compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. François Fortassin.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Garde à vue
Discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la garde à vue (projet n° 253, texte de la commission n° 316, rapport n° 315).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici donc rassemblés pour discuter d’un texte important, à savoir le projet de loi relatif à la garde à vue. À cet égard, je ne doute pas que, au cours des prochaines heures, l’assistance s’étoffera et que plusieurs sénatrices et sénateurs rejoindront leurs collègues qui nous font l’honneur d’être présents ce matin dans l’hémicycle.
Le présent projet de loi doit être apprécié à l’aune des réformes conduites ces dernières années en faveur de la défense des droits et des libertés constitutionnellement garantis.
En effet, c’est en vertu de la réforme constitutionnelle de 2008, qui a mis en œuvre le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, dont nous avons fêté hier le premier anniversaire, que nous débattons ici ce matin. Saisi sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a en effet déclaré non conformes à notre constitution un certain nombre de dispositions relatives à la garde à vue.
À celles et à ceux qui ont voté cette réforme constitutionnelle, je veux dire qu’ils doivent aujourd’hui s’engager dans la réforme de la garde à vue de façon claire, avec enthousiasme, sans avoir à craindre quoi que ce soit.
La garde à vue fait partie intégrante de l’enquête. De fait, notre système d’enquête doit établir un équilibre entre deux objectifs d’égale valeur constitutionnelle : d’une part, l’objectif de sécurité et de sûreté, garanti par la déclaration universelle des droits de l’homme ; d’autre part, l’objectif de respect des garanties et des libertés constitutionnellement protégées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que l’a déclaré le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, il vous appartient d’établir ce nouvel équilibre.
À l’Assemblée nationale, le présent texte a recueilli un assentiment assez large puisque seuls trente-deux députés se sont prononcés contre celui-ci, leurs autres collègues votant pour ou s’abstenant. Connaissant l’attachement du Sénat à la défense des libertés, je suis certain, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aurez à cœur d’apporter votre pierre à l’édifice et de construire l’équilibre nouveau auquel vous appelle le Conseil constitutionnel. Comme le déclarait celui-ci, « il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties [...] ».
Le Gouvernement a bâti ce projet de loi sur le fondement à la fois de cette décision du Conseil constitutionnel, mais aussi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, a condamné la France en raison de certaines règles déterminant le régime de la garde à vue.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est appuyé sur les arrêts rendus en octobre et en décembre 2010 par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Ce nouvel équilibre doit donc reposer sur l’observation de règles constitutionnelles et de règles conventionnelles.
Le présent projet de loi s’articule autour de deux idées : d’une part, il convient d’inscrire la garde à vue dans un cadre nouveau, rénové : celle-ci doit davantage respecter les libertés individuelles et la dignité des personnes qui y sont soumises ; d’autre part, la garde à vue doit faire l’objet d’un contrôle, question très importante autour de laquelle se sont naturellement focalisés un certain nombre de débats : qui doit contrôler la garde à vue ? quelle autorité judiciaire est chargée de son contrôle ?
S’agissant du point liminaire, une première exigence est pour moi fondamentale, celle d’un encadrement plus strict de la garde à vue : celle-ci doit être limitée à la seule nécessité de la manifestation de la vérité. Ensuite, et c’est la seconde exigence, les droits du gardé à vue doivent être accrus.
Tout d’abord, donc, la garde à vue doit être plus strictement encadrée et il convient d’éviter la banalisation dont elle a fait l’objet ces dernières années.
Deux raisons expliquent cette banalisation : l’une de droit, l’autre factuelle.
D’une part, les personnes gardées à vue bénéficiant de garanties, la Cour de cassation a, à travers plusieurs arrêts, été amenée à rendre plus facile, en quelque sorte, le recours à cette pratique ; d’autre part, la garde à vue est devenue – il faut bien le reconnaître – un procédé habituel d’enquête.
Le Gouvernement entend véritablement limiter l’usage de la garde à vue. En 2009, nous avons enregistré près de 800 000 gardes à vue ; l’année dernière, toutes catégories confondues, leur nombre a sensiblement diminué, sans qu’il puisse encore être précisément établi – probablement 100 000 de moins. Il s’agit là d’un fait notable, et j’espère bien que cette tendance se poursuivra.
Désormais, la garde à vue n’est justifiée que si elle répond à des critères précis. C’est, du moins, ce que nous proposons.
Ces critères sont les suivants.
L’enquêteur doit établir que le placement en garde à vue est l’unique moyen de permettre l’exécution des investigations, ou encore l’unique moyen d’empêcher la personne de modifier les preuves, de faire pression sur les témoins et les victimes ou de se concerter avec ses complices.
Ce dispositif permet donc de concentrer la garde à vue sur son objectif essentiel : être un outil au service de l’enquête.
