et plus précisément sur l’incidence de celui-ci sur le coût du travail et la compétitivité de la production nationale, vienne enfin devant le Parlement.
Certes, les conditions du débat sont inouïes, puisque le projet de loi de finances rectificative qui lui sert de support nous est soumis précipitamment,…
M. Jean-Pierre Caffet. C’est un euphémisme !
M. Jean Arthuis. … pour être voté à la veille de l’élection présidentielle, alors même que les dispositions qu’il contient, notamment celles qui sont relatives à la TVA, ne prendront effet qu’à l’automne.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est bizarre…
M. Jean Arthuis. Cependant, Philippe Marini vient de m’éclairer et a apaisé ma perplexité.
C’est un débat que j’appelle de mes vœux depuis 1993,…
M. François Trucy. C’est vrai !
M. Jean Arthuis. … année de la publication de mon premier rapport sur les délocalisations d’activités et d’emplois. Ce débat a été monstrueusement faussé au soir du premier tour des élections législatives de juin 2007, sans cesse ajourné alors que nous ne manquions jamais, à l’occasion des débats d’orientation sur les prélèvements obligatoires ou de la discussion des projets de loi de finances, de tenter de l’engager.
Je doute que le moment soit optimal, mais je veux mettre à profit cette circonstance pour rappeler mes convictions et combattre les poncifs et les fausses vérités que j’ai encore entendus il y a quelques instants et qui inspirent les tenants de l’immobilisme et de la fatalité face aux enjeux de la mondialisation.
L’atonie de la croissance, la montée du chômage, la désindustrialisation, le déficit record de notre commerce extérieur – 70 milliards d'euros en 2011 – sont autant de signaux alarmants.
Mme Christiane Demontès. La faute à qui ?
M. Jean Arthuis. Les candidats à l’élection présidentielle conviennent de privilégier désormais la production, de substituer une politique de l’offre à une politique de la demande. Saluons cette soudaine lucidité et demandons-nous grâce à quelles mesures nous allons enfin pouvoir inverser la tendance, interrompre la chronique du déclin par des actes conséquents. Dans le catalogue consensuel – je ne saurais reprendre à mon compte les appels illusoires au protectionnisme –, il y a bien sûr la recherche, la formation professionnelle, l’innovation, les hautes technologies et tout le florilège des incantations anesthésiantes bien connues relatives à la défense des consommateurs.
La consommation est le moteur de la croissance, nous dit-on. Cela est vrai mais, à l’heure de la mondialisation, la consommation peut être le moteur de la création d’emplois ailleurs que sur notre territoire national, en Asie notamment. Qu’il me soit permis, à cet égard, de dénoncer la connivence entre les acteurs économiques avides de profits immédiats et les consommateurs, la sphère publique étant complice de ce complot, si j’ose dire, au détriment des producteurs et des salariés du secteur concurrentiel.
La mondialisation a changé la donne et fait la part belle aux distributeurs comme aux financiers, qui peuvent rechercher l’approvisionnement hors de notre territoire. Ce complot implicite conduit inexorablement vers la paralysie, d’où la prometteuse idée de rétablir notre potentiel de production, à condition de redonner à l’économie française sa pleine compétitivité.
En effet, force est de constater que nos lois et règlements font peser sur les entreprises et les conventions relatives au travail des rigidités excessivement pénalisantes qui ne seront levées que par de courageuses réformes structurelles, lesquelles se font attendre. Je garde cependant l’espoir de les voir aboutir prochainement.
Subsistent les incohérences de notre système de prélèvements obligatoires. Si nous convenons, mes chers collègues, que notre salut dépend de notre capacité à produire au moins l’équivalent de ce que nous consommons, nous devons alors nous interroger sur la pertinence du financement actuel de notre protection sociale.
Est-il logique de prélever des cotisations assises sur les salaires pour assurer le paiement des pensions de retraite ? Oui, car les pensions sont des salaires différés. Le lien est également établi pour l’indemnisation du chômage ou des accidents du travail. En revanche, la politique familiale et la politique de santé concernent tous les citoyens, et pas seulement les salariés.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. Jean Arthuis. Il est donc abusif de faire peser sur les salaires et les revenus des travailleurs indépendants, c’est-à-dire sur la production, le coût du financement des branches famille et santé de la sécurité sociale. Par conséquent, il est urgent de transférer vers d’autres assiettes le poids de ces charges qui contrarient la progression vers notre objectif proclamé de combattre le chômage.
J’entends immédiatement, naturellement, des voix s’élever pour souligner que les écarts en matière de salaires sont tels, entre la France et l’Asie, que toute réforme est vaine et qu’il n’y a donc pas de motif pour agir. Autre argument pour ne rien faire : les salaires pèsent peu dans les dépenses d’exploitation des entreprises. Cela est vrai, mais soutenir cet argument c’est oublier que les achats et autres consommations intermédiaires des entreprises contiennent le montant des frais de personnel supportés par les fournisseurs, en amont. C’est dire si le poids des salaires et des charges sociales est prédominant. Toute baisse significative des charges sociales a pour conséquence d’alléger le prix de revient, et par là même le prix hors taxes.
À ceux qui doutent, je veux faire observer que nos pratiques s’apparentent à des droits de douane qu’acquittent seuls ceux qui produisent et emploient encore en France, tandis qu’en sont exonérés tous ceux qui vont produire ailleurs puis importent cette production pour répondre à l’attente des consommateurs français.
M. Jean-Pierre Caffet. La TVA n’est pas un droit de douane !
M. Jean Arthuis. Il y a urgence à mettre un terme à ce masochisme autodestructeur !
Ce postulat étant admis, comment assurer l’équilibre des branches famille et santé de la sécurité sociale ? En sollicitant les entreprises ? Ce serait tout à fait politiquement correct, mais ne courrait-on pas alors le risque de les voir déserter notre territoire ? Au surplus, mes chers collègues, y a-t-il tant d’impôts, de taxes et de cotisations sociales obligatoires supportés par les entreprises que l’on ne retrouve pas dans les prix des produits, acquittés par les consommateurs ? C’est donc une voie sans issue.
Dès lors, l’impôt ne peut être prélevé que sur le patrimoine de nos compatriotes, sur leur revenu ou sur la consommation. À mon avis, tout supplément d’impôt sur le patrimoine ou le revenu doit être affecté à la réduction de nos déficits publics et de notre endettement.
Dans ces conditions, reconnaissons, si vous le voulez bien, que seule la TVA nous offre des marges de manœuvre. Malheureusement, la hausse de la TVA déclenche instantanément des oppositions passionnées. Je voudrais tenter de mettre de la raison dans notre débat, en répondant à deux questions : le relèvement de la TVA conduit-elle automatiquement à la hausse des prix, au détriment des consommateurs ? La TVA est-elle si injuste ?
Concernant la première question, il doit être rappelé que la hausse de la TVA a pour objet de compenser la baisse des charges sociales pesant sur la production en France. Mécaniquement, les prix hors taxes des biens et services issus du travail accompli sur notre territoire doivent baisser à des niveaux tels que le supplément de TVA n’aboutira pas demain à un prix TVA comprise supérieur à ce qu’il est aujourd'hui. À mes yeux, il n’existe donc pas de risque d’inflation.
Du reste, si certains chefs d’entreprise étaient tentés de conserver pour eux ce supplément de marge en augmentant leurs prix, je ne doute pas que le Gouvernement mobiliserait les 4 000 agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, pour leur faire passer le bon message.
Pour ce qui concerne les exportations, nous bénéficierons bien sûr d’un gain de compétitivité, puisque les produits exportés sont exonérés de TVA.
S’agissant des produits importés, leurs prix devraient bien sûr augmenter. Toutefois, mes chers collègues, je vous rends attentifs au fait que les entreprises qui font les marges les plus substantielles sont celles qui importent. Gageons que les distributeurs n’auront pas l’outrecuidance de répercuter l’intégralité du supplément de TVA sur les prix demandés aux consommateurs.
Au total, il me paraît urgent de réconcilier le consommateur et le producteur. Le vrai pouvoir d’achat, ne l’oublions jamais, est la contrepartie du travail accompli et de la création de richesses.
Deuxième question : la TVA est-elle à ce point injuste ? Certes, ceux qui disposent de faibles ressources les dépensent pour subvenir à leurs besoins essentiels. La taxe est donc payée sur l’intégralité de leurs revenus, alors que les revenus des contribuables aisés ne sont que partiellement affectés à la consommation. Ces derniers restent toutefois soumis à l’impôt progressif sur leurs revenus.
Troisième question : y a-t-il pire injustice que d’être privé d’emploi ? De ce point de vue, les charges sociales actuellement recouvrées me semblent véritablement injustes en ce qu’elles privent d’emploi nombre de nos concitoyens.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Jean Arthuis. Enfin, la réforme proposée a été mise en application avec succès dans d’autres pays. Dois-je rappeler que, en 1987, les Danois ont institué une TVA au taux unique de 25 % et supprimé au même moment, dans un consensus général, les cotisations sociales ? Je rêve qu’un tel dialogue social puisse voir le jour dans notre pays ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Les Danois ont réussi cette réforme ! Quant aux Allemands, on l’a rappelé, ils ont augmenté de 3 points leur taux de TVA en 2007,…
M. Jean Germain. Ils ont aussi augmenté les salaires !
M. Jean Arthuis. … une TVA partiellement sociale puisqu’une fraction a été consacrée à la réduction des déficits publics.
Autre question : aurons-nous un jour un taux de TVA sans chiffres après la virgule ?
M. Bruno Sido. C’est une vraie question !
M. Jean Arthuis. Je crois que nous y gagnerions en visibilité. En effet, comment expliquer que l’on augmente un taux de 19,6 % de 1,6 point pour arriver à 21,2 % ?
M. Jean-Pierre Caffet. Et pourquoi pas 25 % alors ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Arthuis. Enfin, madame la ministre, pourquoi si peu et pourquoi si tard ?
En dépit de ma perplexité, je voterai ce premier pas, précipité et tardif, au service de l’allégement du coût du travail et de la compétitivité. Cet allégement, j’en ai la conviction, est l’un des leviers – même s’il est trop modeste – de la croissance et de la confiance. C’est l’une des conditions – ce n’est pas la seule – pour produire en France et assainir nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons un projet de loi de finances « rectificative ». Est-ce le qualificatif qui convient vraiment ? Pour le dictionnaire, « rectifier » signifie rendre droit.
Certes, nous n’attendons pas de vous, madame la ministre, un tel aveu de l’inadéquation du projet de loi de finances, voté voilà quelques semaines, avec les attentes réelles du pays.
Certes, ce projet de loi de finances rectificative est basé sur des hypothèses de croissance revues à la baisse pour 2012, mais il a surtout et fondamentalement une vocation électoraliste, avec des mesures dites « phares » dans ses articles 1er et 2 telles que la « TVA sociale » ou l’introduction d’une « taxe sur les transactions financières », cette dernière disposition, on l’a rappelé, qui a été adoptée par la majorité sénatoriale dans le projet de loi de finances pour 2012 et dont le Gouvernement rejetait le principe…
Mon propos se concentrera sur le projet de TVA dite « sociale », annoncé par le Président de la République dans ses vœux aux Français, et dont les modalités furent par lui communiquées ce 29 janvier, modalités parmi lesquelles une mise en application en octobre 2012, ce qui est aussi révélateur de vos intentions réelles.
Pourquoi faire cette proposition si tard, à contretemps ? M. Marini nous a dit qu’il ne fallait pas se priver d’idées nouvelles, mais il s’agit tout de même de vielles lunes ! (Rires sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Le principe de la TVA sociale est simple : augmenter le taux de la TVA pour compenser une baisse des charges sociales sur les salaires visant à réduire le coût du travail. De fait, votre projet, ce sont 13,2 milliards d’euros de suppression de cotisations sociales patronales compensés par une hausse de 1,6 point du taux de TVA et de 2 points de la CSG.
Vous annoncez péremptoirement, mais sans véritable justification, la création de 100 000 emplois par le biais de cette mesure. Vous savez pourtant que cette prévision est très contestable. Dans son rapport, Nicole Bricq conclut, quant à elle, à une évolution de l’emploi de moins 20 000 à plus 30 000.
M. Francis Delattre. Tu parles !
M. Jacques Mézard. Avec la TVA sociale, l’objectif est aussi d’aboutir à ce que, par la consommation intérieure, les produits français soient favorisés par rapport aux produits importés.
Vous faites le choix de ne baisser que les charges patronales. Vous faites le choix de faire supporter le coût de la mesure par l’ensemble des citoyens, dont les plus modestes d’entre eux. Vous faites le choix de prendre le risque, très fort, d’un effet inflationniste, avec une augmentation des prix à la consommation.
L’exemple allemand est l’illustration de ce risque, cet exemple auquel vous vous accrochez ces derniers mois comme au seul remède efficace à la crise, alors que le relèvement en 2007 du taux de TVA en Allemagne avait pour premier objectif avoué de contribuer à la restauration de l’équilibre des finances publiques…
M. Jean-Pierre Caffet. Exact !
M. Jacques Mézard. … et pour second objectif d’abaisser les cotisations chômage payées par les employeurs et les salariés. Lorsque, comme vous le faites souvent, vous citez en exemple le Chancelier Schröder, vous omettez de rappeler qu’il était opposé à la TVA sociale !
J’ajouterai que, selon l’économiste Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, la modeste baisse des charges qui a accompagné la hausse de TVA « n’est pour rien dans la bonne santé actuelle de l’industrie allemande ».
Nombre de spécialistes partagent cet avis et soulignent le dilemme entre les deux principaux effets – l’un sur l’emploi, l’autre sur la compétitivité – qu’auraient des baisses de cotisations uniformes qui toucheraient essentiellement les emplois qualifiés : effets, certes, sur la compétitivité mais très faibles sur l’emploi et presque nuls sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Il est justement souligné que les effets positifs attendus ne peuvent être immédiats et qu’en outre, à long terme, l’effet de la TVA sociale sera nul. On ne peut donc attendre des effets positifs – limités – qu’à moyen terme, avec des effets négatifs immédiats sur le pouvoir d’achat.
La consommation est un moteur traditionnel de la croissance française. Le coût du travail, rappelons-le, n’est pas le principal et seul facteur de compétitivité. Recherche et innovation sont fondamentales pour engendrer une croissance et une compétitivité durables.
Nous n’oublions pas certaines de vos initiatives précédentes destinées officiellement à développer l’emploi, comme la baisse de la TVA dans la restauration ou la suppression de la taxe professionnelle, censée éviter les délocalisations. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Mesures à effet médiatique, à l’efficacité plus que douteuse, mesures qui par leur tardivité démontrent l’échec d’une politique qui ne prépare pas l’avenir !
Nous qui avons majoritairement voté le plan de relance au début de la crise, nous savons exprimer des convictions fortes, comme nous venons le faire sur le nucléaire ; en votant très majoritairement la motion tendant à opposer la question préalable, c’est notre opposition à ce projet de loi de finances rectificative qui ne rectifie en rien une politique économique, financière et fiscale aux effets négatifs que nous manifesterons. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Marini a cité – pour la première fois de sa vie, a-t-il précisé – Daniel Cohn-Bendit. Plus modestement, je citerai un propos de sagesse populaire du Président Chirac : « Plus c’est gros, mieux ça passe ! » (Sourires.) Cette boutade, nous avons l’impression que le Président de la République actuel l’a érigée en devise personnelle.
Cela fait maintenant cinq ans – longues années ! – que le pouvoir en place mène une politique économique désastreuse pour la France, les Françaises et les Français, cinq ans que nous nous engageons sur un chemin où la rigueur et l’injustice forment le seul modèle que nos dirigeants soient capables de nous proposer. Et, manifestement, ils récidivent !
Plus c’est gros, mieux ça passe… Alors, allons raconter aux Français qu’en augmentant la TVA on n’augmente pas les impôts, que ça n’augmentera pas les prix et que c’est bon pour eux !
Forcément, là, ça ne passe plus ! L’arbre ne cache plus la forêt : le désastre est trop important, trop visible.
Madame la ministre, en lançant des réformes comme des bouées à la mer, vous espérez certainement faire oublier le bilan catastrophique du Gouvernement : un chômage record, une dette qui a explosé – pas seulement à cause de la crise, vous le savez bien –, un triple A, dont vous aviez fait l’élément central de votre politique, perdu, symbole de votre échec. Il faut donc au Président de la République bien du culot pour venir se présenter aujourd'hui en sauveur face à la crise. Les idées, évidemment, il fallait les proposer avant la veille de l’élection !
Vous prétendez améliorer l’emploi avec une réforme de l’apprentissage, mais quelles mesures avez-vous mises en œuvre pour atteindre ce « plein emploi » promis par Nicolas Sarkozy en 2007 ?
« Ensemble, tout devient possible »… C’est bien ce qui m’inquiète !
Je constate qu’approcher la barre de 10 % de taux de chômage, ça, oui, c’est possible ! Nous y sommes presque, malheureusement. Cela représente plus d’un million de personnes supplémentaires à Pôle emploi, institution qui fonctionne d’ailleurs très mal.
Au lieu de stigmatiser les chômeurs, le Gouvernement ferait mieux de s’en occuper davantage. Ce dont nous avons besoin, ce sont de mesures contre le chômage. Or vous nous proposez des mesures contre les chômeurs !
Les heures supplémentaires ont-elles permis de diminuer le chômage ? Non, bien au contraire ! On a constaté l’inefficacité de cette mesure absurde et dispendieuse.
La droite a donc tout à la fois créé du chômage de masse et précarisé le travail. Vous voulez que les choses s’améliorent pour l’emploi en France ? Je vais vous proposer une chose simple : arrêtez, ne touchez plus à rien ! Par pitié, cessez le carnage ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
« Arrêter, alors que l’élection présidentielle aura lieu dans deux mois ? Vous n’y pensez pas », me direz-vous. L’élection approche, et il faut donc séduire le camp adverse, reprendre des formules fortes, derrière lesquelles cacher un contenu creux. La TTF en est l’exemple parfait.
Vous ne trompez évidemment personne avec cette « pseudo-mesure ». Même le Royaume-Uni applique un taux cinq fois plus élevé que celui que vous nous proposez. Autant dire qu’il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan des transactions financières !
Alors que le système britannique – qui n’est d’ailleurs pas mon modèle – prévoit également une exit tax de 1,5 % pour les actions négociées à l’étranger, le Gouvernement opte pour un système déclaratif qui restera en pratique lettre morte puisque les opérateurs étrangers ne pourront pas être sanctionnés.
Par ailleurs, je me permets de faire observer – mais nous ne sommes plus à un paradoxe près – qu’il est assez contradictoire d’afficher l’intention de taxer les transactions financières et, dans le même temps, de supprimer, dans votre texte initial, la taxe sur la cession d’actions et de parts sociales, dont la création n’avait donné lieu à aucune contestation.
Le comble, c’est que, lorsque nous avions, nous, proposé la taxation des transactions financières, vous trouviez cela complètement absurde. Vous nous imploriez, il y a quelques mois, de retirer un amendement visant à taxer les transactions financières. Je cite M. Lellouche, présent ce jour-là au banc du Gouvernement : « […], de grâce, évitons un geste isolé qui serait contre-productif à la fois pour notre place financière et pour ce combat que nous menons avec conviction ! »
Bien évidemment, le Gouvernement n’a pas changé d’avis, pas plus d’ailleurs, je le suppose, que l’opposition sénatoriale : il ne s’agit que d’artifices et de poudre de perlimpinpin.
M. Francis Delattre. Pour 1 milliard d’euros tout de même !
M. Jean-Vincent Placé. La proposition d’une TVA dite « sociale » ne nous rassure guère sur ce point.
Chers collègues de l’UMP, vous pouvez sans doute reprendre à votre compte cette analyse : « Une augmentation généralisée de la TVA ? En aucun cas ! Pour une raison assez simple... C’est que ça pèserait sur le pouvoir d’achat des Français, sur la consommation des Français, et que ça serait injuste... Et j’ai le devoir de veiller à la justice. Et donc ça serait facile, mais injuste. » Ces propos ont été tenus par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, celui-là même qui défend aujourd’hui corps et âme cette mesure. « Facile, mais injuste » : il faut croire que vous avez choisi la facilité plutôt que la justice !
La TVA représente en effet l’impôt le plus injuste, pénalisant les ménages les plus modestes. Elle représente 14 % du revenu des ménages les plus pauvres, contre seulement 5 % du revenu des plus riches.
Déjà, le passage du taux réduit de la TVA de 5,5 % à 7 % a pénalisé les ménages et le développement durable, en s’attaquant à l’eau, aux transports en commun, à la rénovation des logements... Désormais, c’est l’ensemble du budget des consommateurs qui sera touché, et ce en pleine période de crise.
Cela va de soi : une hausse de la TVA augmentera fatalement les prix. Dire le contraire serait mentir aux Français. Vous le savez très bien, tous les exemples le prouvent.
En Allemagne, ce pays que vous aimez tant citer, la Bundesbank a étudié les conséquences de la hausse de 3 points de TVA en Allemagne, en 2007. Cette hausse a entraîné une augmentation des prix de 2,6 %. Sachant que, depuis un an, les prix ont déjà augmenté de 2,3 %, a-t-on vraiment besoin de cela ?
Pourquoi M. le président-candidat, si attaché aux référendums dernièrement, ne soumet-il pas l’idée de cette TVA au vote des Français ? On en reparlera le 22 avril 2012, car ce sera, je crois, le seul référendum qui vaille... En tout cas, ce serait un pari risqué, puisque la hausse de la TVA de 19,6 % à 21,2 % pour financer une baisse des charges patronales sur les salaires n’est considérée comme une « bonne décision » que par 28 % de l’ensemble des Français, selon un sondage. Le caractère injuste de la TVA fait, je crois, l’unanimité.
Cette mesure est également foncièrement inutile et même dangereuse ; dangereuse, parce qu’elle représente une course à l’échalote pour le dumping social. En effet, même si le mécanisme fonctionnait – je ne pense pas que ce soit le cas – et que la baisse des charges patronales permettait de restaurer la compétitivité des entreprises – j’attends de voir ces fameux 100 000 emplois –, ces dernières seraient-elles capables de faire face aux prix de la Chine, de l’Inde ou d’autres pays en grand développement ? Après avoir cité Chirac et Sarkozy, je renvoie maintenant aux propos de Villepin, qui estimait que le rapport était de 1 à 30.
Notre adversaire est en fait notre allié : on voudrait rivaliser avec l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie... En fin de compte, c’est une Europe ultralibérale du « tous contre tous » que nous propose le Gouvernement. Offrir les salaires les plus misérables pour vendre un petit peu : c’est ça le raisonnement économique du Gouvernement ? Va-t-il falloir, petit à petit, revenir sur tous les acquis sociaux pour être compétitif face à la Pologne ou à la Roumanie ? C’est un jeu dangereux auquel les écologistes ne souhaitent pas prendre part. Nous, nous voulons une Europe solidaire, cohérente, qui s’ajuste par le haut et non par le bas.
Les sacrifices des Françaises et des Français ne peuvent être gaspillés dans des combats perdus d’avance. Cet effort permettra-t-il de financer les écoles, la santé ou le développement durable ? Bien sûr que non ! C’est simplement un cadeau de plus aux entreprises. Pour quel résultat ? Dans le meilleur des cas, cette mesure bénéficierait seulement à 25 % à l’industrie, secteur économique pourtant le plus directement exposé à la concurrence internationale.
C’est un projet sans vision stratégique de long terme que vous nous présentez. Au lieu d’investir dans les filières d’avenir, comme les énergies renouvelables, l’isolation des bâtiments, les transports en commun ou d’organiser la reconversion, vous préférez vous entêter à investir, à fonds perdu, dans des filières du passé, probablement vouées, malheureusement, à disparaître.
Le développement durable, avec le formidable vivier d’emplois qu’il recèle pour notre économie, ne semble pas vous intéresser. Vous préférez vous appuyer sur un modèle de développement obsolète. Les pansements que vous proposez n’y feront rien, car le mal est structurel et non conjoncturel, contrairement à ce que vous essayez de faire croire à qui veut bien l’entendre. La crise, c’est la politique de dérégulation mise en œuvre par votre famille politique qui l’a créée et qui l’amplifie.
Ce dernier « coup de communication » sonne heureusement le glas de votre échec, l’échec d’un président-candidat impuissant qui détourne honteusement les moyens du Parlement pour faire campagne.
M. Jean-Vincent Placé. S’il veut présenter un nouveau projet économique pour la France, qu’il le fasse pendant ses meetings et non par le biais d’un projet de loi de finances rectificative inopportun à deux mois de l’élection présidentielle.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, les écologistes estiment que ce débat n’a pas lieu d’être au sein de la chambre haute et voteront unanimement la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce premier projet de loi de finances rectificative pour 2012 était attendu... En effet, au mois de décembre dernier, la majorité gouvernementale avait accepté de voter un budget dont on savait que les fondements étaient biaisés du fait d’une hypothèse de croissance irréaliste. Il fallait donc corriger la copie au plus vite !
Les petits ajustements du texte n’aboutissent cependant en aucune façon à masquer la triste réalité d’un énorme déficit budgétaire en 2012, qui reste « scotché » à plus de 78 milliards d’euros. Malgré les rafistolages, la politique désastreuse des recettes conduite ces dernières années laisse, hélas ! des traces comptables indélébiles.
