Mme Nathalie Goulet. Certes !
M. Luc Carvounas. … et combien elles ne peuvent être discutées sereinement dans ce « bougisme » qui est la marque de fabrique du Président Sarkozy.
Mme Sophie Primas. Quel conservatisme !
M. Luc Carvounas. Face aux nombreuses craintes exprimées par le monde des anciens combattants quant au maintien des commémorations telles que nous les célébrons – ces mêmes anciens combattants qui me répètent lors de nos rencontres, dans ma commune d’Alfortville, qu’ils sont profondément hostiles à un jour unique de commémoration –, je ne peux que me réjouir du travail réalisé par mon collègue Alain Néri et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
J’approuve donc avec force l’amendement de mon collègue qui a garanti, dans un réel souci d’unité nationale, les autres dates commémoratives. J’y suis d’autant plus favorable que cette proposition respecte la volonté des anciens combattants sur le sujet tout en conduisant à un vote unanime.
Le double objectif du respect des anciens combattants, d’une part, et de l’union nationale, d’autre part, est atteint. Je voterai donc en faveur de ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. « La guerre aura-t-elle enfin provoqué assez de souffrances ou de misère, assez tué d’hommes, pour qu’à leur tour les hommes aient l’intelligence et la volonté de tuer la guerre ? »
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est cette interrogation que l’on peut lire, entre autres, sur le monument aux morts de la commune de Saint-Martin-d’Estréaux, située dans le département de la Loire. Il fait partie des quelques monuments aux morts dits « pacifistes », et l’on peut y voir, en face de chacun des noms de la longue liste des morts de la guerre de 1914-1918, une photo, manière de rendre un visage à ces morts.
En effet, dès le lendemain de la Grande Guerre, des voix s’élevèrent pour dénoncer ce conflit et, au-delà, tous les conflits à venir, pour dénoncer la guerre et son mécanisme barbare et, à l’inverse, proposer le pacifisme, ce que nous appelons aujourd’hui une culture de paix. Oui, l’être humain doit promouvoir ce type de culture !
Il en est ainsi chaque année, le 21 septembre, au travers des manifestations organisées dans le cadre de la Journée de la paix, notamment dans les communes ayant rejoint le réseau Mayors for Peace porté en France par l’Association française des communes, départements et régions pour la paix, qui compte aujourd’hui dans le monde plus de 5 000 communes.
Le devoir de mémoire est indispensable pour promouvoir la culture de paix. Les commémorations, indépendamment de l’obligation d’y consacrer un temps scolaire, doivent y contribuer. Comprendre notre monde, apprécier la paix actuelle, c’est comprendre, et surtout apprendre ce qui nous a permis d’y arriver pour mieux le mesurer.
Aujourd’hui, les années ont passé, et presque un siècle s’est écoulé depuis la fin de la Grande Guerre, ou plutôt, pour me placer du côté des hommes qui, par milliers, y ont laissé leur jeunesse et leur vie, la Grande boucherie ! Mais le sang a coulé en un siècle sur notre territoire comme à l’extérieur, cela a été rappelé.
Je ne reviendrai pas sur les éléments qu’a développés ma collègue Michelle Demessine. Mais, à l’heure de légiférer, nous devons nous interroger sur les conséquences d’une telle loi. Certes, nous n’avons plus de témoins survivants, tous les poilus sont morts ; on pourrait donc tranquillement effacer leur souvenir d’un revers de manche, et vous ne nous ôterez pas de l’esprit qu’il y a tout de même ici un peu de cela…
M. Alain Milon. Allons !
Mme Cécile Cukierman. Mais avons-nous le droit de mettre au sein d’une même journée, pour ne pas dire dans le même sac, tous ces morts pour la France ?
Bien sûr, et vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, tous les hommes méritent hommage. Bien sûr, il faut pouvoir honorer la mémoire des militaires qui meurent encore aujourd’hui dans les opérations extérieures, l’actualité nous l’a rappelé. Mais chaque conflit a ses spécificités, ses conséquences. Il ne peut pas et ne doit pas y avoir de Memorial Day à la française !
La France a été marquée par plusieurs conflits au cours du XXe siècle. De nombreux appelés n’en sont pas revenus, de nombreux civils ont été tués, de nombreux militaires ont péri. Modifier la commémoration du 11 novembre 1918, c’est aussi nier la spécificité de la guerre de « 14-18 ». C’est nier son importance et son rôle dans la construction politique du XXe siècle et de ce début du XXIe siècle.
