M. le président. Après ce débat riche et intéressant, je mets aux voix l'amendement n° 132 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 11.
(L'article 11 est adopté.)
Article additionnel après l'article 11
M. le président. L'amendement n° 48, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche , est ainsi libellé :
Après l'article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la seconde phrase du troisième alinéa de l'article 78-3 du même code, les mots : « quatre heures, ou huit heures » sont remplacés par les mots : « deux heures, ou quatre heures ».
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Aux termes de l’article 61 du code de procédure pénale, un officier de police judiciaire « peut défendre à toute personne de s’éloigner du lieu de l’infraction jusqu’à la clôture de ses opérations ». L’article 62 accorde au même officier la compétence d’appeler et d’entendre toutes les personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits.
Ainsi, les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction, autrement dit les témoins, peuvent être détenues jusqu’à quatre heures dans un commissariat ou une gendarmerie, ce qui nous paraît quelque peu excessif.
Or, comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel, le législateur se doit d’opérer une conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infraction et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties.
Il s’agit ici d’une mesure privative de liberté. Par conséquent, la durée de rétention doit être la plus brève possible et proportionnée à la gravité des faits.
C’est la raison pour laquelle nous proposons d’inclure dans la rédaction de l’article 78-3 le fait que les auditions des personnes qui font l’objet d’une vérification ou celles des simples témoins n’excèdent pas deux heures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Cet amendement vise à modifier les dispositions du code de procédure pénale relatives aux contrôles d’identité.
Tout d’abord, tel n’est pas l’objet du texte, qui est relatif à la garde à vue. Je veux bien que, par analogie, nous examinions tous les cas donnant lieu à privation de liberté, mais cela pourrait nous entraîner assez loin !
Ensuite, il ne me paraît pas opportun de diviser par deux la période pendant laquelle on peut procéder à des investigations ou poser des questions à des personnes qui refusent de donner leur identité ou qui se trouvent dans l’impossibilité de la justifier.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le président, je sollicite une très brève suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va bien évidemment accéder à votre demande, monsieur le garde des sceaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Article 11 bis
I. – L’article 73 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue, lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent code sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
II. – Après l’article L. 3341-1 du code de la santé publique, il est rétabli un article L. 3341-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 3341-2. – Lorsqu’il est mis fin à la rétention en chambre de sûreté de la personne, son placement en garde à vue, si les conditions de cette mesure prévues par le code de procédure pénale sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. »
III. – Le titre III du livre II du code de la route est ainsi modifié :
1° Le chapitre IV est complété par un article L. 234-18 ainsi rédigé :
« Art. L. 234-18. – Lorsqu’il a été procédé aux épreuves de dépistage et aux vérifications prévues par les articles L. 234-3 et L. 234-5, le placement en garde à vue de la personne, si les conditions de cette mesure prévues par le code de procédure pénale sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. » ;
2° Le chapitre V est complété par un article L. 235-5 ainsi rétabli :
« Art. L. 235-5. – Lorsqu’il a été procédé aux épreuves de dépistage et aux vérifications prévues par l’article L. 235-2, le placement en garde à vue de la personne, si les conditions de cette mesure prévues par le code de procédure pénale sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. »
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, sur l'article.
M. Alain Anziani. L’article 11 bis, sur lequel M. Tuheiava présentera tout à l’heure un amendement, est essentiel. Il vaut en effet par son hypocrisie.
M. Alain Anziani. Je m’explique.
Toute l’ambivalence de ce projet de loi ressurgit à l’article 11 bis, qui, je le rappelle, n’existait pas dans le projet de loi initial, contrairement au dispositif de l’audition libre, qui, lui, figurait à l’article 1er, mais que nos collègues de l’Assemblée nationale ont supprimé. Cependant, quelques articles plus loin, ce dispositif est tout à coup réapparu sous de nouveaux habits. Appelons-le désormais la « comparution libre ».
Si je parle d’hypocrisie, c’est parce que vous avez répété à plusieurs reprises, monsieur le garde des sceaux, que votre objectif était quantitatif : il faut diminuer le nombre de gardes à vue !
M. Alain Anziani. Je ne sais pas si nous sommes d’accord. Notre objectif à nous, comme à beaucoup d’autres d’ailleurs, n’est pas quantitatif : nous voulons éviter les gardes à vue abusives, les gardes à vue inutiles. Cela n’a rien à voir avec cette politique du chiffre à l’envers qui consiste à réduire significativement les placements en garde à vue parce que l’opinion publique s’effraie maintenant de leur nombre.