Ce qui caractérise avant tout le projet de loi de finances rectificative qui nous est aujourd’hui soumis, ce qui constitue sa disposition emblématique, c’est la dimension totalement improvisée, voire bricolée, qui a été introduite avec ce dispositif de TVA dite « sociale », sans oublier la mini-taxe sur les activités financières, inspirée du stamp duty anglais.
On ne peut que regretter ce travail d’improvisation conduit dans une réelle panique de fin de mandat, d’autant que le dispositif à 13 milliards d’euros rajoutera encore à l’injustice, tout en se révélant économiquement inefficace, voire contre-productif. Je vais m’attacher à en apporter la démonstration.
On le sait, c’est le constat alarmant d’un déficit commercial en 2011 supérieur à 70 milliards d’euros qui a semé la panique à l’Élysée au mois de décembre dernier. Il est vrai que la politique conduite ces dernières années à l’égard des PME s’est révélée catastrophique dans ses résultats à l’export.
Avec sa mesure de TVA dite « sociale », le Gouvernement, pris soudain d’un remord tardif, essaie maladroitement de masquer ses carences passées.
À partir des comparaisons internationales, on est en droit d’émettre aujourd’hui un jugement très sévère sur la politique conduite en France, tant elle s’est révélée inadaptée, néfaste même pour le développement des PME, la compétitivité internationale, voire l’industrie dans son ensemble. Pourtant très coûteuse pour les finances publiques – je pense aux « niches » –, cette politique a été d’une efficacité réduite tant en matière de formation, d’innovation que d’investissements industriels. C’est ce que la Cour des comptes a récemment souligné dans son rapport 2011. Elle a même souligné que les financements sur garanties publiques ont pu conduire à l’effet pervers d’accompagner en fait des stratégies de délocalisation des entreprises.
Je tiens ici à faire observer que l’effort d’investissement et la création de richesses n’ont pas été ces dernières années plus élevés en Allemagne qu’en France. Ils ont simplement été concentrés sur des secteurs exportateurs à la profitabilité restaurée. C’est de cette différence de politique économique que viennent la forte érosion industrielle constatée dans notre pays et le fossé qui s’est creusé avec l’Allemagne.
La politique publique inéquitable de la France à l’égard de ses PME s’est plus particulièrement ressentie dans le domaine de la fiscalité, où l’on peut véritablement parler d’un déni de justice à l’égard des PME, notamment pour l’impôt sur les sociétés. Il existe en effet dans notre pays un réel problème concernant l’impôt sur les sociétés, qui souffre d’un mitage excessif et croissant de son assiette. Ainsi, alors que le taux nominal de 33,3 % s’applique aux petites entreprises, il tombe à 20 % pour les entreprises de 50 à 249 salariés, à 13 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés et seulement à 8 % pour les sociétés du CAC 40.
Le Conseil des prélèvements obligatoires a d’ailleurs chiffré le coût des niches fiscales favorables aux grandes entreprises à environ 100 milliards d’euros. Ce constat nous avait conduits, mes collègues du groupe socialiste et moi-même, à déposer au printemps dernier une proposition de loi tendant à améliorer la justice fiscale, à restreindre le « mitage » de l’impôt sur les sociétés et à favoriser l’investissement. Elle n’a pas eu l’heur de plaire au Gouvernement.
Avec sa TVA dite « sociale », le Gouvernement a donc fait le choix d’alléger la charge des entreprises en reportant le coût sur la fiscalité des ménages. Le souci, c’est que les injustices fiscales n’ont fait que croître et se multiplier depuis dix ans. La TVA sociale ne va-t-elle pas rajouter à l’injustice ? On a aujourd’hui toutes les raisons de le penser. En effet, solliciter l’impôt proportionnel – la TVA – ou bien l’impôt progressif – l’impôt sur le revenu –, ce n’est pas du tout la même chose.
Nous le savons, en France, la part de l’impôt progressif a très fortement régressé depuis dix ans au profit de l’impôt proportionnel. La fiscalité des ménages est de plus en plus injuste et de moins en moins progressive. Nul ne peut ignorer que les impôts ont ces dernières années été massivement baissés pour les plus riches. Sur la période 2002-2012, on estime le montant total de cette baisse à 30 milliards d’euros, soit 3 milliards d’euros par an ! Les chiffres présentés dans le portrait social de la France de l’INSEE au mois de décembre dernier confirment pleinement cette analyse.
C’est dans ce contexte dégradé et fortement inégalitaire que le Gouvernement fait aujourd’hui ce choix improvisé d’accroître la TVA, s’inspirant en la matière de cette idéologie libérale qui préconise aujourd’hui, dans de nombreux pays européens, de pressurer les consommateurs et de servir les copieux repas de niches fiscales des plus riches dans les « assiettes fiscales larges » des plus pauvres.
M. Richard Yung. Eh oui !
M. François Marc. Madame la ministre, pourquoi ne pas admettre que votre mesure est fondamentalement injuste et pénalisera en priorité les personnes modestes ? Tout le monde le dit aujourd'hui ! Vous savez comme moi qu’un nombre croissant de Français vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Ces derniers sacrifient une part de plus en plus importante de leur budget pour couvrir les dépenses élémentaires ; une hausse de la TVA de 19,6 % à 21,2 % augmentera de manière significative le coût de leurs dépenses courantes.
Cette situation est d’autant moins acceptable dans une période où le surendettement repart à la hausse – la Banque de France indique que le nombre de dossiers déposés en 2011 a progressé de près de 7 % –, où les écarts de richesses et de patrimoine s’accroissent et où le prix du carburant grimpe un peu plus chaque jour. Que dire encore des personnes retraitées qui, avec cette mesure, devront payer une seconde fois des cotisations qu’elles ont déjà acquittées tout au long de leur vie active ?
Impôt inéquitable par excellence, la TVA pèse trois fois plus sur les ménages modestes que sur les ménages qui ont des revenus élevés et qui en épargnent une partie importante. Les dernières études mettent en évidence qu’au bas de l’échelle on contribue pour 18 % de ses revenus aux impôts indirects, alors que les mieux pourvus plafonnent seulement à 7 %.
Je tiens enfin à appeler l’attention sur le fait que cette mesure apparaît comme une mauvaise décision économique, avec des effets pervers qui peuvent être redoutables. Beaucoup comme moi considèrent que le moment choisi pour instaurer cette TVA sociale génère un risque additionnel pour la reprise, car la consommation des ménages sera freinée. Le récent baromètre OpinionWay indique que les dirigeants d’entreprise eux-mêmes redoutent les impacts négatifs de la TVA sociale sur la consommation des ménages.
Pour leur part, les économistes de la Bundesbank estiment que la hausse de la TVA en Allemagne a bien eu un effet inflationniste, mais se disent incapables d’attester d’un impact positif sur la création d’emploi et la compétitivité. D’où viennent alors vos projections de 100 000 créations d’emploi ? L’étude de l’OFCE, à laquelle a fait référence à bon escient Mme la rapporteure générale dans son intervention, indique que, si cette mesure peut créer 40 000 emplois, elle peut aussi en détruire 15 000. À notre sens, le chiffre de 100 000 emplois que vous avancez ne repose sur aucune simulation réaliste.
Le rapport de l’Assemblée nationale révèle en outre les limites économiques du dispositif : un quart seulement des 13,2 milliards d’euros de hausses d’impôt prévues ira à l’industrie et aux secteurs exposés à la concurrence. Il ne s’agit donc pas d’une TVA « anti-délocalisation » comme on veut bien la présenter.
La hausse de la TVA s’appliquera tout autant aux produits fabriqués à l’étranger qu’aux produits nationaux. En quoi dissuadera-t-elle les Français de ne pas consommer des produits d’importation ? Lorsqu’on voit ce qui s’est passé avec la baisse de la TVA sur la restauration, on peut craindre que l’impact positif sur l’économie que le Gouvernement espère obtenir de cette hausse ne soit pas au rendez-vous.
Madame la ministre, votre choix d’instaurer une TVA dite « sociale » est profondément injuste à l’égard des plus modestes et dangereux du point de vue économique. Nous ne pouvons en aucun cas cautionner cette mesure.
Nous avons le sentiment que, à la toute fin du quinquennat, le Gouvernement se rend compte des carences de la politique qu’il a menée à l’égard des entreprises. L’explosion du déficit du commerce extérieur le conduit à se raccrocher aux branches, en trouvant in extremis une mesure donnant l’impression de se soucier des PME et de la compétitivité. Il est clair qu’il s’agit d’une opération électoraliste qui participe de la stratégie de communication du candidat Sarkozy. Dès lors, nous ne pouvons que nous opposer à l’adoption par le Sénat de ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici face à ce que nous n’aurions jamais dû examiner en cette fin de session ordinaire : un collectif budgétaire.
Comme nous n’avons aucunement l’intention de remuer le couteau dans la plaie, nous n’allons pas vous rappeler, madame la ministre, quelles furent vos paroles, l’automne dernier, sur le sujet. Mais toujours est-il que le débat sur le projet de loi de finances pour 2012 avait été l’occasion, pour nous comme pour d’autres, de mettre en avant le caractère discutable des prévisions de croissance, comme des recettes et des dépenses fiscales, et de nous interroger sur l’absolue sincérité des chiffres qui nous étaient alors présentés. L’avenir n’aura pas tardé à nous donner raison.
Le projet de loi de finances rectificative s’inscrit dans un contexte macroéconomique marqué par un ralentissement de l’activité, la prévision de croissance - parlerons-nous bientôt de croissance négative ? – ayant été ramenée à 0,5 % du PIB en volume. Cette situation entraîne évidemment une dégradation des comptes publics et, probablement, de la situation de l’emploi, mais sans que la moindre prévision soit associée à ce phénomène.
De ce point de vue, ce collectif ponctue donc de la pire des manières un quinquennat qui, commencé – il faut le reconnaître – sous les auspices du volontarisme et des réformes, se termine dans la stagnation de l’activité, l’explosion du chômage et de la dette publique et l’accroissement des inquiétudes de nombre de nos concitoyens quant à l’avenir.
Gardons-nous cependant de laisser penser que la politique menée depuis cinq ans est un échec spectaculaire, se traduisant par une défaite sur le front de la croissance, de l’emploi, de l’activité industrielle et économique, du commerce extérieur et même de l’inflation, qui s’est raffermie depuis plusieurs trimestres. En effet, ce bilan, vécu par la grande majorité des Français comme une pénitence à laquelle ils espèrent pouvoir prochainement mettre fin, a une face plus brillante : les grandes entreprises de notre pays, les grandes fortunes et les gros patrimoines ont pleinement tiré parti de la politique menée depuis 2007.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Éric Bocquet. Entre la quasi-disparition de la taxe professionnelle, l’instauration du bouclier fiscal, l’allégement des droits de succession et de transmission, la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’élargissement du crédit d’impôt recherche, la baisse de la TVA dans la restauration, et j’en passe, les temps n’ont pas été durs pour tout le monde. Les revenus du capital, du patrimoine, de la spéculation financière et boursière ont connu quelques beaux jours qui montrent, au moins du point de vue de leurs détenteurs, que la feuille de route a été respectée et les promesses tenues. Vous le voyez, la situation n’est donc pas si sombre…
Songez-y un instant, mes chers collègues : comme nous le rappelions précédemment, à force d’alléger les impôts et les cotisations dus par les entreprises et les ménages les plus aisés, ce sont 178 milliards d’euros de recettes fiscales et sociales qui ont été abandonnés, soit beaucoup plus que la somme des déficits de la sécurité sociale et du budget de l’État !
On peut légitimement s’interroger sur les effets de telles mesures sur la situation économique du pays, sur l’emploi et sur l’activité en général. Prenons la proposition qui nous est faite de mettre en œuvre une hausse de la TVA pour compenser une réduction des cotisations sociales normalement dues par les entreprises.
Outre que, une fois encore, on déplace la perception de la ressource sociale du lieu de production de la richesse vers la caisse des supermarchés, que constate-t-on ? Vos chiffres, madame la ministre, montrent un glissement de 13 milliards d’euros des cotisations vers l’impôt indirect. On escompte la création de 100 000 emplois, soit un emploi pour 130 000 euros par an ! On pourrait sans doute rêver d’un meilleur effet levier…
Imaginons d’ailleurs que vous caressiez l’idée de porter la TVA au taux le plus élevé, soit 25 %, qui est le plafond européen autorisé. Nous déplacerions de 30 milliards à 31 milliards d’euros de cotisations vers la fiscalité pour, au mieux, la création de moins de 250 000 emplois, sans même prendre en compte le fait que la hausse des prix à la consommation porterait sans doute un mauvais coup à la situation économique de notre pays.
Ainsi, l’explosion du taux normal de TVA créerait moins de 400 000 emplois. Eu égard à la densité et à l’importance du nombre des demandeurs d’emploi en France, s’il fallait prouver que la TVA sociale n’est pas la solution, nous en aurions ici la démonstration éclatante !
Mais est-ce bien là votre préoccupation principale ? Vous voulez au fond poursuivre le processus, entrepris de longue date, qui vise à dédouaner les entreprises de toute contribution directe au financement de l’action publique et dont il serait presque lassant de rappeler la longue liste de mesures.
Plus concrètement, le projet de loi de finances rectificative qui nous est présenté a une particularité étrange : il préempte, de manière évidente, la législature à venir, c’est-à-dire celle qui commencera une fois passé le cycle électoral auquel les Français sont appelés à participer ce printemps. Cette « préemption » vient évidemment du fait que la hausse de la TVA ne sera mise en œuvre qu’à compter du 1er octobre prochain ; que la taxation, somme toute modique, des transactions financières, qu’il était impossible de mettre en place – nous disiez-vous voilà deux mois ici même – dans un seul pays comme le nôtre, le sera le 1er août prochain ; et que le Mécanisme européen de stabilité, dont nous débattrons la semaine prochaine, ne le sera qu’encore plus tard, en juin 2013, une fois les instruments de ratification déposés.
Nous pourrions considérer ce travail parlementaire comme un pari sur l’avenir politique immédiat de l’actuel Président de la République et de son gouvernement, comme de sa majorité au Palais-Bourbon. Je comprends fort bien que vous escomptiez que le sort des urnes ne vous soit pas défavorable, mais il semblerait tout de même que la configuration politique du pays pourrait connaître quelques évolutions en mai et juin prochains. Il appartiendra au peuple français de trancher.
Débattre d’un collectif budgétaire dont les principales mesures engagent, de fait, la politique qui sera menée dans le pays à compter de juin 2012, une fois l’Assemblée nationale constituée, est tout de même un exercice audacieux.
Que les choses soient claires : notre groupe, si tant est que la situation politique évolue dans le sens de plus en plus attendu par la majorité des Français, ne saurait faire autre chose que combattre dès aujourd’hui ce qui est proposé et agir pour que demain, et au plus tôt, d’autres choix puissent être opérés. Il est notamment hors de question que nous nous estimions engagés le moins du monde à mettre en œuvre un Mécanisme européen de stabilité dont il semble bien qu’il vise à imposer la seule loi de la finance et des marchés face à la volonté populaire, telle qu’elle est exprimée par le suffrage des habitants des pays européens.
Aujourd’hui, le prélude au futur Mécanisme européen de stabilité ne sert qu’à mettre en œuvre un énième plan d’austérité en Grèce, alors même que la situation de ce pays ne s’en est trouvée aucunement améliorée. Les plans précédents, au nombre de neuf, me semble-t-il, étaient déjà décrits à l’époque comme ceux de la dernière chance.
Dans cette affaire, on notera au passage que le peuple grec n’a pas eu son mot à dire. M. Papandréou avait bien songé à solliciter l’avis de son peuple par voie de référendum, mais il y renonça en quarante-huit heures sur l’injonction des dirigeants européens. Point de concertation, point de référendum, point de démocratie : le peuple paye !
Mais il manifeste, il se fait entendre, il n’accepte ni l’austérité aggravée ni l’humiliation par la négation de sa souveraineté. Au-delà de cette enceinte, je veux, au nom du groupe communiste, républicain et citoyen, adresser à nos amis grecs l’expression de notre solidarité euro-citoyenne.
Lors de la discussion du premier projet de loi portant sur la situation grecque, notre groupe avait déjà manifesté sa préoccupation devant le mode de résolution des problèmes choisi par l’Europe. Le 6 mai 2010, notre éminent collègue Bernard Vera précisait : « Ce n’est pas dans le dumping fiscal et social, ni dans la réduction de la dépense publique, ni dans le financement exclusif des dettes des États par les marchés que nous rendrons à l’Europe corps et sens pour nos compatriotes. Le mythe de la stabilité économique de l’Union vient de partir en fumée. Telle est la grande leçon de cette crise, qui est loin d’être dénouée par ce projet de loi.
« Ce texte, replié sur la préservation de la rentabilité des marchés, assorti des mesures d’austérité les plus dures que le peuple grec ait eu à subir depuis la Seconde Guerre mondiale, contribuera à plonger la Grèce dans une récession très grave et dommageable pour toute l’Europe. »
En tenant ces propos voilà presque deux ans, notre collègue a malheureusement été très clairvoyant.
Quant à mon ami Michel Billout, il indiquait, lors du même débat, en défendant déjà à l’époque une motion tendant à opposer la question préalable : « À une situation financière temporairement délicate, on notera qu’on répond par des mesures structurelles tellement destructrices qu’elles vont impacter négativement et durablement l’économie grecque.
« C’est un peu comme si l’Europe avait réussi à imposer à la Grèce ce que les mouvements sociaux ont jusqu’ici réussi à mettre en échec en France, en Allemagne et dans l’ensemble des pays les plus développés de l’Union, où le monde du travail dispose encore de garanties collectives et de sécurités dont sont privés les jeunes diplômés grecs payés sous contrat précaire 400 euros par mois !
« Quand on est de gauche, attaché à des valeurs de progrès, soucieux de la défense des intérêts du plus grand nombre, on ne peut qu’être révulsé par la hausse vertigineuse de la fiscalité indirecte et les coupes draconiennes dans les dépenses publiques que comporte le plan dicté par le FMI, la BCE et par la Chancelière allemande, avec l’assentiment de la France ! »
Outre qu’effectivement, comme nous l’avions pressenti, la situation de la Grèce s’est sensiblement dégradée – la dette publique a augmenté de 25 % en deux ans –, les propos tenus à l’époque par mes collègues pourraient être repris aujourd'hui, sans en modifier la moindre virgule.
Vous comprendrez donc que, entre une TVA dite « sociale » inacceptable et un accroissement de la dette publique française pour venir au secours de spéculateurs financiers faisant payer le prix fort au peuple grec, nous ne puissions trouver la moindre qualité à ce projet de loi de finances rectificative que nous rejetons sans la moindre hésitation. Nous voterons donc bien évidemment la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le premier, et probablement pas le dernier, projet de loi de finances rectificative pour 2012. Celui-ci revêt une importance particulière.
Tout d’abord, le présent texte ajuste les prévisions économiques et notamment l’hypothèse de taux de croissance. Qui pourrait reprocher au Gouvernement de faire cet effort de vérité ?
Ensuite, il concrétise les annonces du Président de la République à la suite du sommet social du 18 janvier, qui ont pour vocation de relancer la compétitivité de nos entreprises, notamment dans les secteurs industriel et agricole confrontés à une rude concurrence. Il s’agit par conséquent de soutenir la croissance, qui, comme le dirait M. de La Palisse, est le moyen le plus efficace de produire des recettes et, partant, de diminuer, si nous en avons la volonté, nos déficits. Qui pourrait ne pas soutenir cette ambition ?
Enfin, et c’est l’essentiel, il met en œuvre l’engagement européen de la France de soutenir financièrement le futur Mécanisme européen de stabilité. S’y opposer serait remettre en cause, de manière totalement irresponsable, notre engagement européen, dans un contexte de crise majeure de la zone euro.
Aujourd’hui, nombreux ont été les orateurs qui l’ont rappelé, nous sommes très exactement à deux mois du premier tour de l’élection présidentielle. Un collectif de cette importance si près de cette échéance est indéniablement une preuve de courage et de détermination que le groupe de l’UMP tient à saluer.
Le Président de la République et le Gouvernement, avec un grand sens des responsabilités, continuent de travailler et de servir le pays, alors que d’autres essayent de passer sous le radar, refusant même d’assumer leur engagement européen, préférant, telles des autruches, mettre leur tête dans le sable en attendant que l’orage passe. On aurait envie de dire à Jacques Delors : « Réveille-toi, ils sont devenus flous ! » (Sourires sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Voilà ce que nos débats vont démontrer de manière éclatante aux Français. La majorité sénatoriale, sur laquelle plane l’ombre tutélaire du candidat furtif, François Hollande, va se réfugier aux abris alors que la France et l’Europe ont besoin de décisions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Pour la Haute Assemblée, quel recul ! Pourtant, cette majorité sénatoriale, dressant un tableau toujours plus noir de la réalité, ne cesse de répéter que le bilan du quinquennat est catastrophique,…
M. Jacky Le Menn. En effet !
M. Philippe Dallier. … que le chômage et les déficits ont augmenté. (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC.) Toutefois, lorsqu’il faut prendre des décisions difficiles, elle est aux abonnés absents.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, faut-il vous rappeler que la vérité des chiffres n’est pas absolue et qu’elle doit toujours être contextualisée, relativisée et soumise à la comparaison ?
M. Jacky Le Menn. Comparaison n’est pas raison !
M. Philippe Dallier. Votre critique des résultats du Gouvernement fait fi du contexte, celui d’une crise d’une violence inouïe, qui a mis à genoux plusieurs pays européens : la Grèce, l’Espagne, le Portugal, gérés alors par des gouvernements socialistes. Mais, en France, par pure posture électoraliste, la gauche fait comme si cette crise n’existait pas.
Vous vous gardez bien de faire quelque comparaison que ce soit. Surtout, vous omettez de rappeler que, grâce à l’action du Président de la République et du Gouvernement, la France a mieux résisté à la crise que la plupart de ses voisins européens. Oui, le chef de l’État et le Gouvernement ont su protéger la France et les Français. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Vous poussez des cris d’orfraie parce que nous augmentons la TVA de 1,6 point, mais vous ne dites rien du niveau de nos retraites, niveau qui a été préservé, …
Mme Christiane Demontès. Demandez donc aux femmes si leurs retraites ont été préservées !
M. Philippe Dallier. … alors même que vous n’avez pas voté la dernière réforme en la matière.
Vous ne dites rien non plus du fait que, depuis 2002, nous avons augmenté le minimum vieillesse de 25 %.
Pour l’essentiel, les choix effectués ont été pertinents. Mais vous vous gardez bien de parler des chiffres qui le démontrent. Ainsi, nous n’entendons jamais l’actuelle majorité sénatoriale insister sur le fait que l’État a su, durant ce quinquennat, maîtriser ses dépenses. Pourtant, en 2011, et pour la première fois depuis 1945, les dépenses de l’État, hors dette et pensions, ont baissé de 260 millions d’euros. Et, triple A ou pas, la charge de la dette peut être cette année révisée à la baisse de 700 millions d’euros !
M. Jean-Pierre Caffet et Mme Christiane Demontès. La dette a augmenté de 500 milliards d’euros en cinq ans !
M. Philippe Dallier. De tout cela, vous ne parlez pas, alors que, de la perte du triple A, vous nous avez rebattu les oreilles.
Madame la rapporteure générale, les résultats de l’année 2011 n’ont pas été ceux que vous prédisiez. Jusqu’au dernier projet de loi de finances rectificative de l’année passée, vous avez préféré jouer les Cassandre, annonçant toujours moins de croissance.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous avez pris acte de ces prévisions !
M. Philippe Dallier. Mais les faits vous ont donné tort. L’objectif de réduction du déficit à 5,7 % du PIB sera largement atteint, avec un résultat qui sera probablement en deçà de 5,5%, de 5,4 %, voire de 5,3 %.
Mme Christiane Demontès. Vous vous satisfaites de peu !
M. Philippe Dallier. Certes, dans votre rapport, vous évoquez ces chiffres, mais sans vous y appesantir ni vous en féliciter outre mesure, encore moins en expliquant que la politique du Gouvernement y est sans doute pour quelque chose. Vous devez donc estimer que c’est le fruit du simple hasard…
En outre, dans la présentation que vous avez faite hier en commission des finances, vous avez balayé d’un revers de la main les effets de ces bons résultats, établissant, pour 2012, des prévisions plus noires que noires, additionnant, de manière purement hypothétique, les conséquences budgétaires d’aléas forcément à la baisse.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Soyez honnête ! J’ai également présenté des aléas à la hausse !
M. Philippe Dallier. Vos scénarios reposent notamment sur une croissance nulle en 2012, sans considération pour l’hypothèse retenue non seulement par le Gouvernement, mais aussi par votre propre candidat, François Hollande : celle d’une croissance s’élevant à 0,5 %.
On ne pourra pas dire que vos prévisions de croissance nous font voir la vie en rose ! Où sont donc la sincérité et l’objectivité de vos démarches, si elles ne reposent même pas sur l’hypothèse retenue par votre candidat ?
Pour sa part, et c’est tout à son honneur, le Gouvernement fait preuve de sincérité,…
Mme Christiane Demontès. Sincérité à la petite semaine !
M. Philippe Dallier. … même à deux mois de l’élection présidentielle, en révisant sa prévision de croissance pour 2012 de 1 % à 0,5 % du PIB.
