PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Questions cribles thématiques
situation en afghanistan
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé le mardi 8 mars 2011 sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de M. Frédéric Taddéï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été placés à la vue de tous.
Avant de donner la parole au premier orateur inscrit, je voudrais saluer le ministre de la défense et des anciens combattants, notre collègue Gérard Longuet (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.), et lui dire le plaisir que nous avons à l’accueillir au banc du Gouvernement.
Dans l’exercice de la fonction qui est la sienne, nous formulons pour lui nos souhaits les meilleurs.
Monsieur le ministre, c’est avec un très grand plaisir que nous vous accueillons dans cette fonction pour la première fois, dans une maison qui est aussi la vôtre !
La parole est à M. Jacques Gautier, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme les quarante-neuf pays membres de la Force internationale d’assistance à la sécurité – FIAS –, la France est présente en Afghanistan dans le cadre de la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies avec, pour mandat, de stabiliser le pays et de créer les conditions d’une paix durable.
Comme le rappelait le Premier ministre, François Fillon, « Nous poursuivrons notre stratégie de sécurisation, de reconstruction et de responsabilisation des autorités afghanes ».
Cet effort de la communauté internationale pour sécuriser le pays, former et encadrer l’armée afghane, la police et l’administration commence à porter ses fruits.
Pourtant, les médias occidentaux ne parlent que d’attentats, de dommages collatéraux et de soldats tués.
M. Guy Fischer. C’est la vérité !
M. Jacques Gautier. Permettez-moi de saluer le courage de nos troupes sur place.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jacques Gautier. Les médias ne parlent jamais de cette reconstruction qui se fait, vallée par vallée, avec les 2 300 ONG présentes, dont 300 internationales et 35 françaises.
Les médias ne parlent pas non plus de la coopération civilo-militaire française ou des PRT américaines, les Provincial Reconstruction Teams, qui font un énorme travail : réhabilitation d’écoles, construction d’infrastructures, de bâtiments administratifs, d’un terrain de sport à Tagab, au sud de la Kapisa, d’un tribunal à Nijrab – c’est le symbole de l’État afghan qui est de retour ! –, ni de l’aide à l’agriculture, secteur clé de l’Afghanistan, où nous multiplions non seulement la réalisation d’infrastructures hydrauliques, mais aussi la fourniture d’engrais et de semences, ainsi que de silos de stockage sans lesquels les Afghans doivent brader leurs récoltes, faute de pouvoir les conserver. (M. le ministre de la défense et des anciens combattants opine.)
On ne parle pas non plus des MEDCAP, les Medical Civic Assistance Program, ces cliniques temporaires qui permettent d’assurer le suivi médical des populations.
Alors, monsieur le ministre, quand et comment allons-nous enfin réussir à présenter aux médias ce volet positif et essentiel de notre action, sans lequel il n’y aura pas d’avenir pour l’Afghanistan ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. L’observation légitime et forte de M. Jacques Gautier recoupe le point de vue de tous les observateurs qui, sur le terrain, constatent le formidable travail des forces mobilisées au titre de la résolution 1386 de l’ONU, car il s’agit bien d’une action internationale.
S’agissant de la France et du ministère de la défense, puisque vous interrogez le ministre, le chef d’état-major des armées, CEMA, et ses services de communication organisent le plus systématiquement possible la présence des journalistes qui le souhaitent en Afghanistan en général et naturellement dans les secteurs dont nous avons la charge : Obi et Kapisa.
Pour vous donner des indications quantitatives, deux ou trois journalistes français en moyenne sont présents sur le terrain de façon constante. L’année précédente, ce sont soixante-quatre médias français différents qui, grâce aux services de communication du CEMA, ont pu être présents sur le site et non seulement partager la vie de nos soldats, mais également accéder à chacun des interlocuteurs afghans qu’ils souhaitaient rencontrer. Au total, ce sont plus de deux cents journalistes qui ont été présents sur le terrain. C’est à eux qu’il appartient ensuite d’opérer un choix.
Cette séance de questions cribles thématiques est particulièrement pertinente, car elle va permettre de montrer que, au-delà de l’aspect tragique et malheureusement inéluctable de la présence de nos forces en Afghanistan, un formidable travail de reconstruction est accompli, travail que parfois la presse omet de faire connaître à ses lecteurs ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Ça oui !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier, pour la réplique.
