Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique qui a été déposée par nos collègues Louis-Constant Fleming et Michel Magras, et que nous examinons aujourd’hui, est spécifique pour deux raisons.
D’une part, elle vise à l’approbation de conventions fiscales proches du modèle des conventions fiscales habituellement passées entre la France et des pays tiers, mais, dans ce cas précis, conclues entre l’État et trois collectivités territoriales d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution : Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française. Elles se distinguent donc des « classiques » conventions fiscales internationales.
D’autre part, c’est un projet de texte de nature organique. À ce titre, il aurait pu être renvoyé devant notre commission des lois. Cependant, s’agissant de conventions exclusivement fiscales, la conférence des présidents l’a renvoyé à juste titre devant la commission des finances.
En préambule, je veux souligner le fait que les quatre conventions fiscales visées par ce projet de loi organique appartiennent à deux catégories distinctes.
L’article 1er a pour objet l’approbation d’une convention fiscale « classique » avec Saint-Martin, visant à éviter la double imposition des contribuables.
Les articles 2, 3 et 4 tendent respectivement à approuver des accords avec Saint-Martin, la Polynésie française et Saint-Barthélemy, qui sont de simples accords d’assistance administrative et d’échanges de renseignements dont la portée est donc plus limitée.
Après une brève introduction, je vous présenterai donc successivement la convention fiscale visant à éviter les doubles impositions avec Saint-Martin, puis, de manière groupée, les trois accords d’assistance administrative passés avec Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française.
La première question qui se pose est la suivante : pourquoi signer des conventions fiscales avec des collectivités territoriales d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, collectivités qui sont, comme je l’ai rappelé, dans une situation différente de celle des pays étrangers ?
La raison est que les compétences de ces collectivités qui sont régies par des lois organiques englobent une large compétence fiscale qui s’exerce sur leur territoire. Leur situation par rapport au reste de la France est donc proche de celle des pays tiers au regard de notre pays.
Sans convention fiscale, comme pour les pays tiers, les résidents de chaque territoire risquent d’être soumis à une double imposition sur certains de leurs revenus et sur leur patrimoine.
Seconde question : pourquoi un texte de nature organique ?
C’est le Conseil constitutionnel qui a imposé cette règle dans un avis de 2010. Il a en effet jugé, à juste titre me semble-t-il, que les conventions fiscales pouvaient être de nature à remettre en cause les modalités d’exercice par les collectivités d’outre-mer concernées de leurs compétences fiscales. Or les compétences, notamment fiscales, de ces collectivités, leur sont confiées par une loi organique. Il est donc logique qu’une loi organique vienne également approuver les conventions prévoyant les modalités d’exercice de ces compétences.
En outre, la loi organique du 21 février 2007, qui a transformé Saint-Martin et Saint-Barthélemy en collectivités territoriales d’outre-mer à part entière, régies par l’article 74 de la Constitution – elles faisaient précédemment partie intégrante de la Guadeloupe – a explicitement prévu la signature de conventions fiscales avec ces deux territoires en vue de prévenir les doubles impositions. L’exercice auquel nous nous livrons aujourd’hui est donc la suite logique de l’évolution institutionnelle de ces collectivités.
Venons-en au principal sujet de cette proposition de loi organique : la convention fiscale visant à éviter les doubles impositions, signée entre l’État et Saint-Martin.
Des conventions de ce type ont déjà été adoptées avec les autres collectivités d’outre-mer disposant déjà d’une compétence fiscale : la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore Mayotte.
Pourquoi sommes-nous aujourd’hui appelés à approuver une convention avec Saint-Martin et non avec sa voisine Saint-Barthélemy ? Pour la bonne et simple raison que Saint-Barthélemy, qui dispose également d’une large compétence fiscale, n’a pas mis en place de fiscalité directe sur son territoire. Il en résulte que les doubles impositions sont impossibles entre l’État et Saint-Barthélemy, puisque cette dernière collectivité n’impose pas.
En revanche, Saint-Martin est dans une situation économique, sociale et financière bien moins favorable que sa voisine. L’île a donc prévu un régime fiscal proche, en de nombreux points, de celui qui est appliqué par l’État. Il en résulte des risques de doubles impositions, ce qui explique la conclusion de la convention fiscale que nous examinons aujourd’hui.