Cette hypothèse est réaliste, surtout si nous prenons en compte l’acquis de croissance de 2011, estimé à 0,3 %. En effet, selon l’INSEE, la croissance s’est établie l’an dernier à 1,7 %, soit à un meilleur niveau qu’en 2010 – elle avait alors été de 1,4 % –, rejoignant ainsi quasiment la prévision du Gouvernement, qui tablait sur 1,75 %.
Encore une fois, la sincérité des prévisions et des chiffres du Gouvernement…
Mme Christiane Demontès. Quid des chiffres du chômage ?
M. Philippe Dallier. … a contredit non seulement les prédictions de la gauche, mais aussi celles des analystes, qui, rappelons-le, ne commettent pas là leur première erreur.
Au dernier trimestre, la croissance a été positive, s’élevant à 0,2 %, alors que les économistes avaient unanimement tablé sur une sombre perspective : une baisse de 0,2 %.
On constate en outre que, en Allemagne, la croissance a diminué de 0,2 % au quatrième trimestre. Or personne n’évoque non plus cette baisse.
Ces bons résultats devraient être salués par tous les candidats à l’élection présidentielle : ce sont ceux de la France ! Mais il semble que, pour certains, l’intérêt supérieur du pays passe après la posture politique.
M. Jean-Pierre Caffet. Épargnez-nous vos leçons !
M. Philippe Dallier. De même, dans le présent collectif budgétaire, le déficit est réduit de 300 millions d’euros, si l’on ne tient pas compte de la dotation de 6,5 milliards d’euros au futur Mécanisme européen de stabilité.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Comment ne pas en tenir compte !
M. Philippe Dallier. Par ailleurs, certaines mesures de ce projet de loi de finances rectificative vont impacter positivement les finances publiques.
Ainsi, la mise en œuvre au 1er août prochain de la taxe sur les transactions financières pourrait rapporter 500 millions d’euros dès cette année et plus de 1 milliard d’euros en année pleine. L’intensification de la lutte contre la fraude fiscale rapportera 300 millions d’euros de plus en 2012 et les annulations de crédits budgétaires feront économiser 1,2 milliard d’euros.
Nous avons le courage de jouer carte sur table ! Nous avons le courage d’assumer nos choix !
L’ensemble de ces mesures permettra de garantir le respect de l’objectif de 4,5 % de déficit public pour 2012, en dépit du ralentissement annoncé de la croissance ; croissance que le présent texte a précisément pour objet principal de relancer, en renforçant la compétitivité des entreprises. En effet, quoi que l’on en dise, la France souffre indéniablement d’un déficit de compétitivité.
Des mesures très importantes ont été prises durant ce quinquennat : le crédit d’impôt recherche, la réforme de l’université et son rapprochement du monde de l’entreprise, le développement de l’apprentissage et des formations en alternance, que le texte d’aujourd’hui renforce d'ailleurs encore davantage.
Néanmoins, s’il ne constitue pas le seul élément de compétitivité, le coût du travail demeure un handicap bien français.
En 2009, l’ensemble des prélèvements obligatoires assis sur le travail représentaient, en France, près de 23 % du PIB, contre 20 % en moyenne pour les autres pays de l’Union européenne.
Il suffit de questionner les patrons des PME pour se persuader de la lourdeur des charges pesant encore sur les entreprises. Leur diminution ne peut donc aller que dans la bonne direction ; nul ne peut prétendre le contraire.
En conséquence, il est proposé de diminuer les cotisations sociales patronales affectées au financement de la branche famille pour les entreprises du secteur privé. Ainsi, ces cotisations seront totalement supprimées pour les salaires inférieurs à 2,1 SMIC bruts mensuels ; leur taux sera progressif pour les salaires compris entre 2,1 et 2,4 SMIC, et sera identique au taux actuel pour les salaires supérieurs. Une telle mesure représente 5,4 points de baisse de charges sociales et un allégement global du coût du travail de 13,2 milliards d’euros. Pour un salaire de 2 300 euros nets, la baisse de charges pour l’entreprise sera donc de 158 euros par mois.
Cette disposition vise donc les salaires moyens. Elle est ainsi complémentaire des allégements généraux de cotisations, dits « allégements Fillon », lesquels concernent les bas salaires, à savoir ceux s’établissant entre 1 et 1,6 SMIC. Elle permet également de concentrer les effets sur 80 % des emplois industriels et sur 97 % des emplois salariés agricoles, c’est-à-dire sur les emplois les plus exposés à la concurrence internationale.
Les 13,2 milliards d’euros de baisse des charges sociales sur le travail seront compensés par 10,6 milliards d’euros de recettes, provenant d’une augmentation de 1,6 point du taux de TVA, et par 2,6 milliards d’euros résultant d’une hausse de 2 points, à 15,5 %, des prélèvements sociaux sur les revenus du capital.
La critique de cette réforme par la gauche, si elle est certes légitime, est pour le moins surprenante par ses angles d’attaque. En effet, le nouveau taux normal de TVA sera ni plus ni moins égal à la moyenne européenne, et la hausse des prélèvements sociaux pèsera sur les revenus du capital, la moitié de cet effort ne concernant que les 5 % des ménages les plus aisés.
Par ailleurs, la réforme est neutre s’agissant des taux de prélèvements obligatoires et équilibrée pour les finances publiques.
Les produits fabriqués en France bénéficieront ainsi de la diminution des charges, ce qui permettra la baisse de leurs prix hors taxe à l’exportation, quand les produits importés seront davantage taxés via l’augmentation de la TVA.
Comme de nombreux orateurs l’ont rappelé, cette initiative de la France n’est pas isolée : le Danemark et l’Allemagne, qui ont un taux de chômage largement inférieur au nôtre, ont déjà mis en place l’équivalent de la « TVA sociale ». En 1987, le Danemark, moyennant la quasi-suppression des charges sociales qui pesaient sur les entreprises, a relevé la TVA de 3 points, de 22 % à 25 % ; en 2007, la TVA allemande a augmenté de 3 points, dont 1 point spécifiquement consacré à la TVA et 2 points à l’augmentation des recettes de l’État.
J’ajoute que la quatrième recommandation sur le programme de stabilité de la France, adoptée en juin dernier par la Commission européenne et en juillet par le Conseil, préconisait un « déplacement de la charge fiscale du travail vers l’environnement et la consommation », c’est-à-dire l’institution d’une taxe carbone et d’une TVA sociale. Bruxelles avait alors mis en exergue le fait que la taxation du travail de la France était l’une des plus fortes de l’Union européenne.
De même, la déclaration finale du Conseil européen informel du 30 janvier dernier a insisté sur la nécessité d’agir sur le coût du travail. Mais peut-être nos collègues de l’opposition présidentielle et de la majorité sénatoriale veulent-ils encore une fois passer outre ces recommandations, de la même façon qu’ils comptent imposer à nos partenaires de renégocier les derniers traités européens ?
M. François Marc. Il faut enrichir les traités !
M. Philippe Dallier. Tout cela est très facile à dire, mais ce n’est ni réaliste ni très sérieux. Je leur rappelle que l’augmentation de la TVA ne concernera ni les biens de première nécessité, comme l’alimentation ou les médicaments, ni les produits taxés au taux réduit de 7 %. Ces biens pourront donc voir leur prix baisser, puisque la TVA restera la même, tandis que les coûts de production diminueront du fait de la baisse de charges.
Au total, c’est l’équivalent de 60 % du panier de consommation des Français qui ne sera pas concerné par l’augmentation du taux de TVA. Pour les 40 % restants, contrairement à ce que vous avez l’air de supposer, les prix n’augmenteront pas forcément mécaniquement.
Il est regrettable que, en adoptant la motion tendant à opposer une question préalable présentée par la nouvelle majorité, le Sénat ne discute pas d’un projet de loi aussi important pour la crédibilité de la France. Il est regrettable que des sujets aussi cruciaux que la compétitivité de nos entreprises ou la taxation de la finance ne trouvent pas grâce à vos yeux.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très regrettable, même !
M. Philippe Dallier. Là encore, il s’agit manifestement d’une posture.
La taxation des transactions financières a pourtant été l’un de vos chevaux de bataille, comme elle l’a été pour le Président de la République.
Lorsqu’il a lieu sur votre initiative, le débat vous semble intéressant. Mais quand c’est le Gouvernement qui ouvre la discussion, circulez, il n’y a plus rien à voir !
L’argument selon lequel la proposition de taxation est trop éloignée de celle de la Commission européenne est vraiment fallacieux. Sur ce sujet, il importe de prendre l’initiative, en parallèle des négociations qui continuent sur le plan européen, pour espérer un effet d’entraînement.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Les parallèles ne se rejoignent jamais !
M. Philippe Dallier. Rejeter brutalement l’ensemble du texte, comme vous allez nous le proposer à l’issue de la discussion générale, c’est aussi rejeter l’abondement, à hauteur de 1 milliard d’euros, du capital de la future banque publique de l’industrie. Dans ces conditions, ne nous reprochez pas la désindustrialisation du pays ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Rejeter ce texte, c’est également renoncer à des mesures de lutte contre la fraude fiscale.
Mme Marie-France Beaufils. En fin de mandat ? Il était temps !
M. Philippe Dallier. Ne nous reprochez donc pas de n’avoir rien entrepris en ce domaine ! Bien au contraire, le Gouvernement n’a eu de cesse de vous proposer de voter des mesures en ce sens,…
Mme Patricia Schillinger. Vos propos sont honteux !
M. Philippe Dallier. … dans les lois de finances rectificatives de décembre 2008, d’avril 2009, de décembre 2009 et de juillet 2011, comme dans le présent texte.
La majorité de gauche devra aussi nous expliquer pourquoi elle renonce à une mesure de développement de l’alternance susceptible de conduire, à terme, à l’embauche de 270 000 jeunes. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Christiane Demontès. En 2016 !
M. Philippe Dallier. Et je ne parle même pas du point essentiel : le relèvement du plafond de prêts accordés par la France au FMI et l’abondement du capital du futur Mécanisme européen de stabilité. Dans ce domaine, mesdames et messieurs les élus socialistes, vous vous réfugiez dans une abstention peu glorieuse, pour ne pas dire honteuse ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Cette abstention, certains d’entre vous l’ont qualifiée de « dynamique »… Une telle formule est pour le moins osée !
Par un calcul électoraliste, espérant peut-être faire oublier à vos alliés du Front de gauche la bourde de l’interview au Guardian, où vous nous expliquez qu’il n'y a pas plus aujourd'hui de communistes en France, vous n’osez pas approuver la création du MES, véritable pare-feu face à la crise, et proposez de vous abstenir sur le projet de loi de ratification du traité.
Ne nous parlez donc plus de la souffrance du peuple grec ! Vous n’êtes pas au rendez-vous de l’histoire. Gageons que les électeurs sauront vous juger sur vos prises de position.
M. Jean-Pierre Caffet. On verra cela dans deux mois !
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour toutes ces bonnes raisons, le groupe de l’UMP votera le présent projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « enfin ! », suis-je heureux de dire à propos de ce projet de loi de finances rectificative, car il met enfin en œuvre la « TVA sociale », il baisse enfin les charges patronales des entreprises, il instaure enfin une taxe sur les transactions financières. Mais pourquoi si tard ?
M. Michel Vergoz. Voilà !
M. Aymeri de Montesquiou. Tous ces sujets, le groupe de l’Union centriste et républicaine, sous l’impulsion persévérante et clairvoyante de Jean Arthuis, et le président de la commission des finances, Philippe Marini, les défendent inlassablement depuis de nombreuses années.
Ce dernier projet de loi de finances rectificative de la législature vient clore une série de mesures visant à restaurer la compétitivité de nos entreprises, l’attractivité de la France et la croissance de notre économie : la réforme de la taxe professionnelle, dont l’évaluation reste certes encore à parfaire, le crédit d’impôt recherche, dont le succès est certain, et les investissements d’avenir, qui sont vitaux.
La première priorité réside dans l’amélioration du climat pour les entreprises, maltraitées par une fiscalité discriminatoire entre les entreprises du CAC 40, d’une part, et les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, d’autre part. On peut néanmoins penser que la hausse de 1,6 point du taux normal de TVA et la baisse corollaire des charges patronales rendront toutes les entreprises industrielles plus performantes dans la compétition internationale.
Les chiffres du commerce extérieur sont catastrophiques, plusieurs orateurs l’ont répété : un déficit commercial de 70 milliards d’euros, une perte de 19,4 % de parts de marché entre 2006 et 2010, …
M. Michel Vergoz. Non, depuis 2002 !
M. Aymeri de Montesquiou. … conséquence, notamment, de l’écart entre 4 500 petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire en France contre 10 000 en Allemagne. Or ce sont ces entreprises qui font la force de l’exportation et de l’innovation d’un pays. Plus inquiétant, les entreprises exportatrices sont 364 000 en Allemagne, contre seulement 92 000 en France, l’Italie elle-même nous dépasse très largement.
Le tissu de nos petites et moyennes entreprises et de nos entreprises de taille intermédiaire est trop faible, mais paradoxalement la France possède par ailleurs des champions industriels internationaux du CAC 40 dans les domaines de l’énergie, de l’aéronautique, des transports, du bâtiment, de la santé, du luxe, de l’agroalimentaire. Onze entreprises françaises figurent parmi les cent premières mondiales, ce qui place notre pays au premier rang européen.
Quelles solutions pour dynamiser les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire ? Déjà, ce projet de loi de finances rectificative crée une « banque de l’industrie », outil de financement et de garantie. Ferez-vous, monsieur le ministre, un effort en faveur des technologies de la « croissance verte » ? Dans un autre domaine, peut-on envisager une mise en place d’opérateurs boursiers qui leur seraient dédiés ?
La réindustrialisation est à l’ordre du jour. Les pôles de compétitivité, fleurons régionaux alliant universités, écoles d’ingénieurs et entreprises ont la capacité de se développer à l’international. Comment la décupler ? Dans quelle mesure les régions peuvent-elles s’engager dans le renouveau industriel de leur territoire ?
Ce projet de loi de finances rectificative se fait également justicier, en luttant contre la fraude et l’évasion fiscales par des sanctions accrues visant la dissimulation de comptes bancaires et de contrats d’assurance vie détenus à l’étranger. Plus redoutable, l’article 7 renforce les sanctions pénales en cas de fraude fiscale, pour la première fois depuis 1977, et aggrave ce délit lorsque des paradis fiscaux ou des États non coopératifs sont en cause.
Une autre disposition d’équité financière est consacrée par l’article 2 : la très désirée taxe sur les transactions financières. Avec cette mesure nationale, la France joue le rôle de fer de lance pour inciter la présidence danoise de l’Union européenne à accélérer l’adoption du projet de taxe européenne, encore en négociation ; elle a reçu le soutien de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, de l’Espagne, de la Finlande, de la Grèce, de l’Italie et du Portugal.
Cette taxe serait enfin une juste contribution du secteur financier au coût de la crise financière supporté par les États, et donc par les contribuables. Elle répondrait en partie au souhait de Vaclav Havel, pour qui « le marché ne peut exister qu’à condition qu’il repose sur une morale ».
M. Michel Vergoz. Ah ! Voilà la morale !
M. Aymeri de Montesquiou. Notre commission des finances va plus loin dans la taxation de la spéculation, en adoptant les propositions de Mme le rapporteur général, soit ! Moraliser les marchés est une démarche « transpartisane ».
Objet de nombreuses critiques et comparaisons, cette taxe sur les transactions financières aura au moins le mérite d’exister et de rapporter 1,1 milliard d’euros en année pleine. Elle a surtout le mérite d’enclencher une dynamique, qui ne fait en rien obstacle à la future taxe européenne sur les transactions financières.
Notre pays s’engage très fortement en faveur de la stabilité financière des pays de la zone euro et de la solidarité européenne, d’une part, en relevant le plafond des prêts accordés au FMI à 31,41 milliards d’euros et, d’autre part, en prévoyant l’information du Parlement sur la mise en œuvre du Mécanisme européen de stabilité, organisation internationale pérenne avec des fonds propres de 80 milliards d’euros. La France, qui donne l’exemple, abonde ce fonds de 6,5 milliards d’euros, en avançant déjà le versement de la deuxième tranche. Nous en reparlerons la semaine prochaine, lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification du traité instaurant le Mécanisme européen de stabilité.
La compétitivité, outil de croissance et objet de ce projet de loi de finances rectificative, n’est pas seulement comptable, elle est aussi, selon la définition donnée par l’Union européenne, « la capacité d’une nation à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité ».
La clé, c’est l’innovation ! Or la France demeure timide en la matière. Le contraste est frappant avec les États-Unis, qui ont été pionniers en recherche et développement, en particulier dans les domaines de l’électronique et des biotechnologies. L’une des causes de notre situation réside dans notre effort très insuffisant en matière de recherche et développement, secteurs public et privé confondus.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou. Il se monte seulement à 2,10 % du PIB pour la France. Notre pays se classe loin derrière l’Allemagne, qui dépose trois fois plus de brevets que lui, et derrière la Corée du Sud, les États-Unis, le Japon, la Suède et beaucoup trop d’autres.
J’ajoute que le professeur de génétique Marc Fellous nous alerte, en dressant les conséquences désastreuses pour la recherche en biotechnologies végétales du nouveau moratoire sur la variété OGM de maïs Monsanto 810.
M. Claude Léonard. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. Certes, ne jouons pas les apprentis sorciers, mais ne laissons pas non plus le principe de précaution voisiner avec l’obscurantisme et un recul économique ! Ainsi, conséquence inquiétante pour l’Europe, nous assistons à la délocalisation ou à la création d’activités nouvelles de recherche et développement à l’étranger : le « numéro un » mondial de la chimie, l’allemand BASF délocalise toutes ses activités de biotechnologies végétales aux États-Unis.
Les investissements d’avenir sont bien sûr, aussi et surtout, l’investissement dans la formation, l’apprentissage, la formation en alternance pour les jeunes. Il convient, bien évidemment, de valoriser ces filières. Il est temps de remettre à l’honneur l’« intelligence de la main », comme l’avait fait le Président Giscard d’Estaing en son temps.
La France n’est pas un pays d’industriels, mais d’ingénieurs. Le Président Pompidou affirmait que les Français n’aimaient pas l’industrie. Il forçait peut-être un peu le trait, mais les familles préfèrent encore trop souvent que leurs enfants travaillent dans l’administration plutôt que dans l’industrie : 300 000 à 500 000 emplois ne sont pas pourvus, c’est incompréhensible, donc inacceptable ! L’exemple allemand est, dans ce domaine, très pertinent : il est indispensable de mettre en adéquation la formation et les besoins de l’économie. Sachons donner aux jeunes l’envie de rejoindre l’industrie, comme Pierre Gattaz le fait si bien dans son livre Le printemps des magiciens – La révolution industrielle, c’est maintenant !
Les comparaisons avec l’Allemagne, notre principal partenaire, sont multiples et rarement à notre avantage. Pourtant, le modèle allemand n’est pas entièrement transposable et, si la comparaison est utile, elle doit rester prudente. Je proposerai donc deux autres exemples : l’Italie et la vigueur de ses districts industriels et technologiques, leur travail « en meute » ; la Suède, bien sûr, jadis État providence comparable au nôtre, qui a su révolutionner son système et choisir la solidarité plutôt que l’assistanat.
Le monde a changé et, hélas ! il nous fait peur. Les Français sont très inquiets face à la mondialisation. Or tel n’est pas le cas des ressortissants des pays émergents, des Nord-Américains et de nombreux Européens, pour qui elle représente une chance. Comme eux, soyons créatifs. Inventons ! Osons saisir les opportunités !
Les Français ne sont certes pas prêts à intégrer la philosophie schumpétérienne de « destruction créatrice » comme les Suédois, qui sont conscients que des pans entiers de leur industrie seront un jour sinistrés et qui inventent déjà les filières d’avenir. Ils s’y préparent et y préparent leurs enfants, par l’éducation et la formation. Tel est le véritable investissement d’avenir : l’investissement dans l’humain.
Je souscris aux propos de Jean-Paul Delevoye, qui en appelle à une « véritable révolution mentale et comportementale » des citoyens et des responsables politiques pour conduire le changement. En effet, comme l’a dit si justement Winston Churchill : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne à la gorge » ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, l’une des raisons qui nous incitent à ne pas poursuivre le débat sur ce projet de loi est un sujet peu évoqué ce soir, celui de l’apprentissage, qui me tient particulièrement à cœur, car il concerne aussi les régions. L’exercice de cette compétence, qui leur a été transférée, semble d’ailleurs être actuellement remis en cause par le Gouvernement.
Je parlerai donc de la modification des taux de la contribution supplémentaire à l’apprentissage et du quota d’alternants dans les entreprises de plus de 250 salariés, prévue par l’article 8 du projet de loi de finances rectificative.
La réglementation de la formation en alternance a, très récemment encore, fait l’objet d’un certain nombre de modifications. Le 1er mars 2011, le Président de la République avait annoncé la fixation d’un objectif de 800 000 jeunes en alternance à l’horizon de 2015 et, à terme, de 1 million d’apprentis, avec une réforme du financement de l’alternance.
La première étape de la mise en œuvre de ce programme a été franchie avec l’adoption de la loi de finances rectificative pour 2011 du 29 juillet 2011. Celle-ci procède à une refonte du dispositif d’incitation à l’embauche des apprentis en combinant le relèvement du seuil d’assujettissement des entreprises à la contribution supplémentaire à l’apprentissage à une modulation du taux de cette contribution, dit « malus », et à la création d’un « bonus » consistant dans le versement, par l’État, d’une prime aux entreprises qui respectent les quotas.
Cette réforme avait pour unique but d’afficher « du chiffre », en faisant baisser les statistiques du chômage par le développement de l’apprentissage saisonnier, de l’apprentissage en intérim et de l’apprentissage à partir de quatorze ans. Ainsi, j’ai constaté que le décret du 15 février 2012 relatif aux dispositifs d’alternance personnalisés durant les deux derniers niveaux de l’enseignement au collège ouvre la possibilité de stages dans des centres de formation d’apprentis et des sections d’apprentissage. Veut-on vraiment valoriser l’apprentissage, lorsque l’on organise une orientation précoce des élèves en échec ?
Mes chers collègues, il s’agit d’une véritable déréglementation de l’apprentissage, que je déplore d’autant plus que je soutiens très activement, comme beaucoup d’entre vous, cette filière.
Entre 2007 et 2011, les statistiques montrent une évolution extrêmement faible du nombre de contrats d’apprentissage, qui sont passés de 416 000 en 2007 à 434 000 en 2011. Il faut par ailleurs constater une baisse des contrats de professionnalisation, qui s’élevaient à 202 000 en 2007, mais à 194 000 en 2011.
Le renforcement des obligations des entreprises concernant l’alternance n’a donc pas démontré son efficacité.
Monsieur le ministre, madame la ministre, avec l’article 8, vous voulez modifier les obligations des entreprises seulement six mois après la réforme de la contribution supplémentaire à l’apprentissage.
Vous portez les effectifs en alternance des entreprises de plus de 250 salariés de 4 % à 5 %, mesure qui s’appliquera à la contribution supplémentaire à l’apprentissage due à compter de 2016 au titre des rémunérations versées en 2015 – nous sommes donc loin aujourd'hui de son application –, avec un doublement de la contribution supplémentaire des pénalités.
Vous procédez en outre à une augmentation annuelle et progressive du barème des taux de contribution en cas de non-respect du quota à partir de la contribution due à compter de 2013 au titre des rémunérations versées en 2012, jusqu’en 2016.
De fait, votre politique repose uniquement sur l’aspect « répressif » et le renforcement du « malus », et non sur l’incitation intelligente à le faire.
L’objectif est d’encourager les entreprises à embaucher davantage de salariés en alternance, qu’ils soient en contrat d’apprentissage ou en contrat de professionnalisation. Cependant, selon les propres chiffres du Gouvernement, les entreprises de 250 salariés et plus ne comptent actuellement que 1,6 % d’apprentis.
M. François Marc. C’est vrai !
M. François Patriat. Dans ces conditions, comment voulez-vous passer de 4 % à 5 % ? Il y a un gouffre entre la situation réellement vécue dans les entreprises et ce que nous propose le Gouvernement.
À l’évidence, le renforcement des obligations des entreprises concernant l’alternance n’a pas démontré son efficacité.
Lors de l’examen de la mission « Travail et emploi » de la loi de finances pour 2012, au mois de décembre dernier, j’avais rappelé que l’objectif de 600 000 apprentis en 2015 impliquerait une augmentation de 50 % des effectifs actuels en seulement quatre ans, alors que le nombre d’apprentis n’a progressé que de 8 % entre 2005 et 2010.
La création à compter de 2006 de la surtaxation des entreprises ne respectant pas le quota d’alternants dans leurs effectifs n’a que peu influé sur l’évolution du nombre d’apprentis. Au contraire, c’est la logique de cofinancement de l’État avec des régions fortement impliquées qui a permis l’augmentation du nombre d’apprentis dans notre pays. Or vous ne prenez pas en compte cette réalité ; l’emploi dans les régions, dans le contexte actuel, commanderait que l’État s’implique davantage sur des objectifs réalistes et atteignables, au travers de la nouvelle génération des contrats d’objectifs et de moyens pour la période 2011-2015.
