M. Yvon Collin. Bien !
M. Robert Tropeano. Pour autant, cela ne doit pas occulter toutes les autres manifestations commémorant les accidents de l’Histoire.
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Robert Tropeano. Je pense notamment au 8 mai 1945, à la Journée nationale d’hommage aux morts pour la France en Indochine, à celle qui est consacrée aux harkis et, bien sûr, à l’hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie.
D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, en cette année du cinquantenaire de la signature des accords d’Évian, je souhaiterais que le 19 mars et la fin de la guerre d’Algérie soient commémorés d’une manière particulière.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Robert Tropeano. Je n’oublie pas non plus toutes les manifestations dédiées aux victimes d’actes de barbarie.
Je me réjouis de constater que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a modifié l’article 1er afin de préciser que l’hommage créé ne se substituait pas aux autres journées de commémoration nationales. Vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, et je vous en remercie.
Cette précision est en effet importante. Une majorité d’associations réunies dans un comité d’entente avaient approuvé le projet de loi initial. Mais plusieurs d’entre elles avaient craint que cette initiative ne crée à terme une sorte de Memorial Day. J’ai moi-même partagé cette inquiétude, car l’instauration d’une journée unique pourrait en effet diluer les enjeux mémoriels propres à chacune des commémorations qui jalonnent actuellement le calendrier national.
Cette réserve étant désormais écartée, le groupe RDSE apportera son soutien à ce projet de loi, qui présente un double intérêt.
D’une part, comme l’a clairement indiqué notre collègue rapporteur, le dispositif permettra de construire un lien entre les victimes des différents conflits. Au cours de cette dernière décennie, la multiplication des commémorations publiques ou nationales tend à fragmenter la mémoire collective. Cette nouvelle journée sera l’occasion d’exprimer la continuité de l’engagement des générations pour les valeurs intemporelles de liberté et de fraternité.
D’autre part, le choix de célébrer tous les « morts pour la France » permet d’associer l’ensemble de ceux qui ne sont actuellement pas représentés par une journée commémorative. Je pense en particulier aux soldats morts en opérations extérieures, plus de 600, comme vous l’avez précisé, monsieur le secrétaire d’État.
Malheureusement, cette liste s’allonge avec le temps. Vendredi dernier, en Afghanistan, ce sont quatre de nos soldats qui ont été tués et seize autres blessés dans la province de la Kapisa. Leur courage et leur sens du devoir méritent toute notre compassion. L’actualité nous rappelle ainsi, de manière tragique, les dangers encourus par tous ces combattants, l’éloignement géographique faisant presque oublier à nos concitoyens que des jeunes gens sont prêts à faire don de leur vie pour un idéal de paix universelle.
Mes chers collègues, ce texte est de nature à donner un nouvel élan à la politique de commémoration, qui doit rester vive, parce qu’elle est un vecteur essentiel de l’unité nationale et l’instrument d’une transmission des valeurs républicaines d’une génération à l’autre. Dans une société que bien d’autres sujets divisent, le rassemblement autour d’une mémoire partagée participe de la cohésion nationale.
J’ajouterai que cela demeure fondamentalement un hommage à tous ceux qui ont versé leur sang sur l’autel de la liberté pour défendre les valeurs de la République. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste, de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. « Jamais je n’avais pensé que de telles atrocités pouvaient se passer. Dans mon imagination d’humain, ce n’était pas possible. » Tout est dit, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ce témoignage du dernier des tirailleurs sénégalais, de la boucherie que fut la Première Guerre mondiale.
« Plus jamais ça ! », scandait-on au lendemain du 11 novembre 1918. Il est de notre devoir d’obéir à cet ardent souhait et de perpétuer ce message pacifiste en commémorant les morts de la Grande Guerre.
À l’aube du centenaire du déclenchement du conflit, alors que les derniers poilus nous ont quittés, perpétuer le souvenir de cette atrocité est un impérieux devoir pour les générations futures.
