Mme Marie-France Beaufils. Le régime des sociétés mères et filiales est sans nul doute l’une des modalités particulières d’établissement de l’impôt sur les sociétés sur lesquelles nous manquons d’informations claires.
D’ailleurs, la mesure a été déclassée du champ des dépenses fiscales. Elle est aujourd’hui d’un coût insuffisamment connu, à tout le moins absent des documents d’évaluation de la dépense fiscale qui nous sont transmis.
C’est dommage car, selon l’évaluation du Conseil des prélèvements obligatoires, le montant de la dépense liée au régime s’établit à 34,9 milliards d’euros, tandis que le régime d’intégration des bénéfices coûte 19,5 milliards d’euros.
Lorsque, au cours de la discussion générale comme de la présentation de la motion tendant à opposer la question préalable, nous avons évoqué des mesures fiscales encourageant de fait les délocalisations d’activité et de résultats, nous étions bien dans le vrai ! Il est donc pour le moins nécessaire de mettre en place un frein à cette dérive dont nous n’avons pas l’impression qu’elle ait forcément permis à notre économie, notamment à notre industrie, d’éviter le déclin.
Je prendrai quelques exemples pour illustrer mon propos.
Total peut développer ses capacités de raffinage à l'étranger, quand il réduit ses activités de même nature en France.
Renault organise la production d’une grande partie de ses véhicules en Roumanie ou en Slovénie, tandis que les salariés de Cléon, Douai ou Sandouville sont mis au chômage technique.
Et je ne reviens pas sur le fait que ce qui est considéré comme un niveau de participation suffisant pour appliquer le régime, c'est-à-dire une détention de 5 % du capital, permet aussi quelque optimisation !
Ainsi, une entreprise peut, dans le cadre d’une opération de restructuration interne d’un groupe, se retrouver quelque temps en dessous de ce seuil. Parfois, des opérations de cession d’actifs non stratégiques sont conduites à cette fin.
Il suffit que, dans les trois ans, une nouvelle émission de titres conduise à nouveau la société mère au-dessus du seuil des 5 % pour que le bénéfice du régime perdure. En d’autres termes, on peut aisément faire « respirer » une participation, puis la reprendre, et ainsi de suite, tout en continuant de bénéficier du régime favorable.
Voilà ce à quoi nous voudrions mettre un frein.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement vise à relever le taux de détention minimale requis pour bénéficier du régime mère-fille de 5 % à 10 %. Cette démarche est intéressante : elle reprend l’objet d’un amendement défendu à l'Assemblée nationale et figure parmi les propositions formulées par le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport du mois d'octobre 2010.
Le Conseil des prélèvements obligatoires a indiqué que cette modalité de calcul, puisque c’est ainsi que l’appellent les services du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, est élevée et en forte augmentation. Cependant, cet organisme précise que le surplus des rentrées fiscales liées à un relèvement à 10 % est très difficile à chiffrer et devrait être relativisé. Selon son argumentation, il ne concernerait que les distributions effectuées en dehors d’un groupe fiscal, celles qui sont effectuées au sein d’un groupe fiscal intégré bénéficiant d’un dispositif spécifique intra-groupe.
Les sociétés mères chercheraient probablement à porter leur pourcentage de détention à 10 % pour pouvoir bénéficier du régime, si bien que l’augmentation du taux de détention aurait moins d’effets au fil du temps, en raison du comportement d’optimisation des entreprises concernées. Le rendement de ce dispositif comporte donc des aléas, puisque les entreprises en sont maîtresses. Il est difficile d’anticiper leurs réactions.
Le Conseil des prélèvements obligatoires envisage également d’autres voies, dont le déplafonnement de la quote-part pour frais et charges de 5 %, introduit par la loi de finances pour 2011. Il considère le régime français comme relativement favorable, en s’appuyant sur des comparaisons avec les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne ou l’Espagne dont je vous fais grâce.
À mon sens, le relèvement à 10 % est une option envisageable dans le cadre d’une refonte globale de l’impôt sur les sociétés, qui s’avère absolument nécessaire. Il est vrai que nous allons, au final, du moins je l’espère, adopter nombre de mesures qui alourdissent la charge des entreprises. (Mme la ministre acquiesce.) Notre objectif est de rendre cet impôt beaucoup plus opérationnel.