M. Jacques Gautier. Je remercie M. le ministre de sa réponse.
Moi aussi, je fais un rêve : celui que les journalistes parlent des points positifs et de ce qui fonctionne, même si, c’est vrai, cela ne fait pas la une des journaux en général.
Mme Nathalie Goulet. Et pas seulement en Afghanistan !
M. Alain Gournac. Partout !
M. Jacques Gautier. Par avance, je les en remercie.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Louis Carrère. Moi, je souhaite que les journalistes fassent leur métier, tout simplement !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Jean-Louis Carrère. Avec ce débat, on entre dans le vif du sujet : le domaine réservé, peut-être même exclusif, du Président de la République !
Monsieur le ministre, le retour dans l’OTAN, la très grave surdité face aux évolutions du Maghreb, la faillite de la politique africaine et, surtout, la docilité face aux impératifs de la politique extérieure des États-Unis, notamment en Afghanistan, voilà ce que personnellement je relève !
Face au délitement de la politique extérieure de la France, je n’irai pas par quatre chemins. Je l’ai déjà indiqué ici le 26 novembre 2010 et encore le 18 janvier 2011 : il nous faut aller vers un retrait progressif, négocié et planifié d’Afghanistan. Cela constitue notre position constante depuis plusieurs années.
Sous sa forme actuelle, notre engagement militaire dans le bourbier afghan ne peut pas réussir, malgré le courage et l’esprit de sacrifice de nos soldats. D’ailleurs, quoi qu’on en dise, nous ne sommes pas associés à l’élaboration de notre stratégie !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Louis Carrère. La solution, si solution il y a, monsieur le ministre, est politique, et non pas militaire ! Il faut sortir de cette logique infernale avant que nous ne soyons obligés, comme tant d’autres naguère, d’abandonner piteusement l’Afghanistan à son sort, les enfants et les femmes afghanes qui vivent sous le joug de l’obscurantisme.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Mais, puisque je connais aussi le goût de certains pour la polémique politicienne, je signale tout de suite que, dans la mesure où nous sommes des gens responsables, nous n’ambitionnons pas un retrait brutal du jour au lendemain de toutes nos forces.
M. le président. Mon cher collègue...
M. Jean-Louis Carrère. Nous souhaitons que s’opère une négociation, une planification avec nos alliés et avec les autorités afghanes. L’idéal serait d’ailleurs…
M. le président. Il faut conclure !
M. Roland Courteau. C’est intéressant, monsieur le président !
M. Jean-Louis Carrère. … que ce retrait émane d’une volonté politique européenne commune.
M. le président. Mon cher collègue, concluez ! (M. Alain Gournac approuve.)
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le ministre, ma question sera directe et j’espère qu’il en sera de même de votre réponse : le Gouvernement français…
M. François Trucy. Ce n’est pas sérieux !
M. Jean-Louis Carrère. … et, forcément, le Président de la République…
M. le président. Vous êtes en train de manger votre capital !
M. Jean-Louis Carrère. … indiqueront-ils que le retrait militaire d’Afghanistan débutera en 2011 ? Pour nous, il faut non seulement le dire, mais aussi le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué de très nombreux sujets, mais je me limiterai à votre seule question extrêmement précise.
Dans le cadre de la résolution 1386, les troupes françaises de l’Alliance ont vocation à rétablir la sécurité et à transférer les responsabilités au gouvernement afghan.
Deux élections présidentielles et des élections législatives ont eu lieu. C’est la lente et difficile reconstruction d’un État. Cela me permet, entre parenthèses, de dire tout le bonheur que l’on a d’avoir un État qui tienne la route !
Notre mission se traduit donc par une politique de transfert de responsabilités et une « afghanisation » de la sécurité, secteur par secteur. Le Joint Afghan Nato Inteqal Board, ou JANIB, pour employer l’un des nombreux acronymes utilisés en matière de politique de défense, en France comme à l’étranger, évalue chaque situation.