Ainsi, pour donner une nouvelle actualité à la commémoration du 11 novembre, le Gouvernement a souhaité que la Nation rende hommage à tous les morts pour la France à cette date.
Alors que nous sommes encore sous le choc de la perte de quatre de nos soldats en Afghanistan, les écologistes ne peuvent qu’approuver un projet de loi visant à commémorer les morts en opérations extérieures. Après tout, « seuls les morts ont vu la fin de la guerre », dit l’adage.
Le principe d’une non-discrimination des morts pour la France permettant d’intégrer ces soldats ayant perdu la vie en OPEX est une idée juste.
Dès lors je voterai, ainsi que l’ensemble du groupe écologiste, en faveur de ce projet de loi.
J’émets cependant quelques réserves sur le contexte dans lequel nous votons ce texte, et je voudrais vous en faire part, monsieur le secrétaire d’État, car je ne saurais en faire l’économie dans cette discussion.
À cent jours de l’élection présidentielle, le caractère électoraliste de ce projet de loi n’échappe à personne. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Pourquoi le Gouvernement aurait-il engagé une procédure accélérée si ce n’était pour s’assurer les voix des militaires et des anciens combattants lors des échéances des mois prochains ?
Monsieur le secrétaire d’État, cette précipitation du Gouvernement pénalise toute la Nation. En effet, les lois à caractère historique jouent un rôle capital dans le façonnement de la mémoire collective. Or seul un long débat peut être susceptible d’apporter une réponse apaisée à une si délicate question.
Je me permets également d’émettre des doutes quant à l’opportunité du choix de la date du 11 novembre.
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
Mme Leila Aïchi. Si elle correspond à la fin de la barbarie et à l’élaboration de projets pacifistes telle que la construction de la Société des nations, cette date est aussi celle de la défaite de l’Allemagne, défaite que le traité de Versailles a rendue humiliante. Alors que nous souhaitons et œuvrons pour une intégration européenne toujours plus importante et que le couple franco-allemand nous est si cher, la date du 11 novembre, monsieur le secrétaire d’État, était-elle réellement la plus appropriée ?
Pour la commémoration de nos morts, la symbolique du 8 mai est plus adéquate. Elle marque la fin des dictatures fasciste et nazie. Mieux encore, nous aurions pu retenir celle du 9 mai, ce jour de 1950 où furent jetées les bases de la construction d’une Europe se fondant sur la paix et la coopération. Ces dates possèdent en effet une charge émotionnelle beaucoup moins belliqueuse. Mais là n’est pas mon principal regret.
Mon véritable regret est que, dans votre précipitation à faire voter cette loi, vous nous avez privés d’un débat apaisé sur ce que doit être la commémoration aujourd’hui.
En premier lieu, je m’interroge sur le visage de ces « morts pour la France ». Qui commémore-t-on ? La Grande Guerre a aussi causé la perte de nombreux civils. Sont-ils comptés au nombre des « héros de la Nation » ? Non ! Ces morts-là, ces victimes innocentes, n’ont pas de monument.
En instituant le 11 novembre un hommage à tous les soldats morts pour la France, vous réaffirmez le caractère militaire de cette commémoration. C’est là un nouveau pas qui nous éloigne du souvenir des victimes civiles de la guerre.
Pourtant, ce projet de loi était l’occasion de repenser notre conception de la commémoration.
Un débat apaisé aurait permis de retravailler le sens que nous donnons au mot « héros ».
Il est certain qu’il ne suffit pas d’obéir à la hiérarchie militaire au sacrifice de sa vie pour être un héros. Les mutins de la Grande Guerre ont rejeté l’absurdité et la barbarie dans laquelle la Nation se trouvait. Ils ont bravé une autorité militaire devenue absurde. À ce titre, ils étaient aussi des héros.
Il est temps de rendre grâce à ces acteurs de la paix, dont la mémoire a été salie pour les besoins de l’Union sacrée.
