Article 2
(Non modifié)
Dans la première phrase de l’article 88-3 de la Constitution, le mot : « seuls » est supprimé.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l'article.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’étonne de lire, dans le rapport de notre collègue Esther Benbassa, que la différence de droit, en matière de vote, entre les étrangers communautaires et les étrangers non européens constituerait une « asymétrie choquante ».
Je vois là, au contraire, le fondement essentiel de la citoyenneté européenne, telle qu’elle a été consacrée par le traité sur l’Union européenne de 1992, selon lequel est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre.
La loi organique du 25 mai 1998, transposant cette notion en droit français, a permis aux ressortissants européens de voter aux élections municipales depuis 2001. Si nous octroyons aux étrangers non communautaires les mêmes droits que ceux qui sont accordés aux ressortissants des États membres de l’Union européenne, nous diluerons le seul élément qui traduise, sur le plan de la citoyenneté, notre appartenance à l’Union. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
À l’heure où la crise de la zone euro nous montre les limites d’une monnaie unique adossée à une Europe politique bien trop faible, nous devons, plus que jamais, renforcer cette citoyenneté européenne.
Vous me permettrez d’y insister, mes chers collègues, le droit de vote découle avant tout de la nationalité, et non pas de la résidence, a fortiori de la résidence fiscale – c’est un argument encore plus réducteur et dangereux.
L’important, me semble-t-il, est que les nationaux ne résidant pas dans leur pays puissent y jouir de droits politiques. À cet égard, la France a toujours joué un rôle pionnier et elle continuera dans cette voie, l’an prochain, avec l’élection, pour la première fois, de onze députés représentant les Français établis hors de France.
En tant qu’expatrié, bénéficier des droits civiques et politiques dans son pays de nationalité a beaucoup plus de valeur.
Pour dépasser la conception étriquée d’une citoyenneté conditionnée par la résidence et renforcer la dimension civique de la nationalité, il me semblerait opportun, plutôt que d’accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires pour les élections locales françaises, de négocier avec les États étrangers pour qu’ils accordent à leurs expatriés des droits civiques aussi étendus que ceux que la France offre à ses propres ressortissants établis hors de ses frontières.
Nombre d’orateurs ont cité l’Irlande comme un exemple à suivre. Sachez, mes chers collègues, que les ressortissants irlandais habitant hors de leurs frontières n’ont aucun droit de vote dans leur pays de nationalité, et cela en totale conformité avec le droit international ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l'article.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nation française, contrairement à ce que l’on entend aujourd’hui sur les travées de la majorité sénatoriale, n’est pas une entité abstraite.
Elle s’est forgée, au cours des siècles, sur la base d’une histoire commune et d’un avenir partagé. (Brouhaha sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. David Assouline. On a déjà entendu tout cela !
M. André Reichardt. Ce n’est pas une construction intellectuelle. À cet égard, nous estimons que cette proposition de loi s’apparente à une forme d’hérésie constitutionnelle (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.), comme l’a brillamment exprimé notre collègue Jean-Jacques Hyest.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au bûcher ! Nous serons brûlés comme hérétiques !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est l’Inquisition ! (Rires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. André Reichardt. Les tenants de cette proposition de loi constitutionnelle estiment que, avec la citoyenneté européenne, c’est le concept même du couple citoyen-nation qui s’est effondré et qu’il est donc possible de continuer dans cette voie.
Ceux-là omettent que ce principe figure à l’article 3 de notre Constitution et qu’il remonte à la Révolution française. Ils oublient également les conditions qui ont prévalu lors de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a instauré le droit de vote pour les citoyens.
En effet, ce droit ne fut accordé que sous réserve de réciprocité, un principe qui n’apparaît nullement dans la présente proposition de loi constitutionnelle, alors qu’il devrait en constituer un élément essentiel, étroitement lié à l’engagement de notre pays.
La France – faut-il le rappeler ? – est un pays unitaire : la souveraineté est une et indivisible.
M. David Assouline. Mais oui !
M. André Reichardt. La souveraineté de la Nation est incarnée dans l’État ; elle ne se subdivise pas, ni ne se décompose. Il ne peut y avoir de souveraineté locale, encore moins municipale.
Ne confondons pas souveraineté et organisation administrative. Pour nous, le vote ne peut être dissocié de la nationalité.