Pour répondre précisément à votre question, ce comité dont nous faisons partie – ce qui signifie très clairement que nous sommes associés aux décisions les plus importantes de la conduite des opérations de paix et de reconstruction de l’État en Afghanistan – examinera, nous l’espérons profondément et nous le proposerons, la situation du district de Surobi en 2011.
Mais le transfert des responsabilités dans ce district ne s’effectuera qu’en accord avec le comité, la décision définitive appartenant au Président Karzaï. Je vous confirme que nous avons la volonté de l’afghanisation et que, à la fin de l’année 2011, ce comité sera saisi.
Toutefois, il serait bien imprudent de tirer aujourd’hui une conséquence définitive, car nous sommes dans un système dialectique, au sein duquel nos actions sont naturellement contrebattues. C’est la raison pour laquelle je ne puis, en cet instant, être plus catégorique sur cette date, même si, en effet, elle correspond au calendrier souhaité et au résultat obtenu sur le terrain par notre armée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour la réplique.
Je vous prie d’être bref !
M. Jean-Louis Carrère. Je le serai, monsieur le président !
Monsieur le ministre, je crois surtout qu’il faut imiter les Américains lorsqu’ils font des choses justes.
Nous, socialistes, ne partageons pas l’attitude du Gouvernement français à propos de l’Afghanistan et du commandement intégré de l’OTAN. En revanche, s’agissant du débat à l’intérieur du pays, nous partageons l’opinion américaine et l’attitude du Président Obama.
Nous souhaitons que se tienne au Parlement un véritable débat sanctionné par un vote sur l’opportunité de maintenir nos troupes en Afghanistan et, surtout, que le Président de la République entende, non seulement en France, mais aussi en Europe, l’opinion publique ! Elle souhaite que nous quittions au plus vite le bourbier afghan et que nous substituions à l’action militaire une action plus politique.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, le 24 février, un soldat français a encore été tué en Afghanistan ; c’est le cinquante-quatrième.
Bien sûr, il faut rendre un hommage appuyé à nos militaires pour leur mission difficile sur le terrain. Il n’empêche que la douleur des familles est immense, car aucune réponse convaincante n’est apportée à la question cruelle qu’elles se posent : pourquoi sont-ils morts ?
Monsieur le ministre, sondage après sondage, une majorité de plus en plus écrasante de Français affirment leur opposition croissante à la présence de nos troupes en Afghanistan.
Le dernier en date, celui de l’IFOP pour l’Humanité, le 23 février, indique que 72 % d’entre eux n’approuvent pas l’intervention militaire, soit 2 % de plus qu’en juillet, mais 8 % de plus qu’en août 2009.
Même les sympathisants de votre majorité, l’UMP, affichent désormais à 55 % leur hostilité à cette guerre. La majorité des sondés ne voient dans cette aventure militaire ni perspective de rétablissement de la paix ni soutien réel à la population afghane, laquelle paie le prix fort, prise en otage entre les insurgés talibans et les forces occidentales.
Ils sont 88 % à considérer que la situation sur place est très difficile, que nos militaires y sont exposés et que le risque d’enlisement est réel. Le conflit est plus meurtrier que jamais : 10 000 morts sur la seule année dernière, dont 711 soldats de l’OTAN, 1 200 policiers et au moins 2 500 civils et 30 000 blessés dont on ne parle jamais.
C’est la guerre la plus longue de notre histoire ! Elle a, du reste, maintenant largement dépassé celle des Soviétiques. Aligné sur la position américaine, le Président de la République, drapé dans ses certitudes de pseudo-amélioration de la situation toujours démentie par les faits, n’a rien d’autre à nous offrir que le leitmotiv « on y restera le temps qu’il faudra ».
M. le président. Votre question !
Mme Michelle Demessine. S’agissant de la stratégie des Américains, sur le plan politique, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est fluctuante et peu claire. Robert Gates n’a-t-il pas déclaré…
M. Alain Gournac. La question !
Mme Michelle Demessine. … que son ambition, aujourd’hui, se limiterait à laisser l’Afghanistan au moins dans l’état où les Soviétiques l’avaient laissé ?
M. le président. Posez votre question !
Mme Michelle Demessine. Rien ne pourra se construire durablement dans ce pays où le peuple rejette l’occupation des troupes étrangères. La France, qui a un autre rôle à jouer, devrait commencer à retirer progressivement son contingent
M. Alain Gournac. La question !
Mme Michelle Demessine. … et augmenter son aide civile au développement.