Ce même 11 novembre permit aux jeunes, en 1940, à l’appel de l’Union des étudiants communistes alors clandestine, de manifester contre l’occupant nazi et les collaborateurs, et le texte reproduit par les jeunes et les lycéens pour inciter leurs autres lycéens à manifester, nous invite à ne pas oublier la portée du 11 novembre 1918. En effet, il était, entre autres, écrit : « Le 11 novembre 1918 fut le jour d’une grande victoire, le 11 novembre 1940 sera le signal d’une plus grande encore. »
Évitons la précipitation, ne confondons pas l’hommage aux soldats et aux morts au feu avec la commémoration d’un événement historique.
Ainsi, et malgré l’amendement adopté par la commission visant à apaiser les tensions créées par l’article 1er, nous ne partageons pas l’esprit de ce projet de loi et nous ne le soutiendrons pas.
Si nous devons respecter tous les morts au-delà des esprits partisans, n’oublions pas que les guerres sont le fruit de choix politiques qui, parfois, nous opposent.
Enfin, souvenons-nous, chaque 11 novembre, des paroles de cet homme qui ne connut pas le 11 novembre 1918, lui qui fut assassiné quatre ans plus tôt pour son engagement pacifiste et sa dénonciation de la guerre comme outil de l’impérialisme et de la domination : « L’humanité est maudite si, pour faire preuve de courage, elle est condamnée à tuer éternellement. » Je viens de citer Jean Jaurès ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous mettez en avant le rôle des communistes en 1940, mais vous devez sans doute oublier le Pacte germano-soviétique ! On peut tout dire, mais il faut tout de même, dans cet hémicycle, rétablir une certaine vérité historique ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Vives protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Cécile Cukierman. C’est honteux, vous récrivez l’Histoire ! Vous êtes partisan…
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l'article.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le secrétaire d’État, jusqu’ici, le débat était intéressant, et la tournure qu’il avait prise, avec une connotation historique, avait permis aux uns et aux autres de livrer sereinement leur appréciation personnelle.
Mais là, pour le coup, vous venez de franchir allégrement la ligne jaune : aux pensées, vous avez substitué les arrière-pensées ! Ce n’est pas de nature à crédibiliser votre démarche (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste.), d’autant moins, faut-il le rappeler ? que des incertitudes liées à la publication du rapport Kaspi et à une déclaration plus que maladroite du Président de la République, le 11 novembre dernier, avaient mis en émoi l’immense majorité des associations du monde combattant.
Une confusion certaine règne entre ce qui est écrit dans le présent texte et une arrière-pensée que l’on prête à ses promoteurs, dont certains pensent qu’ils souhaiteraient s’acheminer, lentement mais sûrement, vers un Memorial Day.
Je le répète, l’ensemble du monde combattant a eu l’occasion de s’insurger contre cette démarche.
M. Luc Carvounas. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Mirassou. Je ne veux pas jeter de suspicion démesurée sur les dispositions de l’article 1er du projet de loi, mais, monsieur le secrétaire d’État, cela a été dit à de nombreuses reprises, chaque conflit a une spécificité, des causes précises, et fournit des leçons à tirer qui lui sont propres.
Ce n’est pas au moment où notre jeunesse manque des repères pour identifier clairement les faits historiques majeurs de notre histoire, qu’il serait bon de supprimer les dates mémorielles qui, justement, jalonnent des pans entiers de notre histoire dans ce qu’elle a de plus cruel ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Luc Carvounas. C’est évident !
M. Jean-Jacques Mirassou. Par conséquent, à mon sens, ce projet de loi n’est qu’une première étape sur la voie d’un Memorial Day que préconisent nombre de vos collègues, en dépit de l’adoption de l’amendement présenté par Alain Néri et visant à apporter une certaine clarification en la matière.
Dans le camp de la gauche, dans notre camp, nous souhaitons non pas que les dates mémorielles disparaissent, mais au contraire qu’elles continuent à jalonner notre histoire et éclairer l’avenir.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 19 mars et le 27 mai - cette dernière date étant celle de la création du Conseil national de la Résistance -, sont de véritables joyaux et nous entendons non seulement les préserver mais encore les promouvoir. Nous en ferons la démonstration dans les mois et les années qui viennent.
