Mme Joëlle Garriaud-Maylam. La faible identification de ces étrangers à la vie politique locale est le principal argument avancé pour expliquer ce phénomène.
Dès lors, mes chers collègues, est-il bien raisonnable d’octroyer un droit de vote alors que, jusqu’à présent, aucun besoin profondément ressenti n’a été exprimé, ni aucune revendication clairement formulée ?
M. François Rebsamen. Qu’est-ce que vous en savez ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. L’abstention atteint déjà des niveaux alarmants. Ne l’aggravons pas davantage !
Pour éviter un tel écueil, il importe que la capacité à voter s’inscrive dans le cadre soit d’une volonté d’intégration politique poussée, comme dans l’Union européenne, soit de l’appartenance à une communauté culturelle et linguistique.
Cette dimension se trouve d’ailleurs au cœur de la législation de nombre de pays ayant accordé un droit de vote aux étrangers non communautaires. L’Espagne privilégie les ressortissants des pays hispanophones, le Portugal ceux des pays lusophones et le Royaume-Uni ceux du Commonwealth et les Irlandais.
Pour les étrangers extracommunautaires résidant durablement en France, la volonté de rejoindre cette communauté politique devrait alors se traduire par une naturalisation, plutôt que par l’octroi d’un droit de vote déconnecté de l’ensemble des autres droits et devoirs des citoyens. Ce serait la négation de ce qui fait l’essence même de notre citoyenneté, ce lien quasi sacré entre droit de vote et appartenance à la Nation.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La politique ne relève pas du sacré !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nous voulons que les étrangers établis de longue date sur notre territoire aient envie de rejoindre notre communauté nationale. Or ce ne sera plus le cas si nous bradons le droit de vote et de participation.
Comme l’a indiqué tout à l’heure Roger Karoutchi, la République française vaut bien mieux que cela ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. En tout cas, elle vaut mieux que votre intervention.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme d’une longue évolution, le modèle républicain français issu de la Révolution lie nationalité, citoyenneté et droit de vote égal pour tous, s’agissant des élections locales ou nationales. La « cellule de base de la démocratie » communale y est un lieu d’expression politique avant d’être un pourvoyeur de services contre rétribution fiscale.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, est non pas le Conseil économique, social et environnemental, mais une assemblée politique.
On nous propose aujourd’hui de renoncer à ce modèle en découplant nationalité et citoyenneté et en créant deux sortes de citoyennetés : une citoyenneté nationale de plein exercice et une citoyenneté résidentielle locale.
Un ensemble politique bâti selon cette logique est en effet possible, puisqu’il en existe. À titre d’exemple, les démocraties issues de la tradition monarchique et/ou impériale entendent assurer la vie en commun non pas d’individus, d’atomes de citoyenneté, mais de communautés, de religions, de cultures différentes.
Ces modèles « multiculturels » assurent-ils mieux que le modèle républicain français la paix publique, la coexistence libre, tolérante et réellement équitable des hommes ? Les émeutes de 2001, les tentatives d’attentat de 2005 au Royaume-Uni, la brutale remise en cause aux Pays-Bas du modèle européen le plus progressiste jusque-là en font douter.
Naturellement, vous l’aurez constaté, mes chers collègues, l’Europe libérale construite autour du marché et d’une bureaucratie juridico-financière dont l’objectif est de se passer du politique et de dissoudre les nations peccamineuses ne voit qu’avantage à la citoyenneté résidentielle. Cette Europe, qui entendait unir les peuples par-delà les nations, est en train de les séparer.
La « déliaison » de la nationalité et de la citoyenneté, la citoyenneté à deux vitesses ont existé – je l’ai brièvement évoqué tout à l’heure – dans trois départements, officiellement français, en Algérie, entre 1865 et 1946, voire 1956. Rappelons-nous, les « indigènes juifs » jusqu’en 1870 et le décret Crémieux, ainsi que les « indigènes musulmans » jusqu’en 1946, pourtant de nationalité française, devaient demander à être « naturalisés » – ce terme était d'ailleurs impropre, puisqu’ils étaient déjà français – pour devenir citoyens. Un système de collèges et de quotas limitait les droits de la minorité d’« indigènes musulmans » admis à participer aux élections locales.