La convention fiscale avec Saint-Martin s’est largement inspirée du modèle prévu par l’OCDE, agrémenté des adaptations habituelles que la France ajoute à ce modèle, lors de la négociation de ses accords fiscaux avec des pays tiers.
Je ne commenterai pas en détail les dispositions de ce modèle et je vous renvoie pour cela aux excellents rapports de notre collègue Adrien Gouteyron sur les nombreuses conventions fiscales conclues entre la France et des pays étrangers. Je relève uniquement que le choix de prendre pour base de négociation le modèle de l’OCDE a l’avantage de permettre de couvrir l’ensemble des champs fiscaux et d’aboutir à une convention qui pourra servir de référence pour celles qui seront passées à l’avenir entre l’État et des collectivités territoriales d’outre-mer.
Je m’attacherai donc à décrire les modifications dont le modèle de l’OCDE a fait l’objet et qui constituent la spécificité de la convention conclue avec Saint-Martin.
Premier point ayant fait l’objet de modification : il a fallu, de manière générale, adapter la convention fiscale, car elle est d’une nature différente de celle d’une convention internationale. Ainsi, par exemple, l’article 3 de la convention fiscale a été modifié par rapport au modèle de l’OCDE pour faire mention non pas d’« États contractants », mais de « territoires ». De même, l’article 23 de la convention présente une spécificité, puisqu’il prévoit qu’une loi organique sera nécessaire pour la dénoncer, tout comme une loi organique est nécessaire pour la conclure.
Deuxième point ayant fait l’objet d’adaptations : il a fallu prendre en compte le fait que la compétence fiscale de Saint-Martin n’est pas aussi étendue que celle d’un État tiers indépendant. Ainsi, l’article 2 de la convention fiscale ne vise pas les prélèvements obligatoires opérés au profit de la sécurité sociale, car Saint-Martin ne dispose pas de compétence fiscale en cette matière.
Troisième point ayant nécessité des modifications : il s’agit de l’existence d’une règle de résidence fiscale particulière à Saint-Martin. Depuis la loi organique de 2007, qui a créé la collectivité, les règles de résidence fiscale à Saint-Martin diffèrent des règles habituellement applicables à l’échelon international. En effet, il faut cinq ans de résidence sur le territoire saint-martinois pour qu’un contribuable français puisse être considéré comme un résident fiscal local et non plus comme un résident fiscal de l’État. Cette disposition particulière a été adoptée pour prévenir les abus qu’aurait pu engendrer la création d’un régime fiscal spécifique. Cette règle de résidence n’est pas sensiblement modifiée par la convention fiscale. Elle a toutefois nécessité que le modèle de l’OCDE soit adapté en plusieurs points pour la prendre en compte.
J’en viens au quatrième et dernier point, le plus important me semble-t-il, qui a fait l’objet de modifications par rapport au modèle classique des conventions fiscales conclues par la France : il s’agit des modalités d’imposition des fonctionnaires de l’État. Habituellement, les conventions prévoient que les fonctionnaires de l’État en poste à l’étranger, essentiellement les diplomates, voient leur traitement imposé par la France et non par l’État dans lequel ils résident. Au cours des négociations avec Saint-Martin, il est apparu que l’application de la même règle au cas de Saint-Martin aurait des conséquences bien différentes.
En effet, on compte à Saint-Martin près de 2 000 fonctionnaires sur une population active d’environ 15 000 personnes. Ce chiffre paraît important, mais les estimations à l’échelle nationale font apparaître à peu près les mêmes proportions.
Priver la collectivité saint-martinoise de la possibilité d’imposer ces fonctionnaires est donc apparu difficile, notamment au regard des difficultés financières qu’elle rencontre.
Au final, la convention prévoit donc de les assujettir au régime applicable aux salariés du secteur privé. Ils sont par conséquent imposables, lorsqu’ils sont résidents fiscaux à Saint-Martin, par la seule collectivité de Saint-Martin.
Cette disposition conduira à une réduction des recettes fiscales de l’État, que les services de la Direction de la législation fiscale estiment entre 1 et 2 millions d’euros par an. Elle me semble toutefois justifiée, notamment par la situation financière de Saint-Martin. Un récent rapport de l’Inspection générale des finances, l’IGF, pointe ses difficultés financières, en particulier son déficit de trésorerie de 25 millions d’euros.
