M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures cinquante, sous la présidence de Mme Monique Papon.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Lutte contre la prolifération des armes de destruction massive
Adoption d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs (projet n° 133, texte de la commission n° 212, rapport n° 211).
Monsieur le ministre, avant de vous donner la parole, je tiens à vous saluer dans vos nouvelles fonctions et à vous souhaiter la bienvenue au Sénat en tant que membre du Gouvernement.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, cher Josselin de Rohan, monsieur le rapporteur, cher André Dulait, mesdames, messieurs les sénateurs,... j’allais dire « chers collègues », mais je suis privé de ce bonheur pour quelques mois puisque c’est en qualité de ministre de la défense que je vous présente aujourd’hui ce projet de loi relatif à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.
Ce projet de loi fait l’objet d’un accueil unanimement favorable, tant il apparaît à chacun nécessaire de mettre à jour notre législation en vue de combattre efficacement la prolifération des armes de destruction massive, une prolifération qui ne relève pas seulement, hélas, de la fiction ou de l’imagination, ainsi qu’en témoignent les observations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale paru en 2008 ou encore, dans l’actualité récente, la révélation de l’existence du réseau dirigé par Abdul Qadir Khan, physicien nucléaire pakistanais, et les informations diffusées par la presse internationale sur les pratiques de certains pays, telle la Corée du Nord.
La prolifération s’est amplifiée avec la disparition de l’empire soviétique, qui a entraîné l’effondrement de son complexe militaro-industriel et l’émergence, dans ses décombres, de formes nouvelles de transactions illicites particulièrement préoccupantes.
La préoccupation est d’autant plus justifiée que ces transactions illicites concernent également des biens à double usage, c’est-à-dire pouvant avoir à la fois une application civile, reconnue et acceptée, et une application militaire.
Le projet de loi traite non seulement de la prolifération organisée par des États pour lesquels cette activité est notoire, mais aussi de celle qui est le fait de réseaux privés ou clandestins. La prolifération s’appuie en effet désormais sur une économie en partie souterraine, favorisée par la libéralisation du commerce international, qui permet malheureusement à certains d’utiliser, contre l’intérêt général, une maîtrise scientifique largement diffusée dans le monde et parfois adossée à certains États.
Dans ce contexte, les services de renseignement soulignent le risque de voir des acteurs non étatiques chercher à acquérir des armes de destruction massive et, face à cette situation, la communauté internationale a réagi.
Les résolutions 1540 et 1810, adoptées en 2004 et en 2008 par le Conseil de sécurité des Nations unies, font obligation aux États d’améliorer leurs outils juridiques afin de prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, qu’il s’agisse d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques, de leurs vecteurs ou des matériels connexes sans lesquels ces armes ne pourraient évidemment pas être utilisées.
Par ailleurs, la résolution 1887 de 2009 reconnaît la nécessité pour tous les États d’adopter des mesures efficaces pour empêcher des terroristes d’accéder à des matières nucléaires ou à une assistance technique relative à l’usage de ces matières nucléaires.
En ce qui concerne la France, un diagnostic interministériel demandé par le Premier ministre en novembre 2006 a mis en évidence la complexité, les carences et le manque de lisibilité de notre arsenal juridique de lutte contre la prolifération, éclaté entre le code de la défense, le code des douanes, le code pénal et le code de procédure pénale.
Le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter a donc pour objet de renforcer la cohérence, l’efficacité et surtout le caractère dissuasif de la législation française.
Le premier objectif du texte est l’harmonisation des dispositions relatives aux infractions et aux peines encourues au titre d’actes de prolifération dans les trois domaines : nucléaire, biologique et chimique. En l’état actuel des textes, pour des raisons évidentes, c’est la prolifération chimique qui est le plus sévèrement sanctionnée.
Le deuxième objectif est l’introduction de dispositions relatives à la prolifération des vecteurs d’armes de destruction massive, avec une peine de quinze ans de réclusion criminelle prévue pour les infractions relatives à leur fabrication, leur commerce, leur acquisition, leur détention et leur transport.
