Sommaire
Présidence de Mme Catherine Tasca
Secrétaires :
MM. François Fortassin, Marc Massion.
2. Organismes interparlementaires
3. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
4. Sondages. – Adoption d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Hugues Portelli, auteur de la proposition de loi ; Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois ; Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
MM. Christophe-André Frassa, François Fortassin, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy.
Clôture de la discussion générale.
MM. le ministre, le rapporteur.
Amendement no 1 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Thierry Foucaud, le rapporteur, le ministre. – Retrait.
Adoption de l'article.
Amendement no 2 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le ministre. – Retrait.
Adoption de l'article.
Amendement no 3 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Éliane Assassi, MM. le rapporteur, le ministre. – Retrait.
Adoption de l'article.
M. Hugues Portelli, Mme Jacqueline Gourault, M. Jean-Pierre Cantegrit.
Adoption de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
5. Accords entre l'État et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Polynésie française. – Adoption d'une proposition de loi organique (Texte de la commission)
Mme la présidente.
Discussion générale : MM. Louis-Constant Fleming, auteur de la proposition de loi ; Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances ; Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer.
Mme Nicole Bricq, MM. Thierry Foucaud, François Fortassin.
Clôture de la discussion générale.
M. Thierry Foucaud.
Adoption de l'article.
MM. Thierry Foucaud, le rapporteur.
Adoption de l'article.
M. Thierry Foucaud.
Adoption de l'article.
M. le rapporteur, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis-Constant Fleming, Christian Cointat, François Fortassin, Mme Nicole Bricq, M. Thierry Foucaud.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi organique.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Marc Massion.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Organismes interparlementaires
Mme la présidente. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de plusieurs organismes extraparlementaires en remplacement de sénateurs dont les mandats sont arrivés à échéance.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite :
- la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à proposer un candidat pour siéger en qualité de membre titulaire au sein de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages, en remplacement de M. Ambroise Dupont ;
- la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à proposer deux candidats, un titulaire et un suppléant, pour siéger au sein du conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, respectivement en remplacement de M. Robert del Picchia et de Mme Monique Cerisier-ben Guiga ;
- la commission des finances à proposer un candidat pour siéger au sein du conseil d’administration de l’Établissement public de financement et de restructuration, en remplacement de M. Roland du Luart.
Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
3
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du vendredi 11 février 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (n° 2010-99 QPC, n° 2010-100 QPC, n° 2010-101 QPC et n° 2010-102 QPC).
Acte est donné de ces communications.
4
Sondages
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des lois, de la proposition de loi sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral, présentée par M. Hugues Portelli (proposition n° 61, texte de la commission n° 277, rapport n° 276).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hugues Portelli, auteur de la proposition de loi.
M. Hugues Portelli, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de défendre devant vous est le fruit d’un travail collectif.
En effet, mon collègue Jean-Pierre Sueur et moi-même avons animé, dans le cadre de la commission des lois, une mission d’information sur les sondages et la démocratie, chargée d’étudier les moyens de rendre plus efficace et plus moderne une législation remontant pour l’essentiel à 1977 : c’était la grande époque des lois sur la transparence dans la vie politique, qui ont été à l’origine de nombreux organismes indépendants, dont la commission des sondages.
Cette mission a pu travailler très librement – avec le soutien précieux de plusieurs administrateurs du Sénat, que je remercie très chaleureusement au passage – et confronter ses analyses à celles des professionnels, qu’il s’agisse des responsables des instituts de sondage ou de ceux qui diffusent ces enquêtes dans la presse écrite ou audiovisuelle, mais aussi au point de vue des experts – statisticiens, politistes, sociologues –, avant que les résultats de ces investigations ne soient discutés dans le cadre de la commission des lois.
Au point de départ de cette mission, il y avait un constat : les sondages occupent une place centrale dans la confection de l’opinion publique de notre pays.
Chaque année, ce sont plus de mille sondages qui sont publiés en France. Ils traitent de sujets très divers, mais beaucoup d’entre eux sont relatifs aux questions électorales et politiques. Et encore ceux que nous évoquons aujourd'hui ne constituent-ils que la partie visible d’un iceberg qui comprend les études et les enquêtes demandées à titre privé par les partis, par le personnel politique, par les institutions de conseil à la décision politique. Bien entendu, ces sondages-là n’entrent pas dans le champ du texte soumis à notre examen, mais ils sont, en quelque sorte, le soubassement de ce dont nous débattons aujourd'hui.
Dans la mesure où les sondages occupent une place déterminante dans la vie publique, il est essentiel d’examiner attentivement la façon dont ils sont élaborés par les instituts et exploités par les médias.
J’évoquerai, tout d'abord, la réalisation de ces enquêtes.
Notre mission n’a rien trouvé à redire quant à la qualité du travail des instituts de sondages. Certes, nous avons discuté de la publicité qui pourrait être donnée à leurs méthodes, mais leur professionnalisme n’a pas été mis en cause. La preuve en est fournie par les résultats mêmes des enquêtes : en France, il est très rare que l’on y relève des erreurs manifestes, comme cela a été le cas à plusieurs reprises au Royaume-Uni, par exemple, au cours des trente dernières années.
Il faut donc plutôt s’interroger sur la façon dont les résultats sont publiés, traités par un premier média, puis cités ensuite par d’innombrables autres. En effet, le problème tient à ce que les médias, en reprenant les résultats d’un sondage, « oublient » souvent de donner les informations qui sont indispensables pour éclairer le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur.
Ce sont toutes ces questions que nous avons voulu aborder à l’occasion de cette mission, dont la présente proposition de loi reprend fidèlement les préconisations.
La commission des lois a très nettement amélioré le texte sur de nombreux points, en tenant compte des auditions qui ont été réalisées, mais aussi des éclairages apportés par ses membres. Je remercie en particulier Patrice Gélard, qui n’est pas présent aujourd'hui, mais qui avait été le rapporteur au Sénat de la loi du 19 février 2002 modifiant la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion. Il nous a fourni des éléments tout à fait précieux sur les dispositions qu’il lui semblait utile d’introduire dans le texte ainsi que sur les questions que nous n’avions pas spontanément abordées.
Mes chers collègues, Jean-Pierre Sueur vous exposera en détail les appréciations que la commission a portées sur ce texte. Pour ma part, je reviendrai sur les quelques dysfonctionnements que je me suis efforcé de corriger au travers de cette proposition de loi.
Premièrement, le qualificatif de « sondage » est utilisé abusivement pour désigner des consultations de lecteurs, d’auditeurs ou de téléspectateurs auxquels on demande ce qu’ils pensent de tel ou tel événement, sans respecter le moindre critère de représentativité des personnes interrogées. Souvent, les réponses à ces questions sont présentées sans grande précision comme le résultat d’une « enquête », voire d’un « sondage ».
Nous souhaitons donc que la définition précise qui figure dans ce texte permette en quelque sorte de labelliser les sondages et de déterminer quelles enquêtes appartiennent, ou non, à cette catégorie.
Il ne s'agit pas d’interdire quelque consultation que ce soit : toute la proposition de loi respecte très strictement la liberté d’expression et la liberté de la presse. Il ne s’agit pas de remettre en cause ces pratiques, mais nous considérons que ne doivent être qualifiées de « sondage » que des enquêtes qui respectent certains critères méthodologiques et sont réalisées à partir d’un échantillon représentatif, qui aura été défini selon des modèles statistiques reconnus.
Deuxièmement, nous nous sommes interrogés sur l’absence de transparence d’un certain nombre de sondages publiés, en ce qui concerne tant l’identité du ou des commanditaires que les questions posées.
Il est important de savoir qui a financé l’étude et qui a décidé de la publier tout simplement parce que, aujourd'hui, dès lors que ces enquêtes coûtent cher et que la presse est de moins en moins susceptible de les financer, nombre de sondages sont dits « omnibus », c'est-à-dire qu’un train de questions diverses est posé au même échantillon de personnes.
Pour les enquêtes de ce type, il s'agit donc, d'une part, de savoir qui a financé telle ou telle question et, d'autre part – ce point est également essentiel en termes de transparence –, de connaître l’intégralité des questions qui ont été posées.
En effet, mes chers collègues, imaginez que l’on pose dix questions et que l’on ne publie que les réponses apportées à trois d’entre elles, lesquelles se trouvent en outre à des endroits très différents du questionnaire. Dans un tel cas de figure, il est évident que l’on ne sait pas par quel cheminement le sondé est parvenu à la conclusion qui est la sienne.
Il importe donc de savoir comment l’enquête est fabriquée, c'est-à-dire quelles questions sont posées et comment la personne interrogée est amenée à prendre position.
Il est également important de savoir combien de personnes ont répondu, ou non. En effet, on sait très bien qu’il faut bien plus de mille personnes pour obtenir un résultat satisfaisant. Dès lors, même si l’échantillon des personnes interrogées au départ est à peu près représentatif, compte tenu des non-réponses, sa représentativité peut s’en trouver sensiblement altérée. Ainsi, on aura, en gros, respecté le critère des 900 ou 1 000 personnes à interroger, mais, au final, il ne sera pas sûr que, parmi les personnes ayant répondu, les différentes catégories socioprofessionnelles, par exemple, sont représentées de façon conforme à leur répartition dans la population.
Autrement dit, pour savoir si le sondage est représentatif, il convient aussi de connaître le pourcentage de réponses fournies à chaque question.
Troisièmement, les citoyens en général, même ceux qui s’intéressent aux sondages, méconnaissent le traitement dont ces sondages font l’objet. Or il existe une grande différence entre les résultats bruts et les résultats nets, particulièrement avec la méthode française des quotas.
En effet, les électeurs, hommes ou femmes, répugnent à avouer qu’ils votent pour des partis situés aux extrémités de l’éventail politique : cela a longtemps été le cas pour le parti communiste ; nous le constatons aujourd’hui avec le Front national, par exemple. Par conséquent, il est nécessaire de savoir comment un résultat brut de 8 % devient un résultat net de 18 % et selon quelle méthode les données sont éventuellement corrigées. Je pense à la technique dite de « la mémoire du vote », la plus utilisée, qui consiste à interroger de nouveau le sondé sur le vote qu’il a émis lors d’élections antérieures.
Les citoyens sont en droit d’avoir connaissance des méthodes de redressement et de calcul du résultat net. Celles-ci doivent donc faire l’objet de la publicité la plus large possible.
Quatrièmement, la distinction entre sondages électoraux et sondages politiques est toute relative.
Dans notre pays, pratiquement dès le lendemain d’une élection présidentielle, des sondages sont organisés sur l’élection présidentielle suivante. C’est encore plus vrai depuis que le mandat présidentiel a été réduit à cinq ans. D’une manière générale, des sondages électoraux ont lieu tout au long de l’année. Cependant, hors période électorale, les sondages électoraux portent non pas sur des décisions, mais sur des pronostics, des souhaits, voire sur la notoriété de tel ou tel leader politique.
Dans la mesure où la notion de « sondage électoral » est mouvante et varie suivant le moment où il est effectué, il est important que tous les sondages, qu’ils soient dits « politiques » ou « électoraux », soient soumis aux mêmes contrôles d’évaluation.
Certes, un sondage n’est pas toujours politique, mais une question le devient dès lors qu’elle entre dans le débat public. De la même façon, elle peut en sortir tout aussi rapidement au profit d’un autre sujet. Par conséquent, il est impossible de mettre à l’écart une catégorie de sondages politiques au prétexte qu’ils ne seraient pas strictement électoraux.
Cinquièmement, les sondages sont souvent conduits sur des hypothèses totalement fictives, notamment lorsqu’ils portent sur le second tour d’une élection, les sondeurs ne demandant même pas aux personnes interrogées ce qu’elles auraient fait au premier tour – c’est ce qui se passe actuellement. Or, en général, un électeur de second tour est aussi un électeur de premier tour et, même s’il n’est pas allé voter, il s’est tenu informé, ne serait-ce que pour conforter son intention de vote au second tour.
Par conséquent, il s’agit d’inciter fortement les instituts de sondages – car on ne peut les y contraindre : cela constituerait une atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de la presse – à intégrer dans les sondages de second tour la prise en compte des résultats des sondages de premier tour. .
Sixièmement, la proposition de loi tend à modifier la composition de la commission des sondages et renforce ses pouvoirs. Cette institution accomplit un bon travail, mais elle est débordée par les contrôles qu’elle doit effectuer. Vous m’objecterez que, avec cette proposition de loi, elle le sera plus encore. Non ! Les sondages étant souvent répétitifs, elle pourra opérer un tri entre les questions posées.
Il s’agit de consolider la représentation des experts au sein de cette commission et de prévoir que tous les membres qui la composent seront recrutés suivant des critères d’indépendance absolue : les juges seront désignés par leurs pairs et les experts par les autorités académiques dont ils sont membres. De ce fait, même si le texte modifie la composition de cette commission, personne ne pourra mettre en cause son indépendance.
Septièmement, enfin, sur le régime des sondages en matière électorale, la proposition de loi n’a procédé qu’à des modifications à la marge. Ainsi, elle reste fidèle à un point clé qui a donné lieu à des débats très nourris voilà quelques années, à savoir l’interdiction de publication de sondages la veille et le jour même du scrutin. L’objectif est clair : laisser aux citoyens un ultime temps de « recueillement », si j’ose dire, avant le vote.
Nous savons en effet que, de plus en plus souvent, ceux-ci se décident au dernier moment, quelquefois même en pénétrant dans le bureau de vote ; ç’aurait, paraît-il, été le cas d’un électeur sur quatre aux dernières élections présidentielles. C’est pourquoi, sans se faire trop d’illusions, il convient d’accorder à nos concitoyens ce moment de réflexion libre et indépendante. Certes, beaucoup d’entre eux regarderont les sondages de dernière minute sur les sites des médias des pays voisins ; il n’en reste pas moins que, en ce qui concerne la République française, les règles formelles seront respectées.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tel est l’objet de cette proposition de loi. J’espère que le Sénat adoptera ce texte et que, ensuite, nos collègues députés lui accorderont la plus grande attention. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi qu’au banc de la commission. – Mme Nicole Bonnefoy applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux d’abord saluer l’initiative prise par Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, de confier très régulièrement la rédaction de rapports d’information à des membres de la commission issus de la majorité et de l’opposition. Cette innovation a déjà porté ses fruits à plusieurs reprises.
Nous avons aujourd'hui l’illustration d’un tel travail parlementaire avec celui qu’Hugues Portelli et moi-même avons mené conjointement. Pendant plusieurs mois, nous avons procédé à de très nombreuses auditions et sommes ainsi parvenus à un ensemble de conclusions que nous avons pu cosigner et qui ont été adoptées par la commission. La proposition de loi qui vous est soumise constitue la traduction législative de ces conclusions. Modifiée par vingt-trois amendements, elle a été adoptée à l’unanimité par la commission des lois.
Je veux souligner, dans la suite des remarquables explications d’Hugues Portelli, que, sur le sujet qui nous réunit, notre ambition tient en un seul mot : transparence.
Aujourd'hui, il n’est pas un seul débat politique où l’on ne voie, au bout de quelques minutes, l’un des participants brandir tel ou tel sondage. Ces enquêtes ont pris une telle place dans le débat public qu’il est sage de veiller à ce qu’elles soient élaborées, réalisées, puis publiées en toute rigueur et en toute transparence.
Nous avons considéré que, sur bien des points, la loi de 1977 ne répondait plus à la situation actuelle. C'est la raison pour laquelle nous avons mis au point ce nouveau texte.
Monsieur le ministre, il ne vous a pas échappé que la loi de 1977 ne précisait nullement ce qu’était un sondage. C’est pourquoi nous avons proposé la définition suivante, fruit d’une longue réflexion : « Un sondage est une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon représentatif de celle-ci, qu’il soit constitué selon la méthode des quotas ou selon la méthode aléatoire. » Par sa clarté, cette définition permet de couvrir l’ensemble des sondages qui sont menés, y compris ceux qui, pour ne pas tomber sous le coup des règles prévues par le législateur, ne se présenteraient pas comme tels.
Qu’entend-on par transparence ?
Concrètement, cela signifie d’abord que tout chacun doit savoir qui paie le sondage. Et si le payeur n’est pas le commanditaire ou l’organe – organe de presse ou chaîne audiovisuelle – qui publie les résultats de l’enquête, il faut qu’on le sache aussi. Par ailleurs, si c’est un sondage « omnibus », il convient de préciser qui en paie la partie politique.
Toujours au nom de la transparence, nous pensons qu’il faut publier toutes les questions qui ont été posées aux personnes sondées ; à cet égard, nous avons d’ailleurs pris en compte une objection formulée lors de l’examen de ce texte par la commission, j’y reviendrai dans quelques instants.
Nous demandons en particulier que toutes les questions soient publiées – que ce soit dans la version papier ou électronique du journal – et que l’intégralité des résultats de l’enquête soit déposée à la commission des sondages.
Hugues Portelli l’a fait remarquer très justement : si dix questions ont été posées, mais que seules trois sont publiées – par exemple, la deuxième, la quatrième et la huitième –, on ne peut interpréter les réponses apportées à ces trois questions qu’au regard de toutes celles qui ont été soumises au panel. En effet, la réponse à la deuxième question dépend nécessairement de celle qui a été fournie à la première, etc.
En outre, il faut publier les marges d’erreur. C’est très important d’un point de vue scientifique. Prenons le cas d’un sondage qui indique qu’un candidat obtient 49 % d’intentions de vote et l’autre 51 %. Il convient de préciser que, si 900 personnes ont été interrogées, la marge d’erreur est de 3 % et que celle-ci passe à 3,5 %, voire à 4 % – en plus et en moins, et ce n’est pas rien ! – si le panel a été constitué de 500 personnes seulement. Puisque c’est la vérité, autant la dire ! Où est la difficulté ? Présenter un résultat comme absolu sans préciser la marge d’erreur dont il est affecté revient à fournir une information erronée.
J’en viens à la question des redressements. Il s’agit là d’un vaste débat. Hugues Portelli a insisté sur ce point : il existe une différence entre les résultats bruts et ceux qui sont présentés par l’institut qui a organisé le sondage. D’aucuns l’admettent, mais rétorquent qu’il n’est pas nécessaire de le savoir, suggérant de faire comme si ce phénomène n’existait pas.
Monsieur le ministre, comme nous, vous êtes attaché à la vérité. C’est pourquoi nous proposons que les organismes qui réalisent ces sondages fournissent à la commission des sondages les résultats bruts et expliquent par quelle méthode précise ils sont parvenus au résultat publié. C’est encore affaire de transparence !
