M. François Marc. Compte tenu de l’écart croissant observé entre les rémunérations les plus faibles et les plus élevées au sein des entreprises, nous avons déposé cet amendement qui tend à limiter les rémunérations très importantes accordées en fin de parcours professionnel pour préparer les fameuses « retraites chapeau ».
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que la moyenne des rémunérations salariales des entreprises du CAC 40 a progressé de 13 % en dix ans, alors que celle des rémunérations des cadres les plus élevés dans la hiérarchie, sur la même période, a progressé de 35 %.
L’année dernière, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, le ministre François Baroin a affirmé qu’il n’était pas besoin d’encadrer les retraites chapeau, car le milieu économique avait mis en place des « garde-fous », s’en tenant ainsi au vœu pieux de l’autorégulation. Si l’on y regarde de plus près, on constate que le MEDEF a recommandé aux entreprises de ne pas accorder de « parachute doré » d’un montant supérieur à deux années de rémunération, prime de non-concurrence incluse – ce qui est déjà beaucoup ! –, et d’inclure le montant de la retraite supplémentaire, qui ne saurait dépasser un pourcentage limité de la rémunération fixe, dans la rémunération globale. Cependant, il ne s’agit que de « recommandations », dépourvues de toute force contraignante. Par ailleurs, c’est à la puissance publique qu’il appartient, selon nous, de réguler le marché. Le problème demeure, en quelque sorte, sans solution.
Notre amendement vise donc plus particulièrement les retraites jugées excessives. Il arrive souvent que les entreprises augmentent le salaire de leurs dirigeants peu de temps avant leur départ, sans que cela soit justifié par leurs performances. Notre amendement tend donc à taxer ces rémunérations, artificielles selon nous : si ces augmentations interviennent dans un délai inférieur à six mois avant la date de départ en retraite, les entreprises seront soumises à une taxe supplémentaire de 15 % sur leur bénéfice imposable. En effet, de telles augmentations de salaire dissimulent assez mal leur réelle fonction, il est donc légitime de les taxer.
Notre amendement vise en outre à fiscaliser les indemnités de départ attribuées aux dirigeants de société sous la forme d’un capital, qu’il s’agisse de primes ou d’actions gratuites. Cette fiscalisation permettrait de limiter le montant de ces indemnités.
Alors que le Gouvernement entend imposer l’austérité aux Français, il est normal que la modération salariale s’impose à tous, notamment aux grands dirigeants. Cet amendement a donc pour objet d’introduire une régulation des rémunérations très importantes accordées en fin de parcours professionnel : leur fiscalisation serait de nature à moraliser les pratiques en vigueur.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement a deux objectifs.
Tout d’abord, il tend à intégrer les indemnités de départ composées de primes ou d’actions gratuites au sein du revenu imposable. Or ce premier objectif est déjà atteint par la rédaction actuelle de l’article 80 duodecies du code général des impôts, auquel fait référence l’amendement, qui précise que « constitue […] une rémunération imposable toute indemnité versée, à l’occasion de la cessation de leurs fonctions, aux mandataires sociaux [et] dirigeants ».
Les plus-values d’acquisition et de cession des actions gratuites sont quant à elles fiscalisées entre les mains de l’attributaire, ou à un taux forfaitaire auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux, soit une taxation d’environ 53 %, ou au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Pour ce qui est de son premier objet, l’amendement est donc satisfait par l’article du code général des impôts auquel il fait référence.
Le second objet de l’amendement, à savoir la mise en place d’une taxe additionnelle de 15 % sur les bénéfices imposables des sociétés dont l’organe social augmente la rémunération d’un ou plusieurs dirigeants dans les six mois précédant leur départ, est légitime et présente même un grand intérêt.
C’est bien l’impôt sur les sociétés qui est renchéri et la surtaxe est dissuasive : l’arbitrage au sein de la société devrait conduire à ne pas attribuer de rémunérations supplémentaires dans les six derniers mois.
La commission est donc favorable au 2° de l'amendement, car il peut dissuader de recourir à une pratique trop souvent utilisée et qui n’est pas couverte par les textes en vigueur, mais elle ne souhaite pas que le 1° soit retenu. Elle demande donc aux auteurs de l’amendement de bien vouloir le modifier en conséquence.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je suis défavorable aux deux parties de l’amendement, et cela pour des raisons un peu différentes.
