Mme Colette Mélot, rapporteur. Vous l’aurez compris, la commission de la culture partage les objectifs de cette proposition de loi.
La rédaction de l’article unique soulève toutefois deux difficultés majeures sur lesquelles nous avons souhaité revenir en proposant un amendement.
Le premier point concerne le champ d’application, puisque l’article unique mentionne, sans plus de précision, « Les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d’une agglomération ».
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Pourtant, le titre de la proposition de loi mentionne bien les « panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération ».
Il est fondamental de revenir sur cet oubli rédactionnel, sous peine de favoriser la prolifération des panneaux qui mentionneraient le nom d’une agglomération à côté d’autres inscriptions. En l’état, rien n’interdirait en effet d’élargir cette possibilité aux panneaux publicitaires, par exemple.
Sans cette précision, cette disposition risquerait aussi d’encourager la prolifération de panneaux inutiles, dont on sait qu’ils peuvent facilement polluer nos paysages. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a soutenu fermement notre collègue Ambroise Dupont dans son combat contre l’affichage publicitaire extérieur excessif et les pré-enseignes dérogatoires à l’occasion du Grenelle II. Il ne s’agirait donc pas d’ouvrir ici une brèche dans laquelle s’engouffreraient des personnes peu respectueuses de nos paysages.
En outre, il convient de garantir la clarté de la signalisation, qui doit rester aussi compréhensible que possible pour garantir une sécurité routière maximale.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord !
Mme Colette Mélot, rapporteur. La référence aux « panneaux réglementaires d’entrée et de sortie d’agglomération » semble donc préférable.
Le second point sur lequel il convient de revenir est le terme de « traduction ». En effet, cela signifierait que chacun peut se mettre à traduire le nom de sa commune – pourquoi pas en l’inventant ? –, alors qu’il n’y aurait aucun fondement historique.
M. Didier Guillaume. C’est l’histoire qui donne la traduction !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Ici, l’objectif est bien de préserver le patrimoine de la France et non d’en inventer un.
Je rappelle que c’est la formulation du toponyme en français qui est, historiquement, une traduction ou une adaptation de l’appellation en langue régionale, et non l’inverse !
Ainsi, Castel Nòu d’Ari – « Château neuf d’Ary » – a précédé l’appellation Castelnaudary,...
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est un bon exemple !
Mme Colette Mélot, rapporteur. ... et Brageirac ne s’appelle Bergerac que depuis peu.
Les vieilles chartes, les cartes, les cadastres et la littérature en témoignent, vous l’avez rappelé, monsieur Courteau.
M. Jean-Jacques Mirassou. Excellemment rappelé !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Ainsi, la commission de la culture vous proposera un amendement visant à améliorer la rédaction de l’article unique, afin de pouvoir se prononcer en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. Jean-Louis Carrère. Qu’a pla parlat !
M. Claude Bérit-Débat. Qu’at a pla dit !
M. Jean-Louis Carrère. Qu’em d’accorts !
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Atencion ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. Le ministre va s’exprimer en langue régionale ! (Sourires.)
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, monsieur le sénateur Courteau, madame le rapporteur Colette Mélot, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi aujourd’hui soumise à votre examen vise à donner aux langues régionales de France une visibilité dans l’espace public. C’est la première fois qu’une mesure légale est envisagée pour donner à lire des noms de lieux dans leur forme traditionnelle et dans la langue qui les a façonnés.
Pour nombre d’entre nous, ce peut être un sujet d’étonnement que des villes ou villages de France aient la possibilité d’avoir un nom dans une autre langue que le français, tant l’idée est enracinée en nous d’une adéquation parfaite de la langue française avec le territoire national.
Nous acceptons volontiers que le français déborde un peu sur les pays voisins et nous évoquons volontiers la féconde dispersion du français dans le monde. Mais que l’on parle d’autres langues dans de larges zones de notre pays et que le français y soit d’implantation récente, voilà qui ne laisse pas de nous troubler...
C’est pourtant une évidence : les limites politiques ne coïncident pas avec les limites linguistiques et, depuis toujours, on parle en France d’autres langues que le français. Telle est la vérité profonde qui nous est rappelée dans cette proposition de loi.