Monsieur le ministre, les Français ne vous suivent plus ! On n’a pas le droit de conduire une guerre en silence ! C’est à la nation de confirmer ou d’infirmer la mise en jeu de la vie de nos soldats dans ce pays. Quand allez-vous enfin permettre aux Français de se prononcer, à commencer par la représentation nationale, en organisant un débat public au Parlement, sanctionné par un vote ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Virginie Klès, MM. Jean-Louis Carrère et Daniel Reiner applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Madame Demessine, je vous remercie pour l’hommage que vous avez rendu à l’armée française et à son action.
Justement, parlons-en, des résultats globaux de l’Alliance ! Sans revenir sur les élections, je citerai la reconstruction d’un État dans lequel la liberté d’expression est désormais garantie par près de 700 journaux, 110 radios et 30 chaînes de télévision.
Je me tourne vers votre collègue Jean-Louis Carrère : cet État se reconstruit avec une prise en considération de la femme qui n’existait plus, nous le savons. En Afghanistan, près de 28 % des parlementaires sont des femmes et les jeunes filles, pour 35 % d’entre elles, sont désormais scolarisées.
Sur le plan de la santé, qui est un indicateur de paix sociale et de sérénité de vie, la mortalité infantile chute de façon particulièrement spectaculaire. Quant aux soins de première nécessité, 85 % de la population y ont maintenant accès, contre 8 % seulement en 2001 (M. Jean-Louis Carrère fait un signe de dénégation.). Il y a bien les éléments de la reconstruction d’une société.
Je vous épargne l’accès à l’éducation, les infrastructures réhabilitées, le triplement de la production de l’électricité et la diffusion des communications, qui est sûrement un bien. Quoi qu’il en soit, 30 % de la population sont couverts par le téléphone. Auparavant, cela n’existait en rien. La France prend naturellement une part toute particulière dans cette reconstruction.
Au sujet des cinquante-quatre morts que vous avez évoqués, madame le sénateur, leurs familles peuvent avoir la fierté de considérer qu’ils ont participé à une œuvre de paix, à la reconstruction d’un État. Il s’agit de permettre à près de 20 millions d’habitants d’espérer accéder, à un moment ou à un autre, au minimum de sérénité. Nous devons notamment faire en sorte que les droits de l’homme qui sont inscrits dans la Constitution afghane soient une réalité, déclinée sur le terrain.
Nous passons du Moyen Age au siècle actuel, en épousant progressivement des valeurs qui sont des valeurs de démocratie et de République. C’est une œuvre de longue haleine, à laquelle nous sommes associés, prenant notre part de responsabilité. Les résultats en termes de société sont suffisamment significatifs pour que chacun mesure que cet effort porte des fruits, même s’il ne porte pas tous les fruits. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour la réplique. Vous disposez de quelques secondes seulement. Je demande à chacun, y compris au Gouvernement, de respecter son temps de parole.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre, cela fait des années que l’on nous parle d’amélioration, chiffres à l’appui. Mais nous le savons aussi, derrière ces chiffres, il y a très peu de réalité, très peu de contenu !
S’agissant de la scolarisation des filles, nous avons lu, dans un récent rapport, que si elles sont bien présentes dans les écoles, aucun service éducatif ne leur est délivré, faute de moyens pour ces écoles !
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe Union centriste.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis des années, notre vision du monde arabo-musulman a été prise en étau entre le spectre des régimes autoritaires et celui du terrorisme. Al-Qaïda s’est ainsi imposée comme le dernier horizon d’une population opprimée.
Peut-être est-ce ce tropisme erroné qui a conduit à l’engagement des Occidentaux en Afghanistan sans perspective de retrait apparente, à l’intervention des États-Unis en Irak et à la diabolisation d’un Iran qui ne se limite pas à la personne de Mahmoud Ahmadinejad.
Ces derniers mois ont pourtant été marqués par le surgissement sur la scène internationale d’une véritable opinion publique arabe. De la Tunisie à l’Égypte, en passant par la Libye, et ailleurs, on retrouve une même jeunesse éduquée, mobilisée, connectée à internet. La démocratie naît d’un trait, cette démocratie que, peut-être par mépris, les Occidentaux ne croyaient pas possible !