En effet, pour procéder à ces redressements, on recourt à une méthode qui consiste à projeter ce que l’on a observé lors des scrutins précédents sur le scrutin dont il est question.
Certains représentants des instituts de sondages – pas tous – nous opposent que cela fait partie de leurs secrets de fabrication. À tous nous avons demandé : « Votre démarche est-elle scientifique ? » Et tous, sans exception, ont répondu que oui, déclarant, à juste titre, qu’ils faisaient de la science sociale. De toute façon, si tel n’était pas le cas, il n’y aurait aucune pertinence à présenter des résultats chiffrés. En effet, une base scientifique est nécessaire pour y parvenir : les chiffres ne tombent pas du ciel ! Il faut des enquêtes, menées auprès d’échantillons, avec des quotas, des méthodes aléatoires. Mais cela suppose une technique.
Certains des représentants que nous avons auditionnés nous expliquent que, lorsque nous allons au restaurant – ce que vous ferez peut-être ce soir, monsieur le ministre, à l’occasion de la Saint-Valentin, si vous en avez le temps (Sourires) –, nous ne demandons pas au chef de nous révéler sa recette. C’est vrai ! Mais, contrairement aux instituts de sondages, le chef ne prétend pas faire de la science : il fait de la gastronomie ! (Nouveaux sourires.)
Pour ma part, il m’est arrivé d’écrire des articles de sciences sociales en utilisant des méthodes quantitatives. J’ai toujours présenté mon corpus et la grille d’analyse que j’avais utilisée, afin que les conclusions auxquelles j’aboutissais puissent être validées par la communauté scientifique.
En d’autres termes, faire de la science suppose une stricte rigueur. C’est pourquoi nous demandons que les résultats qui sont déposés devant la commission des sondages soient publics, de telle sorte que chacun puisse s’y référer, notamment par le biais du site internet de cette instance.
Cela suscitera des débats. Et après ? N’y en a-t-il pas déjà aujourd’hui ? Telle personnalité politique mécontente d’un sondage va dire que l’institut est possédé par telle ou telle personne, va s’offusquer des méthodes utilisées, des redressements effectués. Alors, autant que tout soit transparent !
Si quelqu’un est contre la transparence, j’aimerais bien savoir pour quelles raisons. Car la notion de secret de fabrication ne s’applique pas à la science. La question est donc de savoir si les sondages relèvent ou non de cette dernière. Pour notre part, nous pensons qu’il s’agit d’une démarche scientifique et nous en tirons les conséquences.
Ensuite, nous avons souhaité faire en sorte que la commission des sondages soit totalement indépendante et dispose de toutes les compétences requises.
Nous avons également veillé à ce qu’il y ait des sanctions dans tous les cas de violation de la loi et que celles-ci soient effectives.
Sur un plan plus philosophique, en quelque sorte, nous avons fait très attention à ce qu’aucune atteinte ne soit portée à la liberté d’expression. Par exemple, nous n’interdisons pas la publication des enquêtes – sauf, naturellement, à partir de la veille du scrutin –, et cela même dans le cas d’un sondage fallacieux. En revanche, nous précisons que, le cas échéant, la commission des sondages a le devoir de faire une mise au point qui paraîtra en même temps que le sondage en question : cela aura un effet dissuasif.
Bien que certains nous aient dit qu’il fallait empêcher que des questions absurdes soient posées, nous avons exclu cette possibilité : toute question peut être posée et la loi n’a pas vocation à déterminer si une question est sensée ou absurde.
Nous savons bien que les résultats diffèrent en fonction de la formulation de la question posée. Ainsi, à la suite du discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, deux sondages ayant des résultats diamétralement opposés sont parus, l’un dans le magazine Marianne, l’autre dans le journal Le Figaro. Plusieurs commentateurs ont pensé que c’était bizarre. Or ce n’est pas bizarre du tout dès lors que vous regardez les questions qui ont été posées et l’ordre dans lequel elles l’ont été. L’important c’est qu’on le sache, qu’on puisse faire des commentaires à ce sujet, bref, que ce soit transparent. Plutôt que de dire « Vous n’avez pas le droit de publier ou de poser telle question », ce qui serait attentatoire à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, il vaut mieux favoriser le débat sur la manière dont les questions sont posées.
Il s’agit d’un texte de liberté, mais aussi de rigueur et de transparence, qui, nous le pensons, permettra de « mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral », comme le précise le beau titre qu’Hugues Portelli a choisi et pour lequel je tiens à le féliciter.
La commission des lois a approuvé cette proposition de loi après avoir adopté vingt-trois amendements, que j’évoquerai rapidement.
Tout d’abord, à l’article 1er, la commission des lois a débattu au sujet du qualificatif « représentatif », car le sondage se définit comme une méthode par laquelle on interroge un échantillon représentatif d’une population, à partir duquel on peut extrapoler la position de l’ensemble de la population moyennant la marge d’erreur dont j’ai parlé tout à l’heure.
Sur proposition de Patrice Gélard – à qui je veux à mon tour rendre hommage, car il a beaucoup travaillé sur le sujet –, nous avons fait mention, dans la définition du sondage, et de la méthode aléatoire et de la méthode des quotas, pour montrer que les deux sont couvertes par le texte.
J’ajoute que nous avons publié, en annexe de notre rapport d’information, une démonstration mathématique établissant – car certains ont pu en douter – que la marge d’erreur est publiable, qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre méthode. Vous le savez, monsieur le ministre, si l’on fait le calcul de la marge d’erreur sur l’échantillon donné par la méthode aléatoire, on arrive à un résultat proche de celui auquel on parviendrait avec la méthode des quotas.
Toujours à l’article 1er, nous avons adopté un amendement pour requalifier les études qui tenteraient d’échapper à la loi en ne s’appelant pas « sondages ». Ainsi, elles tomberont néanmoins sous le coup de la loi.
De même, après en avoir largement débattu, nous avons précisé que l’absence de gratification ne valait que pour les sondages politiques et électoraux. Certains organismes de sondages nous ont affirmé qu’il était très important de pouvoir payer les gens qui répondent aux questions. Pour notre part, nous croyons à l’acte citoyen et à la gratuité de la démarche par laquelle une personne va consacrer quelques minutes à donner son avis si elle est d’accord pour le faire. On n’est pas obligé de tout payer et d’être constamment sous la loi de l’argent !
Par ailleurs, à la demande des représentants de la presse, que nous avons reçus longuement, nous avons prévu à l’article 2 que la loi s’appliquerait à la première diffusion du sondage. Par exemple, monsieur le ministre, si vous citez un sondage dans une tribune ou un éditorial – parce qu’il vous arrive d’en écrire, bien que vous n’en ayez plus beaucoup le temps désormais –, il suffira de préciser qu’il s’agit du sondage publié tel jour par tel organe de presse, sans être obligé de faire état des mentions obligatoires.
Nous avons également indiqué, à la demande des représentants des médias, que le texte intégral des questions pourrait figurer sur le site internet de l’organe de presse ou du média concerné, de manière à faciliter les choses.
L’adoption d’un autre amendement a permis de préciser que les marges d’erreurs devraient être publiées en même temps que le sondage.
De plus, à l’article 3, nous avons substitué le terme « précis » à celui de « généraux » pour qualifier les critères de redressement. Nous avons également prévu que le taux de non-réponses, que la transparence impose de connaître, portait non seulement sur le questionnaire dans son ensemble mais aussi sur chaque question.
Pour ce qui est de la prise en compte du premier tour dans les sondages de second tour, nous avons écrit, à l’article 5, que ces derniers devaient non pas « correspondre aux », comme le disposait la rédaction initiale, mais « tenir compte des » résultats du premier tour. En effet, ce que j’ai dit précédemment sur la marge d’erreur montre qu’il est tout à fait pertinent de faire une simulation de second tour à partir des deux, trois ou quatre personnalités qui arrivent en tête au premier tour, quand bien même l’un ou l’autre n’est pas premier puisqu’il peut obtenir quelques points de moins et donc être compris dans l’écart qui résulte la marge d’erreur.
Pour les dispositions relatives à la commission des sondages, à l’article 7, notre commission a souhaité que la personne qualifiée en matière de droit public fût désignée par l’Académie des sciences morales et politiques. Je pense qu’il n’y aura que des avantages à ce que cette prestigieuse institution puisse désigner un spécialiste en droit public.
Au sujet des incompatibilités des membres de la commission des sondages, nous avons précisé qu’elles doivent viser l’appartenance à la fois aux organismes de sondages et aux médias qui les publient.
À l’article 12, nous avons indiqué que l’ordonnateur des dépenses de la commission des sondages – puisque nous avons souhaité que celle-ci dispose d’un budget autonome – serait le président et non la commission elle-même : pour des raisons évidentes, l’ordonnateur ne peut être qu’une personne physique.
De surcroît, nous avons maintenu à l’article 13 de la proposition de loi les dispositions de l’article 11 de la loi du 19 juillet 1977. Comme vous le savez, l’élection présidentielle relève d’une loi organique. Eu égard à la théorie de la « cristallisation » élaborée par le Conseil constitutionnel dans les années quatre-vingt-dix, si nous n’avions pas maintenu ce dispositif au sein de la loi de 1977, l’élection présidentielle eût échappé aux dispositions de la loi, ce qui eût été incompréhensible. Voilà pourquoi nous maintenons les dispositions de cet article 11, naturellement en y apportant les modifications rendues nécessaires pour le mettre en cohérence avec notre texte.
Nous avons, dans l’article 14, étendu le champ des amendes de telle manière que toutes les formes de violation de la loi soient couvertes.
À l’article 22, nous proposons que la commission des sondages sous sa forme actuelle puisse continuer à exercer sa mission durant trois mois, le temps que les différentes instances, qu’elles soient juridictionnelles ou académiques, puissent procéder, l’élection ou à la nomination des membres comme la nouvelle composition de la commission le prévoit.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le voyez, nous avons beaucoup travaillé et beaucoup écouté. En effet, nous avons entendu à plusieurs reprises les représentants des instituts de sondages et avons reçu de très nombreux spécialistes des disciplines intéressées par le sujet, depuis les mathématiques et la statistique jusqu’à la science politique.
Nous pensons véritablement que le texte que nous vous soumettons à partir de la proposition de loi d’Hugues Portelli, laquelle fait suite au travail que nous avons pu mener au sein de la commission des lois, représente un pas très important vers la transparence, au service de la vérité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est pourquoi notre commission l’a adoptée à l’unanimité. (Applaudissements sur toutes les travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à excuser l’absence de mon collègue Michel Mercier, garde des sceaux, qui aurait dû être à ma place aujourd’hui, mais qui, comme vous avez pu le lire dans la presse, reçoit actuellement les syndicats de magistrats et de personnels d’insertion et de probation pour évoquer avec eux les conclusions des rapports d’inspection de l’administration pénitentiaire et des services judiciaires, qui défraient la chronique depuis quelques jours.
S’agissant de cette proposition de loi, je m’en tiendrai à l’argumentation que le garde des sceaux aurait développée s’il avait été là.
La France est l’un des pays qui consomment le plus de sondages politiques. Parmi ceux-ci, les sondages électoraux revêtent une importance particulière du fait de leur visibilité et, surtout, de leur influence possible sur le vote des Français, que ce soit en termes de démobilisation de l’électorat ou, au contraire, par effet d’entraînement.
Or la sincérité du scrutin, principe à valeur constitutionnelle, est une condition de l’exercice de sa souveraineté par le peuple. Il est donc nécessaire que les sondages électoraux présentent des garanties quant à leur caractère sérieux et à l’absence de toute manipulation, et il est vrai que vous avez cherché, monsieur Portelli, monsieur Sueur, à trouver des solutions à ce problème.
Dans le rapport d’information de la commission des lois intitulé « Sondages et démocratie, pour une législation plus respectueuse de la sincérité du débat politique », dont vous étiez les co-rapporteurs, vous avez en effet exploré l’ensemble de ces difficultés et je dois dire que votre rapport est pétri de bonnes intentions.
Mme Jacqueline Gourault. C’est mal parti !
M. Patrick Ollier, ministre. Sur le terrain des intentions, le Gouvernement ne peut que vous suivre et vous remercier du travail que vous avez réalisé.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ça commence mal !
M. Patrick Ollier, ministre. On peut en effet considérer que le travail accompli en commission était un très bon travail, et je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest.
Messieurs Portelli et Sueur, vous rappelez à juste titre le rôle déterminant joué par le Sénat dans l’élaboration de la législation relative aux sondages : c’est effectivement votre assemblée qui a, chaque fois, amorcé la réflexion par le dépôt de propositions de lois. Je vous en donne acte.
La loi fondatrice du 19 juillet 1977, révisée en 2002, a été très difficilement élaborée à l’époque. Toutefois, plus de trente ans après l’adoption de ce premier texte, il est effectivement important de conduire une réflexion sur cette législation, eu égard à l’émergence de nouveaux médias, notamment avec l’essor d’internet, ou tout simplement à la multiplication des sondages.
C’est pourquoi le Gouvernement salue la volonté de votre commission de participer à cette réflexion et de faire progresser le droit.
Si le Gouvernement partage l’objectif visé par la proposition de loi, il ne peut pas en revanche partager certaines des solutions retenues par ce texte.
En effet, plusieurs articles, parmi les plus importants, posent de grandes difficultés, autres que celles que vous avez évoquées, monsieur le rapporteur, pour trois raisons essentielles, tenant à leur constitutionnalité, à leur applicabilité et à leur opportunité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut qu’être favorable à l’objectif que vous vous fixez d’améliorer la loi du 19 juillet 1977 au regard de l’influence potentielle des sondages électoraux sur le choix des électeurs. Nous aussi, nous disons oui à la transparence et à une meilleure définition de ce qu’est un sondage.
Si vos intentions sont bonnes, en revanche, le dispositif prévu n’est malheureusement pas opérationnel. Et il ne s’agit pas seulement d’un problème de définition.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Pourquoi ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le rapporteur, en 1978, j’étais conseiller d’Alain Peyrefitte, alors garde des sceaux ; c’est d’ailleurs à cette époque que nous nous sommes connus ! J’ai moi-même participé, modestement, à la mise en œuvre de la loi de 1977 à l’occasion des élections de 1978. J’ai souvenance de l’irritation du garde des sceaux et de toute la classe politique : alors que le législateur avait cru voter un texte imparable en ce qui concerne le contrôle des effets pervers des sondages, on s’est rendu compte que le public français avait tout de même pu être informé du résultat des sondages, certaines radios périphériques, en Suisse, les ayant communiquées par avance, ce qui était interdit par la loi.
Aujourd'hui, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ne font qu’aggraver le problème, qui n’est donc pas si simple à résoudre, même si, je le répète, le dispositif que vous proposez est plein de bonnes intentions.
Par conséquent, au-delà de l'intérêt des précisions apportées par cette proposition de loi, le Gouvernement ne peut, en l’état, y être favorable, car il soulève un certain nombre de difficultés.
Tout d’abord, le Gouvernement émet des doutes sérieux quant à la constitutionnalité de la proposition de loi au regard de la liberté de la presse.
Monsieur Portelli, le fait d’encadrer le régime juridique de publication des sondages revient nécessairement à encadrer la liberté de la presse, et donc à y porter atteinte. L’article XI de la Déclaration de 1789 dispose ainsi : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Absolument !
M. Patrick Ollier, ministre. Dans sa décision du 11 octobre 1984, le Conseil constitutionnel a précisé que, s’agissant de la libre communication des pensées et des opinions, « la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Certes, mais nous ne restreignons en rien la liberté d’expression !
M. Patrick Ollier, ministre. C’est la difficulté de l’exercice, dans la mesure où les seules limites susceptibles d’être apportées à la liberté de la presse doivent découler d’autres principes à valeur constitutionnelle, au nombre desquels figure la sincérité du scrutin.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Absolument !
M. Patrick Ollier, ministre. Or, en étendant le champ de la loi de 1977 aux sondages liés au débat politique, la proposition de loi est censée couvrir la plupart des sondages liés aux débats de société ou même à l’actualité. Ainsi, la limitation apportée à l’exercice de la liberté d’expression ne peut plus être justifiée par le seul principe de sincérité du scrutin.
L’argument du Gouvernement, me direz-vous, en vaut un autre. Mais nous préférons être prudents et éviter d’éventuelles difficultés si le texte devait être adopté.
L’extension du champ de la loi de 1977 pose aussi une sérieuse difficulté quant aux engagements internationaux de la France. Ainsi, les jurisprudences Meyet du Conseil d’État de 1999 et de 2000 ont souligné que, si la loi de 1977 est compatible avec l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c’est uniquement parce que la restriction qu’elle porte à la liberté d’expression reste limitée tant dans son champ d’application que – précision importante – dans le temps. L’extension de son champ par la proposition de loi remet ainsi en cause cet équilibre.
Par ailleurs, le présent texte apporte des restrictions excessives à la liberté d’expression.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Lesquelles ?
M. Patrick Ollier, ministre. Tout d’abord, l’article 3 instaure, de fait, un délai de vingt-quatre heures entre la réalisation et la publication d’un sondage, en prévoyant le dépôt par l’institut de sondage d’une notice auprès de la commission des sondages.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est le cas aujourd'hui !
M. Patrick Ollier, ministre. Je vous en donne acte, monsieur le rapporteur.
Cette notice doit regrouper un certain nombre d’informations sur le sondage réalisé, et ce vingt-quatre heures avant sa diffusion. Ainsi les sondages dits « à chaud » ou spontanés ne seraient-ils plus autorisés. C’est une vraie question, et il est normal que le Gouvernement la soulève, d’autant que cette nouveauté aurait des répercussions économiques importantes pour tous les médias français, de tels sondages pouvant être diffusés librement à l’étranger.
En outre, l’article 5 prévoit une interdiction de publier des sondages de second tour qui ne testent pas une hypothèse tenant compte des résultats d’un sondage de premier tour. Cela interdit, de fait, l’hypothèse du « troisième homme » et comporte un risque important d’orientation du vote.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Mais non !