C’est donc à une opération de mise au jour, de mise en lumière, que nous invitent le sénateur Courteau et ses collègues : le dévoilement d’une réalité cachée.
Sous l’habillage uniforme des appellations officielles que portent les panneaux indicateurs à l’entrée de nos villes se dissimulent bien des témoignages de la pluralité linguistique du pays.
D’autres noms se cachent sous les noms familiers qui nous portent à lire ou à relire l’histoire des langues dans notre pays.
Les noms de ville disent la France dans sa diversité ; ils parlent flamand, breton, occitan, corse, basque, créole, normand, mais c’est le plus souvent sous une forme francisée, adaptée à la phonétique et à la graphie de la langue commune.
Ainsi écrira-t-on les sons comme on le fait habituellement en français, et non selon la tradition d’écriture de la langue concernée. Millau s’écrit avec « ll », et non Milhau avec le digraphe « lh » de l’occitan. Polignac s’écrit avec le groupe « gn » et non Polinhac avec le « nh » original. Voilà pour la graphie.
Pour la prononciation, l’adaptation consistera à ramener des sons inconnus à des sons approchants en français ou à les prononcer à la française. Ainsi la diphtongue « aw » de Millau est-elle prononcée « o », le « ow » de Castelnòu devient le « au » de Castelnau et le « tch » de Cervione devient le « s » de Servione. Il existe aussi des cas de traduction pure et simple, par exemple lorsque Castelnòu devient Châteauneuf.
Dans ce dernier cas, on constate que la traduction se fait généralement de la langue première vers le français. Il ne convient alors pas de parler de « traduction en langue régionale ». Le libellé primitif de la proposition de loi inverse l’ordre des choses. C’est bien le français qui est le plus souvent une traduction ou une adaptation de la langue régionale.
Ces interventions ont conduit à une nomenclature officielle unifiée, et c’est sans doute heureux pour l’unité de notre pays. En dehors de quelques zones périphériques, l’Alsace, par exemple, qui ont globalement conservé les noms originaux de leurs communes, la toponymie officielle se sépare parfois notablement de la toponymie authentique.
Il est donc parfaitement légitime que, dans les régions où une langue distincte reste en usage, nos concitoyens souhaitent la voir apparaître sur la voie publique. Je ne vois rien là de répréhensible, bien au contraire.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de le dire aux assemblées par la voix de mes collègues du Gouvernement, je suis attaché à cette pratique déjà ancienne, d’ailleurs, et largement répandue qui consiste à faire figurer sur un panneau le nom premier d’une agglomération à côté de sa version française.
Il me plaît et il m’importe de savoir que, sous Le Guilvinec se cache Ar Gelveneg, et que Guingamp dissimule à peine Gwengamp, ce qui, au passage, me donne l’occasion d’apprendre que gwenn, qui entre également dans la composition d’autres toponymes bretons, signifie « blanc ». Il en est de même pour le lann de Landerneau ou de Landévennec qui signifie « l’ermitage » et pour le plou de Plougastel ou de Plougrescant qui veut dire « paroisse ». Quant à Dunkerque, Duyn Kerke, n’est-ce pas beau, « l’église des dunes » ? (Sourires.)
Loin de constituer un quelconque repli identitaire, la signalisation bilingue est, au contraire, un dévoilement identitaire. Elle nous donne à voir notre pays pour ce qu’il est aussi : le foyer de langues diverses. La manifestation publique des langues de France révèle un des visages de la France. C’est un miroir qui nous renvoie l’image plus fidèle de la nation, politiquement une et culturellement plurielle.
Faut-il pour autant légiférer afin de réglementer l’installation de panneaux indiquant le nom d’une agglomération ? (Oui ! sur les travées du groupe socialiste.) Cette procédure peut paraître bien lourde à certains, pour un usage courant qui, jusqu’ici, n’avait pas posé la moindre difficulté.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Jusqu’ici...
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Vous le savez : je me méfie du recours intempérant à la loi pour régler le moindre problème (Exclamations sur les travées du groupe socialiste), et celui-ci ne me paraissait pas a priori être du domaine de la loi.
