M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Pour éviter des contentieux !
M. Joseph Kergueris. Certes, mon cher collègue, mais légiférer en la matière pourrait, à certains égards, avoir pour effet de restreindre les pratiques actuelles, et je pense en particulier à la signalétique routière.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Mais non !
M. Joseph Kergueris. Sans doute est-ce là ce qui nous sépare : pour ma part, je considère que le cadre légal actuel permettait beaucoup, et je ne suis pas certain qu’il en ira de même du nouveau.
Vous invoquez deux arguments.
Premièrement, vous voulez prévenir tout risque de contentieux…
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Joseph Kergueris. … et donc sécuriser la pratique.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Des menaces planent !
M. Joseph Kergueris. Force est de constater que, pour l’heure, seul un jugement du 12 octobre 2010 du tribunal administratif de Montpellier semble restreindre le cadre de l’autorisation.
Certes, ce jugement est loin de nous satisfaire, mais, compte tenu des possibilités de recours, n’est-il pas un peu léger de légiférer tout de suite ? (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. On a vu pire !
M. Joseph Kergueris. Mais, au bénéfice du doute, je suis prêt à vous suivre sur ce point de votre argumentation. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. – Mme le rapporteur approuve également.)
Le second argument que vous avancez est d’une autre nature, politique celle-là, et donc plus intéressant et à maints égards plus convaincant.
En effet, la présente proposition de loi manifesterait une nouvelle ouverture en direction des langues régionales.
M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !
M. Joseph Kergueris. Nous sommes tous convaincus que c’est une nécessité. Les langues régionales font partie intégrante de notre patrimoine...
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. Joseph Kergueris. … et je m’empresse de préciser quelles font partie non seulement de notre patrimoine culturel, mais aussi de notre patrimoine tout court : c’est ce que nous avons reçu de nos pères.
Elles sont des marqueurs d’identité et d’identification de nos territoires.
M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !
M. Joseph Kergueris. La présente proposition de loi a le mérite d’ouvrir un véritable débat ; il nous faudra légiférer sur les langues régionales. D’ailleurs, le Gouvernement s’y est engagé devant nous ici même.
Pour terminer, je salue le remarquable travail effectué par la commission de la culture et par son rapporteur, Colette Mélot. Je partage les préoccupations qui sont les siennes et je soutiendrai les amendements qu’elle a présentés, qui tendent à améliorer substantiellement la qualité juridique du texte qui nous est proposé.
Ainsi modifiée, cette proposition de loi sera de nature à éviter de nouvelles restrictions jurisprudentielles. Surtout, elle ouvre un vrai débat qu’il nous faudra poursuivre, j’en suis certain.
C’est pourquoi nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Mes chers collègues, il est quinze heures trente-cinq et je déclare clos le scrutin pour l’élection d’une juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi fort opportune de notre collègue Roland Courteau aurait pu être inutile si l’esprit et la lettre de la loi du 4 août 1994 n’avaient pas été remis en cause par l’action en justice de quelques plaignants.
La loi en question autorise implicitement, par deux de ses articles, l’usage de la toponymie originale des agglomérations avec leur nom en langue française sur les panneaux d’entrée et de sortie. Le nom français est, je le rappelle, une traduction voire une simple transcription phonétique du nom en langue régionale, et non l’inverse.
Le Conseil constitutionnel est d’ailleurs allé dans ce sens et a confirmé la non-exclusivité du français dans la signalétique routière en expliquant que l’obligation de l’usage de la langue française n’interdit pas celui d’une autre langue.
Pourtant, il aura suffi qu’un collectif autoproclamé « Mouvement républicain de salut public » - dans gens qui n’ont pas peur des mots, sauf s’ils sont en occitan -, obtienne, par un jugement du tribunal administratif de Montpellier, le retrait de la traduction occitane des panneaux d’entrée et de sortie de la bourgade héraultaise de Villeneuve-lès-Maguelone.
Le juge administratif s’est appuyé sur un article du code de la route imposant la clarté dans la signalétique routière. En réalité, cet article concerne autant l’accumulation excessive de panneaux publicitaires à l’entrée des villes que l’éventuelle double signalisation en français et en langue régionale.
