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Bioéthique
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein de l’article 9, à l’amendement n° 36 rectifié bis.
Article 9 (suite)
M. le président. L’amendement n° 36 rectifié bis, présenté par M. P. Blanc, Mmes Hermange et B. Dupont et MM. Gilles et Darniche, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le diagnostic prénatal n’a pas pour objet de garantir la naissance d’un enfant indemne de toute affection.
La parole est à M. Paul Blanc.
M. Paul Blanc. Certains d’entre vous se souviennent sans doute, mes chers collègues, que, lors de la discussion de la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, en 2002, Nicolas About et moi-même avions présenté un amendement faisant suite à l’arrêt Perruche de la Cour de cassation du 17 novembre 2000, amendement tendant à éviter toute action en responsabilité à l’encontre du médecin ayant effectué le diagnostic prénatal en cas de naissance d’un enfant handicapé.
Par le présent amendement, qui est dans la droite ligne de celui déposé en 2002, nous souhaitons à nouveau, par précaution, inscrire ce principe dans la loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cet amendement vise à inscrire dans la loi le principe selon lequel le diagnostic prénatal n’a pas pour objet de garantir la naissance d’un enfant indemne de toute affection. Cela peut paraître une évidence. D’ailleurs, de façon générale, aucun diagnostic établi par un médecin n’est jamais certain à 100 %.
Toutefois, cette mention figure d’ores et déjà, en des termes quelque peu différents, à l’alinéa 10 de l’article 9 : « l’absence d’anomalie détectée ne permet pas d’affirmer que le fœtus soit indemne de toute affection et qu’une suspicion d’anomalie peut ne pas être confirmée ultérieurement ».
Il n’a donc pas paru utile à la commission d’inscrire à nouveau à l’article 9 une mention qui figure déjà dans le projet de loi. Je demande donc aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d’État auprès du ministre du travail, de l’emploi et de la santé, chargée de la santé. C’est le même avis.
M. le président. Monsieur Blanc, l'amendement n° 36 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Paul Blanc. Compte tenu des assurances que M. le rapporteur vient de me donner, qui seront publiées au Journal officiel, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 36 rectifié bis est retiré.
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 1 rectifié quater est présenté par Mme B. Dupont, MM. Beaumont, Bécot, Cazalet, Darniche et B. Fournier, Mmes G. Gautier et Hermange, MM. Hyest, Lardeux, Lorrain et du Luart, Mme Lamure, M. Pointereau, Mme Rozier et MM. de Rohan, Revet, Vial, J. Blanc et Bailly.
L'amendement n° 126 rectifié bis est présenté par M. Retailleau.
L'amendement n° 135 rectifié est présenté par Mme Payet, M. Détraigne et Mme Férat.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
lorsque les conditions médicales le nécessitent
La parole est à Mme Bernadette Dupont, pour présenter l’amendement n° 1 rectifié quater.
Mme Bernadette Dupont. Il s’agit de réintroduire dans le texte de l’alinéa 4 de l’article 9 les termes : « lorsque les conditions médicales le nécessitent », une mention qui avait été ajoutée par Jean Leonetti.
À cet égard, j’aurais voulu dire à Mme Lepage, qui n’est pas présente ce soir, que M. Leonetti n’est pas plus frileux que le Sénat et les sénateurs. Je pense au contraire que c’est un homme sage…
M. Guy Fischer. Il est quand même conservateur !
Mme Bernadette Dupont. … et qu’il avait fait introduire cette mention parce qu’il pense – je le pense aussi – qu’il convient de laisser au médecin une certaine liberté de prescription dans les tests de dépistage en fonction de la situation de la femme. En effet, l’état d’une femme de vingt, vingt-deux ou vingt-cinq ans n’a rien à voir avec celui d’une femme de quarante ans.
Par ailleurs, le rapport de confiance entre la femme enceinte et le médecin doit rester intact.
Je rappellerai qu’une grossesse est un état normal de la femme. Ainsi que l’indiquait M. le rapporteur voilà quelques instants, c’est une période privilégiée. Une grossesse doit rester sereine et confiante, et un abus d’examen ne doit pas faire encourir le risque à plus ou moins brève échéance d’un eugénisme déjà latent. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. C’est un procès d’intention !
Mme Raymonde Le Texier. Un peu de respect pour les femmes, tout de même !