Ces difficultés résultent directement de la ressource que représentait l’octroi de mer, dont Saint-Martin ne bénéficie plus depuis qu’elle ne fait plus partie de la Guadeloupe. Il me paraît donc souhaitable de donner à cette collectivité d’outre-mer les marges de manœuvre fiscales qui lui seront nécessaires pour assainir sa situation. À défaut, nous savons tous d’ailleurs que l’État serait appelé en dernier ressort pour remédier aux difficultés financières de la collectivité de Saint-Martin. Je profite d’ailleurs de cette intervention pour relayer le souhait, exprimé par notre commission des finances, que Saint-Martin se serve utilement de la compétence fiscale qui lui a été dévolue pour parvenir à redresser sa situation financière.
Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, telles étaient les observations que je souhaitais faire sur cette proposition de loi organique. Son adoption me semble indispensable pour régulariser la situation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi organique dont vous êtes saisis a pour objet la validation des accords conclus en matière fiscale entre la France et les collectivités de Polynésie française, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
La négociation de ces accords répond à deux objectifs majeurs : se conformer aux prescriptions de la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, approuvée le 27 mai 2009, et compléter les lois organiques de 2007 et de 2010 sur la question de la répartition des compétences fiscales, entre l’État et Saint-Martin.
Je tiens à rappeler que la précédente proposition de M. Fleming avait pour objet de clarifier la notion de résident de Saint-Martin, au sens fiscal du terme. Elle a ouvert la voie à la négociation d’une convention fiscale entre la France et Saint-Martin, conforme aux intérêts des deux parties. Cette convention est l’un des quatre textes que le Sénat est appelé à ratifier.
C’est le Conseil Constitutionnel, dans un avis du 21 janvier 2010, qui a précisé, comme l’a souligné M. le rapporteur, que les lois de validation des conventions fiscales prévues entre Saint-Martin et l’État devaient être prises en la forme organique. En effet, ces conventions sont conclues en application d’une compétence reconnue à la collectivité par la loi organique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez donc, pour la première fois, valider par une loi organique des conventions et accords à caractère fiscal conclus entre la France et des collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution.
Je tiens tout particulièrement à souligner que le texte qui vous est soumis est conforme à la répartition des compétences entre l’État et les collectivités. En effet, comme vous le savez, la loi organique du 27 février 2004 a donné à la Polynésie française l’exclusivité de la compétence en matière fiscale. De même, la loi organique du 23 février 2007 a accordé à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy la compétence en matière d’impôts et taxes.
Au titre de cette compétence, les collectivités recueillent des informations, notamment dans le cadre du traitement des dossiers des contribuables domiciliés sur leur territoire. Les conventions organisent la transmission de ces renseignements à l’État. Sans cette transmission, la France ne pourrait pas honorer les accords internationaux qu’elle a conclus dans le domaine de la transparence financière et de la lutte contre les paradis fiscaux. Il s’agit là d’un enjeu essentiel pour l’évaluation de la France par le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux, le GAFI.
Je veux redire ici avec force que cette démarche de transmission d’information à caractère fiscal est importante pour notre image internationale. Le Gouvernement a pris des positions sans ambigüité en matière de lutte contre les paradis fiscaux.
Certains se sont élevés contre la prétendue création de « paradis fiscaux », en particulier en outre-mer. Rien n’est plus faux. Selon la définition retenue par l’OCDE, un paradis fiscal se définit principalement par plusieurs critères cumulatifs. L’examen de ces derniers par les instances internationales, qu’il s’agisse de l’OCDE ou du GAFI, n’a jamais conduit à une conclusion négative pour la France, notamment, pour ses collectivités d’outre-mer.
Il n’y a pas de paradis fiscal en France et l’objet des textes qui sont présentés aujourd’hui est justement de disposer d’un cadre juridique conforme aux exigences les plus fortes du droit international en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux.
Venons-en à l’examen du texte.
L’article 1er de la proposition de loi organique est consacré à la convention entre l’État et la collectivité de Saint-Martin en vue d’éviter les doubles impositions.
Je m’arrêterai quelques instants sur la genèse de ce texte.