Le troisième objectif est le renforcement des peines encourues en matière de contrebande, d’importation et d’exportation de biens et technologies à double usage. Cette nouvelle infraction douanière permettrait l’ouverture d’enquêtes judiciaires favorisant le démantèlement de filières de fraude.
Le quatrième objectif est le comblement d’une lacune importante du dispositif juridique actuel en matière de financement, ce dispositif privilégiant la répression du terrorisme et du blanchiment au détriment de celle de la prolifération.
Le cinquième objectif, enfin, est le renforcement des moyens procéduraux de lutte contre la prolifération, sur le modèle, qui a fait ses preuves, des règles applicables à l’encontre du terrorisme et de la criminalité organisée ; je pense en particulier à la centralisation des enquêtes et des jugements au tribunal de grande instance de Paris et à l’utilisation de techniques spéciales d’enquête.
Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, je vous remercie chaleureusement, et, avec vous, l’ensemble des membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, d’avoir adopté à l’unanimité ce texte. Nous ne pouvons que nous en réjouir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, notre pays est déjà partie aux instruments juridiques internationaux comme le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, la convention sur l’interdiction des armes chimiques ou le règlement 428/2009 du Conseil de l’Union européenne instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit des biens à double usage. Il s’est engagé de manière déterminée pour renforcer l’efficacité de la stratégie de l’Union européenne en matière de lutte contre la prolifération.
L’adoption du présent projet de loi permettra à la France de franchir une étape supplémentaire, faisant ainsi preuve d’une exemplarité accrue. Elle montrera qu’elle accorde la priorité à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, conformément aux engagements pris par le G8, dont elle assure pour la sixième fois la présidence.
La nouvelle loi montrera que nous sommes résolus à entraîner les grandes nations dans un effort opiniâtre, systématique de lutte contre la prolifération et contre ceux qui la rendent possible.
Il s’agit d’un texte réaliste, tenant compte de l’évolution des formes d’une menace à laquelle il est impératif de parer. C’est pourquoi je vous remercie d’avance, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter ce projet de loi avec le même esprit de rassemblement qui a conduit votre commission à l’approuver unanimement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Dulait, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour féliciter M. le ministre de sa nomination.
Nous tenons à vous dire, monsieur le ministre, tout le plaisir que nous avons à vous retrouver et nous savons combien votre rôle sera important dans les semaines et les mois qui viennent.
Dans sa résolution 1540 du 28 avril 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies a clairement désigné la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques et de leurs vecteurs comme une menace pour la paix et la sécurité internationales.
Cette menace est directement liée au pouvoir destructeur de ces armes, qui justifie le principe d’interdiction ou, dans le cas des armes nucléaires, de stricte limitation, posé par les traités internationaux.
La menace est également indirecte, car la prolifération est un facteur de course aux armements et de déstabilisation dans plusieurs régions du monde, notamment en Asie et au Moyen-Orient. La possession de missiles balistiques ou de croisière par un nombre croissant d’États ne fait qu’exacerber la prolifération nucléaire, chimique ou biologique.
Aujourd’hui, trente-trois États n’ont toujours pas ratifié la convention sur l’interdiction des armes biologiques de 1972 ; sept États ne sont pas parties à la convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993 ; enfin, trois États n’ont pas adhéré au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, alors que la Corée du Nord s’en est retirée en 2003.
Par ailleurs, l’adhésion à ces instruments fondamentaux n’en garantit pas toujours le plein respect. En effet, la convention sur l’interdiction des armes biologiques ne comporte pas de mécanisme d’inspection et de vérification. Le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique – AIEA – sur les activités nucléaires se heurte à des limites politiques, juridiques et techniques, ainsi que nous l’observons avec l’Iran.
Enfin, le rôle croissant des acteurs non étatiques dans la prolifération est un phénomène marquant de ces quinze dernières années. Chacun a en mémoire les activités du réseau dirigé par le scientifique nucléaire pakistanais Abdul Qadir Khan. La diffusion des savoir-faire scientifiques et des technologies comme la mondialisation des échanges favorisent l’apparition de nouveaux acteurs de la prolifération, qui s’affranchissent largement des logiques et des pratiques habituelles des États.