Pour réduire le nombre de gardes à vue, vous aviez inventé l’audition libre. Désormais, vous nous proposez la « comparution libre ». Où est le progrès ?
Je l’ai déjà dit à de multiples reprises : je ne vois pas la différence entre les deux. D’ailleurs, personne ne me l’a vraiment expliquée. C’est bonnet blanc et blanc bonnet, sauf que l’étiquette a changé.
Quel progrès apporte la comparution libre d’aujourd’hui, ou l’audition libre d’hier, par rapport à la garde à vue ? Dans un cas, on place la personne en garde à vue en lui indiquant les droits afférents. Dans l’autre, la personne est invitée à suivre l’OPJ et, si elle refuse, elle est placée en garde à vue. Le paradoxe est que l’on est de toute façon sous la menace de la garde à vue.
Il faut savoir que le gardé à vue a des droits. La personne qui accepte de comparaître librement, mais qui est sous la haute menace de la garde à vue, renonce, elle, à tous ses droits. Voilà une différence importante !
Parlons maintenant de la ressemblance, et c’est là où le bât blesse.
Dans les deux cas, que la personne soit mise en garde à vue ou qu’elle soit entendue libre, elle est considérée comme un suspect. C’est d’ailleurs sur ce point que je vous invite à réfléchir.
Vous le savez aussi bien que moi, monsieur le garde des sceaux, le suspect, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, dispose d’un certain nombre de droits. Or ce que vous nous proposez est un véritable tour de passe-passe : mis en garde à vue, le suspect a des droits ; entendu librement, il n’en a pas.
Voilà pourquoi votre texte sera à nouveau censuré par les hautes juridictions, notamment par la Cour européenne des droits de l’homme.
M. le président. L'amendement n° 49, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. L’article 11 bis, issu d’un amendement gouvernemental, a pour objet affiché de lutter « contre l’automaticité de la garde à vue ». Cependant, l’article précise bien : « lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent code sont réunies ».
Autrement dit, on se trouve dans une situation où les conditions posées à l’article 62-3 sont réunies mais où les droits accordés à toute personne placée en garde à vue ne sont pas assurés.
Il s’agit en fait, dans une moindre mesure, de la réintroduction de l’audition libre supprimée à l’Assemblée nationale.
Nous proposons la suppression de cet article, car il permet aux OPJ d’entendre une personne en dehors de tout cadre protecteur des droits de la défense, et alors qu’aucune mesure de contrainte ne pèse sur elle.
À l’exception de la possibilité de mettre fin à l’audition, aucun droit n’est octroyé à la personne auditionnée. Même la durée maximale de la présence de la personne dans les locaux n’est pas fixée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. L’article 11 bis me semble nécessaire. Il a pour but d’inscrire dans la loi une jurisprudence constante de la Cour de cassation, qui considère que le placement en garde à vue n’est obligatoire que lorsqu’il paraît nécessaire de retenir le suspect sous la contrainte afin qu’il demeure à la disposition des enquêteurs.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. François Zocchetto, rapporteur. Corrélativement, dès lors que l’officier de police judiciaire n’estime pas nécessaire de maintenir l’intéressé à sa disposition, la garde à vue ne paraît pas justifiée.
On n’est pas obligé de placer tout le monde en garde à vue !
Par ailleurs, la commission a précisé que, dans les trois hypothèses visées par l’article 11 bis – interpellation par une personne privée, audition après placement en cellule de dégrisement, épreuve de dépistage d’alcool ou de stupéfiants –, la personne suspectée d’une infraction qui n’est pas placée en garde à vue doit être informée de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie.
Les inquiétudes suscitées par l’article 11 bis ne sont donc pas fondées ; les auteurs des amendements pourraient les retirer, cet article me paraissant constituer une avancée législative.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vais m’efforcer de répondre le plus complètement possible aux interrogations suscitées par cet article.
L’audition libre est une sorte de fantôme qui se cacherait derrière chaque article, comme l’ombre derrière le soleil,…
Mme Anne-Marie Escoffier. Lumière et ombre, dit Zoroastre…
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … fantôme qu’ont débusqué M. Mézard à l’article précédent et M. Anziani à l’instant. Or il n’y a pas d’audition libre !
