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Modification de l'ordre du jour

M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1476 de M. Jacques-Bernard Magner est retirée, à sa demande, de l’ordre du jour de la séance du 20 décembre.

Par ailleurs, la question n° 1516 de M. Maurice Vincent pourrait être inscrite à cette séance.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

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Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France
Article 1er

Droit de vote et d'éligibilité des étrangers

Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission, modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France.

Les trois motions ayant été successivement repoussées, nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France
Article 2 (Texte non modifié par la commission)

Article 1er

Après l'article 72-4 de la Constitution, il est inséré un article 72-5 ainsi rédigé :

« Art. 72-5. – Le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »

M. le président. La parole est à M. Louis Nègre, sur l’article.

M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, de nombreux arguments ayant d’ores et déjà été avancés, je limiterai mon intervention à deux points, selon moi essentiels dans le cadre de cette discussion, où sont mis en cause les fondements même de notre République. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mon premier argument est simple : les dispositions proposées ne sont pas dans la tradition historique de la France.

Chaque pays a une histoire et se doit de la respecter. Après une très courte période d’ouverture à un universalisme débridé, les républiques successives ont lié indissolublement le droit de vote aux élections politiques à la nationalité française. Ce droit de vote, que nous considérons en France comme la plus haute manifestation de l’appartenance à la Nation, constitue la colonne vertébrale de notre système politique depuis deux siècles.

Le traité de Maastricht lui-même, contrairement à ce qui a été dit sur d’autres travées, ne crée pas un précédent, car il pose une double contrainte majeure au droit de vote. D’une part, il suppose l’existence préalable d’un traité entre différents pays ; d’autre part, il institue le principe de réciprocité, sur lequel vous avez été particulièrement discrets, chers collègues.

M. Louis Nègre. On peut le comprendre, car vous êtes bien incapables de citer à ce jour un seul pays qui accepterait d’appliquer le principe que vous défendez.

Mon second argument est fondé sur un constat d’évidence : la France est le pays généreux par excellence, à l’opposé de celui que vous décrivez, qui serait fermé aux étrangers.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il suffit d’aller voir ce qui se passe dans les préfectures !

M. Louis Nègre. Non, chers collègues, la France est accueillante et ouverte à l’Autre ! Les chiffres sont là, et comme le disait Lénine – j’ai choisi une référence que vous connaissez bien ! –, les faits sont les faits, et les faits sont têtus ! (Protestations lassées sur les travées du groupe CRC.)

Chaque année, la France naturalise 130 000 étrangers, soit 356 personnes par jour en moyenne. Ainsi, chers collègues, depuis que nous avons commencé notre discussion, 120 étrangers sont désormais français !

Oui, la France est ouverte et généreuse. Ceux qui, en signant la Charte des droits et des devoirs du citoyen, ont choisi de devenir français, par un acte volontaire et conscient, et s’engagent à être « fidèles aux valeurs de la France, respecter ses symboles, servir notre pays et contribuer à son rayonnement », sont les bienvenus.

La preuve vivante de cette intégration, elle est ici, au milieu de nous, dans cet hémicycle, et sa présence confirme le bien-fondé de ma thèse. Madame le rapporteur, je tiens à rendre hommage à la sincérité de votre intervention, même si je ne partage pas vos idées. Vous qui nous avez dit être, au départ, une immigrée, vous avez choisi notre pays, vous avez choisi la France, vous ne vous êtes pas contentée d’un droit de vote aux municipales.

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Je suis française et sénatrice !

M. Louis Nègre. Vous êtes devenue, sur votre initiative, une citoyenne française à part entière. Aujourd’hui, grâce à notre pays, ouvert et généreux pour les étrangers, je le répète, vous êtes désormais sénatrice de la République, et représentante ès qualités de la France.

M. Louis Nègre. Alors oui, si un étranger veut s’intégrer et partager nos valeurs et le destin de notre pays, il peut le faire sans que nous prenions pour autant le risque de créer une nation mosaïque et de favoriser ainsi les communautarismes et les forces centripètes qui nous menacent.

Comme je viens de le démontrer, la France se révèle le pays le plus généreux de toute l’Europe : elle accueille les étrangers et leur accorde la citoyenneté dès lors qu’ils le souhaitent eux-mêmes.