Pour autant, cet épisode peut véritablement constituer un précédent ; c’est pourquoi nous avons l’obligation de compléter la loi du 4 août 1994 afin que cette décision ne fasse pas jurisprudence et pour éviter que, par contagion, de très nombreuses communes dans la France entière ne se voient obligées de retirer l’ensemble de leur double signalétique.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement ! Là est le problème !
M. Jean-Jacques Mirassou. Dans cette hypothèse, il faudrait, mes chers collègues, une bonne dose de courage à celui qui serait chargé, par exemple dans le triangle Tardets, Saint-Palais et Mauléon, cher à notre ami Jean-Louis Carrère, d’aller faire enlever tous les panneaux en basque, puis, passant du courage à la témérité, de revenir en deuxième semaine expliquer que l’on ne chasse plus la palombe ! (Sourires.) Mais c’est là une autre affaire qui n’engage que moi et les gens concernés.
Plus sérieusement, l’intérêt de cette proposition de loi est qu’elle constitue une avancée vers une forme de reconnaissance de l’identité régionale, à laquelle les gens sont très attachés. On note d’ailleurs un regain d’attractivité pour les langues régionales auprès des jeunes générations.
Comment ne pas évoquer, aussi, la bronca inattendue suscitée par l’éventualité du retrait des numéros de département des plaques d’immatriculation ? Cela nous rappelle au passage l’attachement que portent les Françaises et les Français à leurs départements, que certains voudraient déclarer obsolètes.
Ces départements constituent incontestablement une empreinte durable de la Révolution française dans notre paysage géographique et institutionnel.
Cela signifie clairement que nous sommes enfin parvenus à une époque où le principe intangible la République une et indivisible, que personne ne saurait contester, est largement compatible avec la promotion et la pratique des langues régionales.
Celles-ci sont les vecteurs de réalités culturelles qui ne demandent qu’à s’épanouir. Nul doute, mes chers collègues, que cette proposition de loi participera à cette impulsion. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Tout a été dit !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais évoquer le contexte juridique et historique dans lequel se situe la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
Ce contexte permet d’expliquer de multiples initiatives parlementaires prises aujourd’hui, aussi bien par des députés que par des sénateurs, pour légiférer sur les langues régionales. Je suis d’ailleurs coauteur de l’une de ces propositions de loi.
La question des langues régionales est très ancienne et suscite toujours un vif débat.
Depuis la Révolution, et surtout à partir du xixe siècle, les pouvoirs publics ont voulu apprendre le français à tous les citoyens. La langue française était garante de l’unité de notre pays ; elle permettait une République égalitaire offrant à chacun l’accès à l’instruction publique et la possibilité d’une progression sociale.
Les moyens employés par l’école pour parvenir à cette unicité de la langue ont été douloureusement ressentis, ce qui explique en partie que le sujet soit si sensible.
La première génération, après avoir difficilement acquis le français sur les bancs de l’école, a voulu épargner cette épreuve à ses enfants en les éduquant en français.
Les langues régionales ont commencé leur déclin. Voilà cent cinquante ans, au moins 90 % des communes du Var ou du Finistère étaient déclarées non francophones. Les enquêtes dont nous disposons aujourd’hui ont révélé des taux de locuteurs de langue régionale atteignant en moyenne 10 %, auxquels il faut ajouter les 40 % des personnes qui la comprennent mais ne la parlent pas.
La transmission familiale des langues régionales n’est guère plus assurée aujourd’hui avec la disparition des dernières générations de locuteurs naturels.
La transmission dépend donc aujourd’hui d’abord de l’enseignement des langues régionales, de la vitalité de ces langues dans le domaine de la création culturelle et de leur présence dans les médias.
Plus de 400 000 élèves reçoivent aujourd’hui un enseignement de langues régionales et ces effectifs sont en constante augmentation.
Aujourd’hui, on peut dire que notre pays est fortement attaché à deux principes : d’une part, le principe de l’unité de la République avec le français comme langue commune – en 1992, il a été inséré un alinéa dans la Constitution disposant que « la langue de la République est le français » – ; d’autre part, un principe de préservation de notre patrimoine, dont font partie les langues régionales.