Le terrorisme n’a plus l’initiative et le mouvement pour lui. Le soutien tardif de l’AQMI à la révolution libyenne semble confirmer une évolution de la position de l’organisation terroriste.
On ne saurait pour autant y voir un signe d’essoufflement du terrorisme comme réponse aux attentes de la jeunesse musulmane. Car les réseaux restent actifs partout dans le monde !
Cela pose plusieurs questions relatives à l’Afghanistan.
Peut-on espérer – monsieur le ministre, vous m’avez déjà apporté une réponse partielle en vous adressant à Mme Demessine – peut-on espérer, dis-je, voir l’émergence d’une véritable opinion publique afghane, qui devienne une alliée contre le terrorisme ? Comment la France peut-elle susciter et accompagner ce mouvement ? Si une opinion publique existait vraiment, serait-ce alors le signe de notre succès et, donc, l’annonce de notre retrait du théâtre afghan ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Cher Yves Pozzo di Borgo, les questions que vous avez posées sont absolument fondamentales. Au cœur de la reconstruction d’un État, il y a ce qui répond à cet État, l’évolution d’une société.
J’ai eu le privilège, grâce à l’initiative du président Larcher, de me rendre sur place avec les présidents de groupe et en compagnie du sénateur Jacques Gautier.
Nous avons bien mesuré l’extraordinaire diversité de ce pays, son caractère compartimenté, qui facilite la poursuite d’organisations traditionnelles assez hermétiques, on peut bien le dire, aux valeurs et mécanismes d’une grande démocratie moderne que vous appelez de vos vœux et dont le caractère inéluctable est profondément souhaité par les uns et les autres mais à un rythme que nous ne maîtrisons pas.
Le préalable à la démocratie, c’est l’échange. Après avoir évoqué tout à l’heure la liberté de la presse, la communication et les télécommunications, je voudrais dire un mot des transports. Lorsqu’une population peut échanger, comparer, commercer, elle se libère de l’emprise de systèmes qu’il n’est pas complètement agressif de traiter de féodaux, de traditionnels ou de claniques. C’est l’idée de cette circulation de l’information, des biens, des services et des personnes – que seul le maintien de l’ordre peut d’ailleurs garantir – qui est en mesure de faire bouger sur le long terme cette société.
Tel est l’objectif de notre présence. C’est un but ambitieux. Je dois reconnaître qu’il est long à construire. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour la réplique.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je remercie M. le ministre pour l’intelligence de sa réponse et sa clarté.
Pour aller dans le sens de M. le ministre, je voudrais rappeler qu’on a pu observer, lors de l’élection présidentielle de 2009 et des élections législatives de septembre 2010, une participation de 30 % à 40 %. (M. le ministre opine.) Malgré les attaques commises contre 150 bureaux de vote et les 22 morts du 18 septembre 2010, on sent l’émergence d’une opinion publique afghane. (M. le ministre opine de nouveau.) Cela me paraît important.
Enfin, concernant l’Assemblée nationale afghane, sur 249 sièges, 68 sont détenus par des femmes.
M. Jean-Louis Carrère. C’est plus qu’à l’UMP ! (Sourires.)
M. Yves Pozzo di Borgo. Je rejoins ainsi M. le ministre et répète notre rêve de voir émerger une opinion publique forte en Afghanistan.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour le groupe RDSE
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, le Président afghan, M. Hamid Karzaï, va annoncer le 21 mars – dans trois semaines – quand et où l’armée afghane va prendre le relais des troupes internationales.
Il est souhaitable que soit concerné d’emblée le district de Surobi où, selon votre prédécesseur M. Alain Juppé, s’exprimant devant la commission des affaires étrangères et de la défense, la sécurité a été rétablie par les troupes françaises au courage et au stoïcisme desquelles je veux rendre hommage.
La Grande-Bretagne a annoncé son retrait au plus tard en 2014. Le Président Sarkozy a, quant à lui, déclaré que nous n’étions pas liés par ces délais et que nous serions là « dans la durée ». Une formulation aussi générale est-elle bien raisonnable, dès lors que le principe de retrait a été posé par la Conférence de Lisbonne ?