M. David Assouline. Vous dites des contrevérités !

M. Louis Nègre. Dans ces conditions, chers collègues, on peut se poser la question de savoir ce que cache réellement cette proposition de loi, qui ressort périodiquement à la veille d’élections importantes (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.),…

M. Louis Nègre. … ce cadavre exquis constitutionnel que vous n’avez pas pu, rappelez-vous, mettre en application en 1983, car déjà – vous nous l’avez dit tout à l’heure, monsieur Assouline, et je vous ai bien entendu – la société française s’y était vigoureusement opposée.

M. David Assouline. Pas du tout !

M. Louis Nègre. Souvenez-vous des déclarations de M. Cheysson et des élections municipales de 1983 !

Que cherchez-vous réellement à faire ici, chers collègues ? S’agit-il d’anticiper le programme du PS, qui prévoit d’étendre le droit de vote des étrangers à l’ensemble des élections locales ? Souhaitez-vous, comme l’a indiqué le think tank Terra Nova, bénéficier de troupes électorales supplémentaires ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Essayez de varier les arguments !

M. Louis Nègre. Ou bien n’est-ce pas une tactique comme une autre pour essayer de rassembler autour de vous l’escadre de pédalos qui s’égare à tout-va…

M. Louis Nègre. ... ou encore, tout simplement, pour faire monter, électoralement parlant, le Front national ? (M. le président de la commission des lois proteste.)

M. Robert Hue. Effet de manche !

M. Jacky Le Menn. Cela ne vole pas haut !

M. Louis Nègre. Comme l’a dit le général de Gaulle, si nous sommes tous des enfants du bon Dieu, nous ne sommes pas pour autant des canards sauvages ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) La ficelle est un peu grosse, mais nous ne tomberons pas dans ce piège grossier. Nous voterons donc contre cet article, que l’on peut qualifier de « politicien » tant dans son existence que dans son essence. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Éliane Assassi. Tout ça pour ça !

M. Jacky Le Menn. Il est soulagé, maintenant ?...

M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi, sur l'article.

M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, d’autres ont su le rappeler avant moi, pour voter, il faut être français ! La tradition républicaine, c’est ce lien indissociable entre le droit de vote et la citoyenneté.

Être français ? Chacun, dans cet hémicycle, doit bien mesurer ce que cela signifie dans mon département, à Mayotte, ce que cela signifie dans le cœur de nos compatriotes mahorais, et, au-delà, dans l’ensemble des outre-mer. Oui, que chacun mesure bien, à l’occasion du débat qui nous occupe aujourd’hui, ce que la citoyenneté veut dire, ce que représente pour nos compatriotes de cette France d’au-delà des mers le fait d’être « un citoyen à part entière ».

Monsieur le ministre, lorsque vous entendez, comme à Mayotte ces dernières semaines, nos compatriotes d’outre-mer donner un peu de la voix, descendre dans la rue et manifester, ce n’est pas, croyez-moi, parce que nous serions en quelque sorte les élèves un peu turbulents du fond de la classe : ce n’est jamais pour revendiquer autre chose que notre citoyenneté française.

Le Président de la République l’a bien compris en étant le premier à tenir la parole donnée, en étant le président des promesses tenues à Mayotte, devenue le 31 mars dernier le cent unième département français. Cinquante ans que nous attendions cela !

M. David Assouline. Quel rapport ?

M. Abdourahamane Soilihi. Comment, chers collègues, pourrions-nous, aujourd’hui, partager votre projet ? Comment, surtout, faire comprendre aux Mahorais que les étrangers qui arriveront sur le territoire de leur département auront les mêmes droits qu’eux, sans pour autant avoir la nationalité française ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Ce serait, quelques mois à peine après la départementalisation, leur proposer mécaniquement une citoyenneté au rabais !

Cela reviendrait, très concrètement, à leur expliquer que ce sont les 40 % d’étrangers, en situation régulière ou irrégulière à Mayotte, qui feront leurs élus, voire qui deviendront eux-mêmes nos maires...

Mme Éliane Assassi. Ceux qui n’ont pas de papiers ne votent pas ! Il ne faut pas dire n’importe quoi...