Mme Bernadette Dupont. Je reprends ce terme, qui a été contesté par l’opposition, parce qu’il me semble certain que viser un type d’individus en particulier – en l’espèce il s’agit des enfants atteints de trisomie 21 – revient à supprimer une partie de la population. Nous avons connu des régimes qui ont employé de telles méthodes… (Vives protestations sur les mêmes travées.)
M. Guy Fischer. C’est scandaleux ! Un tel rapprochement est inacceptable !
Mme Bernadette Dupont. … et à leur propos on a parlé d’eugénisme ; je ne vois pas pourquoi la France serait exemptée d’une telle stigmatisation. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Et vous applaudissez de tels propos ?
M. Guy Fischer. Elle nous qualifie de totalitaires ! De fascistes !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour présenter l'amendement n° 126 rectifié bis.
M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, quand Bernadette Dupont s’exprime sur un tel sujet, la décence et le respect exigent de l’écouter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. Là, nous sommes d’accord !
M. Bruno Retailleau. En effet, notre collègue porte une conviction qui est enracinée dans une expérience devant laquelle chacun doit se montrer humble et respectueux, quelles que soient ses positions.
Vous savez bien que discuter de tels sujets n’est pas simple ; d’ailleurs, loin de moi l’idée de clouer au pilori tel ou tel pour ses positions ! Chers collègues, nous attendons de vous la même attitude. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
L’amendement que je propose est identique à celui qui vient d’être présenté.
Pour ma part, je trouvais que la position des députés était équilibrée parce que, tout en permettant le dépistage, elle l’écartait dans ce qu’il a de systématique.
Ce qui me gêne dans le dépistage systématique, c’est d’abord le risque de dérive vers la quête de l’enfant « zéro défaut », risque qui travaille notre société et que, pour cette raison, nous devons souligner.
Par ailleurs, le diagnostic prénatal n’est en aucun cas un acte anodin, parce qu’il n’est pas fiable à 100 % et qu’il peut être dangereux.
Il n’est pas fiable – à ce propos Marie-Thérèse Hermange a cité voilà quelques instants des chiffres qui, au lieu de susciter des réflexes de fermeture ou de repliement, devraient nous interroger – il n’est pas fiable, disais-je, puisque, tous les ans, 700 erreurs de diagnostic condamnent des enfants qui sont indemnes de toute affection.
En outre, il est dangereux, car, pour un enfant diagnostiqué trisomique, on déplore deux fausses couches.
Je trouvais la position des députés équilibrée dans la mesure où elle consistait à revenir au dépistage classique, dans lequel les moyens mis en œuvre sont proportionnés au niveau de risque, tout simplement.
Et, puisque chacun ici est attaché à la liberté, notamment à celle de la femme, je dirai qu’un tel esprit de système fait peser sur les épaules de celle-ci une contrainte bien plus forte que celle qui peut résulter d’un libre choix dans la relation de confiance intime construite au fil des années entre la patiente et le médecin. Voilà une autre raison pour laquelle j’ai déposé le présent amendement. (M. Paul Blanc et Mme Bernadette Dupont applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour présenter l'amendement n° 135 rectifié.
Mme Anne-Marie Payet. La définition législative du diagnostic prénatal ouvre un large champ d’application. La loi n’a pas établi de liste de maladies pour ne pas les stigmatiser, mais il faut savoir que 80 % des grossesses sont contrôlées par des tests biologiques de dépistage de la trisomie 21 ; cela représente environ 80 000 amniocentèses chaque année et cette technique peut provoquer des fausses couches dans 1 % des cas.
Près de 96 % des fœtus diagnostiqués porteurs de trisomie 21 donnent lieu à une interruption médicale de grossesse et 60 % des interruptions médicales de grossesse se font à la suite de diagnostics de malformation ou de handicap détectés par échographie.
Des questions éthiques se posent alors. La France, avec sa politique de dépistage très développée, détient le record mondial de dépistage anténatal.
Bérengère Poletti a précisé à l’Assemblée Nationale que « le prélèvement du liquide amniotique à travers l’abdomen provoque deux fausses couches d’enfants “normaux” pour une trisomie dépistée ».