Le 21 juillet 2008, le Parlement a modifié la Constitution en y insérant un article 75-1 qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».
Le Président de la République, montrant tout l’intérêt qu’il porte aux langues régionales, avait promis, lors de sa campagne, d’élaborer un texte de loi pour les sécuriser.
Monsieur le ministre, votre prédécesseur, Christine Albanel, s’était exprimée en ce sens lors d’un débat au sein de la Haute Assemblée, en mai 2008. Il était alors envisagé de donner une forme institutionnelle au patrimoine linguistique de la nation par un projet de loi qui récapitulerait les dispositions existantes et d’adopter des mesures concrètes « dans les domaines de l’enseignement, des médias, des services publics, de la signalisation et de la toponymie ».
Pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce que vous envisagez maintenant ?
Certes, les langues régionales ont été reconnues comme patrimoine de la France en 2008, mais ne faudrait-il pas rassembler au sein d’un même texte les diverses dispositions existantes ?
J’en viens à la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui, relative à la traduction en langue régionale des noms de communes sur les panneaux d’entrée et de sortie de ville. Je partage le propos des auteurs de ce texte et la position de notre collègue rapporteur Colette Mélot, que je félicite de la qualité de son travail et son sens de l’écoute.
M. Jean-Jacques Mirassou. Et l’auteur de la proposition de loi ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Bien entendu, je félicite également l’auteur de la proposition de loi, mon cher collègue. Mais ne polémiquons pas, puisque nous souscrivons à vos propos !
Certes, le droit existant permet déjà à des communes d’indiquer sur les panneaux d’entrée et de sortie de leur territoire le nom de leur cité dans leur langue d’origine. Mais il est nécessaire d’inscrire cette possibilité dans la loi, notamment pour les juges de Montpellier, qui se trouve être ma ville !
Il ne s’agit pas de permettre n’importe quoi. En cela, les modifications proposées par notre rapporteur me semblent pleines de sens, et de bon sens.
Il convient de garantir la clarté de la signalisation et d’éviter une pollution visuelle en empêchant que tout panneau soit systématiquement traduit.
Il convient également de n’apporter la traduction d’un nom que s’il existait dans l’histoire de la ville. Comme l’a souligné notre rapporteur, l’objectif est de préserver le patrimoine de la France, pas d’en inventer un !
Il me semble que le texte proposé peut ainsi être amélioré. Sous réserve de ces précisions, le texte est susceptible de nous rassembler, au-delà des clivages politiques.
Le sentiment d’appartenance régionale revendique non pas une séparation ni un refus de l’identité nationale mais un droit d’exister avec fierté et de revendiquer les couleurs de sa région.
Dans notre devise républicaine, « égalité » ne veut pas dire uniformité ! Nous ne sommes pas des clones les uns des autres.
M. Jean-Louis Carrère. Ah, ça non ! Moi, je ne serai jamais membre de l’UMP ! (Sourires.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Vous avez raison, ma chère collègue !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Parler provençal, breton, alsacien ou catalan n’empêche pas d’être français.
Face à la mondialisation qui pourrait nous faire oublier nos racines, nous souhaitons maintenir nos traditions, des traditions auxquelles, vous l’aurez compris, je suis viscéralement attachée. Nous en avons l’obligation vis-à-vis des générations futures.
Le groupe UMP, particulièrement soucieux de la diversité des cultures régionales de la France, votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. L’UMP votera la loi Courteau ! Et nous vous applaudissons, preuve que nous ne sommes pas sectaires !
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.
M. Raymond Couderc. Monsieur, le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quatre ans que je participe aux discussions publiques au sein de la Haute Assemblée, et voilà quatre ans que les discussions sur la place des langues régionales en France reviennent régulièrement en débat, sans pour autant que les esprits aient évolué sur le sujet.