Face à ce type d’agissements, le renforcement des contrôles étatiques sur la fabrication et les transferts d’équipements sensibles est indispensable.
C’est l’objet de la résolution 1540, qui est en grande partie à l’origine du projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
Cette résolution prescrit aux États la mise en œuvre d’un véritable plan de lutte contre les acteurs non étatiques de la prolifération. À cet effet, elle demande aux États : de se doter d’une législation interdisant et réprimant les activités d’acteurs non étatiques liées aux armes de destruction massive ou à leurs vecteurs ; de mettre en place des dispositifs intérieurs de contrôle visant à comptabiliser les produits sensibles, à assurer leur protection physique et à surveiller les exportations ; d’empêcher le trafic de ces armes et de leurs vecteurs.
La résolution a créé un comité auprès du Conseil de sécurité, appelé « comité 1540 », qui est chargé d’en suivre la mise en œuvre. Ce comité analyse les rapports sur les mesures d’application nationales que les États membres sont tenus de remettre régulièrement.
La France a soutenu l’adoption de cette résolution et se doit de la mettre en œuvre de manière aussi complète que possible.
Ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le ministre, notre arsenal juridique en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive résulte de strates successives, liées notamment à notre adhésion à plusieurs instruments internationaux : les conventions d’interdiction des armes biologiques et des mines chimiques, que j’ai déjà évoquées, mais aussi la convention de l’AIEA sur la protection physique des matières nucléaires.
C’est pour rendre cette législation plus complète et plus cohérente que le présent projet de loi a été élaboré.
Parmi les améliorations qu’il tend à apporter, nous pouvons retenir les points suivants.
Premièrement, ce projet de loi permet une harmonisation du régime des sanctions pénales applicables aux armes chimiques, aux armes biologiques et aux matières nucléaires.
Il comble certaines lacunes, notamment l’absence d’incrimination du financement des activités liées à la prolifération, comme cela existe par exemple pour le terrorisme.
Il instaure un régime pénal spécifique, plus sévère, pour les activités menées en bande organisée ou dans le but avéré de réaliser une arme. Cela permettra de cibler plus efficacement les réseaux de la prolifération, en les distinguant des agissements isolés.
Deuxièmement, le projet de loi introduit dans le droit français la notion de vecteurs d’armes de destruction massive, conformément à la résolution 1540. Jusqu’à présent, ces engins n’étaient pas distingués des autres matériels de guerre, alors que les infractions les concernant justifient un dispositif particulier.
Troisièmement, le projet de loi renforce les sanctions en cas d’infraction sur l’exportation des biens et technologies à double usage. On sait qu’il s’agit là d’un canal privilégié pour les réseaux de prolifération, car la vigilance des États peut plus facilement être prise en défaut.
Quatrièmement, enfin, le projet de loi instaure des règles spécifiques de procédure pénale, notamment la centralisation des poursuites et des jugements au tribunal de grande instance de Paris, afin de lutter plus efficacement contre la prolifération.
Aux yeux de la commission, ce projet de loi nous dotera d’un dispositif très complet permettant de réprimer sévèrement tous les actes en lien avec la prolifération.
Fort heureusement, nous n’avons été, jusqu’à présent, que très rarement – une seule fois, me semble-t-il – confrontés à ce type d’affaires. Il n’en demeure pas moins nécessaire de mettre en place tous les moyens juridiques permettant d’y faire face.
Grâce à ce projet de loi, la France sera en conformité avec les obligations qui découlent de la résolution 1540, étant rappelé que chaque État fait l’objet d’un examen régulier par le comité spécial institué auprès du Conseil de sécurité. Il nous semble également que, avec la mise en place d’une législation complète et efficace, notre pays peut contribuer à promouvoir auprès des autres États les meilleurs standards et les meilleures pratiques.