Dès mon arrivée rue Oudinot, comme le sait M. Fleming, mon attention a été appelée sur les difficultés d’application de la loi organique de février 2007. Elles se sont concentrées essentiellement sur la notion de revenus de source. C’est avec mon accord que cette question a été réglée par les dispositions de la loi organique du 25 janvier 2010. La collectivité peut désormais appréhender l’ensemble des revenus de source saint-martinoise.
L’équilibre issu de cette loi maintient cependant la distinction entre les personnes domiciliées à Saint-Martin depuis plus de cinq ans et celles qui y sont domiciliées depuis moins de cinq ans. Ces dernières ne sont pas considérées comme résidentes fiscales de la collectivité. Pour ces personnes, Saint-Martin ne peut donc taxer que les revenus de source locale. C’est pourquoi les revenus des fonctionnaires de l’État ne pouvaient pas être appréhendés par la collectivité.
C’est cette difficulté qui a été réglée dans le cadre de la convention. En effet, pour le règlement de la situation des fonctionnaires affectés sur le territoire de Saint-Martin, l’article 14 de la convention précise que, si l’emploi est exercé sur place, les traitements correspondants y sont imposables. Saint-Martin pourra désormais taxer l’ensemble des revenus du travail, y compris ceux des agents publics, lorsqu’ils sont perçus sur son sol.
Concernant Saint-Martin, j’évoquerai en outre l’accord d’échange de renseignements, conclu le 23 décembre 2009, qui fait l’objet de l’article 2 de la proposition de loi.
Comme je viens de le rappeler, la France est tenue, à l’échelon international, par de nombreuses obligations de coopération et d’échange de renseignements en vue de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
La ratification de cet accord nous permettra d’assurer le respect des obligations qui s’imposent à nous.
J’aborderai à présent l’article 3 du texte. La Polynésie est liée à la France par une convention fiscale de 1957 qui ne prévoyait pas, jusqu’à aujourd'hui, les modalités d’échange de renseignements pour la lutte contre la fraude fiscale. Il devenait nécessaire et urgent de définir le cadre de la coopération entre l’État et le territoire dans ce domaine.
Je le souligne, c’est avec une grande rapidité que, le 29 décembre 2009, soit à peine six mois après le vote de la LODEOM, les autorités de Polynésie ont négocié l’accord d’échange de renseignements qui est présenté aujourd’hui à votre approbation, mesdames, messieurs les sénateurs. J’y vois le signe de la volonté des Polynésiens d’améliorer la transparence et l’efficacité de leur système fiscal.
S’agissant enfin de Saint-Barthélemy, l’article 4 de la proposition de loi organique vise à autoriser l’approbation de la convention d’échange de renseignements conclue entre la France et cette collectivité le 14 septembre 2010. Je ne justifierai pas la nécessité de cet accord, car le contexte est comparable à celui que j’ai évoqué pour Saint-Martin.
À propos de Saint-Barthélemy, je veux insister sur l’importance de la convention qui la concerne. Le régime fiscal de l’île, très spécifique, a été établi pour répondre aux besoins de la collectivité et de ses habitants. En aucun cas il n’a été voulu comme un instrument d’optimisation fiscale au profit de personnes physiques non-résidentes.
Dans cet esprit, l’accord de renseignements traduit bien l’orientation adoptée par Saint-Barthélemy, qui lui permettra de participer, au même titre que les autres collectivités françaises, à la lutte contre la fraude fiscale.
C’est bien le message que nous envoient les autorités locales, en signant cet accord d’échange de renseignements. Elles nous rappellent ainsi que c’est dans le respect des lois de la République et des engagements de la France que les habitants de Saint-Barthélemy entendent vivre leur autonomie fiscale.
Vous l’avez compris, cette proposition de loi organique traduit une démarche responsable, dont l’objectif est double : il s’agit, d’une part, de renforcer la transparence et, d’autre part, de nous donner les moyens de lutter efficacement contre la fraude fiscale et le blanchiment.
Elle est aussi le fruit d’un exemplaire travail de collaboration entre l'État et ces trois collectivités, et je m’en félicite.
C’est pourquoi je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter la proposition de loi organique qui vous est soumise. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi organique qui nous est soumise est complexe.
