M. François Zocchetto, rapporteur. Quasiment tout le code de procédure pénale a déjà été réécrit.
Sans aucun doute, l’obligation de légiférer avant le 1er juillet 2011 – pour ne pas évoquer d’autres dates dans les mois qui suivent – nous conduit à intégrer la réforme dans les mécanismes actuels de notre procédure pénale. Nous sommes nombreux à le regretter, mais c’est l’exigence du calendrier ; c’est la dure réalité. Je fais partie de ceux qui saluent les avancées nombreuses du texte, mais sans s’interdire d’aller plus loin dans un avenir qu’on ne peut qu’espérer proche (Mmes Anne-Marie Escoffier et Muguette Dini sourient.), entre un an et demi et deux ans.
En second lieu, il est indispensable de trouver un point d’équilibre satisfaisant entre le respect de la liberté individuelle et les exigences de la sécurité publique. Cet équilibre n’est pas aisé à établir, mais il me semble exister dans ce projet de loi.
En conclusion, je dirai que cette réforme ne portera ses fruits que si chacun des acteurs de la chaîne pénale fait de son mieux pour l’appliquer.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. François Zocchetto, rapporteur. Je pense, au premier chef, aux services de police et de gendarmerie, dont le rôle est parfois caricaturé, il faut bien le dire. Dans leur immense majorité, ils conduisent leur mission avec beaucoup de professionnalisme, et aussi, je le crois, dans le respect de la dignité des personnes. Leur adhésion est fondamentale pour la réussite du projet.
Je ne saurai terminer sans évoquer le défi que représente cette réforme pour la profession d’avocat.
Cette profession, notamment dans les barreaux de province, va devoir se réorganiser et consacrer une approche totalement différente de la garde à vue, et ce dans un délai extrêmement bref. Ce défi est entre ses mains.
Mme la présidente. Mon cher collègue, veuillez conclure !
M. François Zocchetto, rapporteur. Enfin, monsieur le garde des sceaux, nous ne manquerons pas de vous poser la question des moyens, et en premier lieu de l’aide juridictionnelle dont il ne fait aucun doute qu’il faudra augmenter les crédits.
Sous le bénéfice de toutes ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter le texte qui vous est soumis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, vous avez commencé votre propos en disant que nous étions ici par la force du Conseil constitutionnel. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) C’est vrai, mais c’est oublier que les faits qu’il a dénoncés remontent, eux, à bien longtemps, et que cette réforme de la garde à vue était urgente depuis plusieurs années.
M. Alain Anziani. Depuis quand êtes-vous au pouvoir, monsieur le garde des sceaux ? C’est une mauvaise polémique, qui n’est pas au niveau du débat que nous souhaitons tous et que vous devriez vous-même être le premier à souhaiter !
Cette réforme est donc urgente, parce que, nous le savons tous – du moins presque tous –, la garde à vue « à la française » est un scandale ! C’est un scandale par le nombre, par les abus, et par le déni du droit qu’elle représente.
Tout d’abord, le nombre de gardes à vue s’élève précisément, selon le rapport de M. Zocchetto, à 792 293 en 2009, c’est-à-dire presque 800 000. Or, toujours selon les estimations de la commission, il n’était que de 336 718 en 2001, huit ans avant.
Par conséquent, le nombre de gardes à vue a été multiplié par deux et demi (M. le garde des sceaux opine.) – il a plus que doublé – en quelques années. Aujourd’hui, – et cela devrait tous nous faire frissonner – 1,5 % de notre population peut être mise ou s’est déjà retrouvée en garde à vue, et ce chaque année.
Les abus, ensuite, ont eux été dénoncés régulièrement par la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, qui, malheureusement, va sinon disparaître du moins être absorbée. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Je rappelle que la CNDS a constamment dénoncé les fouilles à nu et le fait que l’on pouvait priver une personne de ses lunettes ou de son soutien-gorge. Elle a constamment dénoncé, au fond, une humiliation qui devenait une sorte de mode de pression coutumier, ou encore ces rétentions qui s’apparentent plus à des brimades qu’à des actes d’enquête.