Le système proposé est l’image, en quelque sorte en miroir, de cette « monstruosité juridique », selon l’expression de Dominique Schnapper. Au lieu d’une nationalité sans citoyenneté, on a une citoyenneté résidentielle de deuxième rang, sans nationalité.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. Les bons ou les mauvais sentiments ne font rien à l’affaire, pas plus que les programmes sortis ou remis dans les tiroirs selon l’usage qu’on en veut faire.
Si d’aucuns peuvent s’opposer pour de mauvaises raisons à cette proposition de loi constitutionnelle, on peut en fournir quelques-unes qui sont de principe, et finasser sur ce point n’a jamais réussi à la République. Je crains que la suite de notre discussion ne le montre. Je souhaite sincèrement me tromper, car je comprends que l’on puisse adopter ce type de démarche, afin d’assurer une meilleure intégration, un meilleur vivre-ensemble à tous les étrangers vivant sur notre sol.
Au final, malgré ses ratés et ses errements, le modèle républicain français est autant que les autres, sinon plus, à même de répondre aux défis actuels. C’est non pas en le tordant, mais en respectant sa logique qu’on lui permettra d’y parvenir, autrement dit en ouvrant plus largement l’acquisition de la nationalité française, au lieu de tout faire pour la limiter.
À cet égard, mademoiselle Joissains, la France n’est pas le pays européen qui naturalise le plus grand nombre de personnes ; jusqu’à présent, c’est la Grande-Bretagne.
Monsieur le ministre, si vous modifiiez quelque peu la politique que vous menez en la matière, vous seriez plus crédible !
Nous devons donc nous donner les moyens d’une politique d’intégration effective, au lieu d’en parler et de ne rien faire.
La démarche que je propose est à l’opposé de ce que font Nicolas Sarkozy et son gouvernement, au nom de la défense d’une identité nationale qui n’existe pas, au moment même où, après avoir anéanti la politique de la ville, ils s’apprêtent à abandonner des pans entiers de notre souveraineté et à ouvrir les portes d’un purgatoire économique de longue durée, pas vraiment favorable à l’intégration des moins favorisés. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste-EELV. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Léonard, sur l’article.
M. Claude Léonard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure actuelle, notre pays a mis en place une législation déjà bien généreuse, puisque les citoyens des vingt-six autres pays membres de l’Union européenne bénéficient du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales.
J’observe cependant que certaines restrictions ont été apportées aux droits qui leur ont été conférés. Ainsi, à l’occasion du dernier renouvellement sénatorial, dans mon département, plusieurs élus issus du Benelux, par exemple, qui font partie des conseils municipaux, n’ont pas pu participer à la désignation des grands électeurs, conformément à une décision du Conseil constitutionnel. Ils en sont encore aujourd'hui frustrés, car ce sont, en quelque sorte, des demi-citoyens.
La population d’une commune proche de mon domicile compte une moitié de citoyens originaires du Benelux. N’est-ce pas une caricature de démocratie que de faire voter la moitié du conseil municipal pour désigner un grand électeur ? C’est pourtant ce qui se passe !
Le texte que nous examinons aujourd'hui va bien au-delà ; il doit nous conduire à nous demander ce que signifient la citoyenneté et l’intégration et ce que souhaitent véritablement les étrangers issus des pays non-membres de l’Union européenne présents sur notre territoire.
La citoyenneté se définit par l’adhésion à un certain nombre de valeurs et par la volonté de se reconnaître dans les institutions et les hommes et les femmes qui les incarnent. C’est le partage d’une histoire commune et sans doute, bien plus encore, l’adhésion à un avenir commun, partagé, collectif.
En France, contrairement à ce qui s’est passé chez certains de nos voisins, y compris les plus proches, la citoyenneté s’est construite autour de l’État-nation, comme nombre d’orateurs l’ont rappelé cet après-midi. Il s’agit d’une réalité historique et sociologique. De ce fait, il n’est pas possible de dissocier la citoyenneté de la nationalité.
Dans ces conditions, il n’est pas souhaitable d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-membres de l’Union européenne, car alors l’un des principes fondateurs de notre République serait remis en cause.