Il serait préférable que le Gouvernement se penche sur les insuffisances du contrat de professionnalisation, la faiblesse des incitations financières et la carence de pilotage du dispositif qui ont été dénoncées par la Cour des comptes. Il conviendrait également de s’attacher aux moyens à mettre en œuvre pour limiter le phénomène de rupture des contrats en alternance par les jeunes eux-mêmes, qui est, vous le savez, en augmentation. Au lieu de cela, vous préférez un dispositif de malus dont les effets sur l’augmentation des ressources destinées au développement de l’apprentissage et l’incitation à l’embauche par les entreprises ne sont pas évalués.
Quand on considère la réalité des efforts budgétaires de l’État prévus pour 2012 en faveur du développement de l’alternance, on ne peut être que déçu, car les moyens ne sont pas à la hauteur des objectifs affichés.
L’objectif de 500 000 apprentis n’a pas été atteint, et la progression de leur nombre semble plafonner depuis 2008. Il aurait mieux valu appuyer cette nouvelle modification par l’évaluation des effets de la précédente réforme. Cette évaluation est, il est vrai, rendue particulièrement difficile par un dispositif trop complexe, à multiples tranches d’imposition et à taux glissant, qui aurait dû être simplifié.
Pourquoi décider maintenant d’une modification, alors qu’aucune des nouvelles dispositions n’entrera en vigueur en 2012 ? Le relèvement du barème ne sera applicable qu’en 2013, l’augmentation des quotas de 4 % à 5 % en 2016.
Il n’y a en fait aucune justification à légiférer, si peu de temps après la précédente réforme, dans ce véhicule législatif. Votre mesure n’a donc qu’un effet d’annonce.
Vous ne traitez pas le vrai problème : l’évaluation de la précédente réforme n’a pas été faite et celle que vous proposez maintenant est aléatoire. Était-il bien utile de l’inclure dans ce texte, sinon pour essayer de le densifier à travers des mesures concernant l’apprentissage que chacun souhaite voir mis en place, mais qui n’auront pas d’effet dans les deux ou trois années à venir ? C’est la raison pour laquelle nous ne débattrons pas de ce projet avec vous ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à faciliter l’organisation des manifestations sportives et culturelles est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des finances a fait connaître qu’elle a d’ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu’elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d’une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2012 actuellement en cours d’examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Loi de finances rectificative pour 2012
Suite de la discussion et rejet d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2012.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans mon intervention lors de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, j’avais souligné que celui-ci constituait en réalité un deuxième plan d’austérité, lequel en appellerait un troisième. Nous y voilà !
La proposition formulée dans ce projet de loi de finances rectificative de faire supporter par les consommateurs une part du financement de la protection sociale constitue une nouvelle mesure de rigueur tout aussi injuste que les précédentes. Elle vient s’ajouter à la liste des réductions de prestations sociales. Je pense notamment au gel des allocations familiales, à l’insuffisance de l’ONDAM, l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie, à l’instauration d’un jour de carence pour les fonctionnaires et à l’ajout d’un quatrième jour pour les salariés, ou bien encore à d’autres mesures, tel l’élargissement de l’assiette de la CSG – la contribution sociale généralisée – ou l’augmentation du prix des mutuelles. Ce sont une nouvelle fois les travailleurs qui sont sommés de mettre la main à la poche.
Vous qui êtes toujours très prompts, madame la ministre, mes chers collègues de l’opposition sénatoriale, à dénoncer l’assistanat, pouvez-vous nous dire qui sont les premiers assistés ? Les assurés sociaux qui, d’année en année, de plan de rigueur en plan de rigueur, voient leurs prestations diminuer ? Les salariés dont le pouvoir d’achat diminue ? Ou bien les actionnaires, les riches, les puissants, c'est-à-dire celles et ceux qui profitent de vos politiques ?
Ainsi, pour la seule année 2011, les entreprises, en particulier les plus grandes d’entre elles, ont bénéficié, sans contrepartie en matière d’emploi, de 175 milliards d’euros d’exonérations fiscales, auxquelles il convient d’ajouter plus de 20 milliards d’euros d’exonérations sociales. Ces sommes colossales nuisent à la protection sociale et la plongent structurellement dans une situation déficitaire. Cela justifie que vous preniez, année après année, des mesures toujours plus injustes, toujours plus antisociales.
La hausse de la TVA, parallèlement à une nouvelle réduction des cotisations patronales, viserait selon vous à réduire le coût du travail. Je reviendrai sur cet argument, mais je tiens tout d’abord à dire que cette hausse est tout sauf sociale. Nous le savons, elle sera supportée plus lourdement par les familles modestes, qui, du fait de leurs faibles ressources, ne peuvent épargner, et dont l’immense majorité des revenus est orientée vers la consommation.
Cette mesure va également entraîner une hausse des prix. Il n’y a que les ministres pour croire qu’elle ne sera pas au moins partiellement répercutée sur les prix, entraînant de facto une diminution du pouvoir d’achat des plus modestes. En réalité, cette mesure portera un coup supplémentaire à la croissance de notre pays. Et les Français paieront deux fois : en tant que consommateurs et en tant que salariés, victimes de la récession !
Par ailleurs, cette hausse de la TVA ne constitue pas, comme vous l’affirmez aujourd’hui, une mesure anti-délocalisation. À en croire le Président de la République, le coût du travail serait, en raison du niveau des cotisations sociales, trop important en France, notamment par comparaison avec l’Allemagne. Pourtant, selon les données rendues publiques par le Bureau of Labor Statistics américain, en 2000, une heure de travail allemande valait 25,4 dollars, soit 19 % de plus qu’en France. En 2010, cet écart s’était réduit à 8 %, mais toujours en faveur de la France.
Une étude récente de l’INSEE, à laquelle il a été fait référence cet après-midi, montre quant à elle que le coût unitaire du travail dans l’industrie manufacturière est identique en France et en Allemagne. La comparaison avec l’Allemagne ne va décidément pas dans le sens de votre démonstration.
De plus, les entreprises françaises délocalisent pour s’installer non pas Outre-Rhin, mais dans des pays qui ne respectent pas les règles environnementales et qui sous-paient les salariés. La course au plus bas coût du travail avec ces pays est perdue d’avance. Ce n’est pas sur cette voie qu’il faut s’engager. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire.
Une chose est certaine : votre politique, madame la ministre, satisfait le MEDEF, qui appelait cette mesure de ses vœux. Après la suppression de la taxe professionnelle, qui a coûté 8 milliards d’euros, vous organisez une nouvelle fois un transfert de financement de la sécurité sociale des entreprises vers les ménages, renforçant simultanément la fiscalisation de notre protection sociale et son étatisation. Ce faisant, vous franchissez une nouvelle étape vers la fin de la gestion paritaire de la sécurité sociale.
Pour notre part, nous avons d’autres solutions, plus conformes à l’esprit des rédacteurs du programme du Conseil national de la Résistance, plus conformes surtout aux besoins de notre pays.
Alors que vous voulez limiter les prélèvements sociaux, notamment les cotisations patronales, sur la base du dogme libéral, nous considérons que le relèvement de la part des salaires dans la valeur ajoutée permettrait un financement dynamique de la sécurité sociale. Or cette part, vous le savez, s’est affaissée de dix points au cours des trente dernières années.
D’ailleurs, à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, nous avons fait ici la démonstration qu’il était possible, en rompant avec cette logique strictement financière, de conforter le financement de la protection sociale, de recouvrer l’équilibre et d’investir plus encore dans la santé et le développement social.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Dominique Watrin. Ce cercle vertueux que nous appelons de nos vœux, c’est celui de l’emploi et des salaires. Cela exige de rompre avec les logiques libérales et financières, qui conduisent à l’accumulation des richesses par une poignée de privilégiés qui favorise les pratiques spéculatives.
M. Éric Bocquet. Absolument !
M. Dominique Watrin. Cela exige de mettre un terme à la financiarisation de notre économie, qui détourne les richesses produites par les entreprises et favorise les délocalisations.
Cela exige, comme nous l’avons récemment proposé, d’interdire les licenciements boursiers dans les entreprises qui distribuent des dividendes et que tout soit mis en œuvre pour faire passer l’emploi avant l’intérêt des actionnaires.
Je n’oublie pas que, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, la nouvelle majorité sénatoriale avait voté une réduction de plus de 30 % des déficits sociaux. Ces mesures structurelles, fondées sur la définition d’une nouvelle assiette de cotisations sociales faisant porter les efforts sur le capital autant que sur le travail, vous n’en avez pas voulu ! Vous préférez que paient les salariés et les consommateurs. Cela est d’autant plus injuste que ce projet de loi ne nous offre aucune certitude formelle que le surplus de recettes de TVA ira bien dans les caisses de la sécurité sociale.
Enfin, cette mesure ne permettra pas le retour à l’équilibre des comptes sociaux, qui continuent à être victimes d’un sous-financement que vous organisez volontairement.
En résumé, le courage n’est pas de s’attaquer au monde du travail comme le fait le Président de la République. Le courage consistera à imposer, demain, une réorientation des richesses produites vers l’investissement, vers une politique cohérente et globale de réindustrialisation et un plus juste partage des richesses. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je traiterai du Mécanisme européen de stabilité, le MES, qui va de pair avec le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, dit « TSCG ».
Ce sont 6,5 milliards d’euros de crédits de paiement et 16,3 milliards d’euros d’autorisations d’engagement qui sont inscrits dans le projet de loi de finances rectificative. Le déficit s’en trouve ainsi aggravé, passant de 78,7 milliards d’euros en loi de finances initiale à 84,9 milliards d’euros en loi de finances rectificative. Bien sûr, au sens « maastrichtien » du terme, rien ne bouge. Mais, pour le contribuable, où est la différence ?
Qu’arrivera-t-il au moment où les pertes apparaîtront ? Elles seront couvertes par le capital appelé, puis par un montant approprié du capital appelable, soit un total pour la France, je le rappelle, de 142 milliards d’euros. Or, comme Mme la rapporteure générale l’a fait observer tout à l'heure, on ne sait pas dans quelles conditions ces sommes faramineuses ont été consenties. Nous n’avons à ce jour vu aucun texte sur ce point.
Le Mécanisme européen de stabilité sera-t-il plus efficace que le Fonds européen de stabilité financière, qui l’a précédé ? Est-il sûr que le MES parviendra si facilement à lever 500 milliards d’euros de fonds ? Son attractivité dépendra des agences de notation…
Je ne sais pas qui souscrira aux obligations émises par ce MES, dont le but est de tenir la tête hors de l’eau de pays comme la Grèce. Je ne crois pas que les marchés financiers se bousculeront pour souscrire aux émissions d’un organisme dont le rôle est de prêter à des États menacés de faire défaut. Mais admettons qu’il puisse en effet disposer de ces sommes considérables. Même avec 500 milliards d’euros, le MES n’est pas un pare-feu suffisamment puissant.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il n’est pas à l’échelle des enjeux. Sans avoir à donner les chiffres de l’endettement des pays sous tension, il me semble que cette constatation est évidente.
La zone euro ne peut résorber ses handicaps structurels, qui viennent de l’hétérogénéité principalement économique des nations qui la composent. Penser l’inverse, c’est partager la même erreur que tous ceux qui ont soutenu le traité de Maastricht, comme l’a d’ailleurs fait le Président de la République, que j’entendais tout à l'heure s’exprimer à la télévision.
Le ministre des affaires étrangères britannique, M. William Hague, comparait il y a peu la zone euro à un édifice en feu sans issue de secours. Le MES, madame la ministre, n’est pas la grande échelle qui lui serait nécessaire, pour employer le langage des pompiers. (Sourires sur certaines travées du RDSE.)
Vous arguerez que le capital autorisé du MES a été fixé à 700 milliards d’euros. Mais il faudrait d’abord les verser. Qui a autorisé cet engagement ? Pour être complet, il faut ajouter que la nouvelle souscription de la France au capital du FMI s’élève à 31 milliards d’euros. Il faut bien contourner la répugnance de ce dernier à s’engager à plus de 10 % dans le plan d’aide à la Grèce. Je rappelle d’ailleurs que, initialement, sa participation au plan d’aide devait s’élever au tiers de celui-ci. Il serait peut-être temps de faire retentir la sonnette d’alarme…
M. Yvon Collin. Ou le tocsin !
M. Jean-Pierre Chevènement. … à Washington, dont le FMI constitue, d’une certaine manière, l’œil sur les affaires de l’Europe.
La solidarité est un beau mot. Mais il ne faudrait tout de même pas faire appel au contribuable au-delà de toute mesure, pour renflouer un édifice qui prend l’eau de toutes parts !
La meilleure garantie de la survie de la monnaie unique réside bien évidemment dans l’effroi qu’inspire son possible éclatement. Comme l’évoque l’éditorialiste du Financial Times, Martin Wolf, la zone euro ressemble à « un mariage raté qui ne subsiste qu’en raison du coût affolant qu’entraînerait un partage des actifs et des dettes ».
Le MES, en cas de crise grave ne serait qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Sa mise en œuvre est liée, dans les considérants des deux traités, à l’acceptation du traité dit « TSCG », qui impose une austérité à perpétuité.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement !
M. Jean-Pierre Chevènement. La prétendue règle d’or, en fait règle d’airain, implique une économie de 4 points de PIB. À cela vous ajoutez un effort pour faire passer l’endettement de 90 % à 60 % du PIB, soit 30 points à récupérer en vingt ans. Cela représente 1,5 point de PIB par an à trouver, soit 120 milliards d’euros.
M. Jacques Mézard. Une paille !
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est un véritable exercice de mortification à perpétuité qui nous est offert.
Le TSCG est un piège mortel, dont le MES est l’appât.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. Certains vont arguer que la conditionnalité n’est pas rigide puisqu’elle ne figure que dans les considérants des traités. Pas d’hypocrisie, et trêve de balivernes ! Il est évident que cette conditionnalité est une exigence sine qua non de l’Allemagne. Il faut avoir signé le TSCG pour bénéficier du MES.
Dernière question : comment va s’exercer le contrôle du Parlement sur les fonds alloués au MES, qui risquent de se trouver appelés avant même que le Parlement ait eu à se prononcer sur des engagements toujours croissants ? À ma connaissance, les mesures envisagées, nous l’avons entendu de la bouche du directeur général du Trésor, relèvent de l’information et non du contrôle du Parlement sur des fonds potentiellement colossaux.
Le MES est un mécanisme opaque qui ne permet pas le contrôle des fonds publics par le Parlement. Il conduit avec le TSCG à une Europe post-démocratique. Seule une crise majeure pourrait conduire, s’il en est encore temps, à adosser le MES aux ressources de la Banque centrale européenne et à organiser en Europe la croissance plutôt que la récession.
C’est possible, si la BCE reçoit mission de ramener le cours de l’euro au moins à sa parité de lancement, pour faire souffler sur notre continent une brise de croissance.
C’est possible à travers un plan européen d’équipement et de transition énergétique financé par des eurobonds.
Ce serait possible, enfin, si les pays dont la compétitivité le permet acceptaient une certaine relance salariale.
Alors, l’Europe repartirait. Avec le retour de la croissance, on pourrait commencer à résorber la dette !
Malheureusement, le MES est trop faiblard. Nous en reparlerons la semaine prochaine, dans le débat prévu pour autoriser la ratification de ce traité. En tout état de cause, le MES ne constitue pas un argument pour voter le projet de loi de finances rectificative. Il est vrai que ce n’est pas le seul. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise est un révélateur. Elle montre les faiblesses de notre pays comme elle met en exergue ses atouts. Elle suscite des craintes de voir la France dégradée comme l’espoir de la voir réformée.
Mais la crise nous révèle aussi l’état d’esprit des Français, que nous rencontrons dans nos territoires. Quelle que soit leur sensibilité politique ou leur situation sociale, ils savent bien que nous devons continuer à réformer la France. Ils sont prêts à faire des efforts supplémentaires, si nous sommes à la fois courageux et justes.
Être courageux, c’est adopter un langage de vérité.
Être juste, c’est engager des réformes tout en protégeant les plus fragiles.
Le courage consiste tout d’abord à donner les moyens à nos entreprises et aux salariés d’être plus compétitifs.
Madame la ministre, vous nous proposez le choix d’une vision responsable, qui favorise l’emploi et la croissance à long terme. Une vision qui libère des marges de manœuvre pour les entreprises et leur donne les moyens de se développer. C’est le dispositif de la TVA anti-délocalisation.
Dans un monde où les échanges sont globalisés, nos entreprises subissent non seulement la concurrence des pays émergents, mais également, et surtout, celle des autres pays européens. Dans ce cadre, il n’est ni raisonnable ni souhaitable de continuer à faire peser le coût des prestations sociales sur l’emploi. Nous devons au contraire aider les entreprises à gagner en compétitivité, à conquérir de nouveaux marchés, notamment à l’export, et à augmenter leur chiffre d’affaires.
Madame la rapporteure générale, selon vous, ce dispositif ne créera pas d’emplois. Je voudrais m’inscrire en faux contre cette affirmation. Comme vous le savez, le dispositif d’exonération des charges patronales pour les cotisations familiales sera très largement ciblé sur les bas salaires, complétant ainsi le dispositif Fillon. Il sera donc très favorable aux créations d’emplois, comme le démontrent les différentes études déjà évoquées par les précédents orateurs.
Le deuxième volet, vous avez longuement expliqué, repose sur l’augmentation du taux de TVA. On peut estimer que, dans la situation de quasi-déflation dans laquelle nous vivons aujourd'hui, Jean Arthuis l’a évoqué, la hausse de la TVA ne se traduira pas par une hausse des prix. Elle ne devrait donc pas avoir d’effet de ralentissement de la croissance, c'est-à-dire pas ou très peu d’impact négatif sur l’emploi. La TVA anti-délocalisation pourra ainsi pleinement produire ses effets en matière de créations d’emplois.
Mais cette mesure doit être juste. C’est pourquoi la hausse de la TVA ne s’applique pas aux produits qui ont un taux de TVA réduit, notamment les produits alimentaires et l’énergie.
Le courage, c’est ensuite oser prendre les devants et adopter – enfin ! – une taxe sur les transactions financières, la TTF. Vous le savez, elle a été imaginée par l’économiste américain James Tobin, il y a de longues années de cela.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Tobin a bon dos !
Mme Fabienne Keller. Pendant très longtemps, cette taxe sur les transactions financières est restée au stade de la simple idée. Elle va enfin devenir une réalité.
Nous connaissons tous les tergiversations de certains de nos partenaires européens sur ce dossier. Nous connaissons aussi les protestations virulentes du monde de la finance. Malgré les obstacles sur le chemin de la TTF, le Président de la République et vous-même, madame la ministre, avez tenu votre promesse. Je tiens à saluer votre courage politique et cette initiative volontariste.
Chacun le sait, cette taxe sur les transactions financières est une nécessité budgétaire, morale et politique. Il semble juste que le secteur financier, en grande partie à l’origine de la crise financière de 2008 du fait de la multiplication et de la sophistication des opérations financières, apporte une contribution équitable au rétablissement de l’équilibre budgétaire. En outre, il est actuellement moins taxé que les autres secteurs de l’économie, qui sont tous mis à contribution. Pourquoi le secteur financier devrait-il y échapper ?
Enfin, le taux très raisonnable de cette taxe, fixé à 0,1 % – pour l’instant ! –, permet de ne pas trop pénaliser notre « industrie financière ». Son montage, particulièrement bien travaillé, évitera des délocalisations rapides. Mais compte tenu de son taux, je plaide pour que la taxe s’applique à toutes les transactions financières, sans exception.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous dites comme moi !
Mme Fabienne Keller. D’aucuns diraient que le dispositif prévu pour cette taxe est insuffisant et que son assiette, notamment, est trop étroite. Mais je voudrais affirmer qu’il ne s’agit que d’une première étape. Avec la révision des directives MIF et EMIR, des transactions pourraient être mieux connues parce qu’elles seront déclarées ou enregistrées. Une assiette plus large s’appuyant sur des marchés mieux connus pourrait être alors envisagée par la suite.
Cette TTF est surtout un signal fort, alors que la directive européenne sur ce sujet sera discutée à la Commission au mois d’avril et au Parlement européen en juin.
Enfin, cette taxe doit également permettre de resserrer les liens du pacte social que la finance tend à délier. S’il est nécessaire que les recettes de cette taxe abondent le budget de l’État, il est aussi souhaitable qu’elles soient utilisées dans le sens de son idée initiale, c'est-à-dire pour financer des grands objectifs comme l’aide au développement et la lutte contre le changement climatique.
En conclusion, ces deux mesures majeures, la TVA anti-délocalisation et la TTF, marquent la volonté du Gouvernement de poursuivre son action réformatrice.
Ces réformes sont à la fois courageuses et justes. Ce sont des réformes dont la France a besoin. Elles sont une réponse à la crise et ne peuvent donc pas attendre. La motion tendant à opposer la question préalable qui sera présentée par la majorité sénatoriale nous propose, elle, de remettre leur examen à plus tard.
Mes chers collègues, cette question préalable, si elle était adoptée, s’apparenterait à un abandon de poste. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un collectif budgétaire qui engage une modification profonde du financement de notre système de protection sociale, et ce à deux mois jour pour jour de la fin d’une législature calamiteuse pour la gestion des finances publiques.
Je dis « calamiteuse » à l’intention de ceux qui, comme Philippe Dallier tout à l’heure, s’émerveillent des 260 millions d’euros d’économies budgétaires réalisées sur un quinquennat en oubliant que ce sont 500 milliards d’euros de dette qui ont été accumulés sur la même période.
M. François Marc. Eh oui !
M. Jean-Pierre Caffet. Ces 500 milliards d’euros de dette supplémentaire sont, certes, dus à la crise, mais ils sont aussi pour une large part dus aux cadeaux fiscaux de ce gouvernement aux plus fortunés des Français.
L’urgence invoquée par ailleurs par le Gouvernement ne saurait faire illusion, puisque les mesures proposées ne seront mises en œuvre, pour l’essentiel, qu’au 1er octobre.
Mais commençons par le commencement. Ce collectif vise en premier lieu à tirer les conséquences de la révision à la baisse des hypothèses de croissance. Ce sera donc 0,5 %, au lieu de 1 %, voire 1,7 % auparavant. De même, la progression prévue de la masse salariale est non plus de 3 %, mais de 2,5 %. L’inflation prévisionnelle est maintenue à 1,7 %, mais nous savons qu’elle sera supérieure, en raison de la hausse de la TVA ; j’y reviendrai.
À l’évidence, ces nouvelles perspectives ne seront pas sans conséquences sur le montant des cotisations sociales et de la CSG, ainsi que sur l’évolution d’un certain nombre de prestations indexées sur les prix.
Or le texte que vous nous soumettez, en ne réajustant que les comptes de l’État, fait l’impasse sur la dégradation de ceux de la protection sociale. Où est donc votre projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative ? En vérité, madame la ministre, vous laissez filer le déficit à hauteur de 1,8 milliard d’euros, comme vous nous l’avez confirmé lors de votre audition devant la commission des finances.
Au-delà de cette absence d’ajustement, la réflexion sur le financement de la branche famille par des cotisations employeurs est, certes, parfaitement légitime. Elle n’est d’ailleurs pas nouvelle, puisque la création de la CSG avait à l’origine permis d’alléger les cotisations famille patronales.
Mais, avec ce texte, vous prétendez viser deux objectifs : l’amélioration de la compétitivité de l’industrie française et la création d’emplois, que vous chiffrez à 100 000 à court terme, grâce à une substitution de TVA aux cotisations patronales.
Ce faisant, vous commettez une erreur d’analyse, et vous prenez un pari particulièrement risqué.
C’est en effet une erreur d’analyse, ou plutôt devrais-je dire un « virage à 180 degrés » par rapport à vos propres analyses d’hier. Jean Germain, qui interviendra également pour le groupe socialiste, y reviendra.
Curieuse période, où l’hérésie d’hier est devenue vérité d’évangile par la grâce de l’arbitraire présidentiel.
N’en déplaise au Gouvernement, qui est obligé de se contredire, il y a bien erreur d’analyse, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, le problème français de compétitivité n’est pas celui du coût du travail. Dans l’industrie manufacturière – cela a été dit, mais je tiens à le répéter –, le coût horaire du travail est quasiment identique en France et en Allemagne. En outre, les Français travaillent en moyenne plus longtemps que les Allemands et leur productivité est plus élevée.
M. Jean Germain. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Caffet. Ce dont souffre l’industrie française, ce n’est pas d’un coût du travail plus élevé ; c’est d’un manque de compétitivité hors prix, en raison principalement d’un positionnement de gamme de production défavorable, de la faiblesse de notre tissu de PME exportatrices et d’un retard indéniable en matière d’innovation et de recherche.
Ce n’est pas l’étude de l’INSEE publiée ce matin qui me contredira. Comme l’a rappelé Yves Daudigny, cette étude indique que le coût du travail est de 29 % plus élevé en Allemagne qu’en France dans l’industrie automobile et que le commerce extérieur est pourtant largement excédentaire dans ce secteur en Allemagne, alors qu’il est très gravement déficitaire en France. Prétendre, comme l’a fait tout à l’heure M. Baroin, que cette étude conforte la TVA sociale, c’est faire preuve d’un « culot d’acier », une expression qui ne lui est sans doute pas étrangère…
Dans ces conditions, recourir à la TVA sociale revient à sacrifier la consommation pour des gains de compétitivité illusoires.