Le droit, enfin, est malmené. Vous nous parlez du Conseil constitutionnel. Il faut rappeler qu’il a tout de même fallu une décision du Conseil constitutionnel, trois arrêts rendus le même jour par la Cour de cassation, et de multiples jugements de la Cour européenne des droits de l’homme pour que cette question soit enfin débattue aujourd’hui et puisse faire l’objet d’une réforme.
La réforme que vous nous proposez comporte des avancées, chacun d’entre nous le reconnaîtra, dont l’une est essentielle et concerne la présence de l’avocat.
Désormais, l’avocat sera présent à la fois pendant les auditions et durant les confrontations, et, pour reprendre l’expression du barreau de Paris, il ne se contentera plus d’ « une visite de courtoisie » à son client : il pourra accéder à quelques pièces du dossier qui lui donneront une information sur les faits dont celui-ci est suspecté.
En outre, – et c’est une très bonne chose – la victime aura droit à un avocat. À mon sens, nous devrions toujours avoir cet esprit de balance entre le suspect et la victime.
Enfin, vous rétablissez le droit à conserver le silence. Vous avez affirmé avec beaucoup de force qu’il s’agissait d’un élément essentiel du texte. Aussi, vous me permettrez de vous signaler que la justice européenne nous le dit depuis longtemps, et que ce droit a été reconnu par une loi du gouvernement Jospin. (M. Robert Badinter s’exclame.) Le droit à conserver le silence, que vous aviez supprimé, vous reconnaissez désormais son importance ; c’est un hommage qui est rendu au gouvernement Jospin, et je ne peux que le souligner… (M. le garde des sceaux sourit et M. Jean-Pierre Michel applaudit.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Anziani. Devant cette réforme, nous avons une interrogation et trois divergences de fond.
L’interrogation – je regrette que vous n’en ayez pas dit un mot, monsieur le garde des sceaux, contrairement à M. le rapporteur à la fin de son propos – est la suivante : cette réforme n’existera-t-elle que sur le papier, ou sera-t-elle effective dans les faits ? Cela pose évidemment le problème du financement.
Le financement sera important, on s’en doute, pour la garde à vue elle-même, ainsi que pour l’ensemble des dispositifs qui l’accompagneront, y compris, par exemple, la retransmission de la garde à vue quand l’avocat ne pourra pas être présent.
En outre, cela pose évidemment le problème des lieux.
J’ai toujours en tête cette phrase du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui souligne que les lieux de garde à vue sont les plus misérables des lieux de détention les plus misérables.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Alain Anziani. Il faudra bien sûr trouver des moyens. Vous avez évoqué 80 millions d’euros de dotations supplémentaires. Or je constate que, dans le projet de loi de finances, seulement 15 millions d’euros sont prévus pour l’instant. J’espère que vous pourrez nous confirmer tout à l’heure qu’un collectif budgétaire nous apportera le solde.
J’en viens à nos trois divergences.
La première porte sur les personnes pouvant être mises en garde à vue.
On voit bien le but visé : trouver un équilibre entre les nécessités de l’enquête et la protection des libertés.
J’ai consulté une remarquable étude de législation comparée du Sénat sur les gardes à vue en Europe. Au fond, il existe deux cultures : la nôtre et celle des autres, même si ces dernières ne sont pas toutes identiques, je le reconnais. Quoi qu’il en soit, nombre de pays européens, sinon la quasi-totalité d’entre eux, retiennent le principe que l’on pourrait qualifier de principe de proportionnalité.
La garde à vue est une mesure de privation de liberté qui doit se justifier par sa proportionnalité à la gravité des faits. Ce principe a même été inscrit dans la Constitution en Allemagne, pays qui ne prévoit pourtant aucun traitement particulier pour la garde à vue.
Certains États comme l’Italie ont considéré que le principe de proportionnalité devait conduire à exclure de la garde à vue toutes les personnes ayant commis des infractions sanctionnées par des peines inférieures à deux ans, quand d’autres, comme l’Espagne, ont estimé que le seuil devait être fixé à cinq ans.
Il existe donc un vrai débat. Pourquoi refuser chez nous les dispositifs des autres pays, qui ne sont sans doute pas moins sûrs que le nôtre mais qui admettent des seuils de privation de liberté ?
