M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette période pré-électorale mouvementée, il est agréable de constater qu’il reste des sujets dépassant les clivages partisans et sur lesquels un consensus peut se dégager au sein de notre Haute Assemblée. Tel est pour nous le cas avec cette proposition de loi dont l’adoption doit permettre de mener à leur terme l’ensemble des enquêtes sociales diligentées en vue de protéger des enfants en danger.
Ce texte consensuel, de nature technique, est rendu nécessaire par une lacune de la loi du 5 mars 2007, qui n’a pas prévu de coordination interdépartementale. Cette loi a cependant permis de franchir une étape essentielle dans la construction d’un dispositif de protection efficace de l’enfance, fondé sur l’intérêt de l’enfant : le développement de la prévention, un meilleur dépistage des enfants en danger et l’amélioration de l’intervention auprès des enfants et de leurs familles ont été mis en avant lors de la discussion de ce premier texte.
De même, le principe de la primauté de la protection administrative sur la protection judiciaire a été consacré. De fait, le rôle central dans le dispositif de protection de l’enfance a été dévolu au président du conseil général, à l’instar du « directeur de la protection de la jeunesse » que connaissent nos amis québécois. Ce président centralise dorénavant l’ensemble des informations préoccupantes transmises par tous les intervenants du secteur.
Pour l’aider dans le recueil et le traitement de ces informations, il peut s’appuyer sur la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, qui les conserve et les analyse, et sur l’observatoire départemental de la protection de l’enfance, auquel participent tous les acteurs de cette politique.
Cinq années ont passé depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2007, qui a rendu plus efficace et cohérent le système de protection. Malheureusement – nous le savons, nous qui gérons ces collectivités locales –, certains ménages ont cerné les limites d’un dispositif départemental. Deux tragiques faits divers récents nous en ont apporté une preuve aussi cruelle qu’évidente : des familles suivies par la protection de l’enfance ont pu passer entre les mailles des filets tendus aux frontières des départements et se sont purement et simplement soustraites aux enquêtes sociales.
De telles situations sont rares – on parle, en tout et pour tout, d’une centaine de familles –, mais elles font courir un risque d’une grande gravité aux enfants, dès lors que les parents souhaitent sciemment échapper aux services sociaux en se réfugiant de l’autre côté de la frontière administrative dressée par la loi du 5 mars 2007.
Mes chers collègues, je ne peux que me féliciter, au nom de mon groupe, de la solution retenue par l’auteur de cette proposition de loi qui facilite la transmission d’informations entre départements, lorsque la nouvelle adresse du ménage est connue, mais aussi lorsqu’elle ne l’est pas. Le président du conseil général du département de départ pourra alors saisir les services qui versent les prestations sociales aux fins d’obtenir la nouvelle adresse qu’il communiquera au département d’accueil. Cet outil efficace et rapide permettra de faire face aux cas les plus difficiles.
Madame la secrétaire d’État, il aura fallu attendre près de cinq ans pour corriger les imperfections de la loi du 5 mars 2007 et un an et demi pour inscrire ce texte à l’ordre du jour de la Haute Assemblée après son vote par nos collègues députés.
Permettez-nous de rester dubitatifs quant aux réelles intentions du Gouvernement en matière de protection de l’enfance. À ce jour, nous n’osons plus espérer la publication du décret d’application de la loi de 2007 définissant et sécurisant la transmission des informations, tant nous l’avons attendu !
Nous nous interrogeons également sur cette étrange logique qui pousse, d’un côté, à développer la protection de l’enfance et, de l’autre, à battre en brèche tous les principes protecteurs prévus par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Je pense aussi à l’attitude du Gouvernement face aux conseils généraux : une fois encore, vous opérez un transfert de charges et de compétences sans contrepartie financière.
M. Jacques Mézard. Les 40 millions d’euros que vous avez daigné affecter au Fonds national de financement de la protection de l’enfance attestent, au regard des 6 milliards d’euros que coûte l’aide sociale à l’enfance, de votre manque de considération pour nos collectivités territoriales.
