compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Dépôt de documents
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, l’avenant n° 1 relatif à une dotation complémentaire au Fonds national d’amorçage et la convention portant avenant aux conventions de mise en œuvre des actions du programme d’investissements d’avenir confiées à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des finances, ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Ils sont disponibles au bureau de la distribution.
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Suivi des enfants en danger par la transmission des informations
Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations (proposition n° 224, texte de la commission n° 371, rapport n° 370).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Claude Greff, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale, chargée de la famille. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier Mme la rapporteur Muguette Dini, ainsi que tous ses collègues qui ont soutenu la proposition de loi de Mme la députée Henriette Martinez, d’avoir cherché à améliorer encore la législation relative à la protection de l’enfance.
La protection de l’enfance est une question prioritaire pour le Gouvernement et d’importance majeure pour la société. Elle doit être en permanence renforcée et rendue plus efficace ; cette proposition de loi y contribue largement.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance avait déjà amélioré le repérage et la prise en charge des enfants en danger ou risquant de l’être, notamment avec la mise en place des cellules de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes, qui sont maintenant généralisées à l’ensemble des départements.
Je tiens à préciser que la mise en œuvre de cette loi est aujourd’hui acquise et que son suivi et son évaluation constituent une priorité pour le Gouvernement. Ainsi, le rapport sur la mise en place des cellules est prêt et sera transmis prochainement au Parlement.
Par ailleurs, j’ai souhaité organiser avec Roselyne Bachelot-Narquin une manifestation le 5 mars prochain pour célébrer les cinq ans de cette grande loi réformatrice et échanger avec l’ensemble des acteurs concernés à propos des avancées qu’elle a permis d’obtenir et des pistes d’amélioration envisageables.
Le texte dont nous débattons aujourd’hui constitue sans aucun doute une avancée notable pour la protection des enfants.
La question du suivi des enfants en danger avait fait l’objet, dans le cadre des états généraux de l’enfance fragilisée qui se sont déroulés en 2010, de travaux et de propositions : il est en effet apparu que le suivi des enfants en danger pouvait parfois être interrompu du fait du déménagement de familles et qu’il convenait d’organiser ce suivi dans l’intérêt des enfants à protéger.
Cette proposition de loi vise justement à renforcer la coordination entre les services, entre tous les intervenants : certaines familles ont compris que le nomadisme est le meilleur moyen de passer entre les mailles du filet : le déménagement dans un autre département permet de se soustraire au suivi tant social que judiciaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis tout comme vous persuadée qu’il faut intervenir bien en amont, lorsque la procédure en est au stade préventif, celui de l’information préoccupante, et avant que le signalement ne soit formalisé, que l’enquête sociale ne soit enclenchée, que la justice ne soit saisie. La proposition de loi favorise ce traitement, ce partage des informations, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
L’objectif de ce texte est d’assurer la transmission des informations pour mieux protéger l’enfant et assurer, dans l’intérêt de ce dernier, la continuité et la cohérence des actions de protection.
Le président du conseil général, qui a été consacré comme le pivot, le chef de file de la protection de l’enfance par la loi de 2007, a, de ce point de vue, une responsabilité essentielle, puisqu’il est le garant de cette continuité et de cette cohérence.
Je reviendrai donc sommairement sur les deux grandes avancées du texte.
La première partie de la proposition de loi prévoit que, lorsque la nouvelle adresse de la famille est connue en cas de déménagement, le président du conseil général assure la transmission des informations et des dossiers relatifs aux enfants en danger ou risquant de l’être au président du conseil général du nouveau département, dès lors que ces enfants ont fait l’objet d’une information préoccupante, d’une mesure administrative ou d’une décision judiciaire de protection de l’enfance.
À l’Assemblée nationale, le Gouvernement a présenté un amendement, qui a été adopté, visant à renvoyer explicitement à un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, le soin de déterminer les modalités de transmission de ces informations.