M. Abdourahamane Soilihi. Or les maires jouent un rôle très important à Mayotte.

Je laisse à ceux qui voteront ce texte le soin de venir l’expliquer eux-mêmes aux Mahorais !

Mes chers collègues, l’urgence à Mayotte, dans l’ensemble de nos outre-mer, comme partout en France, ce n’est pas d’accorder le droit de vote aux étrangers, c’est de lutter contre l’immigration illégale ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

Mme Christiane Demontès. Mais les clandestins ne votent pas !

M. Jacky Le Menn. Non, ils ne votent pas !

M. Abdourahamane Soilihi. Nos concitoyens d’outre-mer nous disent tout leur attachement à la République, à la citoyenneté, eux qui sont en première ligne face à l’immigration illégale, et ils nous disent leur fierté d’être Français. Et vous proposez d’accorder le droit de vote et l’éligibilité aux étrangers ? Quel décalage !

Mme Éliane Assassi. Nous parlons des étrangers en situation régulière !

M. Abdourahamane Soilihi. Je me souviens des mots prononcés par Marie-Luce Penchard, notre ministre de l’outre-mer, le 31 mars dernier, au moment où Mayotte devenait le cent unième département de notre pays : « C’est l’honneur de la France, c’est la fierté de notre pays que de savoir, par-delà les océans, réunir des femmes et des hommes aux histoires et aux cultures différentes dans un projet commun qui nous rassemble tous ».

C’est cela, la République chère au cœur des Français d’outre-mer !

Ces Français d’outre-mer se souviennent que, le 4 février 1794, avec la toute première abolition de l’esclavage, avec l’élection d’ultra-marins à la Convention, la France nous disait ce qu’est la citoyenneté, ce qu’est un citoyen, libre et à part entière. Ce jour-là, à cet instant, ce 16 pluviôse An II, la France, en train d’inventer la République, a fait de l’un de ses fondements les plus précieux, la citoyenneté, un principe universel !

Mes chers collègues, c’est en pensant à nos compatriotes d’outre-mer que je ne pourrai aller dans le sens de ce texte, un texte qui divise, qui discrimine et porte atteinte aux principes qui font notre fierté d’appartenir à la République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l’article.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis résulte d’une volonté de la majorité sénatoriale de mieux inclure les populations immigrées et de leur présenter l’image d’une République accueillante et apaisée.

Or j’estime que, pour l’intégrer, il ne faut pas seulement connaître la personne, mais aussi la reconnaître, dans toutes ses dimensions. Cela suppose de lui conférer des droits qui iront avec des devoirs.

Oui, la meilleure manière d’inclure des étrangers est de leur permettre de participer à la vie de la Cité. De la sorte, ils ont l’impression de faire partie d’un tout, et non d’être des personnes à part dans notre démocratie.

J’entends bien, chers collègues de la majorité gouvernementale, vos critiques sur le lien entre nationalité et citoyenneté. Il vous a déjà été signifié que ce lien s’était fortement distendu depuis le traité de Maastricht de 1992. (M. Louis Nègre fait un signe de dénégation.) Plus encore, je crois que vous confondez intégration et assimilation.

Pour vous, le vote est la marque de la nationalité. Ainsi ne seraient citoyens que les Français, ce qui implique que les étrangers souhaitant participer à l’exercice démocratique soient progressivement assimilés pour finir par être français.

À l’inverse, nous estimons que l’on doit demander aux étrangers de s’intégrer dans notre système, ce qui implique de partager valeurs et principes, de connaître usages et langue, mais n’impose pas une acculturation complète ni une assimilation parfaite. Nous croyons que la diversité de notre pays fait sa richesse et participe de son dynamisme à l’échelle mondiale. Dans un contexte de « globalisation », c’est bien par le partage, le métissage, que nous serons plus forts, plus à même d’être réceptifs et efficaces face aux mutations économiques et sociales.

L’inclusion des étrangers permet donc l’existence d’une société unie et solidaire, mais encourage également le maintien d’une diversité gage de vitalité pour cette société.