Par ailleurs, sur le fond, l’article 2 du texte ne changera rien. Le vote des étrangers non-ressortissants de l’Union européenne ne trouvera ni justification ni légitimité dans le principe d’égalité, ou plutôt, devrais-je dire, d’inégalité, qui est invoqué ici.
Comment imaginer que des États, parfois très éloignés de la démocratie, puissent disposer, demain, par l’intermédiaire de leurs ressortissants résidant en France, d’un moyen de pression sur notre pays ?
Voter, c’est exercer un droit acquis par d’infatigables et permanents sacrifices, par des luttes, des chagrins, des souffrances, de la part d’hommes qui nous ont précédés dans l’histoire. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) C’est cela que notre Constitution consacre aujourd’hui !
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne peut accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires, ni aux élections municipales ni aux autres élections dans notre pays.
Nous soutiendrons avec force l’amendement de suppression de l’article 2 de ce texte, qui tend à retrancher de l’article 88-3 de notre Constitution un mot, certes anodin, mais qui réserve le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux seuls citoyens de l’Union européenne résidant en France. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Léonard, sur l’article.
M. Claude Léonard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en marge du rapport présenté par Esther Benbassa sur la présente proposition de loi constitutionnelle, figure une note particulièrement intéressante sur le droit de vote des étrangers ressortissants d’un État non-membre de l’Union européenne aux élections locales dans un certain nombre de pays européens.
On constate, tout d’abord, une multitude de situations : certains pays, à l’instar de la France, n’accordent pas le droit de vote aux étrangers : il s’agit de l’Allemagne, de l’Autriche ou encore de l’Italie. En Allemagne, il y a pourtant une importante communauté d’origine turque et, dans une moindre mesure, de nombreux immigrés originaires des pays de l’ex-Yougoslavie.
D’autres États accordent le droit de vote aux ressortissants de certains pays seulement, sous condition de réciprocité et moyennant une durée minimale de résidence, fixée au cas par cas : c’est le cas, notamment, de l’Espagne et du Portugal. S’agissant du premier État, la réciprocité concerne neuf pays, alors que, pour le second, seuls les immigrés originaires du Brésil et du Cap-Vert sont concernés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont les anciennes colonies !
M. Claude Léonard. Cela renvoie bien évidemment à la maîtrise de la langue.
Il y a, ensuite, des pays européens qui accordent le droit de vote et d’éligibilité à tous les étrangers ayant résidé de façon continue sur leur territoire pendant une durée minimale : il s’agit de la Belgique, du Danemark, des Pays-Bas, de la Suède, de certains cantons suisses et du Grand-Duché de Luxembourg.
M. David Assouline. Pas seulement, il y en a plus !
M. Claude Léonard. Ne vous en déplaise, ce sont les pères fondateurs de l’Europe !
Je m’arrêterai quelques instants sur la situation du Luxembourg, dont mon département est voisin et qui constitue un cas d’école très intéressant.
M. David Assouline. C’est un paradis ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Intéressant sur le plan fiscal !
M. Claude Léonard. Ce n’est pas faire injure à ce pays ami que d’affirmer que le Luxembourg a choisi son immigration, en accueillant massivement des étrangers d’origine portugaise.
L’intégration de cette communauté s’est relativement bien passée, sauf, justement, au moment où le gouvernement a accordé le droit de vote et d’éligibilité à tous les ressortissants de l’Union européenne, donc, tout naturellement, aux Portugais installés sur le territoire du Grand-Duché. Ces derniers sont, en effet, concentrés dans certains quartiers des villes les plus importantes et dans certaines communes, où ils représentent parfois plus de la majorité des électeurs.
C’est peu dire que, dans ces communes, le fait d’avoir accordé le droit de vote et d’éligibilité à leurs concitoyens d’origine portugaise a provoqué une certaine crispation – le mot est faible – chez les Luxembourgeois d’origine, qui, disons-le franchement, ne se sentaient plus véritablement chez eux. Tout cela, hélas, a débouché sur un sentiment xénophobe.
M. David Assouline. Vous voyez, personne n’est à l’abri !
M. Claude Léonard. Cette expérience, qui concernait pourtant des citoyens issus d’un pays membre de l’Union européenne, devrait nous inciter à la plus grande prudence lorsque nous abordons le sujet du droit de vote et d’éligibilité des ressortissants des pays non-membres de l’Union, compte tenu de l’histoire particulière de la France.
Je persiste à penser, comme je l’ai dit tout à l’heure, que, dans la mesure où, dans notre pays, la citoyenneté s’est construite autour de l’État-nation, il n’est pas possible de dissocier la citoyenneté de la nationalité.