En premier lieu, s’agissant des indemnités de cessation de fonction, je rappelle que désormais, comme l’a dit Mme Bricq, toutes les indemnités versées aux dirigeants à l’occasion de leur cessation de fonction sont par principe imposables. Elles ne sont exonérées, par exception et sous plafond, que lorsque la cessation revêt un caractère forcé.
L’encadrement des « parachutes dorés » des dirigeants des entreprises cotées a été considérablement renforcé.
L’article 17 de la loi TEPA, cette loi que vous n’aimez pas, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition – ou peut-être devrais-je dire de la majorité (Sourires) –, a mis en place un régime juridique permettant de garantir que les indemnités de départ des dirigeants ne leur sont pas indument versées mais récompensent uniquement leurs performances.
La déduction de l’assiette de l’impôt sur les sociétés des rémunérations différées et versées aux dirigeants de sociétés cotées est déjà plafonnée à 210 000 euros.
L’article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a soumis aux cotisations sociales, à la CSG et à la CRDS la fraction des indemnités de rupture supérieure à trois plafonds de la sécurité sociale, plafond qui a été porté par l’article 10 ter du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour2012 à deux plafonds, soit un peu plus de 70 000 euros.
Il me semble donc que la première partie de l’amendement est largement satisfaite.
Quant à la seconde partie, je dois avouer que je n’en comprends pas très bien l’objet. Quelles sont en effet les entreprises qui augmentent les salaires des dirigeants avant leur départ ? J’ai du mal à percevoir quels cas sont visés, car, la plupart du temps, lorsqu’un dirigeant est évincé, cela se fait sans préavis de six mois !
Mais, à supposer même qu’une entreprise ait le curieux désir d’augmenter le salaire de son dirigeant juste avant son départ, une taxe de 15 % sur les bénéfices imposables représenterait une somme, non pas dissuasive, pour reprendre le terme employé par Mme la rapporteure générale, mais irréaliste ! Que le salaire du dirigeant soit déclaré non déductible des charges pour le calcul de l’impôt sur les sociétés serait en rapport avec l’objectif recherché, mais, là, on perd tout sens des proportions.
Il me vient en outre à l’esprit que, si l’on prend le cas d’une entreprise que vous aimez beaucoup citer, Total, qui ne fait pas de bénéfices en France et que celle-ci décide de doubler le salaire de son dirigeant six mois avant son départ, elle ne sera pas sanctionnée puisqu’elle n’est pas redevable de l’impôt sur les sociétés en France !
Je crois donc que la bonne façon de procéder n’est pas celle-là, mais celle qu’a choisie le Gouvernement, à savoir la taxation des golden parachutes, des retraites chapeau et autres dispositifs que vous n’aviez pas taxés il y a dix ans. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Marc Todeschini. Elle ne peut pas s’en empêcher ! (Sourires sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. Monsieur Marc, que pensez-vous de la suggestion de Mme la rapporteure générale ?
M. François Marc. Compte tenu des indications données par la commission, j’accepte de supprimer la première partie de l’amendement n° I-120 rectifié bis, ce qui permettra de lever l’ambiguïté mentionnée par Mme la rapporteure générale.
Par ailleurs, puisque Mme la ministre s’interroge sur les cas que nous entendons viser, je lui indique d’abord que notre amendement a une vocation générale : il s’agit de compléter l’arsenal des garde-fous réglementaires en instituant ce dispositif dissuasif.
Ensuite, madame la ministre, il y a des entreprises qui se livrent à ces pratiques : certes, cet amendement n’a pas été puisé à bonne source (Sourires.), mais il n’est pas non plus tombé du ciel ! Ce sont les entretiens que nous avons pu avoir avec un certain nombre d’observateurs et même avec des dirigeants d’entreprise qui nous ont amenés à le déposer.