M. Patrick Ollier, ministre. Il est un autre point du dispositif proposé qui recèle un certain paradoxe.
La proposition de loi vise en effet l’objectif, tout à fait louable, là encore, d’améliorer le contrôle de la sincérité des sondages en soumettant à la commission des sondages tous les « sujets liés au débat politique ou électoral », ce qui reviendrait à la rendre compétente dans l'ensemble des domaines, économiques, sociaux, sociétaux, culturels, etc. Mais quel sondage devra-t-il lui être soumis et quel autre n’aura-t-il pas vocation à l’être ? Comment le saurons-nous ? Il y a en effet un décalage frappant entre la précision de l’encadrement organisé par la proposition de loi et l’absence totale de définition d’un élément pourtant central dans le dispositif : le périmètre du débat politique.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est indéfinissable !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je vais vous répondre.
M. Patrick Ollier, ministre. Encore une fois, malgré de louables intentions, les auteurs du texte ne proposent pas de solution adaptée. Nous restons donc dans l’interrogation.
Le champ de compétences actuel de la commission des sondages, limité aux sondages électoraux, est d’ores et déjà suffisant pour garantir la sincérité des scrutins. Dans la pratique, la commission elle-même en fait une interprétation souple, qui lui permet, à l’approche des élections, d’étendre son contrôle aux sondages portant sur des sujets liés au débat électoral. Nous préférons cette application à géométrie variable, en fonction du caractère plus ou moins proche des scrutins, à une conception extensive, qui risque d’avoir pour conséquence une dégradation de la qualité du contrôle.
J’en viens à la partie du texte modifiant des dispositions du code électoral.
Se pose un problème d’application outre-mer, particulièrement en Polynésie française, pour les élections législatives, dont le premier tour se déroule quinze jours avant celui qui est organisé en métropole. Un problème similaire touche l’élection des députés des Français établis hors de France, qui connaît un décalage temporel d’une semaine. Là encore, aucune solution n’est prévue.
Enfin, la proposition de loi comporte un autre écueil, et non des moindres : le risque de contournement de la loi via les instituts de sondages et les médias étrangers, tout particulièrement sur internet, au détriment des instituts de sondage et des médias français. C’est un problème récurrent,…
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Oui !
M. Patrick Ollier, ministre. … auquel personne n’a jamais su trouver véritablement de réponse. J’ai rappelé tout à l’heure mon expérience auprès d’Alain Peyrefitte. M. Fourcade s’en souvient sans doute lui aussi, qui appartenait alors au même gouvernement.
Au vu de la manière dont évoluent les nouvelles technologies de l’information et de la communication, au vu de l’ingéniosité dont font preuve les acteurs de l’internet, l’approche du problème ne peut que devenir de plus en plus complexe.
Or, là encore, la proposition de loi n’apporte pas de solution. Comment pourrait-il en être autrement alors que cela fait trente ans que l’on en cherche ? Je ne reviens pas sur les énormes problèmes soulevés en 1978 lorsque la télévision suisse officialisa le résultat de sondages qui n’aurait pu être publié en France.
Dans un monde ouvert aux nouvelles technologies, l’adoption d’une telle proposition de loi ne résoudrait pas les difficultés de contournement existantes et ne ferait que les aggraver.
Mme Jacqueline Gourault. Pour quelles raisons ?
M. Patrick Ollier, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je me fais aujourd'hui l’interprète du garde des sceaux, car ce texte ne relève pas de ma responsabilité directe. Je ne prétends pas, au travers des arguments que je vous ai opposés, détenir la vérité révélée.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. J’espère bien !
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le rapporteur, je vous félicite pour la qualité de votre travail, mais je ne sais si vous avez bien mesuré l'ensemble des conséquences du dispositif proposé. Car tout n’est pas si simple !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je n’ai jamais dit que c’était simple : nous avons passé un an à travailler sur le sujet !
M. Patrick Ollier, ministre. J’aurais préféré que la Haute Assemblée et le Gouvernement puissent engager des discussions en vue de travailler ensemble. Plutôt qu’une proposition de loi déposée uniquement sur le bureau du Sénat, le sujet aurait mérité une réflexion commune. (Marques de surprise sur diverses travées.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Et l’initiative parlementaire ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le rapporteur, je vous en prie, ne parlez pas en même temps que moi, sinon comment voulez-vous que l’on se comprenne !
Mme Nicole Bonnefoy. Une discussion, cela se fait à deux !
M. Patrick Ollier, ministre. Pas de cette façon !
Je tiens, une fois de plus, à rendre hommage au travail sérieux réalisé par la commission des lois, notamment par M. Portelli et M. le rapporteur, sous la haute autorité du président Hyest. Si votre sincérité et vos bonnes intentions sont indiscutables, je me dois de faire part des objections du Gouvernement, qui, elles aussi, sont argumentées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ne serait-il pas plus opportun de travailler ensemble pour contourner les obstacles indiscutables que nous avons relevés ? Tel est le souhait que je formule. Voilà qui serait préférable à un débat qui ne trouvera pas d’issue favorable, le Gouvernement ne pouvant accepter cette proposition de loi en l’état. Par conséquent, il s’opposera, et j’en suis sincèrement désolé, au dispositif que vous proposez. Mais je renouvelle la proposition de travailler ensemble pour trouver des solutions communes à ces difficultés que nous rencontrons tous concernant les sondages. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Nous n’en sommes qu’à la première lecture !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, j’admets que, sur un texte, on puisse formuler des objections. Je me dois néanmoins de faire observer que, en l’espèce, la loi de 1977 a tout de même beaucoup vieilli ; depuis qu’elle a été mise en œuvre, en matière de sondages, d’énormes dérapages ont été constatés.
Nos collègues ont travaillé pendant un an, consultant les meilleurs spécialistes. Vous nous avez présenté les raisons pour lesquelles vous invitiez le Sénat à rejeter la proposition de loi tout en nous offrant de travailler ensemble.
Il n’y a qu’un seul ennui, mais il est de taille : la Constitution a été révisée pour faire droit à l’initiative parlementaire. Il appartient bien entendu au Gouvernement de nous dire, sur tel ou tel point, ce qu’il conviendrait d’améliorer. Nous attendions d’ailleurs des amendements de sa part. Autrement, le dialogue devient un peu compliqué !
Je vais vous livrer mon sentiment : il arrive parfois que la réflexion du Parlement soit plus aboutie que celle du Gouvernement ; c’est rare, parce que, c’est bien connu, le Gouvernement, par définition, sait tout ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Tout gouvernement est excellent, mais il y a des degrés dans l’excellence ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dans ce cas précis, j’ai bien entendu les objections que vous avez présentées : certaines m’ont paru intéressantes, d’autres moins convaincantes…
Puisque vous nous invitez à travailler ensemble, profitons donc du débat pour le faire, car il faut bien voter sur quelque chose !
Le rapport d’information sénatorial publié sur le sujet était très approfondi, et je ne doute pas qu’il ait été lu avec beaucoup d’attention par les services de la Chancellerie concernés. Puis une proposition de loi a été déposée. Personne n’a dit, pas plus Hugues Portelli que le rapporteur, que tout était parfait et qu’il n’y avait pas des points à creuser.
Monsieur le ministre, vous devriez vous réjouir que, pour une fois, il y ait une initiative parlementaire dans ce domaine !
Vous remarquerez d’ailleurs que le Sénat évite de se saisir de sujets strictement liés à l’actualité immédiate.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s’efforce de faire des études de fond.
Je rappelle que c’est grâce au Sénat que l’on a modernisé la législation funéraire, avec l’aide de la Chancellerie, certes, mais à l’issue d’un travail de réflexion qui a duré quinze ans. De même, c’est à la Haute Assemblée que l’on doit la réforme des prescriptions en matière civile, même si les services de la Chancellerie s’étaient montrés plutôt coopératifs et avaient donné leur accord. Évidemment, ce ne sont pas des sujets pour le journal de vingt heures ! Mais c’est aussi le rôle du Sénat que de réfléchir à de telles questions.
Monsieur le ministre, acceptez que, de temps en temps, nous prenions ici des initiatives ! (Applaudissements sur toutes les travées.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans les démocraties actuelles, le sondage s’impose comme un outil essentiel de connaissance et d’évaluation.
Nul ne peut prévoir qui gagnera les prochaines élections cantonales, sénatoriales, ni même la prochaine élection présidentielle. Un seul pronostic paraît sûr : les vrais vaincus de ces soirées électorales seront les sondeurs, contre lesquels tout le monde se réconciliera !
Le sondage d’opinion fait désormais partie de notre démocratie ; il en est même le produit. On en publie énormément, on les commente à l’envi. Qu’on les aime ou qu’on les dénigre, ils sont au cœur des débats politiques.
Ils ont toujours été interdits dans les régimes totalitaires. Sans dresser une liste exhaustive, je pense plus particulièrement à la défunte URSS, au Chili de Pinochet, à l’Argentine de Videla, à l’actuel Vietnam, aux régimes despotiques de Franco, de Salazar et, plus près de nous, à ceux de Ben Ali et de Moubarak. Aucun de ces régimes n’a jamais toléré les sondages d’opinion.
Ne nous y trompons pas : les sondages permettent de lutter contre l’obscurantisme. Ils s’affirment comme un instrument essentiel de connaissance et, parfois, de liberté. Cependant, leur publication doit être encadrée par des règles éthiques claires, de façon que leur interprétation n’induise personne en erreur.
Car c’est bien cette notion d’erreur qui produit la plupart des fantasmes autour du sondage.
Quelle est la définition du sondage ? Tel est le fondement de l’étude que vous avez excellemment menée, chers collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur. En effet, sans définition précise, pas de sondage sincère et transparent.
C’est pourquoi nous soutenons la proposition que vous nous avez faite en commission, monsieur le rapporteur, de préciser les éléments de définition que vous aviez initialement proposés avec Hugues Portelli.
Il est ensuite utile de s’interroger sur les conditions dans lesquelles le sondage peut être utile aux chercheurs et aux sciences sociales, mais surtout aux citoyens et à la démocratie. Tel est l’intéressant objectif de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. En effet, si le sondage est le fruit de la démocratie, il la sert en retour.
Il est en effet important que nos concitoyens soient avisés, alertés, informés en temps utile du contenu des sondages publiés massivement avant une élection.
Je ne reviendrai pas sur le détail des mesures proposées en vue d’une plus grande sincérité du débat politique, mesures auxquelles nous souscrivons.
Le débat politique s’exerce aussi au travers des sondages, dès lors que ceux-ci sont utilisés par les leaders d’opinion et les commentateurs de la vie politique.
C’est donc bien en pensant à nos concitoyens que nous devons légiférer, afin qu’ils soient éclairés dans leurs opinions et dans leurs choix.
Le groupe UMP suivra les propositions formulées par nos collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur et votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous en rendons compte chaque jour en lisant notre journal, en regardant la télévision ou en écoutant la radio, les sondages prennent de plus en plus de place dans le débat public.
En cinquante ans, notre pays est même devenu l’un des plus gros producteurs et, donc, l’un des plus gros consommateurs de sondages au monde, en particulier de sondages politiques. Les grands rendez-vous électoraux sont, de ce point de vue, tout à fait symptomatiques.
En 2007, la commission des sondages avait dénombré près de trois cents enquêtes pour les élections présidentielles, soit deux fois plus qu’en 1995. À ce rythme, on peut craindre que le scrutin de l’année prochaine et les suivants ne soient pollués par les sondages.
Depuis plusieurs mois, alors que nous sommes encore à plus d’un an de la nouvelle échéance présidentielle, les pronostics vont déjà bon train dans les médias. Les candidats ne sont pas encore tous déclarés, les programmes sont loin d’être finalisés, et pourtant nous sommes déjà abreuvés de sondages d’opinion, plus ou moins réalistes au demeurant, sur les différents cas de figure possibles.
Le sondage n’a jamais pour ambition – on l’oublie trop souvent ! – de prévoir l’avenir et, en l’espèce, le résultat d’une élection. Il se veut une photographie, plus ou moins exacte, de l’opinion à un moment précis, moment qui précède parfois très largement la date de l’échéance électorale.
Loin de nous l’idée de brider la liberté d’expression, encore moins la liberté de la presse ! À cet égard, monsieur le ministre, j’ai trouvé votre argument assez spécieux, voire un peu tiré par les cheveux ! Mais peut-être suis-je un citoyen atypique… Quoi qu’il en soit, vous ne m’avez pas convaincu !
Pour préserver la qualité de notre débat démocratique, il est notamment indispensable de renforcer l’encadrement et le contrôle des sondages et de mieux informer la population sur les conditions de production de ces sondages, voire sur leurs commanditaires. Pour cela, nous devons mettre à jour notre législation en la matière.
La transparence et la sincérité sont les qualités indispensables des sondages politiques. Ainsi, l’excellent rapport d’information présenté par nos collègues Sueur et Portelli confirme de façon très étayée que la loi de 1977 sur les sondages d’opinion n’est plus satisfaisante et qu’elle est manifestement obsolète.
Cette loi était néanmoins la première à traiter de la question des sondages et de leur encadrement juridique. N’oublions donc pas qu’elle était novatrice en son temps et que, déjà, elle avait pris naissance au Sénat.
Nous nous réjouissons donc de l’initiative éclairée qu’a prise la commission des lois de la Haute Assemblée en étudiant ce sujet et en nous présentant aujourd’hui un texte précis et équilibré. Une fois de plus, notre assemblée s’illustre par la qualité de son travail et donne tout son sens à la notion d’initiative parlementaire. Quelles que soient nos sensibilités politiques, nous y sommes particulièrement attachés.
Notre satisfaction est augmentée par le fait que ce travail a été accompli d’une manière non partisane puisque majorité et opposition sénatoriale ont œuvré de concert sur le rapport d’information comme sur la proposition de loi qui en découle.
L’objectif est d’améliorer l’encadrement démocratique et la transparence des sondages politiques, en s’efforçant de les préserver de toute manipulation. Cet engagement est bien tenu tout au long de cette proposition de loi, forte de plus de vingt articles. C’est la raison pour laquelle mes collègues du RDSE et moi-même la soutiendrons.
Ce travail accompli, il nous reste à nous interroger sur le rôle de plus en plus important que les sondages ont dans la vie politique.
Une influence possiblement excessive sur la sélection des candidats et le déroulement même de la campagne peut être néfaste.
Les sondages nuisent et biaisent l’élection en ce qu’ils agissent sur le comportement des acteurs politiques mais aussi des électeurs. Cet effet pervers est particulièrement dangereux pour l’exercice de la démocratie, car on voit bien combien il est possible, en s’appuyant sur des sondages, de manipuler l’opinion publique. Cela rend d’autant plus nécessaire un encadrement. À l’évidence, la proposition de loi qui nous est soumise apporte quelques garanties en la matière.
Un responsable politique digne de ce nom ne doit pas gouverner avec des sondages. Je formule là une réflexion de citoyen : après tout, si nous sommes des parlementaires, nous sommes d’abord des citoyens. À mon sens, tous les hommes politiques de ce pays devraient se garder de gouverner avec les sondages. Je pense que le premier d’entre eux, s’il tenait beaucoup moins compte des sondages, éviterait de proférer un certain nombre de billevesées ! Vous ne manquerez pas de noter, monsieur le ministre, que je suis d’une courtoisie extrême en utilisant le terme de « billevesées » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Ces dernières années, on a souvent constaté une évolution de la démocratie parlementaire vers la démocratie d’opinion. Cette tendance n’est pas souhaitable ; elle est même nocive, surtout quand on connaît la volatilité de l’opinion publique. Comment s’étonner, alors, du désintérêt de nos concitoyens et des journalistes pour le débat parlementaire ?
Entre les élus de la République et les représentants du Gouvernement, il doit y avoir un vrai dialogue. Il importe de mettre un terme à ce jeu de rôle opposant ceux qui seraient les garnements de la cour d’école et les maîtres dont la fonction serait de les rappeler à l’ordre ! Ce vrai dialogue, croyez-le bien, monsieur le ministre, nous y sommes particulièrement attachés.
Nous nous devons tous de faire en sorte que la démocratie parlementaire reste irréprochable et qu’elle assume pleinement toutes ses responsabilités, dans le seul souci de l’intérêt général. C’est à nous qu’il revient, dans les enceintes parlementaires, de définir collectivement cet intérêt général. Nous avons été élus pour cela et nous entendons exercer pleinement ce rôle.
J’espère que ce texte, une fois que le Sénat l’aura adopté, sera très prochainement inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Ce sera, en définitive, pour le Parlement, un élément de force supplémentaire. Monsieur le ministre, le Gouvernement ne se déjugera pas s’il accepte de « réviser sa copie ». (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est la bienvenue. Même si nous en critiquons certains aspects ou si nous y déplorons certaines lacunes, le sens général et l’objectif nous conviennent.
Il est en effet urgent d’assurer un meilleur encadrement juridique des sondages, et donc de leur donner une plus grande sincérité, une plus grande fiabilité, car ils ont pris dans le débat électoral et, plus généralement, dans le débat politique une place considérable, voire, quelquefois, envahissante.
Le rapport d’information que nos collègues Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli ont publié le 20 octobre dernier rappelait que le nombre de sondages a été multiplié par deux depuis vingt ans pour atteindre un millier par an, soit trois par jour. De plus, il soulignait que notre pays détenait la palme du sondage politique.
Or, si le sondage est un instrument de mesure de l’opinion à un moment donné, il est indéniable qu’il joue aussi un rôle actif sur l’opinion.
D’ailleurs, la multiplication et l’utilisation des sondages tendent peu à peu à substituer à la souveraineté populaire, qui exprime le pouvoir du peuple, la démocratie d’opinion, qui serait en quelque sorte l’opinion du peuple sans pouvoir.
L’actuel Président de la République est, oserai-je dire, un expert en la matière. Dans son mode de gouvernance, « l’opinion du peuple » guide sa politique. L’enchaînement est en quelque sorte le suivant : sondage, réactivité immédiate, affichage, sondage.
Ainsi, le débat idéologique et contradictoire, la réflexion, l’expertise, l’évaluation, bref, tout ce qui peut nourrir le débat démocratique est « ringardisé ».
Faut-il rappeler que mission qui a produit le rapport d’information de nos collègues a été constituée après les révélations sur les liens existants entre l’institut de sondage Opinionway, l’Élysée et des organes de la presse quotidienne ?
Au-delà des implications financières de cette affaire – des sommes importantes étaient en jeu – c’est l’utilisation des sondages dans la manipulation de l’opinion qui avait, à l’époque, frappé les esprits. En effet, la dissimulation du commanditaire, en l’occurrence l’Élysée, d’un sondage publié dans un second temps par un quotidien, était révélatrice d’une certaine conception de la démocratie.
À ce titre, les dispositions de la proposition de loi qui tendent à rendre publique l’identité du ou des commanditaires d’un sondage sont très importantes.