M. Pierre Charon. C’est vrai !
M. Claude Léonard. L’adoption de la présente proposition de loi constitutionnelle conduirait à une fragilisation de la République.
En résumé, l’attribution aux étrangers du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales est incompatible avec notre conception de la nationalité et de la citoyenneté. Si ces personnes souhaitent s’investir dans la vie de leur cité, être électeurs et éligibles, rien ne les empêche de solliciter la nationalité française.
Par ailleurs, force est de reconnaître que le modèle français d’intégration se heurte à un certain nombre de difficultés : communautarisation grandissante, structures familiales qui ne sont pas toujours en adéquation avec notre législation (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.), difficultés des jeunes immigrés, même diplômés, à s’insérer dans la vie active.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Nous sommes revenus au XVIIIe siècle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quels poncifs !
M. Claude Léonard. J’en viens fort logiquement aux souhaits exprimés par ces immigrés.
M. David Assouline. Qu’en savez-vous ?
M. Claude Léonard. Monsieur Assouline, le conseil municipal de votre commune comporte-t-il de nombreux ressortissants de l’Union européenne ?
M. David Assouline. Oui !
M. Claude Léonard. Que veulent donc ces personnes ? Par priorité, avoir un emploi, obtenir un logement décent, pouvoir fonder une famille et bénéficier de la même considération et du même respect que les autres.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est ce que l’on disait pour les femmes !
M. Claude Léonard. Telles sont leurs véritables préoccupations, lesquelles ne comprennent certainement pas l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales !
Ceux qui veulent aller plus loin et souhaitent s’intégrer encore davantage au sein de la communauté nationale peuvent, comme le font plusieurs dizaines de milliers d’entre eux chaque année, choisir la naturalisation.
Ainsi, en même temps que la nationalité française, ils bénéficieront de tous les attributs politiques qui s’y rattachent et pourront non seulement voter et être élus aux élections locales, mais également participer à ces scrutins essentiels pour l’avenir de notre pays que sont les élections présidentielle et législatives.
Certains, proches de vous, prônent la « démondialisation », mais, vous, vous nous proposez une mondialisation des citoyens à l’intérieur de l’Hexagone. Tirez-en les conséquences et voyez si vous arriverez à mieux gérer vos collectivités !
Pour toutes ces raisons de fond et d’opportunité, il ne me paraît pas souhaitable que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui soit adoptée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon, sur l’article.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste-EELV. Nous parlions d’intégration ; voici la réintégration de Pierre Charon à l’UMP !
M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « quand le peuple vote mal, il faut changer de peuple », disait Bertolt Brecht.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Votre citation est erronée !
M. Pierre Charon. C’est ce qu’essaie aujourd’hui de faire la gauche, qui n’arrive plus à parler au peuple et qui se déguise en dame généreuse pour dissimuler le cynisme électoral le plus déshonorant. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Un sénateur du groupe socialiste-EELV. Vous vous y connaissez, en cynisme électoral !
M. Pierre Charon. En effet, je suis bien placé pour en parler !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez mis Brecht à l’envers !
M. Pierre Charon. Non, la citation est correcte.
Au-delà des petits calculs et des simagrées humanistes, le droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections municipales pose en réalité la question très sérieuse des liens fondamentaux qui lient la souveraineté, l’élection et la démocratie.
Oui, la France accueille sur son territoire des étrangers qui travaillent et participent à la vie quotidienne de leur ville. Oui, tous les hommes et les femmes qui vivent en France sont égaux devant la loi, quelle que soit leur nationalité. Oui, la France est exemplaire dans le respect des étrangers (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous leur permettrez d’en juger !
M. Pierre Charon. … et elle ne saurait rougir des conditions d’exercice de sa démocratie, qui constitue depuis longtemps un modèle pour de nombreux pays.