Mesdames, messieurs les sénateurs, la garde à vue n’est pas obligatoire, même lorsque les conditions sont réunies. Aux termes de l’article 1er du projet de loi adopté par le Sénat, le procureur de la République apprécie si le maintien de la personne en garde à vue est nécessaire à l’enquête et proportionné à la gravité des faits ; si ce n’est pas le cas, la personne n’est pas placée en garde à vue.
Il n’y a aucune obligation de placer quelqu'un en garde à vue. L’article 11 bis vise simplement à inscrire dans la loi une règle simple, pratique, qui est d'ailleurs largement reconnue.
À vous entendre, la garde à vue deviendrait la panacée ! Vous nous avez expliqué que les locaux étaient abjects, qu’il ne fallait surtout pas être placé en garde à vue, et vous nous dites maintenant qu’il faut mettre tout le monde en garde à vue : il faudrait savoir ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Anziani. Nous ne disons pas cela !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous ne l’avons jamais dit !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est tout de même ce que vous dites !
Celui qui mène l’enquête, sous le contrôle du procureur de la République, choisit sa méthode : soit il place la personne en garde à vue, soit il ne le fait pas, et ce même si les conditions sont remplies.
Compte tenu des conditions restrictives imposées pour le placement en garde à vue, cette mesure de contrainte ne sera désormais plus employée dans nombre d’enquêtes.
Nous avons proposé, et le Sénat a bien voulu nous suivre, qu’une personne puisse être mise en garde à vue lorsque les faits dont elle est soupçonnée sont passibles d’une peine d’emprisonnement. La durée de celle-ci – trois ans, cinq ans, sept ans… – a d'ailleurs fait l’objet d’un débat.
Si l’on restreint le champ de la garde à vue, on ne peut pas ensuite demander de placer tout le monde en garde à vue !
L’article 11 bis règle la question et je ne peux que m’appuyer sur les propos de Mme Guigou, consignés à la page 29 du compte rendu intégral de l’Assemblée nationale : « L’audition libre, objet juridique non identifié, a fort heureusement été supprimée par les députés de la commission de lois ». Nous avons accepté que l’audition libre soit supprimée, elle n’existe plus, ne la faites pas ressusciter à tout instant !
Mme Guigou poursuit : « […] soit il y a contrainte et la personne placée en garde à vue doit bénéficier des droits de la défense ; soit la personne vient volontairement au commissariat et peut repartir quand elle veut et les droits spécifiques liés à la privation de liberté ne s’appliquent pas. »
C’est ce que prévoit l’article 11 bis, qui est maintenant soumis à la délibération du Sénat.
M. Pierre-Yves Collombat. Et si la personne a été gardée quatre heures ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Collombat, vous confondez avec l’article précédent, qui visait le témoin. Le présent article concerne la personne suspectée d’avoir commis ou tenté de commettre des faits délictueux ou criminels, ce qui n’est pas du tout la même chose.
M. Pierre-Yves Collombat. Le distinguo de Mme Guigou est très clair !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. M. le ministre est en train de nous expliquer que, au fond, nous sommes pour la garde à vue, que nous sommes favorables à sa multiplication et que nous n’avons rien compris à l’esprit de la réforme.
Monsieur le ministre, vous êtes très fort, mais vous êtes de mauvaise foi ! (M. le garde des sceaux s’exclame.) Si vous étiez de bonne foi, et parce que vous êtes un homme intelligent, vous seriez obligé de reconnaître que vous avez compris le point de vue que nous défendons dans cet hémicycle depuis une semaine : nous ne sommes pas du tout pour la multiplication des gardes à vue, nous demandons simplement que la personne suspecte dispose d’un minimum de droits, droits qui seront exposés dans l’amendement que nous avons déposé sur cet article. Or les articles 11 et 11 bis privent le suspect de ces droits, ce qui est manifestement contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
M. le président. L'amendement n° 96, présenté par MM. Anziani, Michel, Badinter et Sueur, Mmes Klès et Boumediene-Thiery, M. Courteau et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... - Dans les cas prévus aux paragraphes I, II et III du présent article l'audition ne peut excéder six heures.
L'auditionné doit, sans délai, être informé, dans une langue qu'il comprend, des faits qui lui sont reprochés, de son droit, après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire et la possibilité d'être placé en garde à vue à l'issue de cette audition.
Il peut faire prévenir de la procédure dont il fait l'objet un proche et son employeur. Il doit être informé de son droit d'être examiné par un médecin. Avant le début de cette audition ou au cours de celle-ci, l'intéressé peut demander à bénéficier d'un entretien téléphonique d'une demi-heure avec son avocat ou un avocat commis d'office.