Ce sont l’uniformité et l’homogénéité qui brisent la créativité. La proposition de loi constitutionnelle présentée aujourd’hui assure ainsi un respect de l’étranger dans sa singularité et son inclusion dans la société, par le processus de participation à nos grands moments de démocratie locale.

Nous souhaitons une démocratie plus vivante, facteur d’inclusion.

Mes chers collègues, la liberté, c’est donner aussi à ceux qui vivent sur notre sol ce droit élémentaire de participer à la vie de la Cité. L’égalité, c’est lutter contre tout ce qui l’entrave et qui reste toujours un combat. La fraternité, c’est ce mot du cœur qui se passe de définition.

Au nom de ce triptyque républicain, ce droit de vote marquera d’une manière certaine l’enracinement par l’exercice démocratique comme l’aboutissement d’un enracinement symbolique.

On a beaucoup parlé de communautarisme. Il est vrai que plus on donnera à ces personnes l’impression qu’elles ne sont pas les bienvenues dans notre pays, plus on dira, par exemple, que l’islam est une idéologie à combattre et non une spiritualité, en d’autres termes, plus on continuera la politique actuelle, et plus on donnera de l’eau au moulin de ceux qui souhaitent une plus grande radicalité, qu’ils soient islamophobes ou extrémistes, car les uns se nourrissent des autres.

En la circonstance, le problème réside bien dans notre attitude, et non dans celle des étrangers.

Au lieu de brandir le chiffon rouge du communautarisme, et plutôt que d’attiser les peurs – celles de l’Autre, de l’immigré, que Milan Kundera qualifiait de « grand souffrant », des crises de toute sorte – n’allons pas renoncer, sous prétexte que le pays est en crise, à des avancées démocratiques.

Préférons promouvoir nos valeurs, et notamment faire œuvre de pédagogie pour l’une d’entre elles, à mes yeux cardinale : la laïcité, matrice de nos identités plurielles, et espace de concorde qui nous permet de vivre ensemble au-delà de nos différences.

La citoyenneté de résidence donnera des droits, et nous pourrons alors être plus exigeants quant au respect de ce qui fonde notre pacte républicain.

Mes chers collègues, il ne s’agit pas « de reconnaître des égaux, mais d’en faire ».

Si « la politique, c’est de porter sur soi le destin d’autrui », alors, en votant ce texte, nous porterons sur nous le destin de ceux qui vivent sur notre sol et qui partagent bien souvent une histoire commune, pour construire ensemble un avenir commun.

C’est la raison pour laquelle, comme notre collègue Jacques Mézard, j’en appelle au courage et souhaite que notre Haute Assemblée franchisse une nouvelle étape, assurant aux étrangers cette citoyenneté de résidence qui est gage d’une plus grande inclusion dans notre société, gage de sa vitalité et de son ouverture au monde. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains, sur l’article.

Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, encore aujourd’hui, la France est le pays qui naturalise le plus au monde.

La vie aux côtés des résidents étrangers s’est organisée, avec l’octroi progressif de nombreux droits participatifs, c’est-à-dire tous les droits, sauf ceux issus du politique. Le problème est ailleurs : l’école, le logement, le travail.

Les droits participatifs sont donnés à tous, mais, pour voter, il faut avoir adhéré aux principes républicains, et souhaiter porter haut les valeurs qui font la France.

Donner ce droit sans contrepartie, c’est le galvauder.

Être résident en France ne signifie pas pour autant adhérer aux valeurs républicaines françaises. On peut aimer un pays de différentes manières.

Dimanche, en regardant la chaîne Public Sénat, j’ai appris qu’une partie importante de la communauté tunisienne résidant en France et ayant conservé sa nationalité d’origine, avait voté à plus de 40 % pour le parti religieux.

Mme Bariza Khiari. Et à 45 % pour la gauche laïque !

Mlle Sophie Joissains. Libre à eux ! Ce n’est pas mon problème. Mais, demain, si vous leur accordez ce droit qu’ils n’ont pas réclamé, que se passera-t-il dans les bureaux de vote ? Adhéreront-ils, pour autant, aux partis républicains, ou même au système républicain ? Je ne le crois pas ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. François Rebsamen. C’est triste d’entendre cela !

Mlle Sophie Joissains. Ce ne sera pas leur faute, ce sera la nôtre. Il faut le savoir !