Nous approuvons l’amélioration sensible de la loi de 1977 que constitue la publicité d’informations essentielles comme les marges d’erreur ou les taux de réponses, mais aussi l’amélioration de la composition et surtout de la compétence de la commission des sondages. Tout cela participe à l’édification de l’indispensable déontologie à laquelle doivent se conformer les professionnels, mais aussi à la transparence des sondages, transparence nécessaire à la fois pour ceux qui les utilisent et la population qui en prend connaissance.
Pour autant, l’amélioration, même significative, de la législation relative aux sondages ne rendra pas, à elle seule, sa noblesse au débat politique.
La crise politique est grave. Il ne suffit pas de perfectionner le thermomètre. La présidentialisation à outrance du pouvoir réduit à l’impuissance les représentants du peuple, et ce d’autant plus que le pouvoir politique a lui-même abdiqué au profit des marchés. On ne regagnera pas la confiance de nos concitoyens sans apporter des changements profonds dans le fonctionnement des logiques libérales et des institutions.
J’en reviens au texte de la proposition de loi. Nous avons déposé des amendements sur quelques points qui nous paraissent critiquables.
Premièrement, pourquoi maintenir, et même faciliter, la réalisation de sondages portant sur le second tour d’une élection, avant même que le premier tour ait eu lieu ? Cette possibilité est contraire à l’idée même du pluralisme.
En effet, qui peut nier que la publication, plusieurs mois, voire des années, avant une élection, de sondages portant sur le second tour d’une élection présidentielle, influence le débat démocratique ? Dans ces conditions, un premier tour demeure-t-il nécessaire ?
Le triste résultat du 21 avril 2002 devrait inviter à plus de prudence et rappeler aux responsables des principaux partis la nécessité de mener un vrai débat d’idées avant le premier tour, sans tout miser dès le départ sur le second tour. C’est vrai pour l’élection du Président de la République au suffrage universel, qui tend à éliminer tous les candidats sauf les deux qui se maintiennent au second tour, mais c’est vrai aussi pour l’élection des députés au scrutin majoritaire à deux tours. Nous critiquons, pour notre part, ces modes de scrutin ; mais, en tout état de cause, lorsque les deux tours existent, il faut permettre le respect du pluralisme à l’occasion du premier tour des élections.
Deuxièmement, il est important que la situation des instituts de sondages, entreprises privées dont le rôle est de toute évidence significatif dans la vie publique, soit réellement transparente. Cette transparence, qui doit concerner leur fonctionnement, et en particulier la composition de leurs organes dirigeants, est essentielle, ne serait-ce que pour donner tout son sens au mot « transparence ».
Enfin, nous proposons que les remarques méthodologiques portant sur les sondages, qui pourront désormais être rendues publiques par la commission des sondages avant le déroulement d’un scrutin – une avancée très positive –, puissent l’être aussi durant toute la période précédant le scrutin, et pas seulement lors du mois précédant celui-ci. Des manipulations méthodologiques peuvent avoir autant d’importance six mois avant l’élection que quelques jours auparavant.
Mes chers collègues, nous vous proposerons des amendements dans la suite du débat. En attendant, ces quelques remarques étant faites, je confirme que les sénateurs du groupe CRC-SPG voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui concerne une problématique propre à nos démocraties modernes. Elle nous renvoie à un débat idéologique de fond qui oppose les partisans des sondages, qui considèrent cet outil comme un prolongement naturel de la démocratie, et leurs détracteurs, qui y voient une dérive inquiétante.
Pierre Bourdieu fut le premier à porter une attaque franche et rude contre les sondages d’opinion. Dans son article intitulé L’opinion publique n’existe pas, paru en 1972, il remettait très clairement en cause cette pratique.
Depuis cette date, les sondages n’ont cessé d’être critiqués et remis en cause. Cela n’a pas empêché cette pratique de se développer très fortement jusqu’à devenir, aujourd’hui, partie intégrante du jeu médiatique et politique. La France a même la particularité d’être l’un des pays au monde les plus gros consommateurs de sondages, et plus particulièrement de sondages politiques.
Le sociologue Alain Garrigou a souligné, en 2003, que le nombre de sondages publiés avait plus que doublé entre 1980 et 2000, pour atteindre aujourd’hui le chiffre d’un millier par an, ce qui représente trois sondages par jour. Chacun peut ainsi constater qu’il ne se passe plus un jour sans que le résultat d’un prétendu « sondage » vienne relancer un débat, alimenter une polémique ou évaluer la cote de popularité d’un homme politique.
Il n’est donc pas étonnant que la presse soit aujourd’hui l’un des principaux commanditaires de ces sondages politiques, qui lui permettent d’alimenter les débats et d’imposer des sujets prédominants dans l’actualité. Le sondage fait vendre, et ce d’autant plus que son résultat est surprenant et/ou peut faire polémique. Cette recherche du scoop et du sensationnel a fait du sondage un objet de communication promotionnelle, avec tous les risques de dérives que cela comporte.
Bien évidemment, il n’y a pas que la presse et les médias qui sont friands de sondages. Ainsi, les politiques eux-mêmes, pourtant historiquement opposés à cette pratique, en sont devenus de grands consommateurs, trouvant là un instrument idéal de légitimation de leurs actions, ou bien un angle pour attaquer leurs adversaires, ou encore, tout comme la presse, un moyen d’imposer des sujets d’actualité à des fins politiques. Or, dans le même temps, ils en sont aussi les otages, contraints de s’y adapter et de bousculer leurs priorités, et parfois leurs idées, pour agir en fonction de la prétendue « opinion ».
Que nous soyons convaincus ou non du caractère scientifique des sondages, il est évident que nous devons désormais faire avec !
Il est donc absolument nécessaire d’encadrer ces pratiques afin d’éviter toutes les dérives qui peuvent découler de cette illusoire démocratie de l’opinion. Il y va de la sincérité des débats et, surtout, d’une plus grande transparence vis-à-vis de nos concitoyens, qui doivent être en mesure de connaître toutes les imperfections de cette pratique.
Les sondages n’ont aucun caractère prédictif et doivent demeurer, au mieux, un indicateur de l’opinion à un instant T, et non un substitut à la décision politique.
Malgré la prolifération des sondages en France, la législation encadrant leur élaboration et leur utilisation n’a que très peu évolué depuis la loi du 19 juillet 1977. Certes, la loi du 19 février 2002 y a apporté quelques modifications utiles, mais sans en changer fondamentalement le fond.
La législation en vigueur apparaît aujourd’hui dépassée, voire obsolète. Il est donc temps que le législateur réagisse, en actualisant le droit pour le mettre en phase avec la société. C’est à cela que se sont attachés les auteurs de la présente proposition de loi. Je tiens d’ailleurs à saluer ici le travail de mes collègues Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur, qui ont rendu en octobre dernier un rapport de qualité, dont les préconisations se concrétisent aujourd’hui.
Leur constat est simple : la sincérité des sondages n’est pas garantie et les obligations d’information de la population et des médias sur l’élaboration de ces derniers sont insuffisantes et trop limitées. Dans ce contexte, il leur est apparu urgent de veiller à ce que les sondages ne puissent pas altérer la sincérité du débat électoral. Ces considérations et préconisations s’inscrivent dans la proposition de loi que nous examinons et qui a été fort bien présentée.
L’article 1er de ce texte me semble fondamental, car il comble un vide juridique en inscrivant dans la loi une définition officielle des sondages. C’est un préalable indispensable, qui permettra de lutter contre la prolifération des faux sondages.
De plus, cette définition a l’avantage d’étendre le champ d’application de la loi de 1977 à l’ensemble des sondages politiques. Dans le contexte actuel, nous ne pouvons plus nous en tenir aux seuls sondages électoraux, car tous les sondages politiques sont liés, de près ou de loin, aux élections.
Il est également important de préciser qu’un sondage peut porter sur des opinions, des attitudes et des comportements, mais également sur des souhaits, ce qui évite ainsi tout contournement de la loi.
Cette définition pose aussi un certain nombre de principes qui, à mon sens, sont très importants. Ainsi, il sera désormais inscrit dans la loi qu’un sondage doit être issu d’un échantillon représentatif de la population, que celui-ci soit constitué selon la méthode des quotas ou selon la méthode aléatoire. De ce fait, une enquête réalisée sur la base d’un « échantillon spontané », qui, par nature, a plus de propension à la subjectivité, ne pourra plus se voir attribuer l’appellation de « sondage ».
Dans la même optique, l’interdiction de toute forme de gratification dont bénéficieraient des personnes sondées tombe sous le sens. Il paraît même incroyable qu’une telle pratique ait pu être autorisée aussi longtemps !
Afin de renforcer cette recherche de sincérité et de transparence, il est primordial d’améliorer l’information de la population et des médias. Chacun doit pouvoir prendre connaissance de tous les maillons de la chaîne des sondages.
L’une des principales critiques formulées régulièrement à l’encontre des sondages concerne leur neutralité. Nous savons tous que l’orientation d’une question ou le contexte dans lequel elle est posée peuvent influencer une réponse. Les enquêtes omnibus suscitent, à ce sujet, de nombreuses critiques.
Si nous souhaitons réellement rendre plus transparentes l’élaboration et la publication d’un sondage, il faut que chacun puisse avoir connaissance de certaines données.
Il s’agit, tout d’abord, des noms du payeur et du commanditaire. Ainsi, des affaires telles que celle de 2009 relative aux sondages de l’Élysée ne pourraient plus se reproduire. On peut aussi citer la méthode utilisée pour réaliser le sondage, la taille et la sociologie de l’échantillon interrogé – celui-ci est-il réellement représentatif ? –, et la formulation des questions : celles-ci étaient-elles ouvertes ou fermées ? Nous savons, par exemple, que les questions fermées diminuent le taux de non-réponse, alors que les questions ouvertes aboutissent au résultat inverse ! Les autres données sont la publication, ou la non-publication, de toutes les questions, la proportion de personnes n’ayant pas répondu à une question, les chiffres bruts et la méthode de redressement ; enfin, bien sûr, la marge d’erreur des résultats publiés, question cruciale en période électorale, notamment si les résultats sont très serrés. L’ensemble de ces éléments sont essentiels et doivent pouvoir être connus de tous.
Je me félicite que cette proposition de loi réponde à la majorité de ces questions, en rendant obligatoire la publication d’une liste exhaustive d’informations à remettre, dans les vingt-quatre heures précédant la publication d’un sondage, à la commission des sondages. Le fait que cette notice soit rendue publique sur internet représente un bond en avant vers plus de transparence. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Cela dit, même s’il nous faut progresser par étapes, d’autres pistes auraient pu être envisagées ; je pense notamment à l’ordre des questions posées ou encore au coût du sondage.
Je ne comprends pas que les instituts de sondage soient réticents à publier les informations listées dans cette proposition de loi. Les instituts expliquent que leurs sondages sont conçus selon des méthodes scientifiques. Dès lors, pourquoi ne pas détailler ou expliquer cette science ? Au contraire, si leur méthode est objective et sincère, les instituts n’en seront que plus reconnus !
J’en viens maintenant à la commission des sondages, qui prend toute son importance dans la réalisation des objectifs fixés dans ce texte. Il est évidemment nécessaire, pour atteindre ces objectifs, de disposer d’un organe de contrôle plus puissant, plus efficace et plus légitime.
C’est pour ces raisons que la présente proposition de loi tend à procéder à un rééquilibrage de la composition de la commission des sondages. L’amendement adopté en commission des lois à ce sujet est particulièrement important, car il garantit une représentation diversifiée et complémentaire de ses membres, ainsi qu’une expertise dont cette commission était jusqu’à présent dépourvue.
Il semble tout à fait cohérent, en effet, que des spécialistes en mathématiques, en sciences sociales ou en droit public, entre autres disciplines, puissent juger, au même titre qu’un magistrat, de la sincérité d’un sondage. La pluralité de l’expertise, tout comme sa qualité ne pourront en être que renforcées.
Il était aussi indispensable de s’assurer de l’indépendance des membres de la commission des sondages en ne permettant pas le renouvellement des mandats et en interdisant formellement – ce point est fondamental ! – que ces derniers aient perçu, au cours des trois années encadrant leur mandat, une rémunération de quelque nature que ce soit de la part des médias ou des organismes de sondage.
La consécration de l’autonomie budgétaire de cette commission est également centrale. En effet, au vu des missions qui l’attendent, elle devra disposer de moyens conséquents si elle veut être un tant soit peu efficace.
Il faut rappeler que la commission des sondages ne disposera que de vingt-quatre heures pour examiner les notices méthodologiques transmises par les instituts de sondage. Si celles-ci lui parviennent massivement, en raison de l’actualité ou à l’approche d’un scrutin, tout devra être mis en œuvre pour qu’elle puisse faire son travail de façon sereine et efficace. Nous devrons rester très vigilants sur ce point lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
Bien évidemment, nous ne pourrons pas éviter certains écueils. ; je pense notamment à la répercussion immédiate de la publication d’un sondage, même si, celui-ci se révélant a posteriori faussé, une mise au point est diffusée.
Les auteurs de la proposition de loi ont tenté de prévenir ce genre de risque en amont. L’article 10 du texte dispose donc : « Dans le mois précédant le premier tour d’un scrutin, la commission des sondages peut présenter des observations quant à la méthodologie d’élaboration d’un sondage [...] ». Nous aurions pu aller plus loin en rendant cette possibilité obligatoire. Cependant, cet article représente déjà une avancée de taille.
Je ne reviendrai pas sur les sanctions prévues par le présent texte. Vu les dérives actuelles, le fait que la commission des sondages dispose d’instruments dissuasifs pour faire appliquer la loi coule de source.
En conclusion, je dirai que cette proposition de loi va dans le bon sens, car elle pointe du doigt l’inadaptation de la législation encadrant actuellement les sondages et tente d’y apporter des réponses. Nous pouvons donc réellement espérer que les avancées qu’elle préconise permettront de rendre le débat politique plus serein et sincère, limiteront certaines dérives et renforceront efficacement l’information auprès des citoyens.
Il est impensable que, dans une démocratie moderne, un instrument tel que les sondages puisse prendre autant d’importance dans la vie politique sans être, dans le même temps, encadré par une loi et soumis à des règles strictes.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que le groupe socialiste votera bien évidemment ce texte. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais tenter de répondre aux arguments que je viens d’entendre et qui sont – je le reconnais – frappés au coin du bon sens.
Tout d’abord, monsieur Portelli, je n’ai pas mis en cause la sincérité de vos intentions ; je tiens à ce qu’il n’y ait aucune équivoque sur ce point.
Vous avez développé un certain nombre d’arguments ; je reviendrai sur celui qui concerne le sondage politique, que vous avez mis en valeur, et sur la limite de cette notion. En effet, si vous limitez cette dernière aux sondages électoraux en période électorale, l’interprétation extensive que retient aujourd'hui la commission des sondages permet déjà de résoudre le problème et répond à l’inquiétude que vous éprouvez à l’approche des élections. Nous pourrons cependant débattre sur ce point.
Monsieur le rapporteur, il ne doit pas non plus y avoir d’équivoque entre nous. Je remplace avec beaucoup de plaisir le garde des sceaux, et si ce dernier était présent, il tiendrait probablement le même discours que moi.
Je répète que nous partageons les intentions – les bonnes intentions – du Sénat et que nous ne les remettons pas en cause. Toutefois, le dispositif développé dans la proposition de loi inclut notamment la mise en place de règles extrêmement strictes qui risquent de conduire à un contournement de la loi au détriment des organismes de sondages français.
Je ne retiendrai qu’un exemple parmi tous ceux que vous avez développés, car il est possible de défendre un point de vue différent sur chacun d’entre eux : s’agissant du redressement des résultats bruts, la sincérité des sondages exigerait que la commission puisse en contrôler la méthode, mais non que cette dernière soit rendue publique.
Une telle publicité pourrait en effet réduire l’attractivité de la France vis-à-vis des entreprises étrangères. (M. le rapporteur manifeste son scepticisme.) Cela compte aussi, monsieur le rapporteur ! En effet, dans ce domaine comme dans bien d’autres, la concurrence est rude aujourd’hui. Le monde est devenu un village et les règles qui sont applicables sur notre territoire doivent être quasiment les mêmes qu’ailleurs. Or les règles inscrites dans la proposition de loi défavoriseraient nos instituts par rapport aux organismes étrangers. En outre, une extension excessive du champ d’application de la loi nuirait à l’amélioration du contrôle de la commission des sondages.
Monsieur le président de la commission des lois, j’ai été meurtri par votre déclaration. (M. le président de la commission des lois marque son étonnement.) Mais oui, monsieur le président !
En effet, lorsque j’occupais au sein de l’Assemblée nationale une position similaire à la vôtre, j’ai souffert comme vous du fait que le travail parlementaire ne soit pas suffisamment pris en compte. Je suis donc en mesure de comprendre bien des choses à ce sujet.
Monsieur le président Hyest, soyons bien d’accord sur un point : le Gouvernement respecte l’initiative qu’a prise le Sénat et il n’y a pas là matière à discussion. Au demeurant – et je réponds dans le même temps à M. Fortassin –, ce n’est pas parce que le Gouvernement n’est pas d’accord avec vous qu’il faut en déduire qu’il veut jouer les maîtres d’école !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh non !
M. Patrick Ollier, ministre. En tant qu’interprète du garde des sceaux, je veux simplement dire que, pour des raisons de constitutionnalité, d’applicabilité et d’opportunité, le Gouvernement n’est pas d’accord avec le dispositif développé dans la proposition de loi, même s’il en partage les intentions. On a bien le droit de ne pas être d’accord ! D’ailleurs, vous-mêmes n’êtes pas d’accord avec le Gouvernement et je ne vous qualifie pas de maître d’école pour autant, monsieur Fortassin ! J’ai trop de respect pour vous.
Monsieur le président de la commission, je le répète pour la troisième fois, je ne suis que l’interprète du garde des sceaux et je ne sais pas comment le dialogue s’est organisé entre le ministère de la justice et la commission des lois, mais des discussions ont dû avoir lieu, des arguments ont probablement été développés…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Patrick Ollier, ministre. Eh bien, après avoir entendu l’ensemble de vos arguments et avoir bien étudié les dispositifs de la proposition de loi, le Gouvernement a décidé de s’opposer aux points essentiels que vous développez. Il n’a donc pas déposé d’amendement, sinon il aurait été obligé de demander un changement complet du dispositif, il aurait été conduit à vider de leur sens les différents articles que vous avez rédigés. Laissons donc à la navette et au temps le soin de résoudre de tels problèmes.