Un débat apaisé nous aurait permis de reconsidérer la mémoire de Jean Jaurès. Son assassin, Raoul Villain, a été acquitté et son procès annulé, toujours au nom de l’Union sacrée. L’Histoire a donné raison à Jaurès. Qu’attendons-nous pour le rétablir dans son honneur, et reconnaître ce que nous lui devons ?
Il est, certes, important de rendre hommage à tous les morts pour la France. Mais nous vivons aujourd’hui dans un ordre assis sur l’entente et le droit. Aussi nous faut-il rendre hommage à ceux qui font la « guerre à la guerre » et aux « nouveaux Jaurès », acteurs de la paix. Je pense aux travailleurs humanitaires, aux journalistes et aux militants des droits humains.
Vous nous privez de ce débat, monsieur le secrétaire d’État, mais n’est-ce pas précisément de bonne guerre ? Je veux bien admettre qu’il soit plus difficile de légiférer sereinement quand on se sent menacé par le vent du « changement ». (Murmures sur les travées de l'UMP.)
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’espère seulement que le vent du « changement » nous permettra dans quelques mois d’avoir un débat digne des acteurs de la paix et des enfants de Jaurès. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Exclamations indignées sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vendredi dernier, nous avons encore perdu quatre de nos soldats en Afghanistan, ce qui porte ainsi le tribut que la France a dû verser à la lutte contre le terrorisme à quatre-vingt-deux hommes en dix ans.
Les guerres changent, mes chers collègues, mais elles exigent toujours le même douloureux prix du sang. Le siècle dernier s’est chargé de nous rappeler cette règle, hélas ! immuable : quatre générations d’hommes et de femmes ont fait le sacrifice de leur vie ou vu disparaître leurs proches. Il n’y a pas une famille en France qui ne porte en elle la trace de cette histoire.
Lazare Ponticelli, dernier survivant de la Première Guerre mondiale et ancien résistant, restera comme l’un des symboles les plus vibrants de cette histoire douloureuse qui traverse les générations. Il nous a quittés le 12 mars 2008, à l’âge de cent dix ans, après avoir vécu un siècle de fer, rompant ainsi le lien du témoignage vivant qui nous reliait à l’une des guerres les plus meurtrières de l’histoire.
Pour autant, Lazare Ponticelli ne nous a pas laissés comme des héritiers sans testament. Sa vie durant, il s’est élevé contre l’oubli relatif dans lequel ses compagnons d’armes avaient pu être plongés.
Il n’y a pas que des soldats inconnus et nous ne sommes pas redevables qu’aux poilus, pensons aussi aux soldats de la France libre, aux résistants, aux hommes pris au piège de la cuvette de Diên Biên Phú, à ceux qui sont partis sous l’égide d’un mandat international défendre à l’autre bout du monde notre conception de la liberté, et à tant d’autres encore.
Très nombreux sont nos compatriotes qui sont « morts pour la France ». Nous avons une dette vis-à-vis d’eux et il est de notre responsabilité de nous en acquitter. Le souvenir et la reconnaissance sont bien la moindre des choses que nous leur devions.
Le présent projet de loi, en dépit de son annonce récente par le Président de la République, le 11 novembre dernier, est le fruit d’un long processus de réflexion et de maturation.
Il s’agit en effet d’élargir le sens et la portée de la commémoration du 11 novembre, consacrée depuis la loi du 24 octobre 1922 aux soldats de la Première Guerre mondiale, à l’ensemble de ceux et de celles qui ont perdu la vie sous les armes au service de la France et des valeurs dont elle est porteuse.
Un tel projet ne repose que formellement sur une évolution du droit. La commémoration est avant tout un moment qui nous rassemble autour d’un douloureux passé commun. Le droit n’instaure pas la mémoire, mais il peut permettre de rassembler la Nation dans un même hommage à tous ceux qui ont écrit de leur sang notre histoire.