Dès lors, il a une finalité tout à fait légitime dans la mesure où il apporte une protection supplémentaire en même temps qu’il permet, dans cette période troublée où il y a tant d’inégalités dans les rémunérations, d’éviter une dérive qui a pu être constatée, certes pas de façon généralisée, mais dans quelques cas.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° I-120 rectifié ter, présenté par M. Marc, Mme M. André, MM. Frécon, Miquel, Berson, Botrel et Caffet, Mme Espagnac, MM. Germain, Haut, Hervé, Krattinger, Massion, Patient, Patriat, Placé, Todeschini, Yung et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, qui est ainsi libellé :
Après l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 80 duodecies du code général des impôts est complété par un 3 ainsi rédigé :
« 3. Toute société dont le conseil d’administration ou le directoire décide d’augmenter la rémunération d’un dirigeant pendant la période de six mois précédant son départ de l’entreprise est redevable d’une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés au taux de 15 % sur son bénéfice imposable. »
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Je ne résiste pas à faire une brève intervention, le dispositif proposé me paraissant inadéquat, et cela pour deux raisons.
Si l’on constate des résultats brillants, augmenter la rémunération d’un dirigeant alors qu’il s’apprête à quitter l’entreprise n’est pas forcément et par nature illégitime,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … surtout si sa rémunération était auparavant modérée.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Si en revanche la situation de l’entreprise que quitte le dirigeant était à ce point compromise que son résultat fiscal deviendrait négatif, cette augmentation serait vraiment, moralement et économiquement, très condamnable, et, monsieur Marc, le dispositif serait alors techniquement inopérant.
Bref, je comprends vos intentions, qui peuvent dans une large mesure être partagées, mais, sincèrement, vous ne touchez pas, à mon avis, les bonnes cibles.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. J’estime que, dans tous les cas de figure, cet amendement sera inopérant et ne changera strictement rien.
Par exemple, si le départ du dirigeant est prévu, il sera augmenté non pas six mois mais sept mois auparavant.
M. Philippe Dallier. Il peut aussi y avoir le cas contraire : un dirigeant est augmenté, puis, pour une raison x ou y imprévisible alors, il quitte l’entreprise ; celle-ci va donc se voir taxée de 15 % supplémentaires sans que rien ne le justifie !
Pour tout dire, cela me paraît être un drôle d’amendement et je crains qu’il ne rate son but de toutes les manières.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4.
L'amendement n° I-10, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° L’article 112 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 9° La fraction d’intérêts non déductible en application du dernier alinéa du 1 de l’article 212 bis. » ;
2° Le premier alinéa du II de l’article 209 est ainsi modifié :
a) Après les mots : « mentionnée au sixième alinéa du 1 du II de l'article 212 », sont insérés les mots : « et au dernier alinéa du 1 de l’article 212 bis » ;
b) À la fin, les mots : « et au sixième alinéa du 1 du II de l’article 212 » sont remplacés par les mots : « , au sixième alinéa du 1 du II de l'article 212 et au dernier alinéa du 1 de l'article 212 bis » ;
3° Après l’article 212, il est inséré un article 212 bis ainsi rédigé :
« Art. 212 bis. – 1. Lorsque le montant des intérêts déductibles servis par une entreprise excède simultanément au titre d’un même exercice les deux limites suivantes :
« a. 3 000 000 euros ;
« b. 80 % du résultat courant avant impôts préalablement majoré desdits intérêts, des amortissements pris en compte pour la détermination de ce même résultat et de la quote-part de loyers de crédit-bail prise en compte pour la détermination du prix de cession du bien à l’issue du contrat, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011 ;
« la fraction des intérêts excédant la limite visée au b ne peut être déduite au titre de cet exercice.
« Ce taux est fixé à 60 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2012 et à 30 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2013.
« Toutefois, cette fraction d’intérêts non déductible immédiatement peut être déduite au titre de l’exercice suivant à concurrence de la différence calculée au titre de cet exercice entre la limite mentionnée au b et le montant des intérêts déductibles. Le solde non imputé à la clôture de cet exercice est déductible au titre des exercices postérieurs dans le respect des mêmes conditions sous déduction d’une décote de 5 % appliquée à l’ouverture de chacun de ces exercices.