Je m’en tiendrais volontiers au principe selon lequel ce qui n’est pas interdit est autorisé...
M. Gérard Longuet. Principe fort libéral !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. ... et, par conséquent, si elles le souhaitent, les collectivités peuvent garder en toute liberté l’initiative de signaler leur nom en langue régionale, comme elles le font en français.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il a été dit que non !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. En vertu de ce principe, d’ailleurs, nombre de panneaux de rue sont apposés en français et en langue régionale, sans que quiconque s’en émeuve, bien au contraire.
M. Ivan Renar. C’est différent !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Mais je n’ignore pas, monsieur Courteau, que votre proposition fait suite à une décision de justice qui a ordonné à une municipalité de retirer les panneaux indicateurs donnant le nom de la ville qu’elle administre en occitan. En légalisant la pratique de la double signalisation, il s’agit pour vous d’éviter que les contentieux ne se multiplient.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Cela pourrait nous acheminer vers une autre philosophie du droit, selon laquelle n’est autorisé que ce qui est explicitement prévu par la loi, ce qui serait regrettable.
Sans doute faut-il se résoudre à passer par la loi dans le cas qui nous occupe aujourd’hui. Il peut être utile, ponctuellement, de préciser les choses, étant entendu que votre proposition de loi ne concerne que les panneaux d’entrée et de sortie des agglomérations, et non l’ensemble de la signalisation routière qu’un bilinguisme généralisé ne contribuerait certes pas à simplifier.
Mais, ainsi que vous l’avez souligné, madame le rapporteur, on ne saurait l’interpréter de manière restrictive pour tous les autres panneaux, de rue notamment, en vertu de cette autre philosophie du droit que je dénonçais tout à l’heure.
Le Gouvernement ne s’opposera donc pas à l’adoption d’un texte qui aurait pour effet de donner pour la première fois, et en propres termes, droit de cité aux langues régionales,...
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien et merci !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. ... dans la lignée de l’article 75-1 de la Constitution, qui les a récemment reconnues comme patrimoine de la France.
Je vois dans cette affaire de panneaux indicateurs l’occasion de donner consistance à une disposition constitutionnelle qui, sans cela, risquait de rester dans l’universel abstrait des principes, d’autant plus affirmés et vénérés que dépourvus de toute application.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est vrai !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, la mondialisation, par les effets d’uniformisation qu’elle induit, a pour conséquence paradoxale de faire de la diversité une valeur. La visibilité des langues de France n’est pas seulement un tribut que nous rendons à notre histoire, c’est désormais aussi un enjeu de modernité et d’attractivité.
À l’heure où tout tend à s’égaliser dans un univers qui menace de devenir unidimensionnel, qui ne se réjouit de voir, d’entendre, que tel territoire ne ressemble pas tout à fait à son voisin, en France comme ailleurs ? La pluralité des langues et des cultures qui s’expriment dans ces langues est une chance pour la France !
Dans ces conditions, et pour autant que les exigences de sécurité routière soient respectées, l’initiative que vous avez prise visant à autoriser pour les entrées et les sorties de ville une signalisation conjointe en français et en langue régionale recueille l’accord du Gouvernement, sous réserve de l’adoption de l’amendement déposé par Mme le rapporteur, au nom de la commission. (Applaudissements.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, il est quinze heures quinze.
Je vous rappelle que le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République sera clos à quinze heures trente-cinq.
Il vous reste donc vingt minutes pour voter.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de plaisir que je m’adresse à vous en cet instant, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, j’ai enseigné, dans une vie antérieure, l’occitan,…
M. Claude Bérit-Débat. Très bonne introduction !
M. François Fortassin. … et j’en conserve des souvenirs très précis. Ensuite, je vois dans ce texte l’occasion de réunir, de façon très concrète, Catalans, Languedociens et Gascons,…
M. Jean-Louis Carrère. Et Basques !
M. Ronan Kerdraon. Et Béarnais !
M. Philippe Paul. Et les Alsaciens ?
M. Jackie Pierre. Oui, et les Alsaciens ?
M. François Fortassin. … ainsi que Béarnais et Bretons, dans une joyeuse diversité culturelle que chacun souhaite bien entendu défendre.