Le texte qui vous est soumis rappelle également qu’une garde à vue n’est justifiée que lorsqu’une mesure de contrainte est indispensable à l’enquête. En l’absence de cette nécessité de coercition, la garde à vue n’est pas obligatoire, quand bien même certains des critères évoqués seraient réunis.
S’il est très difficile aujourd’hui de quantifier les effets de ces règles nouvelles, nous souhaitons que l’encadrement plus strict des critères de garde à vue ait des conséquences importantes sur leur nombre.
Nous attendons une diminution de l’ordre de 300 000 gardes à vue par an. Il en resterait néanmoins près de 500 000, ce qui est loin d’être négligeable, comme nous devons en avoir conscience. D’ailleurs, faire fonctionner le nouveau système avec plus de gardes à vue paraît naturellement impossible. Il s’agit donc d’encadrer leur nombre.
Le projet de loi vise aussi – c’est plus fondamental – à introduire des mesures essentielles pour la protection des droits en garde à vue.
La première avancée, la plus symbolique mais aussi celle qui nous manquait probablement le plus, est l’assistance effective de l’avocat dès la première minute de la garde à vue, disposition qui est au cœur du projet.
En renforçant la présence et les moyens d’intervention de l’avocat, le texte apportera de nouvelles garanties aux droits de la défense. Je voudrais rappeler les mesures essentielles de ce point de vue.
D’abord, la personne gardée à vue pourra bénéficier de l’assistance de son avocat tout au long de la procédure.
Ensuite, les moyens d’intervention de l’avocat sont renforcés : il aura accès au procès-verbal de notification et aux procès-verbaux d’audition.
Enfin, l’avocat pourra poser des questions et présenter des observations.
Votre commission a, par ailleurs, réécrit les dispositions relatives à la résolution des difficultés d’organisation de cette intervention, notamment en cas de conflit d’intérêt, et lorsqu’une pluralité d’auditions rend nécessaire la présence de plusieurs avocats.
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, ce dispositif a été enrichi, par un amendement du Gouvernement reprenant explicitement la jurisprudence Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, qui précise qu’aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites sans avocat. Il s’agit donc ici d’une garantie essentielle. Aucun propos auto-incriminant ne pourra être retenu sans qu’un avocat puisse assister ou conseiller la personne gardée à vue.
Cela s’inscrit dans le droit-fil de la philosophie qui sous-tend le projet de loi. Nous passons très clairement d’une culture de l’aveu à une culture de la preuve. Cela nécessite forcément des efforts culturels importants. Si le Gouvernement a souhaité que l’arrêt Salduz figure à l’article 1er du texte, c’est pour souligner ce changement fondamental.
Ces garanties sont extrêmement importantes.
Le projet de loi pose également le principe selon lequel la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit à conserver le silence. Il s’agit aussi d’une mesure essentielle.
Certes, cela remet en cause un certain nombre de nos pratiques. Ce matin, en préparant mon intervention, je relisais dans la revue L’Observatoire de Bruxelles, un article sur la jurisprudence européenne concernant un arrêt de la Cour de Strasbourg qui remet en cause les pratiques procédurales. Ainsi, demander au gardé à vue de dire toute la vérité et rien que la vérité est tout à fait contraire au droit que l’on a de se taire.
Cela démontre les changements profonds que ce texte introduit dans notre procédure pénale, ainsi que les bouleversements culturels impliqués par cette réforme de la garde à vue.
L’exigence d’être informé du droit à conserver le silence est tout à fait essentielle. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs rappelé en juillet dernier, et cette norme est reconnue dans la plupart des pays occidentaux. Notre législation se devait, en conséquence, de prévoir expressément cette disposition.
Votre commission a, de plus, utilement précisé que, outre le droit de faire prévenir un proche, le gardé à vue majeur incapable pouvait faire prévenir son tuteur ou son curateur, et que le gardé à vue de nationalité étrangère pouvait faire prévenir les autorités consulaires de son pays d’origine.
Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité prévoir un délai de deux heures avant toute audition, à compter de l’avis donné à l’avocat, une fois que celui-ci a été choisi et appelé. Le principe d’un délai de route n’est pas illégitime, mais celui-ci devrait, à mon avis, être concilié avec les impératifs de l’enquête. En effet, il conduit en pratique – l’avocat ne pourra en effet pas être avisé au moment de l’interpellation ; il ne pourra l’être qu’une fois notifié formellement le placement en garde à vue au commissariat ou à la brigade de gendarmerie – à devoir attendre trois heures avant toute audition, au préjudice de l’enquête, et ce alors même que le gardé à vue pourra toujours, s’il le souhaite, garder le silence et qu’il bénéficiera de la jurisprudence Salduz que je viens de rappeler.