Pourtant, la question mérite d’être soulevée car, ne nous leurrons pas, malgré leur reconnaissance dans la Constitution, les langues régionales connaissent une situation très préoccupante, et même catastrophique pour celles de ces langues qui n’ont pas la chance d’avoir une part significative de leur aire culturelle située hors de France. Tel est le cas du breton et de l’occitan, que l’ONU a déclarés « langues en grand danger » ! C’est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter du flou juridique entourant cette situation.
Ne pas défendre ces langues, ce serait causer la ruine d’une part importante du patrimoine culturel de la France et de l’humanité. En effet, il s’agit aussi du patrimoine immatériel de l’humanité.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord !
M. Raymond Couderc. On a recensé près de 7 000 langues à travers le monde ; parmi elles, plusieurs centaines sont en voie de disparition, ce qui représente une part essentielle du patrimoine immatériel de l’humanité.
Notre pays a la responsabilité, à l’égard des générations futures, de transmettre son patrimoine linguistique et culturel. Les langues régionales sont l’expression, au sens propre du terme, de cultures régionales riches et anciennes, qui sont elles-mêmes constitutives du patrimoine culturel de la France et de son identité. Elles sont l’une de ses richesses et l’un de ses attraits. Les étouffer, comme cela a pu être le cas par le passé, ce serait mutiler la France et la déposséder d’une partie de son héritage.
Si je prends l’exemple de l’occitan, qui m’est cher, d’autant plus que je suis le premier vice-président du Centre interrégional de développement de l’occitan, le CIRDOC, c’est qu’il ne s’agit en rien d’un patois, comme certains le qualifient pour marquer leur mépris.
Au contraire, la sauvegarde de l’occitan est un enjeu majeur, qui concerne une aire culturelle importante, la plus large d’ailleurs de toutes les langues régionales : elle va des vallées alpines italiennes jusqu’au val d’Aran espagnol, en passant par la Provence, le Languedoc, la Gascogne, le Poitou, l’Auvergne.
M. René-Pierre Signé. Et le Limousin !
M. Raymond Couderc. J’ai cité le Poitou, mais j’ai oublié le Limousin, toutes mes excuses, monsieur Signé !
M. René-Pierre Signé. Le Poitou, ce n’est pas pareil !
M. Raymond Couderc. Les langues d’oc ont longtemps représenté les langues de la moitié de la France. Qui pourrait dire qu’il s’agit d’un détail ? C’est une culture rayonnante. Il n’y a qu’à observer, pour s’en convaincre, le foisonnement de l’œuvre d’un certain Frédéric Mistral, qui fut d’ailleurs couronnée par le prix Nobel de littérature en 1904.
Et pourtant, dans les faits, les langues régionales sont très largement déconsidérées sur notre sol. J’en veux pour exemple le jugement du 12 octobre dernier, par lequel le tribunal administratif de Montpellier a décidé l’interdiction d’affichage de panneaux en langue occitane sous les panneaux en français aux entrées et sorties d’un village de mon département, Villeneuve-lès-Maguelone.
Ce jugement, qui pourrait faire jurisprudence, est pour le moins surprenant, surtout après que plusieurs d’entre nous se sont battus – je m’en souviens bien – pour que le Parlement puisse insérer dans la Constitution, au sein du titre XII, un article 75-1 affirmant que les langues régionales « appartiennent au patrimoine de la France », comme faisant partie de notre identité.
J’en veux également pour exemple l’intervention de la secrétaire d’État chargée des sports, le 2 février 2010. Répondant au nom du Gouvernement à la question orale sur l’inscription d’un projet de loi relatif aux langues régionales de notre collègue sénatrice du Finistère, Mme Maryvonne Blondin, elle a précisé qu’il était « envisageable [...] de systématiser la mise en place d’une signalisation urbaine et routière en langue régionale, à côté de sa formulation en français. »
Nos concitoyens et les élus locaux sont stupéfaits de ce jugement qui ouvre une jurisprudence en la matière et place ainsi dans l’illégalité toutes les collectivités territoriales utilisant la double signalisation.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est le problème !