Je voudrais aussi féliciter notre excellent collègue Roland Courteau de son initiative. En effet, cette proposition de loi n’était pas nécessaire avant le jugement du tribunal administratif de Montpellier, mais, dès l’instant où cette décision a été rendue, tous ceux qui sont attachés à la culture régionale et à la décentralisation se devaient de réagir. C’est bien ce que nous faisons actuellement.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. François Fortassin. J’ai apprécié la position équilibrée de la commission de la culture et je félicite à ce propos Mme le rapporteur.
Il n’est un secret pour personne que M. le ministre de la culture est un puits de science, mais nous ne savions pas qu’il était aussi un puits de culture régionale !
M. Ronan Kerdraon. Flatteur !
M. François Fortassin. Mon cher collègue, il est très rare que nous flattions les ministres ! (Sourires.) Pour une fois que nous pouvons être totalement sincères, ne boudons donc pas notre plaisir ! (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Personnellement, je me félicite de voir cette proposition de loi examinée aujourd’hui par le Sénat. Toutefois, nous devrons éviter certains écueils, en particulier dans les zones frontalières, où la nécessité et la volonté d’utiliser deux langues peuvent se faire jour.
Par exemple, dans le Val d’Aran, situé hors de nos frontières, mais si proche de ma vallée natale, on parle non seulement le catalan, qui est la langue officielle, mais aussi l’aranais et le castillan.
Il convient donc d’éviter de multiplier, dans certaines zones sinon de conflits du moins de confluence, le nombre de langues utilisées.
Et mon ami d’origine béarnaise Claude Bérit-Débat ne parle pas tout à fait le même gascon que celui qui est utilisé dans mes Pyrénées. Or, bien entendu, chacun revendique la paternité de la langue officielle.
Par ailleurs, nous devrons éviter d’aller trop loin en matière de « traduction ». En effet, n’oublions pas que ces langues régionales riches et variées sont l’héritage de civilisations agricoles et rurales. Or il est difficile de traduire convenablement en gascon certains termes, qu’il s’agisse de la « magnéto » de la voiture, de la « fracture numérique » ou encore du « centre de télécommunications ». Un tel exercice n’aurait d’ailleurs pas grand sens !
Il faut expliquer à tous les régionalistes, « occitanistes », provençaux et autres picards que, à l’évidence, et ce n’est pas forcément être jacobin que de le reconnaître, certaines évolutions sont acceptables – nous les défendons bec et ongles -, tandis que d’autres le sont moins, car elles contribueraient, me semble-t-il, à affaiblir le projet que nous portons, les langues que nous défendons et la culture que nous entendons promouvoir.
Ces précisions étant apportées, c’est avec grand plaisir que je voterai, comme la majorité des membres du RDSE, cette proposition de loi ainsi que l’amendement que vous avez déposé, madame le rapporteur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher Frédéric Mitterrand, mes chers collègues, le débat que nous engageons va bien au-delà de l’intitulé de la proposition de loi qui nous est soumise.
Les langues et les cultures régionales participent de la diversité linguistique et culturelle de notre pays. Je me suis toujours attaché à défendre cette diversité, car elle est source de richesse. Il faut la préserver en permettant la pratique et le développement des langues régionales. Je crois cette volonté quasi unanime aujourd’hui en France.
Pour autant, on ne saurait privilégier la défense des langues régionales au détriment de la langue de la République, qui nous permet encore, comme dit le poète, de « chanter La Marseillaise pour toute l’humanité ».
Je reste, en tant que républicain et citoyen français, fermement attaché à la langue nationale qu’est le français, mais je ne pense pas que cette défense se conçoive en opposition aux langues régionales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Au contraire, la plus grande bataille à mener aujourd’hui pour les défenseurs de la francophonie est celle de la lutte contre l’uniformisation culturelle et linguistique, les deux perspectives allant souvent de pair. La mondialisation impose l’anglais comme langue « universelle »,…
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Eh oui !
M. Ivan Renar. … et ce au détriment du développement du français, dont l’usage ne cesse de s’éroder, notamment au sein des institutions internationales et européennes, qui placent pourtant notre langue au rang des langues officielles.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. En effet !
