M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar des orateurs précédents, je tiens à rendre un hommage appuyé et solennel à la mémoire des quatre soldats disparus vendredi dernier ; j’ai une pensée particulière pour leurs familles, leurs proches, leurs camarades, ainsi que pour toute la communauté du monde combattant.
Évoquant les combattants d’hier et leurs descendants, m’adressant à ceux d’aujourd’hui et de demain, je veux saisir l’occasion qui m’est ici donnée pour leur témoigner notre attachement, leur exprimer le grand respect et la profonde admiration qu’ils nous inspirent.
Dans cet hémicycle, nous n’avons que trop rarement l’occasion de nous livrer à une véritable réflexion sur le monde combattant, sur ses acteurs militaires ou civils et sur leur rôle essentiel au sein de notre société, une société en quête de repères et dont les valeurs traditionnelles sont souvent malmenées.
Aussi, à cette tribune, je veux saluer tout particulièrement les associations et rappeler qu’elles assument des responsabilités. L’examen de ce projet de loi est l’occasion de souligner leur rôle fondamental en ce qui concerne l’entretien et la transmission de la mémoire nationale, dans une société civile aujourd’hui souvent éloignée des réalités militaires, peu consciente du lien fort entre l’armée et la Nation, voire sujette à un certain antimilitarisme.
Quoi qu’il en soit, les associations sont, au quotidien, le relais indispensable du « rendre honneur » et du « savoir commémorer ».
Par leurs actions, elles participent à l’indispensable ancrage dans les esprits de notre histoire, de nos valeurs et de nos idéaux, et ce au plus profond de nos territoires.
Cet après-midi, je salue l’adoption en commission à l’unanimité de ce projet de loi. Preuve est ainsi donnée que le devoir de mémoire envers ceux qui se sont sacrifiés pour la République dépasse les clivages politiques. Les questions de mémoire ne sont l’apanage d’aucun parti ni d’aucun groupe, ce dont nous pouvons être collectivement fiers.
Si la date du 11 novembre semblait s’imposer d’elle-même, je me félicite que M. le rapporteur ait accepté, dans sa grande sagesse, un amendement visant à préciser que celle-ci ne se substituerait pas aux autres commémorations.
L’article 2 permet l’inscription des noms de nos braves sur les monuments aux morts, mais encore faut-il créer les conditions de rassemblement de la Nation autour de ces monuments et autour des frères d’armes de ceux que l’on célèbre. Cela ne peut se faire sans pédagogie, sans l’éducation des jeunes générations.
Le « savoir commémorer » ne peut pas reposer sur le seul relais associatif ou sur la seule Journée du citoyen. Il doit passer d’abord par l’école de la République et par un projet mémoriel collectif. Il y va de la pérennité de notre esprit de défense et du témoignage de notre patriotisme.
Pour l’historien Pierre Nora, la commémoration est l’expression concentrée d’une histoire nationale, un moment rare et solennel. Rien n’est plus vrai, mais les législateurs que nous sommes doivent aller au-delà.
Mme Nathalie Goulet. On l’a vu hier !
M. André Trillard. Sans doute, mais il ne faut pas aller trop loin non plus…
C’est pour cette raison, mes chers collègues, que je souhaite attirer votre attention sur un point précis. Depuis la fin du service militaire, notre armée connaît un turn-over nécessaire aux nouveaux besoins opérationnels. Bon nombre de jeunes y auront commencé une carrière, mais retourneront à la vie civile.
Ces soldats sont de futurs jeunes vétérans. Beaucoup d’entre eux, qui rentrent d’OPEX, se heurtent à une certaine indifférence, et parfois à l’incompréhension d’une société pour qui le don de soi pour la patrie n’est pas une évidence.
Pourtant, ces vétérans d’un genre nouveau sont les ambassadeurs de valeurs inestimables telles que le dépassement de soi, le courage et la discipline.
De la même façon que la Nation doit rendre un hommage collectif à ceux qui sont tombés au champ d’honneur, elle ne doit pas oublier ni abandonner ceux qui en reviennent, parfois marqués psychologiquement et physiquement à vie. En cet instant, je pense à nos soldats hospitalisés à l’hôpital Percy.
Dans le même esprit, je dédie mon propos à tous ceux qui sont rentrés du Liban, de Côte d’Ivoire, du Kosovo et d’Afghanistan. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre du texte fixant au 11 novembre la date de commémoration de tous les morts pour la France.