Je respecte la liberté de chacun, mais, de grâce, gardons le sens du pacte républicain. Ne vulgarisons pas, ne banalisons pas, ne trahissons pas le geste qui traduit l’appartenance à la nation française !

Selon vous, les étrangers non-ressortissants de l’Union européenne seraient victimes d’une injustice et discriminés par rapport aux étrangers européens résidant sur le sol français. Ce n’est pas vrai ! Pas plus qu’il n’existe, dans notre pays, de discrimination entre les Français et les ressortissants des pays étrangers autres qu’européens.

La citoyenneté européenne est supranationale...

M. David Assouline. Elle n’existe pas !

Mlle Sophie Joissains. ... et instaurée par des traités soumis à la condition de réciprocité.

Ces traités, et le droit de vote des citoyens de l’Union européenne aux élections locales qui en découle, sont issus d’un idéal et d’un projet communs qui ont mûri pendant quarante ans. On ne peut donc comparer la situation de ces ressortissants européens avec celle des autres résidents étrangers. Le débat entre États ne peut avoir lieu que sous condition de réciprocité.

La condition de réciprocité inscrite, entre autres, dans l’article 55 de la Constitution, est la condition sine qua non d’un échange sain entre États, de leur égalité dans le cadre de l’application des traités. Sur le plan international, il s’agit de la notion la plus républicaine qui soit.

N’oublions pas qu’en France aucun résident étranger n’est privé de citoyenneté du fait, d’une part, des droits participatifs, que j’estime tout à fait justes et normaux, et, d’autre part, de la possibilité de voter lors des élections nationales organisées dans le pays d’origine. À cet égard, les étrangers votent largement lors des scrutins organisés dans leur pays, bien plus, il faut le savoir, que les citoyens européens dans leur pays de résidence.

Si la France adoptait un jour le dispositif qui nous est soumis aujourd’hui, il lui reviendrait de le faire de façon partagée, en appliquant le principe de réciprocité.

Mlle Sophie Joissains. À défaut, elle se tirerait une balle dans le pied.

Le droit d’asile facilite l’obtention de la nationalité française. Un esprit révolutionnaire, généreux et magnifique, a inspiré à la France l’adoption de ce principe.

Il en va autrement du droit de vote, apanage de la nationalité : l’accorder à des personnes qui ne font que résider en France reviendrait à dévitaliser la nationalité, à dévaluer le geste même du vote, pour lequel des Français se sont battus avec acharnement, ainsi que des étrangers ayant obtenu la nationalité française. Et nombreux sont ceux qui, de par le monde, se battent encore.

Être Français, c’est s’approprier une histoire, des combats pour la liberté de penser et d’être, pour l’égalité des citoyens, hommes et femmes. La solution ne réside pas dans la faiblesse de la France, elle réside dans sa force, dans sa capacité de rassembler autour des valeurs qui la constituent.

La couleur, l’ethnie, n’ont aucune importance. Ce qui est important, c’est l’amour de la France, l’adhésion aux valeurs qui nous rassemblent.

La Journée défense et citoyenneté, par exemple, est un devoir pour les nationaux. Comment justifier que des résidents étrangers échappent à tout engagement, à toute contrainte, et puissent être élus au sein des conseils municipaux ?

À l’heure où le communautarisme vient traduire un malaise, une douleur sociale, voire sociétale, quelle sera l’attitude du politique pendant les élections ? Nous savons tous ici comment les choses se passent : plus une élection approche, et plus l’arithmétique foudroie les consciences : telle alliance représente tant de voix, telle communauté, tant d’autres voix...

M. David Assouline. Chez vous, peut-être...

M. François Rebsamen. Mais ce n’est pas ainsi que nous calculons !

Mlle Sophie Joissains. Ces calculs pourraient facilement mener les enjeux communautaristes au sein d’une République qui, pour le salut de tous, doit être une et indivisible.

Je ne parlerai pas d’États étrangers pour lesquels cette faille dans le système républicain pourrait constituer une aubaine. Nous sommes en paix, mais nous pourrions ne plus l’être... (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Oui, grâce à l’Europe, cela fait soixante ans que nous sommes en paix. Ce n’est pas rien !