Je rappelle que, pour nous, le seuil est de trois ans pour la détention provisoire. Aussi, il nous a semblé logique de l’appliquer en l’espèce et de considérer qu’une personne ne peut être mise en garde à vue que si elle a commis une infraction pour laquelle elle encourt une peine supérieure à trois ans, ou à un an en cas de flagrant délit – M. Zocchetto n’a pas évoqué ce point tout à l’heure.
Ce système me paraît assez équilibré.
J’ai entendu les exemples que vous avez cités tout à l’heure. Il est vrai que nous éliminons un délit auquel nos policiers sont très sensibles : le délit d’outrage ou de rébellion.
Je comprends la réaction de la police sur ce point, car nous avons besoin que les forces de l’ordre soient confortées, peut-être encore plus dans le désordre actuel que par le passé. C’est tout à fait exact ! Mais on peut tout de même se demander s’il n’existe pas d’autres moyens que de recourir à la garde à vue pour sanctionner, ou pour prévenir – c’est l’esprit du texte – ces rébellions ou ces outrages.
Dans notre cas, le flagrant délit suffira. Le harcèlement sexuel, que vous citiez tout à l’heure, est puni d’une peine supérieure à un an, mais il est vraisemblable – pas toujours – que cela relève du flagrant délit, et la garde à vue sera alors possible. Par exemple, toutes les violences familiales pourront donner lieu, si nécessaire, à une garde à vue.
Mais au-delà, posons une autre question. Il y a, bien sûr, une difficulté, mais il y aura toujours des difficultés de cette nature. Pourquoi ? Vous l’avez dit vous-même en commission hier, c’est la question de l’échelle des peines. Quand allons-nous prendre le temps – il manque – de réexaminer l’échelle des peines en fonction de la gravité de l’infraction ? Aujourd’hui, on accumule les lois pénales, plusieurs chaque année, et à la fin, c’est un véritable désordre, une sorte de maquis : il n’y a plus de hiérarchie entre la gravité des infractions et la gravité des peines.
La deuxième divergence porte sur l’autorité qui place en garde à vue.
Là aussi, il y a deux écoles. L’école française confie la garde à vue à l’officier de police judiciaire, avec l’autorisation du procureur de la République en cas de prolongation. D’autres pays distinguent, quant à eux, d’une part, les poursuites qui sont réservées au ministère public ou à son équivalent et, d’autre part, les décisions relatives à la liberté qui relèvent du seul juge judiciaire.
L’article 66 de notre Constitution, c’est vrai, précise que l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. Il est vrai aussi – je n’entrerai pas dans de faux débats – que la jurisprudence de la Cour européenne est complexe sur ce point, mais nous pouvons considérer, en effet, qu’un procureur fait partie de l’autorité judiciaire. Ce n’est pas, me semble-t-il, le lieu de le remettre en question. Mais la question n’était peut-être pas celle-là : oui, un procureur est un magistrat, mais il n’est pas indépendant. Voilà la vraie difficulté : d’une part, il est soumis à une autorité et, d’autre part, il est une partie poursuivante.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est surtout cela !
M. Alain Anziani. Voilà bien le paradoxe de cette affaire : vous allez confier à une partie qui va décider de la garde à vue les droits dont dispose l’autre partie. Par conséquent, la partie poursuivante fixera les droits de la partie qu’elle poursuit. Il y a là, à notre sens, un déséquilibre, que nous aurions souhaité voir corrigé.
Mais nous vivons aussi dans un monde réel et la vérité un peu triviale est que nous n’avons pas nécessairement les moyens de nos ambitions.
Nous proposons une solution de transition : un placement par l’officier de police judiciaire, validé par le procureur, mais une prolongation par le juge judiciaire. Nous confions également à ce dernier le contrôle de la légalité de la garde à vue, y compris dans ses conditions matérielles. De même, toute dérogation aux droits de la défense – report de la présence de l’avocat, report de l’accès au dossier –, puisque c’est une dérogation au droit commun, doit être soumise au juge judiciaire, et non pas à la partie poursuivante qu’est le procureur de la République.
Troisième divergence, – il s’agit d’une incompréhension forte entre nous – j’affirme que l’article 11 bis réintroduit l’audition libre sous la forme d’une comparution libre.
Nos collègues députés ont eu la sagesse de supprimer l’audition libre, avec beaucoup de critiques, en soulignant que la personne entendue librement avait moins de droits que la personne mise en garde à vue et ils avaient raison. Pourtant, ils admettent quelques articles plus loin, à l’article 11 bis, de voir resurgir l’audition libre dans une tenue camouflée : la comparution libre.