Je tiens à vous indiquer que ce décret est en cours de finalisation par mes services, en vue d’une publication en avril ou en mai 2012, donc très prochainement. Il vise à homogénéiser les pratiques, mais surtout à assurer la sécurité et l’efficacité de ces échanges d’informations. L’organisation de ces derniers doit en effet présenter toutes les garanties nécessaires. Ce décret sera soumis à l’avis de la CNIL et de la CCEN, la Commission consultative d’évaluation des normes.
La seconde partie de la proposition de loi, qui a, elle aussi, été amendée par le Gouvernement, concerne les situations où la nouvelle adresse de la famille n’est pas connue. Le pouvoir donné par ce texte au président du conseil général, à savoir la possibilité de saisir les caisses d’assurance maladie et les caisses d’allocations familiales pour obtenir la nouvelle adresse de la famille, constitue un levier important de protection de l’enfant.
Le texte prévoit aussi l’obligation pour le président du conseil général de saisir l’autorité judiciaire dans ces situations.
En effet, si l’interruption de l’évaluation d’une information préoccupante ou d’une mesure administrative ou judiciaire de protection de l’enfance met l’enfant en danger, il y a bien lieu pour le président du conseil général, en l’absence de connaissance de la nouvelle adresse, de saisir l’autorité judiciaire.
Cette clarification des critères de saisine de l’autorité judiciaire améliorera utilement la coordination entre présidents de conseils généraux et procureurs de la République.
La procédure prévue par la proposition de loi peut par conséquent intervenir en complément et parallèlement à la saisine de l’autorité judiciaire : elle n’a pas vocation à la remplacer.
Dans ces conditions, je comprends le sens de l’amendement déposé par M. Mézard, qui souhaite optimiser encore l’effet de cette proposition de loi. Toutefois, pour des raisons que je préciserai tout à l’heure, j’estime que cet amendement n’est pas nécessaire pour atteindre les objectifs visés par son auteur.
Je souhaite que le Sénat adopte ce texte, afin qu’il puisse être rapidement mis en œuvre et que les enfants soient mieux protégés, car il est de notre devoir à tous de renforcer l’aide et la protection que nous leur devons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais pouvoir compter sur vous : nous partageons tous cette ferme volonté de faire progresser encore la protection de l’enfant, d’assurer le respect de ses droits et de veiller collectivement à son intérêt supérieur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Muguette Dini, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue députée Henriette Martinez, dont je suis heureuse de noter la présence dans les tribunes aujourd’hui, porte sur la procédure de suivi qui est mise en œuvre à l’échelon départemental pour les enfants en danger ou risquant de l’être.
Vous le savez sans doute, la loi du 5 mars 2007 a introduit des changements essentiels dans le système de protection de l’enfance, afin de le rendre plus lisible pour les acteurs locaux et, surtout, plus protecteur pour les enfants.
Elle a en particulier consacré le président du conseil général comme chef de file de la protection de l’enfance et créé, sous son autorité, la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes.
Le dispositif départemental de protection de l’enfance a ainsi gagné en cohérence et en efficacité. Toutefois, on constate aujourd’hui que, lorsqu’une famille titulaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance quitte un département pour un autre, les informations la concernant ne sont pas transmises au-delà de cette frontière administrative. Il en résulte une rupture, soit dans la prise en charge de l’enfant, soit dans l’évaluation des informations préoccupantes à son sujet.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune coordination interdépartementale n’est en effet organisée sur le plan national. Certains départements ont bien mis en place un système d’alerte, dit « de signalements nationaux », mais ce dispositif n’a pas de base réglementaire et son efficacité reste limitée en raison de pratiques variables selon les départements.
La proposition de loi vise donc à combler ce vide juridique en conférant un cadre légal à la transmission des informations relatives aux enfants en danger entre le département d’origine et le département d’accueil, démarche qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, relève du bon sens.
Pour ce faire, elle distingue deux cas de figure.
Le premier, le plus simple, s’appliquera lorsque la famille qui déménage informe le département d’origine de sa nouvelle adresse.