Madame la ministre, tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il y a beaucoup trop d’évitements en la matière. On parle souvent de l’impôt sur le revenu et des niches afférentes, mais, s’agissant de l’impôt sur les sociétés, au sens « bercyen » du terme, on parle non pas de niches, mais de modalités de calcul. Le résultat est le même : des « trous » dans l’assiette. L’impôt sur les sociétés ressemble encore plus à un gruyère que l’impôt sur le revenu.
Cela dit, madame Beaufils, les amendements que la commission des finances a fait adopter sont de nature à envoyer des signaux lourds. Il ne faut peut-être pas trop « charger la barque ».
Réfléchissons plutôt à la progressivité de l’impôt, ce que ne tend pas à faire votre amendement, qui a également le défaut de prévoir une application rétroactive, puisqu’il vise à s’appliquer aux impositions perçues en 2011, donc aux revenus de 2010.
Je vous demanderai donc de le retirer, ma chère collègue.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Je partage les doutes de Mme la rapporteure générale sur le rendement de cet impôt. À l’évidence, les entreprises s’adapteraient assez rapidement à ce nouveau seuil, mais ce n’est pas tellement ce constat qui me tracasse.
Aujourd’hui, les entreprises françaises sont dans une situation difficile. Il ne vous a pas échappé – Mme la rapporteure générale l’a suffisamment répété – que la situation économique de notre pays est très délicate. Notre croissance est extraordinairement fragile ; un certain nombre de grands groupes viennent d’annoncer des plans de réduction d’effectifs.
Il nous faut être raisonnables, en nous efforçant d’aller vers une convergence franco-allemande. Or cet amendement nous ferait totalement diverger de l’Allemagne, où le régime « mère-fille » s’applique, quel que soit le pourcentage de détention du capital. Nous sommes déjà à 5 %, ce qui est plus contraignant que chez notre voisin d’outre-Rhin ; vous voulez doubler ce taux pour arriver à 10 %. Mais combien de boulets allons-nous encore attacher aux pieds de nos entreprises, dans une période où nous avons tant besoin d’elles pour préserver et créer de l’emploi ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis prête à ouvrir le groupe de travail sur la convergence franco-allemande à tous les partis représentés dans cet hémicycle, afin de tout mettre sur la table et d’avoir une discussion franche et transparente. Le fait de s’éloigner, en termes de compétitivité, de notre principal partenaire et concurrent, qui se trouve aussi être un des moteurs économiques de l’Europe, est selon moi un vrai contresens.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Je trouve assez inouï d’entendre parler aujourd’hui de convergence. Nous l’appelons de nos vœux pour l’Europe, et pas simplement entre la France et l’Allemagne, depuis des années, en matière tant fiscale que sociale.
Nous n’en sommes pas là, loin s’en faut ! Entendre dire aujourd’hui qu’il faut en faire une priorité est, certes, réconfortant, mais on ne peut s’empêcher de regretter toutes les années perdues !
Il faut dire aussi qu’un certain nombre de nos entreprises sont en difficulté pour avoir fait le choix d’une rémunération du capital trop forte. De toute façon, à bien y regarder, leur situation n’est pas aussi mauvaise que celle des salariés, qui sont aujourd’hui en grande difficulté.
Les déménagements d’entreprises qui ont eu lieu au cours de ces dernières décennies ont été réalisés uniquement dans un objectif financier. Cessons de nous voiler la face et regardons la situation de notre économie avec d’autres yeux si nous voulons être en mesure de redresser la situation.
Je maintiens donc cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° I-55, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l’article 206 du code général des impôts, il est inséré un article 206 bis ainsi rédigé :
« Art. 206 bis. – Il est établi une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés pour les seuls établissements de crédit qui distribuent des dividendes. Son taux est fixé à 15 % du montant des bénéfices distribués aux actionnaires. Sont redevables les établissements de crédit agréés par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement. »
II. – Cette disposition est applicable à compter du 1er novembre 2011.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Cet amendement tend à instaurer une contribution particulière des établissements financiers au titre de l’impôt sur les sociétés.
Si ces établissements décident de verser des dividendes à leurs actionnaires, la contribution s’applique et représente une majoration de 15 % du montant des sommes versées.