Monsieur le ministre, je vous avais interrogé sur cette question en commission. Vous m’avez répondu d’aller voir ailleurs,…
M. Alain Anziani. … plus exactement d’aller voir Mme Guigou.
M. Alain Anziani. J’ai relu les propos de Mme Guigou et je trouve que votre interprétation des propos de notre ancienne ministre de la justice est quelque peu rapide. Elle ne dit pas exactement que la comparution libre n’a rien à voir avec l’audition libre. Relisez ses propos, je l’ai fait,…
M. Alain Anziani. … mon interprétation est différente.
Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi, par ailleurs, de dire que l’on ne peut pas répondre sur un tel sujet par une boutade.
M. Alain Anziani. La justice n’avance pas avec des boutades.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Anziani. Si vous avez des précisions à apporter sur la différence entre comparution libre et audition libre, donnez-les, mais ne me renvoyez pas à quelqu’un d’autre dans une autre assemblée.
Je remarque que M. le rapporteur a examiné ces objections avec beaucoup de sérieux.
Pour ma part, je ne suis pas convaincu. Je ne comprends toujours pas – mais c’est peut-être moi qui aie un défaut de compréhension – en quoi la comparution libre est différente de l’audition libre, qui a fait l’objet d’une censure. Dans les deux cas, la personne est entendue librement ; dans les deux cas, elle peut faire cesser l’audition lorsqu’elle le souhaite ; dans les deux cas, si elle demande à se retrouver libre, elle peut se retrouver en garde à vue et, dans les deux cas, elle est privée de tous les droits reconnus aujourd’hui à la personne gardée à vue… Il n’y a pas plus de différence entre les deux qu’entre bonnet blanc et blanc bonnet.
La cohérence voudrait, me semble-t-il, que nous rejetions la comparution libre comme nous avons rejeté l’audition libre. Mais si tel n’est pas le cas je propose, en raison des nécessités de l’enquête, d’accorder un minimum de droits à la personne qui comparaîtrait librement : le droit à une durée maximale de la comparution ; en effet, elle doit savoir – c’était une forte critique contre l’audition libre – combien de temps sa comparution libre va durer ; le droit de téléphoner à un avocat pour lui dire de quoi on la suspecte ; le droit d’avertir son employeur et sa famille.
Nous demandons ce minimum de droits, nous avons donc déposé des amendements sur ces différents points. Mais en l’état, franchement, la personne qui comparaît librement est suspecte. Si elle est suspecte, elle doit avoir un certain nombre de droits reconnus par la Cour européenne, et là vous allez de nouveau directement vers une censure de la part de la Cour.
Constatant que mon temps de parole est quasiment épuisé, j’évoquerai en conclusion la réforme de la procédure pénale. Voilà un an, la Chancellerie avait publié un document de plus de deux cents pages sur la réforme de la procédure pénale. Elles se sont évaporées.
M. Alain Anziani. En tout cas, aujourd’hui, on a redécoupé une sous-partie sur la garde à vue. Il faut avoir, me semble-t-il, une vision générale de cette réforme.
Monsieur le garde des sceaux, nous savons que cette réforme n’est pas la vôtre. C’est vrai, elle a été engagée nettement avant votre nomination. Nous savons qu’elle inquiète les forces de l’ordre et nous avons besoin de satisfaire aussi aux exigences de sécurité. (M. le garde des sceaux fait un signe d’approbation.)
Nous savons aussi que la pression sécuritaire dans laquelle nous vivons constamment chaque jour, et encore hier avec vos déclarations sur les jurys populaires, ne va pas dans le sens du renforcement des droits de la défense.
Nous savons également que cette réforme n’est pas la plus payante sur le plan électoral, mais comme la loi pénitentiaire, elle fait partie de ces réformes incontournables dans une République moderne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Josiane Mathon-Poinat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, le texte qui nous est soumis constitue un progrès par rapport à la situation antérieure et nous vous en donnons acte. Nous avons, en effet, apprécié positivement le travail accompli tant par l’Assemblée nationale que par la commission des lois du Sénat, avec un certain sens de la mesure qui ne nous étonne pas de la part de notre collègue François Zocchetto, avec une présence affirmée de l’avocat, qui est une réelle avancée. En vous écoutant s’agissant de l’interprétation de la jurisprudence européenne, monsieur le garde des sceaux, je me rappelais la circulaire du 17 novembre 2009 (L’orateur brandit un exemplaire de cette circulaire.), publiée par les services de la Chancellerie, circulaire que je vous invite à relire pour voir comment les choses et les interprétations évoluent au gré de la politique.