Actuellement, et c’est assez singulier, aucun dispositif de transmission d’informations n’est prévu entre le département d’origine et le département d’accueil.
Désormais, lorsqu’une famille titulaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance ou d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance communiquera sa nouvelle adresse au département qu’elle quitte, le président du conseil général du département d’origine le signalera à son homologue du département d’accueil et lui transmettra, pour l’accomplissement de ses missions, les données relatives au mineur et à sa famille. Cette procédure s’appliquera également lorsqu’une information préoccupante sur la situation de l’enfant est en cours d’évaluation.
Comme l’a souligné Mme la secrétaire d'État, les modalités de cette procédure de transmission seront définies par décret en Conseil d’État, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, étant donné l’enjeu de confidentialité qui y est associé.
Pour autant, je rappelle, à mon tour, que la loi du 5 mars 2007 prévoyait déjà un décret de ce type.
Mme Michelle Meunier. Eh oui !
Mme Muguette Dini, rapporteur. Cinq ans plus tard, nous l’attendons toujours.
Mme Michelle Meunier. En effet !
Mme Muguette Dini, rapporteur. Interpellée sur ce sujet par nos collègues députés, la ministre des solidarités et de la cohésion nationale, Roselyne Bachelot-Narquin, s’est engagée à publier le décret dès le mois de mars prochain.
Madame la secrétaire d'État, j’espère que le Gouvernement tiendra parole, car cette mesure de transmission des informations, qui répond aux préconisations formulées lors des états généraux de l’enfance fragilisée tenus en mai 2010, présente deux avantages.
Premièrement, elle garantit au département d’accueil la possibilité de disposer de toutes les informations nécessaires à la continuité de la prise en charge, pour répondre au mieux aux besoins du mineur.
Deuxièmement, elle permettra au jeune devenu adulte qui consulte son dossier de reconstituer l’ensemble de son parcours au sein du dispositif de protection de l’enfance. Ce n’est pas là un sujet mineur, car nous savons que, une fois devenus adultes, les enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance ont quelquefois bien du mal à se retrouver dans leur propre histoire.
J’en viens au second cas de figure : la famille qui déménage sans laisser d’adresse.
Dans ce cas, le suivi des situations préoccupantes ou signalées se révèle évidemment beaucoup plus difficile. Il faut en effet attendre que toute la procédure interrompue dans le département d’origine ait été relancée dans le département d’accueil, par le biais d’une nouvelle transmission d’informations préoccupantes ou d’un nouveau repérage. Un temps précieux est ainsi perdu, ce qui, dans certains cas, peut avoir de très graves conséquences sur l’enfant concerné.
Les acteurs de la protection de l’enfance observent même que certaines familles profitent de cette insuffisante coordination entre départements pour échapper aux filets des services d’aide sociale à l’enfance.
Pour corriger les failles du système actuel, le texte propose deux mesures.
La première oblige le président du conseil général du département d’origine à prévenir sans délai l’autorité judiciaire du départ inopiné d’une famille impliquée dans un processus d’évaluation d’informations préoccupantes, d’aide sociale ou de protection de l’enfance, dont l’interruption met en danger le mineur.
Cette clarification des critères de saisine de l’autorité judiciaire, également recommandée dans les conclusions des états généraux de l’enfance fragilisée, devrait utilement améliorer la coordination entre les présidents de conseils généraux et les procureurs de la République.
La seconde mesure permet au président du conseil général du département d’origine d’obtenir des organismes sociaux – caisse primaire d’assurance maladie et caisse d’allocations familiales – communication de la nouvelle adresse dans les dix jours.
À l’heure actuelle, le président du conseil général peut déjà formuler cette demande par l’intermédiaire de l’autorité judiciaire. Néanmoins, cette procédure présente deux inconvénients majeurs : elle est longue et elle est pratiquée de façon différente selon les parquets.