Monsieur le secrétaire d’État, je le répète : jusqu’à présent, le débat se passait bien. Or vous venez de jeter la suspicion sur votre démarche, et il vous sera désormais très difficile de renouer le lien de confiance qui existait entre nous au commencement de cette discussion et qui, manifestement, vient d’être rompu ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Michelle Demessine. Exactement ! Le secrétaire d’État a montré son vrai visage !
M. le président. La parole est à M. Alain Néri, sur l’article.
M. Alain Néri. Pour ma part, je suis atterré (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)…
M. Didier Guillaume. Nous aussi !
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Alain Néri. … et déçu par le tour que prennent nos discussions ; du reste, je suis persuadé que l’ensemble de la représentation nationale l’est également.
Chacun s’était plu à reconnaître que ce débat se déroulait dans un climat apaisé et serein, animé par une volonté de rassemblement, afin de rendre hommage à toutes les victimes de tous les conflits.
Monsieur le secrétaire d’État, tout un chacun peut, dans certains cas, voir sa parole outrepasser sa pensée. C’est pourquoi, pour conserver aux débats toute la hauteur que mérite leur objet, je vous demande de bien vouloir retirer les propos que vous venez de prononcer (Protestations sur les travées de l'UMP.)…
M. Luc Carvounas. Exactement !
M. Alain Néri. … et qui portent atteinte à la dignité et au respect que méritent tous ceux qui ont donné leur vie pour la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me suis contenté de mentionner un fait historique : en 1940, le pacte germano-soviétique était bel et bien en vigueur !
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Oui !
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. En outre, pour ce qui concerne la manifestation du 11 novembre 1940…
M. Jean-Jacques Mirassou. Et alors ?
M. Didier Guillaume. Quel est le rapport avec notre débat ?
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. Le rapport ? L’une des sénatrices de la gauche a affirmé que les étudiants communistes avaient appelé à ce rassemblement.
Mme Michelle Demessine. C’est la vérité !
Mme Cécile Cukierman. C’est un fait historique !
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. Je rappelle simplement que, à cette date, l’Union soviétique était l’alliée de l’Allemagne nazie ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Alain Néri. Cette remarque était déplacée !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(non modifié)
Lorsque la mention « Mort pour la France » a été portée sur son acte de décès dans les conditions prévues à l’article L. 488 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, l’inscription du nom du défunt sur le monument aux morts de sa commune de naissance ou de dernière domiciliation ou sur une stèle placée dans l’environnement immédiat de ce monument est obligatoire.
La demande d’inscription est adressée au maire de la commune choisie par la famille ou, à défaut, par les autorités militaires, les élus nationaux, les élus locaux, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre par l’intermédiaire de ses services départementaux ou les associations d’anciens combattants et patriotiques ayant intérêt à agir.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, sur l’article.
M. Joël Guerriau. L’article 2 du présent projet de loi fait obligation à toutes les mairies de notre pays d’inscrire sur les monuments aux morts les noms de tous ceux qui ont combattu pour la Nation, quelle que soit la génération du feu dont ils sont issus – y compris donc depuis 1963 – et le théâtre d’opération sur lequel ils sont intervenus, lorsque la mention « Mort pour la France » a été portée sur leur acte de décès dans les conditions prévues à l’article L. 488 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre.
La demande d’inscription est adressée au maire de la commune de naissance ou de dernière résidence, choisie par la famille ou, à défaut, par les autorités militaires, les élus nationaux, les élus locaux, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC, par l’intermédiaire de ses services départementaux, ou les associations d’anciens combattants et groupements patriotiques ayant intérêt pour agir.
Par l’article 3, le présent projet de loi s’applique également aux communes de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française, de Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les îles de Wallis et Futuna.
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Mais nous traitons à présent de l’article 2 !
M. Joël Guerriau. Ces articles répondent aux demandes exprimées depuis de nombreuses années auprès des institutions et dirigeants nationaux par les représentants des associations patriotiques. Ils permettraient d’honorer au cours d’une même journée tous ceux qui sont tombés en faisant leur devoir pour leur pays.
Ce projet de loi et les amendements déposés garantissent, comme l’avait souligné en amont le Président de la République, que cette commémoration ne viendra pas se substituer aux autres. Son but est d’unir et de réunir sous l’égide d’une commémoration nationale, le 11 novembre, l’ensemble de la population, toutes générations, tant civiles que militaires, confondues, afin d’honorer la mémoire de ses morts au service de la Nation.