La gestation de ce texte a été longue. Dès le mois de novembre 2008, le Président de la République a confié une mission à l’historien André Kaspi, qui dénonçait « l’inflation commémorative » sévissant depuis une quinzaine d’années. Avec douze commémorations officielles par an, il devient en effet de plus en plus complexe de faire comprendre aux plus jeunes le sens profond et commun à chacune de ces manifestations.
C’est pourquoi il est important de redonner du sens à ces commémorations en accentuant la signification du 11 novembre. C’était là la préoccupation majeure que j’avais à l’esprit lorsque j’ai voulu apporter ma contribution à ce débat en déposant une proposition de loi en ce sens, à l’automne dernier.
Je tiens aussi à saluer l’impulsion que notre collègue Jean-Marie Bockel a donnée en ce sens lorsqu’il était membre du Gouvernement.
Évidemment, le droit restera lettre morte si la tâche n’est pas relayée par les enseignants, qui, dans chaque classe, auront à transmettre le devoir de mémoire du passé, qui préside à cette conception renouvelée du 11 novembre.
Je pense aux enseignants, mais également aux médias, qui devront relayer cet événement de manière à donner à ce jour la teinte particulière qui cristallisera la mémoire de tous les « morts pour la France ». Au-delà du simple travail législatif, il s’agira donc bien de travailler ensemble – enseignants, médias, mais aussi nous tous, citoyens attachés à notre histoire – à bâtir une nouvelle forme de commémoration, plus solennelle et plus compréhensible pour les jeunes générations.
Les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine se félicitent de la qualité des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat, en commission comme en séance publique.
Ce projet de loi perdrait beaucoup de son sens s’il n’avait pas été porté par un consensus appuyé et construit tout au long du processus de préparation que j’ai évoqué précédemment. Je tiens ainsi à remercier le rapporteur de notre Haute Assemblée et celui de l’Assemblée nationale pour l’esprit de concorde dans lequel ils ont travaillé.
Pour toutes ces raisons, nous souscrivons à cette démarche et nous voterons en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Néri. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. Alain Néri. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment où je prends la parole ici, devant la Haute Assemblée, pour m’exprimer sur ce projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, je voudrais, comme vous tous, avoir une pensée pour ces quatre soldats français qui viennent de laisser leur vie en Afghanistan. C’est pour moi l’occasion d’envoyer un message de soutien à leurs familles et à leurs compagnons d’armes. En effet, lorsqu’un soldat français meurt, c’est l’ensemble de la Nation qui est touché.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Alain Néri. Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes d’accord sur l’importance du devoir de mémoire, même si sa mise en œuvre pose parfois question et suscite, de loin en loin, des débats difficiles.
Plus que tout autre sujet, la mémoire doit permettre de se rassembler. On se rassemble pour se souvenir, se recueillir et rendre hommage à tous ceux qui ont sacrifié leur jeunesse et leur vie en répondant à l’appel de la Nation pour défendre la République, ses valeurs et ses lois.
La loi du 24 octobre 1922 appelle à célébrer, le 11 novembre, « la commémoration de la victoire et de la Paix ». Elle reprenait une idée qui correspondait à cette période de notre histoire. Aujourd'hui, une autre conception de l’histoire, une autre conception de la vie permet d’élargir la notion de commémoration et de rendre hommage à ceux qui, à l’appel de la Nation, ont su sacrifier ce qui leur était le plus cher, leur vie, ainsi qu’à leur famille.
Le projet de loi que nous avons à examiner vise donc à faire du 11 novembre, jour anniversaire de l’armistice de 1918, une journée de commémoration de tous les morts pour la France.
Nous n’avons aucune opposition de principe à ce sujet. Mais, monsieur le secrétaire d'État, nous sommes obligés de dire que nous avons été quelque peu surpris du choix du Gouvernement d’engager, sur ce texte, la procédure accélérée.