Les sénateurs radicaux de gauche et l’ensemble des membres du RDSE auraient préféré une réforme d’envergure qui aurait enfin pris à bras-le-corps la question du « secret partagé ».
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Nous aussi !
M. Jacques Mézard. Certes limité, le texte qui nous est soumis constitue néanmoins une avancée qui facilitera la prise en charge et la protection des enfants en situation de grave danger, raison pour laquelle nous voterons unanimement en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, ce débat nous rassemble, au-delà des clivages politiques, en raison de notre volonté commune d’avancer sur la question de la transmission, de département en département, des dossiers des enfants en danger.
Plusieurs histoires tragiques d’enfants maltraités ou même assassinés dans leur famille ont malheureusement prouvé que notre système de signalement et de suivi de ces enfants pouvait encore être amélioré : au travers de ce texte, il s’agit d’assurer une coordination territoriale systématique des différents intervenants.
En effet, dans les situations de maltraitance, le temps constitue un facteur décisif : lorsque des parents déménagent sans laisser d’adresse, on peut craindre qu’ils souhaitent ainsi échapper à la surveillance des services sociaux et judiciaires.
La loi du 5 mars 2007 a fait des présidents de conseil général les pivots de la protection de l’enfance dans les départements. C’est au sein des conseils généraux que sont constituées les cellules départementales de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, qui filtrent les informations leur parvenant et diligentent les enquêtes sociales nécessaires, puisqu’elles rassemblent les différents partenaires chargés de s’occuper de l’enfance en danger.
La loi confie aux présidents de conseils généraux une mission de recueil, de traitement et d’évaluation de ces informations préoccupantes, à tout moment et quelle qu’en soit l’origine. Ils ont montré – je puis en témoigner, en tant que président de conseil général – qu’ils savaient prendre leurs responsabilités.
Un sénateur du groupe socialiste. Contrairement au Gouvernement !
M. René-Paul Savary. Le dispositif de suivi des enfants est en grande partie efficace. Lorsque l’enfant fait l’objet de mesures éducatives, il n’y a pas de problème de suivi.
C’est en amont, lorsque la procédure n’en est qu’au stade préventif et social, c’est-à-dire celui d’une enquête sociale qui n’a pas encore abouti ou, plus encore, d’une simple information préoccupante, qu’il est impératif d’améliorer le suivi d’un département à un autre.
M. René-Paul Savary. En tant que président du conseil général de la Marne, je peux témoigner, à l’échelle de ce département, que l’information est bien traitée et communiquée, d’où ma surprise initiale, que j’ai marquée en commission, à l’annonce de la nécessité d’une loi.
Cependant, notre rapporteur l’a très bien expliqué, aucune coordination départementale n’est organisée sur le plan national. Seuls certains départements ont mis en place des dispositifs d’alerte improvisés afin de signaler les informations préoccupantes. Les pratiques différant d’un département à l’autre, il y avait lieu de légiférer.
Lorsque la famille franchit la frontière administrative du département, la localisation de l’enfant est trop souvent perdue et le suivi suspendu. Pour mettre fin à cette frontière administrative, il relève donc de notre devoir de légiférer.
Afin de faire suivre les informations relatives à une famille qui a fait l’objet d’un signalement, le président du conseil général se verra officiellement confier la mission d’interroger les organismes qui délivrent les prestations sociales – caisses d’allocations familiales et caisses primaires d’assurance maladie –, par le biais de la saisine du répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l’assurance maladie. Il pourra ainsi transmettre la nouvelle adresse et les éléments relatifs au signalement au président du conseil général du département d’accueil.
Je rappelle que ce texte est issu d’une concertation menée par Mme le député Henriette Martinez, qui a recueilli les avis des associations de protection de l’enfance, de l’Assemblée des départements de France, du Médiateur de la République et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, afin de s’assurer que le texte ne contrevient pas à la protection de la vie privée des familles.