Dans la mesure où la famille éligible aux prestations sociales ne manque généralement pas d’en faire la demande dans son nouveau département de résidence, les caisses de sécurité sociale semblent les plus à même de connaître l’adresse de cette famille et de la communiquer rapidement aux services du conseil général. Pour obtenir cette information, les caisses d’assurance maladie seront d’ailleurs habilitées à consulter le répertoire national inter-régimes. Tout ce réseau respectera évidemment les règles du secret professionnel applicables à la protection de l’enfance, lesquelles offrent les garanties requises, dans l’unique intérêt du mineur.
Enfin, pour boucler ce circuit d’information, le président du conseil général du département d’origine communiquera bien sûr sans délai à son homologue du département d’accueil la nouvelle adresse ainsi que les informations relatives à la famille et à l’enfant, conformément à la procédure de coordination interdépartementale que nous allons instaurer.
Vous le voyez, mes chers collègues, il s’agit d’un texte de nature technique, simple et opérationnel, qui, en améliorant la transmission d’informations entre les acteurs de la protection de l’enfance, offrira les conditions d’un meilleur suivi des enfants en danger. Notre commission en est convaincue, puisqu’elle l’a adopté, à l’unanimité, dans une rédaction conforme à celle de l’Assemblée nationale.
Toutefois, les échanges approfondis auxquels nous avons procédé ont fait apparaître que, si cette proposition de loi apporte une réponse concrète à un problème précis, elle ne résout pas l’ensemble des difficultés que pose, sur le terrain, l’application de la loi du 5 mars 2007.
En effet, de nombreuses questions demeurent en suspens, comme les moyens du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, la prise en charge des mineurs étrangers isolés ou la notion du « secret partagé » : autant de sujets sur lesquels notre commission se propose de travailler dans les prochains mois pour faire évoluer une loi qui, bien entendu, reste perfectible. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui sollicités pour statuer sur un aspect de la protection de l’enfance en danger, sujet complexe et grave, transversal à l’ensemble de notre société et pour lequel modestie et persévérance s’imposent.
Protéger les enfants, ces êtres fragiles en construction, relève de la responsabilité des parents. Il faut souligner que, globalement, les familles assument bien leur rôle éducatif et ce, de plus en plus longtemps, du fait non seulement de l’allongement des études, mais aussi de la réalité du chômage des jeunes.
Lorsque des difficultés surviennent en ce qui concerne la sécurité morale ou physique de l’enfant ou du jeune, il est de la responsabilité de la société de prendre le relais, temporairement ou durablement. Il en est ainsi dans toutes les sociétés humaines.
Relevant autrefois des familles élargies ou de la charité, la prise en charge des enfants en danger ou risquant de l’être a fait l’objet de nombreuses évolutions législatives et organisationnelles au cours du temps, pour être confiée aux conseils généraux, en 1983, dans le cadre des premières lois de décentralisation. Les départements sont chargés d’organiser la prise en charge de ces enfants, en lien avec leurs familles le cas échéant. Il en va de même pour les enfants abandonnés ou privés durablement de famille, dont la collectivité doit organiser la prise en charge, voire l’adoption.
Bien que promulguée le même jour que la loi relative à la prévention de la délinquance, et ayant à ce titre fait craindre des amalgames, la loi du 5 mars 2007 a été en général plutôt bien accueillie par les conseils généraux et les professionnels de la protection de l’enfance. Rappelons ses trois objectifs principaux : renforcer la prévention ; réorganiser les procédures de signalement via notamment la création des cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes ; diversifier les modes de prises en charge.
Pour notre part, nous y avons vu un texte comportant des mesures de nature à clarifier les rôles de la justice et des conseils généraux, misant sur la prévention et laissant une place aux familles. Nous avons également considéré que ce texte proposait des moyens d’agir.
Cinq ans plus tard, où en sommes-nous ? Qu’en est-il de la mise en œuvre effective de cette loi ? Qu’a-t-on produit, en réalité, sur l’ensemble du territoire national, en métropole comme outre-mer ? Telles sont les véritables questions auxquelles nous devons répondre.