En ouvrant aux étrangers le droit de participer aux élections municipales, cette proposition de loi constitutionnelle nie tout simplement la souveraineté du peuple français, qui s’exprime par le droit de vote. La première ligne de son exposé des motifs mentionne « l’ensemble de nos concitoyens » pour désigner indistinctement des Français et des étrangers. Je tiens à rappeler à mes chers collègues de la majorité sénatoriale que la citoyenneté est une notion fondamentale de la démocratie et que le souci de précision censé animer le législateur aurait pu inviter les cosignataires de ce texte à ne pas mélanger la citoyenneté française avec l’ensemble, fût-il poétique, des « citoyens du monde ».
Le texte se poursuit ainsi : « Aucun ne doit être laissé à l’écart du plein exercice de son droit d’expression, de sa citoyenneté ». Or les étrangers jouissent bien du plein exercice de leur citoyenneté, mais dans le pays dont ils sont citoyens, comme l’ont montré les Tunisiens vivant en France lors des dernières élections tunisiennes, ainsi que l’a rappelé Roger Karoutchi !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est votre obsession !
M. Pierre Charon. La situation des ressortissants d’un autre pays de l’Union européenne est tout à fait différente, dans la mesure où le droit de vote et d’éligibilité qui leur est accordé constitue une donnée fondamentale de la construction européenne. Cette dernière, qui avance chaque jour sur le chemin de la gouvernance économique, doit s’accompagner d’une intégration démocratique des peuples. Il est donc parfaitement légitime d’incarner dans le vote cette « souveraineté européenne » et de tisser progressivement un espace électoral européen.
En revanche, il est absolument contraire au principe même de la souveraineté d’ouvrir ces droits aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne en s’appuyant sur le simple argument du travail ou de l’acquittement de l’impôt. De fait, travailler ouvre tous les droits relatifs au travail et payer des impôts n’est plus une condition pour exercer le droit de vote depuis 1848, date de la fin du suffrage censitaire rappelée tant de fois cet après-midi.
En tant que sénateur de Paris, je souhaite également insister sur le nombre des ressortissants étrangers vivant dans la capitale. Selon les chiffres de l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France, l’AGDREF, 239 456 étrangers séjournent à Paris sous couvert d’une carte de résident ou d’un titre de séjour d’une validité d’un an, ce qui ne représente pas moins de 18 % du nombre total des électeurs.
M. David Assouline. La proposition de loi constitutionnelle prévoit qu’il faut résider dans une commune depuis cinq ans pour pouvoir voter !
M. Pierre Charon. Cet élargissement introduirait donc un déséquilibre majeur dans le corps électoral de la capitale.
Penser que la France sera plus généreuse si elle donne le droit de vote à tout le monde, c’est confondre ouverture et désordre.
M. François Rebsamen. Allez le dire à M. Sarkozy !
M. Pierre Charon. La véritable générosité consiste à respecter le choix de celui qui ne souhaite pas devenir français et d’honorer celui qui décide d’acquérir la nationalité française et de sceller ainsi son destin à celui de la France, en l’investissant de toutes les prérogatives de la citoyenneté.
Le vrai défi qui nous attend, c’est de donner envie aux hommes et aux femmes qui veulent participer à la vie civique de notre pays d’en devenir des citoyens à part entière en adoptant la nationalité française.
C’est cet horizon de respect et de cohésion nationale qui est le nôtre, et je ne puis que déplorer que la gauche utilise aujourd’hui cette triste ficelle ! Mais après tout, nous sommes habitués à cette gauche qui se lève tous les matins en se demandant comment elle va franchir la ligne blanche sans se faire attraper par la patrouille... (Murmures sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi la gauche aurait-elle peur de se faire attraper par la patrouille ? Est-ce M. Guéant qui la poursuit ?
M. Pierre Charon. Chers collègues de la majorité sénatoriale, si l’on va au bout de vos idées et de votre programme, qui propose la régularisation des clandestins via « une procédure simplifiée, s’appliquant à tous de manière égale », on se retrouve d’un seul coup avec tous les clandestins régularisés et munis d’une carte d’électeur. Cela commence à faire beaucoup !
On savait la gauche généreuse avec l’argent des autres, il faut maintenant qu’elle le soit avec les voix des autres ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) En bradant le droit de vote, vous accélérez la communautarisation des territoires français à la seule fin de récupérer quelques réserves électorales.