C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement de compromis, réduisant ce délai à une heure. Mais j’ai constaté la position de la commission des lois du Sénat et j’aurai beaucoup à faire pour vous convaincre ! (Sourires.)
Un autre apport essentiel de la réforme tient au respect de la dignité des personnes
Le projet de loi prohibe les fouilles intégrales menées pour des raisons de sécurité. Ces fouilles constituaient une atteinte profonde à la dignité et l’une des critiques récurrentes faites à la garde à vue actuelle : humiliantes, elles étaient vécues plus durement que la privation de liberté.
Les cadres d’enquête doivent aussi être adaptés aux différentes formes de criminalité. L’équilibre entre l’efficacité de l’enquête et la protection des droits doit être soigneusement établi.
Nous devons garder à l’esprit que, face à la diversité des formes de criminalité, il faut des cadres d’investigation souples et adaptés. Sans régime dérogatoire, comment lutter, en effet, contre la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants ou le terrorisme ? Le Parlement ne s’y était pas trompé lorsqu’il avait donné, en 2002 et en 2004, les outils efficaces pour lutter à armes égales dans ce combat toujours renouvelé. Remettre en cause sans distinction ces régimes nous fragiliserait considérablement.
Une telle nécessité n’a jamais été contestée, ni par le juge constitutionnel, ni par la Cour de cassation, ni par la Cour européenne des droits de l’homme. En cette matière également, tout est affaire de pragmatisme et de proportionnalité.
Le texte qui vous est présenté prévoit la possibilité d’une participation différée de douze heures de l’avocat aux auditions, sur autorisation d’un magistrat, afin de permettre le bon déroulement d’investigations urgentes ou de prévenir une atteinte imminente aux personnes.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le régime actuel de garde à vue apportait une restriction aux droits de la défense de portée générale, sans considération des circonstances particulières de l’espèce. Toutefois, une dérogation est envisageable dès lors que peuvent être dûment motivées lesdites circonstances particulières.
Dans trois arrêts du 19 octobre 2010, la Cour de cassation a également jugé que des « raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce » pouvaient justifier le report de l’assistance de l’avocat.
Cette jurisprudence, postérieure au dépôt du projet de loi, a été prise en compte par des amendements du Gouvernement, votés par l’Assemblée nationale : pour ces régimes dérogatoires, la présence de l’avocat pourra être différée, sur autorisation du procureur de la République durant les vingt-quatre premières heures, et sur autorisation du juge des libertés et de la détention jusqu’à la quarante-huitième, voire la soixante-douzième heure, en matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme.
En droit commun, un report de l’intervention de l’avocat de douze heures pourra être décidé sur autorisation du procureur de la République, puis à nouveau de douze heures sur décision du juge des libertés. Le report est strictement encadré : il doit être motivé dans tous les cas et répondre à des raisons impérieuses, telles que la nécessité de procéder immédiatement à des décisions urgentes ou la nécessité d’obtenir très rapidement des informations, par exemple en cas d’enlèvement d’enfant.
Un alignement de la retenue douanière sur le nouveau régime de la garde à vue a été adopté, afin de suivre les exigences fixées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 septembre 2010. Votre commission a précisé que cette prolongation devait être justifiée par le procureur, pour les nécessités de l’enquête.
Enfin, a été adoptée une disposition tirant les conséquences du récent arrêt Moulin c. France de la Cour européenne des droits de l’homme. Le contrôle de la mise à exécution des mandats d’arrêt et d’amener est ainsi dorénavant confié au juge de la liberté et de la détention. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement de coordination, afin que les mêmes règles soient également applicables aux mandats d’arrêt européens.
Il faut le souligner aussi, les victimes n’ont pas été oubliées, avec le vote d’une disposition prévoyant, lors d’une confrontation entre un auteur présumé et sa victime, la possibilité pour cette dernière d’être également assistée d’un avocat. Il s’agit là de garantir l’égalité des armes dans une phase essentielle de la procédure.
Au-delà du contenu de la garde à vue, le débat s’est largement focalisé sur le contrôle de la mise en œuvre de la garde à vue. Je reviendrai sur ce point essentiel qui a largement fait débat.
À cette occasion, ont été posées des questions essentielles concernant notamment le parquet à la française, sur lequel je souhaite très clairement indiquer la position du Gouvernement.
Les changements dans le contenu de la garde à vue tels que je viens de les présenter constituent une avancée notable en matière de respect des libertés et des droits fondamentaux. La question du contrôle de la garde à vue est, elle aussi, tout à fait essentielle.
Je rappellerai tout d’abord la position de la Cour de Strasbourg et celle du Conseil constitutionnel.
La Cour de Strasbourg est chargée d’appliquer la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Celle-ci, comme vous le savez, existe en deux versions qui font également foi, une version anglaise et une version française. Ces deux versions ne sont pas écrites tout à fait de la même façon.