M. Frassa est favorable à la proposition de loi, tout comme Mmes Assassi et Bonnefoy, et je le comprends très bien. Cependant, mesdames, vous n’avez centré votre propos que sur les questions d’opportunité et sur des intentions. Nous sommes, je le répète, d’accord sur les intentions, mais cela ne signifie pas que le dispositif juridique développé article par article réponde de manière aussi claire que vous le dites aux intentions affichées.
En tout cas, le Gouvernement ne partage pas cette analyse et considère que la proposition de loi crée des difficultés en termes de constitutionnalité, d’application et d’opportunité s’agissant de certaines de ses dispositions. C’est la raison pour laquelle il n’y est pas favorable et souhaite que le travail se poursuive au gré de la navette.
Il serait en effet regrettable que, nonobstant notre accord sur les intentions, nous nous opposions sur le dispositif.
Pour l’heure, le Gouvernement demeure donc contre l’ensemble des articles de la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Tout d’abord, je tiens à mon tour à remercier nos collègues Mmes Assassi et Bonnefoy, MM. Frassa et Fortassin, qui, chacun à leur manière, ont illustré l’intérêt que présentait la proposition de loi de M. Portelli.
Monsieur le ministre, je reviendrai très succinctement sur certains des points que vous avez développés.
Tout d’abord, je note que vous n’avez pas contesté un grand nombre des propositions incluses dans notre texte : par exemple, savoir qui finance le sondage, connaître les questions, les taux de non-réponses, les marges d’erreur. Puisque vous n’avez pas mentionné de nombreuses dispositions, que vous n’avez donc pas présenté d’objection à leur sujet, peut-être m’est-il permis de considérer qu’un accord est envisageable sur ces points ?
Par ailleurs, je souhaitais vous faire observer que nous travaillons sur ce sujet depuis un an, que nous sommes le 14 février, que la proposition de loi a été déposée par M. Hugues Portelli le 25 octobre dernier et que, depuis cette date, nos positions sont connues.
En outre, nous avons auditionné un certain nombre de personnalités. Or, parmi ces dernières, ni les professeurs Carcassonne et Maligner, ni Mme Marie-Ève Aubin, conseiller d’État et présidente de la commission des sondages, ni M. Guyomar, membre du Conseil d’État et secrétaire général de la commission des sondages, ni les représentants du ministère de la justice n’ont présenté d’objection d’ordre constitutionnel. Nous avons d’ailleurs pris en compte dans nos vingt-trois amendements un certain nombre de remarques émanant des représentants du ministère de la justice et du ministère de l’intérieur, mais, je le répète, aucun argument d’ordre constitutionnel n’a été invoqué lors des auditions que nous avons menées.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, vous comprendrez que nous soyons quelque peu surpris de votre réaction ; je me permets de vous le faire remarquer d’autant plus que vous vous êtes fait l’interprète de M. le garde des sceaux.
S’agissant de l’objection que vous avez émise au sujet de la Polynésie française, je vous précise qu’elle est satisfaite par un amendement qui a été adopté en commission.
Votre affirmation au sujet d’internet est une vérité d’ordre général : internet est mondial, nous élaborons la législation pour la République française. Cet argument peut être mis en facteur commun et vaut pratiquement pour tous les sujets.
A contrario, nous considérons que ce n’est pas parce qu’internet existe qu’il faut renoncer à une législation nationale. Le dispositif prévu par la proposition de loi n’introduit aucune entrave, ne risque de créer aucune difficulté pour les entreprises françaises. Quant aux entreprises étrangères, elles ont tout à fait le droit de faire des sondages en France ; elles doivent simplement dans ce cas respecter la législation française. Par conséquent, monsieur le ministre, tout le monde est logé à la même enseigne.
Vous avez critiqué l’absence de définition du périmètre du débat et de la sphère politiques dans le texte de la proposition. Monsieur le ministre, il ne vous a pas échappé que, dans la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, ce qui relève du débat électoral n’est pas non plus précisément défini et il est sage qu’il en soit ainsi. Un débat sur les retraites, sur la dépendance ou sur tel médicament s’inscrit nécessairement dans le débat politique, vous le comprenez ; le périmètre du débat politique sera une question de jurisprudence.
Le problème ne se pose pas pour les sondages – généralement non publiés – commandés par une entreprise, une marque ou une enseigne, qui n’entrent pas dans le champ d’application de la loi. En revanche, il est bon que tous les sondages qui relèvent du débat public soient soumis aux dispositions de la loi afin que la transparence soit la plus grande possible.
Enfin, et je ne m’attarderai pas sur ce point, car je sais que notre collègue Hugues Portelli aura l’occasion de s’exprimer, je tiens à rappeler que ce texte ne porte aucunement atteinte à la liberté d’expression. Nous n’avons jamais prévu d’interdire la publication de tel ou tel sondage ! Nous avons même pris toutes les dispositions pour que tout sondage puisse être publié.
Toute question peut être publiée ; nous demandons même que les questions soient publiées, qu’elles soient connues ! Les réponses sont également publiées. Si les instituts de sondage ne respectent pas la loi, la commission des sondages effectue une mise au point et inflige le cas échéant une amende, mais les sondages sont tout de même publiés.
À aucun moment nous ne portons atteinte à la liberté d’expression, à laquelle nous sommes très attachés.
Monsieur le ministre, vous savez qu’il existe une autre obligation à caractère constitutionnel : la garantie de sincérité du scrutin. C’est d’ailleurs la raison d’être de la loi sur les sondages !
En effet, la liberté d’expression doit être préservée, mais ce dans le cadre de la loi de telle sorte qu’en période électorale la sincérité des scrutins soit garantie. De notre point de vue, pour garantir cette sincérité des scrutins, il ne faut en aucun cas porter atteinte à la liberté d’expression, mais il faut assurer la plus grande transparence possible.
C’est en effet grâce à la transparence des informations relatives aux sondages que le débat pourra se dérouler avec les meilleures garanties possibles ; c’est seulement ainsi que la liberté d’expression, à laquelle nous tenons comme à la prunelle de nos yeux, sera compatible avec la sincérité du scrutin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion des articles.
Titre Ier
MODIFICATIONS DE LA LOI N° 77-808 DU 19 JUILLET 1977 RELATIVE À LA PUBLICATION ET À LA DIFFUSION DE CERTAINS SONDAGES D’OPINION
Article 1er
L’article 1er de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion est ainsi rédigé :
« Art. 1er. – Un sondage est une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon représentatif de celle-ci, qu’il soit constitué selon la méthode des quotas ou selon la méthode aléatoire.
« Sont régis par la présente loi les sondages publiés, diffusés ou rendus publics, portant sur des sujets liés au débat politique ou électoral.
« Les personnes interrogées sont choisies par l’organisme réalisant le sondage et ne peuvent recevoir aucune gratification de quelque nature que ce soit.
« Sont assimilées à des sondages pour l’application de la présente loi :
« - les enquêtes statistiques répondant à la définition du sondage énoncée au premier alinéa, quelle que soit leur dénomination ;
« - les opérations de simulation de vote réalisées à partir de sondages liés au débat électoral.
« Sont soumis à la présente loi les organes d’information qui font état, sous quelque forme que ce soit, d’un sondage tel que défini au présent article publié ou diffusé depuis un lieu situé hors du territoire national. »
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
L’article 2 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 2. – La première publication ou la première diffusion de tout sondage, tel que défini à l’article 1er, sont accompagnées des indications suivantes, établies sous la responsabilité de l’organisme qui l’a réalisé :
« 1° le nom de l’organisme ayant réalisé le sondage ;
« 2° le nom et la qualité du commanditaire du sondage ou de la partie du sondage, ainsi que ceux de l’acheteur s’il est différent ;
« 3° le nombre des personnes interrogées ;
« 4° la ou les dates auxquelles il a été procédé aux interrogations ;
« 5° le texte intégral des questions posées ;
« 6° les marges d’erreur des résultats publiés ou diffusés, le cas échéant par référence à la méthode aléatoire ;
« 7° le cas échéant, les observations méthodologiques de la commission des sondages instituée à l’article 5 formulées en application de l’article 9 ;
« 8° une mention indiquant le droit de toute personne à consulter la notice prévue par l’article 3.
« Les informations visées au 5° peuvent figurer sur le service de communication au public en ligne de l’organe d’information qui publie ou diffuse le sondage. Dans ce cas, l’organe d’information indique l’adresse internet de son service de communication au public en ligne. » – (Adopté.)
Article 3
I. – L’article 3 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 3. – Au plus tard 24 heures avant la publication ou la diffusion de tout sondage tel que défini à l’article 1er, l’organisme qui l’a réalisé procède au dépôt auprès de la commission des sondages instituée en application de l’article 5 d’une notice précisant au minimum :
« - toutes les indications figurant à l’article 2 ;
« - l’objet du sondage ;
« - la méthode selon laquelle les personnes interrogées ont été choisies, le choix et la composition de l’échantillon ;
« - les conditions dans lesquelles il a été procédé aux interrogations ;
« - la proportion des personnes n’ayant pas répondu à l’ensemble du sondage et à chacune des questions ;
« - s’il y a lieu, les critères précis de redressement des résultats bruts du sondage.
« Dès la publication ou la diffusion du sondage :
« - toute personne a le droit de consulter auprès de la commission des sondages la notice prévue par le présent article ;
« - cette commission rend publique cette notice sur son service de communication au public en ligne. »
II. – (Non modifié) L’article 3-1 de la même loi est abrogé. – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
L’article 4 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 4. – L’organisme ayant réalisé un sondage tel que défini à l’article 1er remet à la commission des sondages instituée en application de l’article 5, en même temps que la notice, les documents sur la base desquels le sondage a été publié ou diffusé. Toute personne a le droit de consulter ces documents auprès de la commission des sondages. » – (Adopté.)
Article 5
Après l’article 4 de la même loi, il est inséré un article 4–1 ainsi rédigé :
« Art 4-1. – Les hypothèses testées dans un sondage relatif au second tour d’une élection, publié ou diffusé avant le premier tour, doivent tenir compte des données qui résultent d’un sondage de premier tour, obligatoirement publié ou diffusé en même temps. »
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 4-1. - Tout sondage portant sur le second tour d'une élection est interdit avant le premier tour de celle-ci. »
La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Par le dépôt de cet amendement, nous entendons prendre le contre-pied des us et coutumes actuels, qui tendent à privilégier systématiquement le deuxième tour d’une élection au détriment du premier. Ce constat est évident pour ce qui est aujourd’hui le scrutin structurant de la vie politique française, l’élection présidentielle.
Qui peut nier dans cette enceinte que l’affirmation plus d’une année à l’avance, par le biais de sondages plus ou moins encadrés à l’heure actuelle, de la présence incontournable au second tour de deux formations politiques fausse la donne électorale ? Pourtant, le précédent de 2002 devrait appeler à plus de prudence.
Selon nous, c’est autour du premier tour d’une élection, moment de l’expression pluraliste et du débat d’idées, que s’organise la réelle démocratie électorale d’un pays.
Bien entendu, ce détournement du suffrage universel – c’est bien de cela qu’il s’agit – est une conséquence directe, d’une part, du mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours et, d’autre part, de la sacralisation de l’élection présidentielle dans nos institutions.
En conclusion, mes chers collègues, nous considérons que brûler l’étape du premier tour, comme le font allègrement les instituts de sondages en œuvrant de fait pour la bipolarisation de la vie politique, met en péril l’exercice plein et entier du suffrage universel. L’adoption de l’amendement n° 1 que nous vous proposons marquerait une réelle rupture avec la pratique actuelle des sondages en matière électorale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Cet amendement porte sur l’interdiction de certains sondages.
Or la présente proposition de loi vise uniquement la publication des sondages, qui peuvent, à l’évidence, être commandés à titre privé par toute personne.
En outre, l’adoption de cet amendement irait à l’encontre de la liberté d’expression, que nous venons d’évoquer.
Certes, il n’est pas logique de solliciter des réponses à un sondage concernant le second tour d’une élection avant le premier, puisqu’un tel sondage ne prend pas en compte le premier tour pour la formulation des questions. Les marges d’erreur sont naturellement à considérer.
Pour autant, même si cela ne lui paraît pas judicieux, la commission estime que l’on ne peut pas interdire la publication d’un sondage portant sur le second tour.
C'est pourquoi elle émet un avis défavorable sur l’amendement n° 1.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement partage totalement le point de vue de la commission sur ce point.
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. C’est logique !
M. Patrick Ollier, ministre. En effet, monsieur le rapporteur, au titre de la liberté d’expression, on ne peut pas accepter cet amendement relatif à l’interdiction de la réalisation, avant le premier tour, de tout sondage portant sur le second tour.
Comme tout à l’heure à la tribune, je me référerai à l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Je le répète, le Gouvernement se rallie à la position de la commission et émet un avis défavorable cet amendement.
Mme la présidente. Monsieur Foucaud, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Thierry Foucaud. Je pense que nous nous devions d’évoquer le réel problème qui se pose. Pour autant, je comprends les arguments qui viennent d’être exposés et je retire l’amendement n° 1.
Mme la présidente. L'amendement n° 1 est retiré.
Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
(Non modifié)
L’article 5 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 5. – Il est institué une autorité administrative indépendante, dénommée "commission des sondages". Elle ne reçoit, dans l’exercice de ses attributions, aucune instruction.
« Elle a tout pouvoir pour vérifier que les sondages tels que définis à l’article 1er ont été commandés, réalisés, publiés ou diffusés conformément à la présente loi et aux textes réglementaires applicables. » – (Adopté.)
Article 7
L’article 6 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 6. – La commission des sondages est composée de onze membres :
« 1° Deux membres du Conseil d’État, d’un grade au moins égal à celui de conseiller, élus par l’assemblée générale du Conseil d’État ;
« 2° Deux membres de la Cour de cassation, d’un grade au moins égal à celui de conseiller, élus par l’assemblée générale de la Cour de cassation ;
« 3° Deux membres de la Cour des comptes, d’un grade au moins égal à celui de conseiller maître, élus par l’assemblée générale de la Cour des comptes ;
« 4° Une personnalité qualifiée en matière de sciences politiques désignée par décret sur proposition de la Fondation nationale des sciences politiques ;
« 5° Une personnalité qualifiée en matière de droit public désignée par décret sur proposition de l’Académie des Sciences morales et politiques ;
« 6° Une personnalité qualifiée en matière de sciences sociales désignée par décret sur proposition de l’École des hautes études en sciences sociales ;
« 7° Une personnalité qualifiée en matière de mathématiques désignée par décret sur proposition de l’Académie des Sciences ;
« 8° Une personnalité qualifiée en matière de statistiques désignée par décret sur proposition de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique.
« La commission élit en son sein son président.
« En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante.
« Les membres de la commission des sondages sont nommés pour un mandat de six ans non renouvelable.
« Ne peuvent être membres de la commission les personnes qui perçoivent ou ont perçu dans les trois années précédant leur désignation une rémunération, de quelque nature que ce soit, de médias ou d’organismes réalisant des sondages tels que définis à l’article 1er.
« Dans les trois années qui suivent la fin de leur mandat, les anciens membres de la commission ne peuvent percevoir une rémunération, de quelque nature que ce soit, de médias ou d’organismes réalisant des sondages tels que définis à l’article 1er.
« Les règles énoncées aux deux précédents alinéas sont applicables au personnel de la commission ainsi qu’aux rapporteurs désignés par cette dernière. » – (Adopté.)
Article 8
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article 7 de la même loi, les mots : « pris en application de l’article 5 ci-dessus » sont remplacés par le mot : « applicables ». – (Adopté.)
Article 9
(Non modifié)
L’article 8 de la même loi est abrogé. – (Adopté.)
Article 10
L’article 9 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 9. – Dans le mois précédant un scrutin, la commission des sondages peut présenter des observations quant à la méthodologie d’élaboration d’un sondage tel que défini à l’article 1er ; ces observations accompagnent la publication ou la diffusion de ce dernier. Elles sont présentées comme émanant de la commission.
« La commission des sondages peut également, à tout moment, ordonner à toute personne qui publie ou diffuse un sondage tel que défini à l’article 1er, commandé, réalisé, publié ou diffusé en violation de la présente loi et des textes réglementaires applicables ou en altérant la portée des résultats obtenus, de publier ou diffuser une mise au point ou, le cas échéant, de mentionner les indications prévues à l’article 2 qui n’auraient pas été publiées ou diffusées. La mise au point est présentée comme émanant de la commission. Elle est, suivant le cas, diffusée sans délai et de manière que lui soit assurée une audience équivalente à celle de ce sondage, ou insérée dans le plus prochain numéro du journal ou de l’écrit périodique à la même place et en mêmes caractères que l’article qui l’aura provoquée et sans aucune intercalation. »
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
Dans le mois
par les mots :
Durant la période
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Je serai brève, car j’ai déjà évoqué ce sujet lors de la discussion générale.
Nous approuvons l’innovation importante introduite par l’article 10, permettant d’intervenir a priori et non a posteriori sur les aspects illégaux d’un sondage. À l’heure actuelle, il existe une curiosité juridique : une fois l’élection passée, les instituts de sondages peuvent être réprimandés par la commission des sondages, ce qui, selon nous, correspond à une sorte d’aveu d’impuissance.
Cependant, si nous approuvons la démarche de cet article, nous nous demandons pourquoi il faudrait limiter au mois précédant l’élection la période pendant laquelle peut intervenir la commission des sondages. On le sait, un sondage non respectueux de la déontologie, qu’il soit réalisé un an, six mois ou trois jours avant le scrutin, peut avoir de lourdes conséquences.
C'est la raison pour laquelle nous suggérons de modifier l’article 10 en étendant les mesures proposées à l’ensemble de la période qui précède le scrutin.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Madame Assassi, j’en suis désolé, la commission n’a pas non plus retenu cet amendement, qui est en grande partie satisfait.
En effet, la proposition de loi permet à la commission des sondages d’intervenir « dans le mois précédant un scrutin ». Il est évident que si, au lieu d’un mois, on retenait la formule « la période », ce serait très imprécis : on ne saurait s’il s’agit de quinze jours, de deux mois ou de six mois. Il y a donc là d’abord un problème d’écriture de la loi.