Des voix commencent à s’élever pour dénoncer une nouvelle forme d’eugénisme ; nous ne sommes pas les seuls ! Je pense au professeur Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, au professeur Mattei. Tous deux se sont alarmés lors des états généraux de la bioéthique en 2009. Ils sont aujourd’hui rejoints par un nombre grandissant de professionnels de la grossesse qui ressentent un malaise croissant dans l’exercice de leur métier.
Des personnes handicapées se sentent discriminées et marginalisées en constatant que des embryons porteurs du même handicap sont éliminés, souvent systématiquement.
S’ajoutent à tout cela des risques de judiciarisation de la naissance : des praticiens se trouvent mis en difficulté par des erreurs de dépistage qui leur sont reprochées et beaucoup d’entre eux, pour éviter de possibles procès, sont conduits à proposer et à pratiquer le dépistage prénatal de manière systématique, alors que cela leur pose des problèmes de conscience.
Aujourd’hui, les grossesses deviennent anxiogènes du fait de la multiplicité des propositions de dépistage. Les femmes commencent à témoigner de ce fait, ainsi que de leur souffrance après une interruption médicale de grossesse ou IMG.
En avril 2008, un juriste spécialisé en droit de la santé, Dominique Decamps-Mini, a souligné au collège de gynécologie du Centre-Val de Loire que le dépistage prénatal était fortement lié à la notion d’IMG et que cela a valu à la médecine prénatale le qualificatif de médecine « thanatophore », c’est-à-dire d’une médecine qui n’a pas d’autre solution à apporter que celle de la mort du fœtus atteint d’affection grave.
Mes chers collègues, je vous demande de prendre conscience des conséquences de la montée inédite de la sélection et de l’exclusion des êtres humains porteurs d’anomalies.
La France s’est engagée, à mon sens, sur une mauvaise voie. Elle détient le record mondial du dépistage anténatal du handicap, mais aussi celui de l’interruption médicale de grossesse. Nous devons changer de route. Développons plutôt une politique ambitieuse d’accompagnement des parents au moment de l’annonce du handicap et d’accueil des personnes handicapées !
C’est pourquoi je vous demande d’adopter cet amendement qui propose de laisser aux médecins la liberté de prescrire des tests de dépistage uniquement s’ils l’estiment nécessaire. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Mes chers collègues, je ne pense pas que l’on puisse déterminer un vote en prenant appui sur des chiffres faux ou des connaissances erronées.
J’ai beaucoup d’admiration, de respect et d’amitié pour Bernadette Dupont, mais je dois dire – et je m’en excuse auprès d’elle – que certains propos ne servent malheureusement pas la cause défendue.
Monsieur Retailleau, les chiffres que vous avez cités sont caducs, et ce depuis près de quatre ans. Il est vrai qu’auparavant environ 700 décès avaient lieu à la suite d’une amniocentèse pour 300 trisomies ayant abouti à des interruptions médicales de grossesse. Les nouveaux tests pratiqués aujourd’hui ont très nettement diminué le nombre d’amniocentèses, et donc le nombre d’accidents que l’on pouvait regretter voilà encore quelques années.
Par ailleurs, il est vrai que 92 % des femmes enceintes sont soumises à ces tests, et que 96 % des tests positifs à la trisomie 21 ont pour conséquence une IMG, et non l’inverse, ainsi que l’a soutenu Mme Payet. Ce taux est de 70 % dans les autres pays européens.
Ces trois amendements identiques visent à rétablir les mots : « lorsque les conditions médicales le nécessitent » à l’alinéa 4 de l’article 9, mots ajoutés par l’Assemblée nationale au texte initial et que la commission des affaires sociales a supprimés.
L’Assemblée nationale avait en effet souhaité que les examens de biologie et d’imagerie destinés à évaluer un éventuel risque soient proposés à la femme enceinte uniquement « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». La commission a supprimé cet ajout car elle a jugé qu’il posait plus de problèmes qu’il ne semblait a priori en résoudre.
Il pourrait d’abord conduire au non-respect du droit du patient à être informé.
Il renvoie ensuite au médecin, et non plus à la femme, le choix de procéder ou non aux examens de diagnostic prénatal, ce qui constitue une atteinte au principe d’autonomie du patient. Les femmes sont en effet libres d’accepter ou de refuser ces examens, comme l’a rappelé le CCNE, le Comité consultatif national d’éthique, et comme cela figure à l’alinéa 9 de l’article. Il serait paradoxal qu’en voulant renforcer le libre choix des femmes, on privilégie en fait le pouvoir du médecin.