Nous pouvons nous réjouir de cette initiative permettant, notamment, de souligner l’importance de la cohésion au sein de notre pays et de séparer la considération nationale du devoir de mémoire, en y incluant tous les combattants.
Pour autant, il convient également de veiller à ce que la substitution ou plutôt l’accumulation du souvenir autour d’une même date ne finisse pas par blesser, appauvrir ou stériliser le message transmis à la jeune génération, ainsi que la culture de mémoire qui y est liée.
En 2012, le 11 novembre deviendra la journée de toutes les mémoires, de tous les souvenirs, de tous les morts pour la France, alors qu’un grand nombre de Français identifient de moins en moins l’origine des jours fériés liés aux traditions religieuses, aux guerres ou aux victoires. Ainsi, les sondages attestent que les générations n’ayant pas connu les guerres ignorent si l’on commémore ce jour-là 1918 ou 1945.
Cette journée unique est une formidable occasion pour les historiens et les patriotes d’informer leurs concitoyens. Les autres cérémonies ne disparaîtront pas pour autant du calendrier, car les Français ont la mémoire patriote. Cette date n’occultera pas non plus les autres célébrations historiques, traditions entretenues par de multiples associations et fédérations patriotes qui rassemblent des milliers de familles fidèles.
De surcroît, ce 11 Novembre offre une grande liberté aux élus : celle de poursuivre les commémorations nationales habituelles, en fonction des spécificités locales ; nous en avons tous dans nos départements.
Néanmoins, si les mairies multiplient désormais les commémorations, comme on l’observe clairement aujourd’hui, la fréquentation de ces manifestations ne cesse, hélas, de diminuer régulièrement depuis vingt-cinq ans.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est certain, malheureusement.
M. Joël Guerriau. Cette loi permettra d’organiser une grande commémoration nationale, relayée dans chaque commune, comme l’est le 14 juillet. Ce sera une belle occasion d’organiser des conférences, des expositions publiques, des défilés et des rendez-vous pour le recueillement collectif.
À ceux qui redoutent que ce D-Day du 11 novembre n’amalgame le sacrifice des soldats tombés en Afghanistan, sur la Marne ou à Verdun, je réponds que tous ces combattants sont morts pour la France. Ce 11 Novembre rend hommage à chacun d’entre eux, y compris à nos soldats d’aujourd'hui. C’est une grande affaire à ne pas passer sous silence.
Non, le nouveau 11 Novembre n’endormira ni les consciences, ni les faits historiques, ni le souvenir : bien au contraire, il portera haut les valeurs patriotiques et le souvenir des combattants tombés pour la France. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien résumé !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Mon cher collègue, je vous remercie de votre intervention ; toutefois, je constate que vous avez procédé à une explication de vote sur l’ensemble du texte, dont nous examinons présentement l’article 2 !
Néanmoins, vous m’avez simplifié la tâche, en détaillant avec précision les dispositions essentielles de cet article : je n’ai pas à y revenir.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean Boyer, pour explication de vote.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les hasards de l’existence complètent et prolongent parfois des situations de portée beaucoup plus générale, voire nationale. Je le répète : tel est le cas du terrible drame que nous venons de vivre en Afghanistan. Celui-ci appelle de notre part le respect pour tous ceux qui ont donné et donnent encore leur vie pour la France.
Parmi d’autres présents dans cette assemblée, je suis de ceux qui ont très simplement répondu, sans hésitation ni murmure, à l’appel de la France. C’était normal : c’était ma génération.
Depuis cinquante ans, la France vit en paix, malgré certaines interventions de son armée à l’étranger, qui font que le sang français marque encore le sol de territoires parfois lointains.
En temps de guerre, la mort n’a pas de géographie : elle ne connaît pas de prévisions, elle n’a ni temps identique ni durée. En effet, comme nous le savons tous, mes chers collègues, l’homme ne maîtrise ni le berceau de sa naissance ni le lit de sa mort.
Depuis un siècle, ceux qui ont porté les couleurs de la France là où elle avait décidé d’être présente connaissent le jour de leur incorporation, mais pas leur destinée au sein de l’armée française. Les perspectives spontanées de la mort sont terribles pour ceux qui les ont vécues et qui, Dieu merci, sont encore vivants ; il y en a plusieurs dans cet hémicycle.
