M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Comme Mme Nicole Borvo Cohen-Seat l’a reconnu elle-même, le projet de loi comprend deux avancées très importantes en matière de pratique des fouilles intégrales et des investigations corporelles internes.
Premièrement, elles ne seront possibles que lorsqu’elles sont indispensables pour les nécessités de l’enquête. Deuxièmement, elles seront mentionnées sur le procès-verbal visé à l’article 64 du code de procédure pénale.
Ces deux apports me paraissent suffisants et je ne vois pas d’intérêt à mentionner autre chose sur le procès-verbal dont il est question à cet article 64.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il est parfaitement identique à celui de M. le rapporteur.
En effet, madame Nicole Borvo Cohen-Seat, si nous examinons ensemble les alinéas 5 et 6 de l’article 9 du projet de loi, article qui vient d’être voté par le Sénat, et l’alinéa 7 de l’article 10, qui est en cours de discussion, nous constatons que vous avez entièrement satisfaction et que tout est écrit selon vos souhaits.
Il conviendrait donc de retirer votre amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, l'amendement n° 45 est-il maintenu ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 94, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« 6° L'état des locaux de garde à vue.
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Si vous me le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements nos 94 et 152 rectifié, dans la mesure où ils ont tous les deux trait à l’état des locaux de garde à vue.
M. le président. Je suis en effet saisi d’un amendement n° 152 rectifié, présenté par Mme Klès et M. Michel, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Les conditions matérielles de la garde à vue doivent répondre à des critères déterminés par décret en Conseil d'État.
« Le procès-verbal concernant la notification de la fin de la garde à vue et récapitulant le déroulement de la garde à vue devra contenir une appréciation de l'officier de police judiciaire concernant l’état des locaux de la garde à vue en fonction des critères retenus.
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Virginie Klès. L’amendement n° 94 tend à prévoir qu’une description de l’état des locaux de garde à vue figure dans le procès-verbal de garde à vue, ce qui permettra au moins d’établir un diagnostic précis de l’état de ces locaux sur l’ensemble du territoire français.
Je ne doute pas que le Sénat, dans sa grande sagesse, adoptera cet amendement, à moins que, dans son immense sagesse, il ne décide d’aller plus loin encore et vote l’amendement n° 152 rectifié !
Ce dernier vise, lui, à prévoir la détermination, par un décret pris en Conseil d’État, de critères auxquels devront répondre les locaux de garde à vue. En d’autres termes, non seulement le procès-verbal contiendrait la description des locaux, mais celle-ci serait faite en fonction de critères permettant de préciser certains points, comme, par exemple, la propreté des locaux, l’état des toilettes ou leur accessibilité aux gardés à vue.
Dans le cadre du respect de la dignité de la personne – il en a été beaucoup question depuis le début de l’examen de ce texte -, il me semble effectivement indispensable de garantir l’état et la propreté des locaux dans lesquels sont effectuées les gardes à vue.
Comme on l’a vu, ces gardes à vue peuvent se prolonger pendant plusieurs heures et je ne vois pas comment on peut garantir la dignité de personnes qui, pendant toute la durée de la mesure, n’ont accès ni aux toilettes ni à un endroit leur permettant de se laver. Je rappelle à cet égard que la garde à vue peut s’appliquer à n’importe qui et qu’elle concerne des présumés innocents.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je voudrais faire observer à Mme Virginie Klès qu’à l’article 8 du projet de loi il est prévu un nouvel article 63-5 du code de procédure pénale selon lequel « la garde à vue doit s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne ». Bien évidemment, la configuration des locaux de garde à vue, ainsi que leur état et leur entretien font partie des éléments permettant d’assurer, ou non, le respect de la dignité de la personne.
De quels contrôles des locaux de garde à vue disposons-nous aujourd’hui ?
Ce contrôle est en fait double.
D’une part, il est exercé par le procureur de la République. Sur ce sujet, je souhaiterais que M. le garde des sceaux nous donne son point de vue et nous rassure, car il est vrai que, de temps en temps, les visites des locaux de garde à vue par les parquets sont jugées peut-être un peu trop sommaires et insuffisantes.
D’autre part, il est exercé, et ce de manière totalement indépendante, par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que la commission des lois du Sénat auditionne régulièrement. M. Jean-Marie Delarue ne nous a d’ailleurs pas donné l’impression qu’il exerçait son contrôle à moitié, et ses comptes rendus sont de nature à mettre une certaine pression sur les autorités de police et de gendarmerie s’agissant de l’amélioration de l’état des locaux de garde à vue.