Mme Nathalie Goulet. Perfide Albion !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. La Cour a indiqué que sa première tâche était de concilier ces deux versions, de façon que le but du traité soit bien atteint par les décisions prises sur la base de ces deux textes différents.
Pour avoir une analyse la plus exacte et la plus complète possible de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, je ne peux mieux faire que de renvoyer celles et ceux d’entre vous qui sont intéressés par cette question aux conclusions présentées par l’avocat général Marc Robert devant la chambre criminelle de la Cour de cassation à propos d’un arrêt rendu le 15 décembre 2010.
Ces conclusions sont passionnantes parce qu’elles montrent bien l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
La convention européenne des droits de l’homme prévoit des mesures relatives aux peines privatives de liberté et à la sûreté, visées à l’article 5, paragraphe 3, et des mesures relatives au droit à un procès équitable, visées à l’article 6, paragraphes 1 et 3.
L’article 5, qui traite des mesures privatives de liberté et de sûreté, exige, dans son paragraphe 3, que la personne arrêtée ou détenue soit présentée rapidement à une autorité judiciaire ou à un juge pour décider du maintien de la privation de liberté.
L’article 6, qui concerne le droit à un procès équitable, dispose, dans son paragraphe 1, que c’est le juge, au sens de juge du siège, qui est compétent pour statuer sur la vérification et le contrôle de la mesure privative de liberté.
La Cour européenne des droits de l’homme souhaite donc que ce soit un juge, au sens de juge du siège, qui soit compétent pour contrôler les mesures privatives de liberté non seulement dans le procès, mais également dans la procédure d’enquête. Or, sa jurisprudence a évolué vers une assimilation du magistrat au juge. Il en résulte que le magistrat du parquet français est disqualifié pour contrôler la mesure privative de liberté.
La Cour de Strasbourg s’appuie sur deux arguments. Le premier, secondaire, tient aux conditions de nomination des magistrats du parquet. Le second, essentiel, est que le parquet étant partie poursuivante, il n’est pas impartial. C’est là qu’apparaît la confusion entre les articles 5 et 6 de la convention européenne des droits de l’homme.
L’évolution de la jurisprudence a donc conduit la Cour à exclure tout contrôle fait par quelque autre autorité judiciaire qu’un juge, au sens de juge du siège selon le droit français.
Dès lors, la question qui se pose est de savoir quand doit intervenir le juge dans le contrôle de la garde à vue.
Dans le projet de loi qui vous est soumis, le Gouvernement se plie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et admet que, si les membres du parquet sont des magistrats, ils ne sont pas des juges. D’ailleurs, si les parquetiers se reconnaissent comme des magistrats – j’y reviendrai dans quelques instants –, aucun n’a jamais revendiqué la qualité de juge.
Si l’on reprend toute la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont je vous ferai volontiers grâce en cet instant, l’on constate que la Cour, compte tenu de l’existence de deux versions différentes du traité faisant également foi, a créé un concept nouveau, le concept de promptitude,…
Mme Nathalie Goulet. C’est mieux que la bravitude !
Mme Nathalie Goulet. Je ne voulais pas vous décevoir !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous en remercie. (Nouveaux sourires.)
En fait, l’origine de ce concept remonte déjà à quelques années. Il s’agit pour la Cour de définir le moment à partir duquel le juge doit intervenir pour contrôler la garde à vue. Il n’y a pas de règle générale et l’appréciation se fait cas par cas. Toutefois, l’analyse de la jurisprudence montre que le délai d’intervention du juge n’est jamais inférieur à trois ou quatre jours.
Il en résulte – et la Cour le mentionne d’ailleurs dans trois arrêts –, que, en deçà de ce délai de trois à quatre jours, il appartient à chaque État d’organiser la garde à vue suivant son droit interne.
Le présent projet de loi respecte la jurisprudence européenne puisque la garde à vue sera contrôlée par un juge des libertés et de la détention dès la quarante-huitième heure. Il s’agit d’une garantie conventionnelle tirée de la mise en œuvre à la fois de la convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Une fois ce délai de quarante-huit heures posé, la question est de savoir ce que l’on fait pendant les deux premières journées de la garde à vue. Le contrôle de la garde à vue doit-il être confié à un officier de police ou de gendarmerie ou bien à un magistrat ? Dans notre pays, la tradition veut que l’on confie le contrôle de la garde à vue à un magistrat, et ce pour une raison simple. Ainsi que le rappelle avec force le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, dans notre pays, c’est l’autorité judiciaire – composée des magistrats du siège et du parquet – qui est la gardienne de la liberté individuelle, comme le prévoit d’ailleurs l’article 66 de la Constitution.