M. Raymond Couderc. Pourtant, la secrétaire d’État chargée des sports précisait, en réponse à la question de notre collègue, que le Gouvernement réfléchissait « dans un esprit de concertation interministérielle et en association avec les collectivités locales, les offices publics des langues régionales et les acteurs concernés, à la manière la plus adéquate de répondre à l’exigence de promotion de ce patrimoine irremplaçable. »
Cette annonce a été faite il y a près d’un an. Qu’en est-il aujourd’hui de cette résolution ?
Il est désormais plus que temps de clarifier la situation des langues régionales, en commençant aujourd’hui par la question de l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale et en continuant le débat et les initiatives en la matière, dans les domaines de l’éducation aux langues régionales mais aussi de leur promotion et de leur diffusion.
En effet, mes chers collègues, le défi pour la République n’est plus d’unifier un pays morcelé pour le fondre dans une destinée commune, comme du temps de la IIIe République, à une époque où les États nations en Europe achevaient leur construction.
Non, le défi aujourd’hui est de promouvoir la diversité, sous toutes ses formes, afin que chacun puisse retrouver, dans le socle commun de la nation française, les racines de son identité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, de très nombreuses communes de ma région, le Limousin, ont apposé à leur entrée et à leur sortie, un panneau complétant l’affichage de leur nom français par sa transcription en langue régionale.
Cela est-il dangereux ? Oui, si les panneaux ne sont pas conformes à la réglementation. Mais, apparemment, non, puisque nombre de collectivités installent de ces panneaux en respectant la réglementation.
Pourtant, le tribunal administratif de Montpellier en a décidé autrement le 12 octobre dernier, s’agissant de la commune de Villeneuve-lès-Maguelone. Cette décision a suscité beaucoup d’émotion et la proposition de loi que nous discutons vise à contredire cette jurisprudence et à sécuriser cette pratique par ailleurs légale.
Nombre de Français sont, en effet, très attachés à la valeur symbolique de l’appellation en langue régionale de leur commune, qui révèle bien souvent une toponymie d’origine géographique, topographique et historique. Ils se sentiraient humiliés si une généralisation de cette jurisprudence visait à obliger la disparition des panneaux qui font partie de leur quotidien et de leur culture.
J’ai lu attentivement le texte du jugement rendu par le tribunal administratif de Montpellier. Le juge administratif se fonde essentiellement sur le code de la route et sur des considérations selon lesquelles le panneau incriminé serait dangereux du point de vue de la sécurité routière, en ce qu’il pourrait perturber les automobilistes.
D’une part, je note que cette approche du tribunal administratif ne se fonde sur aucun élément de fait : aucun accident précis n’est mentionné dans la décision. D’autre part, si l’on applique ce raisonnement, c’est toute aspérité du paysage qu’il faudrait effacer, tel bâtiment attirant le regard ou que sais-je encore.
Derrière les motivations de l’association qui a saisi le tribunal administratif, il y a en réalité le fantasme d’un monde hyper-normé, uniformisé, aligné, homogénéisé et, pour tout dire, fade.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Aseptisé !
Mme Bernadette Bourzai. C’est bien ce que l’on trouve souvent derrière les attaques menées contre les langues régionales et leur usage, dans un monde, par ailleurs, envahi par les anglicismes de la globalisation.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
Mme Bernadette Bourzai. Ces langues apportent de la diversité et de l’altérité. Elles sont non pas une marque de repli mais, au contraire, un signe d’ouverture.
Toute langue a une dimension utilitaire mais aussi culturelle. Cette dernière est d’ailleurs reconnue dans la Constitution à l’article 75-1, qui pose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Je souscris à ce qui vient d’être dit sur le patrimoine.
Ces langues portent un héritage historique intergénérationnel, elles constituent une autre forme de lien social et traduisent bien plus que l’expression française classique. Ainsi le « chabatz d’entrar » limousin signifie bien plus que « finissez d’entrer » et souligne la chaleur de la langue limousine qui fut celle des troubadours occitans des XIIe et XIIIe siècles, monsieur Couderc.
Nos concitoyens sont de plus en plus sensibles à leur histoire tant nationale que régionale ou locale, ainsi qu’à des formes d’expressions culturelles issues du passé, dès lors qu’elles les aident à comprendre le présent et à appréhender l’avenir.