Pour toutes ces raisons, j’estime qu’il n’est ni souhaitable ni possible d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-membres de l’Union européenne, installés sur notre sol.
En revanche, rien n’empêche ceux qui souhaitent s’impliquer plus avant dans la vie de leur cité, voire dans la vie politique nationale, de solliciter leur naturalisation et d’acquérir la nationalité française : ce sera, pour eux, un honneur de devenir français – c’est déjà le cas pour plusieurs milliers d’étrangers chaque année – et, pour nous, une très grande joie de pouvoir les accueillir au sein de notre communauté nationale.
Toutes ces considérations me conduiront, ainsi que mes collègues du groupe UMP, à voter contre la présente proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Buffet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. L’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle a été voté et l’article 2 constitue le dernier acte de la pièce jouée ce soir. Par cohérence, nous en demandons la suppression, et cela, tout d’abord, pour rappeler encore une fois, s’il est besoin, que ce texte est d’opportunité électorale. Cela a été dit à plusieurs reprises et personne ne le conteste désormais.
Si la gauche avait voulu en parler avant, la réforme constitutionnelle de 2008 lui permettait d’inscrire ce texte dans une niche parlementaire. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous n’avons pas cessé d’en parler ! Déjà en 2006, nous avions eu une discussion à ce sujet.
M. David Assouline. Chaque fois, vous disiez que ce n’était pas le bon moment !
M. François-Noël Buffet. Si, par ailleurs, elle avait souhaité porter jusqu’au bout ce projet, François Mitterrand, en son temps, avait la possibilité de saisir le peuple français et de lui demander son avis par la voie du référendum. Il ne l’a naturellement pas fait !
M. David Assouline. Et le traité de Maastricht ?
M. François-Noël Buffet. Par ailleurs, notre groupe est intimement convaincu que le droit de vote est lié à la citoyenneté, à la Nation, à la volonté d’être Français, de partager les valeurs de notre pays, ses engagements, son souci de rassemblement, de liberté, d’égalité et de fraternité.
Le droit de vote ne s’achète pas en acquittant une taxe locale, de quelque nature qu’elle soit !
Quand on veut être Français, on demande et on obtient sa naturalisation ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Cet amendement appelle les mêmes commentaires que l’amendement n° 4. Par coordination, la commission lui a donc donné un avis défavorable.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 11 est présenté par Mme Benbassa, au nom de la commission.
L'amendement n° 8 est présenté par MM. Rebsamen, Leconte et Sueur, Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché et du Groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
La première phrase de l'article 88-3 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est » ;
2° Le mot : « seuls » est supprimé.
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 11.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination tendant à mettre en place, à l’article 88-3 de la Constitution, un dispositif similaire à celui que nous venons d’adopter, par le vote de l’amendement n° 10, pour le futur article 72-5 de la Constitution.
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour présenter l'amendement n° 8.
M. François Rebsamen. Il est retiré, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 8 est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 11 ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement est assez extraordinaire : s’il est adopté, l’égalité entre les citoyens européens et les étrangers non communautaires sera totale !
M. Bruno Retailleau. Sans réciprocité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais non, puisque les ressortissants communautaires peuvent voter aux élections européennes !
M. Jean-Jacques Hyest. Telle est bien la volonté qui sous-tend cet amendement.
Nous l’expliquons depuis le début de cet après-midi : si des traités permettent de déroger aux dispositions de l’article 3 de la Constitution, c’est justement parce qu’ils ont été ratifiés par les pays européens.
En outre – faut-il le rappeler ? –, non seulement le citoyen européen peut voter aux élections municipales, mais, aux termes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il a également la possibilité de voter aux élections au Parlement européen. C’est bien le signe qu’il existe une citoyenneté spécifique.
À partir du moment où la situation de l’étranger non communautaire est assimilée à celle du ressortissant communautaire, tout ce qui figure dans les traités ratifiés par la France n’a, de fait, plus de sens.
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà qui est tout de même paradoxal. Pour ma part, étant très attaché à la construction européenne,…
M. François Rebsamen. Justement !
M. Jean-Jacques Hyest. … selon la conception qui a été rappelée à plusieurs reprises dans nos débats, je trouve cet amendement particulièrement regrettable, et je ne le voterai pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d’un débat au cours duquel nous avons beaucoup invoqué notre histoire et longuement parlé de citoyenneté.