Pour le Gouvernement, en application de la Constitution et de la décision du Conseil constitutionnel, les membres du parquet sont des magistrats. Ils appartiennent à l’autorité judiciaire. En cette qualité, ils sont notamment chargés de veiller au respect de la liberté individuelle et, à ce titre, de contrôler la garde à vue dans les quarante-huit premières heures. Il appartient au procureur de la République de contrôler la mise en œuvre de la garde à vue et son exécution, et de décider d’une éventuelle première prolongation. Au-delà de la quarante-huitième heure, c’est le juge des libertés et de la détention qui prend le contrôle de la garde à vue.
Ce système offre à nos concitoyens une double garantie : une garantie conventionnelle tirée de la convention européenne des droits de l’homme et une garantie constitutionnelle issue de l’article 66 de la Constitution.
Nous sommes un des rares pays à offrir cette double garantie. La Grande-Bretagne, que l’on cite souvent en exemple, n’offre pas cette double garantie puisque c’est l’officier de police, haut gradé de la police, qui mène, dirige la garde à vue, laquelle peut d’ailleurs durer jusqu’à vingt-six jours.
Avec le présent projet de loi, nous opérons une réforme en profondeur de la garde à vue. Nous établissons un contrôle qui me paraît particulièrement efficace et qui tient compte de nos engagements internationaux. Ce contrôle allie le respect de la Constitution à celui de la convention européenne des droits de l’homme, et cette double garantie est essentielle.
Si le Sénat veut bien apporter sa pierre à la construction de ce texte – et je tiens en cet instant à remercier le président de la commission des lois, son rapporteur et tous ses membres pour la qualité du travail qu’ils ont accompli –, notre nouveau droit de la garde à vue deviendra, dans le concert des États qui ont signé la convention européenne des droits de l’homme, un des plus protecteurs des libertés constitutionnellement garanties. C’est en tout cas le travail auquel je vous invite. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous réjouissons de pouvoir enfin engager, avec l’examen de ce projet de loi, la réforme de la garde à vue.
Cette réforme était très attendue, notamment par le Sénat et en particulier par sa commission des lois. Dès le début de l’année 2010, nous avions indiqué à plusieurs reprises au Gouvernement que, s’il ne présentait pas un texte rapidement, le Sénat prendrait l’initiative de déposer une proposition de loi.
À l’origine de cette réforme importante, se trouve la conjonction d’une prise de conscience et d’une double obligation, conventionnelle et constitutionnelle.
La prise de conscience a été favorisée par la forte mobilisation d’acteurs du monde judiciaire, des magistrats mais aussi et surtout des avocats. Elle a largement dépassé le cercle habituel des acteurs de la chaîne pénale puisque l’opinion publique et la presse se sont emparées de ce sujet depuis maintenant deux ans.
Cette prise de conscience a porté sur deux phénomènes.
Le premier est la très forte augmentation des gardes à vue. Comme l’a rappelé M. le garde des sceaux, le nombre des gardes à vue est passé de 276 000 en 1994 à près de 800 000 en 2010, si l’on tient compte des 170 000 gardes à vue pour infraction au code de la route.
Le second phénomène tient aux conditions, souvent qualifiées de déplorables, de la garde à vue. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a mis en évidence de très nombreux motifs d’insatisfaction.
Le Sénat, attentif, par vocation, au respect des libertés individuelles, a tout naturellement contribué à cette prise de conscience. Le 9 février 2010, lors de la discussion, au demeurant assez animée, de la question orale avec débat de notre collègue Jacques Mézard,…
Mme Nathalie Goulet. Excellente initiative !
M. François Zocchetto, rapporteur. … puis le 24 mars et le 29 avril 2010, lors de l’examen des propositions de loi présentées respectivement par M. Jacques Mézard, et par Mme Alima Boumediene-Thiery et M. Jean-Pierre Bel, notre assemblée s’est accordée sur l’impossibilité de maintenir le statu quo.
Par ailleurs, nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel ont été chargés par la commission des lois de prolonger cette réflexion dans le cadre du groupe de travail sur l’enquête et l’instruction.
L’autre élément déterminant de la réforme repose sur nos obligations conventionnelles et constitutionnelles. Comme M. le garde des sceaux vient de le rappeler de manière très docte et précise, les dispositions actuelles du code de procédure pénale, qui prévoient seulement un entretien de la personne gardée à vue avec son avocat préalablement à l’interrogatoire de police, ne sont pas conformes au droit à l’assistance effective de l’avocat, reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010.
Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution cinq articles du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue de droit commun et a fixé au 1er juillet 2011 la date butoir de leur abrogation. Si nous ne le faisions pas, nous entrerions dans une période d’insécurité juridique aux conséquences dramatiques.