Comme Alain Néri l’a annoncé, le groupe socialiste votera ce texte. Pour autant, ce projet de loi, qui fait suite au discours qu’a prononcé le Président de la République le 11 novembre dernier, suscite quelques interrogations. J’en ai relevé au moins quatre.
Premièrement, pourquoi engager la procédure accélérée sur un tel texte ? Dans le contexte actuel, d’autres sujets n’étaient-ils pas plus urgents ? Ne faut-il pas déceler dans cette précipitation l’arrière-pensée d’un bénéfice électoral à tirer dans quatre-vingt-dix jours ?
Deuxièmement, pourquoi choisir le 11 novembre ? N’existait-il aucune autre possibilité, aucune autre date spécifique et plus appropriée ?
Troisièmement, le Président de la République ne s’engage-t-il pas sur la voie aventureuse d’une américanisation de la commémoration du 11 novembre, avec une sorte de Mémorial Day qui ne dirait pas son nom ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Ronan Kerdraon. Quatrièmement, ne craignez-vous pas, par cette confusion mémorielle, de légitimer les guerres impérialistes menées par la France ?
Certes, depuis plus de vingt ans, notre pays se trouve engagé sur de multiples théâtres d’opérations extérieures : Liban, ex-Yougoslavie, Afghanistan.
Beaucoup de soldats, trop bien sûr, sont morts : depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce sont plus de 600 militaires qui sont tombés pour la France, et quatre encore à la fin de la semaine dernière.
Leur sacrifice mérite respect et reconnaissance de la part de la Nation tout entière.
Cependant, ma conviction est que ces engagements n’ont pas la même portée historique, humaine et géopolitique que la Grande Guerre.
L’ampleur inégalée du drame qu’a représenté pour la France la Première Guerre mondiale justifierait, s’il en était besoin, que soit maintenue la spécificité de la cérémonie du 11 novembre.
Selon moi, le 11 novembre aurait dû rester consacré à la commémoration de l’armistice de la guerre de 1914-1918, terrible carnage qui fit plus de 10 millions de morts et qui devait toucher presque toutes les familles. Souvenons-nous des écrits d’Henri Barbusse, pour la France, et d’Erich Maria Remarque, pour l’Allemagne.
Le 11 novembre aurait dû rester l’occasion du rappel des ravages des nationalismes, des esprits de revanche et des haines entretenues pour de mauvaises causes.
Par ailleurs, la Première Guerre mondiale marque véritablement l’entrée dans le XXe siècle. La carte de l’Europe a été redessinée par le traité de Versailles, les empires allemand, austro-hongrois et russe ont disparu, des alliances se sont nouées, de nouveaux États ont vu le jour et la Société des nations a été créée.
En outre, monsieur le secrétaire d’État, adopter ce texte sans la garantie du maintien des autres dates mémorielles, dont celle du 8 mai, serait en contradiction avec les efforts que nous faisons, en tant qu’élus, dans nos communes sur la Première Guerre mondiale, mais aussi sur la Deuxième Guerre mondiale, la Résistance, la Libération ou encore la Déportation.
N’était-il pas plus urgent de revenir sur les réformes des programmes d’histoire ayant conduit, depuis 2009, à un appauvrissement et à un affaiblissement inquiétants de cet enseignement, qui demeure pourtant l’un des meilleurs remparts contre les dérives de toute nature ?
Pour autant, nous sommes également persuadés qu’un hommage spécifique doit être rendu aux soldats morts ou blessés en opérations extérieures. C’est pourquoi nous regrettons que l’organisation d’une cérémonie en leur mémoire n’ait pas fait l’objet d’une réflexion approfondie, comme ma collègue l’a souligné, et d’un véritable débat, non seulement avec les associations patriotiques, avec les élus, mais aussi avec le milieu enseignant.
Toutefois, je ne crois pas que cet hommage puisse se faire au détriment de la réalité historique, de la confusion et de la mémoire d’un conflit dont il ne reste plus aujourd’hui de témoins. Je suis intimement persuadé que le souvenir et le sens des conflits ne doivent pas s’effacer avec la disparition des combattants.
Par ailleurs, j’ai constaté dans mon département, notamment dans ma commune, que l’idée de commémorer à une même date l’ensemble des morts pour la France est loin de faire consensus.