« 2. Les dispositions prévues au 1 ne s’appliquent pas aux intérêts dus à raison des sommes ayant servi à financer :
« 1° Des opérations réalisées dans le cadre d’une convention de gestion centralisée de la trésorerie d’un groupe par l’entreprise chargée de cette gestion centralisée ;
« 2° L’acquisition de biens donnés en location dans les conditions prévues aux 1 et 2 de l’article L. 313-7 du code monétaire et financier.
« Ces dispositions ne s’appliquent pas non plus aux intérêts dus par les établissements de crédit mentionnés à l’article L. 511-9 du même code. » ;
4° L’article 223 B est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par exception aux dispositions prévues au dernier alinéa du 1 de l’article 212 bis, les intérêts non admis en déduction, en application des quatre premiers alinéas du 1 du même article, du résultat d’une société membre d’un groupe et retenus pour la détermination du résultat d’ensemble ne peuvent être déduits des résultats ultérieurs de cette société. » ;
5° Après la référence : « 209 », la fin du dernier alinéa du 6 de l’article 223 I est ainsi rédigée : « d’une part et au sixième alinéa du 1 du II de l’article 212 et au dernier alinéa du 1 de l’article 212 bis d’autre part. » ;
6° Le dernier alinéa de l’article 223 S est complété par les mots : « et au cinquième alinéa du 1 de l’article 212 bis. »
La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. J’ai proposé à la commission des finances cet amendement qui s’inspire, monsieur Foucaud, du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires et aussi, madame la ministre, du dispositif actuellement appliqué en Allemagne, ce qui le pare déjà de deux vertus ! (Sourires.)
Troisième vertu de cet amendement, il a été présenté lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale par notre collègue Jérôme Cahuzac, président de la commission des finances. Autant dire que nous y tenons !
Je me tourne vers M. Foucaud pour préciser ce que j’avais commencé à lui exposer tout à l’heure.
Cet amendement vise à plafonner la déductibilité des intérêts servis par une entreprise au titre d’un même exercice à 30 % du résultat brut avant impôts et dans la limite de 3 millions d’euros.
Afin de ne pas bouleverser les modalités de financement des entreprises, la mise en place du plafond serait progressive, soit 80 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011, puis de 60 % en 2012 et, enfin, de 30 % en 2013.
Cet amendement complet comporte par ailleurs plusieurs mesures. Je vous fais grâce, mes chers collègues, des mesures de coordination, mais je souligne qu’une des mesures proposées a deux caractéristiques communes avec le régime de lutte contre la sous-capitalisation.
Est par exemple prévue une faculté de report de la fraction des intérêts non déductibles au titre d’un exercice, cette fraction pouvant ainsi être déduite durant l’exercice suivant, à concurrence de la différence entre la limite que j’ai indiquée tout à l’heure et le montant des intérêts déductibles. Le solde non imputé à la clôture de cet exercice est ensuite déductible au titre des exercices postérieurs, sans limitation de durée, dans les mêmes conditions et sous déduction d’une décote annuelle de 5 %.
Madame la ministre, cet amendement me paraît donc un bon moyen de parvenir à une réelle convergence avec le droit allemand en vigueur tout en restant dans la lignée des recommandations du Conseil des prélèvements obligatoires : je suis convaincue que ce sera une avancée du droit en matière de plafonnement de la déductibilité des intérêts d’emprunt pour les entreprises imposées à l’impôt sur les sociétés.
Quant à la question de savoir quel serait le rendement d’un tel dispositif, monsieur Foucaud, je ne suis pas en mesure d’y répondre– je ne crois pas d’ailleurs que quiconque ici pourrait le faire ce soir –, mais je sais que cet amendement est « sécurisé » et correspond vraiment à ce que vous souhaitez.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Cet amendement part d’une très bonne intention. C’est d’ailleurs logique, puisqu’il a été présenté par le président de la commission des finances à l’Assemblée nationale et par la rapporteure générale au Sénat. (Sourires.)
C’est en effet une bonne intention que de vouloir tendre à une convergence franco-allemande. Je suppose que ses auteurs ont en outre pour objectif un rapprochement de la fiscalité des grandes entreprises et des PME, puisque l’on sait que les grandes entreprises françaises bénéficient plus que les PME de la possibilité de défiscaliser les intérêts d’emprunt.