Deuxièmement, c’est également une erreur de croire que la TVA est le bon levier pour améliorer nos échanges extérieurs. Matraquer la consommation pour renchérir les importations, qui en représentent seulement 20 %, n’a jamais restauré la compétitivité d’un pays. L’idée selon laquelle ce seraient les importations qui paieraient la protection sociale est fausse. Très franchement, si la TVA pouvait être utilisée comme un droit de douane, cela se saurait ! D’ailleurs, M. Marini a dû s’en apercevoir, puisqu’il évoquait dans son intervention la nécessaire diminution du coin social, c’est-à-dire la différence entre le coût salarial et l’ensemble des cotisations sociales salariales et patronales. Mais c’est une tout autre problématique. Il est vrai que la diminution du coin social via une baisse des cotisations patronales peut favoriser le salaire net, mais à la condition que les employeurs l’acceptent. Et, dans ce cas, pourquoi ponctionner l’augmentation des salaires nets par une majoration de la TVA ?
Troisièmement, vous vous trompez de cible. Sur les 13 milliards d’euros d’allégements de cotisations sociales, un peu plus de 3 milliards d’euros seulement iront à l’industrie. Les principaux bénéficiaires de cette mesure seront les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, comme les services, y compris les services financiers, le bâtiment et la grande distribution, dont les activités ne sont pas délocalisables et peu concurrencées.
Cette stratégie est particulièrement risquée, notamment en matière d’inflation. Selon le Gouvernement, la hausse de la TVA n’entraînera aucune augmentation des prix, en raison de la pression de la concurrence.
Mais, à supposer que l’inflation n’augmente pas, qui donc paiera cette augmentation de TVA, sinon les entreprises en diminuant d’autant leurs prix hors taxes ? On peine alors à comprendre sur quel raisonnement économique repose une mesure consistant à baisser les charges sociales des entreprises de 13 milliards d’euros pour ensuite leur faire payer pratiquement à due concurrence l’augmentation de TVA. À trop vouloir montrer que cette réforme ne pèsera pas sur le pouvoir d’achat des ménages, le Gouvernement s’enferme dans une logique absurde.
En réalité, nous le savons bien, la majoration du taux normal de TVA se traduira inéluctablement par un regain d’inflation, certes difficile à chiffrer, mais d’autant plus important que les entreprises voudront reconstituer leurs marges bénéficiaires. Or, dans l’industrie manufacturière, ces marges se sont dégradées de l’ordre de dix points au cours de la dernière décennie. Il y a donc fort à parier que beaucoup de ces entreprises industrielles profiteront de cet allégement pour les restaurer. C’est dire la fragilité du raisonnement conduisant à diminuer le coût du travail pour améliorer notre compétitivité industrielle.
Quant aux autres entreprises, celles qui sont à l’abri de la concurrence mondiale, elles bénéficieront d’un effet d’aubaine que rien ne saurait justifier dans la période économique actuelle. Et les ménages subiront inéluctablement une nouvelle baisse du pouvoir d’achat.
Ajoutons enfin que ce choix de la TVA induira une nouvelle injustice fiscale. C’est décidément la marque de fabrique de ce quinquennat, notamment pour les ménages les plus modestes, sur lesquels la TVA pèse trois fois plus que sur les ménages à revenus élevés.
Mes chers collègues, avec ce collectif, nous assistons à une fuite en avant du Gouvernement, fondée sur une stratégie économique erronée, à une nouvelle injustice fiscale et à une sorte de prise en otage du Parlement à quelques semaines d’une élection majeure qui va donner la parole au peuple. En réalité, ce projet de loi de finances rectificative, qui témoigne d’une fébrilité certaine, vise à priver le peuple français de son droit à choisir entre deux projets politiques à la veille d’une élection présidentielle.
Autant de raisons pour que le groupe socialiste refuse cette aventure funeste et s’exprime en faveur de la motion de procédure adoptée hier en commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, Jacques Mézard et Jean-Pierre Chevènement ont exprimé la position de notre groupe sur la fameuse « TVA sociale », une position que je partage d’ailleurs totalement, et sur le peu d’effet qu’une telle mesure aura tant sur l’emploi que sur la compétitivité de nos entreprises.
Selon nous, c’est bien l’innovation qui doit constituer la priorité. Dans le même temps, il est urgent de prendre des décisions fortes pour favoriser significativement la compétitivité hors prix de nos produits comme de nos entreprises.
Aussi, mes chers collègues, si l’article 1er de ce collectif budgétaire est emblématique et attire la lumière médiatique en ces temps électoraux, je souhaite pour ma part m’attarder sur l’article 2, qui instaure une taxe sur les transactions financières. C’est un sujet que je connais bien, puisque j’avais été, avec le soutien de mes collègues du RDSE, le premier à déposer et à défendre ici même une proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières.
M. Roland du Luart. La « taxe Collin » ! (Sourires.)
M. Yvon Collin. On peut toujours rêver ! (Nouveaux sourires.)
Cette proposition de loi avait été examinée en séance publique le 23 juin 2010 et rejetée par la majorité sénatoriale de l’époque ; il convient tout de même de le rappeler. Encore une fois, nous avions sans doute raison trop tôt !
À l’époque, malgré les déclarations du Président de la République, qui voulait « moraliser le capitalisme », la commission et le Gouvernement nous avaient reproché l’irréalisme de notre proposition, qui aurait été « dommageable pour la place de Paris ». C’était là le principal argument de la majorité de l’époque, qui était d’ailleurs quelque peu embarrassée.
Force est donc de constater que, depuis l’examen de la proposition de loi du RDSE, l’idée a fait du chemin. À Bruxelles, la Commission travaille sur une version européenne de cette taxe. Il est d’ailleurs certain qu’une telle taxe ne sera pleinement efficace que lorsqu’elle sera adoptée par un maximum d’États, en Europe bien sûr, mais aussi dans le reste du monde. Cependant, ni les membres de l’Union européenne ni même ceux de la zone euro ne sont pour l’instant parvenus à un accord sur cette question. Mais il faut bien commencer un jour et donner l’impulsion ! C’était d’ailleurs le sens de notre proposition de loi.
Prenant acte des tergiversations européennes, la nouvelle majorité sénatoriale a adopté, d’ailleurs avec le soutien de certains sénateurs de l’opposition, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012 et du dernier collectif budgétaire pour 2011, un article instaurant une taxe sur les transactions financières. La Haute Assemblée avait en effet considéré, comme l’avaient fait les membres du RDSE avec leur texte de 2010, que la France devait « montrer l’exemple ».
Le Gouvernement avait alors une nouvelle fois rejeté catégoriquement cette mesure, arguant qu’« il serait contreproductif pour la France de mettre en place une telle taxe de manière isolée », selon les termes du représentant du Gouvernement en séance, le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, lors de la discussion des six amendements visant à instaurer une taxe sur les transactions financières dans le dernier projet de loi de finances. M. le secrétaire d’État poursuivait ainsi : « Faire cavalier seul serait donc peu réaliste et irait à l’encontre de la démarche engagée sur la scène internationale comme à l’échelon européen, au moment même où celle-ci commence à produire des résultats tangibles. »
Et pourtant... Le Gouvernement introduit aujourd'hui, dans ce premier collectif budgétaire pour 2012 et dernier collectif budgétaire de la législature, une taxe sur les transactions financières !
Mes chers collègues, comment faire confiance à un gouvernement qui change si souvent d’avis…
M. Roland Courteau. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà !
M. Yvon Collin. … à un gouvernement qui combat – avant de les reprendre ensuite à son compte ! – les propositions de l’opposition visant à renforcer la justice et l’équité et à limiter les pratiques spéculatives déstabilisant les marchés et plongeant nos économies dans des crises dont elles ont bien du mal à se remettre ?
Il en va ainsi de la taxe sur le « trading haute fréquence », proposée par Mme la rapporteure générale à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, et rejetée à l’époque, c’est-à-dire voilà deux mois à peine, par le Gouvernement.
C’est pourquoi on peut douter de la volonté soudaine du Gouvernement de s’engager sur cette voie. Ainsi, il nous propose aujourd’hui de taxer notamment les « CDS nus sur dette souveraine », alors que ces derniers, qui sont déjà interdits en Allemagne, le seront prochainement dans l’ensemble de l’Union européenne.
En outre, la rapporteure générale l’a démontré, cette taxe sur les transactions financières repose principalement sur une version amoindrie du droit de timbre britannique. On ne peut donc que s’interroger sur l’utilité de cette taxe sur les transactions financières a minima telle que la propose aujourd’hui le Gouvernement.
Mes chers collègues, peu convaincu par l’efficacité des mesures inscrites à l’article 1er sur l’emploi et la compétitivité des entreprises, redoutant des effets pervers sur le pouvoir d’achat des Français et quelque peu déçu de cette version très light de la taxe sur les transactions financières, j’apporterai mon soutien, avec mes collègues radicaux de gauche du RDSE, à la motion tendant à opposer la question préalable qui sera présentée avec force et talent par notre excellente rapporteure générale. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon.
M. Pierre Charon. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rythme des projets de lois de finances a été accéléré par la crise, et la situation budgétaire de la France nous impose la plus grande précision dans les arbitrages rectificatifs.
L’enjeu de cette discussion est simple. Si la France ne trouve pas rapidement le moyen de redresser le déficit de sa balance commerciale, il ne sera bientôt plus nécessaire de voter des projets de lois de finances, pour la simple et bonne raison qu’il n’y aura plus de finances du tout.
Dans ce contexte, ce projet de loi de finances rectificative prévoit de mettre en place ce qu’il est convenu d’appeler une « TVA sociale ». Le souci de précision devrait pourtant nous inviter à nommer ce dispositif « fiscalité anti délocalisations ».
En effet, le projet défendu par le Président de la République donne une impulsion majeure en faveur de la compétitivité française, ce qui rend la mesure incontournable sauf à faire preuve d’inconscience et d’irresponsabilité.
J’insiste bien, mes chers collègues : si toutes les entreprises françaises ferment ou partent s’installer à l’étranger, il sera vain de parler d’emploi, de modèle social ou tout simplement d’État. Eh oui, il ne sert à rien d’avoir un système fiscal juste s’il n’y a plus personne à imposer.
Permettez-moi, chers collègues, de rappeler ici quelques chiffres que vous connaissez.
Pour un même coût du travail de 4 000 euros, une entreprise française paye 1 738 euros de charges contre 841 euros en Allemagne. Le résultat est un salaire net pour les Français de 1 403 euros contre 2 324 euros pour les Allemands, soit près de 1 000 euros de plus par mois !
Cet écart pénalise nos entreprises, qui doivent faire la même course avec un boulet accroché à la cheville. Dans les courses hippiques, cela s’appelle un handicap ! Mais il pénalise aussi les salariés français, dont la part de salaire qui finance la protection sociale est beaucoup trop lourde.
Nous avons donc le choix entre deux solutions : baisser le coût du travail ou regarder les entreprises françaises faire faillite ou plier bagages.
En diminuant les charges qui pèsent sur le travail, on redonne de l’air à nos industries, on protège les emplois et on facilite les embauches.
Par ailleurs, le dispositif permet de répondre à l’urgent rééquilibrage qu’exige le financement de notre protection sociale. La situation actuelle est intenable : le poids du financement de la protection sociale de tous les Français repose de manière disproportionnée sur les salariés. Nous devons faire porter une partie de cette charge sur les produits importés, soumis à la TVA, qui ne sont pas touchés par la baisse des charges, laquelle ne concerne que les entreprises françaises.
Ce texte devrait théoriquement faire l’unanimité dans la Haute Assemblée tant le constat est évident et tant le projet défendu par le chef de l’État est, en réalité, une réponse pleine de bon sens et de pragmatisme à une situation très claire.
Cette solution permettra simultanément d’améliorer la compétitivité de nos entreprises et de rééquilibrer le financement de notre protection sociale sans alourdir d’un euro le budget de l’État.
M. François Marc. Vous avez mis cinq ans à trouver cette réponse !
M. Pierre Charon. Malheureusement, il semble que les calculs politiques à trois bandes de la campagne présidentielle inspirent à la majorité sénatoriale un rejet qui en dit long sur son souci de bonne gestion de notre pays. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Parlons-en de la bonne gestion !
M. François Marc. Eh oui : 500 milliards de dettes en cinq ans !
M. Pierre Charon. Nous voyons pourtant autour de nous des exemples parlants du succès de la compensation des charges pesant sur le travail par l’augmentation de la TVA.
Ces exemples ont été cités tout l’après-midi : l’Allemagne, bien sûr, mais aussi le Danemark, qui a supprimé les cotisations sociales des employeurs au titre de l’assurance chômage en finançant cette mesure par une hausse de la TVA de 3 points, de 22 % à 25%, ce qui correspond au double de la hausse proposée dans ce texte ! Grâce à cette mesure, le taux de chômage est passé de 12 % à 5 % en un peu plus de dix ans !
M. Roland Courteau. Un peu trop simple !
M. Pierre Charon. Nous avons aujourd’hui l’occasion de nous inspirer des bonnes pratiques et d’éclaircir l’horizon de l’emploi et de la création de richesses, si essentiels à la prospérité de notre pays. Aussi, il est de notre devoir de parlementaire de dépasser les postures partisanes et d’avancer sans atermoiements sur le chemin des réformes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne n’est dupe. Ce projet de loi de finances rectificative n’a pour seul objet que de dissimuler le bilan catastrophique de la mandature du candidat Sarkozy.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Christiane Demontès. C’est un fiasco, car qui se porte mieux depuis cinq ans, mis à part les possédants et les dirigeants ? Où se trouve donc la France du plein-emploi et du pouvoir d’achat quand plus de 4,5 millions de personnes cherchent du travail et que la précarité explose ?
M. François Marc. Bonne question !
Mme Christiane Demontès. Où est la France des propriétaires quand notre pays compte 3,6 millions de personnes non logées ou très mal logées ? Où est la justice fiscale quand les 7 % des Français les plus riches ont perçu 60 % des sommes versées au titre du bouclier fiscal…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il est supprimé !
Mme Christiane Demontès. … et que la réforme de l’ISF coûtera 2 milliards d’euros par an aux finances publiques ?
Cette politique a enrichi les plus riches, au détriment de ceux qui se lèvent tôt pour aller travailler ou pour chercher du travail.
J’évoquerai plus particulièrement l’article 1er, qui vise à instaurer la TVA sociale. Le but affiché est d’augmenter le taux de TVA pour financer la protection sociale et de diminuer les cotisations sociales payées par les entreprises.
Ainsi, les cotisations alimentant la branche famille, qui représentent 5,4 % du salaire, sont supprimées jusqu’à 2,1 SMIC puis, de façon dégressive, jusqu’à 2,4 SMIC pour atteindre 5,4 % en taux constant.
Sur la forme, comment ne pas déplorer la précipitation avec laquelle le Gouvernement procède ? Cette disposition va bouleverser l’architecture du financement de notre protection sociale. À ce titre, l’absence de concertation préalable avec les partenaires sociaux n’est pas acceptable, notamment parce que des questions essentielles restent posées. Je pense, en particulier, à l’interprétation qui peut être faite de l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, aux termes duquel, sauf exception, toute mesure de réduction ou d’exonération de cotisations de sécurité sociale donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l’État pendant toute la durée de son application.
Or, comme le souligne justement Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances, la thèse la plus probable est que le dispositif prévu au IV de l’article 1er risque d’être assimilé à un nouveau mode de calcul de l’assiette des cotisations patronales famille. Il serait donc de droit commun. Dans ce cas, le mécanisme de compensation ne jouerait pas et les 13,2 milliards d’euros de recettes supplémentaires escomptés ne seraient pas pérennes. Je rappelle que la branche famille, cela a été souligné par Mme Pasquet, rapporteur pour avis pour la branche famille, enregistre un déficit de 2,6 milliards d’euros et que la structuration de ses recettes a été fragilisée par le transfert vers la CADES de 0,28 point de CSG qui lui était précédemment attribué.
Par ailleurs, si le MEDEF voit dans cette TVA modifiée « un avantage social », nous y voyons l’augmentation des injustices car la TVA pèse d’autant plus que les revenus des ménages sont faibles. Elle représente 14 % du revenu des 10 % des ménages les plus pauvres, contre 5 % de celui des ménages les plus riches. Une fois encore, la droite entend faire endosser les efforts par les plus fragiles.
Or les deux plans de rigueur ont déjà pénalisé les Français qui ont dû faire face aux hausses des tarifs des mutuelles et du gaz, respectivement de 5 % et de 4,4 %, ainsi qu’à l’augmentation du taux réduit de TVA, passé de 5,5 % à 7 %, qui a un effet sur les prix de l’eau, des transports en commun, du logement social, des livres et des fournitures scolaires.
Mécaniquement, cette nouvelle hausse va avoir une incidence sur la consommation des ménages, notamment sur celle des plus modestes ; je pense aux bas salaires.
À défaut d’une hausse des rémunérations qui viendrait compenser l’augmentation de TVA, les salariés verront leur pouvoir d’achat de nouveau amputé. À l’inverse, dès lors que la TVA autorise la déduction intégrale des dépenses d’investissement, une bonne part des revenus du capital en sera exemptée.
En fait, comme en Grande-Bretagne en 2011, tout laisse à penser que cette hausse de TVA s’accompagnera d’une augmentation des prix. Le risque est grand de voir les entreprises, bien souvent en situation financière fragile, augmenter leur taux de marge plutôt que de répercuter cette baisse de cotisation sur les prix de vente. Le précédent du secteur de la restauration est dans toutes les mémoires.
Gageons que pour les grandes entreprises cette logique conduira à la hausse des prix des produits français et annulera le prétendu gain de compétitivité. En effet, certains se plaisent à travestir la réalité en appelant cette disposition « TVA compétitivité », mais qui peut raisonnablement penser que, dans une économie mondialisée, une baisse des prix à l’exportation de 3 %, voire de 4 % sera suffisante pour redresser le déficit de notre balance commerciale ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Donc il ne faut rien faire !
Mme Christiane Demontès. Rien n’y fait, la droite tourne le dos à une France forte. Cette mesure antisociale d’augmentation de la TVA en échange de l’abaissement, voire de la suppression des cotisations sociales patronales « famille » est rejetée par nos concitoyens à une très large majorité, et nous la rejetons avec eux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Attendez qu’ils se soient exprimés !
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, je voudrais vous parler du problème de la compétitivité des entreprises, en particulier de la nécessité absolue d’alléger suffisamment les charges sur salaires pour faciliter nos exportations et favoriser l’emploi.
Cette question est traitée dans le projet de loi de finances rectificative, mais insuffisamment selon moi. Mon idée est qu’il faudrait réduire les charges sur salaires de façon beaucoup plus importante.
Qu’il me soit permis d’avancer une proposition complémentaire pour augmenter cet allégement de charges sur les salaires. Ces charges se composent à la fois des cotisations relatives aux salariés – chômage, retraite –, de celles relatives au financement de la sécurité sociale, de l’assurance maladie, de la famille, du logement, du transport, qui n’ont rien à voir avec les salariés, et de la CSG.
Je vous propose de reporter toutes les charges relatives à la sécurité sociale et à la CSG sur les frais généraux des entreprises ; seules les charges relatives aux salariés – chômage, retraite et accidents du travail – devraient rester sur les salaires. Grâce à cette opération, les charges sur salaires diminueront de moitié, ce qui n’est pas négligeable.
Certes, cela ne changera pas les dépenses totales des entreprises, mais les charges seront réparties différemment, car il faut favoriser les entreprises de main-d’œuvre. Les coûts de production directs seront ainsi moins élevés, et cela ne coûtera rien ni à l’État ni au contribuable.
À cette fin, je propose de créer un coefficient d’activité unique qui favorisera les entreprises de main-d’œuvre et qui sera valable pour toutes les activités marchandes.
Ce coefficient sera associé au chiffre d’affaires de chaque entreprise, diminué de la masse salariale. Il sera déterminé et payé chaque année en fin d’exercice. Pendant un an, les entreprises verront effectivement les charges sur salaires diminuées de moitié, ce qui favorisera leur activité et leurs exportations.
Les entreprises paieront leurs charges en fin d’exercice pour couvrir les dépenses de sécurité sociale avec la CSG. Le coefficient à l’échelle nationale sera calculé à partir des résultats des années n-2 avec les chiffres d’affaires de toutes les entreprises marchandes nationales, diminués des masses salariales réduites pour payer les dépenses de sécurité sociale nécessaires.
J’espère que vous avez tous compris.
On voit aisément que, plus la masse salariale sera grande pour un chiffre d’affaires donné, moins l’entreprise paiera. Ce sont ainsi les entreprises de main-d’œuvre qui seront favorisées.
En revanche, les entreprises qui réaliseront un chiffre d’affaires important avec peu de personnel paieront plus. Ce sera le cas des entreprises de service, des importateurs et des entreprises qui délocalisent.
On rétablit ainsi un véritable droit de douane pour tous les importateurs et on favorise l’emploi en France de toutes les entreprises.
Cette proposition présente en outre un autre avantage important, celui de s’adapter aux besoins budgétaires. L’équilibre des dépenses actuelles permet de régler 217 milliards d’euros avec un coefficient de 6,6. En augmentant ce coefficient de 0,6 point, on obtient un total de 237 milliards d’euros, c’est-à-dire 20 milliards d’euros de recettes supplémentaires, soit le déficit actuel de la sécurité sociale.
Contrairement au système actuel, celui-ci permettrait de financer l’ensemble des dépenses de sécurité sociale, y compris le déficit actuel, ce qui est considérable.
Permettez-moi de résumer les avantages de ma proposition.
Premièrement, elle permettrait de réduire les charges sur salaires de 55 %, ce qui améliorerait les coûts de production et la compétitivité de nos entreprises.
Deuxièmement, elle pénaliserait les entreprises qui importent ou délocalisent de façon importante et favoriserait les entreprises qui emploient de la main-d’œuvre en France. C’est une véritable taxe douanière.
Troisièmement, elle permettrait d’équilibrer les dépenses de la sécurité sociale, notamment de la branche maladie et de la formation, ce qui n’est pas négligeable.
Quatrièmement, elle favoriserait l’augmentation des salaires et les embauches ; les charges sur salaires étant moins élevées, il y aurait plus d’embauche, et les augmentations de salaire se traduiraient par une hausse du pouvoir d’achat.
Enfin, je ne peux pas laisser dire que nous manquons d’esprit d’innovation et de recherche en France. En effet, nous avons des entreprises qui exportent des avions,...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Serge Dassault. … marché considérable, et des logiciels. Elles ne sont pas nombreuses, mais on les a, et elles exportent malgré des coûts de production trop élevés et, il faut le dire, un euro encore trop haut qui défavorise les activités en zone dollar.
Voilà, brièvement résumés, les termes de ma proposition.
Je sais, mes chers collègues, que, si vous votez la question préalable je ne pourrai pas déposer d’amendement. Au demeurant, cette proposition me paraît suffisamment importante pour que je la présente sous la forme d’une proposition de loi à la reprise des activités du Sénat, au mois de juillet prochain. Elle pourra rendre aux entreprises leur compétitivité, améliorer considérablement l’emploi en France et favoriser la croissance, ce qui est quand même le but recherché par tous. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, halte à la stigmatisation des « outre-mer » et aux préjugés cartiéristes sur les outre-mer ! Que l’on cesse de clamer que les outre-mer coûtent cher à la France et qu’il faut réduire systématiquement ce coût.
Hier, c’était la Cour des comptes qui, dans son rapport public annuel, proposait purement et simplement de supprimer les dépenses fiscales jugées trop coûteuses et inefficaces.
Aujourd’hui, dans ce projet de loi de finances rectificative est inscrite une annulation de 25 millions d’euros des crédits de la mission « Outre-mer », qui vient s’ajouter aux coupes successives que connait ce ministère depuis 2002, dernier exercice budgétaire du gouvernement Jospin.
Triste réalité budgétaire puisque, depuis cette date jusqu’en 2012, dernier exercice budgétaire du quinquennat de Nicolas Sarkozy, les crédits du budget de l’outre-mer ont diminué de 219 millions d’euros alors que, dans le même temps, l’inflation cumulée entre ces deux périodes a été de 19,1%. En valeur nominale, les dépenses de l’État outre-mer ont donc diminué entre ces deux exercices budgétaires de 425 millions d’euros, soit 39,4% ! Entre 2007 et 2012, la baisse en valeur nominale du budget de l’outre-mer est de 7,7 %. Sur cette même période, la baisse de l’effort total de l’État envers les outre-mer est de 3 %.
Triste réalité budgétaire, mais aussi confirmation de la double peine que subissent les outre-mer et que nous ne cessons de dénoncer : les outre-mer sont sanctionnés une fois au même titre que la France entière et une autre fois au titre des mesures de soutien spécifiques que l’État a pourtant lui-même privilégiées par rapport aux dotations budgétaires pour leur développement.
En effet, la politique gouvernementale de réduction des niches fiscales ne pèse pas de manière identique sur l’ensemble des territoires français. Ce qu’il faut réellement appréhender quand on parle de coup de rabot sur les niches fiscales outre-mer, c’est surtout la diminution nette de l’effort consenti par l’État et non pas uniquement le gain pour les contribuables.
C’est ainsi qu’en 2012 la diminution nette de 382 millions d’euros de la dépense fiscale outre-mer n’a pas été compensée – loin de là ! – par l’augmentation des crédits de la mission outre-mer. Aussi, arrêtons à juste titre d’assimiler outre-mer et niches fiscales !