L’avis est donc défavorable sur les amendements nos 94 et 152 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je voudrais dire aux auteurs de ces amendements que l’objectif qu’ils cherchent à atteindre avec ces deux dispositions peut être partagé par l’ensemble des parlementaires et par le Gouvernement : l’état des locaux de garde à vue doit effectivement permettre un déroulement de la garde à vue respectant la dignité de la personne.
Il est proposé ici de demander aux officiers de police judiciaire de décrire le local de garde à vue et de donner une appréciation personnelle sur l’état de ce local.
Or, comme vient de l’expliquer M. le rapporteur, il existe plusieurs niveaux de contrôle de l’état des locaux de garde à vue.
Le procureur de la République doit procéder à la visite de ces locaux chaque fois qu’il l’estime nécessaire, et au moins une fois par an, j’insiste sur cette obligation ; un registre répertoriant le nombre et la fréquence de ces contrôles doit être tenu. En outre, un rapport annuel sur ce sujet doit être adressé au procureur général. Très naturellement, la Chancellerie veillera à ce que ces dispositions soient strictement observées.
Les locaux de garde à vue sont également soumis, il ne faut pas l’oublier, au contrôle des parlementaires, qui peuvent les visiter. Je ne peux que vous inviter, mesdames, messieurs les sénateurs, à utiliser ce pouvoir qui vous est donné. Beaucoup d’entre vous le font déjà et cela ne pose aucun problème.
Enfin, bien sûr, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté exerce son contrôle, ce que l’actuel titulaire du poste fait excellemment. Je suis, de par ma charge, tenu de répondre à des rapports qu’il établit après chacune de ses visites et je puis vous garantir que nous ne répondons pas en deux lignes aux questions fortes et ciblées qu’il pose. À chaque fois, ce sont plusieurs pages de réponse qu’il faut fournir à M. Jean-Marie Delarue, mais c’est justement pour cela que le Contrôleur général a été institué.
Compte tenu de ces trois niveaux de contrôle – le procureur de la République, les parlementaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté –, je ne peux qu’inviter les auteurs de ces amendements à les retirer. Faute d’un retrait, l’avis sera défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote sur l’amendement n° 94.
Mme Virginie Klès. Certes, monsieur le ministre, l’article 8 du projet de loi consacre un principe, mais il n’a échappé à personne que nous avons dû préciser que certains objets devaient être laissés à la personne, s’ils étaient nécessaires au respect de sa dignité, preuve que le principe ne nous a pas semblé suffisant en lui-même.
Je ne vois pas pourquoi le principe serait suffisant dans certains cas et insuffisant dans d’autres.
En l’occurrence, il me semble important d’insister sur les locaux : affirmer un principe – la dignité de la personne doit être respectée – ne suffit pas, à mon sens, à garantir que la configuration et l’état des locaux de garde à vue permettront effectivement de respecter cette dignité.
S’agissant des moyens de contrôle, il en existe effectivement – c’est notamment la mission du Contrôleur général des lieux de privation de liberté – et M. le garde des sceaux vient de nous en rappeler la liste.
Mais, dans le cas présent, il est question d’un état des lieux établi, au jour le jour, par les personnes utilisant les locaux, et non d’un contrôle aléatoire et, quoi qu’on en pense, sporadique. Il s’agit bien d’avoir un regard sur tout ce qui se passe au quotidien.
Dans nos cantines scolaires, dans la restauration collective, les services vétérinaires effectuent également des contrôles. Mais, au-delà de ces vérifications par les tutelles, il y a aussi ce qu’on appelle « l’autocontrôle » : tous les jours, des échantillons sont prélevés, conservés et analysés.
Donc, je ne vois vraiment pas en quoi il y aurait opposition. Au contraire, c’est une amélioration – un « plus » – que de demander aux personnes utilisant quotidiennement les locaux de garde à vue d’indiquer noir sur blanc comment elles les ont utilisés et ce qu’elles y ont constaté.
J’ajouterai même, parce que, pour ma part, j’ai confiance dans les forces de sécurité de notre pays, que cela pourrait éventuellement leur permettre d’apporter des remèdes : ayant pris le temps d’observer, de noter, elles décideront peut-être d’elles-mêmes d’apporter certains correctifs, sans attendre que l’État les force à le faire.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Richard Tuheiava, pour explication de vote.
M. Richard Tuheiava. Le respect de la dignité de la personne a bien sûr pour corollaire le bon état des locaux de garde à vue. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’accent a été mis sur le triple contrôle existant. Je crois cependant que le problème ne se situe pas à ce niveau.