Le renforcement des règles prudentielles dans le secteur bancaire, à la suite, notamment, des recommandations du comité de Bâle, dit « Bâle III », amène nos établissements de crédit à renoncer quelque temps à la distribution de dividendes, pour assurer leur recapitalisation.
Notre proposition présente donc un caractère préventif pour la suite. Elle tend à prévoir que, en cas de versement de dividendes en lieu et place d’une recapitalisation, une taxe s’appliquera en complément, un dividende public en quelque sorte.
Nous souhaitons que le produit de cette contribution soit affecté à la création de la nouvelle structure de financement des collectivités locales que nous avons évoquée lors de la discussion du collectif budgétaire traitant de la situation de Dexia. Il s’agira d’un outil public, s’appuyant sur la Caisse des dépôts et consignation et sur la Banque postale, de nature à répondre aux besoins de notre économie.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il n’est malheureusement pas favorable, madame Beaufils.
L’amendement comporte, tout d’abord, de petites imperfections techniques, faciles à corriger. Il y est fait notamment référence à l’agrément du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, qui s’appelle l’Autorité de contrôle prudentiel depuis 2010. Ensuite, vous mentionnez les bénéfices distribués aux actionnaires, alors que vous voulez parler des dividendes. Malgré ces erreurs de rédaction, je comprends parfaitement l’intention qui sous-tend votre amendement.
Cependant, je ne l’estime pas opportun, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, le plan européen de recapitalisation des banques va obliger certaines d’entre elles, que nous connaissons bien en France, à renoncer au versement de dividendes. Je vous rappelle qu’elles doivent se conformer aux exigences de « Bâle III » en juillet 2012. Il va donc falloir qu’elles renforcent leurs fonds propres par rétention de bénéfices.
Mme Marie-France Beaufils. Cela ne s’appliquera pas !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est l’objectif !
Pour ne citer qu’elle, la Société générale a annoncé, le 7 novembre dernier, qu’elle ne distribuerait pas de dividendes cette année.
En second lieu, l’objectif visé doit être, à mon sens, un peu différent. Contrairement à ce qu’elles prétendent, je ne suis pas sûre que les banques n’auront pas besoin de fonds publics pour se recapitaliser. C’est pour cette raison que nous avons bien pris la précaution de prévoir, dans le projet de loi de finances rectificative concernant le sauvetage de Dexia, que, si les banques renforcent leur solvabilité en ayant recours aux fonds publics, elles ne pourront plus verser ni bonus ni rémunérations différées. Elles ne pourront verser de dividendes que sous la forme d’actions.
En cette période dans laquelle les banques ne sont pas très enclines à alimenter l’économie réelle, peut-être n’est-il pas opportun de mettre en application ce que vous préconisez dans votre amendement. La barque est déjà bien pleine !
Les banques sont en outre très attaquées par les marchés. Si, en d’autres temps, nous aurions pu être favorables à votre amendement, je dirai qu’actuellement il n’est pas de saison, si vous me permettez cette expression un peu triviale.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° I-168, présenté par M. Maurey et Mme Férat, est ainsi libellé :
Après l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts est complété par les mots : « dans la limite d’un plancher égal à 15 % de l’assiette nette d’impôt sur les sociétés majorée de l’incidence de l’ensemble des dépenses fiscales figurant à la rubrique impôt sur les sociétés de l’évaluation des voies et moyens annexée à la loi n° … du … de finances pour 2012. »
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° I-119 rectifié, présenté par MM. Marc et Rebsamen, Mme M. André, MM. Frécon, Miquel, Berson, Botrel et Caffet, Mme Espagnac, MM. Germain, Haut, Hervé, Krattinger, Massion, Patient, Patriat, Placé, Todeschini, Yung et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :
Après l'article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Pour le recouvrement de l'impôt sur les sociétés au titre d'un exercice fiscal donné, toute société est tenue d'acquitter un impôt au moins égal à la moitié du montant normalement exigible résultant de l'application du taux normal, prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219 du code général des impôts, à l'assiette de son bénéfice imposable, majorée de l’incidence de l’ensemble des dépenses fiscales figurant à la rubrique Impôt sur les sociétés de l’évaluation des voies et moyens annexée à la présente loi.