Ensuite, aux termes de la proposition de loi, dans le mois qui précède l’élection, tout sondage peut être publié. Si un sondage est fallacieux au regard des exigences de transparence inscrites dans la loi, la commission des sondages a le pouvoir d’exiger une mise au point publiée dans les mêmes caractères que le sondage, la publication de ce dernier n’étant nullement empêchée.
Ce processus, très coercitif, nous a semblé justifié pendant la période électorale, autrement dit à peu près un mois avant l’élection.
Pour ce qui est des autres cas, je vous rappelle, madame Assassi, que la proposition de loi donne à tout moment la possibilité à la commission des sondages de publier une mise au point après la publication du sondage, dès lors qu’il s’agit d’un sondage électoral ou politique.
En fait, la commission des sondages a tous les pouvoirs. C’est seulement dans la période d’un mois précédant un scrutin qu’elle peut exiger la publication concomitante de ses observations et du sondage en cause, parce que, dans ce laps de temps justement, il est très important, monsieur le ministre, de veiller au respect du principe constitutionnel de la sincérité du scrutin.
Sous le bénéfice de ces explications, je vous demande, madame Assassi, de bien vouloir retirer l’amendement n° 2, mais la décision vous appartient...
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Je continue à avoir le même avis que M. le rapporteur, et je regrette de ne pouvoir le partager sur l’ensemble du texte ! (Sourires.)
La présente proposition de loi a pour objet de clarifier la législation actuelle. D’ailleurs, M. le rapporteur, comme M. Portelli, l’ont eux-mêmes souligné tout à l’heure.
Même si je comprends votre argumentation, madame Assassi, le laps de temps que vous prévoyez est trop imprécis et va donc à l’encontre de la finalité de cette proposition de loi. J’estime, pour ma part, que le délai d’un mois tel qu’il est prévu est suffisant.
Par conséquent, je vous demande à mon tour, en accord total avec M. le rapporteur, de bien vouloir retirer l’amendement n° 2.
Mme la présidente. Madame Assassi, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
Mme Éliane Assassi. Tout en considérant que le dispositif prévu n’est malgré tout pas très contraignant, la notion de période, je le concède, est assez floue. Par conséquent, je me range aux arguments qui viennent d’être exposés et je retire cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 2 est retiré.
Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Article 11
(Non modifié)
L’article 10 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 10. – La commission des sondages peut rendre publiques par tout moyen ses décisions ; elles sont susceptibles de recours devant le Conseil d’État. » – (Adopté.)
Article 12
Après l’article 10 de la même loi, sont insérés deux articles 10-1 et 10-2 ainsi rédigés :
« Art. 10-1. – (Non modifié) Le président de la commission des sondages présente chaque année au Président de la République, au Président du Sénat et au Président de l’Assemblée nationale un rapport qui rend compte de son activité. Ce rapport est publié.
« Art. 10-2. – L’autonomie budgétaire de la commission des sondages est assurée dans les conditions déterminées par une loi de finances.
« Le président de la commission des sondages est ordonnateur des crédits qui lui sont affectés.
« Les dispositions de la loi du 10 août 1922 relative à l’organisation du contrôle des dépenses engagées ne sont pas applicables.
« Il présente ses comptes au contrôle de la Cour des comptes. »
Mme la présidente. L'amendement n° 3, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Art. ... - Le rapport de la commission des sondages rappelle chaque année la composition des organes de direction des instituts de sondages.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Le présent amendement est, si je puis dire, dans l’air du temps. Vous le savez, nos concitoyens ont aujourd'hui soif de transparence. Très majoritairement, ils rejettent les conflits d’intérêts et l’interactivité entre pouvoirs politique, économique et médiatique.
Quoi qu’on en dise, les instituts de sondages sont des entreprises privées qui, loin d’être neutres, sont sensibles, de fait, aux influences du marché.
Mme Parisot, hier dirigeante de l’IFOP, aujourd'hui présidente du MEDEF, s’abrite derrière la neutralité lorsqu’elle est questionnée sur ce sujet.
Cela dit, sans remettre en cause la bonne foi de quiconque, nous militons pour plus de transparence. En effet, nos concitoyens ont le droit de savoir qui est qui, et qui cherche à les influencer.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je partage totalement vos préoccupations, ma chère collègue, mais votre amendement est satisfait.
En effet, aux termes de l’article L. 123-1 du code de commerce, les sociétés commerciales sont tenues de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés tenu par les greffes et tribunaux de commerce. Ce registre a pour objet de porter à la connaissance du public des informations relatives aux sociétés immatriculées, en particulier le nom de tous les dirigeants, de tous les administrateurs et de tous les membres du conseil de surveillance.
Cependant, j’adresserai une requête au Gouvernement. Depuis le début de ce débat, nous ne cessons d’invoquer la transparence, et c’est un point important. S’il est essentiel de savoir qui possède tel ou tel journal, telle ou telle chaîne de télévision, telle ou telle radio, il en est de même en ce qui concerne tant les propriétaires et dirigeants des instituts de sondages, que les membres de leur conseil d’administration. La transparence, d’ailleurs prévue par la loi, est très bénéfique dans ces domaines.
Monsieur le ministre, vous le savez, si je veux connaître les informations visées à l’article précité, je ne suis même pas obligé de me rendre au tribunal de commerce. Il me suffit de me connecter à Internet et de pianoter sur le site www.infogreffe.fr. Mais ce site est tellement peu connu que, tout à l’heure, un de mes interlocuteurs pensait qu’il contenait des informations sur les greffes d’organes… (Sourires.) Il est important que le Gouvernement s’attache à bien faire savoir aux citoyens que grâce à www.infogreffe.fr, la transparence est assurée.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est de la publicité !
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. En tout état de cause, madame Assassi, l’amendement n° 3 étant satisfait, je vous demanderai de bien vouloir le retirer.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Cela devient une habitude, je suis d’accord avec M. le rapporteur !
Madame Assassi, vous avez raison dans votre intention, mais je ne peux que répéter ce que vous a très bien dit M. le rapporteur : cet amendement est satisfait par l’article L. 123-1 du code de commerce.
Grâce à cette disposition, les noms des membres tant du conseil de surveillance que du conseil d’administration sont déjà publics, dès lors qu’ils font l’objet de publicité légale dans le cadre du registre national du commerce et des sociétés. Ce n’est donc pas la peine de l’imposer de nouveau dans la loi.
Monsieur le rapporteur, le site www.infogreffe.fr crée un doute, dites-vous. Il existe peut-être un problème de connaissance de l’existence de ce site et l’appellation même peut-être de nature à créer une confusion. Cela étant, je doute que les personnes souhaitant avoir accès au greffe du tribunal de commerce et se connectant à www.infogreffe.fr pensent qu’il s’agit d’une greffe médicale ! Votre argumentation était, me semble-t-il, empreinte d’humour …
M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Comme toujours !
M. Patrick Ollier, ministre. En effet, comme très souvent, et je le prends comme tel !
Cela étant, s’agissant de la publicité en faveur de ce site, je transmettrai vos observations à la Chancellerie pour qu’elle le fasse mieux connaître.
Au bénéfice de ces explications, madame Assassi, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme la présidente. Madame Assassi, l’amendement n° 3 est-il maintenu ?
Mme Éliane Assassi. C’est assez rare, mais pour la troisième fois aujourd'hui, le groupe CRC-SPG va retirer son amendement. Je fais confiance à M. le rapporteur et à M. le ministre : si tout ce que nous souhaitons figure dans l’article L. 123-1 du code de commerce, notre amendement est satisfait et je le retire.
Mme Jacqueline Gourault. Très bien !
Mme la présidente. L'amendement n° 3 est retiré.
Je mets aux voix l'article 12.
(L'article 12 est adopté.)
Article 13
L’article 11 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 11. – En cas d’élections générales et de référendum, la veille et le jour de chaque scrutin, aucun sondage électoral ne peut faire l’objet, par quelque moyen que ce soit, d’une publication, d’une diffusion ou d’un commentaire. Pour l’élection présidentielle, l’élection des députés et l’élection des représentants au Parlement européen ainsi que pour les référendums, cette interdiction prend effet sur l’ensemble du territoire de la République à compter du samedi précédant le scrutin à zéro heure. Cette interdiction prend fin à la fermeture du dernier bureau de vote sur le territoire métropolitain.
« En cas d’élections partielles, cette interdiction ne s’applique qu’aux sondages électoraux portant directement ou indirectement sur les scrutins concernés et prend fin à la fermeture du dernier bureau de vote de la circonscription électorale concernée.
« Cette interdiction ne fait obstacle ni à la poursuite de la diffusion de sondages publiés avant la veille de chaque scrutin ni au commentaire de ces sondages, à condition que soit indiqués la date de première publication ou diffusion, le média qui les a publiés ou diffusés et l’organisme qui les a réalisés. » – (Adopté.)
Article 14
I. – (Non modifié) L’intitulé de la section V de la même loi est ainsi rédigé :
« Section V
« Dispositions pénales »
II. – L’article 12 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 12. – Est puni d’une amende de 75 000 € :
« - le fait d’utiliser le terme "sondage" pour des enquêtes portant sur des sujets liés au débat politique ou électoral et qui ne répondent pas à la définition du sondage énoncée à l’article 1er ;
« - le fait de commander, réaliser, publier ou laisser publier, diffuser ou laisser diffuser un sondage en violation de la présente loi et des textes réglementaires applicables ;
« - le fait de ne pas publier ou diffuser une mise au point demandée par la commission des sondages en application de l’article 9, ou de la publier ou diffuser dans des conditions contraires aux dispositions de cet article ;
« - le fait d’entraver l’action de la commission des sondages dans l’exercice de sa mission de vérification définie à l’article 5.
« La décision de justice est publiée ou diffusée par les mêmes moyens que ceux par lesquels il a été fait état du sondage publié ou diffusé en violation des dispositions de la présente loi. » – (Adopté.)
Article 15
(Non modifié)
I. – L’article 13 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 13. – Les conditions d’application de la présente loi sont fixées par décret en Conseil d’État.
« Ce décret détermine, en particulier, les règles méthodologiques que les organismes réalisant des sondages doivent respecter afin de garantir leur objectivité et leur sincérité. »
II. – Avant l’article 13 de la même loi, il est inséré une section ainsi rédigée :
« Section VI
« Dispositions finales »
– (Adopté.)
Article 16
(Non modifié)
L’article 14 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 14. – La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République française. » – (Adopté.)
Article 17
(Non modifié)
L’intitulé de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion est ainsi rédigé : « loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion des sondages politiques ». – (Adopté.)
Titre II
MODIFICATIONS DU CODE ÉLECTORAL
Article 18
A la première phrase du premier alinéa de l’article L. 52-2 du code électoral, les mots : « la voie de la presse ou par tout moyen de communication au public par voie électronique » sont remplacés par les mots : « quelque moyen que ce soit ». – (Adopté.)
Article 19
(Supprimé)
Article 20
(Non modifié)
À l’article L. 89 du même code, la référence : « et L. 52-2 » est supprimée. – (Adopté.)
Article 21
(Non modifié)
À l’article L. 90-1 du même code, les mots : « de l’article L. 52-1 » sont remplacés par les mots : « des articles L. 52-1 et L. 52-2 ». – (Adopté.)
Titre III
DISPOSITIONS TRANSITOIRES
(Division et intitulé nouveaux)
Article 22 (nouveau)
Les mandats des membres de la commission des sondages en cours à la date de publication de la présente loi cessent trois mois après cette publication – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur le triptyque que vous avez évoqué et qui me semble très intéressant, concernant l’opportunité, l’applicabilité et la constitutionnalité.
Premièrement, l’opportunité est un argument que je suis prêt à entendre, mais je m’interroge : l’opportunité pour quoi et pour qui ?
Pour notre part, nous avons conduit la mission d’information et déposé ce texte à un moment qui nous paraissait opportun, car il se situait en dehors des périodes électorales. C’était donc le moment idéal pour réfléchir ensemble, y compris avec le Gouvernement. Ce dernier a d’ailleurs été sollicité et entendu, mais il n’a pas cru devoir s’exprimer concrètement sous forme d’amendements.
L’opportunité pour qui d’autre ? S’agit-il des instituts de sondages, de certains groupes d’intérêt ? On ne sait pas. En tout état de cause, il aurait été intéressant de connaître la nature de l’opportunité dont il a été fait état.
Deuxièmement, sur le sujet de l’applicabilité, en revanche, je suis d’accord avec vous. D’ailleurs, je m’attendais à ce que le Gouvernement soulève le problème de l’applicabilité par rapport à deux ou trois articles, par exemple, sur les questions de délai pour l’examen des sondages. Je serai tout à fait transparent : en l’occurrence, nous avons laissé le texte en l’état parce que nous attendions des propositions de modifications et d’améliorations – elles seront peut-être faites un jour à l’Assemblée nationale –, car je suis convaincu que nous pouvons et que nous devons débattre de certains points. Malheureusement, l’argument trouvé pour ne pas proposer la moindre modification est de dire que la philosophie générale de la proposition de loi déplaît. Il ne me paraît pas très sérieux ! En matière d’applicabilité, je le répète, j’étais tout à fait ouvert à la discussion pour modifier certains points.
Troisièmement, j’en viens à la constitutionnalité. Je suis personnellement ravi, monsieur le ministre, de vous entendre dire, au nom du garde des sceaux, que vous êtes soucieux que tous les textes débattus au Parlement respectent la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et je vous en félicite très modestement.
Je souhaite cependant que cela soit toujours le cas. Par exemple, le projet de loi relatif à la garde à vue dont nous débattrons dans quelques jours a été censuré à la fois par le Conseil constitutionnel, parce qu’il était contraire à la Constitution, et par la Cour de cassation, parce qu’il était contraire à la Convention européenne précitée. En l’occurrence, il s’agissait d’une question prioritaire de constitutionnalité et d’un contrôle de constitutionnalité. Mais ce n’est pas la première fois que nous avons des textes censurés. Il est déjà arrivé que le Conseil constitutionnel censure des textes d’origine entièrement gouvernementale, dont on savait très bien qu’ils n’étaient pas tout à fait conformes à la Constitution.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. La taxe carbone !
M. Hugues Portelli. D’ailleurs, je félicite M. le président de la commission des lois du Sénat, qui évite souvent au Gouvernement d’avoir l’affront d’être censuré par le Conseil constitutionnel en corrigeant, dès l’examen en commission des lois, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Hugues Portelli. … des textes dont chacun sait pertinemment qu’ils sont contraires à la Constitution. (M. Christian Cointat applaudit.)
J’en viens à la proposition de loi. Elle mérite sûrement discussion, monsieur le ministre. J’enseigne depuis trente ans le droit constitutionnel à quelques encablures d’ici, dans une excellente université parisienne. Cela étant, j’ai pu me tromper. Reprenons les points qui poseraient éventuellement un problème de constitutionnalité.
Le premier concerne la liberté d’entreprendre. Vous ne l’avez pas citée, mais vous auriez pu le faire. Les directeurs des instituts de sondages que Jean-Pierre Sueur et moi-même avons auditionnés nous ont affirmé tranquillement que les sondages politiques ne représentaient que 1 % à 5 % de leur chiffre d’affaires. L’un d’entre eux a même ajouté : « Lorsque j’ai eu des problèmes, j’ai licencié tout le monde, cessé quelque temps de faire des sondages politiques, et ce sans perdre un centime d’euro. »
Sachant que nombre d’instituts de sondages appartiennent à des multinationales françaises menant des enquêtes partout dans le monde avec des capitaux français, entre nous, je ne crois pas trop à la liberté d’entreprendre !
Le second point a trait à la liberté d’expression. Deux aspects sont à prendre en considération et, tout d’abord, la façon dont l’institut réalise le sondage. Nous demandons la transparence en matière de méthodologie, mais chacun est libre de faire les sondages qu’il veut et selon la méthode qu’il choisit. Il lui faudra simplement assumer cette dernière.
Ensuite, la vraie question est celle de la publication de ces sondages dans la presse écrite ou dans l’audiovisuel. La proposition de loi n’interdit à personne de faire une enquête d’opinion comme il l’entend. Toutefois, si l’enquête ne répond pas aux exigences méthodologiques minimales propres à tout sondage, elle ne pourra utiliser le terme « sondage ». Cela dit, l’enquête pourra être publiée, mais la commission des sondages aura le droit de publier un rectificatif.
Nous n’avons rien inventé : les trois quarts des dispositions du texte qui vous est soumis aujourd'hui existent déjà dans la loi. L’objet principal de la proposition de loi n’est rien d’autre que, d’une part, appliquer la loi de 1977 et, d’autre part, la mettre à jour.
Si c’est contraire à la Constitution, monsieur le ministre, il n’y a pas beaucoup de textes déposés par le Gouvernement qui doivent y être conformes ! (Applaudissements.)
M. Roland Courteau. En effet !
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. À ce stade de la discussion, beaucoup de choses ont été dites et, comme je ne suis pas intervenue au cours de la discussion générale, je reviendrai sur trois points.
Monsieur le ministre, lorsque vous avez commencé votre intervention, vous avez dit que l’auteur de cette proposition de loi et le rapporteur étaient « pétris de bonnes intentions ». Dès cet instant, j’ai compris qu’il y avait un problème, car l’enfer est pavé de bonnes intentions…
Vous avez dit avoir été « blessé » par les propos de M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. J’ai été courtois !
Mme Jacqueline Gourault. J’ai été blessée, moi aussi, car la manière dont vous vous êtes exprimé laissait penser qu’un texte d’initiative parlementaire, auquel le Gouvernement n’avait pas mis sa patte, serait moins bon qu’un projet de loi. (M. le ministre marque son étonnement.) C’est ce que j’ai ressenti, monsieur le ministre ! Je le redis, j’ai été quelque peu blessée que l’on puisse penser que des parlementaires produiraient un travail de moindre qualité que les ministres, lesquels sont d’ailleurs pour la plupart d’anciens parlementaires et, que je sache, n’ont pas passé d’examen de droit constitutionnel pour entrer au Gouvernement !
Deuxième point, je ne pouvais pas imaginer que vous invoqueriez la liberté de la presse et la liberté d’expression pour justifier votre opposition à cette proposition de loi.
Que signifient la liberté de la presse et la liberté de l’expression ? C’est la possibilité pour la presse de donner toutes les informations nécessaires à la compréhension d’un événement, d’une opinion, d’une idée. Il en est donc de même pour un sondage, dont il importe de connaître la méthode, les commanditaires, les payeurs.