M. Ivan Renar. Face à l’hégémonie de l’anglais, il nous faut consacrer la place du français sur l’échiquier international.
La langue française est un instrument d’unité de notre pays, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539. Ce texte a en effet permis de garantir les droits de chacun, en imposant l’usage du français dans les tribunaux et dans les parlements.
Désormais, l’article 2 de la Constitution consacre en tant que principe de souveraineté le fait que « la langue de la République est le français », ce qui permet à la République d’assurer l’égalité devant la loi de chaque citoyen « sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Historiquement, cette langue unique fut consacrée non sans mal, trop souvent dans une opposition violente aux langues régionales.
Mais force est de constater que la problématique n’est plus la même aujourd’hui. La France n’est pas de ces pays qui empêchent, violentent et persécutent des minorités ethniques et régionales.
J’adopte pour ma part, à l’égard des langues régionales, une neutralité bienveillante : il s’agit non pas d’imposer leur pratique et leur enseignement ou de les interdire, mais de leur donner les moyens d’exister en tant qu’éléments constitutifs de la richesse culturelle de notre pays et de son patrimoine, car les langues régionales sont, comme les autres langues, des vecteurs d’histoire, d’ouverture et d’identité. Toutefois, il ne faut pas en faire de nouveaux ferments – ils sont déjà trop nombreux ! – d’un repli identitaire.
Comme j’avais déjà eu l’occasion de l’affirmer en 2008 lors des débats sur la révision constitutionnelle, si cette diversité doit être préservée, le fait d’inscrire ces particularismes dans les principes fondateurs de la République, au sein des premiers articles de la Constitution, pourrait se révéler dangereux, car cela mettrait à mal l’unité du pays en renforçant les communautarismes.
L’article 1er de la Constitution consacre ce qui unit et rassemble et non ce qui différencie et divise.
Garantir l’expression des particularismes, oui, mais dans la sphère privée ! Il s’agit d’autoriser sans consacrer, de garantir l’unité sans pour autant uniformiser. Car l’unité linguistique signifie non pas le rejet des différences, mais la possibilité de voir émerger un espace public commun. De nombreuses langues étrangères et régionales sont pratiquées en France. Rien ne vient les entraver, mais une seule langue est reconnue : le français.
D’ailleurs, à l’heure actuelle, nous nous efforçons de promouvoir les langues et cultures locales par l’enseignement facultatif des langues régionales au lycée.
Je m’indigne bien volontiers du manque de moyens consacrés à l’éducation nationale et, donc, à l’enseignement facultatif des langues régionales et des langues étrangères autres que l’anglais et l’espagnol. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est vrai !
M. Ivan Renar. Je partage, en tant que représentant des collectivités locales, leur volonté et leur combat, indispensables pour faire vivre et rayonner ces cultures.
En 2008, les langues régionales ont été reconnues par la Constitution, dans son article 75-1, éléments constitutifs du patrimoine national. Cette évolution, qui a permis de reconnaître leur importance, a également créé un instrument au service de revendications régionales toujours plus poussées.
Aujourd’hui, s’appuyant notamment sur cette constitutionnalisation des langues régionales, l’article unique de la proposition de loi qui nous est soumise prévoit que les panneaux apposés sur la voix publique pourront être complétés d’une inscription de la traduction du nom de l’agglomération en langue régionale.
Mais demain ? Au service de quelle cause la nouvelle reconnaissance des langues régionales sera-t-elle utilisée ? Il convient de rester vigilants en la matière, car tout se passe comme si, à l’heure de la mondialisation, le repli identitaire et la résurgence des mouvements nationalistes, communautaires et indépendantistes constituaient une réponse à la perte de lisibilité et de signification des frontières, ainsi que des repères nationaux et culturels.
Dans le débat qui nous agite aujourd’hui, je veux dire ma crainte que nous n’ouvrions la voie à des revendications dont le nombre et l’ampleur seront exponentiels. C’est donc avec de grandes précautions que je prends position – ou avec cette main tremblante que conseille Montesquieu.
Cette proposition de loi fait suite à la décision du tribunal administratif de Montpellier du 12 octobre 2010 ordonnant la suppression des panneaux d’agglomération en occitan dans la ville de Villeneuve-lès-Maguelone. Ils ne constituaient qu’une traduction, puisqu’ils étaient placés sous les panneaux en langue française.