M. David Assouline. Cessez vos provocations !
M. Pierre Charon. N’avez-vous pas honte de vous rouler dans la démagogie avec la générosité en bandoulière ? (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.) N’avez-vous pas honte de recourir à cette triste ficelle qui vise à faire oublier votre silence sur toutes les questions que se posent les Français ?
M. David Assouline. Et vous, n’avez-vous pas honte de vos échecs ?
M. Pierre Charon. Et puis, il y a le Front national. Ah, vous l’aimez tellement, le Front national, que vous l’avez fait entrer au Parlement ! J’ai connu l’époque où il y avait à l’Assemblée nationale un groupe de plus de trente députés FN, que François Mitterrand poussait de toutes ses forces. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Vous continuez d’ailleurs à rencontrer – il faut le reconnaître – un certain succès en la matière,…
Mme Christiane Demontès. Il y a longtemps que vous n’avez pas besoin de nous pour faire monter le Front national !
M. Pierre Charon. … puisque, grâce à vous, une manifestation organisée par le Front national a eu lieu, cet après-midi, sous les fenêtres du Sénat.
Ne comptez donc pas sur moi pour agiter avec vous ce chiffon rouge, et ne comptez pas sur les sénateurs du groupe UMP pour frémir devant votre mascarade.
M. David Assouline. Vous avez dépassé votre temps de parole de plus d’une minute !
Mmes Éliane Assassi et Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est temps de conclure !
M. Pierre Charon. Je ne voterai évidemment pas cet article, par respect pour les hommes et les femmes qui font le choix de devenir français, ainsi que par souci de préserver la démocratie de la démagogie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, sur l’article.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre histoire commune est fondée, depuis la Révolution française, sur l’égalité des citoyens devant la loi et l’unicité de la République. Comment pouvez-vous oser proposer un texte qui crée une telle rupture d’égalité entre les Français et les étrangers qui ne sont pas naturalisés ? En effet, la rupture d’égalité dont vous parlez, c’est dans votre texte qu’elle se trouve !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. On a déjà entendu cela !
M. Jean-Claude Carle. De plus, votre proposition de loi constitutionnelle conduit à rompre le lien entre l’appartenance à la Nation et l’exercice de la souveraineté que constitue le droit de vote. Mes chers collègues, nous ne pouvons y souscrire !
Il n’existe pas, dans notre système républicain, de rupture d’égalité en défaveur des étrangers résidant en France. En matière de protection sociale, la distinction fondatrice du système n’a jamais opposé nationaux et étrangers, mais résidents et non-résidents. Autrement dit, tant pour les cotisations que pour le versement des prestations sociales, le fait générateur est bien de résider et de travailler en France.
Le code du travail dispose que les négociations collectives doivent assurer, dans les entreprises, le respect de l’égalité de traitement entre tous les salariés, qu’ils soient français ou étrangers. De même, les étrangers sont éligibles aux élections professionnelles et peuvent devenir délégués syndicaux. (Mme Christiane Demontès s’exclame.) Rien ne s’oppose, par conséquent, à ce que les étrangers siègent au sein des conseils d’administration.
Enfin, en 1982, l’ensemble des droits associatifs fut reconnu aux étrangers. En matière civile, il n’y a donc plus l’once d’une différence entre un Français et un étranger résidant en France, ce qui honore notre pays.
M. David Assouline. Ils l’ont tous dit !
M. Jean-Claude Carle. Je souhaite rappeler qu’être contribuable n’ouvre droit ni à la nationalité, ni au vote. Le droit fiscal est par principe un droit indépendant. Un citoyen n’est pas un consommateur de service public. A contrario, un étranger résidant en France a accès aux mêmes services publics que les nationaux.
Par ailleurs, votre texte pourrait laisser penser qu’il existe deux ordres distincts d’élections : les scrutins nationaux, d’une part, et les élections locales, d'autre part. Cette conception est erronée ! Comme l’a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 avril 1992, la désignation des conseillers municipaux a bien évidemment une incidence sur l’élection des sénateurs. Or le Sénat participe, en sa qualité d’assemblée parlementaire, à l’exercice de la souveraineté nationale.