Au total, les « niches fiscales outre-mer » trop souvent décriées représentaient un montant de 1,239 milliard d’euros en 2010, 1,388 milliard d’euros en 2011 et seulement 875 millions d'euros en 2012. Ce montant a donc été fortement réduit depuis 2007.
Pour ma part, j’estime que cette forme de défiscalisation, assortie d’un contrôle étroit, est nécessaire pour nos outre-mer en l’absence d’autres solutions. Elles permettent le financement d’investissements que ni l’État ni les banques ne sont en mesure d’assurer, le premier par souci budgétaire, les secondes par frilosité.
Existe-t-il de nouvelles solutions alternatives dans ce projet de loi de finances rectificative pour relancer l’économie ultra-marine ?
La TVA sociale, élément phare de cette loi, existe déjà outre-mer et a fait la preuve de son inefficacité. Les outre-mer l’ont en effet déjà expérimentée, puisque la loi Perben du 25 juillet 1994 l’avait instaurée pour exonérer de 100 % les cotisations patronales sur la partie des salaires n’excédant pas le Smic, dans des secteurs d’activité exposés à la concurrence.
À l’époque, cette exonération a été financée par un relèvement de deux points de la TVA en Guadeloupe, à la Martinique et à la Réunion, passée de 7,5 % à 9,5 %. Or cette mesure n’a pas créé d’emploi, ni amélioré la compétitivité des entreprises, ni soutenu l’activité ou encore favorisé l’exportation.
En revanche, cette mesure a eu des conséquences immédiates : la flambée des prix, l’augmentation du coût de la vie et la diminution du pouvoir d’achat. Les résultats ont été plus que nuancés si on se réfère aux études de l’INSEE et de la DARES, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, à la Réunion : la situation économique et sociale actuelle est la preuve de l’absence d’efficacité de cette mesure pour la compétitivité de nos entreprises.
La « banque de l’industrie », autre dispositif que vous souhaitez mettre en place dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative, est certainement une bonne initiative puisqu’elle est destinée aux petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire, qui, trop souvent, peinent à trouver les financements nécessaires. Mais sera-t-elle implantée dans les outre-mer, dont les entreprises connaissent avec une plus grande acuité ces problèmes ?
Depuis longtemps déjà, nous réclamons, pour son savoir-faire, l’implantation d’OSEO en outre-mer et la distribution de tous ses outils de financement à la place de l’Agence française de développement, l’AFD, peu familiarisée avec le métier de banquier. Celle-ci doit demeurer dans son champ de compétences qu’elle maîtrise très bien : le financement de la coopération et des collectivités.
En implantant effectivement des antennes régionales de cette banque de l’industrie outre-mer, voilà, monsieur le ministre, une occasion de montrer que les outre-mer font partie intégrante de la France et qu’ils ont le droit de disposer des mêmes outils pour leur développement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Germain.
M. Jean Germain. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 21 septembre 2007, en visite en Corse, François Fillon déclarait : « Je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite sur le plan financier ; je suis à la tête d’un État qui est depuis quinze ans en déficit chronique ; je suis à la tête d’un État qui n’a jamais voté un budget en équilibre depuis vingt-cinq ans. Cela ne peut pas durer. » Nous entendons encore les soupirs de MM. Raffarin et Villepin à la suite de cette déclaration.
On aurait donc pu s’attendre à des propositions visant à corriger cette situation détestable le plus rapidement possible.
Or que s’est-il passé ? Le même Premier ministre, à la demande du Président de la République, a fait voter par sa majorité un paquet fiscal de 13,7 milliards d’euros, aggravant le déficit de notre pays.
Il aurait été possible de proposer des mesures sur un cycle économique. Ce n’est pas ce qui a été fait. C’est ce que nous ferons si nous sommes en mesure de pouvoir faire ces propositions car, contrairement à ce qu’ont dit certains orateurs, nous ne proposerons pas la TVA sociale, mais nous avons des propositions alternatives.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Francis Delattre. Lesquelles ?
M. Jean Germain. J’en viens à ce qui est présenté comme l’un des points essentiels de ce projet de loi de finances rectificative : le renforcement de la compétitivité par la TVA sociale.
Jean-Pierre Caffet a très bien expliqué ce qu’il fallait faire, ce que nous ferions et pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec ce qui est proposé.
La majorité et le Gouvernement fondent leur analyse sur des idées reçues, des idées fausses, qui viennent d’ailleurs d’être démontées par le rapport de l’INSEE, abondamment cité, qu’il s’agisse du coût unitaire salarial trop élevé, des conséquences des 35 heures ou du taux de cotisation des employeurs comme déterminant important du coût du travail.
Nous avons donc un certain nombre de propositions à faire sur ces sujets, mais j’évoquerai pour l’heure cette TVA sociale, qui nous est présentée parée de toutes les vertus. Elle serait nouvelle, inédite et manifesterait un certain courage.
Ce courage politique, notion qui a d'ailleurs été relayée par de nombreux orateurs, serait celui, presque physique ou viril, d’oser affronter les foules même hostiles. C’est une conception, permettez-moi de vous le dire, un peu ancienne, qui va à l’encontre d’une conception plus collective du courage. Si le courage est une vertu, il ne tient lieu d’aucune des autres vertus que le politique doit avoir, qu’il s’agisse de la justice ou de la générosité. Quelqu’un peut être courageux au service d’une cause mauvaise, et j’en appelle à Aristote pour dire qu’on ne peut assimiler le courage à la pureté morale du héros.
La TVA sociale serait également inédite, personne n’y aurait pensé avant !
Pourtant, en février 2011, voilà tout juste un an, Jean-François Copé proposait un relèvement de la TVA, donc le retour à la TVA sociale, en disant : « Un point de TVA cela se voit à peine. Il faut y réfléchir. Il y aura certes une augmentation, mais tout le monde sera gagnant au final. »
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Win win !
M. Jean Germain. Christine Lagarde le tacle le même jour sur RTL : « Une augmentation de la TVA, dit-elle, entraînerait une augmentation immédiate du volume des prix alors qu’on n’aurait pas immédiatement une diminution des charges sociales. »
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Eh oui !
M. Jean Germain. Xavier Bertrand dégaine le surlendemain : « En 2007, dit-il, j’ai bien vu que cette idée ne passait pas auprès des Français. Avec la TVA sociale, les Français ont compris que les prix allaient aussitôt augmenter mais que, pour la baisse des charges sociales, ils devraient attendre. »
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il ne faut pas parler trop vite !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous le leur direz !
M. Jean Germain. Vous-même, monsieur Baroin, dans Le Figaro Économie du 18 janvier 2011, réagissant à la relance de cette proposition par M. Copé, vous expliquiez que, pour avoir un effet significatif sur la compétitivité, la baisse des cotisations patronales et sa compensation par une hausse de la TVA devaient être massives, de l’ordre de cinq points. Vous ajoutiez que cette mesure aurait un effet catastrophique sur la croissance, tout simplement parce que la consommation des ménages en constituait le principal moteur.
Mais il y a mieux ! Dans un excellent rapport publié au cours de la session parlementaire 2004-2005, notre collègue président de la commission des finances, qui était alors rapporteur général du budget, a relaté l’audition, intervenue en mai 2004, du ministre de l’économie et des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy.
Sous la plume de M. Marini, on peut lire : « [Le ministre] a relevé que les études économiques dont il disposait montraient que l’impact le plus récessif d’une hausse de la fiscalité des ménages provenait de la TVA, dont une hausse d’un point pouvait donner lieu à 0,9 point de croissance en moins, alors que l’impact d’une hausse de la CSG » – que nous appliquerons si nous arrivons au pouvoir – « et des charges patronales, étaient respectivement de 0,5 et 0,4 point sur la croissance. Il a ajouté que l’accroissement du taux normal de TVA serait problématique pour la compétitivité française […] Il a enfin rappelé que l’État ne contrôlait pas le niveau des prix et qu’il était donc à craindre qu’une hausse de la TVA, malgré la diminution des charges, ne fût intégrée dans la marge, et donc intégralement répercutée sur le prix de vente ».
Par quel mystère une mesure jugée inefficace avec tant de véhémence par les meilleurs d’entre vous devient-elle efficace quand elle est reprise, en fin de course, par le Président de la République, devenu candidat à sa réélection ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et alors ? Quand sommes-nous bons et quand sommes-nous mauvais ?
M. Claude Domeizel. Vous êtes mauvais depuis cinq ans !
M. Jean Germain. Nos compatriotes ne comprennent plus et ne se laissent pas abuser : il faudrait baisser la TVA dans la restauration pour créer des emplois, mais l’augmenter dans les autres secteurs, toujours pour créer des emplois…
Si encore cette TVA ne visait que les secteurs soumis à la concurrence internationale, la mesure pourrait se comprendre. Mais ce n’est pas le cas, elle va au-delà !
Comme le dit la sagesse fiscale : ce n’est pas parce que l’on met un impôt sur les vaches, que ce sont les vaches qui paient l’impôt. En l’espèce, ce sont les consommateurs qui paieront !
Dans cette « pochette-surprise » qui nous est distribuée actuellement, la TVA sociale me fait un peu penser à la jouvence de l’Abbé Soury, qui serait censée guérir tous les maux de la République française !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous exagérez volontairement !
M. Jean Germain. Au milieu de ces gesticulations quotidiennes, de ces revirements, de ces mauvais choix, le chômage, la dette et le déficit extérieur ont explosé. Nous avons perdu le triple A, trésor national un jour, pacotille le lendemain !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Non, c’est trop bon !
M. Jean Germain. Vous n’avez pas su récompenser le travail ni les travailleurs. Vous faites payer aux plus modestes le coût d’une politique de cadeaux fiscaux aux plus fortunés.
Alors, à deux mois d’une élection présidentielle, vous vous livrez à une fuite en avant, dans une accumulation de mesures, le plus souvent inefficaces ou cosmétiques. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera essentiellement sur la TVA sociale.
Nicolas Sarkozy souhaite abaisser le poids des charges pesant sur les entreprises et promouvoir des accords compétitivité-emploi dans ces dernières, afin d’adapter le temps de travail et les salaires.
Concrètement, 13,2 milliards d’euros de charges dédiées à la branche famille seront supprimées et compensées par une hausse de 1,6 point du taux normal de TVA et une hausse de 2 points de la CSG sur les revenus du capital.
Dès lors, qui va y gagner et qui va y perdre ? La question mérite d’être posée, car cette mesure va faire des gagnants et des perdants.
Les perdants seront les salariés. Sur le plan fiscal, la TVA sociale signifie l’augmentation immédiate de l’impôt sur la consommation. Si les prix augmentent, les ménages devraient en effet perdre en pouvoir d’achat. Alors que M. Sarkozy voulait être le président du pouvoir d’achat, celui-ci n’a pas cessé de baisser ces cinq dernières années. Et aujourd’hui, c’est de nouveau au pouvoir d’achat qu’il décide de faire mal !
Tous les Français vont être concernés, mais surtout les classes moyennes et populaires, lesquelles consomment plus qu’elles n’épargnent.
Les allocataires seront également perdants, puisque le montant des prestations d’allocations familiales ne sera plus indexé sur le niveau de l’inflation.
Les gagnants seront les employeurs. La baisse des charges patronales va immédiatement abaisser le coût du travail et permettre aux entreprises de baisser leurs prix hors taxes sans grever leurs marges.
Nous savons très bien que, lorsque les charges baissent, les prix, eux, ne baissent quasiment pas. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé lorsque le taux de TVA a été réduit de 19,6 % à 5,5 % pour l’hôtellerie-restauration.
Ainsi, la TVA sociale consiste à faire endosser aux ménages la responsabilité de la crise, en laissant principalement aux plus défavorisés d’entre eux le soin de rembourser, en partie, la facture de dette.
Vous commettez en cela une grave erreur économique car, avec ce texte, vous amputez la consommation, l’un des principaux moteurs de la croissance. C’est consternant !
Et tout cela se passe, bien sûr, sans que vous ayez pris le soin de rencontrer les différents partenaires concernés.
De plus, cette mesure est discriminante. En effet, en raison des barèmes imposés par le Gouvernement, l’industrie, pourtant censée profiter en priorité de la TVA sociale, ne devrait gagner que 3,3 milliards d’euros, quand, dans le même temps, les services empocheront 8,3 milliards d’euros. Il n’y aura donc pas un intérêt commun à toutes les entreprises.
Comble de l’injustice, la banque et la finance devraient même pouvoir tirer leur épingle du jeu, puisqu’elles gagneront jusqu’à 700 millions d’euros, soit plus que l’agroalimentaire, l’automobile ou l’industrie des biens de consommation !
Lorsque le 29 janvier dernier, à la télévision, M. Sarkozy a annoncé sa décision d’instaurer une TVA sociale, il l’a présentée comme une nécessité pour la France. Et quelle nécessité : puisque l’Allemagne l’a adoptée, nous devons l’adopter !
En effet, certains veulent imiter l’Allemagne, la copier, ou même l’épouser ! Il ne se passe pas un jour sans qu’un responsable de la majorité vante les réussites de nos voisins d’outre-Rhin. Quelle erreur !
Regardons d’un peu plus près ce modèle. L’Allemagne compte 6,5 millions de travailleurs pauvres, soit 20 % de la population active. Entre 2000 et 2009, le taux de pauvreté a augmenté de 50 %. Depuis dix ans, le pouvoir d’achat en Allemagne est en forte baisse, de 4,7 % selon une étude. Les salariés de l’est du pays gagnent 17 % de moins que leurs collègues de l’ouest. Le nombre d’emplois très mal payés a fortement augmenté ces dernières années. La flexibilité et la productivité ont été assurées par le recours au travail précaire : il y a les « mini-jobs », dont le salaire ne peut pas dépasser 400 euros par mois, et ce sans limitation dans le temps ; il y a ensuite les « midi-job », dont le salaire doit être compris entre 400 euros et 800 euros mensuels ; enfin, les « ein-euro-jobs », destinés aux chômeurs de longue durée. Ces derniers sont des emplois à durée déterminée, indemnisés entre 1 euro et 2,5 euros de l’heure.
Sous prétexte de favoriser la compétitivité des entreprises et de réduire le chômage, le gouvernement allemand n’a pas hésité à paupériser la population active en pratiquant la compression salariale et en favorisant le développement du travail précaire.
Telle est la triste réalité de l’Allemagne : travailleurs pauvres, précarité, inégalités, déclin démographique ! Ce modèle est dangereux pour la société française et les Français n’en veulent pas ! Seuls Nicolas Sarkozy et le patronat souhaitent l’importer. Pourtant, d’autres solutions existent pour permettre le redressement indispensable de nos finances publiques et le soutien de la croissance.
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez, dans ces conditions, que nous votions la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne souhaite pas m’étendre sur l’économie générale de ce texte ni même sur la TVA sociale ; mes collègues s’en sont chargés, démontrant que ces mesures sont injustes et inefficaces sur le plan macroéconomique.
Pour ma part, je serais tenté de dire que le seul test d’opportunité valable de cette mesure eût été un référendum ! Cette procédure est encensée par le candidat Sarkozy, mais, hélas, le président se garde bien d’y recourir ! Et pour cause : derrière la notion de compétitivité, c’est bien du troisième plan de rigueur qu’il s’agit. Osons simplement le dire !
Si, pour la France hexagonale, le Gouvernement fait semblant de masquer la rigueur par la suppression des cotisations patronales, pour les outre-mer, cette rigueur constitue bel et bien le fil rouge du collectif budgétaire.
En effet, le projet prévoit l’annulation de 25 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Il s’agit d’une tendance de fond, qui se poursuit depuis l’instauration du comité interministériel de l’outre-mer.
Entre 2010 et 2012, le budget de la mission « Outre-mer » a diminué de 49 millions d’euros pour les autorisations d’engagement et de 57 millions d’euros pour les crédits de paiement.
Dans la loi de finances pour 2012, le programme « Emploi outre-mer » se retrouve amputé de 48 millions d’euros en autorisations d’engagement par rapport à 2011. Le projet de loi de finances rectificative pour 2012 prévoit une baisse supplémentaire de 25 millions d’euros, portant la diminution des engagements de l’État à 73 millions d’euros en quatorze mois. Les crédits de paiement diminuent de manière similaire.
Au regard des fonctions de ce programme, ces diminutions sont aberrantes : la situation de l’emploi est partout sinistrée, les chiffres du chômage étant plus de deux fois supérieurs à ceux, déjà mauvais, de la métropole.
Le taux de chômage est de 20,8 % en Martinique, 21 % en Guyane, 22,6 % en Guadeloupe, 27 % à Mayotte et 28,9 % à la Réunion, qui, depuis trois jours, se mobilise contre la vie chère.
Croyez-le, ce que le Gouvernement offre d’une main aux entreprises hexagonales au travers de l’article 1er de ce texte, il le soustrait aussitôt de l’autre main des programmes d’aide à la création d’emplois !
À l’heure du bilan de l’action gouvernementale, on constate un échec total en matière de formation et d’emploi, en outre-mer comme en métropole.
Il y a dans ce collectif un vrai plan de rigueur outre-mer qui ne dit pas son nom, dont les effets se traduisent aussi au-delà des crédits de la mission « Outre-mer ».
Ainsi prévoit-il l’annulation de crédits sur des postes que l’outre-mer partage avec l’ensemble du territoire, lesquels sont nécessaires au développement de certaines filières économiques.
Comment parler de soutien au développement endogène, de renforcement de la compétitivité pour des activités économiques comme celles, par exemple, du secteur primaire ?
Entre 2002 et 2010, la production de bovins en Guyane a baissé de 20 % et celle de porcins a chuté de 65 %.
Le cas de la riziculture est encore plus révélateur de l’échec d’un développement endogène : il y avait une production de 9 000 tonnes de riz en 2009, contre 1 900 tonnes au début des années 2000. Aujourd’hui, il n’y a plus de riz en Guyane ! La filière rizicole a disparu !
Et que dire de la pêche, premier poste d’exportation de la Guyane en dehors du domaine spatial : pour 4 200 tonnes de crevettes en 1998, un peu moins de 1 000 tonnes sont débarquées aujourd’hui !
Or, loin de soutenir ces filières, ce projet de loi de finances rectificative prévoit une baisse de 56 millions d’euros des crédits de paiement pour la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Que l’on ose donc nous dire que cette amputation de crédits va favoriser la compétitivité de la production agricole ou la création d’emplois en Guyane !
Dès lors, je m’interroge sur la cohérence de l’action gouvernementale.
Soit la politique du Gouvernement est totalement incohérente, tant l’inadaptation est flagrante entre les constats faits et les réponses apportées, tant la valse est rapide entre les choix affichant un apparent soutien à nos économies et les coupes sévères et très réelles inscrites en lois de finances.
Soit elle est parfaitement cohérente, témoignant de la volonté constante et implacable de maintenir ces territoires dans le « mal-développement » et la dépendance, au mépris de l’équité républicaine, comme si, en définitive, ceux-ci étaient la sempiternelle variable d’ajustement des contraintes budgétaires de l’État.
Arrêtez donc de lancer régulièrement sur les marchés des catalogues de mesures spéciales pour les outre-mer ! Ce sont autant de publicités mensongères puisque leur obsolescence est parfois plus rapide que la parution de leurs décrets d’application ! Arrêtez de mentir aux Français, à tous les Français : dites simplement la vérité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord remercier tous les orateurs qui se sont exprimés, et vous en particulier, monsieur le président de la commission des finances, car vous avez parfaitement remis en perspective ce projet de loi de finances rectificative pour 2012.
Le présent collectif poursuit l’action que le Gouvernement mène depuis cinq ans avec courage,…
M. Claude Haut. Courage, fuyons !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … lucidité et réactivité, malgré la crise sans précédent à laquelle nous faisons face. Cette action, vous la connaissez. Elle a deux objectifs : le retour de la croissance et le retour à l’équilibre des finances publiques.
Chacune des interventions à la tribune a révélé que, de toute évidence, ces deux objectifs et le chemin pour les atteindre ne font pas l’unanimité. D’un côté, le Gouvernement et sa majorité souhaitent tout mettre en œuvre, sans attendre, pour relever le défi de la compétitivité, en prenant une mesure courageuse propre à nous sortir de la spirale de la perte de compétitivité. De l’autre, la majorité sénatoriale refuse de voir la réalité : voter aujourd’hui une baisse des charges, c’est permettre aux entreprises et à leurs salariés de regagner, dès demain, des parts de marché et globalement de soutenir la croissance française.
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, rester campés sur votre position revient à aller contre l’intérêt de la France et des Français, à aller contre la Cour des comptes, qui, dans son rapport sur la trajectoire des finances publiques, juge que les trois conditions de réduction du déficit sont la crédibilité et l’ampleur des mesures de redressement, ainsi que l’amélioration de la compétitivité. Ces trois orientations, ce sont celles que le Gouvernement respecte depuis cinq ans et qui sont au cœur de ce collectif.
La trajectoire de réduction des déficits publics est intangible. Madame la rapporteure générale, vous devriez le noter, nous la suivons scrupuleusement sans pour autant que cela pèse sur la croissance. Je l’ai dit, les chiffres du quatrième trimestre 2011 le prouvent, la France est l’un des seuls pays européens à connaître une croissance positive, alors que l’Allemagne ou le Royaume-Uni voient leur PIB reculer. En outre, comme vous l’avez rappelé, monsieur Dallier, nos résultats de finances publiques en 2011 sont meilleurs que prévu. Monsieur Bocquet, vous ne pouvez pas le contester, la stratégie du Gouvernement est efficace et crédible : elle permet de réduire les déficits sans heurter la croissance.
Par prudence et parce que ces objectifs sont intangibles, nous révisons notre prévision de croissance à 0,5 % en volume. Madame la rapporteure générale, vous la trouvez encore trop optimiste ; c’est pourtant la même prévision que celle du candidat socialiste.
Le Gouvernement accompagne cette nouvelle prévision d’un effort supplémentaire de 1,2 milliard d’euros, auquel s’ajoutent 400 millions d’euros de redéploiement en faveur de l’emploi. Ces annulations, prises sur une réserve de précaution volontairement augmentée, permettent d’absorber le ralentissement de la croissance sans demander le moindre euro supplémentaire aux Français. Elles induisent, en revanche, et nous l’assumons, de véritables économies.
Par ailleurs, nous consolidons nos recettes grâce à deux décisions importantes : la mise en place de la taxe sur les transactions financières et le renforcement de notre arsenal de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’impact de la révision de la croissance sur nos recettes est intégralement compensé. De la même manière que nous avons tenu notre objectif en 2011, nous le tiendrons en 2012.
Notre second objectif dans ce projet de loi de finances rectificative pour 2012 est de soutenir la croissance en restaurant la compétitivité.
Contrairement à ce que prétend M. Mézard, nous nous employons à cette tâche depuis cinq ans, en agissant sur la compétitivité à long terme que portent le crédit impôt recherche, la réforme des universités, les investissements d’avenir ou encore le plan de développement de l’apprentissage. Ce dernier, malgré ce que pense M. Patriat, a rencontré un grand succès en 2011, puisque près de 500 000 jeunes sont entrés en alternance. Grâce à son renforcement, 270 000 jeunes supplémentaires seront embauchés. Aujourd’hui, nous continuons à agir sur la compétitivité avec la réforme du financement de la protection sociale.
Protéger la compétitivité des entreprises qui produisent en France est une urgence absolue. M. Placé nous recommande pourtant d’attendre car, selon lui, on ne peut pas conduire des réformes à la veille d’une élection. Mais croyez-vous que les salariés dont l’emploi est menacé par la délocalisation ou la fermeture de leur usine puissent attendre ?
MM. de Montesquiou et Charon l’ont parfaitement souligné, notre déficit de compétitivité n’est pas inéluctable. Les Allemands aussi ont les Chinois pour concurrents. Pour autant, grâce à une politique s’appuyant notamment sur la baisse des charges, ils ont réussi à faire progresser leurs parts de marché.
Le constat est éloquent, nous avons le taux de charges patronales le plus élevé : trois fois plus important qu’au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, deux fois plus qu’en l’Allemagne, plus élevé de 25 % qu’en Suède, en Italie ou en Espagne.
Vous l’avez rappelé, monsieur Dassault, même si la solution que vous préconisez est un peu différente de la nôtre, cette réforme du financement de la protection sociale est attendue : par les salariés de tous les secteurs, dans l’industrie, notamment l’automobile, dans l’agriculture ; par les entreprises, pour améliorer leur compétitivité, se développer, exporter et embaucher.
En ce qui concerne le ciblage, notre choix est le bon. Je voudrais insister sur ce point et prendre le temps de quelques explications.
La baisse du coût du travail que nous vous présentons sera majoritairement concentrée sur les salaires compris entre 1,4 SMIC et 2,1 SMIC. Nous nous attaquons ainsi à la tranche de rémunération aujourd’hui très lourdement taxée, car sont pénalisées les entreprises qui recrutent et emploient notamment des ouvriers qualifiés et des agents de maîtrise.
En ciblant les salaires moyens, compris entre 1,4 SMIC et 2,4 SMIC, soit entre 1 500 et 2 600 euros nets par mois, nous faisons, comme l’a justement dit Mme Keller, un choix de nature à assurer le meilleur équilibre entre emploi et compétitivité.
C’est un choix favorable à l’ensemble des secteurs exposés à la concurrence internationale. Je pense d’abord à l’industrie, puisque notre barème représente 25 % de l’allégement global. Je rappelle que, par comparaison, l’industrie ne représente que 14 % de la valeur ajoutée française. L’industrie aura donc un avantage deux fois plus important que son poids dans la valeur ajoutée. Elle bénéficiera largement de la mesure, puisque 80 % des salariés de ce secteur perçoivent moins de 2,4 SMIC.