Cela étant, il fallait faire vite pour répondre aux injonctions du Conseil constitutionnel, mais ce texte ne va pas au bout du chemin. Il nécessitera rapidement à l’usage des modifications de forme et de fond et n’aura guère de sens s’il n’est accompagné des moyens financiers indispensables à sa mise en application.
Comment faire abstraction du contexte général auquel la nation est confrontée en matière de justice et de sécurité ?
Presque quatre ans de rupture : vous avez atteint l’objectif, il y a effectivement rupture entre le Gouvernement et les magistrats, entre les forces de l’ordre et les magistrats, entre l’opinion publique et la justice. Le programme est réalisé.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Aujourd’hui, l’urgence est de donner de vraies orientations politiques, de rassurer tant les citoyens – qui aspirent à sortir tant de l’insécurité dans certains territoires que du climat d’insécurité souvent largement entretenu – que les forces de l’ordre, saturées de textes et n’ayant souvent pas les moyens de les appliquer. Et il s’agit également de rassurer les magistrats dont l’exaspération fut portée à son comble par des déclarations excessives dont chacun se souvient.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Jacques Mézard. Le 9 février 2010, par une question orale avec débat, et le 24 mars 2010, par la discussion en séance publique de la proposition de loi portée par le groupe RDSE, j’avais décrit la nécessité d’une réforme rapide et profonde de la garde à vue. En effet, dès mon arrivée au sein de notre Haute Assemblée, j’avais attiré l’attention de mon groupe sur ce dossier, convaincu par l’expérience de terrain, les contradictions de plus en plus évidentes avec l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne et, surtout, le caractère surréaliste et intolérable d’une mesure privative de liberté imposée à 800 000 de nos concitoyens dans des conditions souvent inadmissibles et rappelées d’ailleurs sur toutes les travées.
J’ai exposé précisément dans ces deux débats les raisons de cette dérive et les dégâts causés dans l’opinion de nos concitoyens sur l’institution judiciaire et les services de sécurité.
Dans ce débat, mes chers collègues, il ne convient pas – et nous ne l’avons jamais fait – de faire le procès des forces de l’ordre. Elles ont appliqué une politique – la vôtre, avec les moyens que votre gouvernement leur a donnés.
Dénoncer le scandale de la garde à vue, ce n’est pas s’en prendre à ceux qui sont chargés de la sécurité, ce n’est pas promouvoir un laxisme sécuritaire et judiciaire. Nous sommes tout autant que vous attachés au respect de la loi, à ce que nos concitoyens puissent vivre en sécurité, à ce que les délinquants soient retrouvés et justement sanctionnés. La gendarmerie et la police sont des piliers de la République. Ces institutions, nous le savons, sont lasses de l’insécurité juridique dans laquelle vous les plongez par l’inflation législative sécuritaire,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. … lasses de la mise en place de la révision générale des politiques publiques, lasses de l’insuffisance des moyens matériels, lasses de constater – vous avez raison sur ce point, monsieur le garde des sceaux – la non-exécution des peines, lasses du fossé que vous contribuez à créer avec la magistrature.
Monsieur le garde des sceaux, devant l’Assemblée nationale, vous déclariez le 18 janvier 2011 – je me réfère au Journal officiel – que, « en quelque dix ans, on est passé de 200 000 à près de 800 000 gardes à vue. Or on ne peut pas utiliser la garde à vue comme un moyen banal d’enquête. »
M. Jacques Mézard. Ce sont vos propos !
M. Jacques Mézard. Vous avez raison, mais pourquoi avez-vous tenu de tels propos ? Pourquoi, voilà encore quelques semaines, était relatée dans le rapport sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, une augmentation de plus de 50 % du nombre de gardes à vue comme un succès ?