En préambule, je dirai qu’elle fonctionne un peu comme une poupée russe. J’ai bien compris qu’il s’agissait au départ d’un accord entre l’État et Saint-Martin, auquel des accords concernant d’autres collectivités d’outre-mer ont été greffés. Mais il me semble que cela nuit à la lisibilité du texte. Sans doute aurait-il mieux valu prévoir plusieurs textes.
En effet, trois collectivités d’outre-mer sont concernées, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française. Elles ont pour seul trait commun d’être régies par l’article 74 de la Constitution, lequel prévoit – je le rappelle pour ceux qui liront le compte rendu des débats – que « les collectivités d’outre-mer […] ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République.
« Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’assemblée délibérante, qui fixe :
« - […] les compétences de cette collectivité ».
Par application de la Constitution, ces trois collectivités se trouvent ainsi proches, du point de vue du droit fiscal, de la situation de pays étrangers.
Le texte qui nous est soumis vise donc à autoriser l’approbation de quatre conventions entre l’État et ces collectivités, conventions qui ressortissent elles-mêmes à deux catégories.
Pour ce qui concerne Saint-Martin, collectivité d’outre-mer créée par la loi organique du 21 février 2007 et dotée d’une compétence fiscale similaire à celle d’un pays souverain, il s’agit d’éviter la double imposition des contribuables. Des conventions du même type, cela a été rappelé, ont déjà été adoptées avec les autres collectivités d’outre-mer disposant d’une compétence fiscale. Il ne s’agit donc pas d’une première !
Pour Saint-Martin, la Polynésie française et Saint-Barthélemy, il s’agit d’accroître la transparence, à savoir l’échange de renseignements et des accords d’assistance administrative, entre le régime fiscal de la métropole et celui qui est applicable dans chacune des trois collectivités. N’oublions pas que, jusqu’à la loi organique de 2007, Saint-Martin et Saint-Barthélemy faisaient partie intégrante de la Guadeloupe.
La convention fiscale établie entre l’État et Saint-Martin s’inspire largement du modèle prévu par l’OCDE ; elle est assortie des adaptations habituellement souhaitées par la France dans le cadre de la négociation d’accords fiscaux avec des pays tiers, ce qui explique que je prenne aujourd’hui la parole sur cette proposition de loi organique. En effet, la commission des finances, sous l’impulsion de M. Gouteyron, a entrepris depuis plusieurs mois un examen attentif des conventions fiscales signées avec des pays tiers et conformes au modèle OCDE.
Le choix de négocier à partir du document type établi par l’OCDE permet de couvrir l’ensemble des champs fiscaux et d’aboutir à une convention, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, qui pourra servir de modèle aux futures conventions du même type.
Il a toutefois fallu tenir compte du fait qu’il ne s’agit pas d’une convention internationale : ainsi, l’article 23 de la convention prévoit qu’une loi organique sera nécessaire pour la dénoncer, tout comme une loi organique est nécessaire pour la conclure.
M. le rapporteur y ayant fait allusion, je passe sur la règle de résidence fiscale particulière qui s’applique dans l’île. J’ajouterai simplement que la commission s’est interrogée sur le nombre de fonctionnaires en poste à Saint-Martin par rapport à la population totale, de 30 000 habitants, et à la population active. Après vérification, je me suis aperçue que les chiffres étaient à peu près équivalents à ceux qui sont relevés sur le territoire français. Il n’y a donc pas lieu de s’en émouvoir.
Selon la direction de la législation fiscale, cette mesure fera perdre de un à deux millions d’euros par an à l’État. Même s’il ne s’agit pas d’une grosse dépense, une telle estimation, qui va du simple au double, gagnerait à être affinée ! (M. le rapporteur s’exclame.) Je ne conteste pas cette décision, monsieur le rapporteur, compte tenu de la situation de cette collectivité. Je dis simplement que, par les temps qui courent, l’affectation de chaque centaine de milliers d’euros est examinée de près !
Cette somme contribuera à combler une petite partie du déficit de Saint-Martin, estimé entre 25 et 30 millions d’euros et dû à des difficultés financières et économiques. Soulignons en effet que, en quittant la Guadeloupe, la collectivité a perdu – cela pèse lourd ! – le bénéfice de l’octroi de mer. Il faut donc lui donner les marges de manœuvre financières nécessaires pour assainir sa situation, faute de quoi l’État serait appelé, en dernier ressort, à remédier à ses difficultés. Mieux vaut donc agir en amont qu’en aval ! Au demeurant, s’agissant de Saint-Martin, il conviendrait d’identifier, certainement dans un autre cadre, les facteurs de blocage en matière de développement économique endogène. Au cours de l’examen de la LODEOM, nous avions beaucoup insisté, avec mes collègues ultramarins, sur cette question.