Nous savons que, sur ces questions de prolifération, la France travaille étroitement avec ses partenaires européens et que l’Union européenne est engagée en tant que telle dans une stratégie de lutte contre la prolifération. Elle a notamment adopté une réglementation sur les biens à double usage, civil et militaire, destinée à harmoniser les pratiques des États membres.
L’Europe concentre une grande partie des technologies et équipements sensibles au regard de la prolifération ; il est donc indispensable d’adopter une approche coordonnée en la matière.
Je souhaiterais maintenant aborder une problématique qui sort du champ du projet de loi : il s’agit du risque d’utilisation d’éléments radioactifs, par exemple d’origine médicale, pour la fabrication de bombes radiologiques, ce que l’on appelle les « bombes sales ». Il ne s’agit pas d’armes de destruction massive au sens du présent projet de loi, mais ce sont des armes vers lesquelles un terrorisme de masse peut se tourner, et il nous faut, hélas, prendre en compte une telle hypothèse.
L’AIEA a adopté en 2003 un code de conduite sur la sûreté et la sécurité des sources radioactives. Celui-ci incite fortement les États à protéger les sources radioactives les plus dangereuses contre les actes de malveillance.
La mise en place d’un dispositif de contrôle de la sécurité des sources radioactives est nécessaire. Je sais que des travaux interministériels ont été engagés en ce sens voilà un peu plus de deux ans. Il nous paraît important que les mesures législatives correspondantes puissent être adoptées aussi rapidement que possible. Peut-être serez-vous en mesure de nous donner, monsieur le ministre, quelques indications sur ce point ?
La commission a considéré que ce projet de loi constituait une avancée indiscutable et l’a adopté à l’unanimité dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. En son nom, je vous demande donc pour conclure, mes chers collègues, de l’approuver à votre tour. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous présenter mes cordiales félicitations pour votre promotion attendue à un poste prestigieux. Je suis certain que, dans l’exercice de ces responsabilités, vous saurez défendre au mieux les intérêts de la France et de nos forces armées.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’adoption du présent projet de loi mettra enfin la France en conformité avec les obligations qui découlent de la résolution 1540, adoptée le 28 août 2004, par le Conseil de sécurité des Nations unies, le CSNU.
On peut se demander pourquoi il aura fallu près de sept ans à la France pour réaliser cette mise en conformité, alors que, dès la chute du régime taliban, en 2001, les services de renseignement américains faisaient savoir l’intérêt d’Al-Quaïda pour recueillir les éléments nécessaires à la confection d’une arme nucléaire.
On ne compte plus les nombreuses initiatives internationales, la principale étant le partenariat mondial du G8 de juin 2002, au sommet de Kananaskis.
J’évoquerai l’arraisonnement, en 2003, dans les eaux italiennes, du cargo allemand BBC China, qui transportait des centrifugeuses, à la suite de quoi la Libye a révélé les activités du réseau semi-privé du docteur Abdul Qadir Khan pour approvisionner ses commanditaires, à travers de multiples ramifications, en matière de nucléaire – équipements et modes d’emploi –, permettant la réalisation in fine d’une arme nucléaire.
Je mentionnerai encore l’initiative de sécurité contre la prolifération, dite PSI, de mai 2003, la stratégie européenne de non-prolifération de 2003, la Global Threat Reduction Initiative, ou GTRI, lancée en 2004 par les États-Unis en liaison avec l’AIEA, dont le Fonds de sécurité nucléaire est alimenté par les contributions volontaires des États, ainsi que la Global Initiative to Combat Nuclear Terrorism, ou GICNT, prise en 2006 par les présidents Bush et Poutine.
Je rappellerai également que, le 5 avril 2009, dans son discours de Prague, le président Obama qualifiait la menace de terrorisme nucléaire comme étant « la plus immédiate et la plus extrême pour la sécurité du monde ».
En avril 2010, un sommet mondial sur la sécurité nucléaire s’est tenu à Washington. Il a permis de ratifier la convention sur la protection physique des matières nucléaires et son amendement de 2005, de mettre l’accent sur le recensement des matières sensibles et d’encourager la minimisation des usages civils de l’uranium hautement enrichi.