Il y a lieu de nous en réjouir, car, trop souvent, nombreux sont les Français qui n’ont pas le sentiment d’être regardés comme des citoyens à part entière, au travers des politiques économiques et sociales que mène le Gouvernement.
Mme la rapporteure a excellemment inscrit cette proposition de loi constitutionnelle dans l’histoire de notre République et plusieurs orateurs en ont appelé à l’Histoire, avec un grand H.
Pour ma part, je me bornerai à vous parler du présent et de notre avenir immédiat.
Jusqu’à quand, monsieur le ministre, chers collègues de l’opposition, continuerez-vous de considérer que des étrangers en situation régulière, apportant à notre pays leur force économique et leur renfort démographique, n’ont pas à gagner le droit, limité, de voter sur le territoire de leur commune de résidence ?
Jusqu’à quand refuserez-vous d’admettre que, dans nos communes, dans nos quartiers si souvent stigmatisés et qualifiés de « difficiles », le fait de maintenir des étrangers en lisière de notre vie publique, alors même que beaucoup d’entre eux sont parents d’enfants français, revient à appauvrir notre vie démocratique et à freiner l’intégration de toute une famille ?
Cette proposition de loi constitutionnelle est, certes, une innovation susceptible d’en troubler certains, mais elle marque, surtout, un réel progrès démocratique, de nature à fortifier notre vivre-ensemble, qui, à mon sens, en a bien besoin.
Dans le monde d’aujourd’hui, que vous le vouliez ou non, les flux migratoires réguliers ne peuvent que croître. À nous d’y voir non une menace, mais plutôt une chance d’échanges et de compréhension accrue.
Ce que nous devons réussir, c’est changer profondément le regard de notre société sur l’étranger. Lorsque vous répétez à satiété que celui-ci doit absolument choisir la naturalisation s’il veut participer à l’échelon de base de la vie démocratique, vous niez, de fait, l’importance de la collectivité de proximité, le rôle de la commune dans l’apprentissage de la participation démocratique, et vous faites la preuve de votre incapacité à tisser un lien fort avec toutes ces personnes qui résident durablement chez nous, vivent au milieu de nous et comme nous.
Vous démontrez aussi votre incapacité à faire évoluer nos institutions pour répondre aux évolutions, bien réelles, du monde.
Monsieur le ministre – à travers vous, je m’adresse aussi à la majorité qui vous soutient –, l’histoire jugera de votre conservatisme et de votre acharnement à multiplier les barrières entre notre communauté nationale, à laquelle nous sommes attachés autant que vous, et les étrangers, quand bien même ceux-ci ont choisi de vivre dans notre pays durablement, pacifiquement, régulièrement, sans nier pour autant leur propre nationalité.
Nous voulons, nous, leur offrir cette faculté. C’est pourquoi nous avons soutenu cette proposition de loi constitutionnelle, que nous voterons avec conviction ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur Buffet, c’est à vous que je m’adresserai en cet instant. À plusieurs reprises, nous avons essayé de débattre avec vous du droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales, notamment en 2006. Vous avez toujours refusé, arguant qu’il fallait le faire plus tard. Eh bien, plus tard, comme vous disiez, c’est aujourd’hui !
Mes chers collègues, je me dois de le dire, le vote de cette proposition de loi constitutionnelle est pour nous un moment important. Au fond, nous allons réparer une discrimination qui existe, sur notre territoire, entre les étrangers communautaires et non communautaires.
Les arguments invoqués sur de prétendues différences entre les uns et les autres ne sont pas convaincants. D’aucuns ont parlé d’une communauté de destin. Mais comment occulter celle qui unit à la France les étrangers non communautaires présents sur notre territoire, dont la plupart sont issus des anciennes colonies françaises ? Si son histoire a été souvent marquée par beaucoup de souffrances, cette communauté de destin existe bel et bien !
La France a fait venir la plupart d’entre eux pour travailler dans les usines,…
M. Jacky Le Menn. Dans les mines !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … pour construire des routes, des logements. Ils ont donné à la France des enfants, des garçons et des filles français qui travaillent dans notre pays après y avoir été scolarisés. Et aujourd’hui, vous affirmez que, contrairement aux Européens, ils n’ont pas de communauté de destin avec les nationaux. Cela ne tient pas, et vous le savez !