Il peut être mis fin à tout moment, à l'audition, à la demande de l'auditionné, ou sur décision de l'officier de police judiciaire.
La durée de cette audition s'impute sur la durée de la garde à vue.
La parole est à M. Richard Tuheiava.
M. Richard Tuheiava. Cet amendement a pour but d’encadrer la séquence pré-judiciaire que suppose l’article 11 bis afin de la rendre conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.
Nous avons considéré qu’il était nécessaire d’insérer, avant l’alinéa 1 de l’article 11 bis, un paragraphe retraçant l’ensemble des garanties accordées à la personne auditionnée, par souci de parallélisme des formes. Nous souhaitons donc que la Haute Assemblée entende cette préoccupation.
Il importe également que M. le garde des sceaux comprenne que nous ne sommes pas là pour entraver le vote d’un texte dont nous reconnaissons la portée et les avancées sur le plan de la garde à vue. Nous souhaitons simplement alimenter le débat parlementaire, auquel on nous enseigne, sur les bancs de la faculté de droit, qu’il convient de se référer, en cas de difficulté d’interprétation jurisprudentielle, sur l’intention du législateur.
Le débat législatif nous permet de mettre en exergue la difficulté d’interprétation ou de positionnement que nous posent les articles 11 et 11 bis. Sans reprendre tout le débat, je tiens à souligner qu’il existe un risque d’ambiguïté dans l’intention du législateur, et je dois bien avouer que les interrogations qu’il suscite sur les travées situées à gauche de l’hémicycle me paraissent légitimes.
La question est de savoir si nous ne sommes pas en train de régresser et de créer une situation de « non-droits » au détriment de personnes qui ne sont pas encore entrées officiellement dans le cadre précis de la garde à vue, qui a passé le filtre de la jurisprudence européenne.
Ne sommes-nous pas en train de nous aventurer sur un terrain législatif mouvant ?
Ne sommes-nous pas en train de valider une pratique des officiers de police judiciaire qui serait finalement contraire, à terme, aux intérêts des justiciables ? Avouez que ce serait paradoxal.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je crois m’être suffisamment expliqué, à l’article 11, concernant la situation des témoins. L’article 11 bis vise les personnes à l’encontre desquelles il existe des raisons de soupçonner qu’elles ont tenté de commettre ou commis une infraction.
En l’espèce, vous refusez d’admettre qu’il peut y avoir une distinction entre les personnes qui sont maintenues sous contrainte, placées sous le régime de la garde à vue, et celles qui ne le sont pas, qui sont informées – c’est le texte qui le prévoit – qu’elles peuvent à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie.
M. Alain Anziani. Comme dans l’audition libre !
M. François Zocchetto, rapporteur. Non, c’est différent !
M. Alain Anziani. Expliquez-moi la différence !
M. le président. Je vous en prie, laissez M. le rapporteur s’exprimer !
M. François Zocchetto, rapporteur. Les personnes pouvant quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ne bénéficient pas de toutes les procédures – ou garanties, si vous préférez – applicables au placement en garde à vue précisément parce que les personnes gardées à vue sont maintenues sous la contrainte à la disposition des enquêteurs.
Nous avons compris qu’il existait une divergence de vues entre nous. Nous pouvons y revenir à chaque amendement, mais nous en arrivons toujours à la même conclusion, à savoir que nous ne sommes pas d’accord. En conséquence, la commission émet un avis défavorable.
M. Pierre-Yves Collombat. Voilà un bon argument !
M. François Zocchetto, rapporteur. Je peux réitérer mes explications, si vous le souhaitez !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vais probablement me répéter, monsieur le président, mais c’est tout l’art de la pédagogie. D’autres l’ont fait avant moi, d’ailleurs ! (Sourires.)
M. Yvon Collin. Le tout est de ne pas se contredire ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Une enquête peut tout à fait être menée sans mesures privatives de liberté. Dans la mesure où nous avons restreint le champ d’application de la garde à vue, ce sont chaque année plusieurs centaines de milliers d’affaires qui seront ainsi concernées.
Que proposez-vous, monsieur Mézard ? De placer en garde à vue toutes les personnes suspectées ?