M. Claude Dilain. Oh oui !
M. Alain Néri. Cette procédure ne nous paraît pas parfaitement justifiée. Elle peut même laisser à penser que, dans l’esprit de certains, ont germé quelques idées qui vont au-delà de la commémoration et de l’hommage rendu à l’ensemble des combattants. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
En effet, des voix diverses et variées s’élèvent parfois, ici ou là, pour dénoncer le trop grand nombre de manifestations commémoratives. En 2008, une commission spéciale, la commission Kaspi, a même été créée pour faire des propositions en ce sens. Mais les conclusions auxquelles elle est parvenue ne visent en aucune façon à privilégier une seule date. Cette commission ne propose pas de retenir une date unique de commémoration, qui serait, en quelque sorte, un Memorial Day à la française.
D’ailleurs, nous ne sommes pas obligés de copier nos amis américains, qui ont leurs traditions quand nous avons les nôtres. De plus, si l’on prend la peine de regarder les choses de plus près, n’oublions pas qu’aux États-Unis il existe, outre le Memorial Day, le Veterans Day !
Donc, nous sommes attachés à une date spécifique pour commémorer chacun des conflits.
Dans le rapport Kaspi, il était proposé de privilégier trois dates : le 14 juillet, le 8 mai et le 11 novembre.
Nous trouvons impensable d’accepter un jour de commémoration unique pour toutes les guerres et tous leurs combattants. Cela reviendrait, en quelque sorte, à banaliser, voire à diluer la mémoire.
Chacune des générations du feu a droit, au nom de la spécificité de tout conflit, avec ses causes propres, avec ses conséquences propres, à une journée historique et symbolique de reconnaissance de la Nation.
Occasion de donner une leçon d’instruction civique et de renforcer la cohésion nationale, ces dates de commémoration doivent être le moment privilégié du devoir de mémoire et de la transmission du message aux jeunes générations. Ce travail aura sûrement lieu à l’école, mais je pense aussi, mes chers collègues, au sein des familles. Pour moi, chaque père ou mère de famille, chaque grand-père ou grand-mère, chacun d’entre nous peut saisir l’occasion de ces journées pour « prendre un enfant par la main » et l’amener au monument aux morts de la commune pour lui expliquer les causes et les conséquences des conflits, les raisons pour lesquelles nous nous rassemblons devant ces monuments aux morts dans ces occasions-là.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Alain Néri. Monsieur le secrétaire d'État, c’est certainement l’une des raisons de voir évoluer l’évocation du 11 novembre.
Mais je m’étonne que vous ayez mentionné devant nous la nécessité d’engager le processus pour fêter le centenaire de la Première Guerre mondiale. En effet, c’est en 2014 que nous célébrerons le début de la Première Guerre mondiale. Quant à la commémoration du centenaire de l’armistice, il faudra attendre le 11 novembre 2018 ! Convenez avec moi que nous avions un peu de temps devant nous pour mener ensemble une réflexion approfondie afin d’imaginer de nouvelles façons de commémorer et de donner un nouvel élan au devoir de mémoire.
À l’étonnement a succédé l’inquiétude quand, monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué la disparition, en 2008, du dernier poilu français. Elle a précédé, m’avez-vous fait remarquer, celle du dernier poilu australien, survenue en 2011. En effet, cette guerre a été mondiale. Ce fut une affreuse boucherie dont personne ne pouvait envisager le degré d’horreur. Pourtant, la Seconde Guerre mondiale n’eut rien à lui envier !
Certes, le temps a fait son œuvre sur les générations. Il a déjà balayé tous les poilus de 1914-1918, et il arrive qu’il n’y ait plus d’anciens combattants de 1939-1945 devant nos monuments aux morts lors des commémorations.