Mes chers collègues, Victor Hugo, qui fut des nôtres au siècle dernier, a écrit :
« Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie
Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie ».
J’ajoute qu’ils ont droit à une reconnaissance collective. La mort est, comme nous le savons, la terrible épreuve de la séparation définitive d’avec les siens. Pour un soldat, elle marque également la séparation d’avec la patrie dont il portait les couleurs.
En cette période qui est encore celle des vœux, souhaitons tout d’abord la paix et tirons les enseignements des guerres. La science lutte pour le maintien de la vie, mais la folie de certains veut que les hommes se déchirent, qu’ils s’entre-tuent en déchirant aussi le monde.
Lorsque tous ces serviteurs de la France avancent jusqu’au sacrifice, ils font front derrière un drapeau, un idéal, une solidarité, une volonté : celle de servir la France.
Oui, il faut instituer la journée nationale du souvenir.
Mes chers collègues, lorsque l’on parcourt nos journaux locaux, on observe que, chaque jour, y figure la mention des anciens combattants d’Afrique du Nord. Notre monde combattant doit préserver son unité, cette solidarité qui s’est tissée naturellement entre nous, lorsque nous combattions sur certains territoires. C’est pourquoi la situation actuelle nous irrite, c’est pourquoi nous souhaitons que cette unité combattante – il s’agit d’un mot fort, mais d’un mot vrai pour ceux qui ont vécu de tels instants – soit plus solidaire encore.
Le 11 novembre est indiscutablement le symbole le plus fort, le plus exceptionnel de l’histoire de la France, comme l’illustrent les évocations auxquelles certains orateurs se sont livrés. Pour ma part, j’ai simplement accompli une partie de mon service militaire dans l’est de la France, où les cimetières alternent avec les champs de blé : lorsque l’on est Français et que l’on a un cœur, face à ces paysages, on ne peut qu’éprouver une forte émotion.
Mes chers collègues, la mémoire n’est pas un jeu de construction fragile. Au contraire, elle doit constituer un édifice inébranlable, permettant de rassembler la France. Ceux qui ont servi notre pays avec discipline savent aujourd’hui que l’on ne peut réécrire l’histoire : on peut certes la commenter, mais on doit surtout en tirer les enseignements qui s’imposent. Ils regrettent également que la construction de l’unité combattante, ce combat permanent, soit malheureusement inachevée : il faut garantir l’unité nationale, à laquelle la journée nationale du souvenir contribuera très largement, j’en suis convaincu. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Je serais très curieuse de savoir ce que les jeunes gens présents aujourd’hui dans les tribunes du Sénat pensent de nos débats. J’espère par ailleurs qu’ils auront compris qu’ils doivent se rendre aux manifestations patriotiques.
Pour ma part, je suis élue de la Basse-Normandie, qui est une terre de mémoire : de fait, j’habite à trois kilomètres de ce qui fut le quartier général de Leclerc. Toutefois, ce n’est pas la bataille de Normandie que je souhaite évoquer,…
M. Didier Boulaud, vice-président de la commission des affaires étrangères. Vous avez assisté au débarquement, ma chère collègue ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Exclamations sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
Mme Nathalie Goulet. Non, je vous l’assure !
M. Yves Détraigne. Ce n’est pas très galant de votre part, monsieur Boulaud !
Mme Nathalie Goulet. Je veux profiter de ce débat pour rendre hommage au Souvenir français et à toutes les associations de porte-drapeaux, qui accomplissent un travail de mémoire absolument remarquable.
Entre le débat d’hier et celui d’aujourd’hui, notre hémicycle est décidément lié par le devoir de mémoire, et nous avons montré cet après-midi que nous étions capables de nous retrouver.
Puisque les célébrations patriotiques peinent à rassembler les foules, je veux rendre hommage aux élus qui, de concert avec les professeurs et l’ensemble des responsables des établissements scolaires, œuvrent pour que nos enfants participent à ces manifestations et – chose importante – connaissent La Marseillaise.
L’instauration de cette journée nous permettra aussi de maintenir ces célébrations nationales. En cela, ce texte me semble sous-tendu par une excellente idée : Memorial Day ou pas, cela n’a guère d’importance, dès lors que nous accomplissons le devoir de mémoire.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. À nos collègues qui ont beaucoup travaillé sur le texte que nous avons adopté hier, je veux dire que le 24 avril est en même temps la date du début du génocide arménien et celle de la destruction du ghetto de Varsovie.