Néanmoins, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
En effet, nous avons entamé un travail de convergence franco-allemande et nos interlocuteurs allemands nous ont fait savoir que leur dispositif ne les satisfaisait plus : ils veulent en changer pour se rapprocher du dispositif de déductibilité français actuel, qui est beaucoup plus favorable.
Par conséquent, il serait dommage que, dans cette volonté de convergence, nous nous croisions et divergions à nouveau, nous, en essayant de limiter la déductibilité des intérêts d'emprunt, eux, en décidant de l'augmenter. Cet effet de ciseaux serait tout à fait regrettable.
Nous travaillons de concert avec la direction de la législation fiscale allemande, en examinant comment traiter les intérêts d'emprunt, à une période où les entreprises ont besoin de se financer par emprunt, ou encore comment régler la question du taux de l'impôt sur les sociétés. Certes, en Allemagne, la déductibilité d'intérêts d'emprunt est moins importante, mais le taux d'impôt sur les sociétés est de 15 %, alors que le nôtre atteint 33 %.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous ne parlons pas de la même chose !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Mais si, dans votre calcul, vous ajoutez 14 % de fiscalité destinée aux Länder, qui correspondent à notre taxe professionnelle, notre CET ou notre CVAE.
Madame la rapporteure générale, il semble préférable d’attendre le rapport de la mission de convergence franco-allemande, qui traitera précisément des questions d'assiettes et de taux. Pour le moment, nous n'avons aucune visibilité. La seule information dont nous disposions, c’est que les Allemands ne veulent plus de leur système. Il serait donc dommage que nous l’adoptions !
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur Foucaud, le Conseil des prélèvements obligatoires prévoit une recette supplémentaire pour l’État d’environ 11 milliards d'euros sur trois ans, mais il ne prend pas la même référence que nous. Par conséquent, l’adoption de la mesure proposée par la commission dégagera une recette inférieure.
Madame la ministre, la CVAE n'est pas un impôt sur le bénéfice.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Le Conseil des prélèvements obligatoires a mené une étude et procédé à des comparaisons avec le système allemand : le taux facial en France est supérieur ; il est légèrement inférieur en Allemagne.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame la rapporteure générale, les Allemands ont le financement des Länder et celui de l'État fédéral. Pour notre part, nous avons le financement des régions et des collectivités territoriales, d’un côté, celui de l'État, de l'autre. Si la CVAE n’est pas assise sur les bénéfices, c'est par choix. Mais ce n'est pas parce que l’assiette n’est pas la même que la fiscalité ne pèse pas sur les entreprises !
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. Madame la rapporteure générale, ne voyez aucune malice dans mes propos. Je vous ai interrogée pour connaître le rendement de la disposition prévue dans votre amendement. Vous avez affirmé que votre dispositif était meilleur que le nôtre car il était plus précis. Pourtant, nous sommes, nous, en mesure d’indiquer le rendement du dispositif que nous proposons.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cet amendement est important et lourd de conséquences, puisque son adoption accroîtrait vraisemblablement la charge fiscale pesant sur les entreprises d’environ 2 milliards par an. Cette mesure vise particulièrement les groupes d'entreprises qui ont des relations de trésorerie. Il s’agit d’entités formées d'un certain nombre de sociétés, dont certaines peuvent avoir une trésorerie disponible susceptible d'être prêtée à d'autres sociétés du groupe.
En 2006 ou 2007, l'actuelle majorité gouvernementale a durci les règles dites « de lutte contre la sous-capitalisation des sociétés anonymes ». Le régime que tend à modifier cet amendement a été réécrit totalement voilà quelques années seulement.
Une mise en garde s’impose. Madame la rapporteure générale, si l'on suit votre initiative, des groupes d'entreprises seront conduits à des restructurations juridiques, afin que la trésorerie des sociétés liées soit répartie différemment au sein de l’ensemble économique du groupe.