J’en viens aux trois accords d’assistance administrative visés par les articles 2 à 4 de la proposition de loi organique, lesquels, reprenant le modèle fourni par l’OCDE, ont été enrichis pour faciliter les échanges de renseignements entre l’État et les collectivités concernées.
Je vois deux intérêts à la conclusion de tels accords.
En premier lieu, cela permettra à la France de répondre aux demandes de renseignements fiscaux provenant de pays tiers et concernant ces territoires.
En second lieu, ces conventions autorisent – c’est extrêmement important à mes yeux – les agents des services fiscaux à aller contrôler sur place, d’une part, les investissements ayant bénéficié de divers dispositifs de défiscalisation applicables outre-mer, que j’évoquerai tout à l’heure, et, d’autre part, les personnes vivant à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy mais ayant toujours la qualité de résidents fiscaux de l’État.
La LODEOM du 27 mai 2009 a grandement facilité la conclusion de ces accords fiscaux, puisque son article 15 prévoit que les dispositifs de défiscalisation spécifiques à l’outre-mer ne seraient applicables aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 2010 dans ces collectivités que si celles-ci étaient en mesure d’échanger avec l’État les informations utiles à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Cet article, d’après ce que l’on m’a dit, a beaucoup pesé dans la décision de la Polynésie française de signer un accord d’échange d’informations, alors que la directive européenne dite « épargne », dont on diffère sans cesse le réexamen et qui est destinée à mieux lutter contre les paradis fiscaux, ne lui était pas applicable.
Si je m’arrêtais là, mes chers collègues, vous penseriez que le groupe socialiste s’apprête à émettre un avis favorable sur ce texte.
M. Éric Doligé, rapporteur. C’est ce que nous attendons !
Mme Nicole Bricq. Cependant, celui-ci soulève des questions et, surtout, suscite de notre part certaines réticences.
Première interrogation, dès lors que l’on applique la convention OCDE issue de la résolution adoptée en avril 2009 lors du G20 de Londres, où chacun s’était engagé à lutter contre les paradis fiscaux, n’est-il pas légitime de s’interroger sur la situation qui prévalait avant la signature de ces conventions ? Avions-nous affaire à des territoires non coopératifs, autrement dit des paradis fiscaux ? M. Fleming est certain pour sa part, il vient de nous le dire, que tel n’est pas le cas.
Je tiens à vous rassurer, mes chers collègues : au sens des définitions adoptées par les instances internationales, les collectivités d’outre-mer françaises ne sont ni des paradis fiscaux ni des places de blanchiment. Toutefois, nous sommes dans un entre-deux, et je suis soucieuse de ce que nous ferons par la suite. A priori, il doit être plus facile de contrôler ces territoires, grâce à l’échange automatique de renseignements fiscaux – nous y serions plutôt favorables –, que de s’attaquer aux règles fiscales des îles Caïmans ou au secret bancaire du Liechtenstein !
Cependant, je veux rappeler la position constante du groupe socialiste en la matière : les règles de l’OCDE méritent d’être améliorées. La commission des finances a en effet pu le vérifier, en étudiant en détail les conventions passées avec des pays tiers. Elle a procédé, notamment, à des auditions régulières du secrétaire, qui se trouve être français, de l’un des groupes du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements, forum qui coordonne les contrôles. Bien que les règles de l’OCDE soient assez lâches, pour ne pas dire pire, elles ont le mérite d’exister et de constituer une référence internationale.
Il faut donc préjuger que les nouvelles conventions signées par la France faciliteront l’assistance administrative et le contrôle.
Deuxième interrogation, ces conventions signifient-elles qu’aucun contrôle n’existait auparavant ? Nous sommes très attachés – le groupe socialiste n’est pas seul dans ce cas, puisque M. le rapporteur général nous rejoint sur ce point – à ce que les dispositions de la loi de finances rectificative de décembre 2009 s’appliquent si l’on constate, en application de ces conventions fiscales, un défaut de coopération.