M. Didier Guillaume. Et aussi celle du début de la libération des camps de concentration !
Mme Nathalie Goulet. Toutes ces dates sont extrêmement importantes.
Plus nous les célébrerons, plus nous garderons vivant le souvenir des patriotes qui se sont battus et sont morts pour la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri.
M. Alain Néri. Le groupe socialiste votera ce texte, car le devoir de mémoire doit, selon nous, constituer une priorité dans l’éducation des futurs citoyens. C’est en associant les jeunes aux différentes manifestations commémoratives que nous conserverons les valeurs de la République.
Dans chaque commune, le monument aux morts est un lieu de rassemblement et un symbole d’unité. Il vient rappeler que, quel que soit le conflit concerné, ceux qui se sont engagés ont répondu à l’appel de la Nation.
La camaraderie, la fraternité, le respect de la douleur des uns et des autres : autant de signes d’unité que l’on retrouvait dans les tranchées de la Grande guerre comme dans les rangs de la Résistance. Si cette dernière a réuni ceux qui croyaient au ciel comme ceux qui n’y croyaient pas, tous étaient soudés pour défendre les valeurs de la République et rétablir l’État, qui avait été immolé à Vichy un sinistre jour de juillet 1940 !
De même, ceux qui sont partis en Algérie ont accompli leur devoir en répondant à l’appel de la Nation, même si certains d’entre eux se posaient des questions.
La volonté du groupe socialiste s’est exprimée à travers l’amendement que nous avons déposé et défendu en commission. Le fait qu’un amendement identique ait été rejeté à l’Assemblée nationale montre toute l’utilité du Sénat. Nous devons prendre le temps de la réflexion, de l’échange, de l’écoute et ne pas nous précipiter.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, considérez aujourd’hui notre vote comme un appel au respect des personnes et des convictions des uns et des autres, qui savent si bien s’unir dans la défense de la République et de ses valeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme de ce débat, je voudrais saluer le vote de ce texte, à une très large majorité, par le Sénat.
Il est le fruit d’une volonté d’écoute et de dialogue que j’ai très vite ressentie en rencontrant les différentes associations d’anciens combattants. Les unes et les autres ont su affirmer leurs sensibilités avec tact et modération, en préservant l’essentiel, qui constitue le fondement et le cœur de leur action et de leur dévouement et qui s’exprime si fortement devant nos monuments aux morts lorsque retentit le clairon et que leurs porte-drapeaux inclinent leurs étendards dans un même mouvement d’hommage aux morts.
Cette volonté d’écoute et de dialogue, je l’ai retrouvée au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, lorsque nous avons pu, par une approche progressive, avec notre collègue Alain Néri, avec vous, monsieur le secrétaire d’État et avec les commissaires de toutes sensibilités politiques, parvenir à un accord sur un texte simple et explicite, qui apaise les malentendus, rassure et donne à chacun le sentiment d’avoir fait œuvre commune.
Cette volonté d’écoute et de dialogue, je l’ai également perçue au cours de cette séance, où nous avons, par ce vote, mes chers collègues, montré que nous sommes capables de transcender nos clivages politiques et de nous unir quand il s’agit d’honorer ceux qui sont morts pour la France.
De la sorte, nous procédons à un acte essentiel, attendu par nos concitoyens et qui constitue l’ultime hommage rendu par le Sénat, en ce jour si particulier, à nos soldats morts pour la France en Afghanistan le 20 janvier dernier : le brigadier-chef Geoffrey Baumela, les adjudants-chefs Denis Estin et Fabien Willm, ainsi que le sergent-chef Svilen Simeonov, lui-même déjà éprouvé par la mort, en novembre et décembre de l’année dernière, de trois de ses camarades de régiment, le première classe Goran Franjkovic, le sergent-chef Damien Zingarelli et l’adjudant-chef Mohammed El Gharrafi.
Je conclurai mon propos en saluant la présence dans nos tribunes d’un groupe important de jeunes, dont je félicite aussi les professeurs. (Applaudissements.)
En assistant à notre débat, ils ont pu constater que, si nous avons les uns et les autres des idées bien arrêtées, et souvent des divergences sur le sens à donner à l’histoire, nous savons aussi, très majoritairement, nous unir pour honorer les morts pour la France. (Vifs applaudissements.)