On peut donc s’étonner, monsieur le ministre, du retard avec lequel ce projet de loi vient devant le Parlement.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ce n’est qu’en novembre 2006 que le Premier ministre a confié au secrétaire général de la défense nationale – SGDN – le soin d’effectuer un diagnostic interministériel sur l’ensemble de notre arsenal juridique en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.
Mieux vaut tard que jamais !
Notre législation actuelle résulte de l’empilement, de 1972 à 2010, de strates successives. Il est donc bon d’harmoniser les dispositions régissant les trois domaines, nucléaire, biologique et chimique, en aggravant notamment les peines frappant les activités menées en bande organisée, afin de dissuader les réseaux. Il est bon de réprimer le financement des actes contribuant à la prolifération. Il est également nécessaire de renforcer et d’élargir le dispositif répressif lié à la prolifération.
On ne peut que se réjouir de la centralisation des poursuites et des jugements au tribunal de grande instance de Paris, suivant le modèle éprouvé de la législation antiterroriste.
Le 25 novembre 2010, l’Assemblée nationale a adopté ce projet de loi à l’unanimité. Notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées propose d’en faire autant, sur le rapport de notre collègue M. Dulait.
Je me bornerai, monsieur le ministre, à faire quelques observations.
Premièrement, ce projet de loi sera utile, notamment en ce qu’il définira un modèle pour d’autres pays, dans un domaine dont on ne saurait sous-estimer l’importance stratégique.
Deuxièmement, on ne doit pas se dissimuler que la plupart des trafics se déroulent hors du territoire national. L’adoption de la loi doit donc être relayée par une intense activité de coopération internationale en matière de renseignements et en tous domaines : policier, douanier, fiscal, maritime, aérien.
MM. Yvon Collin et Roland Courteau. Oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Troisièmement, on peut s’étonner de deux omissions.
La première, relevée par M. le rapporteur, concerne la confection de bombes radiologiques dites encore « bombes sales », dont le risque paraît plus élevé que celui de la fabrication ou du vol d’une arme nucléaire proprement dite, dont la mise en œuvre par un vecteur approprié ne va pas de soi.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. Notre rapporteur nous a dit que le Gouvernement préparait un projet de loi sur la protection des sources radioactives. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez le délai nécessaire au dépôt de ce projet de loi sur le bureau des assemblées.
Seconde omission : aucune disposition n’est prévue pour faire face aux attaques éventuelles dans le cyberespace. Ne serait-il pas temps de demander au SGDN de faire, là aussi, des propositions ?
Quatrièmement, l’intérêt apporté à la lutte contre la prolifération émanant d’acteurs non étatiques ne doit pas nous détourner de la lutte contre la prolifération d’origine étatique, tant il est vrai que les trafics illicites se nourrissent des comportements proliférants d’États n’ayant pas souscrit au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, dit TNP, ou à d’autres instruments juridiques internationaux, ou ne se conformant pas à leurs obligations.
Ainsi, trente-trois États n’ont toujours pas ratifié la convention d’interdiction des armes biologiques et sept ne sont pas parties à la convention d’interdiction des armes chimiques. Dans les deux cas, on trouve la Syrie, l’Égypte et Israël.
La convention d’interdiction des armes biologiques souffre de l’absence d’un mécanisme d’inspection et de vérification. Quelles initiatives comptez-vous prendre pour y remédier, monsieur le ministre ?
Par ailleurs, la prolifération balistique ne peut être enrayée à travers le régime de contrôle de technologie des missiles, ou Missile Technology Control Regime, MTCR, créé en 1987, ni par le code de conduite de La Haye de novembre 2002, qui n’est pas contraignant. Que comptez-vous faire, à cet égard ?
Notons enfin que le projet de traité dit cut off, interdisant la production de matières fissiles à usage militaire, est en panne, du fait du veto pakistanais à la conférence du désarmement et du refus par la Chine de tout moratoire sur la production de ces matières. Quelles initiatives le Gouvernement français compte-t-il prendre dans ce domaine, qui fonde la crédibilité de la lutte contre la prolifération ?