Par ailleurs, la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 19 octobre et le 15 décembre 2010, a jugé contraire à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme les dispositions du code de procédure pénale relatives aux régimes dérogatoires en matière de garde à vue. Elle s’est alignée sur le calendrier du Conseil constitutionnel en fixant au 1er juillet 2011 la date limite pour modifier la loi sur les régimes dérogatoires.
Il est dès lors très clair que le texte déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale marquait une avancée considérable par rapport à l’état du droit en vigueur. Mais les modifications introduites par cette dernière sur l’initiative de sa commission des lois et en particulier de son rapporteur, M. Philippe Gosselin, ont permis d’aboutir à un équilibre encore plus satisfaisant entre les différents objectifs que doit conjuguer le régime de la garde à vue.
Parmi les avancées contenues dans le projet de loi initialement déposé par le Gouvernement, je citerai en particulier six points.
Tout d’abord, la garde à vue ne sera désormais possible que pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement, tandis que, aujourd’hui, tous les délits et même la moindre contravention peuvent conduire à une garde à vue.
Ensuite, la garde à vue ne pourra être prolongée au-delà de vingt-quatre heures que pour les crimes et les délits passibles d’une peine d’un an d’emprisonnement.
En outre, la personne sera de surcroît avisée de son droit à garder le silence. Monsieur le garde des sceaux, on peut certes présenter cela comme une grande avancée. Il faut toutefois rappeler qu’une telle disposition existait déjà voilà quelques années. Puis, le législateur avait jugé judicieux de supprimer cette disposition. Celle-là avait d’ailleurs peu de sens puisque, de toute façon, il était bien évident que la personne gardée à vue, comme dans n’importe quelle circonstance, peut toujours garder le silence. Sauf à imaginer un recours à la torture, on ne peut pas obliger quelqu’un à parler !
L’avocat aura accès aux procès-verbaux d’audition.
Par ailleurs – et c’est sans doute l’avancée la plus importante de la réforme –, la personne gardée à vue pourra demander que l’avocat assiste aux auditions.
Enfin les fouilles à corps intégrales, menées pour des raisons de sécurité, seront désormais proscrites.
Telles sont les principales avancées du texte déposé par le Gouvernement.
L’Assemblée nationale a, pour sa part, supprimé l’ « audition libre », qui soulevait de nombreuses interrogations. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet lorsque nous examinerons l’article 11 bis du texte.
Elle a introduit un « délai de carence » en interdisant l’audition de la personne hors la présence d’un avocat pendant les deux heures qui suivent son placement en garde à vue. Monsieur le garde des sceaux, puisque vous voulez tenter de nous persuader qu’il faudrait réduire ce délai à une heure, je souhaite préciser qu’il correspond à la durée qui permet d’arriver dans la totalité des brigades de gendarmerie de France.
Or, dans la mesure où les gardes à vue peuvent avoir lieu dans n’importe laquelle de ces brigades, il est nécessaire de prévoir le temps pour que l’avocat puisse rejoindre la brigade. Dans nos départements respectifs, chacun a pu constater l’éloignement de certaines brigades. L’idée de revenir à un délai d’une heure conduirait nécessairement à regrouper les lieux de gardes à vue sur deux ou trois points du département. Nous ne le souhaitons pas, dans la mesure où cela engendrerait deux catégories de brigades de gendarmerie : celles dans lesquelles des officiers de police judiciaire pourraient mener des gardes à vue et les autres, dont on imagine assez facilement la progressive disparition.
L’Assemblée nationale a également indiqué que, sur la base du principe de l’égalité des armes, la victime aura désormais la possibilité d’être assistée par un avocat dans les confrontations. Cela paraît normal : dès lors que le gardé à vue a un avocat, il serait infondé que la victime ne soit pas accompagnée d’un avocat durant les confrontations.
Elle a enfin étendu au régime dérogatoire et à la retenue douanière les droits de la défense reconnus à la personne gardée à vue dans le cadre du régime de droit commun.
La commission des lois du Sénat approuve le texte initial, presque dans son ensemble, ainsi que toutes les modifications apportées par l’Assemblée nationale. Elle propose en outre un certain nombre de modifications pour conforter le texte, qui s’articulent autour de trois thèmes.
Le premier d’entre eux est le renforcement des droits de la personne gardée à vue. Notre commission a souhaité préciser que la valeur probante des déclarations de la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction implique qu’elle a pu s’entretenir avec son conseil et être assistée par lui tandis que l’article 1er du projet de loi présentait ces deux conditions comme alternatives.
La commission des lois a par ailleurs souhaité améliorer les droits pour la personne gardée à vue de faire informer un tiers. Elle permet ainsi qu’un incapable majeur puisse aviser son curateur ou son tuteur et que la personne de nationalité étrangère soit en mesure de faire avertir les autorités consulaires.