Il ne s’agit pas de savoir si nous avons, oui ou non, les moyens de contrôler. En présentant ces amendements nos 94 et 152 rectifié, nous souhaitons véritablement insister sur les conditions dans lesquelles la garde à vue se déroule, au moment même où elle se déroule. Nous souhaitons que la situation soit examinée au cas par cas, à l’entrée de chaque gardé à vue.
Dans le cadre de mes activités professionnelles, il m’est arrivé, voilà quelques années, d’être témoin de certaines situations limites : dans un cas, le gardé à vue était obligé de se mettre à terre près de la porte pour avoir un peu d’air ; dans un autre, la personne s’était plainte de la présence, dans le local, des résidus de matières fécales imputables à l’ancien gardé à vue, la brigade concernée ayant dû traiter une succession de gardes à vue et se trouvant en difficulté pour gérer ce flux.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas admissible !
M. Richard Tuheiava. Nous ne cherchons pas à régler une généralité par voie législative; nous devons traiter le « tout-venant », la situation dans sa particularité.
Ces deux amendements, que je soutiens, nous donnent l’occasion de faire un pas en avant, non pas dans une perspective plus globale d’amélioration de la capacité des services de police ou de gendarmerie, mais véritablement sur la voie du respect de la dignité de la personne, ce qui suppose la qualité de la garde à vue.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Richard Tuheiava. Si je peux me permettre, mes chers collègues, je voudrais rappeler les critères – j’en vois au moins deux – qui ont une influence directe sur la qualité de la garde à vue, sur la manière dont la défense est élaborée, c’est-à-dire sur la qualité du jugement, si jugement il y a par la suite.
Je citerai, d’une part, la qualité relationnelle et la conscience professionnelle des officiers de police judiciaire dans le cadre de l’audition et, d’autre part, le contexte dans lequel se déroule la garde à vue : la capacité à échanger, notamment au niveau linguistique, et, surtout, l’état des locaux.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. S’il y a bien un amendement qui devrait tous nous rassembler, mes chers collègues, il me semble que c’est cet amendement n° 94.
M. le garde des sceaux a parlé avec beaucoup de sagesse lorsqu’il a indiqué que notre préoccupation était sans doute partagée sur toutes les travées.
C’est effectivement une préoccupation générale, car nous sommes tous horrifiés par ce que nous entendons ou ce que nous lisons à ce sujet, notamment dans le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Celui-ci insiste systématiquement sur le fait que les locaux de garde à vue sont parmi les plus misérables des misérables.
M. Roland Courteau. Scandaleux !
M. Alain Anziani. Nous sommes tous d’accord sur ce constat.
Chers collègues de la majorité, nous vous proposons une mesure qui ne coûte rien, qui ne retranche rien et qui, au contraire, se focalise sur une préoccupation que nous partageons tous, et vous allez la refuser ? Ce n’est franchement pas raisonnable !
Pouvez-vous m’expliquer en quoi l’ajout d’un 6° après l’alinéa 7 de l’article 64 du code de procédure pénale pourrait nuire à quiconque ou même gêner ?
On voit bien au contraire que cet article énumère un certain nombre de garanties, et nous souhaitons tous que les locaux ne soient pas oubliés. Donc, inscrivons-les dans la loi. Ne renvoyons pas cette garantie à des contrôles qui sont, reconnaissons-le, assez exceptionnels.
Même si le Contrôleur général a le droit de visiter les locaux de garde à vue – ce que, bien sûr, il fait –, et même si les parlementaires peuvent également s’y rendre, nous savons bien que cela reste exceptionnel, extraordinaire. Ce que nous voulons, c’est que, parmi les droits permanents, ordinaires, figure ce droit à la dignité que M. le rapporteur vient d’invoquer, et pas à titre purement déclamatoire, mais traduit dans la réalité.
Ce que nous vous demandons, c’est un petit effort, un tout petit pas ; cela ne mange pas de pain, si je puis dire, et nous satisfera tous. Nous devrions donc unanimement voter cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Chapitre II
Dispositions diverses
Article 11 A
(Non modifié)
Au début de la première phrase du troisième alinéa de l’article 18 du code de procédure pénale, les mots : « En cas de crime ou délit flagrant, » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 11
(Non modifié)
I. – L’article 61 du même code est complété par les quatre premiers alinéas de l’article 62.
I bis. – Au début du deuxième alinéa du même article 61 résultant du I du présent article, les mots : « L’officier de police judiciaire » sont remplacés par le mot : « Il ».