Par conséquent, à mes yeux, contrairement aux vôtres, cette proposition de loi vise précisément à renforcer la liberté de la presse et la liberté d’expression, comme l’a dit très clairement M. le rapporteur. La connaissance, la transparence, la vérité, la sincérité de l’information sont des conditions nécessaires à la liberté de penser et en sont le corollaire. Je ne comprends donc pas votre raisonnement.
D’ailleurs, le quotidien Le Monde a consacré une page entière à cette proposition de loi. Cela prouve, d’une part, la qualité de ce texte et, d’autre part, que la presse ne se sent pas muselée dans sa liberté d’expression par la proposition de loi.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Jacqueline Gourault. Troisième point, vous avez avancé l’argument d’internet. Je ne vois pas très bien le rapport avec cette proposition de loi. À l’évidence, nous avons beaucoup à réfléchir pour protéger nos libertés dans ce domaine, mais ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi
J’ajoute, avec humour, monsieur le ministre, que le Gouvernement ferait bien de se pencher sur ce problème avant que le Parlement ne s’en saisisse et, peut-être, propose une loi qui serait moins bonne que celle du Gouvernement… (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au moment où nous achevons l’examen de cette proposition de loi, je suis très impressionné par la qualité de ce débat. Je pense qu’il honore notre Haute Assemblée, au sein de laquelle je siège depuis de nombreuses années.
Je tiens à féliciter M. Portelli, auteur de la proposition de loi, et M. Jean-Pierre Sueur, qui a excellemment rapporté ce texte.
Il était temps, je ne sais si l’expression est appropriée, de mettre un frein à l’excès de sondages réalisés lors des grands événements électoraux. M. Portelli l’a souligné tout à l'heure, les instituts de sondage considèrent que les sondages politiques ne représentent pas grand-chose dans leur chiffre d’affaires.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Cantegrit. Peut-être, mais à des moments essentiels de la vie politique, l’opinion publique y est très sensible, et ces sondages contribuent à accroître la notoriété des instituts de sondage qui en profitent pour réaliser ensuite, nous en sommes tous certains, des sondages beaucoup plus lucratifs sur des produits ménagers ou autres.
D’ailleurs, pour ce qui concerne les sondages politiques, des textes antérieurs ont déjà fixé des limites temporelles à l’approche des scrutins. Toutefois, vous le savez tous, certains pays limitrophes de la France, tels que la Suisse ou la Belgique, ne sont pas soumis à ces règles et réalisent ces sondages, ainsi que l’a excellemment souligné tout à l'heure mon collègue Christophe-André Frassa, qui représente comme moi les Français établis hors de France. Nos compatriotes expatriés sont très attentifs à ce type de sondages.
Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, je vous apprécie beaucoup ; vous faites votre devoir de ministre, et je sais que la tâche de représenter le garde des sceaux est lourde. Mais sachez que je ne suis pas du tout en harmonie avec vous.
Pour ma part, je pense que le Sénat a eu raison de déposer cette proposition de loi au moment où il l’a fait, comme en témoigne le débat intéressant qui a lieu cet après-midi. Je regrette que le Gouvernement n’accompagne pas mieux ce texte important, …
M. Roland Courteau. Nous aussi, nous le regrettons !
M. Jean-Pierre Cantegrit. … d’autant que tous nos compatriotes seront attentifs à la suite qui lui sera réservée. Notre collègue Jacqueline Gourault a souligné à juste titre tout à l'heure l’intérêt porté à cette question, en évoquant la page entière consacrée à cette proposition de loi par le journal Le Monde.
Vous l’aurez donc compris, je suis tout à fait favorable à cette proposition de loi et je la voterai, à l’instar du groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) (Bravo ! et applaudissements.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Accords entre l'État et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Polynésie française
Adoption d'une proposition de loi organique
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi organique tendant à l’approbation d’accords entre l’État et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Polynésie française, présentée par MM. Louis-Constant Fleming et Michel Magras (proposition de loi n° 196 rectifié, texte de la commission n° 274, rapport n° 273).
Mes chers collègues, je vous rappelle que, en application de l’article 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française et des articles LO. 6213-3 et LO. 6313-3 du code général des collectivités territoriales, M. le président du Sénat a saisi le 22 décembre 2010 le Haut-commissaire de la République en Polynésie française et le représentant de l’État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, en vue de la consultation de l’Assemblée de la Polynésie française et des conseils territoriaux des collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin sur cette proposition de loi organique.
Par lettre en date du 18 janvier 2011, le représentant de l’État a transmis à M. le président du Sénat copie de la délibération du 30 décembre 2010 du conseil territorial de la collectivité de Saint-Barthélemy et de la délibération du 7 janvier 2011 du conseil territorial de la collectivité de Saint-Martin, portant toutes deux avis favorables sur cette proposition de loi organique.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Louis-Constant Fleming, auteur de la proposition de loi.
M. Louis-Constant Fleming, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la forme organique de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre répond à la prescription formulée par le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 21 janvier 2010 relative à la loi organique du 25 janvier 2010 modifiant le livre III de la sixième partie du code général des collectivités territoriales relatif à Saint-Martin, et suivant laquelle la convention entre l’État et la collectivité de Saint-Martin en vue de prévenir les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales « devra être approuvée par une loi organique dans la mesure où elle affecte les compétences transférées à cette collectivité par la loi organique prise sur le fondement de l’article 74 de la Constitution ».
Comme vous le savez, le statut de la collectivité de Saint-Martin, créée par la loi organique du 21 février 2007, confère à cette collectivité une compétence en matière de fixation des règles dans le domaine fiscal, clarifiée, en dernier lieu, par la loi organique du 25 janvier 2010.
L’exercice concomitant de leur compétence fiscale, d’une part, par l’État et, d’autre part, par la collectivité, à l’égard de personnes ayant leur domicile dans l’une ou l’autre de ces juridictions et disposant de revenus trouvant leur source dans l’autre, est de nature à susciter des doubles impositions juridiques.
Dès 2007, le législateur organique avait prévu que les modalités d’application des dispositions statutaires prévoyant le transfert à la collectivité de Saint-Martin « sont précisées par une convention conclue entre l’État et la collectivité de Saint-Martin en vue de prévenir les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ».
La proposition de loi organique qui vous est soumise a pour objet, en premier lieu, d’autoriser l’approbation de la convention entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales, signée à Saint-Martin le 21 décembre 2010 par le représentant de l’État et, pour la collectivité, par le président du conseil territorial dûment autorisé par celui-ci.
II se trouve, cependant, que dans le cours de l’élaboration de cette convention, l’État a souhaité que soit conclu, en toute priorité, entre lui-même et la collectivité, un accord concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, comportant notamment des dispositions en matière d’échange de renseignements conformes aux standards définis dans le cadre de l’OCDE.
La collectivité de Saint-Martin n’étant en rien soucieuse de s’ériger en un quelconque « paradis fiscal », ainsi que j’ai eu l’occasion de le rappeler à maintes reprises, n’a pas fait la moindre objection à la conclusion d’un tel accord, signé dès le 23 décembre 2009. Sa mise en œuvre à la meilleure échéance a, en outre, trouvé justification dans les dispositions de l’article 15 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, selon lesquelles les régimes d’aide fiscale aux investissements outre-mer prévus par la loi nationale sont applicables aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 2010 à Mayotte, en Polynésie française, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Wallis-et-Futuna ainsi qu’en Nouvelle Calédonie « si la collectivité concernée est en mesure d’échanger avec l’État les informations utiles à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ».
Cependant, l’approbation législative de l’accord concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale n’a pu intervenir à ce jour, le retard constaté ayant évidemment pénalisé ou freiné l’investissement fiscalement aidé à Saint-Martin, alors que les contribuables, particuliers ou entreprises, domiciliés dans la collectivité, se sont trouvés, pour leur part, durablement empêchés de bénéficier des régimes d’aide définis par le conseil territorial de la collectivité, faute pour celle-ci de disposer de l’accord préalable de la Commission européenne, émis finalement, avec effet rétroactif, en septembre 2010.
La proposition de loi organique qui vous est soumise a pour objet, en deuxième lieu, l’approbation de l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, la forme organique étant ici également fondée sur la prescription du Conseil constitutionnel, formulée dans sa décision du 21 janvier 2010, suivant laquelle « il appartient au législateur organique, lorsqu’il répartit entre l’État et les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution la compétence d’établir, de calculer et de percevoir les impositions de toutes natures, de prévoir les dispositions contribuant à la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale qui découle de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».
Parallèlement à l’accord relatif à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale conclu avec la collectivité de Saint-Martin, l’État a conclu un accord ayant le même objet avec la Polynésie française, signé le 29 décembre 2009, ainsi qu’avec la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy, signé le 14 septembre 2010.
La proposition de loi organique a également pour objet l’approbation de ces deux derniers accords.
S’agissant de la convention contre la double imposition signée entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin, dont l’approbation est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi organique et sur laquelle vous comprendrez que j’attirerai principalement votre attention, sa conclusion a d’abord rencontré l’obstacle des divergences d’interprétation auxquelles ont donné lieu les dispositions de la loi organique du 21 février 2007 relatives au transfert de la compétence fiscale à la collectivité de Saint-Martin.
Comme vous le savez, ces dispositions subordonnent la reconnaissance d’une domiciliation fiscale à Saint-Martin à une condition spécifique de résidence dans la collectivité d’au moins cinq années. L’administration de l’État attribuait à cette condition l’effet d’une règle de compétence, n’admettant pas que la compétence fiscale de la collectivité puisse s’étendre aux personnes autres que celles qui sont domiciliées sur son territoire.
Saisi par le Gouvernement, le Conseil d’État devait, par un avis du 27 décembre 2007, reconnaître le droit de la collectivité d’imposer les revenus de source saint-martinoise des contribuables domiciliés hors de son territoire, à l’exception de ceux ayant leur domicile dans un département de métropole ou d’outre-mer, ou de ceux qui sont réputés l’avoir en vertu de la « règle des cinq ans ». C’est seulement par la loi organique du 25 janvier 2010 qu’a été reconnue à la collectivité de Saint-Martin la pleine compétence fiscale l’autorisant, d’une part, à imposer les personnes domiciliées sur son territoire conformément aux règles prévues pour les résidents et, d’autre part, à imposer les revenus ou bénéfices trouvant leur source à Saint-Martin et perçus par des personnes n’y étant pas domiciliées en application des règles fiscales prévues pour les « non domiciliés ».
Dès lors était ouverte la voie conduisant à la conclusion d’une convention équilibrée contre la double imposition entre juridictions fiscales disposant, l’une et l’autre, des compétences fiscales fondées soit sur le domicile du contribuable, soit sur la source du revenu, construite comme il est de pratique générale sur le modèle de l’OCDE.
La situation financière difficile de la collectivité de Saint-Martin a tout naturellement conduit cette dernière à la vigilance dans la répartition des droits d’imposer, en particulier compte tenu des effets de la condition spéciale de domicile fiscal prévue par la loi statutaire relative à la « règle des cinq ans », de nature à limiter les produits financiers qu’une juridiction fiscale peut normalement attendre de l’imposition des contribuables domiciliés chez elle.
Une part importante du produit de l’impôt sur le revenu appliqué par la collectivité de Saint-Martin trouvant ou pouvant trouver son origine dans les revenus des fonctionnaires de l’État en poste à Saint-Martin, la collectivité a en particulier demandé, et l’État a bien voulu l’admettre, que ces revenus soient traités comme l’ensemble des revenus d’emploi, ainsi qu’il est prévu dans les conventions contre la double imposition entre l’État et la Nouvelle-Calédonie et entre l’État et Saint-Pierre-et-Miquelon : le lieu d’exercice de la profession détermine alors un droit d’imposition pour la juridiction de source du revenu, sans préjudice du droit d’imposition de la juridiction de domicile dès lors qu’est assurée l’élimination de la double imposition.
Force est de relever ici la complexité de gestion de l’impôt, tant pour les contribuables que pour l’administration, à laquelle conduit une « règle des cinq ans » qui doit, selon les prescriptions de la loi organique du 25 janvier 2010, donner lieu à un rapport d’évaluation, mais à une échéance qui, fixée à 2017, nous paraît à vrai dire bien éloignée.
Pour ses autres dispositions, la convention est, dans ses grandes lignes, conforme au modèle de convention fiscale de l’OCDE. Elle ne comporte, bien entendu, aucune disposition relative à l’assistance administrative, celle-ci faisant l’objet de l’accord distinct conclu le 23 décembre 2009.
Elle contient de nombreuses clauses « anti-abus », qui sont complétées par une règle anti-abus générale insérée dans le protocole annexé à la convention et que l’on devine inspirées par l’image tenace d’une île de Saint-Martin qui aurait une sorte de vocation à servir de refuge fiscal. La collectivité, qui a d’autres préoccupations et, d’abord, celle de ses ressources, n’est pas autrement inquiétée par ce luxe de précautions.
Il est prévu que la convention signée en 2010 produira ses effets rétroactivement au 1er janvier 2010. Cette disposition, comparable à celles qui sont fréquemment rencontrées dans les conventions contre la double imposition, répond à un objectif d’intérêt général de bonne application de l’impôt au titre de 2010. Cet objectif n’aurait pu en particulier être atteint dans le cas où l’imposition des bénéfices des entreprises aurait dû procéder des dispositions de la seule loi organique du 25 janvier 2010, ni les entreprises ni les administrations n’ayant été alors en mesure de satisfaire au dispositif complexe de double évaluation et de double déclaration de leurs résultats.
Toutes les mesures ont d’ores et déjà été prises, en revanche, pour la gestion des déclarations et impositions des bénéficiaires de revenus d’emploi présents à Saint-Martin sans y être domiciliés. Le dispositif conventionnel de crédit d’impôt y sera substitué au dispositif prévu par la loi organique du 25 janvier 2010, dans des conditions devant notamment assurer aux agents de l’État en fonction à Saint-Martin une meilleure garantie d’élimination sans délai de la surcharge fiscale.
Pour ces contribuables, en effet, le crédit d’impôt accordé par l’État est, selon la convention, dans son article 20, 1, a) i), égal « au montant de l’impôt de l’État correspondant à ces revenus à condition que le bénéficiaire résident de l’État soit soumis à l’impôt de Saint-Martin à raison de ces revenus », plutôt que, aux termes de l’article LO. 6314-4 du code général des collectivités territoriales, égal « à l’impôt effectivement acquitté à raison de ces revenus dans l’autre territoire ».
Avec l’entrée en vigueur de la convention fiscale entre l’État et la collectivité de Saint-Martin, madame la ministre, la partie française de l’île de Saint-Martin disposera pour la première fois de son histoire, au terme de quatre années d’efforts menés dans un contexte difficile, d’un système fiscal complet, au fondement juridique clair, répondant au double souci d’assurer à la collectivité les moyens de son financement et de favoriser le développement de ses entreprises.
Face à certains commentaires visant à faire croire que Saint-Martin est un paradis fiscal ou en voie de le devenir, je tiens à insister sur le fait que Saint-Martin n’en a jamais été un, et n’en a pas la vocation. Cette image fausse vient probablement du fait que le régime fiscal national n’a jamais pu être appliqué à Saint-Martin du fait de sa totale inadaptation à la particularité de l’île, dont le territoire est partagé avec une partie hollandaise qui bénéficie d’un statut fiscal différent et relève, au regard de l’Europe, du statut de « pays et territoires d’outre-mer ». C’est la raison pour laquelle il était impératif de permettre à Saint-Martin de mettre en place un système fiscal adapté, et c’est ce que nous venons de réussir à faire aujourd’hui.
Si je me réjouis de cet heureux résultat, il me faut, malgré tout, madame la ministre, attirer votre attention sur le fait que l’État doit maintenant s’attacher à ce que la collectivité de Saint-Martin soit mise en mesure matériellement de mettre en application le système fiscal ainsi édifié.
Le projet de réaliser un véritable centre regroupant la trésorerie, les services fiscaux et les services financiers de la collectivité vient d’être mis à l’ordre du jour de la collectivité de Saint-Martin. La réalisation de ce centre constituera la concrétisation matérielle de la volonté des Saint-Martinois de ne pas être pris dans des amalgames, des clichés et des interprétations politiques éculés.
La proposition de loi organique, en son article 2, autorise l’approbation de l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé le 23 décembre 2009. Cet accord s’inscrit dans le cadre du dispositif contractuel prévu entre l’État et la collectivité par le paragraphe 1 bis de l’article LO 6314-4 du code général des collectivités territoriales.
Le préambule de l’accord exprime la volonté commune des parties de collaborer pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, notamment au travers d’un échange de renseignements efficace pour prévenir toute utilisation abusive des règles fiscales.
Les articles de l’accord définissent l’objet et le champ d’application de l’accord, précisent les modalités de l’échange de renseignement et organisent un échange d’informations sans restriction, conforme aux standards les plus exigeants du modèle de convention fiscale de l’OCDE.
Le paragraphe 5 de l’article 4 de l’accord permet d’échanger les informations visées par la directive 2003/48/CE relative aux revenus de l’épargne et par les conventions internationales conclues par la France.
Le paragraphe 9 du même article permet aux agents compétents de la direction générale des finances publiques agissant au nom de l’État de se rendre à Saint-Martin pour les opérations de contrôle fiscal des personnes dont le domicile, la résidence, le siège de direction effective, ou tout autre élément analogue, est situé dans un département métropolitain ou d’outre-mer.
L’article 5 de l’accord précise les modalités d’assistance des parties en matière de recouvrement de l’impôt.
La proposition de loi organique, dans son article 3, autorise l’approbation de l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Polynésie française concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé le 29 décembre 2009.
Cet accord est proche de celui qui est conclu avec la collectivité de Saint-Martin. Il comporte un même préambule et, pareillement, un dispositif organisant l’échange de renseignements conforme aux standards les plus exigeants du modèle de convention fiscale de l’OCDE.
L’article 4 de l’accord stipule, comme dans l’accord conclu avec la collectivité de Saint-Martin, qu’aux fins d’application de l’article L. 45F du Livre des procédures fiscales, les agents placés sous l’autorité du directeur général des finances publiques et mandatés par lui sont autorisés à contrôler directement sur le lieu d’exploitation le respect des conditions liées à la réalisation, à l’affectation et à la conservation des investissements productifs ayant ouvert droit au bénéfice des aides fiscales à l’investissement outre-mer.
La proposition de loi organique, dans son article 4, autorise l’approbation de l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé le 14 septembre 2010.