Il en ressort que la consultation des fichiers par des organismes sociaux aux fins de transmettre les adresses des familles ne peut être autorisée que par la loi ; une disposition d’ordre réglementaire n’aurait pas suffi.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, il nous appartient d’agir vite et de légiférer avant la suspension des travaux parlementaires, ce qui ne sera possible qu’en adoptant ce texte conforme. En d’autres circonstances, nous aurions été heureux de présenter des amendements afin d’améliorer le dispositif législatif sur différents points.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Nous aussi !
M. René-Paul Savary. Certains d’entre eux auraient d'ailleurs pu recueillir un large assentiment.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. René-Paul Savary. Le vote de cette proposition de loi, que j’ai qualifiée de « technique », ne doit pas nous faire oublier – je réponds en cela à M. Mézard – que plusieurs autres dispositifs doivent être revus. La loi du 5 mars 2007 mérite d’être évaluée, afin de comprendre pourquoi ses dispositions, dans certains domaines, n’ont pas été suivies d’effet.
À ce titre, les mesures d’accompagnement social personnalisé, les MASP, n’ont pas encore fait la preuve de leur pleine efficacité, puisqu’elles devraient être beaucoup plus nombreuses. En 2011, le département dont je suis l’élu n’en comptait ainsi que vingt-sept. Il convient de créer une relation nouvelle entre le monde social et le monde judiciaire, de façon à prendre en compte les difficultés de chacun et à trouver une solution. Ce type de dispositif mérite d’être évalué et amélioré, dans le respect des prérogatives des uns et des autres, sans occulter les nécessaires répercussions financières.
S'agissant des mineurs étrangers isolés, sujet auquel Isabelle Debré a consacré un rapport intéressant, il faudra bien prendre des décisions, quelle que soit l’issue des prochaines élections. Il importe de trouver des solutions adéquates, et nous nous y emploierons !
Les présidents de conseils généraux sont prêts à assumer leurs responsabilités ; cependant, en matière de prise en charge des mineurs étrangers isolés, il conviendra de trouver une solution, en tout cas sur le plan financier, et nous y parviendrons si nous nous comprenons mutuellement. Je rappelle que la prise en charge d’un mineur coûte 50 000 euros par an. Si nous devions assumer les difficultés rencontrées par les mineurs étrangers sur notre territoire, ce serait au détriment de nos propres ressortissants.
Nous devons trouver, sur cette question, une solution novatrice. Le Fonds national de financement de la protection de l’enfance a été mentionné. À titre d’exemple, le département de la Marne a perçu seulement 100 000 euros pour plus de 16 000 mineurs et consacre au total 53 millions d’euros à la protection de l’enfance et de la famille.
Nous avons des propositions à formuler dans ce domaine, que nous soumettrons au Gouvernement dans un esprit constructif.
En ce qui concerne le secret partagé, le partage de l’information, qui est déterminant, il nous faudra trouver des règles déontologiques sur le plan social, comme il en existe sur le plan médical.
M. René-Paul Savary. Signaler n’est pas dénoncer : ce dispositif, rappelons-le, permet régulièrement de sauver des enfants. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.)
Nous devrons également chercher des solutions, qui pourraient être partagées, en ce qui concerne les allocations familiales, en particulier l’allocation de rentrée scolaire. L’ARS continue en effet d’être versée aux familles dont les enfants sont confiés par le juge au département pour être placés. Dans ce cas, nous proposons que l’ARS soit perçue par le département pour qu’il la mette à la disposition de l’enfant, sauf avis contraire du juge prévoyant de la confier à la famille. Nous souhaitons inverser le dispositif. Nous devons être à même de revoir les dispositifs de la loi de 2007 et de trouver ensemble les solutions qui conviennent.
Quoi qu’il en soit, nous n’en sommes pas là ! Pour l’heure, nous soutiendrons la proposition de loi qui nous est soumise pour permettre une mise en œuvre rapide de ses dispositions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, régulièrement, des drames concernant des enfants maltraités défraient la chronique. Extrêmement douloureux, ils ne sont hélas que la partie émergée de l’iceberg.