II. – À la deuxième phrase du troisième alinéa du même article 61 résultant du I du présent article, la référence : « à l’article 61 » est remplacée par la référence : « au premier alinéa ».
III. – L’article 62 du même code est complété par les mots : «, sans que cette durée puisse excéder quatre heures ».
IV. – Le même article 62 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63. »
M. le président. L'amendement n° 147 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L'article 11, dont la rédaction actuelle ne manquera pas de provoquer nombre de difficultés, est particulièrement important sur le plan du principe. C’est pourquoi nous souhaitons sa suppression.
Très concrètement, de quoi s’agit-il ?
L’article 11 prévoit que l’article 61 du code de procédure pénale est complété par les quatre premiers alinéas de l’article 62, qui ont fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel.
En fait, cet article 11 pose, en partie, et en partie seulement, le problème déjà rencontré avec l’audition libre que, très sagement, M. le garde des sceaux a ôtée du texte.
Encore une fois, nous constatons que le diable se cache dans les détails : cet article 11 reprenant littéralement quatre des alinéas de l’article 62 du code de procédure pénale désormais intégrés au nouvel article 61 et l’article 62 étant lui-même complété, on aboutit à la reconstitution au moins partielle de la procédure de l’audition libre, c’est-à-dire en pratique la possibilité pour l’officier de police judiciaire de maintenir à sa disposition durant une durée limitée ici à quatre heures une personne sans que celle-ci dispose du moindre droit. Or ce sont ces motifs qui ont conduit à la dénonciation de l’audition « libre », en réalité une audition contrainte, dénuée de toute garantie.
Cette reconstitution partielle de l’audition libre, par la reprise des quatre premiers alinéas de l’article 62, permet ainsi à l’officier de police judiciaire de « contraindre à comparaître par la force publique, avec l’autorisation préalable du procureur de la République, les personnes qui n’ont pas répondu à une convocation à comparaître ou dont on peut craindre qu’elles ne répondent pas à une telle convocation ».
Le dernier alinéa de l’article 62 dispose que « les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition ».
On peut donc continuer à auditionner pendant plusieurs heures une personne contrainte de rester à disposition des enquêteurs, mais sans aucune garantie, sauf si sont adoptés les amendements que nous avons prévus pour la suite de cette procédure.
Je vois dans la rédaction de cet article 11 la preuve de l’urgence avec laquelle il a fallu réagir à la décision du Conseil constitutionnel, mais on est allé vraiment trop vite et, encore une fois, la rédaction nécessitera, à mon avis, d’être modifiée dans les mois ou les années à venir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. J’ai été surpris par cet amendement, car je pense, au contraire, que l’article 11, dans la rédaction proposée, apporte des précisions très intéressantes, nécessaires, cela a été rappelé par M. Mézard, ainsi que des garanties pour les personnes qui sont interrogées par les enquêteurs.
L’article 11 opère une distinction très claire entre les témoins et les suspects.
Les témoins ne peuvent être retenus que pendant le temps nécessaire à leur audition, soit, désormais, pendant une durée maximale de quatre heures. Ils ne peuvent en aucun cas être placés en garde à vue.
Les suspects, c'est-à-dire les personnes à l’encontre desquelles il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement sont, eux, obligatoirement placés en garde à vue.
Donc, si l’on veut retenir une personne sous la contrainte, il faut qu’elle soit placée en garde à vue, étant rappelé que l’on ne peut de toute manière placer en garde à vue que les personnes à l’encontre desquelles il existe plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction.
Je considère que cet article 11 opère une clarification très utile et je suis surpris, monsieur Mézard, que vous vouliez le supprimer.
La commission émet donc un avis défavorable sur votre amendement n° 147 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Comme vient de le rappeler M. le rapporteur, cet article traite de la question de l’audition du témoin et apporte des garanties supplémentaires par rapport au droit existant.
Le droit actuel permet de retenir un témoin susceptible de fournir des renseignements concernant une affaire le temps nécessaire à son audition ; c’est la loi du 4 janvier 1993 qui a posé ce principe.
Cette disposition permet notamment aux enquêteurs, lorsqu’ils arrivent sur une scène de crime, de retenir et d’entendre les témoins même si ceux-ci veulent quitter les lieux. Le projet de loi limite la durée de cette retenue à quatre heures, ce qui constitue une nouvelle garantie.