Or, aujourd’hui, on nous propose, avec cette proposition de loi, non pas de mettre un terme à des situations dramatiques, mais d’opérer un simple ajustement relatif aux familles qui déménagent.
À mes yeux, la protection de l’enfance mérite mieux que des mesures d’opportunité, même si je ne nie pas la nécessité de mieux définir les rôles et les responsabilités des uns et des autres en la matière.
Comme l’a affirmé Mme la secrétaire d’État, cette proposition de loi permet de préciser les responsabilités entre la justice et le président du conseil général lorsque les familles en cours de mesure éducative ou de mesure d’investigation à la suite d’une information préoccupante quittent le département. Il est proposé de faire glisser peu à peu sur les épaules du président du conseil général une responsabilité qui incombe à la justice, afin – nous dit-on – de gagner en rapidité et efficacité.
Or les obligations d’un conseil général s’inscrivent dans le cadre d’une relation contractuelle avec la famille ou dans celui de l’exécution d’une mesure judiciaire. La proposition de recherche d’informations personnelles n’entre pas dans le champ des responsabilités du président du conseil général, même à titre facultatif, car la justice a seule le pouvoir d’enquêter.
Le service d’aide sociale à l’enfance du département de départ informe le conseil général d’arrivée lorsqu’il connaît la destination. Dans le cas contraire, il transmet ses constats et ses informations à l’autorité judiciaire, laquelle peut enquêter afin de retrouver le nouveau domicile des parents. On ne devrait compter que quelques situations de ce type chaque année, ce qui ne devrait pas engorger les tribunaux.
Il est donc clair que cette proposition de loi vise principalement à régler les questions de répartition des responsabilités pénales entre les uns et les autres, quand il nous faudrait surtout continuer à renforcer la qualité des échanges entre l’Aide sociale à l’enfance et la justice.
À cet égard, je regrette qu’aucune approche quantifiée n’étaye le dossier. De même, ni l’avis du groupement d’intérêt public – ou GIP – Enfance en danger, ni celui de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, n’ont, me semble-t-il, été sollicités.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, cinq ans après sa promulgation, il est temps de dresser un bilan complet de la mise en œuvre de la loi réformant la protection de l’enfance, en lien avec tous les partenaires concernés : bien sûr, les départements et l’ADF, mais aussi l’ONED, le GIP Enfance en danger, les représentants des associations, la protection judiciaire de la jeunesse, ou PJJ, et bien entendu la justice.
En effet, les conseils généraux ont pris à bras-le-corps leurs responsabilités. Ils sont même allés au-delà, en faisant preuve d’inventivité dans la construction de nouvelles modalités de travail et de nouvelles réponses de prévention et d’accueil des mineurs en danger.
Pour les départements, je le rappelle, c’est tout d’abord une lourde responsabilité morale, puisqu’il s’agit d’aider des enfants blessés à se construire et à se faire une place dans la société, malgré toutes les embûches rencontrées.
C’est ensuite une responsabilité pénale, que nombre de présidents de conseils généraux ont parfois dû assumer devant les tribunaux.
Enfin, c’est une responsabilité budgétaire. Les dépenses afférentes à cette politique étant en grande partie liées aux décisions des magistrats, elles s’imposent aux conseils généraux sans aucune discussion ni prévision possible.
Si les départements font face à leurs responsabilités autant qu’il leur est possible, on ne peut pas en dire autant de l’État.
En effet, cinq ans après la promulgation de la loi réformant la protection de l’enfance, plusieurs décrets d’application manquent encore.
D'ailleurs, la présente proposition de loi vise l’un des « chaînons manquants » de la loi de 2007, bien qu’un texte réglementaire eût, à mon avis, pu suffire.