Notons, en dernier lieu, que l’administration américaine ne semble pas en mesure de faire ratifier le traité d’interdiction des essais nucléaires par le Sénat américain, faute de la majorité des deux tiers nécessaire. Du discours de Prague à la réalité, il y a un écart auquel je rends sensible la représentation nationale.
La lutte contre la prolifération est un tout. On aimerait que le Gouvernement nous donne une vue d’ensemble de la manière dont il voit l’application des résolutions de la conférence d’examen du TNP de mai 2010.
Dans ces matières complexes, la vigilance ne doit jamais se relâcher. Il vaudrait mieux, monsieur le ministre, que le Gouvernement soit critiqué pour son activisme que pour sa mollesse !
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Sous ces réserves, le groupe du RDSE votera le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Madame la présidente, mes chers collègues, après avoir suivi, heure par heure, ce week-end de chaises musicales (Sourires.), je salue l’arrivée de l’un de nos collègues à cette responsabilité au plus haut niveau de l’État, responsabilité régalienne de surcroît. Je vous félicite de cette nomination, monsieur le ministre.
Conformément à la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies du 28 avril 2004, ce projet de loi tend à mettre en place des dispositifs permettant, dans le cadre de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, de leurs vecteurs et des matériels connexes, d’agir contre les trafics illicites et les acteurs non étatiques.
Ce texte prévoit de créer une procédure spécifique pour les infractions contribuant à la prolifération des armes de destruction massive : la centralisation de l’enquête, de la poursuite, de l’instruction et du jugement des crimes et délits au TGI de Paris, ainsi qu’un allongement substantiel des délais de prescription, les alignant sur ceux qui ont cours en matière de terrorisme.
Il crée une incrimination du financement des actes contribuant à la prolifération, ainsi qu’une aggravation des peines encourues.
Enfin, il renforce le contrôle des biens à double usage, civil et militaire.
Bien sûr, on ne saurait prendre le risque de laisser tomber entre les mains de terroristes ces armes capables de mettre en danger la sécurité du monde, mais il ne faut pas se leurrer sur la portée réelle d’un tel texte.
Jusque-là, un seul fait a été jugé, en France, concernant l’exportation, la fabrication ou l’utilisation illégale d’armes de destruction massive ; c’était en 2003, lorsque le tribunal correctionnel de Paris a prononcé des peines allant de dix mois à trois ans de prison à l’encontre de trois personnes arrêtées sur le territoire français en possession d’uranium hautement enrichi.
Ainsi, de l’aveu de tous, la prolifération d’armes de destruction massive sur notre territoire est peu probable. Le problème vient d’ailleurs, puisque les terroristes ne s’arrêtent pas aux frontières et que des attaques peuvent venir de l’autre bout du monde, à partir d’États qui ne sont pas en mesure de lutter contre ce type de prolifération d’armes de destruction massive, malgré les mesures d’aide que prévoit la résolution 1540 des Nations unies.
Néanmoins, nul ne peut admettre que la prolifération de ces matières extrêmement dangereuses au profit de terroristes passe par la France. On ne saurait transiger sur un tel enjeu. Nous ne cesserons de le répéter : ces armes peuvent, en une seule fois, tuer des centaines de milliers de personnes.
Cependant, ce projet de loi ne peut éclipser le problème central et c’est sur celui-ci que je veux insister.
La principale source d’insécurité pour notre planète vient des États qui rentrent à reculons sur le chemin du désarmement nucléaire, pour ceux qui sont dotés de l’arme nucléaire, et sur le chemin de la non-prolifération, pour tous les autres.
Le développement de nouvelles forces nucléaires élève le niveau de la menace intentionnelle et augmente la probabilité de risques accidentels comme celui du détournement des armes.
Ce texte s’attaque à la prolifération illégale mais, quand bien même cette prolifération est légale, elle constitue un risque pour la sécurité internationale, dont nous partageons la responsabilité avec l’ensemble du monde.