II. – Les pertes de recettes éventuelles résultant pour l'État du I sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droit prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Il ya en France, aujourd’hui, un réel problème concernant l’impôt sur les sociétés. Ce constat nous avait conduits, mes collègues du groupe socialiste et moi, à déposer une proposition de loi au printemps dernier.
Le fait est que l’impôt sur les sociétés, comme l’impôt sur le revenu, souffre d’un mitage excessif et croissant de son assiette, dont savent profiter exagérément les grandes entreprises, au détriment des PME.
Je rappelle que les niches fiscales favorables aux entreprises en France représentent une somme d’environ 100 milliards d’euros, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, et que ces niches profitent beaucoup plus aux grandes qu’aux petites entreprises. C’est un réel problème.
En optimisant l’usage de différents dispositifs fiscaux, les entreprises arrivent à minimiser l’impôt sur les sociétés qu’elles doivent acquitter. Ce dernier est actuellement appliqué à un taux nominal de 33,3 %, mais en définitive, si ce taux s’applique effectivement aux petites entreprises, il tombe à 20 % pour les entreprises de 50 à 249 salariés, à 13 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés, et seulement à 8 % pour les sociétés du CAC 40.
En fin de compte, sur la base de ces données les plus récentes, on se rend compte que les entreprises du CAC 40 parviennent à bénéficier d’un taux d’impôt sur les sociétés 2,3 fois moins élevé que celui qui est appliqué aux PME.
À l’époque, notre proposition de loi avait été rejetée, recueillant un avis défavorable du Gouvernement. Depuis lors, les positions ont évolué. Certaines déclarations, émanant aussi bien du rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, M. Carrez, que du Gouvernement, l’ont montré, il y a une prise de conscience de la différence de traitement entre les entreprises s’agissant de l’impôt sur les sociétés, ce qui explique d’ailleurs les mesures qui ont été prises et qu’a rappelées Mme la ministre : suppression du bénéfice mondial consolidé, le BMC ; aménagement des mécanismes de report en avant ou en arrière des déficits ; sans oublier la fameuse taxe exceptionnelle, qui vient d’être instituée.
Mais tout cela ne suffit pas. Il faut notamment relancer le projet AXIS, pour tendre vers une assiette consolidée d’imposition sur les sociétés à l’échelon européen. Espérons que le groupe de travail franco-allemand annoncé pourra nourrir la réflexion.
Dans l’immédiat, rien n’est acté, alors qu’il importe d’adopter de nouvelles mesures. Tel est l’objet de cet amendement, qui vise à mettre en place un plafonnement de l’usage cumulatif des différentes niches ou dispositions fiscales dérogatoires, et ce à hauteur de 50 % de l’impôt sur les sociétés exigible au titre d’un exercice fiscal.
En d’autres termes, il s’agit d’instaurer une sorte de seuil plancher au-dessous duquel les entreprises, notamment les plus importantes, ne pourraient plus faire baisser l’impôt sur les sociétés dont elles sont redevables.
Il faut inciter l’ensemble des entreprises à intégrer cette notion de citoyenneté fiscale, car la situation actuelle ne peut perdurer. Les PME ont, aujourd’hui, besoin du soutien actif de la collectivité publique. Il convient donc de favoriser la justice fiscale pour que des moyens puissent être dégagés en ce sens.
À cet égard, l’adoption de notre amendement représenterait un signal important dans le contexte actuel, où le développement économique fondé sur le dynamisme des PME est un objectif unanimement partagé. (M. David Assouline applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cet amendement s’inspire des travaux du Conseil des prélèvements obligatoires, rendus publics en octobre 2009, puis confirmés en juin dernier par la direction générale du Trésor, dans le cadre d’une étude sur le taux de taxation implicite des bénéfices en France.
Je confirme ce qui a été dit : les grandes entreprises bénéficient d’un taux implicite d’imposition plus de deux fois inférieur à celui des PME : 18,6 % contre 39,5 %.
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je comprends l’intention des auteurs de l’amendement, qui est de créer un « bouclier fiscal inversé » et de mettre fin à une forme de dégressivité de l’impôt.