Alors, il me revient un douloureux souvenir, celui de la suppression de la commémoration du 8 mai 1945 par un Président de la République qui était de ma région, M. Valéry Giscard d’Estaing. Il a fallu que François Mitterrand soit élu Président de la République pour que les anciens combattants de 1939-1945 et les résistants soient rétablis dans leur droit, le droit à une juste reconnaissance de leur sacrifice, eux qui répondirent à l’appel de la Nation quand il fallut relever la République qui avait été abattue. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Pour toutes ces raisons, nous avions hésité, monsieur le secrétaire d'État, à voter votre texte. Je m’en étais ouvert à M. le rapporteur, auquel je tiens à rendre hommage pour son ouverture d’esprit, que vous partagez, monsieur le secrétaire d'État. La preuve en est que vous avez bien voulu accepter de prendre en compte l’amendement que j’avais déposé au nom du groupe socialiste.
Je tenais en effet à préciser que l’hommage prévu par le texte ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationales. Certes, vous ne nous disiez pas autre chose et je ne vous ferai pas de procès d’intention. Peut-être n’aviez-vous en effet pas dans l’idée de supprimer une ou deux dates pour n’en laisser qu’une. Ma crainte, c’est que nous sommes en quelque sorte de passage dans notre œuvre de législateur. Et d’autres, mal intentionnés, pourraient avoir la volonté de nous imposer une date unique. Cette date unique, avec l’ensemble des combattants, nous la refusons, au nom du juste droit à une commémoration de chacun des conflits.
Notre amendement, déposé à titre de précaution, visait avant tout à apporter des garanties et des assurances. Après discussion, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de notre assemblée a voté à l’unanimité une rédaction modifiée, avec l’accord de M. le rapporteur et de vous-même, monsieur le secrétaire d'État.
Aujourd’hui, nous considérons donc avoir obtenu aujourd'hui les garanties pour que le 11 novembre soit un moment fort de commémoration qui n’exclue cependant aucun autre moment de recueillement, aucune autre occasion d’exercer le devoir de mémoire et de rendre hommage à tous ceux qui ont répondu à l’appel de la Nation et de la patrie pour défendre les valeurs de la République.
C'est pourquoi, dans un souci d’unité nationale, nous voterons ce texte, monsieur le secrétaire d'État. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon.
M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la semaine dernière, la France a perdu quatre soldats. J’ai reçu la dépêche alors que je préparais cette intervention, et croyez-moi, chacun des mots qui la composent a été accompagné par l’émotion et par la consternation ressenties face à cet assassinat commis par des terroristes dont le cynisme n’a d’égal que la lâcheté.
Pour commencer, je tiens, bien sûr, à témoigner à nos soldats, à leurs familles et à leurs compagnons d’armes, ma plus sincère affliction et mon plus profond respect.
Nous connaissons leur professionnalisme, leur engagement et leur courage. Sur le sol national ou en opérations extérieures, à des milliers de kilomètres, ils sont la fierté de notre pays.
C’est pour chacun de ces hommes tombés au combat et pour ceux qui n’en reviennent jamais indemnes que nous nous réunissons aujourd’hui afin de tisser le souvenir de leur engagement avec la mémoire de la France.
Je forme le vœu que cette mémoire soit vivante et quotidienne.
Depuis 2007, grâce à l’impulsion donnée par le chef de l’État, les rendez-vous de notre pays avec son histoire ont été revitalisés et sont, chaque année, l’occasion de vivifier notre passé, qu’il soit glorieux ou douloureux.
Dans cette perspective, le Président de la République a souhaité faire du 11 novembre un jour de mémoire de tous les morts pour la France.
À cet égard, je souhaite rendre un hommage particulier à notre rapporteur, Marcel-Pierre Cléach, qui, sur ce projet de loi comme pour celui qui est relatif à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, a su créer les justes conditions législatives envers ceux qui ont servi, hier, la République.
Ce projet doit attirer la bienveillance de chacun d’entre nous. Les morts ne sont pas ceux de la gauche ou ceux de la droite. Ils sont les morts de la France. C’est donc collectivement et en faisant taire les querelles politiciennes que nous leur devons honneur et respect.