Elle donne en outre un caractère obligatoire à la disposition selon laquelle la personne gardée à vue dispose pendant son audition des effets personnels nécessaires au respect de sa dignité. Je reviendrai plus spécifiquement sur les détails de cette proposition.
Enfin, sur l’initiative de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, nous prévoyons que la fouille intégrale ne sera désormais possible que si la fouille par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique ne peut pas être réalisée.
Le deuxième axe des modifications apportées par la commission concerne l’exercice des droits de la défense. Nous avons à ce propos souhaité clarifier deux points touchant, d’une part, au conflit d’intérêts et, d’autre part, à la police des auditions.
La commission a prévu que, en présence d’un conflit d’intérêts, il appartiendra d’abord à l’avocat de faire demander la désignation d’un autre avocat. En cas de divergence d’appréciation entre l’avocat et l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République, celui-ci saisirait le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre défenseur.
Concernant la police de l’audition, qui inquiète beaucoup les services d’enquêtes – policiers et gendarmes –, et afin d’éviter toute ambiguïté et tout comportement marginal ou audacieux, il ne nous a pas semblé opportun de faire état dans la loi d’éventuelles perturbations des auditions par l’avocat, sauf à faire apparaître ce type de comportements comme une modalité possible de défense, ce que nous refusons – et nous le signifions ici clairement à la profession d’avocat. Il est selon nous préférable de rappeler que l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judicaire a seul la direction de l’audition à laquelle il peut mettre un terme en cas de difficulté. Dans cette hypothèse, le procureur de la République pourra informer, s’il y a lieu, le bâtonnier, qui désignerait alors un autre avocat.
Enfin, s’agissant des dispositions de l’article 12, permettant au juge des libertés et de la détention ou au juge d’instruction, en matière de terrorisme, de décider que la personne gardée à vue sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d’avocats habilités, la commission a prévu que les avocats inscrits sur cette liste seraient désignés, plutôt qu’élus, par chaque ordre, dans chaque barreau, selon des modalités éventuellement définies par les règlements intérieurs.
Le troisième axe de modification a trait à la clarification des conditions dans lesquelles intervient la mesure privative de libertés.
L’article 11 bis du projet de loi tend à inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère que le placement en garde à vue d’une personne suspectée d’une infraction n’est obligatoire que lorsqu’il paraît nécessaire de la maintenir sous la contrainte à la disposition des enquêteurs. Corrélativement, dès lors que l’officier de police judiciaire n’estime pas nécessaire de maintenir l’intéressé à sa disposition, la garde à vue ne saurait se justifier.
La commission a toutefois souhaité expliciter cette jurisprudence, en précisant que la personne qui n’est pas placée en garde à vue, alors même qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, doit être informée de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie avant son éventuelle audition.
J’évoquerai maintenant les trois questions qui ont suscité le plus de débats au sein de notre commission.
La première d’entre elles tient à l’interdiction de prononcer une condamnation sur la base des seules déclarations faites par une personne qui n’a pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui.
Cette disposition a été introduite par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement – le garde des sceaux a ainsi expliqué plus tôt qu’il s’agissait de reprendre une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle complète l’article préliminaire du code de procédure pénale qui fixe les principes essentiels de cette dernière. Elle a de ce fait une grande valeur. Je souhaite préciser la portée de cette disposition.
En premier lieu, la règle ne vaut pas dès lors que la personne, comme l’a indiqué la Cour de Strasbourg dans un arrêt Yoldas c. Turquie du 23 février 2010, a renoncé de son plein gré, « de manière expresse ou tacite », aux garanties d’un procès équitable, à la condition, du moins, que cette renonciation soit entourée d’un minimum de garanties.
Ensuite, il résulte de la rédaction adoptée par les députés et de la mention du mot « seul » – nous y reviendrons, car des amendements visent à supprimer ce mot – que, si des déclarations faites sans que la personne ait pu préalablement s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui ne peuvent suffire à fonder une condamnation, elles peuvent néanmoins être prises en compte si d’autres preuves existent. C’est un élément important. Des effets similaires s’attachent d’ailleurs dans notre droit aux déclarations d’un témoin anonyme, conformément à l’article 706-62 du code de procédure pénale, qui ne peuvent « seules » fonder une condamnation.
Cette rédaction paraît conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.
À mon sens, l’article 1er A du projet de loi institue une garantie très appréciable dans l’hypothèse où l’assistance d’un avocat peut être reportée.
Le principe ainsi posé ne renforce pas seulement les droits de la défense mais s’inscrit également dans une évolution générale qui tend à privilégier un régime de preuves scientifiques et techniques plutôt que l’aveu. Cette évolution de notre société, comme l’a dit M. le garde des sceaux, est considérable. En effet, il était auparavant demandé à la personne de dire la vérité alors que, désormais, cette dernière est libre de tenir les propos qu’elle souhaite, et peut donc choisir de ne pas parler.