Chaque année, environ 300 000 enfants sont pris en charge au titre de la protection de l’enfance, prise en charge qui se répartit à égalité entre les mesures éducatives, prodiguées en milieu ouvert ou directement au domicile de l’enfant, et les mesures de retrait de l’enfant de son milieu familial.
Pour éviter les drames à venir, l’enjeu est donc bien d’identifier tous les enfants en danger afin de leur proposer, ainsi qu’à leurs parents, une aide adaptée – c'est-à-dire, selon la loi, les mineurs non émancipés dont « la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger » ou dont « les conditions d’éducation ou de développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ».
En ce sens, la loi du 5 mars 2007 constitue un net progrès, mes collègues l’ont rappelé, en visant un triple objectif d’amélioration de la prévention, de repérage des enfants en danger et d’intervention en leur faveur.
La notion d’enfant en danger a été substituée à celle d’enfant maltraité, afin de tenir compte de toute la palette des situations pouvant, physiquement ou moralement, mettre en danger les mineurs.
La procédure de signalement des enfants en danger a été clarifiée, ainsi que les rôles respectifs de la protection administrative et de la protection judiciaire.
Un cadre légal a été fixé au partage d’information entre les professionnels soumis au secret professionnel de différents services participant aux missions de protection de l’enfance, pratique qui, bien que tolérée par l’autorité judiciaire, était auparavant interdite en droit et donc susceptible d’être poursuivie pénalement par les parents.
Enfin, pour pallier le partage insuffisant des informations, celles qui sont préoccupantes sur les mineurs sont désormais centralisées et traitées par les présidents des conseils généraux, qui sont donc devenus la clef de voûte de la protection de l’enfance. C’est aujourd’hui sur leurs épaules que repose « le recueil, le traitement et l’évaluation des informations préoccupantes », même si les représentants de l’État et l’autorité judiciaire leur apportent bien sûr leur concours.
Malgré toutes ces avancées, des lacunes demeuraient après 2007. La proposition de loi relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations qui est soumise aujourd’hui au Sénat n’en traite qu’une, mais qui est importante.
La prise en charge d’enfants en danger ou le travail d’évaluation concernant des enfants suspectés de l’être sont parfois interrompus par un déménagement, une séparation, une mutation professionnelle, ou même parfois une volonté de se soustraire à l’autorité.
Un vide juridique existe alors, puisqu’aucun dispositif ne prévoit pour l’instant de transmission d’informations entre départements lorsqu’une famille déménage, même dans le cas où celle-ci informe le département d’origine de sa nouvelle adresse.
C’est ce vide juridique qu’il s’agit ici de combler, en fixant un cadre légal à la transmission entre départements des informations relatives aux enfants en danger.
Le président du conseil général peut désormais transmettre les informations et les dossiers concernant les enfants en danger – ou risquant de l’être – à son homologue du département d’accueil. En outre, dans les cas où la famille n’a pas laissé de nouvelle adresse, il peut demander communication de celle-ci aux organismes sociaux.
Cette mesure technique allant clairement dans le bon sens, les membres du groupe écologiste appellent bien évidemment à voter pour ce texte, dans une version conforme à celle qu’a adoptée l’Assemblée nationale, afin que les dispositions prévues entrent en vigueur au plus vite.
Mes chers collègues, permettez-moi néanmoins de formuler quelques remarques.
Tout d’abord, je le souligne à mon tour, les conditions dans lesquelles il nous est aujourd’hui donné d’examiner ce texte ne sont pas satisfaisantes du point de vue démocratique.
Nous constatons, en le déplorant, que la proposition de loi a été adoptée à l’Assemblée nationale le 13 janvier 2011, voilà donc plus d’un an, et que le Gouvernement nous met en quelque sorte au pied du mur en nous contraignant à l’examiner en urgence et à l’adopter sans l’amender, pressés par la fin imminente de la session parlementaire.
Ensuite, cette proposition de loi est extrêmement restrictive et ne comble qu’une des lacunes de la loi du 5 mars 2007. J’en citerai trois autres.
Premièrement, ce texte n’évoque en rien les moyens et les missions du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, le FNPE, qui manque cruellement de moyens financiers, comme nous avons pu le constater lors du débat budgétaire.