L’idéal serait de réintégrer dans l’assiette d’autres éléments que les dépenses fiscales, dans la mesure où le mitage de l’impôt sur les sociétés tient aussi aux modalités de calcul des intérêts. La perte engendrée par ces dernières atteint un montant extrêmement important, de l’ordre de 40 milliards d’euros, quand les dépenses fiscales au sens strict oscillent, me semble-t-il, entre 7 milliards et 8 milliards d’euros.
Le problème de l’impôt sur les sociétés est avant tout un problème d’assiette. Le régler supposerait un travail très complexe. Il faudrait choisir parmi les modalités de calcul de l’impôt celles qui seraient susceptibles de favoriser une réintégration dans l’assiette. Ce travail n’a pas été mené et nous n’allons certainement pas le faire ce soir !
Grâce à l’adoption, tout à l’heure, de l’amendement n° I-10 de la commission, permettant de mettre en place un dispositif global de plafonnement de la déductibilité des intérêts d’emprunt pour les entreprises imposées à l’impôt sur les sociétés, nous nous rapprochons sans nul doute de la vérité, car nous avons opéré là une modification de l’assiette extrêmement importante.
Monsieur Marc, l’amendement n° I-119 rectifié est tout à fait acceptable dans la mesure où il fait vivre le débat. Je salue l’attachement du groupe socialiste-EELV à favoriser une imposition sur les sociétés plus juste, plus cohérente, en vue de combler ce différentiel beaucoup trop important constaté entre les grandes entreprises et les petites.
Monsieur le président de la commission des finances, personne, ici, ne souhaite la mort des « grands chevaux », car chacun sait que le capitalisme français est historiquement fondé sur les grandes entreprises.
Il s’agit simplement de rétablir ce que j’appellerai « la vérité de l’impôt » : aujourd’hui, l’impôt sur les sociétés est « troué » de partout, ce qui ouvre la voie à l’optimisation fiscale ; évidemment, ce sont les grands groupes qui ont le plus de facilités dans ce domaine.
Il faut donc faire émerger un tissu compétitif dans lequel toutes les entreprises, les grandes comme les petites et les moyennes, puissent prospérer, et ce dans le bon sens. Or ce n’est pas du tout ce à quoi l’on assiste à l’heure actuelle. Du reste, il faut bien l’admettre, cela fait maintenant une trentaine d’années que les directeurs financiers ont pris plus d’importance que les responsables de production.
Madame la ministre, mes chers collègues, il faut changer la donne et revenir à un capitalisme d’entrepreneurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Valérie Pécresse, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° I-119 rectifié.
Nous sommes entrés, je le rappelle, dans une logique de convergence franco-allemande en matière fiscale. Pourquoi vouloir changer les règles du jeu aujourd’hui ?
Cela étant, nous partageons le souci, exprimé par M. Marc et relayé par Mme la rapporteure générale, de ne plus avoir de niches ou de « trous » dans l’impôt sur les sociétés.
C’est la raison pour laquelle nous avons instauré, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2011 présenté en septembre dernier, une disposition prévoyant un impôt sur les sociétés minimal. Cela permet, en réalité, d’empêcher le report à nouveau, sur les exercices suivants ou antérieurs, des déficits constatés. Au-delà d’une fraction de 60 %, ces derniers ne sont en effet plus imputables.
À mon sens, il ne faut pas aller plus loin.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est un débat très important, sur lequel nous pourrions, en partie, nous retrouver, tant la lutte contre les dépenses et les niches fiscales doit concerner l’ensemble des impôts, aussi bien l’impôt sur les sociétés que l’impôt sur le revenu, la TVA, l’impôt sur le patrimoine, les impôts locaux, etc.
Néanmoins, mes chers collègues, le dispositif que vous nous proposez ne me semble pas abouti sur le plan technique. Si je vous comprends bien, il faudrait calculer, dans chaque entreprise, une sorte d’impôt normatif et, partant, réintégrer dans le résultat fiscal toute une série d’éléments. Cela suppose, en réalité, de tenir une double comptabilité fiscale : outre que cette tâche serait nécessairement très complexe, elle exigerait des arbitrages portant sur une multitude de dispositifs. D’ailleurs, Mme la rapporteure générale a, pour une part, repris un tel argument.
Je comprends bien que, par cet amendement, vous vouliez lancer un signal. Mais je suis également tenté de penser que le dispositif susceptible d’être le plus mis à mal par une telle approche, c’est le crédit d’impôt recherche, qui risquerait d’être calculé de manière assez aveugle,…
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … et ce quelles que soient l’importance des entreprises et la nature de leurs activités.
Le crédit d’impôt recherche avait fait l’objet de débats nourris au cours des années précédentes. Pour ma part, j’aurais tendance, s’agissant des plus grandes entreprises, à proposer une approche en quelque sorte contractuelle, revenant à subordonner la pleine application dudit crédit à un examen des thèmes, des programmes de recherche et de leur localisation. Cela ne me semble pas a priori incompatible avec le droit communautaire et représente sans doute une voie qu’il serait utile de creuser.
Mes chers collègues, il importe de traiter ce problème du taux d’imposition des sociétés et des niches fiscales qui le rongent, mais l’amendement présenté par le groupe socialiste-EELV n’est certainement pas, à mon avis, le bon moyen pour ce faire.
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. Je tiens à réagir aux propos qui viennent d’être tenus. Ils peuvent se résumer ainsi : si l’objectif est louable, certes, ce qui est proposé n’est pas faisable, pas sous cette forme en tout cas, et surtout pas maintenant.
Madame la ministre, mes chers collègues, cela fait maintenant quelques années que je présente, dans cet hémicycle, des amendements sur les textes relatifs aux finances. Figurez-vous que j’ai pris l’habitude d’entendre ce genre d’arguments !
Depuis des années, en effet, nous ne cessons de dénoncer les dérives du capitalisme financier, et ce à l’occasion de l’examen de textes aussi importants que la loi de transposition de la directive concernant les marchés d’instruments financiers, dite directive MIF, la loi de sécurité financière ou la loi relative aux nouvelles régulations économiques.
Nous avons présenté des dizaines d’amendements, prônant une autre forme de régulation et une vraie égalité de traitement. Chaque fois, nous avons entendu le même discours, et aujourd’hui encore : « vos propositions sont animées d’un bel esprit, mais, techniquement, elles ne sont pas réalisables ; il est trop tôt pour agir, mieux vaut encore attendre. »
Au fond, la seule nouveauté est la fameuse limitation du report des déficits, que vous avez évoquée, madame la ministre. Mais ce dispositif est bien minime et son impact très limité, puisqu’il s’agit simplement de restreindre l’étalement dans le temps des déficits.
Aujourd’hui, l’injustice qui règne en matière de fiscalité des entreprises est unanimement reconnue et jugée inadmissible. Je le répète, le taux de l’impôt sur les sociétés est, en moyenne, de 20 % pour les PME, contre 8 % seulement pour les sociétés du CAC 40. Cette situation va-t-elle durer encore longtemps ?
Nous proposons donc très simplement d’instaurer un seuil minimal, afin que les entreprises, les grandes comme les petites, payent au moins la moitié de l’impôt qu’elles doivent.
L’adoption de notre amendement aurait au moins cette vertu : envoyer un signal à toutes les entreprises, pour les inciter à appréhender le « devoir citoyen » en matière fiscale d’une façon différente.
M. le président de la commission me rétorque que cela supposerait des calculs supplémentaires. Mes chers collègues, je vous pose la question : qui, aujourd’hui, recrute des fiscalistes en grand nombre, par dizaines, pour faire de l’optimisation fiscale ? Les sociétés du CAC 40, justement !
Que l’on ne vienne pas me dire que ces experts en fiscalité ne seraient pas capables d’appliquer les nouvelles modalités de calcul du bénéfice « corrigé » que nous entendons mettre en place !
Les arguments qui nous sont opposés se révèlent tout à fait irrecevables au regard de l’objectif visé, qui est pourtant essentiel pour notre économie, notamment pour favoriser la mobilisation des PME. En outre, j’y insiste, la mise en œuvre de notre proposition permettrait d’améliorer grandement la justice fiscale dans notre pays.
Rien que pour le principe, l’amendement mérite donc d’être adopté. S’il y a des améliorations techniques à apporter, l’essentiel est de le faire vivre, pour que la réflexion se poursuive à l’Assemblée nationale et lors de la commission mixte paritaire. Je vous invite donc, mes chers collègues, à envoyer un signal fort en le votant. (M. David Assouline applaudit.)