En outre, cet ajout crée une rupture d’égalité entre les femmes.
Enfin, il fait reposer une responsabilité accrue sur les professionnels, qui pourront se voir reprocher de ne pas avoir proposé un dépistage à une femme « évaluée sans risque » alors que celui-ci était avéré.
J’ajoute que la très grande majorité des collèges de professionnels et les sociétés savantes se sont fermement élevées contre cette disposition.
Le dépistage prénatal est une phase essentielle du suivi de la grossesse. Il est important qu’il soit réalisé dans des conditions aussi respectueuses que possible de la liberté des femmes.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également défavorable à ces trois amendements identiques.
D’abord, les tests qui sont proposés aux femmes ne sont pas imposés. Ils sont conformes aux bonnes pratiques recommandées par les experts, notamment par la Haute Autorité de santé, qui préconise que la femme est en droit de recevoir une information. L’année 2011 étant l’année des patients et de leurs droits, il n’est pas inutile de réaffirmer que les patients ont le droit de savoir.
Le professionnel propose les tests, la femme décide si, oui ou non, elle souhaite s’y soumettre et, à leur issue, si elle souhaite poursuivre ou non sa grossesse.
Je rappelle que ces tests créent une dynamique plutôt vertueuse, puisque, grâce à eux, deux fois moins d’amniocentèses ont été pratiquées. On peut donc mesurer l’intérêt de tels tests, qui permettent d’éviter d’exposer les femmes au risque lié aux amniocentèses.
Madame Payet, vous avez cité à plusieurs reprises le chiffre suivant : 96 % de femmes interrompent leur grossesse à la suite d’un diagnostic prénatal. Permettez-moi de vous donner des chiffres plus récents ; M. le rapporteur a en effet indiqué que cette statistique datait de quatre ans. Dans le rapport 2009 de l’Agence de biomédecine, il est indiqué que 87 % de femmes recourent à l’interruption médicale de grossesse après un tel diagnostic, ce qui signifie que 13 % des femmes gardent leur enfant, décident de poursuivre leur grossesse. Nous sommes donc loin de l’eugénisme.
Certains d’entre vous ont insisté sur le caractère anxiogène des examens. Comme vous l’avez observé, la société évolue. Les femmes ont des enfants de plus en plus tard. Elles savent qu’elles sont plus exposées à un type de risques et il me semble qu’elles ont le droit de savoir.
En outre, ne pensez-vous pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que c’est au contraire le fait de ne pas leur proposer de tels tests qui pourrait susciter chez elles de l’inquiétude ? L’examen médical contribue à lever certaines anxiétés, et l’adoption de la disposition que vous proposez risquerait plutôt de décevoir nos concitoyennes.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Le sujet, nous le savions, allait inévitablement faire ressortir un clivage entre opinions très différentes. Cependant, madame Dupont, si j’ai pour vous un profond respect, je considère que le fait que vous ayez pratiquement dit que nous soutenions une politique eugéniste est inacceptable.
Nous n’en remercions que plus M. le rapporteur et Mme la secrétaire d'État d’avoir su trouver des arguments équilibrés pour démontrer que le diagnostic prénatal préservait véritablement la liberté de la femme, notamment en soulignant qu’il s’agissait de tests proposés et non pas imposés, laissant place à un choix fait en toute connaissance de cause.
Le clivage est donc clair et, je tenais à vous le dire publiquement ce soir, madame Dupont, nous estimons pour notre part que vos propos, qui ont été relayés par M. Retailleau et par Mme Payet, sont inacceptables.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je souscris totalement aux propos de M. le rapporteur et de Mme la secrétaire d'État, sur lesquels je ne reviens donc pas, mais je souhaiterais, premièrement, que Mme Dupont, que je connais bien puisque nous avons siégé ensemble à la commission des affaires sociales et vers qui je me tourne maintenant, explicite devant nous quels systèmes totalitaires elle visait. (Mme Bernadette Dupont proteste.)