Certes, monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez rassurés en annonçant qu’aucune commémoration ne serait supprimée. Nous en prenons acte. Cela étant, nous préférons que la précision figure noir sur blanc dans la loi, car nous savons ce que valent les engagements du Gouvernement et du Président de la République, ce quinquennat ayant été marqué par une longue suite de reniements !
Nous n’avons pas à écrire une histoire officielle. En revanche, un double constat unanime peut, à mon sens, être fait : le peu d’appétence de nos concitoyens pour les commémorations et un sens de ces dernières quelque peu brouillé.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est sûr !
M. Ronan Kerdraon. Dès lors, quel rôle doit jouer le Parlement dans les commémorations ? De fait, quelle place tiennent-elles au sein de la Nation ? Sont-elles utiles, indispensables ? Faut-il en supprimer ou en choisir d’autres ? Quelles sont les valeurs à inclure dans ces commémorations ?
Comme réponse à cette dernière question, je fais mienne la position adoptée par André Kaspi, qui affirmait : « Les valeurs à inclure dans ces commémorations doivent reposer sur trois piliers. Les valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité, démocratie ; les valeurs patriotiques : héroïsme, sacrifice, indépendance nationale, paix, engagement ; les valeurs sociales : adhésion à la Nation, réhabilitation des victimes, respect, citoyenneté. »
Malheureusement, le texte que vous nous proposez aujourd’hui est loin de répondre à toutes nos interrogations. Surtout, il ne traite le véritable sujet qu’au travers d’un prisme, certes indispensable, mais réducteur.
Pour autant, et dans la mesure où la commission a adopté l’amendement déposé par Alain Néri, au nom du groupe socialiste, qui permet de garantir le maintien des dates mémorielles existantes, nous approuverons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le peuple français est paradoxal : cela vient d'être souligné, nous avons de nombreuses commémorations, mais nous savons aussi cultiver dans le même temps l'autodénigrement, voire la repentance.
Ce paradoxe apparent cache, en réalité, un attachement des Français à leur histoire, à leur pays et à leur identité. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez été, comme moi, témoin de cet attachement lors de la célébration du soixantième anniversaire de la mort de Jean de Lattre de Tassigny, à Mouilleron-en-Pareds, le village de naissance de ce grand soldat français, ainsi que d’un autre grand homme, Georges Clemenceau, dont vous vous souvenez aussi, mes chers collègues, qu’il fut sénateur.
Malgré l'heure matinale et la froidure, plus de 1 000 personnes s’étaient ce jour-là déplacées pour témoigner leur profond attachement, mais aussi leur reconnaissance et leur gratitude à l’égard de ce grand soldat, habitées aussi qu’elles étaient, je n’en doute pas, du souvenir de tous les soldats morts pour la France, dans des circonstances souvent dramatiques.
Aujourd'hui, en votant tous ce projet de loi, nous allons faire une belle œuvre. Ce texte nous permet, en effet, de répondre à un triple devoir : un devoir de mémoire, un devoir d'unité, mais, surtout, un devoir de transmission aux nouvelles générations.
Le devoir de mémoire, qui est souvent rappelé, est affaire de justice et de civilisation.
Il est affaire de justice dans la mesure où lutter pour le souvenir de tous ceux qui sont morts pour la France, quelle que soit la génération du feu, revient à combattre une injustice. Car oublier les morts pour la France, c’est, dans l’espace symbolique de la mémoire, leur donner une seconde fois la mort. À une époque où l’actualité raccourcit dramatiquement l'Histoire et où l’instant gouverne tout, il importe d'ancrer dans un jour particulier cet effort, qui doit rassembler la communauté nationale.
Il est également affaire de civilisation, car il n’y a pas de civilisation sans mémoire. Les sociétés sans mémoire sont des sociétés barbares. On a commis l’erreur, finalement fatale, de croire que le devoir de mémoire ne se rapportait qu’au passé. Bien au contraire, il concerne aussi l'avenir. C'est, à mon avis, le sens à donner à cette phrase que j’ai lue dans l’un des très beaux romans de Dostoïevski que je cite de mémoire : les peuples sans mémoire sont condamnés à mourir de froid.
Après le devoir de mémoire, nous avons un devoir d'unité.