Ce n’est pas à proprement parler l’utilisation de la traduction française qui a été condamnée. Le tribunal a en effet considéré que la pose de panneaux en langue régionale sous les panneaux libellés en français nuisait à la clarté de l’information et ne répondait pas aux objectifs de sécurité routière.
Cependant, cet argument pourrait être utilisé pour supprimer tous les panneaux faisant mention en langue régionale d’une entrée ou d’une sortie de ville. Il pourrait devenir un instrument de lutte active contre les langues régionales.
Nous souhaitons, nous, protéger et développer les langues régionales sans que soient créées des différences de droit fondées sur la locution ou sur un quelconque particularisme.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ne dit pas autre chose quand il affirme que « leur usage et leur pratique ne peuvent remettre en cause les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »
Bien entendu, l’adoption de cette proposition de loi ne constitue pas une menace à cet égard. Sa portée me semble même extrêmement limitée, puisqu’elle ne vise qu’à garantir par la loi la possibilité de traduction des panneaux d’entrée et de sortie de ville en langue régionale.
La rédaction de l’article de ce texte doit d’ailleurs être précisée, afin de limiter réellement ces traductions aux seuls panneaux d’entrée et de sortie de villes. Nous voterons donc l’amendement déposé par Mme le rapporteur, qui permet de régler ce problème.
En l’état, cette proposition de loi ne porte atteinte à aucun des principes fondamentaux de la République que j’évoquais. Je ne vois donc aucune raison de s’y opposer.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. Ivan Renar. Nous voterons donc ce texte, mais en réitérant notre appel à la prudence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.
M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est pour vous dire l’accord du groupe de l’Union centriste, mais aussi la perplexité que ce texte a fait naître, que je m’exprime aujourd’hui devant vous.
Une proposition de loi visant à consacrer explicitement le droit des communes à disposer des panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en français et en langue régionale ? Oui, bien sûr !
Comme vous pouvez vous en douter, mes chers collègues, le Breton que je suis ne peut être que particulièrement sensible à cette question,…
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. On l’espère !
M. Joseph Kergueris. … d’autant que le département français que je représente ici est le seul à ne pas porter un nom français et à être désigné en breton, langue régionale qui m’est chère entre toutes. Vous le savez, en breton, Morbihan signifie « petite mer ». C’est vous dire si je me sens concerné !
Or, en préparant ce débat, je me suis rendu compte que l’appellation choisie par les constituants de 1789, si je ne m’abuse, était quelque peu en contradiction avec l’article 3 de la loi du 4 août 1994 : en effet, le Morbihan est le seul département à faire l’objet, à l’entrée, d’une « annonce faite sur la voie publique », « destinée à l’information du public » mais en langue bretonne, et non pas en langue française !
Qu’importe, cela ne doit pas nous empêcher de vivre !
Le vif intérêt que ce texte a suscité en moi s’est cependant doublé non pas d’inquiétude, mais d’une relative perplexité. En Bretagne, la plupart des communes ont déjà installé des panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération bilingues et les départements ont choisi depuis de nombreuses années d’installer une signalétique bilingue, laquelle a la particularité de ponctuer notre vie régionale à l’intérieur de la République.
Ces agglomérations sont-elles en infraction ? À mes yeux, la réponse est négative. Et là réside le paradoxe, puisque c’est l’exposé des motifs de cette proposition de loi qui m’en a convaincu.
Avec tout le respect que j’ai pour les auteurs de ce texte, je dois leur dire en effet que c’est la première fois que je vois l’exposé des motifs d’une proposition de loi démontrer avec autant d’efficacité le caractère relatif de son utilité !
Comme l’expliquent très bien les auteurs, ni la loi ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’interdisent l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération bilingues.
Ainsi, comme vous l’avez signalé, madame le rapporteur, la combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française permet cette pratique, ce qu’ont confirmé les Sages de la rue de Montpensier dans leur décision du 29 juillet 1994 relative à la loi précitée.
Dans ces conditions, et en vertu du principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, pourquoi une loi ?