Avec tout le respect que je vous dois, madame Dupont, vous avez bel et bien dit, et cela n’a rien d’anecdotique, que le diagnostic prénatal relevait de systèmes totalitaires, systèmes que vous n’avez pas nommés ; nous aimerions savoir lesquels, puisque, ce faisant, vous visiez tous ceux qui ne sont pas d’accord avec vous et donc nous tous !
Mme Bernadette Dupont. Pas du tout !
M. Guy Fischer. Vous nous comparez aux fascistes !
M. Jean-Pierre Godefroy. Surtout, il serait bon de savoir – il y a d’ailleurs un moyen aisé d’y parvenir – si l’avis que vous avez formulé est l’avis de l’ensemble de la majorité.
Deuxièmement, madame Dupont, il est tout à fait anormal que vous accusiez d’eugénisme ceux qui ne sont pas d’accord avec vous. Comment pouvez-vous nous accuser d’une telle chose, sans aucune preuve, sans aucun argument ?
Je tiens d’ailleurs à dire qu’en tant que parlementaires nous sommes plusieurs ces temps-ci à recevoir – comme vous aussi peut-être – des courriers du même ton de la part de certaines associations que je ne nommerai pas pour ne pas leur faire de publicité, courriers qui nous arrivent, je ne sais comment, à nos domiciles.
Mme Raymonde Le Texier. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Godefroy. C’est une forme de pression inacceptable, sur laquelle je reviendrai lorsque nous aborderons la question des associations.
Pour l’heure, en réponse aux propos qui ont été tenus par Mme Dupont et eu égard à l’avis exprimé par M. le rapporteur et par Mme la secrétaire d'État, nous demandons solennellement un scrutin public sur ces trois amendements qu’évidemment nous ne voterons pas.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Lorrain. Pour ma part, je souhaite revenir sur les termes dont l’ajout nous est proposé : « lorsque les conditions médicales le nécessitent ».
Je n’entrerai pas dans une polémique dont on conçoit qu’elle puisse devenir très rapidement douloureuse, mais j’avoue comprendre difficilement la position de Mme la secrétaire d'État et l’interprétation qu’elle fait de ces termes.
D’une part, « désystématiser » le dépistage prénatal en considérant chaque femme dans son état me paraissait une proposition intéressante. De même, retrouver la liberté de prescription n’est pas, en soi, entièrement négatif pour le malade et peut être également approprié pour la femme enceinte. Enfin, nous avons le droit aussi d’avoir un changement de regard sur le handicap.
D’autre part, si le projet de loi reste en l’état, il peut être interprété comme faisant obligation au médecin de prescrire systématiquement un DPN. Est-ce qu’en apportant ces réserves et en retournant à l’état antérieur du droit, on va porter préjudice à la femme ? Pour ma part, je crois qu’en apportant cette précision sur les conditions médicales on reste en conformité avec le code de déontologie médicale.
Ensuite, je soutiens aussi la liberté de prescription, dont le principe est exprimé par l’article 8 de ce code : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’ils estiment les plus appropriées en la circonstance. » Je ne vois pas en quoi cela est négatif !
En quoi aussi le droit à l’information serait-il limité alors que le code de la santé publique précise que « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé » dans le respect des règles professionnelles ?
Personnellement, je m’élève contre la prescription automatique des tests. L’information adaptée peut être apportée ; je crains que la polémique n’entraîne une confiscation du débat, alors qu’il n’y a pas véritablement de danger de sous-information.
Comme tout un chacun ici, je me place dans le respect des droits de l’homme, mais j’essaie aussi de me prémunir des dérives technico-scientifiques.
M. le président. La parole est à M. Claude Léonard, pour explication de vote.
M. Claude Léonard. Monsieur le président, mes chers collègues, c’est la première fois que j’interviens dans cette assemblée : ayant quitté mon cabinet médical voilà une dizaine de jours seulement, je me sens très concerné par ce débat dans lequel j’ai un avis qui diverge profondément – et c’est pourquoi j’interviens pour expliquer mon vote – de celui de plusieurs des membres de mon groupe.
Je ne suis pas favorable à la réintroduction de la formule : « lorsque les conditions médicales le nécessitent », car elle emporte en fait une notion d’arbitraire dans l’appréciation d’un médecin par rapport à un autre, susceptible de proposer le dépistage plus facilement ou non, et dans l’appréciation des parturientes, qui seront donc tentées d’aller davantage dans une clinique – ou un cabinet médical – que dans une autre. Or, qui dit arbitraire dit inégalité des sorts réservés aux parturientes.