Deuxièmement, il ne comporte rien non plus en ce qui concerne la difficile venue en aide aux mineurs isolés étrangers. Or il existe une très grande inégalité de fait dans la répartition territoriale de ces mineurs, six départements accueillant la plupart des mineurs isolés étrangers, soit environ 6 000 jeunes : la Seine-Saint-Denis, Mayotte, Paris, le Nord, le Pas-de-Calais et l’Ille-et-Vilaine.
M. Claude Dilain. Très bien !
Mme Aline Archimbaud. Leur effectif suit par ailleurs une augmentation alarmante. À titre d’exemple, en Seine-Saint-Denis, leur nombre est passé de 150 en 1997 à un peu plus de 1 000 aujourd’hui.
La question de la répartition entre l’État et le département des compétences les concernant n’ayant toujours pas été tranchée, dans les faits, ces départements font face à un surcoût important – certains présidents de conseils généraux ont d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme –, mais également à une surcharge considérable, qui a des conséquences sur le fonctionnement de leurs services, car elle déstabilise l’ensemble de l’aide sociale à l’enfance. Le travail des équipes est rendu difficile. On demande à des travailleurs sociaux de mener une mission alors qu’ils ne disposent pas des outils nécessaires !
Je ferai enfin une dernière remarque sur les décrets d’application, lesquels sont source de difficultés dans le secteur de l’enfance en danger.
Le décret d’application de la loi du 6 mars 2000 visant à renforcer le rôle de l’école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants, qui devait fixer les modalités exactes d’organisation des visites médicales de détection des enfants maltraités et des séances annuelles d’information et de sensibilisation n’a toujours pas été pris. Douze ans après le vote de cette loi, la mise en œuvre de solutions préventives est malheureusement bloquée !
Par ailleurs, je rejoins tous ceux qui, avant moi, se sont émus de la suppression incompréhensible et inacceptable des RASED, une mesure aggravant évidemment la situation. Un certain nombre de syndicats et d’associations ont récemment lancé des appels. Il faut absolument les écouter.
Quant aux sept décrets de la loi du 5 mars 2007, ils n’ont pas encore été publiés. Les circonvolutions auxquelles a donné lieu la publication du décret sur la remontée de données par les départements à l’Observatoire national de l’enfance en danger posent un sérieux problème : à ce jour, et depuis 2006, nous ne disposons pas de données fiables sur les populations prises en charge par les conseils généraux. Il faut absolument rattraper ce retard ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Claude Dilain. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte sur une action très précise de la protection de l’enfance : le suivi dans leur famille, après un signalement social ou judiciaire, des enfants considérés comme étant en danger. Cette mesure, bien qu’elle ne règle qu’un problème ponctuel, n’en était pas moins attendue.
La proposition de loi permettra en effet de donner un outil supplémentaire et très précieux aux présidents de conseils généraux, qui en ont bien besoin pour remplir la lourde mission qui leur est confiée. Comme l’a très bien expliqué notre collègue et rapporteur Muguette Dini, ce texte comble un vide juridique qui posait problème.
Aujourd’hui, lorsqu’une famille bénéficiaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance quitte un département pour un autre, les informations la concernant ne sont pas transmises au-delà de la frontière administrative du département, ce qui entraîne une rupture dans la prise en charge de l’enfant ou dans l’évaluation de sa situation. Aucune coordination interdépartementale n’est organisée à l’échelon national. En tant que président du conseil général de la Haute-Loire, j’ai, comme tous mes collègues gérant un département, été confronté à ce problème.
Pour y faire face, certains départements, dont celui dont j’ai la responsabilité, ont mis en place le système d’alerte qui a déjà été évoqué, celui des signalements nationaux. Toutefois, cette mesure n’ayant pas été prise dans tous les départements, elle ne peut bien évidemment avoir qu’une efficacité limitée.
La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise apporte une réponse pertinente au problème posé.
Je ne reviendrai pas sur le détail du dispositif proposé, car il a déjà été suffisamment rappelé, mais vous me permettrez de formuler un regret, une interrogation et une louange.