Je nuancerai toutefois mon propos, en souhaitant que la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, récemment mise en place après de longs mois de préparation, procède à des contrôles. Il est vrai que la France, vous l’avez dit, madame la ministre, ne devrait plus être suspectée d’entretenir en son sein des paradis fiscaux subventionnés par le budget de l’État, ces territoires bénéficiant par ailleurs de nombreuses mesures de défiscalisation.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, mon propos est équilibré : j’ai pesé le pour et le contre, pour en arriver à une position plutôt favorable.
Nous avons cependant deux réticences.
La première concerne la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy, qui fait l’objet de l’article 4 de la proposition de loi organique.
La situation de ce territoire n’est pas identique à celle de Saint-Martin qui rencontre des difficultés économiques et financières. Saint-Barthélemy, pour sa part, est beaucoup moins peuplé et, sans vouloir vexer personne, d’autant que mon collègue Michel Magras n’est plus là, bien plus « opulent ». Surtout, il n’y existe aucune fiscalité directe.
Nous voterons contre cet article 4. En effet, contrairement à Saint-Martin, qui a fait la démarche de déposer l’ensemble de sa convention, Saint-Barthélemy a procédé à une démarche a minima, et ce alors que la loi organique impose que la convention fiscale soit le plus rapidement possible effective et complète. Or elle ne l’est que sur un point. La convention fiscale est, en effet, l’un des cadres importants des relations entre l’État et les collectivités d’outre-mer et nécessaires pour la vie quotidienne des résidents.
Si nous votions l’article 4 tel qu’il est rédigé, nous ferions le choix délibéré de remettre aux calendes grecques la signature d’une réelle convention fiscale entre Saint-Barthélemy et l’État. Or cette convention fiscale est attendue par les habitants de Saint-Barthélemy qui, faut-il le préciser, ne roulent pas tous sur l’or. Si le territoire est « opulent », comme je l’ai dit, on n’y trouve pas que des riches !
Par ailleurs, il faut revenir sur le rôle de la défiscalisation dans ces territoires.
Notre collègue Roland du Luart, dans son rapport d’information de novembre 2002 intitulé La défiscalisation dans les départements et les territoires d’outre-mer, fait au nom de la commission des finances, pointait les risques engendrés dans ces territoires par les mesures de défiscalisation, ainsi que « l’absence de procédures de contrôle et le nombre incertain de sanctions ». Est-ce la meilleure manière d’aider ces territoires que de multiplier les sources de défiscalisation, autrement dit les niches fiscales ?
Aux niches fiscales, le groupe socialiste a toujours clairement préféré les subventions. C’est la position qu’il a toujours défendue dans les débats consacrés à cette question. Surtout, ces mécanismes de défiscalisation peuvent être propices à la fuite de capitaux, car la tentation est forte de mobiliser ces niches pour réinvestir dans un circuit légal des fonds qui ne le sont pas. Dès qu’il y a défiscalisation, le fisc est moins présent et, fort logiquement, moins regardant sur l’origine des fonds !
Il faut donner des moyens financiers à ces collectivités, en particulier à Saint-Martin pour que celle-ci puisse équilibrer son budget.
S’agissant de cette île, à laquelle vous êtes très attaché, mon cher collègue Fleming, j’ai entendu dire que la frontière entre ses parties hollandaise et française était largement virtuelle, les mouvements bancaires entre l’une et l’autre étant fréquents et peu contrôlés.
J’ajoute que la présence de casinos crée une suspicion certaine, car on sait très bien que ces établissements peuvent être utilisés pour « légaliser » des fonds d’origine illicite.
En conclusion, il faut espérer que cette proposition de loi organique permettra au fisc d’exercer un réel contrôle. La brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, issue de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative, étant désormais opérationnelle, il n’existe aucune raison, à nos yeux, pour qu’elle n’exerce pas ses prérogatives, autant qu’elle en a les moyens.
Le groupe socialiste votera contre l’article 4 relatif à la convention entre l’État et Saint-Barthélemy pour les raisons que j’ai indiquées. Par logique pure, nous nous abstiendrons sur le texte comme nous l’avons fait chaque fois qu’une convention fiscale de type OCDE avec des États ou des territoires étrangers nous était soumise.