Notre pays fait malheureusement fausse route en se considérant comme un bon élève et en estimant que l’arrêt des essais nucléaires et la limitation de son arsenal à 300 ogives nucléaires le dispensent de tout nouvel effort.
On ne compte plus les occasions manquées par le Gouvernement de s’engager sur la voie du désarmement nucléaire. Depuis quelques années, malheureusement, il est loin de briller par son volontarisme en la matière, avec, en toile de fond, la conviction que cela impliquerait un déclassement de la puissance de la France dans le concert des nations.
Ainsi, en mai dernier, à la tribune des Nations unies, lors de la conférence de révision du TNP, la France a réitéré son discours habituel sur la non-prolifération nucléaire, bien que cette obstination des puissances nucléaires ait provoqué l’échec complet de la précédente conférence d’examen en 2005.
La France est restée figée sur ses positions, contribuant à transformer en marché de dupes le fondement du TNP qui impose aux pays n’ayant pas encore testé d’engins nucléaires de ne pas en mettre au point lorsque, en échange, les pays détenteurs s’engagent au désarmement nucléaire.
Le Gouvernement interprète même de façon spécieuse le TNP puisqu’il a installé, en Gironde, le laser mégajoule, ou LMJ. Cet outil, destiné à simuler les explosions nucléaires militaires et opérationnelles en 2014, a un coût pour le contribuable de l’ordre de 2,3 milliards d’euros sur dix ans, alors même que le Gouvernement impose toujours des économies draconiennes sur la plupart des budgets sociaux.
Nous déplorons le développement de ce programme tout comme l’accord pour la construction du Centre de simulation des armes nucléaires, conclu le 2 novembre dernier entre Nicolas Sarkozy et David Cameron, lors de la signature de deux traités de coopération militaire.
Par ailleurs, je profite aujourd’hui du vote de ce projet de loi pour réitérer une proposition que j’avais déjà formulée le 23 mars dernier, lors du débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France : l’arrêt du programme de missile stratégique M 51, qui contient des têtes nucléaires ; c’est là un héritage de la guerre froide plus qu’un instrument de défense adapté aux menaces qui pèsent aujourd’hui sur notre sécurité.
En outre, le Gouvernement et le Président de la République pratiquent l’attentisme face à la dynamique de désarmement nucléaire qui est en cours sur la planète puisqu’ils refusent toujours de soutenir la convention d’élimination des armes nucléaires signée par 75 % des États du monde. Notre groupe avait d’ailleurs déposé une proposition de résolution sur ce point.
Lors du dernier sommet de l’OTAN des 19 et 20 novembre 2010, qui a notamment entériné une défense anti-missiles coûteuse et marquant l’abandon de l’ambition d’une défense européenne, le Président de la République a encore montré des réticences dans la perspective d’un monde débarrassé des armes nucléaires. Il a fait peser tout le poids de la France contre le camp des antinucléaires, mené par l’Allemagne, afin que la vocation nucléaire de l’OTAN soit de nouveau inscrite dans la stratégie de Lisbonne, laquelle admet désormais que « tant qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN demeurera une puissance nucléaire ».
Insister pour asseoir le lien transatlantique sur la question nucléaire est contraire à notre conception originelle de l’arme nucléaire comme garante de l’indépendance française.
La puissance de notre pays est à présent considérée par le Président de la République et son gouvernement comme la capacité d’être le plus près possible du rayonnement américain. Tout cela ternit l’image de la France, qui est ainsi privée d’une réelle crédibilité internationale.
Ces aspects dépassent, bien entendu, le cadre de la présente discussion, mais comment ne pas les aborder si l’on ne veut pas contourner les problèmes cruciaux que soulève ce projet de loi. ?
Cela dit, par souci d’application de la loi internationale et parce qu’on ne saurait transiger sur la question d’un terrorisme qui utiliserait des armes de destruction massive, vous l’aurez compris, nous voterons ce projet de loi.