La décision dépend, vous l’avez rappelé, d’un organisme, le JANIB – Joint Afghan Nato Intiqual Board ; Intiqual signifie « transition » en pachtoun –, qui réunit les responsables afghans de la sécurité et le commandement de l’Alliance. En dernier ressort, c’est le Président Karzaï qui tranchera. Au sein de cet organisme, nous sommes représentés depuis peu par notre ambassadeur. Mais une prise de position officielle à votre niveau y contribuerait, monsieur le ministre, puisque, je le répète, les conditions de l’afghanisation dans le district de Surobi sont réunies et que l’afghanisation va commencer dans une vingtaine de jours. Or je crois comprendre de vos propos que la fin de l’année 2011 vous conviendrait tout aussi bien.
Vous vantez les réalisations sur le terrain. Mais, monsieur le ministre, je crois rêver : j’ai connu la fin de l’Algérie française et j’ai l’impression, en vous écoutant, que nous sommes en 1961-1962.
M. le président. Posez votre question !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ma question, la voici : puisque la transition est désormais irréversible, n’est-il pas préférable de définir avec l’ensemble de nos alliés un calendrier harmonisé de retrait pouvant, certes, comporter des flexibilités mais permettant de commencer à diminuer sans tarder nos effectifs engagés ?
Deuxième question : ne serait-il pas opportun d’associer la France au processus de la transition et, donc, aux contacts qui seront pris dans le cadre d’une éventuelle « réconciliation » ?
Qu’en est-il, à cet égard, de notre politique à l’égard du Pakistan, dont il serait utile de connaître les intentions en vue de faciliter la transition et de permettre la réconciliation des différentes factions pachtounes dès lors qu’elles se seraient clairement dissociées de l’entreprise du terrorisme international d’Al-Quaïda ?
M. le président. Mon cher collègue, je vous en prie, posez votre question.
M. Jean-Pierre Chevènement. J’attire votre attention sur le fait que nos troupes ne doivent pas être embarquées – embeded, comme disent les Américains – dans un processus sur lequel nous n’aurions aucun contrôle. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. le président. Monsieur Chevènement, vous avez consommé en partie le temps qui vous était alloué pour une éventuelle réplique.
La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Cher Jean-Pierre Chevènement, il y a un projet politique. Il consiste à transmettre à un État afghan, à une structure afghane, à une armée afghane, à une police afghane la responsabilité de gérer un grand pays, qui a une très longue histoire mais qui n’est assurément pas une société moderne au sens où le sont les démocraties d’aujourd’hui.
L’intervention de M. Yves Pozzo di Borgo nous le rappelait – bien qu’il s’agisse non du monde arabe mais, en l’occurrence, du monde musulman –, il se produit un immense changement. Il bouscule les idées communes, notamment le sentiment que c’était un monde à part, hermétique aux idées de liberté, de responsabilité individuelle et de démocratie, un monde qui, au fond, semblait condamné à choisir entre des régimes autoritaires plus ou moins laïcs ou laïcisants et, au contraire, des régimes islamiques.
Nous avons quelque chose de nouveau, dont nous ne savons pas ce qu’il sortira.
En Afghanistan, nous essayons de faire évoluer une société en créant une structure d’État.
Très concrètement, s’agissant du secteur de Surobi, nous pensons pouvoir saisir le JANIB afin d’obtenir une décision du président Karzaï et de pouvoir en effet passer la main.
En ce qui concerne la Kapisa, les efforts sont en cours, le calendrier ne sera absolument pas le même.
Il existe une différence profonde entre les deux situations : lorsque nous aurons transmis la responsabilité, nous redeviendrons libres de nos moyens. Et je n’imagine pas un seul instant que le Gouvernement ne propose pas, à un moment ou un autre, un débat public, et d’abord au Parlement, sur l’évolution de nos engagements quand nous aurons fait notre travail et passé la main aux responsables afghans. Car tel est bien le projet politique de l’alliance internationale : faire émerger un État.
Nous sommes loin des ambiguïtés que vous évoquiez voilà quelques instants et qui ont attristé des pages de notre histoire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)