Par ailleurs, cet article 11 précise également que si, au cours de l’audition d’un témoin, des raisons plausibles de le soupçonner d’une infraction apparaissent, la personne ne peut être maintenue sous la contrainte que sous le régime de la garde à vue. Là encore, il s’agit de l’application de la jurisprudence classique de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
L’article 11 que M. Mézard souhaite supprimer ne contient donc aucun des dangers qu’il y voit. C’est la raison pour laquelle je lui demande de bien vouloir retirer son amendement compte tenu des explications qui lui ont été données et qui devraient complètement le rassurer sur le contenu de cet article.
M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 147 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Je ne suis pas rassuré, monsieur le ministre, mais en doutiez-vous ? Toute la difficulté, c’est de différencier le témoin de la personne susceptible d’avoir commis telle ou telle infraction, et nous savons parfaitement dans la pratique comment cela se passe.
Encore une fois, ce qui va se produire, et nous le savons tous, c’est que le texte tel qu’il est aujourd’hui rédigé continuera de susciter un certain nombre de difficultés, de conflits et de discussions parce vous aurez réagi trop vite à la décision du Conseil constitutionnel.
Vous me dites qu’il n’y a strictement aucune contrainte. C’est faux : l’article 62 prévoit bien une convocation, dans certains cas par contrainte, et même s’il est dit que les témoins ne peuvent être retenus que le temps strictement nécessaire à leur audition, on conviendra que la retenue n’est pas la liberté.
M. François Zocchetto, rapporteur. Quatre heures au plus !
M. Jacques Mézard. C’est exact, monsieur le rapporteur, mais, quand on constate le peu de différence qu’il y a dans certains dossiers entre le témoin et le futur gardé à vue voire le futur mis en examen, on n’est pas forcément rassuré !
Je maintiens l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 47, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche , est ainsi libellé :
Après l'alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'officier de police judiciaire les informe qu'elles peuvent quitter à tout moment les locaux de la police ou de la gendarmerie.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Le dernier alinéa de l’article 62 du code de procédure pénale dispose : « Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition. »
Par conséquent, au regard de cet article, soit il existe au moins une raison plausible de soupçonner qu’une personne a commis ou tenté de commettre une infraction et, dans ce cas, elle sera contrainte de se tenir à la disposition des officiers sous le régime de la garde à vue et ses droits lui seront détaillés, soit, a contrario, il n’y a aucune raison de la maintenir en garde à vue et aucune contrainte ne doit donc peser sur elle.
Par cet amendement, il est proposé de veiller à ce qu’elle soit informée de cette absence de contrainte et de la liberté qui est la sienne de quitter les lieux. La contrainte que constitue l’obligation de se tenir à la disposition des officiers est une conséquence de la garde à vue. Elle ne doit apparaître ou se faire sentir que dans ce cadre.
Cet amendement est dicté par un souci de précaution : il vise à éviter qu’aucune pression, même minime, ne soit exercée sur la personne auditionnée tant que des éléments ne sont pas retenus à sa charge. Elle doit pour cela être clairement informée du statut sous lequel elle est entendue ainsi que des droits qui en découlent, en l’occurrence, le droit de s’en aller.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je crains que l’ensemble des amendements déposés à l’article 11 n’obscurcissent le texte, alors que les articles 11 et 11 bis tendent à introduire des clarifications par rapport à la situation actuelle.
L’article 11, qui reprend en partie l’article 62 du code de procédure pénale, concerne les témoins, c'est-à-dire des personnes qui peuvent être retenues pendant une durée maximale de quatre heures, si le texte est voté.
Si, d’aventure, la personne est ensuite placée en garde à vue, les quatre heures maximales d’audition en tant que témoin viendront s’imputer sur le délai de douze heures de la garde à vue. Mais, soyons clairs, lorsque vous êtes entendu comme témoin, vous restez à la disposition des enquêteurs. Voilà pour le premier cas.
Dans le second cas, qui concerne ceux à l’encontre desquels il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’ils ont commis ou tenté de commettre une infraction, les personnes peuvent être entendues selon deux régimes différents : soit il n’y a aucune contrainte – nous verrons cette disposition à l’article 11 bis – et elles sont informées qu’elles peuvent à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie ; soit elles sont placées sous le régime de la garde à vue, avec toutes les garanties procédurales qui s’y attachent.
Alors qu’à la faveur de ce texte une clarification est opérée, je considère que l’adoption des amendements déposés à l’article 11 ne ferait que créer la confusion. Comme l’a dit M. le garde des sceaux tout à l’heure, nous avons dû mal à les comprendre.
Je demande donc à Mme Mathon-Poinat de retirer son amendement n° 47. Sinon, j’émettrai un avis défavorable.