Mes chers collègues, cette leçon nous a été donnée, à leur manière, par Clemenceau, avec l'Union sacrée, et par le maréchal de Lattre de Tassigny, avec la 1ère armée composée de résistants et de soldats professionnels.
Je pense aussi bien sûr à ceux qui sont morts dans les rizières ou le djebel et à ceux qui tombent aujourd'hui encore en Afghanistan pour défendre les valeurs de la France, pour défendre les valeurs de la République. Nous sommes tout à fait d’accord, chers collègues.
Oui, l’unité nationale doit aussi se faire autour de la mémoire. Nous en avions sans doute besoin face à l'adversité militaire d’hier ; elle nous est aujourd'hui d’autant plus nécessaire face à l’adversité économique que notre tissu social est aujourd’hui déchiré, par le haut et par le bas, aussi bien par l’hyper-individualisme, au nom duquel l'individu tire tout de la collectivité sans jamais rien lui devoir, que par le communautarisme. À cet égard, vous en conviendrez, mes chers collègues, la France n’est pas une rencontre de hasard : elle est beaucoup plus qu'une juxtaposition d'individus, beaucoup plus qu'un archipel de tribus ou de communautés.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Bruno Retailleau. S’associer tous ensemble pour voter ce projet de loi afin de reconnaître une seule et même mémoire pour tous les combattants français, c'est faire œuvre d'unité.
Notre troisième devoir, qui concerne l’avenir, porte sur la transmission. La mémoire ne doit pas seulement être tournée vers le passé : elle doit être vivante. La transmission est aussi essentielle que le devoir de commémoration lui-même.
De ce point de vue, ce texte sera positif s’il encourage les efforts de pédagogie réalisés dans les écoles à l’adresse des jeunes générations dont nous avons précédemment parlé. Il s’agit d’un point fondamental, car il faut montrer à notre jeunesse le côté positif de l’amour que l’on peut porter à son pays. Et je citerai ici Romain Gary, qui faisait une distinction entre le patriotisme, qui est l'amour des siens, et le nationalisme, qui est la haine des autres.
Ce texte devrait également contribuer à soutenir le civisme. En effet, comment, dans ce monde aplati par la mondialisation, faire vivre sans civisme une civilisation, une société, une cité ? Or le civisme, c’est avoir le courage d’enseigner à nos enfants qu’ils peuvent avoir, un jour, à donner au pays autant qu'ils ont reçu de lui.
Monsieur le secrétaire d'État, votre projet de loi ne nous parle pas seulement de ces valeurs éternelles de notre République qui sont si chères à nos cœurs, où que nous siégions dans cet hémicycle, et pour lesquelles des Français meurent encore, notamment à l'étranger ; il nous dit également les raisons qu’ont les Français de vivre encore ensemble aujourd’hui et demain. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de ce débat qui honore votre assemblée, comme cela fut aussi le cas à l'Assemblée nationale. La discussion, qui a été d’une très haute tenue, a montré notre patriotisme, que Bruno Retailleau vient d’évoquer pour l’opposer au nationalisme, et notre attachement commun à la Nation et aux valeurs républicaines.
Permettez-moi tout d’abord de remercier Marcel-Pierre Cléach pour son excellent rapport. J’espère lui avoir montré que les inquiétudes qu’il nourrissait n’étaient pas fondées : nous n’avons jamais envisagé de supprimer toutes les autres dates de commémoration au profit d’un Memorial Day, ni d’établir une hiérarchie entre ces différentes commémorations. Toutes les autres dates commémoratives seront maintenues, et c’est tout à fait normal.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. Je veux maintenant tenter d’apaiser les inquiétudes qui se sont exprimées sur d’autres sujets.
Mme Aïchi a regretté que le texte ne concerne que la commémoration des militaires morts pour la France. Mais, madame la sénatrice, ce sont bien les morts pour la France tant civils que militaires qui seront commémorés le 11 novembre.
Par ailleurs, cette date ne représente pas seulement une victoire des Français sur les Allemands : elle permet de commémorer le jour de la paix ; en témoigne d’ailleurs la loi de 1922. C’est cela qu’il faut retenir, et qui ne saurait être compris comme un geste agressif envers l’Allemagne.
L’un des intervenants, cela m’a assez choqué, a fait remarquer que les engagements variaient selon les conflits. Je peux vous assurer que, même si le nombre de morts n’est plus aussi élevé qu’avant, l'engagement de nos soldats est toujours le même. Et un soldat qui meurt, c’est toujours un soldat qui a été envoyé par un gouvernement de la République et qui est tombé pour défendre les valeurs de la France.