C’est le mécanisme même de toutes les renaissances, mot qui, j’ose le croire, est connoté très positivement.
J’espère que nous pourrons très rapidement aborder la question de la place des langues régionales dans notre assemblée.
À cet égard, je comprends les craintes que certains ressentent lorsqu’ils voient, de par le monde, les conséquences de replis identitaires. Mais, avec nos langues régionales, il ne s’agit pas de cela, bien au contraire. Je trouverais dommageable l’amalgame du repli identitaire et des langues régionales. Certes, dans ces langues, il y a une dimension locale et historique, mais cet aspect est positif et non régressif.
Faudrait-il avoir peur de nos langues régionales parce que, ailleurs, dans d’autres pays, dans d’autres contextes, elles servent d’argument au rejet de l’autre ? Au contraire, en être fier, les promouvoir et en assurer la transmission permet de montrer de par le monde que, dans un pays profondément républicain, loin de diviser, elles enrichissent une culture et font vivre la cohésion nationale. Vos remercegi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Pierre Fourcade applaudit également.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.
M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je serai bref, car tout a été dit, et excellemment dit notamment par notre collègue M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi, et par Mme Colette Mélot, notre rapporteur.
Monsieur le ministre, j’ai beaucoup apprécié votre intervention claire, précise et, j’allais dire, humaine. Il est bon qu’un ministre de la République ait ce type de parole.
Ce texte est simple, clair, évident, et il ne devrait pas susciter de longs commentaires. Faut-il rappeler que le constituant à reconnu, par le nouvel article 75-1 de la Constitution, que la préservation des langues régionales n’était pas seulement l’affaire de leurs locuteurs, mais concernait la collectivité nationale dans son ensemble, car elles sont un bien commun à tous les Français, un authentique patrimoine de la République française ?
Pourquoi alors légiférer ? Parce que le cadre législatif n’a pas été adapté. C’est ainsi que, avec de nombreux collègues sénateurs, j’ai déposé une proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales. C’est ainsi que, cela a été rappelé à plusieurs reprises, un tribunal administratif a imposé à une commune de l’Hérault de retirer les panneaux d’entrée d’agglomération bilingues que la municipalité y avaient installés.
Nous sommes donc bien obligés de légiférer, et c’est l’objet de votre proposition de loi, mon cher collègue, à laquelle je souscris totalement., ayant moi-même, depuis quinze ans, permis aux touristes de connaître le nom catalan du chef-lieu des Pyrénées-Orientales, Perpinyà, le « a » final portant un accent grave. Nous avons décidé cela pour des raisons touristiques, mais pas seulement : s’agissant d’un espace transfrontalier, il fallait effacer les frontières, car l’Europe économique se jouait précisément sur ces frontières.
L’exemple de Perpignan m’a amené à déposer un amendement, qui est d’ailleurs très proche de celui de la commission de la culture.
Mme Colette Mélot, rapporteur. Oui !
M. Jean-Paul Alduy. En effet, Perpignan est la traduction castillane, reprise par la France, du nom originel catalan ! Ainsi, parler d’une « inscription de la traduction en langue régionale » est impropre, mes chers collègues, car, vous l’avez dit les uns et les autres, c’est évidemment le plus souvent l’inverse : les noms français sont la traduction, ou plutôt la francisation des noms en langue régionale qui, historiquement, les ont précédés.
La forme officielle des toponymes que l’on considère écrits en langue française inclut tous les degrés d’adaptation des toponymes originaux en langue dite « régionale », depuis la transcription pure et simple jusqu’à des modifications radicales. Je proposerai donc un amendement tendant à supprimer le mot « traduction », pour ne retenir que le concept de « transcription » de noms en langue régionale.
Enfin, pour éviter que ne fleurissent des signalétiques fantaisistes – cela renvoie au problème de la sécurité routière –, je propose que soient ajoutés dans l’article unique quelques mots, qui indiquent que les noms en langue régionale sont écrits « en respectant les mêmes normes ».
Donc, sous réserve de ces adaptations, somme toute mineures, mais que je crois utiles et nécessaires, je voterai cette proposition de loi, car elle permettra d’éliminer tout risque juridique,…