Monsieur le garde des sceaux, je salue une fois de plus votre habileté, votre dialectique (M. le garde des sceaux et M. Roland Courteau sourient.) reconnue dans cet hémicycle. Il fallait le faire : vous l’avez fait. Avoir l’audace de déclarer que « la réforme de la garde à vue appartient d’abord à une suite logique. L’Assemblée nationale vient ainsi d’adopter les projets de loi organique et ordinaire relatifs au Défenseur des droits ; [...] »
M. Jacques Mézard. « Ainsi, c’est parce que la Constitution a été révisée »…
M. Jacques Mézard. … « que le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception […] a été institué en 2008 et que nous avons aujourd’hui à délibérer sur la garde à vue » !
C’est sans doute également grâce à la révision constitutionnelle que nous sommes aussi peu nombreux aujourd'hui dans cet hémicycle. (Sourires sur plusieurs travées.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir !
M. Jacques Mézard. C’est habile, mais c’est en même temps un aveu. Cela signifie que, s’il n’y avait pas eu l’arrêt du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et la contrainte en découlant, vous auriez balayé d’un revers de la main la jurisprudence européenne – comme vous l’aviez fait dans la circulaire du 17 novembre 2009 (L’orateur brandit de nouveau un exemplaire de cette circulaire.) – et celle de la Cour de cassation en continuant à renvoyer à la commission nos propositions de loi et à annoncer pour demain un nouveau code de procédure pénale.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous savions qu’il y avait un projet de loi !
M. Jacques Mézard. Ce n’est quand même pas le simple effet du hasard si le nombre de gardes à vue fut, selon vos chiffres, multiplié par quatre en dix ans. En réalité, vous vous êtes vanté de cette explosion jusqu’à l’année dernière, quand le taux de 1,5 % des Français fréquentant la garde à vue chaque année est devenu intolérable. Encore plus, quand des centaines de milliers d’entre eux en sortaient sans poursuite judiciaire ou au moins sans comparution devant un tribunal.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Qu’est-ce qui vous empêchait d’arrêter, de votre propre chef, ce scandale, tant par des instructions réglementaires que, surtout, par le dépôt d’un projet de loi en procédure accélérée ?
La vérité, c’est que vous avez joué la montre, au nom du discours sécuritaire. La vérité, c’est que vous avez fini par aller à Canossa (M. le garde des sceaux sourit.) et que, comble d’ironie, vous avez dû plier devant le gouvernement des juges, ce qui n’est pas un bon exemple !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Soyez positif !
M. Jacques Mézard. La vérité, c’est que vous envisagiez une mini-réforme sur ce point à l’aune du rapport de la commission Léger, dont il convient de se souvenir qu’elle avait proposé la création d’une « retenue judiciaire » de 6 heures de la même veine que l’audition libre à laquelle vous avez sagement renoncé partiellement.
Quelles sont les contraintes techniques et financières d’un tel projet ?
La réforme de la garde à vue impose, pour être efficace, des solutions, dans les plus brefs délais, sur la question des locaux et celle de la rémunération de l’avocat.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez indiqué en commission que les travaux à réaliser dans les locaux de garde à vue représentaient 48 millions d’euros. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 juillet 2010, a déclaré que « la dignité de la personne contre toute forme […] de dégradation est [une exigence] constitutionnelle ». Ma question est simple : quelle est la programmation budgétaire des travaux à réaliser ?
Quant au problème de l’indemnité de l’avocat, de sa rémunération et donc de l’aide juridictionnelle, il est fondamental parce qu’il y a un risque évident, et presque inévitable de voir s’aggraver, à défaut d’une volonté politique forte que je ne ressens pas, la mise en place d’une justice pénale à deux vitesses, voire à trois, selon les territoires, et, vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, une non-application de fait de la réforme de la garde à vue dans la plupart des départements sans métropole régionale.
Il est clair que les barreaux des grandes villes, à commencer par Paris, vont pouvoir faire face au moins aux contraintes techniques par des systèmes de permanence adaptés à la réforme. Dans la moitié des départements français, ce ne sera pas le cas : les contraintes géographiques, démographiques et financières se superposant rendront, de fait, impossible l’application de la loi. La conséquence grave en sera l’absence très fréquente de l’avocat dans ces départements, et ce sont les justiciables les plus démunis qui ne seront pas défendus,…