M. Jacques Mézard. On en fait quoi ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Honnêtement, je ne comprends pas votre position. Dans un premier temps, vous demandiez que l’on restreigne le champ d’application de la garde à vue ; à présent, vous souhaitez l’étendre…
Les individus suspectés d’avoir commis des infractions peuvent être placés en garde à vue, mais ils peuvent aussi être simplement auditionnés, puis éventuellement déférés.
La garde à vue n’est ordonnée que dans certains cas précis. Et, comme il s’agit d’une mesure privative de liberté, elle est soumise au respect des dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en particulier le paragraphe 3 de son article 5, ainsi que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, les paragraphes 1 et 3 de son article 6.
Mais le dispositif dont nous discutons actuellement concerne les cas où il n’y a pas de garde à vue. En l’occurrence, la personne est auditionnée, puis elle peut partir.
M. René-Pierre Signé. Dans ce cas, l’affaire est finie ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Votre diagnostic est le bon, docteur Signé ! (Sourires.) Il ne reste plus qu’aux auteurs de cet amendement à le retirer.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, la lecture de l’article 11 bis démontre encore – ce n’est pas la première fois ; est-ce la dernière ? - que votre projet de loi n’est qu’une coquille vide (Protestations sur les travées de l’UMP) et que les avancées qu’il est censé consacrer sont purement formelles.
Certes, le Gouvernement a été obligé par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme d’introduire l’avocat, mais immédiatement, dans le même texte, à d’autres articles, vous revenez sur tout ce que vous avez concédé.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Jean-Pierre Michel. Ainsi, nous avons déjà pu constater que l’article 7 était la négation totale de l’article 1er !
Ici, l’avocat est un importun, un « gêneur ». (M. le garde des sceaux s’exclame.) Mais oui ! Et c’est bien son rôle ! Il est là pour tenter de placer le grain de sable qui va gripper la machine infernale ! Alors, oui, il gêne : dans les locaux de garde à vue, il gêne ; devant le juge d’instruction, il gêne ; devant le tribunal, il gêne.
Un avocat célèbre comme Me Le Borgne n’a pas craint de gêner un procès attendu de longue date et qui aurait dû commencer aujourd'hui même, en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité complètement farfelue, et avec l’appui de tous les avocats de l’ancien président Jacques Chirac ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Alors là, si l’avocat n’a pas gêné le cours de la justice…
L’avocat est donc bel et bien un gêneur, raison pour laquelle vous envisagez des possibilités de report ou de saisine du procureur de la République pour obtenir un changement d’avocat !
Mais j’en viens plus précisément aux dispositions de l’article 11 bis. À cet égard, je pense que vous avez fait une erreur de diagnostic, docteur Signé !
Imaginez la situation. La personne reçoit une convocation « Pour affaire vous concernant ». La personne se présente, on la rassure : c’est une affaire de rien du tout, elle est libre de partir immédiatement. Mais, si les faits sont graves, vous pensez bien que la personne refusera de continuer et manifestera son intention de quitter les lieux. Elle sera alors placée en garde à vue !
Et voilà !
Notre amendement va moins loin que celui de notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, qui prônait la suppression pure et simple de l’article 11 bis.
Le dispositif que nous proposons résulte des auditions que nous avons menées. Ce sont les représentants des syndicats de police qui ont insisté sur la nécessité de fixer une durée maximale, en l’occurrence six heures. En six heures, nous ont-ils dit, on débrouille une affaire.
Et, dans ces cas-là, il est vrai, prévoir l’ensemble des garanties qui s’attachent à la garde à vue alourdirait bien inutilement la procédure. Mais au moins prévoyons certaines de ces garanties, un minimum. Fixons une durée maximale, six heures, et donnons à la personne qui va être interrogée la possibilité de prévenir ses proches, son employeur, éventuellement son médecin, ou de solliciter un conseil. N’oublions pas que la personne convoquée pensait peut-être n’en avoir que pour quelques minutes mais sera retenue six heures, voire plus !
Les syndicats de police n’y sont absolument pas hostiles, et j’ai déjà dit qu’ils nous avaient eux-mêmes suggéré la durée limite de six heures.
Nous ne demandons qu’un minimum de droits et d’encadrement de la procédure d’audition, c’est tout !
Ensuite, de deux choses l’une : soit la personne est bien le suspect que l’on recherchait, et elle est placée en garde à vue, les six heures s’imputant sur la durée de la garde à vue, soit ce n’est pas le cas, et la personne peut être relâchée.
Mais, monsieur le garde des sceaux, votre projet de loi, en l’état, n’introduit aucune garantie, aucune limite de temps.