Souvenons-nous de cette bataille exemplaire qui a eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1940, la France était à genoux. Si elle a pu rejoindre la table des vainqueurs, c’est grâce aux résistants, à la France libre, au général de Gaulle, à la division Leclerc, qui a remonté tout le désert depuis N'Djamena pour arriver en Afrique du Nord ; c’est grâce aussi à l’armée du général de Lattre de Tassigny, précédemment évoqué.
M. Jean-Pierre Raffarin. Eh oui !
M. Marc Laffineur, secrétaire d'État. Ce sont aussi les 340 000 soldats de l'armée d'Afrique qui sont venus pour libérer la France.
C'est pour cela que nous avons obtenu un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, un siège qui nous donne des droits, mais également des devoirs. C'est la raison pour laquelle la France est engagée dans les conflits actuels. Nous avons des valeurs, et nous ne sommes pas un pays comme les autres.
Si la France ne représente que 1 % de la population mondiale, elle pèse pourtant bien plus lourd grâce aussi à son armée, à sa défense, à ses soldats qu’elle envoie dans des opérations extérieures et qui, malheureusement, y laissent quelquefois leur vie. Mesdames, messieurs les sénateurs, n'oublions jamais qu'ils tombent pour la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Le 11 novembre, jour anniversaire de l’armistice de 1918 et de commémoration annuelle de la victoire et de la Paix, il est rendu hommage à tous les morts pour la France.
Cet hommage ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationales.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.
M. Roland Courteau. Ce projet de loi vise à faire du 11 novembre une date de commémoration générale pour tous ceux qui sont morts pour la France et d onc à conférer à cette date une vocation en somme plus généraliste.
Je me réjouis que ce texte permette de rendre hommage également à nos soldats morts en opérations extérieures et que la date du 11 novembre soit dorénavant considérée comme un grand moment de mémoire. Je suis cependant surpris que ce projet de loi soit discuté en urgence, à la fin du quinquennat.
J'ai entendu dire que cette décision s’expliquait par la préparation du centenaire du début de la Grande Guerre qui, chacun le sait bien évidemment, aura lieu en 2014. Dès lors, pourquoi avoir engagé la procédure accélérée ? Peut-être le Gouvernement souhaitait-il faire adopter ce texte avant la fin du mandat présidentiel ? On serait alors bien loin du seul souci de commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale…
Mais un autre point me préoccupe. Le Président de la République a indiqué qu'aucune commémoration ne serait supprimée. Je me permets de signaler que cet engagement ne figurait ni dans l'exposé des motifs du projet de loi ni dans l'article unique du texte qui nous était initialement soumis. Or, ce qui m’inquiétait et ce que les associations d’anciens combattants craignaient, c’est non pas l'extension du champ de la commémoration, mais l’éventuelle transformation du 11 novembre en une date unique de commémoration.
L'amendement qui a été adopté en commission sur proposition d’Alain Néri et de mes collègues du groupe socialiste est de nature à nous rassurer, et avec nous les associations, car nous redoutions que ce projet de loi ne soit la porte ouverte à la suppression des autres commémorations. Cette question était, pour nous, centrale.
Mes chers collègues, oui, les grandes dates doivent être maintenues. La mémoire ne supporte pas la confusion. Chaque conflit possède ses caractéristiques propres, et la troisième génération du feu également. J'espère que nous aurons l'occasion de revenir prochainement sur le sujet. Chaque commémoration doit donc garder sa spécificité et son sens, et ce notamment dans un souci de pédagogie à l’égard des jeunes générations.
Oui, mes chers collègues, il faut que souffle sans cesse le vent de l’Histoire pour rappeler les sacrifices endurés.
Victor Hugo, siégeant en son temps sur ces mêmes travées, le disait avec beaucoup de pertinence : « Les souvenirs sont nos forces, ils dissipent les ténèbres, et quand la nuit essaie de revenir, il faut toujours allumer de grandes dates comme on allume des flambeaux ! » Cela se passe de tout commentaire… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Christian Namy, sur l'article.
M. Christian Namy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon propos sera principalement consacré à l’article 1er du texte modifié par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il portera sur trois points.
Le premier concerne l’évolution de la définition du 11 novembre.