L’argument de la langue est également irrecevable, car la plupart d’entre eux sont francophones, soit parce qu’ils sont issus de pays qui parlent largement le français, soit parce qu’ils vivent ici depuis longtemps.
C’est d’ailleurs ce qui avait amené M. Philippe Séguin – contrairement à ce que le Premier ministre a déclaré tout à l'heure –, à affirmer en 2001 qu’il était favorable au vote des résidents francophones aux élections locales.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas vrai !
M. David Assouline. Il l’a dit !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est aussi ce qui fonde le droit de vote aux élections locales, par exemple, au Royaume-Uni et au Portugal, deux pays qui accordent cette faculté aux ressortissants de leurs anciennes colonies.
La citoyenneté européenne est une construction. Peut-être verra-t-elle le jour dans l’avenir mais, aujourd’hui, elle n’existe pas dans les faits.
Comment définir la citoyenneté dans la cité, sinon par le fait d’y résider, d’y travailler, d’y avoir ses enfants à l’école – en un mot, de participer à la vie de la cité ?
Dès 1992, nous avons souligné cette injustice à l’égard de tous ceux qui vivent sur notre sol depuis très longtemps. Les résidents étrangers établis sur notre territoire ont conquis peu à peu, souvent grâce aux luttes syndicales, les droits civils, économiques et sociaux.
Mme Marie-France Beaufils. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ces droits ne leur ont pas été octroyés, ils ont été conquis en dépit de ceux qui, peut-être parmi vous, chers collègues de l’opposition – je ne le sais, je n’ose ni le dire ni le penser – s’y opposaient. En tout cas, même si le processus a été long, ils ont effectivement acquis un certain nombre de droits. Et c’est la moindre des choses !
Aujourd’hui, l’opinion publique a évolué. En 2006, quand nous avions souhaité la discussion de cette même proposition de loi constitutionnelle, les enquêtes faisaient ressortir que 63 % des Français étaient favorables au droit de vote des étrangers aux élections municipales. Les enquêtes sont, certes, variables, mais cela ne vous a pas empêchés de vous déterminer souvent par rapport à elles, chers collègues de l’opposition.
Cette tendance a été confirmée depuis lors, malgré la stigmatisation permanente dont les étrangers n’ont cessé d’être l’objet dans notre pays de la part des gouvernements de droite.
Les Français confirment leur accord pour ce droit de vote aux étrangers aux élections municipales chaque fois qu’on leur pose la question. S’ils l’acceptent, c’est parce qu’ils côtoient tous les jours des étrangers qui sont, en effet, très intégrés dans notre pays. S’ils n’ont pas la nationalité, c’est souvent parce qu’ils ne pensaient pas rester en France. Ils y sont demeurés pour des raisons qui ne tiennent pas forcément à eux, mais, quoi qu’il en soit, ils y sont restés.
M. François Rebsamen. Bien sûr !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le répète, ils ont donné des enfants à notre pays…
M. François Rebsamen. Qui sont français !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … qui sont français, en effet ! S’il arrive qu’ils n’aient pas la nationalité française, c’est parce qu’ils n’ont pas pu l’obtenir. En effet, contrairement à ce que vous voulez faire croire, celle-ci n’est pas si facile à obtenir.
La France, qui n’a pas été à l’avant-garde pour accorder le droit de vote aux femmes, l’est encore moins aujourd’hui pour donner à ces dernières leur place en politique. Malheureusement, il y a même des reculs, que vous favorisez, d’ailleurs, en vous employant à modifier les modes de scrutin qui garantissent la parité entre les hommes et les femmes.
J’ose espérer que, en votant ce texte ce soir, la France rattrapera son retard en matière de droit de vote des étrangers aux élections locales. Ce droit de vote, c’est aussi un signal fort, attendu, contrairement à ce que vous affirmez, par de nombreux jeunes. Faute d’avoir jamais vu leurs parents voter, ceux-ci considèrent la France comme un pays où les étrangers regardent les autres voter. Ces parents qui vivent dans la cité, qui participent à la vie de cette dernière n’ont jamais pu glisser leur bulletin de vote dans l’urne pour élire les conseillers municipaux ou les maires !
M. André Reichardt. Chez eux, si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes heureux, aujourd’hui, d’avoir contribué à changer cette situation.
M. David Assouline. Très heureux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour cette raison, je crois que nous pouvons être fiers de la nouvelle majorité du Sénat ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 66 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 173 |
Contre | 166 |
Le Sénat a adopté. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC se lèvent et applaudissent longuement.)