Le second débat qui a animé notre commission concerne le contrôle par l’autorité judiciaire.
Il s’agit de savoir si c’est le procureur de la République ou le juge, au sens rappelé par M. le garde des sceaux tout à l’heure, qui doit contrôler la garde à vue.
Faut-il prévoir l’intervention d’un juge du siège, et à quel moment ? Je ne vais pas à ce propos répéter ce que vient d’énoncer excellemment M. le garde des sceaux. Toutefois, il est intéressant de donner la position de la commission : nous avons cherché à savoir quelles étaient les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme dans cette matière.
La jurisprudence de la Cour européenne implique que la personne gardée à vue soit présentée rapidement – j’ai ici traduit les termes de l’anglais au français, et peut-être est-ce quelque peu réducteur, la « promptitude » n’existant pas dans notre dictionnaire. Il est de notre avis que la personne doit être présentée rapidement devant un magistrat du siège.
Mais cette jurisprudence de la Cour européenne n’impose pas – c’est très clair – une présentation immédiate, et la Cour n’a pas déterminé de délai maximal pour la présentation devant le juge. Elle l’a uniquement précisé pour certaines formes exceptionnelles de retenues, les actes de criminalité les plus graves, pour lesquels le délai ne saurait dépasser quatre jours.
Au demeurant, comme cela a déjà été dit, dans les autres pays européens, l’intervention d’un juge au cours de la garde à vue n’intervient jamais dès la privation de liberté, et la mesure de contrôle est le plus souvent confiée à la police.
Les dispositions actuelles du code de procédure pénale ont été validées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010. Elles ont été confirmées par la Cour de cassation dans l’arrêt du 15 décembre 2010.
Je ne reviendrai pas sur le fait de savoir si le ministère public peut ou non être considéré comme une autorité judiciaire. La Cour de cassation, si elle a admis pour la première fois que le ministère public ne pourrait être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, estime que la libération d’une personne placée en garde à vue pour une durée de vingt-cinq heures est « compatible avec l’exigence de brièveté imposée » par la convention.
Par conséquent, d’un point de vue conventionnel et constitutionnel, rien ne s’oppose à ce que le parquet assure le contrôle de la garde à vue jusqu’à la quarante-huitième heure, cette durée étant inférieure aux quatre jours fixés par la Cour européenne. (Exclamations amusées.)
D’un point de vue pratique, en s’écartant des problématiques purement juridiques, il me semble que le procureur de la République est, au début de la procédure, le mieux à même, comme directeur de l’enquête, d’apprécier la pertinence de la mesure et d’intervenir à tout moment auprès de l’officier de police judiciaire pour mettre un terme à la garde à vue ou, au contraire, pour autoriser la prolongation de cette dernière jusqu’à quarante-huit heures.
Le troisième débat au sein de notre commission – c’est le dernier que j’évoquerai – porte sur le quantum de peines encourues autorisant l’application de la garde à vue. Cette question est récurrente, notamment en raison de la volonté de diminuer le nombre de gardes à vue. Plusieurs amendements que nous examinerons au cours des débats viseront à porter le seuil d’application de la garde à vue à des infractions passibles d’un emprisonnement de trois ans au lieu d’une simple peine d’emprisonnement.
Notre commission, majoritairement, n’a pas souhaité suivre cette voie, pour deux raisons principales.
D’une part, le relèvement du quantum à trois ans aurait pour effet d’interdire l’application de la garde à vue pour des infractions qui présentent une réelle gravité. À titre d’exemple, je citerai les atteintes sexuelles sur un mineur de plus de quinze ans commises par un ascendant ou une personne ayant autorité, les atteintes à la vie privée, le harcèlement sexuel ou moral ou encore la mise en danger d’autrui : tous ces délits sont punis de peines d’emprisonnement inférieures à trois ans.
D’autre part, je crains que des conditions plus restrictives de mise en œuvre de la garde à vue ne conduisent à une multiplication des auditions libres, ce que nous voulons précisément éviter, puisqu’elles ne présentent aucune des garanties qui sont reconnues dans le cadre d’un placement en garde à vue, notamment l’assistance de l’avocat.
Donc, nous souhaitons en rester à la notion d’emprisonnement pour déterminer si la garde à vue est possible ou pas.
Je souhaiterais néanmoins, sur ce dernier point, formuler deux observations.
En premier lieu, le projet de loi aurait pu aller plus loin, j’en suis convaincu, s’il s’était inscrit dans le cadre d’une réforme d’ensemble de la procédure pénale, réforme qui est déjà bien avancée, un certain nombre de documents très précis ayant circulé.