En 1922, le Parlement en a fait le jour anniversaire de l’armistice de 1918, de la victoire et de la paix. En 2012, le Parlement souhaite y ajouter un hommage à tous les morts pour la France. Nous pourrions nous poser la question suivante : cette dualité annoncée risque-t-elle d’amoindrir la perception historique de la Grande Guerre ?
Je ne le crois pas, car l’intérêt pour la Grande Guerre, que nous sentons reprendre de l’ampleur dans de nombreux secteurs de l’opinion publique, n’est pas uniquement centré sur la cérémonie du 11 novembre. La recherche historique sur la Grande Guerre connaît un formidable renouveau. La matérialisation du souvenir se diversifie de manière exceptionnelle. Permettez au président du conseil général de la Meuse, haut lieu de la guerre de « 14-18 », d’en témoigner.
Il nous appartient cependant d’être vigilants, et je pense ici au rôle des élus locaux afin que le souvenir de 1914-1918 demeure au cœur des cérémonies du 11 novembre.
Le deuxième point concerne ce que je dénommerai les risques de dégâts collatéraux de l’élargissement du 11 novembre.
L’hommage rendu à tous les morts pour la France transformera-t-il le 11 novembre en un Memorial Day à la française ? La réponse est clairement négative pour tous les conflits qui bénéficient d’une journée commémorative : je pense à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre de décolonisation. L’existence de ces journées commémoratives garantit la sauvegarde d’une mémoire combattante spécifique.
La réponse est en revanche différente pour tous les conflits qui ne possèdent pas de journée commémorative, en particulier toutes les interventions françaises à l’étranger depuis la fin de la guerre d’Algérie. Pour ces interventions militaires, le 11 novembre deviendra la journée commémorative.
Compte tenu de l’émiettement de ces interventions et, heureusement, du nombre comparativement plus faible de tués par rapport à ce qu’il fut lors des grands conflits mondiaux, l’idée de rassembler ces mémoires sur une date aussi forte que celle du 11 novembre est une bonne idée.
Le troisième point, enfin, concerne le concept même de « Mort pour la France ».
Ce concept est inscrit dans la loi. Mais connaissons-nous bien ce qu’il sous-tend ? La mention « Mort pour la France » a été créée en 1915. Elle ne s’applique donc pas aux conflits antérieurs à la Première Guerre mondiale. De plus, l’attribution de cette mention n’est pas automatique, mais dépend nécessairement de l’intervention de l’administration. Le ministère des anciens combattants en fut chargé pour les deux conflits mondiaux, le ministère de la défense en est aujourd’hui chargé pour les OPEX.
J’appelle ici solennellement votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur l’impérieuse nécessité, pour ce ministère, d’étudier chacun des dossiers des combattants tués hors du sol français.
En conclusion, je vous dirai simplement, mes chers collègues, mon soutien à cet article 1er du texte issu des travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Luc Carvounas, sur l'article.
M. Luc Carvounas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souscris, avec vous tous ici, à la nécessité de réaffirmer le respect de la Nation au monde combattant de toutes les générations du feu.
Nous devons, chacun le reconnaîtra, être les gardiens vigilants du devoir de mémoire comme expression d’une priorité nationale.
Nous rendons aussi hommage à ceux qui ont donné leur vie pour la France, et nous construisons ensemble l’instruction civique de nos jeunes.
Se souvenir, c’est ne pas oublier que la paix dont nous jouissons aujourd’hui est intimement liée aux sacrifices que plusieurs générations de soldats ont faits avant nous et pour nous.
Je suis d’une génération politique qui n’a pas connu la guerre. Aussi, je ne peux que me satisfaire du consensus existant au sein de la représentation nationale quant à la nécessité de commémorer les disparus des missions et opérations extérieures.
Cependant, je ne peux que regretter, une nouvelle fois, la méthode utilisée par le Gouvernement. Pourquoi a-t-il choisi de ne pas traiter toute la question du calendrier des commémorations ? Le débat sur la politique de mémoire ne méritait-il pas une autre hauteur de vues et le temps de la nécessaire et utile concertation ?
Mes chers collègues, nous sortons d’un long, beau et grand débat qui a mis au cœur de nos échanges l’Histoire et la mémoire.
Hier, chacun d’entre nous a pu mesurer combien ces questions sont difficiles…