Au-delà de l’industrie, notre barème couvre aussi très largement les secteurs de l’agriculture et des transports, également soumis à la concurrence internationale, ceux de la recherche et développement et des services aux entreprises.
Je le dis à MM. Patient et Antoinette, les entreprises d’outre-mer tireront aussi profit de la baisse des charges.
En outre, madame la rapporteure générale – je m’adresse aussi à tous ceux qui s’interrogent à cet égard –, notre ciblage assure un effet emploi important : loin d’aboutir à une destruction d’emplois, il permettra d’en créer de 75 000 à 120 000.
M. François Marc. Non !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Vous ne pouvez pas dire cela !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Tous les économistes le reconnaissent, baisser le coût du travail a un impact positif sur l’emploi. Ainsi, d’après une étude récente de la DARES et de la direction générale du Trésor, les allégements généraux sur les bas salaires ont permis de créer ou de sauvegarder entre 400 000 et 800 000 emplois. Je peux également citer le rapport Besson de 2007 sur la TVA sociale, selon lequel une baisse uniforme de cotisations, ce qui n’est pas le cas dans notre système, répartie sur l’ensemble des salaires, y compris les plus hauts, créerait de 30 000 à 70 000 emplois. Puisqu’il semble nécessaire d’insister sur le chiffrage, je rappelle aussi que, dans un article des Échos paru en octobre dernier, Manuel Valls espérait, avec un transfert de 10 milliards d'euros de charges sociales vers la TVA, créer rien de moins que 300 000 emplois.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, il faut le dire et le répéter : tous les économistes, quelle que soit leur tendance politique, sont d’accord sur ce point. D’ailleurs, madame la rapporteure générale, je suis heureuse de vous entendre reconnaître, enfin, les bienfaits économiques des allégements sur les bas salaires ; mais alors pourquoi proposer, comme François Hollande, d’augmenter les cotisations patronales vieillesse, ce qui détruira inéluctablement des dizaines de milliers d’emplois ?
Vous ne pouvez pas considérer, comme l’a très bien rappelé M. Arthuis, qu’une telle réforme est une hausse d’impôt. La baisse des charges patronales compensée par une hausse de la TVA et de la CSG est bien un transfert de fiscalité vers la sphère sociale, qui n’augmente pas les prélèvements obligatoires. Il n’y a pas de hausse d’impôt.
De plus, vous le savez, les effets seront dissymétriques et favorables à la croissance. D’un côté, je le dis à MM. Marc et Caffet, la hausse de la TVA ne concernera que 40 % des produits consommés par les ménages. De l’autre, l’ensemble des produits fabriqués en France verront leurs coûts de production baisser. Dans le contexte concurrentiel que nous connaissons, les entreprises auront toutes les raisons de répercuter cette baisse sur leurs prix hors taxes. Dans l’ensemble, vous l’avez noté, monsieur le président de la commission des finances, monsieur Dallier, les prix devraient très peu augmenter, voire pas du tout, comme cela a été constaté en Allemagne. Les ménages les plus modestes n’en souffriront pas. Mais certains, à l’instar de M. Germain, refusent de l’entendre.
La majorité sénatoriale ne voit pas que, précisément, grâce aux diminutions de charges, les entreprises vont pouvoir se développer, gagner de nouvelles parts de marché, investir, employer, redistribuer à terme les fruits de leur croissance, être plus solides. Ce sont d’abord les chômeurs, ensuite les salariés, qui, à terme, bénéficieront de la réforme, globalement favorable donc à la croissance et à l’emploi. Oui, monsieur Watrin, oui, madame Schillinger, nous poursuivons notre politique sociale en faveur des plus fragiles.
D’autres pays l’ont montré, le bénéfice de ces réformes est tel qu’on a vu des partis politiques d’opposition et de majorité se rassembler autour d’elles.
Monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, vous nous affirmez que la branche famille de la sécurité sociale sera la variable d’ajustement de la réforme. Je veux vous rassurer et vous répondre sans détour : nous prenons toutes les assurances pour préserver son financement.
Notre réforme modifie, certes, la nature d’une partie des ressources de cette branche, mais pas son niveau. Je le dis plus particulièrement à Mme Pasquet, rapporteur pour avis, il ne s’agit pas d’une mesure antidéficit.
L’équilibre est assuré entre, d’une part, les allégements de charges effectués et, d’autre part, les transferts de ressources affectées. Notre réforme est équilibrée. Un rapport, prévu par la loi, vérifiera, en 2013 et en 2014, que la Caisse nationale des allocations familiales n’a pas perdu un euro en recettes au passage.
J’y insiste, nous nous inscrivons dans le cadre juridique existant, organique et législatif, qui impose une compensation à la fois juste, sincère et pérenne à la sécurité sociale de cette baisse des cotisations. Monsieur Daudigny, madame Demontès, la compensation est donc de droit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la recherche de l’équilibre des finances publiques et les mesures de compétitivité que prône le Gouvernement sont non seulement déterminantes pour notre croissance, pour l’emploi, mais aussi, à terme, parce que c’est la croissance qui le permet, pour le financement et la sauvegarde de notre modèle social. Comme M. Chevènement l’a souligné, me semble-t-il, si nous voulons nous désendetter, il nous faut d’abord trouver les moyens de restaurer la croissance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup a été dit et Valérie Pécresse a parfaitement exposé la position du Gouvernement en réponse aux interventions des uns et des autres. Je tiens néanmoins à saluer la qualité et la portée d’un certain nombre d’analyses et revenir sur plusieurs points qui, à mon sens, doivent être corrigés dans le cadre de cette discussion générale. Nous le savons, nous ne pourrons débattre de chacun des articles du texte, et c’est vraiment regrettable. Nous devons donc profiter de ce dernier round d’explications pour rappeler les positions de chacun.
Monsieur le président Marini, vous vous êtes étonné à juste titre, comme nous avons eu l’occasion de le faire tout au long de la journée, de la décision du groupe socialiste de s’abstenir sur le texte qui engage la France et l’avenir de l'Europe.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est vraiment très surprenant !
M. François Baroin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, je dois vous avouer que je partage cet étonnement. Je l’ai dit et redit, j’ai du mal à vous comprendre, à vous entendre, à imaginer le bénéfice que vous pourriez tirer d’une décision illisible et incompréhensible.
J’étais présent cet après-midi à l’Assemblée nationale lorsque M. Ayrault, le président du groupe socialiste, exposait la position de son groupe sur le mécanisme européen de stabilité, le MES. Selon lui, l’abstention était un message adressé à celles et ceux qui préféreraient soutenir la croissance en Europe plutôt que de « valoriser » les politiques de consolidation budgétaire et d’économies.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est un message pour Mélenchon !
M. François Baroin, ministre. Mais tout est dans les textes, tout a été discuté, négocié, la solidarité comme la consolidation budgétaire et la croissance. D’ailleurs, le texte que vous refusez d’évoquer aujourd'hui, le projet du Gouvernement de transformation du financement de la protection sociale, qui s’appuie, pour partie, sur une fiscalité à assiette large, au travers de la hausse de la TVA et de la CSG sur le patrimoine, est un élément constitutif de l'engagement français pris au niveau européen, de la contribution de notre pays pour soutenir la croissance.
Nous sommes, nous, pleinement cohérents. Si vous souhaitez l’être, la seule logique est de faire comme les autres partis socialistes ou mouvements de gauche, qui, en responsabilité, ont accompagné une telle politique sans se poser cette question du mécanisme européen de stabilité.
Vous ne pouvez pas, d’un côté, afficher votre volonté d’aider la Grèce et, de l’autre, ne pas voter le MES. Ce sont deux messages incompatibles, qui se télescopent. Une fois encore, je ne vois tout simplement pas le bénéfice électoral que vous pouvez tirer d’une telle absence de position.
S’agissant de la compétitivité, un certain nombre d’intervenants se sont inspirés du rapport de l’INSEE. Aux amateurs de bons auteurs et aux excellents spécialistes de l’INSEE que compte cette assemblée, je voudrais quand même rappeler précisément les termes de ce rapport.
Oui, le Gouvernement évoque la part de responsabilité des 35 heures dans la dégradation du rapport entre la compétitivité et le coût du travail. Que dit l’INSEE ? « En France, le coût horaire a crû en euros courants à un rythme annuel de 3,4 % entre 1996 et 2008. Le rythme de croissance s’est accéléré entre 2000 et 2004, possiblement en raison de la généralisation des 35 heures : 5,1 % d’augmentation entre 2000 et 2004, contre 1, 7 % entre 1996 et 2000. »
MM. Daudigny et Caffet ont probablement lu dans le rapport de l’INSEE ce qui les arrangeait… C’est de bonne guerre ! Mais ce qui est indiscutable, c’est que la compétitivité-coût de notre industrie s’est considérablement dégradée au cours des quinze dernières années, et personne ne saurait sérieusement le contester !
C’est la raison pour laquelle nous avons calibré le dispositif que nous vous proposons de manière à privilégier le secteur industriel.
Cela étant dit, la compétitivité hors-coût a naturellement son importance, et nous ne l’avons jamais négligée. Nous partageons à cet égard les diagnostics de MM. de Montesquiou et Charon, qui ont très bien expliqué comment nos parts de marché ont évolué au cours des dernières années.
La réalité, madame le rapporteur général, c’est que vous ignorez délibérément tout ce que le Gouvernement a fait en faveur du soutien à la recherche et à l’innovation : le triplement du crédit d’impôt recherche, qui constitue probablement aujourd’hui l’un de nos meilleurs instruments fiscaux à l’exportation ; la réforme des universités, chère à Valérie Pécresse ; la réforme de la taxe professionnelle, qui a eu des effets visibles sur l’investissement. Faute de pouvoir être exhaustif, je mentionnerai encore l’installation du Fonds stratégique d’investissement, le développement d’OSEO et l’ensemble des mesures qui ont permis – les chiffres sont là – de sauver des emplois dans un contexte mondial de ralentissement économique très marqué.
Je remercie le président Philippe Marini et M. Jean Arthuis de leurs interventions. Nous pourrions d’ailleurs leur envoyer quelques droits d’auteurs puisque l’un et l’autre, dans l’exercice de leurs responsabilités respectives passées, ont été, ici même, d’ardents défenseurs de ce qui va maintenant être mis en place. J’ai encore à l’oreille les conversations que nous avions l’an dernier, lorsque j’étais ministre du budget, autour de cette problématique. J’imagine aisément la satisfaction qu’ils doivent éprouver à la présentation de ce texte qui comporte une transformation en profondeur du financement de notre protection sociale, transformation pour laquelle ils ont plaidé à de nombreuses reprises.
Nous ne pouvons pas être dans l’immobilisme, comme le préconisent certains au parti socialiste. À cet égard je tiens à saluer l’énergie de Philippe Dallier, qui a su rappeler avec le talent qu’on lui connaît que nous ne saurions, nous, à la différence des socialistes, constater que la France se laisse distancer dans la mondialisation et ne rien faire pour défendre notre industrie.
Je le redis : la mesure que nous proposons n’aura pas d’impact inflationniste. Les chiffres sont à votre disposition.
Mme Keller, M. Arthuis et M. Dassault ont parfaitement exposé les raisons qui nous confortent dans l’idée que les prix à la consommation ne seront pas affectés par cette hausse du taux normal de TVA. Valérie Pécresse et moi-même ayant déjà insisté sur ce point, je n’y reviens pas.
Et il est inutile, monsieur Daudigny, de nous rappeler l’impact des hausses de TVA précédentes, ni même celle à laquelle l’Allemagne a procédé en 2007 : le schéma que nous vous proposons est inédit. Cette hausse de TVA sera plus que compensée par les diminutions de charges. Ce n’était pas le cas des précédentes hausses de TVA en France ; ce n’était pas le cas de la hausse allemande, qui n’était compensée qu’à hauteur de 1 point par des baisses de cotisations sociales.
Il y aura, de surcroît, une réduction des prix hors taxes. Comme nous sommes dans une période de ralentissement économique, avec une évolution du coût de la vie qui sera inférieure en 2012 à ce qu’elle était en 2011, les entreprises seront en effet contraintes, afin de préserver leurs parts de marché, de ne pas surenchérir les prix de leurs produits. C’est pourquoi nous pouvons avancer des statistiques sur les différents produits à la consommation impactés par tel ou tel niveau de TVA.
Ainsi, nous avons pour nous la situation économique qui justifie pleinement notre conviction selon laquelle cette mesure n’aura pas d’effet inflationniste.
Vous prétendez que le Pacte pour l’euro plus est oublié : rien n’est moins vrai ! Le Conseil européen des 1er et 2 mars fera le point sur la contribution du Pacte aux politiques de croissance. C’est un instrument qui demeure utile pour accélérer la coordination en Europe.
Les États membres, dont la France, rendront compte de la mise en œuvre de leurs engagements au titre du Pacte dans leur programme national de réforme et dans le Pacte de stabilité. Comme l’an dernier, ces documents vous seront remis à la mi-avril, avant la transmission à la Commission européenne au titre du semestre européen.
Ce sont des rendez-vous importants et, en même temps, là aussi, des avancées significatives.
Indépendamment du calendrier électoral, le Conseil pourra faire le point sur la mise en œuvre de ces engagements au cours du mois de juin, comme sur l’ensemble des politiques coordonnées dans le contexte européen.
Sur le mécanisme européen de stabilité, vous le savez, madame le rapporteur général, je conteste l’ensemble de votre argumentation. En cet instant, je me conterai de vous indiquer que le mécanisme européen de stabilité financière ne s’apparente pas au FESF.
Ce dernier est un véhicule ad hoc de droit luxembourgeois, avec un capital faible, dont les emprunts bénéficient de la garantie des États qui en détiennent le capital. Le mécanisme, lui, est une organisation de droit public international, dotée de fonds propres, à hauteur de 80 milliards d’euros de capital libéré et de 620 milliards d’euros de capital libérable, et disposant, en cas d’urgence, d’une capacité de décision à la majorité qualifiée.
D’ailleurs, c’est l’une des raisons pour lesquelles les chefs d’État et de gouvernement ont souhaité anticiper ce dispositif. En effet, il est plus solide, mieux structuré sur le plan juridique, plus stable dans son évolution et naturellement plus efficace au regard de son objectif, qui est de servir de pare-feu et de préserver de la contagion des pays actuellement soumis à quelques tensions du fait de leur dette, de leur situation économique et de leur taux de chômage ; je pense à l’Italie et à l’Espagne. Un engagement d’apporter du capital appelable, madame le rapporteur général, n’est pas juridiquement assimilable à une garantie.
À votre interrogation quant au respect de la Constitution, dont je ne conteste pas la sincérité, nous apportons toutes les réponses. Je tiens à votre disposition les autres éléments juridiques constitutifs de ce mécanisme.
Dans le cas du FESF, il s’agit d’une garantie apportée à l’emprunt, ce qui revient à se substituer automatiquement au débiteur en cas de défaut de ce dernier.
Dans le cas du mécanisme européen de stabilité financière, il s’agit d’un engagement d’apporter des capitaux propres à hauteur de la quote-part souscrite au capital appelable. C’est un peu technique, mais vous êtes une spécialiste et vous savez ce que je veux dire.
L’engagement dans le cadre du mécanisme est, en outre, dépourvu de la même automaticité qu’un appel en garantie. Le capital appelable est un engagement de la France à verser tout ou partie de ce montant dans des circonstances précisément définies et selon une procédure arrêtée dans le traité.
C’est le choix qui a déjà été fait pour les banques multilatérales de développement, dans le cadre du collectif de fin 2010, sans que, sur les mêmes fondements, il y ait des interrogations susceptibles d’être soumises au Conseil constitutionnel.
J’ajoute que le Conseil d’État a validé l’inscription en loi de finances de dispositions autorisant un capital appelable, en la fondant sur deux points qui devraient vous tenir à cœur, monsieur Chevènement : l’information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques, d’une part ; l’approbation des conventions financières par le Parlement, d’autre part.
Je souligne, monsieur Chevènement, que le nouvel article 10 tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale la semaine dernière prévoit une information renforcée des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, un rapport trimestriel sur les opérations financières et le résultat des opérations du mécanisme européen de stabilité, ainsi qu’une information pour chaque décision importante du Conseil des gouverneurs. J’ai d’ailleurs pris l’engagement à l’Assemblée nationale de revenir devant elle en tant que de besoin. Le Gouvernement est à la disposition du Parlement en toutes circonstances au regard de notre loi fondamentale. Du reste, c’est un plaisir !
S’agissant du décaissement et des différentes étapes, c’est évidemment une obligation supplémentaire. Il y aura toutes les garanties pour que la représentation nationale soit associée au processus d’accompagnement de l’utilisation de cet outil en vue de tenir les engagements pris.
Madame le rapporteur général, vous avez invoqué l’absence d’urgence concernant cette dotation du MES. Qu’il me soit permis de vous rappeler que les États membres de la zone euro se sont engagés à ce que le mécanisme européen de stabilité entre en vigueur au plus tard en juillet 2012. Le traité entrera en vigueur dès que des États membres représentant 90 % du capital autorisé l’auront ratifié, ce qui peut très bien être fait dès mai ou juin 2012.
Dans le même temps, et de manière paradoxale, vous regrettez le sous-financement du pare-feu. Si nous avons en quelque sorte profité du collectif budgétaire, c’est aussi en intégrant le calendrier électoral qui va rythmer les trois prochains mois en France, puisque nos travaux se termineront à l’issue de l’examen du premier texte et ne reprendront qu’au début de la nouvelle législature. Il était donc normal, pour respecter la parole de la France, qu’il y ait cette proposition et ce décaissement.
Dans nos discussions, il était initialement prévu un décaissement de cinq tranches, à raison d’une par an. Il a été décidé d’en faire deux dès cette année, pour bien montrer quelle était la vigueur de l’engagement pris. Et nous sommes, je dois le dire, plutôt fiers que la France soit le premier pays à procéder à la ratification parlementaire du Mécanisme européen.
Sur le sous-financement du pare-feu, d’une certaine manière, nos positions ne sont pas très éloignées : c’est la position que la France défend. Nous souhaitons un cumul de ce qui reste du Fonds européen de stabilité financière et de la dotation pour le Mécanisme européen de stabilité.
Je rappelle aussi que ces discussions sur l’augmentation et la mise en œuvre du pare-feu se déroulent de manière parallèle, selon un calendrier synchrone avec l’augmentation des moyens affectés au Fonds monétaire international. C’est la prochaine étape. Nous en discuterons probablement ce week-end à Mexico dans le cadre du G20 finances. Cela fera partie des discussions qui se dérouleront d’ici à la fin du mois de mars à un niveau plus élevé.
Pour ce qui est de la taxe sur les transactions financières, beaucoup ont rappelé qu’ils l’avaient toujours appelée de leurs vœux et affirmé qu’ils l’auraient voulue plus large, mais tout en regrettant que nous soyons les premiers à la mettre en œuvre et en considérant que le calendrier était un peu précipité, que finalement ça n’avait guère de sens parce qu’il faudrait le faire au niveau européen… Je ne suis pas certain que Descartes retrouve ses enfants dans cette affaire !
En tout cas, ce dont je suis sûr, c’est que notre politique est cohérente avec ce que nous avons toujours dit au sein du G20 et plaidé devant la Commission européenne. Bien sûr, nous souhaitons que ce dispositif se retrouve au niveau des directives européennes, mais le texte qui vous est présenté n’est pas incompatible avec la poursuite des discussions à l’échelle européenne. Nous allons poursuivre notre démarche avec l’Allemagne et d’autres partenaires, dans le cadre d’une coopération renforcée, pour avoir une taxe sur les transactions financières dont la voilure puisse être la plus large possible et le calendrier le plus rapproché. Ainsi, cette taxe européenne prendra la place de ce dispositif.
Il reste que nous ne souhaitions pas attendre un ou deux ans, le temps de la formulation de la directive, et que nous voulions mettre en œuvre ce dispositif comme l’avait proposé le Président de la République.
Nous nous sommes en partie inspirés de la stamp duty britannique, notamment de son système de recouvrement. C’est, en tout cas, surtout cela qui a nourri ma réflexion. Toutefois, notre dispositif n’en reprend pas toutes les exemptions : ainsi, les activités pour compte propre des banques ne sont pas exonérées.
Nous avons également pris comme source d’inspiration un excellent amendement, signé Nicole Bricq, sur le trading à haute fréquence, que j’avais lu avec beaucoup d’intérêt et qui n’avait pas pu trouver sa place dans les textes précédents. Madame le rapporteur général, je me permettrai donc de vous envoyer à vous aussi quelques droits d’auteurs si, d’aventure, ce dispositif est voté ! Toutefois, votre proposition laissait à l’écart certains acteurs non bancaires du trading à haute fréquence, ce qui n’est pas le cas de notre projet.
Nous nous sommes, enfin, inspirés de l’impôt de bourse, mais pas pour le restaurer puisque, en réalité, il en est très éloigné. Nous avons surtout évité d’en reproduire les dysfonctionnements. L’impôt de bourse était plafonné ; la TTF ne le sera pas. L’impôt de bourse était facilement contournable ; ce n’est pas le cas de la TTF, qui frappe les transactions réalisées sur les actions d’entreprises françaises dont le siège est en France, quelle que soit leur localisation.
Enfin, s’agissant de la taxation des CDS à nu, la taxe anticipe effectivement le projet européen qui vise à dissuader ces comportements spéculatifs. On peut le déplorer, le regretter ou considérer que, dans son application, cela ne servira qu’un ou deux mois. On peut aussi se féliciter de la constance de l’objectif du Gouvernement en la matière, à savoir demander au secteur financier d’apporter sa juste contribution à la résorption de la crise qui nous frappe ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, d'une motion n° 5.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat,
Considérant qu’il est malvenu de préempter les résultats des élections à venir en soumettant à l’approbation du Parlement, dans les dernières semaines de la législature, des réformes qui engagent un bouleversement de l’architecture des prélèvements obligatoires et du financement de la protection sociale ;
Considérant que l’évolution de la conjoncture ne nécessite pas un ajustement sans délai des grandes lignes de l’équilibre budgétaire et que l’entrée en vigueur différée des principales mesures envisagées leur dénie tout caractère d’urgence ;
Considérant que les ultimes et substantiels revirements opérés par le projet de loi en matière de prélèvements obligatoires parachèvent un quinquennat d’improvisation fiscale permanente et d’insécurité juridique et économique nuisible à la croissance ;
Considérant que la mise en œuvre d’une TVA dite « sociale » dégradera le pouvoir d’achat des ménages sans améliorer la compétitivité et l’emploi ;
Considérant que la taxe sur les transactions financières élaborée par le Gouvernement relève d’une conception minimaliste et risque, en devenant le plus petit commun dénominateur des États membres, de porter préjudice à des propositions plus ambitieuses formulées par ailleurs ;
Considérant que l’annulation de plus d’un milliard d’euros de crédits du budget général fait peser une lourde hypothèque sur la fin de gestion et n’est pas suffisamment documentée pour permettre au Parlement de moduler, en toute connaissance de cause, une autorisation budgétaire donnée il y a deux mois à peine ;
Le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture (n° 389, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Le texte de la motion tendant à opposer la question préalable a été distribué à l’ensemble de nos collègues et il est parfaitement clair. De plus, je m’en suis déjà largement expliquée lors de la discussion générale. Je ne crois donc pas, à cette heure, devoir la défendre de nouveau.
Cela étant, je tiens à remercier M. le ministre de l’économie de sa réponse conséquente, même si elle n’était pas convaincante. En tout cas, elle a bien montré qu’il n’est guère possible d’aller plus loin dans l’échange d’arguments.
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, contre la motion. Sans doute sera-t-il moins laconique...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il a des convictions, lui ! Quand on s’abstient, c’est que l’on n’en a pas beaucoup !
M. Francis Delattre. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous combattons cette motion tendant à opposer la question préalable, c’est parce qu’elle vise, après tant d’heures de débat, à faire en sorte que nous n’ayons pas à nous prononcer sur chacune des mesures contenues dans ce collectif budgétaire.
On m’avait dit, lors de mon arrivée à la Haute Assemblée, que celle-ci serait désormais le laboratoire des idées du parti socialiste, de son projet, dont nous aurions la chance d’avoir la primeur. Après avoir écouté l’ensemble des orateurs, je suis pour le moins frustré !
M. Roland du Luart. C’est effectivement frustrant !
M. Francis Delattre. Madame la ministre, monsieur le ministre, vous avez fait acte de courage en présentant, dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative, non pas deux, mais six mesures importantes. Il est d’ailleurs curieux que les médias ne parlent que de celles qui instaurent, d’une part, la TVA sociale, laquelle vise à améliorer la compétitivité de nos entreprises, et, d’autre part, la taxation de certaines transactions financières.
Pourquoi ne parle-t-on pas aussi de la remise à plat des comptes de l’année 2012, qui permet d’intégrer, s’agissant des ressources, un taux de croissance ramené à 0,5 % ? Un tel exercice de transparence n’est pourtant pas commun à la fin d’une mandature !