Donner sa vie pour protéger sa patrie, c’est la rencontre de l’humilité et de la gloire.
Ces dernières années, notamment - du fait de l’envoi de nos troupes en Afghanistan - mais pas seulement - notre pays a dû réapprendre ce qu’était la spécificité de l’engagement militaire.
Cela, nous le devons au fait que les Français ont la chance de vivre en paix sur le sol national et n’ont entrevu le phénomène de guerre et le prix du sang qu’à travers les médias. Cette paix, si précieuse, si douce, a pourtant un ennemi, l’oubli.
Il est bon que nous scellions ce lien douloureux entre les morts de la guerre et l’existence même de notre nation, existence de nos villes, de nos territoires, de notre civilisation et de nos frontières.
La France a plus que jamais besoin de se retrouver avec elle-même, de toucher ce lien sacré qui, dans l’histoire, a enfanté des miracles d’inspiration, de dévouement et d’héroïsme.
Honneur à vous, soldats morts pour la France, à Verdun ou en Kapisa ! Honneur à vous, soldats qui reposez dans la mémoire des siècles ! Honneur à vous, qui avez mis votre vie au service de la paix !
Les législateurs que nous sommes ont le devoir d’entretenir cette chaîne du souvenir, qui réunit les morts d’hier et ceux d’aujourd’hui. Nous avons la responsabilité de créer les conditions d’union et de rassemblement pour que nos concitoyens puissent témoigner à ces morts la reconnaissance de la Nation entière. Nous avons le devoir de porter leur mémoire avec fierté et avec grandeur.
Cette date doit devenir le socle solennel de ce souvenir. Elle doit rassembler la Nation dans l’épreuve autour de valeurs et de codes qui sont les fondements de notre République.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de hiérarchiser les commémorations, pour la bonne et simple raison qu’on ne hiérarchise pas les morts.
Comme le soulignait le Président de la République, « quel que soit le lieu, quel que soit le moment de notre histoire, ce don est sacré et il mérite le même hommage, la même reconnaissance, la même ferveur. La mort au service de la France ne fait pas de différence. Le champ d’honneur est de toutes les guerres et de tous les conflits qui ont impliqué notre pays ».
Le choix de commémorer le même jour tous les morts pour la France permet de n’en oublier aucun. À ce titre, la date du 11 novembre me semble adéquate pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, un tel choix permet de ne pas alourdir le calendrier commémoratif, le nombre de dates ayant doublé depuis dix ans.
Ensuite, au-delà du simple fait de commémorer l’armistice qui mit fin aux souffrances de la Grande Guerre, le 11 novembre célèbre « le sacrifice consenti pour une nation qui représentait non seulement son territoire, mais surtout l’union d’un peuple autour des principes indéfectibles de liberté, d’égalité et de fraternité ».
Quel meilleur symbole que celui-ci pour abriter nos morts ? Quelle plus grande solennité pour honorer la mémoire de chacun de ces hommes tombés au combat ? Quel plus beau rendez-vous que celui de la paix et du peuple pour célébrer le lien charnel de la patrie et de son armée ?
C’est sans doute cette évidence qui a amené le projet de loi à être adopté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par Jean-Louis Carrère, et qui donne aussi aujourd’hui toute sa ferveur au groupe UMP pour voter en faveur de ce texte.
Je finirai avec ces quelques mots empruntés à Lamartine : « En récapitulant par la pensée toutes ces passions instinctives dont se compose pour nous l’amour de la patrie, et en y ajoutant encore une passion naturelle à l’homme, la passion de sa propre mémoire, […] de la gloire de la postérité qui inspire et qui récompense dans le lointain les grands sacrifices, les dévouements jusqu’à la mort à son pays, on comprend que, de toutes les nobles passions humaines, celle-là est la plus puissante, parce qu’elle les contient toutes à la fois, et que, s’il y a dans l’histoire des efforts surnaturels à attendre de l’humanité, il faut les attendre du patriotisme ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)