Ce n’est d’ailleurs ni le seul ni le principal chaînon manquant ; Mme la rapporteur vient d’en rappeler quelques-uns. Pour ma part, je citerai les moyens et les missions du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, la prise en charge des mineurs étrangers isolés, le refus du Gouvernement de procéder à la publication du décret relatif à la définition de la nature de l’information préoccupante, la question des appels à projets dans le secteur public départemental de la protection de l’enfance et, enfin, la non-publication du décret sur la tarification des lieux de vie et d’accueil et les appels à projets les concernant.
Les désengagements successifs de l’État dans le domaine éducatif – au sens large – viennent aussi peser, au final, sur la protection de l’enfance. Sans dresser un inventaire à la Prévert, j’évoquerai plusieurs mesures dont les effets affectent directement les publics concernés : la diminution des postes RASED, qui permettent de détecter au plus tôt les situations difficiles et d’élaborer des réponses, en lien avec les familles et la communauté éducative ; l’augmentation des effectifs dans les classes maternelles et primaires, qui limite, de fait, la disponibilité des enseignants et enseignantes auprès des élèves et des familles ; l’érosion, depuis de très nombreuses années, des prestations familiales et les menaces récurrentes du Gouvernement de ne pas verser ces allocations aux familles dites « défaillantes », alors même que la pauvreté accentue indéniablement les tensions familiales.
Je citerai également l’insuffisance des places en structures de soins spécialisés dans le domaine médicosocial ou dans celui de la pédopsychiatrie. En effet, cette insuffisance amène à maintenir trop longtemps des enfants dans des structures inadaptées, voire contraires à leurs besoins spécifiques. Par ailleurs, elle « embolise » l’urgence et le système d’accueil de la protection de l’enfance. Surtout, elle ne permet pas de proposer aux enfants et aux jeunes concernés un lieu adapté à leurs besoins.
Vous l’aurez compris, je saisis l’occasion offerte par cette discussion générale pour formuler le vœu qu’un véritable bilan de la loi du 5 mars 2007 soit rapidement établi, portant sur ses avancées – car il y en a ! – comme sur ses manques, ou sur ses dispositions susceptibles d’être améliorées.
Ne l’oublions pas, la protection de l’enfance fait parler d’elle lorsque des drames surviennent : mon département, la Loire-Atlantique, a ainsi été endeuillé, l’an dernier, par un drame à rebondissements autour du meurtre de la jeune Laetitia.
Toutefois, nous devons souligner que, de manière globale, les professionnels des conseils généraux et des associations habilitées – les travailleurs sociaux, les assistantes familiales, les travailleuses et travailleurs en intervention sociale et familiale – réalisent un travail éducatif remarquable. Grâce à leur implication sans faille, les enfants qui leur sont confiés ont toutes leurs chances de se construire un avenir meilleur, car la plupart de ces jeunes sortent « par le haut » de leurs difficultés. À nous de le faire savoir également, lors de ce bilan, pour que les enfants et les jeunes malmenés par la vie, ainsi que leurs familles, leurs éducateurs et leurs éducatrices, gardent confiance en eux-mêmes et en l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Gérard Roche applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est, je le reconnais, plutôt d’ordre technique, puisqu’il s’agit d’organiser, en cas de déménagement des familles, la transmission d’informations portant sur les enfants en danger, du département d’origine à celui d’accueil. Cette mesure est même tellement technique que le recours à la procédure législative était peut-être superflu. Nous aurions en effet pu nous contenter d’une mesure d’ordre réglementaire, attendue de longue date, notamment par les présidents des conseils généraux et, de toute façon, indispensable pour la bonne application de cette proposition de loi, une fois celle-ci adoptée.
Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit, notamment par Mme la rapporteur. Comme vous le savez, les présidents des conseils généraux se sont vu confier, depuis 2007, des compétences nouvelles en matière de protection de l’enfance. Nous ne contestons d’ailleurs pas cet échelon de compétence, dans la mesure où il est déjà retenu pour l’attribution des aides sociales à l’enfance.