Le Conseil constitutionnel a souligné que l’on ne pouvait pas établir de distinction entre les élections nationales et les élections locales, car le corps politique est unique et toujours composé des mêmes citoyens, « dont l’interchangeabilité garantit, avec la parfaite homogénéité du corps, l’indivisibilité de la souveraineté dont il est titulaire ».
Distinguer deux catégories d’élections et deux corps électoraux distincts, cela revient aussi à nier la double qualité d’un maire, comme vous l’avez justement rappelé, monsieur le ministre. Si le maire est le chef de l’administration communale décentralisée, il n’en est pas moins en même temps le représentant de l’État dans sa commune. À ce titre, il assure la publication et l’exécution des lois et règlements, sous l’autorité des représentants de l’État, dans le département, et des ministres.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est pour cela que les étrangers ne peuvent devenir maires !
M. Jean-Claude Carle. Le maire n’est donc pas seulement, contrairement à ce que vous laissez penser, le président d’un syndicat de citoyens locaux ; il est le représentant de l’État et de la Nation dans sa commune.
M. François Rebsamen. Merci, on le sait !
M. Jean-Claude Carle. Les élections municipales possèdent une véritable dimension politique. La simple résidence ou les intérêts que l’on peut avoir dans telle ou telle opération menée dans la commune ne donnent pas qualité à voter.
En conclusion, mes chers collègues, je rappellerai que, pour obtenir le droit de vote, tout ressortissant étranger doit faire le choix de lier son destin à celui de la France en demandant la nationalité française.
Mme Christiane Demontès. Vous, vous avez fait le choix de l’alliance avec le Front national !
M. Jean-Claude Carle. Contrairement à ce que vous avez affirmé, il n’en résulte ni discrimination ni atteinte au principe d’égalité. Si les étrangers vivant en France ne veulent pas accéder à la nationalité française, donc au droit de voter et d’être élus, ils ne sont pas pour autant privés de citoyenneté, puisqu’ils peuvent voter aux élections organisées dans leur pays d’origine.
Comment ne pas voir que cette proposition de loi constitutionnelle donne de nouveaux instruments aux partisans du communautarisme ? Nous considérons que c’est l’intégration qui constitue une condition d’acquisition de la nationalité française et donc d’obtention du droit de vote et d’éligibilité. Il est préférable que les étrangers intègrent d’abord le corps national avant de prendre part aux procédures démocratiques. C’est le fondement de notre République : pour voter, il faut être Français. Ce droit est la plus haute manifestation de l’appartenance à la Nation.
Je conclurai en citant le propos que m’a tenu l’un de nos compatriotes à l’issue de la cérémonie au cours de laquelle il a acquis la nationalité française : « Monsieur le sénateur, c’est l’un des plus beaux jours de ma vie. » (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aimons les débats, en particulier quand ils sont sans tabou. Nous avons donc tout lieu de nous réjouir que ce débat sur le droit de vote des étrangers puisse avoir lieu ce soir au Sénat, car il faut qu’il soit tranché. Comme les autres membres de mon groupe, je le trancherai par la négative. Je le ferai en tant que citoyen français, mais aussi en tant que citoyen européen.
On peut trouver des arguments pour ou contre cette proposition de loi constitutionnelle. Cependant, il existe aussi de faux arguments. Celui selon lequel le droit de vote aux élections locales des ressortissants de l’Union européenne pourrait marquer une étape vers la reconnaissance du droit de vote de tous les étrangers résidant de manière régulière sur notre sol constitue un contresens historique qu’il faut dénoncer.
Mme Éliane Assassi. Il faudrait aussi le démontrer !
M. Philippe Bas. En effet, pour tout citoyen de l’Union européenne, le citoyen d’un autre pays membre de cette union n’est plus tout à fait un étranger : c’est un citoyen qui possède une citoyenneté européenne en plus de sa citoyenneté nationale. Son passeport est à la fois national et européen ; il peut voter tant aux élections européennes, pour élire les députés au Parlement européen, qu’aux élections municipales. Par conséquent, pour chacun d’entre nous, il est un concitoyen d’Europe bien plus qu’un étranger.
Au moment où des négociations très importantes se déroulent à Bruxelles pour renforcer encore ce sentiment d’appartenance européen,…