Je veux bien que l'on se réfère au régime allemand, sous les réserves formulées par le Gouvernement sur l'évolution probable du régime fiscal outre-Rhin. Mais le fait de ne fonder la fiscalité que sur le résultat par société, alors que le groupe est un ensemble économique et que le seul résultat économiquement probant est bien celui du groupe, n'est ni moderne, ni adapté à la réalité économique. Au contraire, il s’agit d’une démarche de nature à créer des distorsions et qui ne serait pas neutre selon la structuration juridique des groupes.
Pour ma part, je considère que prélever, à l'aide d'une telle mesure, environ 2 milliards d'euros de plus par an au titre de l'impôt sur les sociétés n'est pas raisonnable.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je ne sais pas si je parviendrai à vous rassurer, monsieur le président de la commission, mais il est explicitement indiqué dans le texte de l'amendement que les centrales de trésorerie n’entrent pas dans le dispositif. Par conséquent, votre argument selon lequel cela pénaliserait les groupes d’entreprises ne tient pas.
Par ailleurs, la lutte contre la sous-capitalisation perdure et n’est pas remise en cause, bien au contraire ! C'est ce que j'ai indiqué tout à l'heure à Thierry Foucaud : notre amendement va tout à fait dans ce sens.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il peut y avoir des prêts d'une société à une autre sans que cela passe par une centrale de trésorerie !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Quant au rendement annuel du dispositif, il sera au moins de l’ordre de 2 milliards d'euros par an ; voilà qui peut rassurer Thierry Foucaud.
Je ne peux malheureusement être plus précise, mais, entre les estimations du Conseil des prélèvements obligatoires, dont les calculs se fondent sur d’autres critères, et ce que prévoit l'amendement, on peut considérer que les recettes pourraient atteindre des sommes de l’ordre de 8 milliards à 9 milliards d'euros environ pendant trois ans ; elles seront de toute façon inférieures à 11 milliards d'euros, c’est clair.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Valérie Pécresse, ministre. Permettez-moi de rappeler toutes les hausses d'impôt sur les sociétés qui ont été décidées depuis le plan Fillon du 24 août dernier.
Nous avons d'abord instauré l'impôt sur les sociétés minimal, outil de convergence franco-allemande s'il en est. Toutes les entreprises qui dégageront cette année un bénéfice supérieur à 1 million d'euros seront taxées sur au moins 40 % de ce bénéfice. En d’autres termes, elles ne pourront pas reporter leur déficit sur plus de 60 % de leur bénéfice. Cette mesure, qui concerne surtout les grands groupes bénéficiaires, rapportera à l'État 2 milliards d'euros.
Nous avons ensuite décidé la suppression du bénéfice mondial consolidé, ce qui permet de dégager 500 millions d'euros d'impôt sur les sociétés supplémentaires.
Nous allons maintenant mettre en place – en tout cas, je l’espère – une surtaxe de 5 % jusqu'au retour à l'équilibre budgétaire. Cela représente 1,1 milliard d'euros de plus.
Il faut également évoquer la niche Copé. Le prélèvement sur la quote-part pour frais et charges est doublé et passe de 5 % à 10 %, ce qui représente un montant de 400 millions d'euros.
Cela fait beaucoup de charges nouvelles pour les entreprises. Certes, il était normal que les grands groupes prennent leur part de l'effort que nous demandons à tous les Français, mais il ne faut pas aller trop loin, au risque de pénaliser la compétitivité de l'économie française.
Il est vrai qu’il existe des différences d’assiettes, de taux, d’objectifs entre les impôts allemands et les impôts français. Cela justifie pleinement la constitution d'un groupe de travail franco-allemand qui réfléchisse à la convergence des deux systèmes, de façon que nos entreprises ne soient pas beaucoup plus taxées que leurs voisines allemandes.
Nous avons déjà le boulet des 35 heures (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV), dont M. Schröder a dit que c'était une très bonne nouvelle pour l'Allemagne ; n'en ajoutons pas un autre avec la fiscalité !
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4.
L'amendement n° I-57, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 145 du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du b du 1, le taux : « 5 % » est remplacé par le taux: « 10 % » ;
2° Au b ter du 6, le taux : « 5 % » est remplacé par le taux : « 10 % ».
II. – Cette disposition est applicable pour l’établissement des impositions perçues en 2011.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.