Je commencerai par énoncer un regret, madame la secrétaire d’État.
Dans le cas où une famille bénéficiaire de la prestation d’aide sociale à l’enfance, ou faisant l’objet d’une mesure judiciaire de protection de l’enfance, a informé le département d’origine de sa nouvelle adresse, le texte prévoit que le président du conseil général du département d’origine devra la transmettre à son homologue du département d’accueil. Or une telle disposition était déjà prévue dans la loi de 2007 !
Cinq ans après la promulgation de cette loi, le décret d’application n’a toujours pas été publié. Cela n’est évidemment ni normal ni satisfaisant, comme l’ont déjà fait observer certains de mes collègues. Vous avez toutefois pris l’engagement, madame la secrétaire d’État, que ce décret serait publié au mois de mars. Je ne peux que m’en réjouir. Mieux vaut tard que jamais !
J’en viens maintenant à mon interrogation : si nous adoptons le présent texte aujourd’hui, n’y aura-t-il pas redondance ou doublon ? Autrement dit, à quoi servira ce décret si cette proposition de loi est adoptée, et réciproquement ?
En outre, cette situation ne pose-t-elle pas un problème constitutionnel ? En effet, en vertu des articles 34 et 37 de la Constitution, une même mesure ne peut être à la fois de nature réglementaire et législative. Éclairez-moi, madame la secrétaire d’État, car, en tant que nouveau sénateur, j’avoue être un peu perdu !
Enfin, mes louanges iront au dispositif prévu dans le cas où les familles concernées déménagent sans laisser d’adresse. Ce mécanisme est double : il prévoit, d’une part, l’information immédiate de l’autorité judiciaire, et, d’autre part, la recherche et la transmission de la nouvelle adresse au département d’accueil via les organismes sociaux. Il est de nature à apporter une solution efficace et concrète au problème.
En résumé, parce qu’il corrige une lacune reconnue par tous de la loi du 5 mars 2007, il est bien naturel que ce texte ait été adopté conforme et à l’unanimité en commission des affaires sociales. J’espère que tel sera également le cas aujourd'hui en séance.
Toutefois, comme je l’ai dit au début de mon intervention, ce dispositif ne règle qu’un problème ponctuel.
Le champ d’application de la loi du 5 mars 2007 est bien plus vaste et il reste très mal défini sur bien des points, les décrets d’application n’ayant toujours pas été publiés.
Les moyens manquent pour la protection de l’enfance, d’autant que le système a été perverti – c’est de nouveau le président du conseil général qui parle à présent. L’État ne prenant plus en charge les jeunes majeurs, les départements ont dû s’y substituer, ce qui a compromis tous leurs efforts d’organisation et leurs efforts financiers en faveur de l’aide sociale à l’enfance. L’État doit compenser au département la charge réelle que représente cette compétence, du moins pour les départements qui ont le plus de difficultés financières.
Plus globalement, cinq ans après la loi de 2007, quatre problèmes peuvent être identifiés : la prise en charge des jeunes majeurs, l’insuffisance de l’abondement du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, le financement des lieux d’accueil et de vie des jeunes, enfin, la prise en charge des mineurs étrangers isolés, ce problème étant actuellement sous les feux de l’actualité.
Il faut donc aller au-delà de la mesure ponctuelle que nous examinons aujourd’hui. Une remise à plat du système est nécessaire : il faut l’évaluer et, le cas échéant, le réformer.
Il revient à la commission pour le suivi de l’application des lois du Sénat de faire dans les plus brefs délais un point très précis sur l’application de la loi de 2007.
En outre, je me rallie à la proposition de Muguette Dini, notre rapporteur, de constituer un groupe de travail sur ce sujet au sein de la commission des affaires sociales, groupe auquel reviendra éventuellement le soin de formuler des propositions d’amélioration du système.
Dans l’attente de ces travaux si importants, il ne me reste plus qu’à féliciter la commission, sa présidente, Annie David, et son rapporteur, Muguette Dini, pour l’excellence de leur travail. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)