Notre République doit rester forte et généreuse ! Aujourd’hui, alors que notre pays connaît des jours difficiles, la cohésion sociale se fissure quelque peu, çà et là. Personne n’ignore et ne peut raisonnablement ignorer que des thèmes comme celui dont nous débattons provoquent des réactions viscérales et font monter les extrêmes. Ce fut longtemps la stratégie de la gauche, avant qu’elle ne soit prise au piège du 21 avril 2002.

La même stratégie est-elle à l’œuvre aujourd’hui ? C’est possible, mais je n’en suis pas certaine. Je sais que certains d’entre vous sont sincères.

En tout cas, la gauche oublie que, à la suite de ces discussions, qui n’ont d’ailleurs pas lieu d’être, l’anathème est jeté sur le bouc émissaire de toujours et de toutes les civilisations, à savoir l’étranger et, par amalgame, les communautés françaises d’origine étrangère. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

Plus lamentable encore, cette démarche a été faite en toute connaissance de cause. C’est non seulement dangereux, mais aussi irresponsable ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’octroi exclusif du droit de vote aux ressortissants nationaux est intimement lié à la définition même de la souveraineté des États-nations. Ce principe est aussi inscrit dans le droit international positif et dans sa jurisprudence.

Certes, madame la rapporteure, vous nous avez cité en exemple un tel octroi aux étrangers lors de la Révolution française, en 1793. Je souhaite néanmoins préciser que la Constitution montagnarde du 24 juin 1793, qui établissait la Première République, ne confiait cette capacité électorale qu’aux étrangers qui remplissaient certaines conditions ou qui étaient jugés par le corps législatif comme « ayant bien mérité de l’humanité ». Cette générosité n’était qu’apparente, car l’allégeance exigée aux principes de la Révolution équivalait au renoncement à toute autre appartenance.

Je veux également rappeler que, en octobre 1793, tous les étrangers appartenant à des États en conflit avec la France furent arrêtés et spoliés de leurs biens.

Dans le contexte du droit international positif, de l’esprit du droit, sur un plan purement juridique, dans la mesure où la citoyenneté découle d’une allégeance à la Nation, le vote des étrangers ne pourrait être légitimé que par l’existence d’une réciprocité, exigence généralement appliquée par nombre de pays ayant accepté le vote des étrangers pour certains scrutins.

Cette condition de réciprocité est d’ailleurs mise en exergue à l’article 88-3 de la Constitution, qui autorise le vote des ressortissants communautaires. Dès lors, comment peut-on envisager d’exiger moins des étrangers non communautaires que de nos concitoyens de l’Union européenne ?

M. François Rebsamen. C’est déjà fait dans dix-huit pays !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Si l’on souhaitait octroyer le droit de vote aux ressortissants extracommunautaires, il faudrait donc négocier avec chaque pays pour que nos compatriotes expatriés qui y résident obtiennent des droits similaires.

Une telle démarche se révélerait extrêmement complexe et coûteuse, puisqu’elle rendrait nécessaire plus de cent cinquante négociations bilatérales, afin que nos expatriés dans les pays concernés puissent y voter. Elle serait, en pratique, impossible dans certains cas, puisque nombre d’États non démocratiques n’organisent aucune élection locale.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. François Rebsamen. Eh oui !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. L’adoption d’une telle clause de réciprocité créerait alors une discrimination injustifiable parmi les étrangers non communautaires. Parfaitement intégrés en France, pourquoi devraient-ils encore être pénalisés par la nature du régime politique de leur pays d’origine ?

Au-delà des apories de la clause de réciprocité, c’est la conception même de la communauté politique qui est en jeu. Cette notion est essentielle pour que le droit de vote ait un sens, pour qu’il ne reste pas purement théorique, pour que lui soit conférée une portée politique réelle.

Or, en pratique, que constate-t-on ? En Finlande, où les ressortissants non communautaires votent depuis déjà quinze ans, la participation des étrangers aux élections municipales est extrêmement faible, puisqu’elle est plus de trois fois inférieure à celle des Finlandais. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

MM. François Rebsamen et David Assouline. Et alors ? N’ayez pas peur !