Hormis l’orateur du groupe CRC, personne n’a parlé non plus du Mécanisme européen de stabilité financière, lequel constitue pourtant, comme l’a rappelé le président Marini, la mesure la plus « impactante » de ce projet de loi de finances rectificative puisqu’elle se traduit par l’inscription dans nos comptes d’une somme de 6,5 milliards d’euros. Il s’agit de notre contribution à la constitution d’un fonds d’intervention européen, véritable pare-feu financier européen, doté de 80 milliards d’euros, mobilisable rapidement et destiné à soutenir les États touchés par la spéculation sur les dettes souveraines. Ce n’est tout de même pas neutre ! Une telle mesure ne mérite-t-elle d’être débattue au moins autant que la TVA sociale ?
Il faut aussi mentionner la hausse de 2 % de la CSG sur les revenus patrimoniaux, qui a pour but de rééquilibrer progressivement les fiscalités salariales et patrimoniales, une mesure qui a fait l’objet de longs débats au sein du Sénat, et dont Mme la rapporteure générale a oublié de signaler l’intérêt.
Enfin, ce texte prévoit la mise en place d’un schéma de financement de la Banque de l’industrie et l’apport de 500 millions d’euros supplémentaires à OSEO. Cette mesure, là encore, est loin d’être secondaire à un moment où tout le monde s’accorde à dire qu’il faut soutenir nos PME et PMI.
Je vais m’efforcer de reprendre, le plus honnêtement possible, les arguments de différents orateurs.
Mme Bricq nous a tout d’abord expliqué qu’il n’était pas opportun, à deux mois de la prochaine échéance électorale, de débattre de sujets aussi importants.
Il convient tout de même de rappeler que, tant le Président de la République que l’Assemblée nationale sont élus pour cinq ans. La France ne va donc pas cesser d’être gouvernée de janvier à juin, en pleine crise économique, tandis que l’Europe attendrait, pour sauver sa monnaie, que survienne l’heureux avènement… (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Cette posture est purement politicienne, et ce pour trois raisons.
Des élections se déroulent dans les dix-sept pays de la zone euro. Qu’adviendrait-il si, lors de chaque période électorale, l’Europe devait attendre les résultats pendant six mois avant d’agir ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bon argument !
M. Francis Delattre. En fait, vous préemptez la future victoire, chers collègues de gauche !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ils se sont déjà répartis les postes !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais ils ne sont pas tous d’accord !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vous êtes aigris !
M. Francis Delattre. Nous devrions donc attendre l’inéluctable application de votre programme, dont nous avons pourtant bien du mal, au terme de ce débat, à percevoir les contours...
M. Claude Haut. De votre part, ce n’est pas étonnant !
M. Francis Delattre. Ainsi aurions-nous aimé connaître les propositions de Mme Bricq sur la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, un sujet qui lui est cher et dont il a été longuement question au cours du débat. À moins qu’elle ne se soit aperçue, en étudiant le problème d’un peu plus près, que cette mesure causerait de nombreux dégâts collatéraux, dont seraient victimes, par exemple, les retraités.
M. Roland du Luart. Le président Migaud le dit lui-même !
M. Francis Delattre. Depuis des semaines et des mois, vous réclamez que l’Europe mette rapidement en place des pare-feu afin de lutter contre une spéculation tenace et vous proclamez la nécessité de sauver la Grèce du chaos. Or ce sont deux points essentiels de ce projet de loi de finances rectificative ! Ils sont tout aussi importants que les ajustements inhérents à une prévision de croissance ramenée à 0,5 % et l’instauration de la « TVA de compétitivité », car je crois que c’est ainsi qu’il convient de la désigner.
Mais vous nous avez dit ensuite, madame la rapporteure générale, que toutes ces mesures pouvaient attendre. Nous n’en disconvenons pas : d’ailleurs, la taxation des transactions financières s’appliquera seulement au mois d’août et la TVA sociale n’entrera en vigueur qu’en octobre.
À mes yeux, c’est le mérite du chef de l’État d’avoir mis ces sujets sur la table au moment de la campagne présidentielle.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Les mettre sur la table et les faire adopter, c’est différent !
M. Francis Delattre. N’est-il pas du devoir du Sénat et de l’Assemblée nationale de s’intéresser à ces questions en cette période où il s’agit d’éclairer nos concitoyens ?
Le Président de la République a donc eu le mérite d’engager ce débat. Or, visiblement, vous ne souhaitez pas vraiment débattre.
À vous entendre, madame la rapporteure générale, ces mesures non seulement ne seraient pas urgentes, mais elles seraient également improvisées, raison pour laquelle il conviendrait d’attendre quelques mois avant de les examiner.
Compte tenu des difficultés que vous rencontrez pour vous mettre d’accord avec votre propre camp sur un sujet tel que le mécanisme de stabilité financière, on peut se demander à quelle date vous serez opérationnels et pourrez décider d’un véritable plan de redressement destiné à résoudre les problèmes qui nous préoccupent…
Face à nos propositions, qui sont fortes, ce n’est pas avec quelques sortilèges de communication que vous pourrez vous en sortir durant cette campagne présidentielle. Il ne vous suffira pas de dire qu’il faut « changer la vie », comme hier, ou « changer de destin », comme aujourd’hui... Les Français ont de la mémoire !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Ils ont la mémoire des dernières années !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Une mémoire immédiate !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Francis Delattre. Ils savent pertinemment qu’en 1982 ils ont surtout eu du mal à changer de voiture ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
La TVA sociale serait, nous dites-vous, une absurdité sociale et économique.
Est-il absurde de financer les branches famille et maladie par des recettes provenant de la TVA plutôt que par les cotisations salariales ? S’agit-il vraiment, comme vous le prétendez, d’une atteinte au contrat social instauré par le programme du Conseil national de la Résistance ? Il me semble que la remise en cause du quotient familial est une atteinte bien plus rude à ce contrat !
Ce n’est pas chambouler l’ensemble de notre système de protection sociale que de le financer en utilisant les recettes issues de la TVA ! Comme vous l’avez d’ailleurs rappelé à juste titre, madame Bricq, il ne s’agit pas d’une mesure inédite : une dizaine de milliards d’euros provenant de la TVA servent d’ores et déjà à financer des projets purement sociaux.
Vous avez asséné – et avec quelle assurance ! – que l’annonce de la création de 100 000 emplois était une fiction. Selon les études dont vous disposez, qui semblent pour le moins hétéroclites, mieux vaudrait prévoir la suppression de 40 000 emplois et la création de 10 000 emplois tout au plus. Je vous trouve bien sûre de vous ! En réalité, il est très difficile d’avancer des chiffres en matière de création d’emplois.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Dans ce cas, soyez plus modeste, et ne parlez pas de 100 000 emplois !
M. Francis Delattre. Je rappelle que le Gouvernement cible les emplois les plus « délocalisables », ceux qui relèvent de l’industrie et de sa logistique.
Selon les rapports et les économistes, les chiffres sont souvent contradictoires. Ceux de Mme la ministre du budget valent bien les vôtres, madame la rapporteure générale, et nous pouvons en accepter l’augure !
Vous avez tenté de nous expliquer que l’augmentation du coût du travail pourrait avoir un effet bénéfique sur l’emploi. Cette démonstration a contrario est un peu compliquée !
En réalité, tout ce qui peut favoriser l’emploi doit être essayé. Nous sommes en effet aux prises, depuis des années, avec un chômage structurel lourd, et il ne faut pas oublier que, avec cette réforme, le but est non pas d’obtenir directement la création d’emplois, mais de redonner de la compétitivité aux entreprises. Une entreprise plus compétitive, qui exporte davantage, fera plus de bénéfices ; elle pourra donc embaucher, ou préserver ses emplois, et participer à la résorption de notre déficit commercial.
Contrairement à ce que certains orateurs nous ont expliqué, bien des marchés – et donc les emplois qui vont avec ! – se gagnent dans une fourchette de 1 %.
Vous avez ajouté, à raison, que le coût du travail n’était pas le seul critère permettant de mesurer la compétitivité de nos entreprises. Nous en sommes d’accord ! Il reste que, dans une économie ouverte, le coût du travail n’est pas un élément complètement neutre. Dans le contexte économique européen, nous ne devons pas traiter cette question en considérant la seule situation de notre principal concurrent et partenaire, l’Allemagne. Il faut comparer le niveau français et celui de la moyenne de la zone euro, car ce sont aujourd’hui l’Espagne et l’Italie qui nous prennent des parts de marché. Dans ces deux pays, qui se situent peu ou prou dans la moyenne européenne, le coût horaire de la main-d’œuvre se situe entre 25 et 28 euros, tandis qu’en France, il varie de 32 à 33 euros.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Le travail gratuit, ce serait mieux !
M. Francis Delattre. Il est vrai que, dans le domaine industriel, les coûts du travail, en France et en Allemagne, sont assez voisins. Il n’est cependant pas inutile de rappeler que, en 1996, la compétitivité de notre pays était supérieure à celle de l’Allemagne. Notre déclin industriel est parfaitement concomitant avec la mise en place des 35 heures dans les entreprises à forte croissance.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très juste ! Utile rappel !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Le raisonnement est un peu court ! Revoyez vos lectures !
M. Francis Delattre. En 2009, l’ensemble des prélèvements obligatoires assis sur le travail représentaient près de 23 % du PIB en France, contre 20 % en moyenne pour les pays de l’Union européenne. Cela mérite réflexion !
Plutôt que de stigmatiser le coût du travail, vous recommandez, madame Bricq, d’agir sur le triptyque « magique » : éducation, formation, innovation. Certes, mais plutôt que de s’en remettre à des slogans quelque peu usés...
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. L’éducation, cela n’a rien d’usé !
M. Francis Delattre. ... et à un triptyque qui s’apparente à l’enfoncement de portes ouvertes, le parti socialiste devrait revoir le contenu des réformes du quinquennat.
Jamais l’innovation n’a été autant soutenue en France, grâce au crédit d’impôt recherche, aux pôles de compétitivité, au grand emprunt destiné à soutenir les investissements d’avenir, au soutien budgétaire sans précédent de l’enseignement supérieur et à son rapprochement d’avec le monde de l’entreprise, sans parler du développement prioritaire des formations en alternance et de l’apprentissage. Voilà tout de même des réalités concrètes et reconnues !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Francis Delattre. Quid aussi de l’article 8 de ce collectif budgétaire, qui vise justement à développer encore davantage les formations en alternance, par le biais d’un renforcement du dispositif d’incitation à l’égard des entreprises, et qui devrait conduire, à terme, à l’embauche de plus de 250 000 jeunes supplémentaires en alternance ?
À nos collègues qui ont parlé avec beaucoup d’emphase des inégalités dans notre pays, je réponds que la principale inégalité réside peut-être dans le fait de ne pas pouvoir accéder à une formation permettant d’obtenir un emploi durable.
Enfin, je veux dire un mot de la taxation des transactions financières. Le Parti socialiste, qui estimait voilà trois mois qu’il était urgentissime de l’instaurer, considère aujourd’hui qu’il est trop tard…
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Oui, monsieur Delattre, il est trop tard : votre temps de parole est écoulé !
M. Francis Delattre. Tout le monde sait que le Président de la République a défendu cette taxation dans toutes les enceintes internationales : le G8, le G7 et le G20.
Aujourd’hui, on la critique en montrant ce qui se fait à la City. Mais la City est à Londres, pas à Paris ! Si l’on veut expérimenter cette taxation tout en assurant l’attractivité de la place de Paris, il n’est peut-être pas inutile d’alourdir tout de suite le taux.
Mme Bricq a aussi exprimé la crainte que la mise en place de cette taxation ne puisse nuire aux débats européens.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Voilà bien des questions dont il aurait fallu débattre. Mais on veut empêcher la discussion de se poursuivre !
M. Francis Delattre. Ces débats, paraît-il, accoucheront prochainement d’un dispositif susceptible de rapporter environ 54 milliards d’euros aux pays de la zone euro. Mais cette perspective n’est pas du tout incompatible avec le fait d’adopter aujourd’hui le dispositif proposé, d’autant que nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’il sera expérimental !
À titre personnel, j’oserai dire qu’une taxe européenne pourrait apporter, enfin, une véritable ressource propre à un malheureux budget européen qui en est pratiquement dépourvu. Le Parlement européen aurait alors toute sa justification dans le vote de ce budget !
De surcroît, ce budget européen pourrait être sollicité davantage pour financer, comme nous le souhaitons tous, des actions dirigées vers l’innovation et la croissance.
Madame Bricq, il serait utile que vous renonciez à déployer un tel écran de fumée. Car je ne crois pas que la mise en place de cette taxation signifie autre chose que la volonté d’expérimenter un dispositif permettant de ménager la possibilité de solutions positives ultérieures ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Il serait temps de conclure !
M. Francis Delattre. En réalité, le plus intrigant dans la discussion de cette motion destinée à empêcher l’examen et le vote du projet de loi de finances rectificative est le mauvais sort que le parti socialiste – parti européen, paraît-il – réserve au Mécanisme européen de stabilité, ainsi que la manière dont notre contribution à la stabilisation de la zone euro est présentée par Mme Bricq : comme une ineptie juridique !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Là, vous exagérez ! Concluez !
M. le président. Mon cher collègue, je pense qu’il vous faut effectivement conclure.
M. Francis Delattre. La France doit contribuer à ce mécanisme à hauteur de 16,3 milliards d’euros en cinq ans.
Toutefois, afin de s’assurer que le MES disposerait des ressources lui donnant un effet de levier suffisant, la contribution française au titre de l’année 2012 a été portée à 6,5 milliards d’euros. (Marques d’impatience croissante sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Il sera question de ce mécanisme la semaine prochaine. Pas ce soir !
M. Francis Delattre. Ce dispositif amorce une véritable protection des États de la zone euro contre la spéculation, ainsi qu’une véritable assistance financière entre ces États.
Ne pas le voter est un reniement par rapport aux prises de position réitérées de nombreux dirigeants socialistes, à commencer par celle de Mme Élisabeth Guigou, hier encore, dans Le Monde !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En effet, c’est incroyable !
M. le président. Mon cher collègue, il faut maintenant conclure.
M. Francis Delattre. Au même moment, à propos de ce mécanisme, M. Mélenchon parle de capitulation… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Hors sujet !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Ce n’est pas l’objet de ce débat !
M. Francis Delattre. … tandis que M. Cohn-Bendit dénonce l’hypocrisie sans nom que constitue le fait de s’abstenir sur une telle avancée ! (Protestations sur les mêmes travées.)
M. le président. Mon cher collègue, si vous ne concluez pas, je vais être obligé de vous interrompre.
M. François Marc. Monsieur Delattre, respectez le règlement ! Carton rouge !
M. Francis Delattre. On comprend la méfiance des Français à l’idée qu’une telle coalition puisse être en charge des affaires du pays… Les Français ne se laisseront pas prendre aux douceurs – des poisons, en vérité ! – d’une union de façade, dont le ciment n’est qu’un anti-sarkozysme assez basique ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Excellente conclusion ! Nous voulons débattre !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Monsieur le président, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer Mme la présidente de la commission des affaires sociales… J’ai omis de la mentionner tout à l'heure parce que je ne la voyais pas, toute discrète qu’elle était à l’extrême gauche de cet hémicycle !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Comme d’habitude ! Et avec beaucoup de fierté !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je ne m’exprimerai pas très longtemps, Francis Delattre ayant excellemment présenté notre position. Au demeurant, Mme Bricq a elle-même été particulièrement brève.
Je regrette que le Sénat n’engage pas un débat de fond sur ces mesures. Aujourd’hui, en effet, je crois que la question de la compétitivité mériterait un débat projet contre projet, en tout cas action contre projet.
J’observe que l’objectif d’une baisse du coût du travail ne fait pas consensus à gauche puisqu’un certain nombre de ténors de la gauche ont pris position en faveur d’une baisse du coût du travail compensée par une TVA sociale.
J’aurais aimé que ce débat ait lieu et je regrette que la majorité sénatoriale veuille l’éviter. Mais peut-être y a-t-il en son sein un petit malaise sur cette question…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Pas du tout !
M. Claude Haut. Et chez vous, il n’y a pas de malaise ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. J’aurais aimé que nous puissions débattre du fond de cette belle réforme, mise en œuvre au Danemark et en Allemagne, et de toutes les questions dont Francis Delattre a parlé : la compétitivité de notre économie et la baisse du coût du travail, mais aussi la Banque de l’industrie, l’apprentissage, nos engagements européens et la taxe sur les transactions financières, cette taxe que vous vouliez tant instaurer à l’automne dernier, madame Bricq…
Vous avez choisi de présenter une motion tendant à opposer la question préalable. Je regrette cette stratégie d’évitement du débat. Mais le Parlement est souverain et le Gouvernement se pliera à la décision de votre assemblée.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous voulons débattre !
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. Le débat sur le projet de loi de finances rectificative s’est concentré sur une seule mesure, introduite de façon tout à fait improvisée : la TVA sociale. Ceux qui ont participé à ce débat ont bien fait de se déplacer, car ils ont entendu monts et merveilles à son sujet ! En effet, nos collègues de l’opposition sénatoriale se sont évertués à dire tout le bien qu’ils en pensent. Pourtant, pendant des années, le Gouvernement n’a cessé de répéter qu’une telle mesure serait prématurée, inefficace, voire nocive !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et M. Valls, pourquoi a-t-il évolué ?
M. François Marc. Monsieur le président de la commission des finances, ce qui est marquant, c’est qu’au cours des cinq dernières années nous avons entendu dans cet hémicycle cinq discours différents. Je vais vous rappeler les trois principaux d’entre eux.
D’abord, on nous a dit : il faut baisser les impôts. De fait, ce principe a connu quelques traductions au début du quinquennat.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Pour les riches !
M. François Marc. Ensuite, on a dit : il ne faut pas augmenter les prélèvements obligatoires. On a vu ce qu’il est advenu de ce principe… Au cours de la période récente, comme il a été rappelé, les prélèvements obligatoires ont été sensiblement augmentés !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et la crise ?
M. François Marc. Le troisième discours, monsieur le président de la commission des finances, madame la ministre, consiste à dire : il faut augmenter les impôts !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faut réduire les dépenses !
M. François Marc. Augmenter les impôts, c’est bien ce qu’on est en train de faire puisque, après avoir augmenté le taux réduit de la TVA, on en augmente aujourd’hui le taux normal !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et la réduction des charges sociales ?
M. François Marc. Ce qui nous distingue profondément, c’est que vous suivez la logique libérale à l’œuvre partout en Europe. Elle consiste à privilégier les assiettes larges en agissant sur la TVA, à pressurer les consommateurs et à s’appuyer sur les catégories modestes pour se procurer des recettes fiscales. Au même moment, en revanche, on facilite la vie des plus aisés et on réduit l’impôt progressif !
Alors que vous préférez augmenter un impôt proportionnel qui pèse sur toutes les catégories sociales, notamment sur les plus modestes, nous n’avons eu de cesse d’affirmer que, lorsqu’il faut trouver des recettes fiscales, c’est sur l’impôt progressif qu’il faut agir, de manière que ceux qui peuvent payer plus soient sollicités davantage !
Cette ligne de clivage majeure entre nous se manifeste une nouvelle fois dans le débat d’aujourd’hui.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Un débat que vous refusez !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Débattre, nous le voudrions bien !
M. François Marc. Le présent projet de loi de finances rectificative apporte une nouvelle illustration tout à fait claire de notre opposition idéologique en matière de fiscalité.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et ce n’est pas fini !
M. François Marc. Il comporte une mesure d’affichage faisant partie de la plate-forme politique que le candidat Sarkozy a commencé de présenter au pays. Il s’agit d’introduire dès aujourd’hui une mesure à vocation clientéliste, destinée à prouver que ce candidat s’occupe des entreprises, des industries, des PME, etc. Or on sait parfaitement que la politique conduite depuis cinq ans dans ce domaine a été un fiasco ! Mes collègues l’ont démontré de différentes façons cet après-midi.
M. Francis Delattre. Ils n’ont rien démontré du tout !
M. François Marc. Et ce constat vaut aussi en matière de compétitivité, de déficit extérieur, de coût du travail, entre autres.
Madame la ministre, vous avez répété, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, qu’il y avait en France une seule politique possible. Nous ne sommes absolument pas d’accord ! Nous estimons qu’il y a plusieurs politiques possibles et nous voulons, nous, privilégier celle qui vise à une plus grande justice fiscale.
Ce n’est pas ce choix que reflètent le projet de loi de finances rectificative et, en particulier, la décision d’instaurer la TVA sociale. Aussi considérons-nous que la motion présentée par la rapporteure générale mérite d’être votée par le plus grand nombre d’entre nous.
Il n’est pas acceptable que les plus modestes soient sollicités à chaque instant, et c’est bien ce à quoi aboutira cette TVA sociale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en quelques mots, je souhaite une fois encore expliquer le point de vue des membres du groupe CRC.
Bien entendu, nous ne pouvons que nous féliciter de la prise de position de la majorité de la commission des finances qui l’a conduite à déposer cette judicieuse motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012.
Ce collectif, malgré un louable désir de vérité sur les prix, marqué par la révision à la baisse de la prévision de croissance, est surtout un scandaleux plan de rigueur, fait de suppressions de crédits à peine votés par le Parlement et de nouvelles lignes de crédits exclusivement adossés à la hausse continue de la dette publique. Et ce pour quoi faire ?
Revenons quelques instants sur la question de la TVA dite « sociale ».
Madame la ministre, vous aurez beau, selon un sempiternel refrain, nous présenter la baisse des cotisations sociales des entreprises comme un allégement du coût du travail, il convient, à notre sens, de redonner aux choses leur juste nom. En réalité, alléger le coût du travail revient de facto à priver les salariés de notre pays d’une partie de leur revenu !
Qu’on le veuille ou non, dès lors que vous diminuez le salaire « socialisé » que constituent les cotisations sociales, abusivement qualifiées de « salariales » ou « patronales », au lieu d’« alléger le coût du travail », pour reprendre votre formulation, vous privez bel et bien les salariés d’une partie de leur rémunération, celle qui, jusqu’à nouvel ordre, permet de payer des retraites, de solder des jours de congé maladie, de financer un congé de formation, de verser des allocations familiales ou des aides au logement. De fait, au lieu d’alléger le coût du travail, madame la ministre, vous ne faites qu’accroître l’exploitation des salariés de ce pays !
Et, pour faire bonne mesure, la TVA va « prendre l’ascenseur » ! Ainsi, dès lors que l’on déplace le financement de la sécurité sociale de l’usine ou du bureau vers la pompe à essence ou la caisse du supermarché, c’est le salarié qui, une fois privé de son salaire « socialisé », paiera la facture lors du moindre de ses achats. Avec votre hausse de la TVA, un plein d’essence, c’est de fait du pouvoir d’achat en moins !
Permettez-moi, à cet instant, de citer un certain Maurice Lauré, dont je vous rappelle pour mémoire qu’il fut le père fondateur de la TVA : « Le recours à une TVA sociale destinée à gommer les coûts salariaux […] serait une mesure aussi dangereuse que vaine. »
Comme nous avons eu l’occasion de le souligner, figure également en bonne place dans ce collectif budgétaire l’ouverture d’une ligne de crédits de plus de 16 milliards d’euros, apport de notre pays au capital d’une nouvelle société de droit luxembourgeois, dont la nature doit encore être précisée.
Je vous fais remarquer au passage que la question de la ratification du traité sur le MES a d’ores et déjà suscité suffisamment de tensions pour provoquer l’organisation d’élections législatives anticipées dans l’un des pays de l’Euroland : la Slovaquie.
En vérité, on propose aux parlementaires français non pas de développer la solidarité entre les pays de la zone euro – on aurait pu s’en préoccuper un peu plus tôt, par exemple dès le début de l’incendie de la crise des dettes souveraines –, mais bel et bien de créer les conditions d’une mise sous tutelle de tous les budgets et de toutes les politiques publiques de l’ensemble des pays de la zone euro, le seul impératif étant le maintien de la parité de la monnaie unique.
Cette austérité sans rivages, imposée par des technocrates et des financiers à tous les peuples des pays de la zone euro, quel qu’ait pu être leur choix politique, nous n’en voulons ni maintenant ni demain !
Mes chers collègues, que se passera-t-il demain si, comme on le pressent, le peuple grec renvoie à leurs chères études ceux-là mêmes des dirigeants politiques discrédités qui viennent de signer avec les autres argentiers de la zone euro la mise sous tutelle de leur pays ?
Que se passera-t-il si les Grecs, ayant compris que la règle d’or était surtout une férule, disent tout simplement non à l’avenir de sacrifices qu’on leur promet pour vingt ou trente ans ?
Comme il nous semble bien plus important de soutenir les peuples plutôt que les banquiers, nous ne pouvons que voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances rectificative.
En application de l'article 59 du règlement, il va être procédé à un scrutin public dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 107 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 166 |
Pour l’adoption | 174 |
Contre | 157 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi de finances rectificative est rejeté.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est bien regrettable !
10
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
M. le président. Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2012, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats a été affichée ; je n’ai reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 12 du règlement.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire :
Titulaires : M. Philippe Marini, Mme Nicole Bricq, MM. Yves Daudigny, Richard Yung, Mme Marie-France Beaufils, MM. Philippe Dallier et Aymeri de Montesquiou ;
Suppléants : MM. Michel Berson, François Marc, Marc Massion, François Fortassin, Philippe Dominati, Roger Karoutchi et Francis Delattre.
Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.
11
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui jeudi 23 février 2012 à quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 23 février 2012, à zéro heure vingt-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART