M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il ne s’agit pas d’interdire aux huissiers d’organiser des ventes, mais de veiller à ce qu’ils exercent une activité qui complète le maillage territorial assuré par les sociétés de ventes créées par des commissaires-priseurs judiciaires.
La commission a donc souhaité préciser que les notaires et les huissiers de justice peuvent exercer l’activité de ventes volontaires à titre accessoire et occasionnel. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans la suite de la discussion.
Cette précision permettrait de consolider le statut d’officier public des huissiers et notaires, soumis au regard aiguisé de la Commission européenne.
J’en viens en second lieu à l’activité des sociétés de ventes au sein desquelles exercent des commissaires-priseurs judiciaires.
L’égalité de traitement entre les différents opérateurs de ventes volontaires justifierait que les sociétés dans lesquelles interviennent des commissaires-priseurs puissent avoir le même champ d’activité que les autres sociétés de ventes.
En ce qui les concerne, nous sommes en présence de deux personnes morales distinctes, qui effectuent des activités distinctes – ventes judiciaires dans le cadre d’un office et ventes volontaires dans le cadre d’une société –, mais qui sont rattachées à la même personne physique.
Afin d’assurer une égalité de traitement entre les opérateurs, le Sénat a permis aux sociétés de ventes constituées par des commissaires-priseurs judiciaires d’exercer des activités de transport de meubles, de presse, d’édition et de diffusion de catalogues, pour les besoins des ventes qu’elles sont chargées d’organiser.
La commission a souhaité conforter cette égalité de traitement en ouvrant à ces sociétés la possibilité d’exercer des activités complémentaires, pour les besoins des ventes qu’elles organisent – la précision est importante !
En troisième lieu, afin d’assurer une répartition plus cohérente, la commission des lois a rétabli la limitation du champ d’activité des courtiers de marchandises assermentés à la vente de marchandises en gros, tant en matière judiciaire qu’en matière volontaire. En effet, ces professionnels sont qualifiés pour la vente de marchandises en gros.
Enfin, la commission des lois a ouvert la composition du Conseil des ventes aux professionnels en exercice – nous aurons l’occasion d’en discuter au cours du débat.
La commission des lois de l’Assemblée nationale, suivant l’avis de son rapporteur – pour qui j’ai beaucoup d’estime – avait d’abord voté une modification similaire avant d’adopter en séance plénière deux amendements du Gouvernement supprimant ces dispositions.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Toutefois, notre commission a estimé que la présence de professionnels en exercice au sein du Conseil des ventes était nécessaire pour assurer une meilleure prise en compte de l’avis des praticiens dans l’activité de l’autorité de régulation. En outre, cette présence peut être organisée dans le respect de la directive Services.
La commission a donc permis la nomination d’opérateurs en exercice au sein du Conseil des ventes volontaires. Afin d’assurer le respect de la directive, elle a défini une règle de déport stricte pour ces derniers. Un opérateur de ventes volontaires siégeant au Conseil des ventes volontaires ne pourrait donc pas participer aux délibérations du Conseil relatives à la situation individuelle d’un autre opérateur de ventes volontaires.
Il est d’ailleurs frappant de noter que, s’agissant d’organismes similaires dotés d’un rôle important – je pense notamment à l’Autorité des marchés financiers, l’AMF – personne ne songerait à nommer des membres qui ne soient pas en exercice ! Les conditions qui ont été proposées, par amendement, pour la nomination de ces membres – avoir cessé d’exercer depuis trois ans minimum et cinq ans maximum – réduiraient de façon considérable le cheptel ! (Sourires.) De toute façon, le Conseil des ventes serait, je le répète, le seul organisme de la sorte auquel les professionnels ne participeraient pas. Nous avons en outre pris toutes les précautions pour respecter les conditions de la directive Services. Je crois, monsieur le ministre, que nous allons avoir l’occasion d’évoquer cette question au cours de nos débats.
Telles sont, tracées à grands traits, les principales questions encore en discussion en cette deuxième lecture d’un texte qui engage une réforme cruciale pour l’avenir des ventes aux enchères en France. Il nous faut tout faire pour que notre pays maintienne son rang dans ce marché fortement concurrentiel. J’ajouterai que, pour préserver sa réputation, le magnifique outil qu’est l’Hôtel des ventes de Drouot doit engager une évolution structurelle qui lui permette de rendre les services que l’on peut en attendre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte nous revient enfin en seconde lecture !
Je rappelle en effet qu’il avait été déposé sur le bureau du Sénat le 12 janvier 2008, que nous l’avions examiné en octobre 2009 et que les députés l’ont discuté en janvier de cette année.
Sans vouloir faire preuve de mauvais esprit, je relèverai que nous avons connu le Gouvernement beaucoup plus pressé quand il s’est agi de textes un peu plus médiatiques…
M. Jean-Claude Peyronnet. Il est vrai, en effet, que celui-ci est passablement aride et technique et que, si l’on en reste aux opérateurs, il ne concerne qu’un nombre limité de personnes.
Le voter est néanmoins une nécessité afin d’assurer, comme cela a été dit, la transcription dans le droit français de la directive Services.
Au passage, je rappellerai, comme cela a déjà été fait, qu’il est peu convenable que le support de cette transcription soit une proposition de loi. Il eût été plus convenable que ce fût un projet de loi. On peut se demander quand la directive aurait été transcrite si le Sénat ne s’était pas saisi de ce dossier !
L’autre ambition de ce texte est de redresser la situation inquiétante du marché de l’art français. Je ne reviens pas sur les chiffres que vous avez cités, monsieur le ministre. Il est vrai que nous avons observé un sursaut en 2009, mais il était largement dû à la vente de la collection de MM. Bergé et Saint-Laurent, qui a représenté quelque 300 millions d’euros. Des opérations de cette ampleur sont rares ! Si cette vente n’avait pas eu lieu, on aurait constaté une baisse du volume global des ventes de biens.
Ce déclin fait suite à une situation qui plaçait la France, il y a quelques décennies, au tout premier rang mondial des activités dans ce secteur. On en est loin ! La France n’est désormais plus que quatrième et loin derrière les premiers.
La situation était déjà difficile, mais elle s’est encore aggravée et le climat s’est alourdi par l’affaire touchant l’Hôtel des ventes de Drouot, qui est survenue au moment de la discussion du texte au Parlement. Je l’évoque brièvement sans entrer dans les détails.
Votre prédécesseur, monsieur le garde des sceaux, Mme Alliot-Marie, avait commandé à l’administration un rapport sur cette question. Certaines propositions de ce rapport ont été intégrées par l’Assemblée nationale et nous ne les avons pas rejetées, bien au contraire ! Cela était légitime et souhaitable.
C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale a travaillé. Les orientations qu’elle a retenues sont largement celles du Sénat, qui avait lui-même fortement amendé la proposition de loi initiale grâce à l’excellent travail de Mme Des Esgaulx. Vous avez d’ailleurs continué dans cette voie, monsieur le rapporteur, en deuxième lecture.
Il existe une exception française qui tient à la diversité des opérateurs. Nous la conservons. Faut-il absolument la conserver ? Si nous souhaitions la supprimer, nous aurions beaucoup de difficultés, monsieur le ministre ! Cette exception vient de l’histoire, il est sage de la conserver en essayant de la normaliser, d’une certaine façon, et de la libéraliser sans ouvrir les vannes de façon excessive.
Pour notre part, nous avons cherché à clarifier l’implication des acteurs concernés. Afin d’assurer une égalité de traitement entre les différentes professions réglementées intervenant dans le secteur des ventes aux enchères, vous avez souhaité, monsieur le rapporteur, adjoindre au caractère « accessoire » de l’activité des ventes volontaires des huissiers et des notaires le critère « occasionnel ».
Les notaires et les huissiers pourraient ainsi exercer l’activité de ventes volontaires « à titre accessoire et occasionnel ». Il nous semble que ces termes sont relativement flous et nous vous proposerons un amendement visant à fixer des critères suffisamment précis pour permettre aux parquets généraux des cours d’appel de réaliser un contrôle adapté et efficace.
Mme Des Esgaulx a déposé un amendement plus précis encore, auquel nous pourrions nous rallier.
Nous avons également souhaité revenir sur certains assouplissements introduits par les députés. Je pense notamment aux conditions de vente de gré à gré d’un bien non adjugé après la vente aux enchères.
L’Assemblée nationale a prévu que, par simple avenant au mandat, le vendeur puisse inscrire, après la vente aux enchères, une stipulation permettant de procéder à la vente de gré à gré du bien non adjugé à un prix inférieur à la dernière enchère portée ou, en l’absence d’enchères, au montant de la mise à prix.
Nous préférons, pour plus de sécurité, que les principales conditions de l’opération soient encadrées par la loi et non par le simple contrat liant l’opérateur et le vendeur.
Permettez-moi de vous faire part de mes regrets concernant ce texte. J’ai le sentiment qu’il aurait pu aller plus loin dans la protection des intérêts des consommateurs.
Certes, des améliorations importantes ont été apportées. J’en citerai trois.
Premièrement, le prestataire de services qui se limite à offrir au vendeur une infrastructure électronique lui permettant de réaliser des opérations de courtage doit clairement informer le public sur la nature du service proposé et prévenir qu’il ne s’agit pas d’une véritable enchère.
Deuxièmement, les opérateurs de ventes volontaires doivent présenter des garanties financières aux propriétaires des biens mis en vente et aux acquéreurs.
Troisièmement, tirant les enseignements des dysfonctionnements survenus à Drouot, les députés ont également imposé aux opérateurs de ventes volontaires une obligation de moyens aux termes de laquelle ils doivent s’assurer de la sécurité des transactions dans lesquelles ils font appel à des prestataires extérieurs tels que les transporteurs. Il s’agit là d’une heureuse initiative.
En revanche, monsieur le rapporteur, je suis un peu dubitatif sur la protection qu’offre aux consommateurs la mise en place d’un code de déontologie ou « recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires », si vous préférez. Les manquements à ces obligations par les opérateurs pourront être sanctionnés par le Conseil des ventes, mais qu’est-ce que cela changera concrètement pour les propriétaires des biens mis en vente ou les acquéreurs floués ? Je ne suis pas certain qu’il en résulte une réelle amélioration pour le consommateur.
Par ailleurs, je regrette, peut-être un peu naïvement, que le législateur n’ait pas saisi cette occasion pour engager un débat sur la fuite de notre patrimoine historique à l’étranger, sans réel bénéfice pour notre pays. Un tiers des objets mis en vente à Londres ou à New York proviennent de France !
Je n’ai pas de solution à proposer, mais une discussion très approfondie sur ce problème aurait peut-être permis d’ouvrir ultérieurement la voie à des mesures tendant à assurer la protection de notre patrimoine.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce texte ne nous satisfait pas complètement. Nous apprécions les améliorations qui y ont été apportées, mais nous émettons quelques réserves qui justifieront notre probable abstention.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, au préalable, je remercie, d’une part, Yann Gaillard et Philippe Marini d’avoir suppléé à l’immobilisme du Gouvernement, d’autre part, Marie-Hélène Des Esgaulx et Jean-Jacques Hyest de leurs rapports.
La présente proposition de loi nous revient donc en seconde lecture au terme d’un parcours que nous pouvons facilement qualifier de sinueux, près d’un an et demi après la première lecture et plus de trois ans après son dépôt.
Ses auteurs souhaitaient, notamment, assurer la transposition de la directive Services à laquelle la France aurait dû procéder avant le 28 décembre 2009.
Cette transposition est décidément chaotique, l’urgence en la matière revêtant une géométrie plus que variable selon les contingences du moment ou la bonne volonté des uns et des autres.
Vous comprendrez donc, monsieur le garde des sceaux, que nous abordions pour notre part cette seconde lecture en gardant à l’esprit la relativité de l’urgence. (Sourires.)
Cette proposition de loi vise ensuite à doter notre pays de nouveaux outils pour lui permettre de conserver une influence sur le marché mondial des ventes aux enchères.
Nous ne pouvons qu’y souscrire sur le principe tant la situation a évolué en quelques années.
La position internationale de la France sur le marché de l’art ne cesse de se dégrader – je rejoins sur ce point notre collègue Jean-Claude Peyronnet –, notamment en comparaison avec l’ascension fulgurante de la Chine, qui occupe désormais le premier rang mondial. Cette dernière réalise aujourd’hui 33 % des ventes aux enchères mondiales, contre à peine 5 % pour la France ; Pékin talonne New York, loin devant Paris, tombé à seulement 5 % de parts de marché.
Comme l’a rappelé le rapporteur, nous ne pouvons abstraire notre débat du contexte né de l’affaire Drouot, qui a mis en lumière l’impératif de moralisation du milieu des ventes aux enchères, quand bien même le secteur « Arts et objets de collection » ne représentait en 2010 que 52,5 % des adjudications réalisées en France.
Au cours de la navette, nos collègues députés ont globalement validé l’économie de la proposition de loi telle qu’elle avait été votée. Nous approuvons en particulier le compromis qui a pu être trouvé sur deux points importants du texte.
En premier lieu, l’article 5 permettra de distinguer enfin clairement la vente aux enchères publiques par voie électronique du courtage aux enchères.
On le sait, le flou qui règne aujourd’hui dans ce secteur encourage les comportements malveillants, souvent au détriment de l’acheteur. Nous considérons comme une avancée le dispositif retenu.
Le droit de la consommation, plus protecteur pour l’acheteur, sera applicable si ne sont pas réunis à la fois un mandat entre adjudicateur et propriétaire du bien ainsi que le principe de l’adjudication au mieux-disant.
En second lieu, nous approuvons le dispositif adopté par la commission à l’article 19 qui fixe le statut et les missions du futur Conseil des ventes volontaires.
Il importait en effet de respecter les objectifs de la directive Services en supprimant toute mesure d’agrément des opérateurs de vente au profit d’une déclaration. Mais il importait tout autant d’asseoir l’autorité de cette personne morale en lui donnant les moyens d’assurer sa mission de régulation d’un secteur qui souffre parfois – pour ne pas dire souvent – d’une opacité par nature suspecte.
Pour le reste, nous avions abordé en première lecture cette proposition de loi en soulevant deux questions primordiales pour nous : dans quelle mesure ce texte répond-il à la nécessité de préserver un réel équilibre des ventes volontaires de biens meubles ? Permet-il de concilier les intérêts de l’ensemble des acteurs concernés, opérateurs, propriétaires de biens ou acheteurs ?
Mes chers collègues, à notre sens, ces deux questions ont conservé en partie leur acuité. Nous avons pu constater une nouvelle fois que la perspective de la libéralisation des ventes volontaires de biens, un marché de plus de 2 milliards d’euros, continue, ce qui est logique et naturel, de susciter des appétits souvent très visibles.
L’aridité technique de ce texte ne saurait masquer le jeu des corporatismes qui s’est mis en branle, chaque catégorie d’opérateur défendant son pré carré tout en remettant subtilement en cause celui des autres.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !
M. Yvon Collin. C’est un grand classique !
M. Jacques Mézard. Cela est en effet habituel et assez classique.
À ce jeu qui n’en est pas un et qui a donné lieu à une série d’amendements depuis le début de l’examen de ce texte, il est de notre rôle de législateur de veiller à ce que l’intérêt général, en l’occurrence la préservation d’un équilibre global entre tous les intervenants, ne disparaisse pas derrière les prétentions pécuniaires d’une catégorie qui se serait mieux positionnée que les autres.
Jean-Jacques Hyest, dans son rapport, a rappelé cette nécessité de parvenir à un équilibre entre les différents intervenants en protégeant à la fois le vendeur et l’acquéreur.
Le véritable enjeu des bouleversements que va opérer ce texte ne concerne certainement pas les grandes maisons de ventes aux enchères, dont les arrières sont assurés et la solidité financière garantie. Elles ont tout à gagner de cette libéralisation à laquelle elles ont d’ailleurs contribué en contestant dès 1995 le monopole attribué par le droit français aux commissaires-priseurs sur les ventes volontaires de biens.
En revanche, nous sommes plus préoccupés par le devenir des petites sociétés de ventes volontaires qui travaillent souvent en province, surtout en zones rurales, et dont l’équilibre économique est déjà précaire.
Sans concentration dans le secteur, nombre d’entre elles risquent à terme de disparaître. Or la concentration peut répondre à une nécessité économique, mais aboutir à l’inverse du résultat escompté.
Les dispositions relatives à l’autorisation de vendre de gré à gré risquent de handicaper définitivement les plus petits opérateurs. Or 90 % d’entre eux préservent leur équilibre économique grâce au cumul des ventes judiciaires et des ventes volontaires.
Nous considérons que l’article 4 ne doit pas conduire à favoriser de façon disproportionnée des opérateurs dont le cœur de métier n’est pas la vente volontaire de biens meubles, à savoir les huissiers et les notaires, même si le texte ne vise que les villes où n’est pas établi un office de commissaire-priseur judiciaire.
Le dispositif voté par l’Assemblée nationale, qui se contentait de reprendre les principes fixés par la cour d’appel de Nancy en 2008, nous a paru imprécis puisque la notion d’activité accessoire ne peut être déduite que d’un faisceau d’indices dont l’appréciation pourrait varier.
La commission a légitimement souhaité renforcer ces critères en les objectivant, mais il aurait été selon nous préférable de fixer un régime plus strict et plus préventif.
La même remarque vaut pour l’ouverture aux courtiers de marchandises assermentés des ventes judiciaires de détail, même si la commission a limité la portée du texte voté à l’Assemblée nationale en ne l’autorisant qu’en cas d’absence de commissaire-priseur judiciaire.
Rien ne permet dans ce texte de garantir la pérennité des sociétés de ventes volontaires de petite ou moyenne taille, et le volet fiscal censé répondre à cette réforme se fait toujours attendre.
Baliser le terrain de ceux qui ne réalisent des ventes volontaires qu’à titre accessoire sans soutenir suffisamment ceux qui sont concernés au premier chef : c’est l’une des problématiques de ce dossier. L’équilibre entre les professionnels concernés est une chose – et la commission a œuvré dans ce sens –, mais la sécurité et la transparence des transactions, qui nous apparaît primordiale, en est une autre. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Gérard Miquel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, effectivement, nous ne pouvons nier que les opérateurs français de ventes volontaires aux enchères publiques sont confrontés à d’importantes évolutions tenant notamment au développement de sites spécialisés sur internet.
Toutefois, après avoir fait ce constat, nous observons que les raisons qui ont motivé le dépôt de cette proposition de loi et vos explications sur les conséquences qu’aura son entrée en vigueur ne sont en fait que des leurres.
Dans un premier temps, examinons les raisons.
Vous dites exprimer, à travers cette proposition, votre souci de préserver « la compétitivité d’une activité importante pour le marché de l’art en France et, plus généralement, pour les consommateurs ».
Or la compétitivité que vous tenez tant à conserver n’est malheureusement pas celle des petites et moyennes structures nationales.
En effet, comme la précédente loi sur le sujet, qui remonte à 2000, ce texte est le résultat du lobbying de deux maisons mondialement célèbres qui, sous couvert de vouloir redynamiser le marché de l’art en France, tout en se référant à la directive européenne comme ligne intangible, sont avides de parfaire leur domination.
Bien qu’elles jouissent d’ores et déjà d’une situation de domination absolue du marché, elles pourront désormais être mandatées pour vendre de gré à gré et viendront concurrencer, directement sur leur terrain, galeristes et antiquaires.
Nous préférons analyser les besoins du marché français sous un autre angle et nous constatons qu’il existe une réelle exception française dans le secteur du marché de l’art, que nous devons préserver.
Dans ce domaine, ce ne sont pas deux grosses sociétés, mais 15 000 professionnels qui nous préoccupent. Ces professionnels soutiennent plus de 10 000 emplois et entretiennent des rapports avec 60 000 artisans.
Avec cette proposition, vous portez donc atteinte à notre patrimoine commun, un patrimoine que les professionnels locaux se sont efforcés de construire et de valoriser avec un savoir-faire spécifique, qui est un gage de qualité. Cette proposition de loi fragilise une économie artistique et culturelle déjà fort ténue.
Il est donc bien difficile de croire en cette réforme et en la sincérité de ses objectifs. Non seulement la proposition de loi visant à la mettre en œuvre n’astreint, de fait, à aucune étude d’impact, mais, de plus, les galeristes et les antiquaires, qui brassent pourtant l’essentiel du volume d’affaires du marché, n’ont pas été sérieusement auditionnés.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comment ça ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Pas vraiment ! Monsieur Hyest, je vous en prie, ne faites pas comme M. Braye…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais je ne vous permets pas ! Vous mettez en cause le rapporteur !
Mme Josiane Mathon-Poinat. On ne peut pas dire qu’ils aient été entendus !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si j’avais entendu tout le monde, le texte aurait été supprimé…
Mme Josiane Mathon-Poinat. Là, j’aurais peut-être été d’accord ! (Sourires.)
Venons-en, dans un deuxième temps, aux conséquences de la proposition.
Ce texte, qui prétend vouloir relancer le marché de l’art en France en dérégulant le fonctionnement des mises aux enchères, provoquera l’effet inverse, en démantelant toutes les protections juridiques et en niant les spécificités culturelles de notre pays dans la foulée.
Il est proposé d’élargir l’autorisation des ventes de gré à gré. Cette mesure aurait pour effet de déstabiliser complètement le marché français par un risque de position de quasi-monopole des deux géants internationaux, qui réalisent déjà 27 % des ventes volontaires aux enchères publiques en France alors qu’elles ne représentent que 2 % du total des opérateurs implantés dans notre pays. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx proteste.)
Étrange posture qui, au nom de la concurrence, crée ainsi une concentration du marché aux mains de quelques-uns !
Il est aussi proposé de passer d’un régime d’agrément à un régime déclaratif. Ainsi, les ventes aux enchères ne seront plus régulées a priori, elles seront libres et les établissements commerciaux désirant s’y livrer ne devront plus obtenir un agrément, mais simplement se signaler auprès d’une autorité de régulation, le Conseil des ventes.
Cette autorité sera composée de membres nommés par l’exécutif, ce qui permettra tous les conflits d’intérêts possibles. Quelques petites modifications ont néanmoins été apportées sur ce point.
Les intervenants sur ce marché sont nombreux et de statuts très divers, ce qui, loin d’être un handicap, constitue une richesse. Citons, à titre d’exemple, les marchands d’art, qui, à la différence des salles de ventes, ne sont pas que l’interface entre le vendeur et l’acheteur : ce sont des professionnels investis dans un champ particulier qu’ils connaissent bien.
Leur travail est un long processus consistant à repérer des artistes, même méconnus, à acheter leurs œuvres, à les valoriser, à informer les clients et à conseiller les collectionneurs. Au-delà de cette activité apparemment mercantile, les marchands d’art remplissent un rôle éducatif et culturel auprès du public.
Grâce à ces différents acteurs répartis sur tout le territoire, nous disposons d’un maillage territorial qui assure le maintien d’une économie locale dont nous avons besoin.
Avec la mainmise donnée aux grosses maisons de ventes à travers cette proposition, le caractère puissamment spéculatif du marché de l’art sera renforcé et ces petits acteurs n’auront plus qu’à mettre la clé sous la porte.
Telles sont peut-être les réelles conséquences de cette proposition de loi !
En résumé, aussi bien pour les raisons que pour les conséquences de ce texte, nous sommes bien loin d’être convaincus. Nous avons, au contraire, de bonnes raisons d’être inquiets de cette réforme.
Il s’agit d’une application purement doctrinale de la directive européenne Services, qui dérégulera un marché spécifique au profit d’une poignée de grosses sociétés et qui niera nos spécificités culturelles en important des techniques de vente libérales, qui sont la cause de la fermeture de 30 % des galeristes en Angleterre.
Mes chers collègues, si effectivement le marché de l’art est confronté à des évolutions et, s’il est vrai que notre pays n’occupe désormais que la quatrième place du marché mondial des ventes aux enchères, il est aussi vrai que le marché français se tient bien et que, depuis 2002, le montant des ventes volontaires a augmenté de presque 30 %. D’ailleurs, je le rappelle, c’est grâce à quelques marchands français que Paris est redevenue la capitale du dessin.
Pour toutes ces raisons, nous réitérerons notre rejet de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture la proposition de loi de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, présentée par nos collègues Philippe Marini et Yann Gaillard.
J’ai eu à connaître tout particulièrement de ce texte en première lecture, puisque j’en fus alors le rapporteur, au nom de la commission des lois.
Je voudrais tout d’abord me réjouir du fait que l’Assemblée nationale a très largement accepté les propositions du Sénat lors de sa première lecture. Cela me permet de dire aujourd’hui que nous sommes en présence d’un texte qui satisfait au respect des textes européens, notamment à la directive Services, mais aussi d’un texte qui permet aux opérateurs français du secteur des ventes aux enchères de disposer de conditions d’activité compétitives.
Ce texte permet d’introduire plus de dynamisme sur un marché pour lequel l’ouverture de la loi de 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques n’avait pas véritablement porté ses fruits.
Je pense aussi que ce texte renforce la protection du consommateur et permet aux vendeurs et acheteurs de garder toute leur confiance dans les ventes aux enchères publiques en France.
Je rappelle que l’accord de nos deux assemblées, à l’issue des deux premières lectures, s’est fait sur des points clés, découlant de l’application de la directive Services, en supprimant les régimes d’autorisation et de contrôle préalable, en simplifiant les procédures et formalités et en renforçant les garanties d’information.
Mais ce n’est pas tout. Nous avons fait de cette transposition une véritable opportunité pour la libéralisation du marché français des ventes aux enchères. Nous avons accepté les ventes de gré à gré et les ventes de biens neufs. Nous avons assoupli les conditions de remise en vente d’un bien dans le cadre de la folle enchère, les procédés de recours à l’après-vente, ou after sale, et les modalités de mise en œuvre de la garantie du prix. Nous avons institué une autorité de régulation aux missions renforcées. En fait, c’est toute une actualisation du statut des professions réglementées du secteur des ventes aux enchères qui est ainsi opérée.
L’Assemblée nationale a validé aussi les grandes lignes de la réforme du statut des courtiers de marchandises assermentés.
Cela étant précisé, je voudrais, à ce stade de la navette parlementaire, saluer le travail de la commission des lois de notre assemblée pour la deuxième lecture. En effet, sous la houlette de son président et remarquable rapporteur, elle a su proposer et réaliser des ajustements de nature à équilibrer les conditions d’activité des différentes catégories d’opérateurs.
J’approuve tout particulièrement la clarification, à l’article 3, sur l’indication systématique, dans la publicité, de la qualité de commerçant ou d’artisan du vendeur, exigée seulement pour les biens neufs. Cela correspond, du reste, à l’esprit du texte voté par le Sénat en première lecture.
J’approuve également les précisions apportées aux missions du Conseil des ventes à l’article 19.
Cet article confirme le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères dans ses missions actuelles, tout en lui reconnaissant une vocation d’autorité, de négociation. Il modifie son statut afin de lui attribuer des compétences supplémentaires.
La commission des lois a, en outre, confié au Conseil des ventes volontaires l’élaboration non pas d’un code de déontologie mais d’un recueil rendu public des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires, tout en limitant cette capacité du Conseil des ventes au secteur des ventes volontaires.
J’approuve d’autant plus cette disposition qu’elle renvoie finalement à l’un de mes amendements, par l’adoption duquel le Sénat avait prévu, en première lecture, dans les missions du Conseil des ventes, qu’il dresse la liste des bonnes pratiques.
Sur cette question de déontologie, nombreux ont sans doute été ceux qui ont fait le lien avec l’information judiciaire, ouverte en avril 2009 au tribunal de grande instance de Paris, sur des pratiques relevées à l’Hôtel des ventes parisien Drouot.
En réponse à un grave dysfonctionnement dans l’organisation des ventes à l’Hôtel Drouot, il était sans doute opportun que l’on parle de déontologie et donc, en réalité, de morale et d’éthique.
En tout cas, ce recueil rassemblera sans aucun doute des dispositions utiles pour que vendeurs et acheteurs gardent toute leur confiance dans les ventes aux enchères publiques en France.
Je rappelle que l’article L. 321-22 du code de commerce dispose que « tout manquement aux lois, règlements ou obligations professionnelles […] peut donner lieu à sanction disciplinaire ». Ce recueil est ainsi devenu indispensable.
Aux termes de l’article 22, qui tend à permettre la nomination au sein du Conseil des ventes d’opérateurs de vente en exercice, celui-ci a finalement les attributions d’un ordre professionnel. C’est indispensable à mes yeux, comme l’est, ainsi que l’a rappelé le président de la commission, la règle de déport prévue à l’article 23, règle très stricte applicable aux membres du Conseil des ventes qui exerceraient l’activité de ventes volontaires. Ainsi, ces derniers ne prendraient pas part aux délibérations du Conseil quand serait examinée la situation individuelle d’un opérateur de ventes volontaires. Cette règle de déport est en conformité totale avec l’article 14 de la directive Services.
Je tiens également à souligner la pertinence de l’article 48, qui permet de tendre vers l’égalité de traitement entre les différentes catégories d’opérateurs, en ouvrant un peu plus les possibilités d’activités des sociétés de ventes volontaires dans lesquelles interviennent des commissaires-priseurs judiciaires.
Enfin, le retour, à l’article 46, au texte du Sénat pour limiter aux marchandises en gros l’habilitation des courtiers assermentés à diriger des ventes volontaires aux enchères publiques me paraît également très raisonnable et de nature à assurer une répartition des activités plus cohérente.
Il reste à mes yeux deux problèmes à régler.
Il s’agit, en premier lieu, de la définition de la part d’activité que les notaires et les huissiers de justice peuvent réaliser dans le domaine des ventes volontaires par rapport au chiffre d’affaires annuel de leur office. Il est indispensable que l’activité de ventes volontaires ne puisse excéder une limite clairement définie par la loi, afin de permettre un contrôle effectif par les parquets généraux et les autorités disciplinaires.
Je présenterai un amendement en ce sens à l'article 4, amendement qui ne contredit pas la position de la commission dans son objectif de rééquilibre, mais qui proposera une limite plus facile à appréhender que la notion d’« activité occasionnelle ».
J’ai entendu dire tout et n’importe quoi sur ce sujet ; il me semble donc nécessaire de réaffirmer que cette limitation ne concerne pas les ventes judiciaires mais seulement les ventes volontaires.