Nous avons tous en mémoire des drames rares, mais douloureux, qui nous rappellent la part de responsabilité qui est la nôtre en la matière. Ils justifient, ainsi que tous les cas que nous pouvons éviter, qu’une transmission interdépartementale puisse s’organiser de manière pérenne. Certains conseils généraux, profitant de la nouvelle rédaction de l’article 226-13 du code pénal relatif au secret professionnel, ont d’ailleurs expérimenté des mesures équivalentes préfigurant ce système : il nous faut désormais généraliser et encadrer cette coopération interdépartementale fondée sur le volontariat. À cet égard, cette proposition de loi constitue un premier pas positif, que nous ne pouvons que saluer.
Toutefois, nous regrettons que cette proposition de loi ne soit pas plus complète. Il faudra sans doute l’accompagner de mesures réglementaires, ce qui retardera d’autant son application. J’en reviens donc à mon analyse d’origine : plutôt qu’une proposition de loi, il aurait été plus pertinent que le Gouvernement élabore, en lien étroit avec les acteurs locaux et leurs représentants, l’Assemblée des départements de France, par exemple, une mesure réglementaire plus opportune.
Je pense, par exemple, à l’établissement d’une définition commune, sur la base de critères objectifs et négociés avec les acteurs, de la notion même d’enfance en danger. Je pense également à la nécessité d’élaborer des référentiels et un protocole communs de transmission, afin que le travail de recueil et de traitement de l’information soit facilité, mais je crois avoir compris qu’un décret sur cette question était en attente de publication.
Malgré ces quelques insuffisances, nous voterons cette proposition de loi, mais ce vote, madame la secrétaire d’État, n’entame en rien notre vigilance concernant les moyens mis à la disposition des départements pour accomplir ces missions : en effet, ceux-ci font cruellement défaut.
Je n’ignore rien de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, à la suite du dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité par le département des Côtes-d’Armor, qui estimait que la loi de 2007 violait l’article 72 de la Constitution. Le Conseil a tranché : considérant que le législateur « n’a procédé ni à un transfert aux départements d’une compétence qui relevait de l’État ni à une création ou extension de compétences », il a estimé que l’État n’était pas tenu au financement de ces mesures.
Toutefois, je n’ignore pas non plus que M. Philippe Bas, alors ministre, s’était engagé devant le Sénat, au nom du Gouvernement, à abonder le Fonds national de financement de la protection de l’enfance, ou FNFPE, promesse non entièrement tenue. (M. Ronan Kerdraon approuve.) Je me souviens également qu’il aura fallu l’action du département de Saône-et-Loire devant le Conseil d’État pour contraindre le Gouvernement à enfin prendre le décret créant le FNFPE.
Je sais aussi que tout un pan de la protection de l’enfance en danger reste en friche aujourd’hui, du fait même du désengagement de l’État. Je pense ainsi à la suppression des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, dont la mission est pourtant essentielle dans l’accompagnement et le développement des enfants les plus en difficulté.
Je pense également à l’absence de réponses concrètes en ce qui concerne les « mineurs étrangers isolés » : les départements gèrent seuls les demandes, l’État ne participant pas au financement des structures d’accueil.
Je pense, enfin, au sort qui est réservé aux travailleurs sociaux, à la réduction des moyens qui leur sont accordés pour mener à bien leur mission d’accompagnement et d’émancipation : cette mission est devenue de plus en plus difficile à accomplir du fait de la révision générale des politiques publiques, au point que les finalités mêmes de leur engagement sont progressivement remises en cause. Les logiques comptables et chiffrées qu’on leur impose aujourd’hui sont incompatibles avec les notions d’humanisme et de solidarité qui fondent historiquement le sens de leur activité.
On dit souvent que l’on mesure la qualité d’une société au sort qu’elle réserve à ses jeunes. Malgré l’adoption de cette proposition de loi, qui est utile, je n’en disconviens pas, il nous semble que beaucoup reste encore à faire dans notre pays pour que les droits et les besoins de tous les enfants soient garantis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)