En outre, cette indication remet les médecins gynécologues et généralistes – il en existe encore qui suivent les grossesses – dans une position difficile à tenir quand on sait la facilité avec laquelle nos compatriotes judiciarisent leurs rapports avec le corps médical. Rappelons-nous l’affaire Perruche et l’arrêt auquel elle a donné lieu.
Pour ma part, contrairement à certains d’entre nous, j’estime que les médecins concernés par ce suivi ont une obligation, je dirai même une « sainte obligation » d’informer complètement la parturiente et son conjoint afin que ceux-ci soient parfaitement informés et choisissent sans la contrainte du médecin.
Cette obligation d’informer et de guider est certainement une tâche beaucoup plus difficile que de remplir une ordonnance pour se couvrir du point de vue médico-légal, mais mes confrères médecins n’ont pas l’obligation d’imposer : c’est la base même de l’exercice de la médecine en France à l’heure actuelle.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.
Mme Raymonde Le Texier. Ne voulant pas répéter ce qu’ont déjà très bien dit plusieurs de nos collègues siégeant sur les travées de gauche de cet hémicycle, mais aussi M. le rapporteur, Mme la secrétaire d'État et le dernier orateur intervenu, j’évoquerai un aspect qu’aucun d’entre eux n’a évoqué, en m’adressant à ceux d’entre vous, mes chers collègues, que je ne comprends pas.
Pour vous, l’enfant est sacré : il passe avant tout dès l’instant où il est conçu et quoi qu’il advienne ensuite.
Je respecte cette position.
Ce que je ne comprends pas, et je tiens à vous le dire, c’est que vous fassiez l’impasse sur la souffrance des parents qui voient que l’avenir de leur enfant ne sera pas celui qu’ils avaient escompté.
Ce que je ne comprends pas, c’est que vous ne soyez pas sensibles à la souffrance des enfants.
Ce que je ne comprends pas, c’est que vous fassiez semblant de croire qu’il n’y a que des parents généreux qui, à partir du moment où ils ont donné naissance à un enfant affecté d’un handicap lourd, vont consacrer l’essentiel de leur vie à cet enfant pour qu’il vive le mieux possible et soit le plus épanoui possible.
Tous les parents ne sont pas ainsi, et on ne peut pas les juger : je connais des parents qui souffrent, depuis des années, d’une telle situation et je connais des enfants qui souffrent parce que leurs parents ne font pas aussi bien que d’autres.
On parle toujours de la trisomie 21, en oubliant la trisomie 18, qui est tout aussi grave, et il y a bien d’autres maladies génétiques. Des enfants sont placés à la DASS depuis qu’ils sont venus au monde parce que les parents, non prévenus, n’ont pas pu assumer un enfant différent. J’ai ainsi en tête les dizaines d’enfants que je voyais régulièrement, environ deux fois par an, avec leur famille d’accueil lorsque j’étais au conseil de famille du Val-d’Oise : nés avec un déficit génétique, une trisomie, ils n’avaient jamais été élevés par leurs parents.
Puisque vous êtes dans la compassion, vous devriez penser aussi à ces enfants qui n’ont pas eu de parents pour faire face, comme à ces parents tellement bouleversés qu’ils n’ont pas pu faire face. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont, pour explication de vote.
Mme Bernadette Dupont. Je veux dire à Mme Le Texier que, bien entendu, je connais les situations qu’elle décrit. La souffrance est pour tout le monde : elle n’est réservée ni aux meilleurs ni aux plus faibles. C’est forcément une souffrance d’avoir un enfant handicapé, et l’enfant lui-même, nous en sommes tous conscients, souffre, mais c’est un être humain, avec sa dignité d’être humain.
La réintroduction de ces quelques mots qu’avait ajoutés M. Leonetti dans le projet de loi vise simplement à éviter qu’il y ait un abus d’examens.
Toutes les femmes ont évidemment droit aux tests et, si elles le demandent, elles auront une réponse, mais j’estime que proposer systématiquement à chacune d’y recourir a pour effet de pousser certaines d’entre elles vers un choix extrêmement difficile et je ne suis pas sûre que subir une IMG vaille mieux que d’élever un enfant handicapé.