Cet accord s’inscrit dans le cadre du dispositif contractuel prévu entre l’État et la collectivité par le 1 bis de l’article LO. 6214-4 du code général des collectivités territoriales et comporte des dispositions analogues à celles qui sont prévues dans l’accord d’assistance mutuelle entre l’État et la collectivité de Saint-Martin.
Mes chers collègues, l’ensemble d’accords fiscaux soumis à l’approbation du législateur organique dans le cadre de la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre établit que l’autonomie fiscale des collectivités d’outre-mer, régies par l’article 74 de la Constitution, est parfaitement compatible avec une pleine coopération de chacune d’elles avec l’État, en vue d’une action commune, librement consentie, au service d’objectifs de transparence et de lutte contre la fraude fiscale, indispensables dans les relations internationales, mais plus encore au sein même de la République française. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique qui a été déposée par nos collègues Louis-Constant Fleming et Michel Magras, et que nous examinons aujourd’hui, est spécifique pour deux raisons.
D’une part, elle vise à l’approbation de conventions fiscales proches du modèle des conventions fiscales habituellement passées entre la France et des pays tiers, mais, dans ce cas précis, conclues entre l’État et trois collectivités territoriales d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution : Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française. Elles se distinguent donc des « classiques » conventions fiscales internationales.
D’autre part, c’est un projet de texte de nature organique. À ce titre, il aurait pu être renvoyé devant notre commission des lois. Cependant, s’agissant de conventions exclusivement fiscales, la conférence des présidents l’a renvoyé à juste titre devant la commission des finances.
En préambule, je veux souligner le fait que les quatre conventions fiscales visées par ce projet de loi organique appartiennent à deux catégories distinctes.
L’article 1er a pour objet l’approbation d’une convention fiscale « classique » avec Saint-Martin, visant à éviter la double imposition des contribuables.
Les articles 2, 3 et 4 tendent respectivement à approuver des accords avec Saint-Martin, la Polynésie française et Saint-Barthélemy, qui sont de simples accords d’assistance administrative et d’échanges de renseignements dont la portée est donc plus limitée.
Après une brève introduction, je vous présenterai donc successivement la convention fiscale visant à éviter les doubles impositions avec Saint-Martin, puis, de manière groupée, les trois accords d’assistance administrative passés avec Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française.
La première question qui se pose est la suivante : pourquoi signer des conventions fiscales avec des collectivités territoriales d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, collectivités qui sont, comme je l’ai rappelé, dans une situation différente de celle des pays étrangers ?
La raison est que les compétences de ces collectivités qui sont régies par des lois organiques englobent une large compétence fiscale qui s’exerce sur leur territoire. Leur situation par rapport au reste de la France est donc proche de celle des pays tiers au regard de notre pays.
Sans convention fiscale, comme pour les pays tiers, les résidents de chaque territoire risquent d’être soumis à une double imposition sur certains de leurs revenus et sur leur patrimoine.
Seconde question : pourquoi un texte de nature organique ?
C’est le Conseil constitutionnel qui a imposé cette règle dans un avis de 2010. Il a en effet jugé, à juste titre me semble-t-il, que les conventions fiscales pouvaient être de nature à remettre en cause les modalités d’exercice par les collectivités d’outre-mer concernées de leurs compétences fiscales. Or les compétences, notamment fiscales, de ces collectivités, leur sont confiées par une loi organique. Il est donc logique qu’une loi organique vienne également approuver les conventions prévoyant les modalités d’exercice de ces compétences.
En outre, la loi organique du 21 février 2007, qui a transformé Saint-Martin et Saint-Barthélemy en collectivités territoriales d’outre-mer à part entière, régies par l’article 74 de la Constitution – elles faisaient précédemment partie intégrante de la Guadeloupe – a explicitement prévu la signature de conventions fiscales avec ces deux territoires en vue de prévenir les doubles impositions. L’exercice auquel nous nous livrons aujourd’hui est donc la suite logique de l’évolution institutionnelle de ces collectivités.
Venons-en au principal sujet de cette proposition de loi organique : la convention fiscale visant à éviter les doubles impositions, signée entre l’État et Saint-Martin.
Des conventions de ce type ont déjà été adoptées avec les autres collectivités d’outre-mer disposant déjà d’une compétence fiscale : la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore Mayotte.
Pourquoi sommes-nous aujourd’hui appelés à approuver une convention avec Saint-Martin et non avec sa voisine Saint-Barthélemy ? Pour la bonne et simple raison que Saint-Barthélemy, qui dispose également d’une large compétence fiscale, n’a pas mis en place de fiscalité directe sur son territoire. Il en résulte que les doubles impositions sont impossibles entre l’État et Saint-Barthélemy, puisque cette dernière collectivité n’impose pas.
En revanche, Saint-Martin est dans une situation économique, sociale et financière bien moins favorable que sa voisine. L’île a donc prévu un régime fiscal proche, en de nombreux points, de celui qui est appliqué par l’État. Il en résulte des risques de doubles impositions, ce qui explique la conclusion de la convention fiscale que nous examinons aujourd’hui.
La convention fiscale avec Saint-Martin s’est largement inspirée du modèle prévu par l’OCDE, agrémenté des adaptations habituelles que la France ajoute à ce modèle, lors de la négociation de ses accords fiscaux avec des pays tiers.
Je ne commenterai pas en détail les dispositions de ce modèle et je vous renvoie pour cela aux excellents rapports de notre collègue Adrien Gouteyron sur les nombreuses conventions fiscales conclues entre la France et des pays étrangers. Je relève uniquement que le choix de prendre pour base de négociation le modèle de l’OCDE a l’avantage de permettre de couvrir l’ensemble des champs fiscaux et d’aboutir à une convention qui pourra servir de référence pour celles qui seront passées à l’avenir entre l’État et des collectivités territoriales d’outre-mer.
Je m’attacherai donc à décrire les modifications dont le modèle de l’OCDE a fait l’objet et qui constituent la spécificité de la convention conclue avec Saint-Martin.
Premier point ayant fait l’objet de modification : il a fallu, de manière générale, adapter la convention fiscale, car elle est d’une nature différente de celle d’une convention internationale. Ainsi, par exemple, l’article 3 de la convention fiscale a été modifié par rapport au modèle de l’OCDE pour faire mention non pas d’« États contractants », mais de « territoires ». De même, l’article 23 de la convention présente une spécificité, puisqu’il prévoit qu’une loi organique sera nécessaire pour la dénoncer, tout comme une loi organique est nécessaire pour la conclure.
Deuxième point ayant fait l’objet d’adaptations : il a fallu prendre en compte le fait que la compétence fiscale de Saint-Martin n’est pas aussi étendue que celle d’un État tiers indépendant. Ainsi, l’article 2 de la convention fiscale ne vise pas les prélèvements obligatoires opérés au profit de la sécurité sociale, car Saint-Martin ne dispose pas de compétence fiscale en cette matière.
Troisième point ayant nécessité des modifications : il s’agit de l’existence d’une règle de résidence fiscale particulière à Saint-Martin. Depuis la loi organique de 2007, qui a créé la collectivité, les règles de résidence fiscale à Saint-Martin diffèrent des règles habituellement applicables à l’échelon international. En effet, il faut cinq ans de résidence sur le territoire saint-martinois pour qu’un contribuable français puisse être considéré comme un résident fiscal local et non plus comme un résident fiscal de l’État. Cette disposition particulière a été adoptée pour prévenir les abus qu’aurait pu engendrer la création d’un régime fiscal spécifique. Cette règle de résidence n’est pas sensiblement modifiée par la convention fiscale. Elle a toutefois nécessité que le modèle de l’OCDE soit adapté en plusieurs points pour la prendre en compte.
J’en viens au quatrième et dernier point, le plus important me semble-t-il, qui a fait l’objet de modifications par rapport au modèle classique des conventions fiscales conclues par la France : il s’agit des modalités d’imposition des fonctionnaires de l’État. Habituellement, les conventions prévoient que les fonctionnaires de l’État en poste à l’étranger, essentiellement les diplomates, voient leur traitement imposé par la France et non par l’État dans lequel ils résident. Au cours des négociations avec Saint-Martin, il est apparu que l’application de la même règle au cas de Saint-Martin aurait des conséquences bien différentes.
En effet, on compte à Saint-Martin près de 2 000 fonctionnaires sur une population active d’environ 15 000 personnes. Ce chiffre paraît important, mais les estimations à l’échelle nationale font apparaître à peu près les mêmes proportions.
Priver la collectivité saint-martinoise de la possibilité d’imposer ces fonctionnaires est donc apparu difficile, notamment au regard des difficultés financières qu’elle rencontre.
Au final, la convention prévoit donc de les assujettir au régime applicable aux salariés du secteur privé. Ils sont par conséquent imposables, lorsqu’ils sont résidents fiscaux à Saint-Martin, par la seule collectivité de Saint-Martin.
Cette disposition conduira à une réduction des recettes fiscales de l’État, que les services de la Direction de la législation fiscale estiment entre 1 et 2 millions d’euros par an. Elle me semble toutefois justifiée, notamment par la situation financière de Saint-Martin. Un récent rapport de l’Inspection générale des finances, l’IGF, pointe ses difficultés financières, en particulier son déficit de trésorerie de 25 millions d’euros.
Ces difficultés résultent directement de la ressource que représentait l’octroi de mer, dont Saint-Martin ne bénéficie plus depuis qu’elle ne fait plus partie de la Guadeloupe. Il me paraît donc souhaitable de donner à cette collectivité d’outre-mer les marges de manœuvre fiscales qui lui seront nécessaires pour assainir sa situation. À défaut, nous savons tous d’ailleurs que l’État serait appelé en dernier ressort pour remédier aux difficultés financières de la collectivité de Saint-Martin. Je profite d’ailleurs de cette intervention pour relayer le souhait, exprimé par notre commission des finances, que Saint-Martin se serve utilement de la compétence fiscale qui lui a été dévolue pour parvenir à redresser sa situation financière.
Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, telles étaient les observations que je souhaitais faire sur cette proposition de loi organique. Son adoption me semble indispensable pour régulariser la situation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi organique dont vous êtes saisis a pour objet la validation des accords conclus en matière fiscale entre la France et les collectivités de Polynésie française, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
La négociation de ces accords répond à deux objectifs majeurs : se conformer aux prescriptions de la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, approuvée le 27 mai 2009, et compléter les lois organiques de 2007 et de 2010 sur la question de la répartition des compétences fiscales, entre l’État et Saint-Martin.
Je tiens à rappeler que la précédente proposition de M. Fleming avait pour objet de clarifier la notion de résident de Saint-Martin, au sens fiscal du terme. Elle a ouvert la voie à la négociation d’une convention fiscale entre la France et Saint-Martin, conforme aux intérêts des deux parties. Cette convention est l’un des quatre textes que le Sénat est appelé à ratifier.
C’est le Conseil Constitutionnel, dans un avis du 21 janvier 2010, qui a précisé, comme l’a souligné M. le rapporteur, que les lois de validation des conventions fiscales prévues entre Saint-Martin et l’État devaient être prises en la forme organique. En effet, ces conventions sont conclues en application d’une compétence reconnue à la collectivité par la loi organique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez donc, pour la première fois, valider par une loi organique des conventions et accords à caractère fiscal conclus entre la France et des collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution.
Je tiens tout particulièrement à souligner que le texte qui vous est soumis est conforme à la répartition des compétences entre l’État et les collectivités. En effet, comme vous le savez, la loi organique du 27 février 2004 a donné à la Polynésie française l’exclusivité de la compétence en matière fiscale. De même, la loi organique du 23 février 2007 a accordé à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy la compétence en matière d’impôts et taxes.
Au titre de cette compétence, les collectivités recueillent des informations, notamment dans le cadre du traitement des dossiers des contribuables domiciliés sur leur territoire. Les conventions organisent la transmission de ces renseignements à l’État. Sans cette transmission, la France ne pourrait pas honorer les accords internationaux qu’elle a conclus dans le domaine de la transparence financière et de la lutte contre les paradis fiscaux. Il s’agit là d’un enjeu essentiel pour l’évaluation de la France par le Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux, le GAFI.
Je veux redire ici avec force que cette démarche de transmission d’information à caractère fiscal est importante pour notre image internationale. Le Gouvernement a pris des positions sans ambigüité en matière de lutte contre les paradis fiscaux.
Certains se sont élevés contre la prétendue création de « paradis fiscaux », en particulier en outre-mer. Rien n’est plus faux. Selon la définition retenue par l’OCDE, un paradis fiscal se définit principalement par plusieurs critères cumulatifs. L’examen de ces derniers par les instances internationales, qu’il s’agisse de l’OCDE ou du GAFI, n’a jamais conduit à une conclusion négative pour la France, notamment, pour ses collectivités d’outre-mer.
Il n’y a pas de paradis fiscal en France et l’objet des textes qui sont présentés aujourd’hui est justement de disposer d’un cadre juridique conforme aux exigences les plus fortes du droit international en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux.
Venons-en à l’examen du texte.
L’article 1er de la proposition de loi organique est consacré à la convention entre l’État et la collectivité de Saint-Martin en vue d’éviter les doubles impositions.
Je m’arrêterai quelques instants sur la genèse de ce texte.
Dès mon arrivée rue Oudinot, comme le sait M. Fleming, mon attention a été appelée sur les difficultés d’application de la loi organique de février 2007. Elles se sont concentrées essentiellement sur la notion de revenus de source. C’est avec mon accord que cette question a été réglée par les dispositions de la loi organique du 25 janvier 2010. La collectivité peut désormais appréhender l’ensemble des revenus de source saint-martinoise.
L’équilibre issu de cette loi maintient cependant la distinction entre les personnes domiciliées à Saint-Martin depuis plus de cinq ans et celles qui y sont domiciliées depuis moins de cinq ans. Ces dernières ne sont pas considérées comme résidentes fiscales de la collectivité. Pour ces personnes, Saint-Martin ne peut donc taxer que les revenus de source locale. C’est pourquoi les revenus des fonctionnaires de l’État ne pouvaient pas être appréhendés par la collectivité.
C’est cette difficulté qui a été réglée dans le cadre de la convention. En effet, pour le règlement de la situation des fonctionnaires affectés sur le territoire de Saint-Martin, l’article 14 de la convention précise que, si l’emploi est exercé sur place, les traitements correspondants y sont imposables. Saint-Martin pourra désormais taxer l’ensemble des revenus du travail, y compris ceux des agents publics, lorsqu’ils sont perçus sur son sol.
Concernant Saint-Martin, j’évoquerai en outre l’accord d’échange de renseignements, conclu le 23 décembre 2009, qui fait l’objet de l’article 2 de la proposition de loi.
Comme je viens de le rappeler, la France est tenue, à l’échelon international, par de nombreuses obligations de coopération et d’échange de renseignements en vue de lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
La ratification de cet accord nous permettra d’assurer le respect des obligations qui s’imposent à nous.
J’aborderai à présent l’article 3 du texte. La Polynésie est liée à la France par une convention fiscale de 1957 qui ne prévoyait pas, jusqu’à aujourd'hui, les modalités d’échange de renseignements pour la lutte contre la fraude fiscale. Il devenait nécessaire et urgent de définir le cadre de la coopération entre l’État et le territoire dans ce domaine.
Je le souligne, c’est avec une grande rapidité que, le 29 décembre 2009, soit à peine six mois après le vote de la LODEOM, les autorités de Polynésie ont négocié l’accord d’échange de renseignements qui est présenté aujourd’hui à votre approbation, mesdames, messieurs les sénateurs. J’y vois le signe de la volonté des Polynésiens d’améliorer la transparence et l’efficacité de leur système fiscal.
S’agissant enfin de Saint-Barthélemy, l’article 4 de la proposition de loi organique vise à autoriser l’approbation de la convention d’échange de renseignements conclue entre la France et cette collectivité le 14 septembre 2010. Je ne justifierai pas la nécessité de cet accord, car le contexte est comparable à celui que j’ai évoqué pour Saint-Martin.
À propos de Saint-Barthélemy, je veux insister sur l’importance de la convention qui la concerne. Le régime fiscal de l’île, très spécifique, a été établi pour répondre aux besoins de la collectivité et de ses habitants. En aucun cas il n’a été voulu comme un instrument d’optimisation fiscale au profit de personnes physiques non-résidentes.
Dans cet esprit, l’accord de renseignements traduit bien l’orientation adoptée par Saint-Barthélemy, qui lui permettra de participer, au même titre que les autres collectivités françaises, à la lutte contre la fraude fiscale.
C’est bien le message que nous envoient les autorités locales, en signant cet accord d’échange de renseignements. Elles nous rappellent ainsi que c’est dans le respect des lois de la République et des engagements de la France que les habitants de Saint-Barthélemy entendent vivre leur autonomie fiscale.
Vous l’avez compris, cette proposition de loi organique traduit une démarche responsable, dont l’objectif est double : il s’agit, d’une part, de renforcer la transparence et, d’autre part, de nous donner les moyens de lutter efficacement contre la fraude fiscale et le blanchiment.
Elle est aussi le fruit d’un exemplaire travail de collaboration entre l'État et ces trois collectivités, et je m’en félicite.
C’est pourquoi je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, d’adopter la proposition de loi organique qui vous est soumise. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi organique qui nous est soumise est complexe.
En préambule, je dirai qu’elle fonctionne un peu comme une poupée russe. J’ai bien compris qu’il s’agissait au départ d’un accord entre l’État et Saint-Martin, auquel des accords concernant d’autres collectivités d’outre-mer ont été greffés. Mais il me semble que cela nuit à la lisibilité du texte. Sans doute aurait-il mieux valu prévoir plusieurs textes.
En effet, trois collectivités d’outre-mer sont concernées, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française. Elles ont pour seul trait commun d’être régies par l’article 74 de la Constitution, lequel prévoit – je le rappelle pour ceux qui liront le compte rendu des débats – que « les collectivités d’outre-mer […] ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République.
« Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’assemblée délibérante, qui fixe :
« - […] les compétences de cette collectivité ».
Par application de la Constitution, ces trois collectivités se trouvent ainsi proches, du point de vue du droit fiscal, de la situation de pays étrangers.
Le texte qui nous est soumis vise donc à autoriser l’approbation de quatre conventions entre l’État et ces collectivités, conventions qui ressortissent elles-mêmes à deux catégories.
Pour ce qui concerne Saint-Martin, collectivité d’outre-mer créée par la loi organique du 21 février 2007 et dotée d’une compétence fiscale similaire à celle d’un pays souverain, il s’agit d’éviter la double imposition des contribuables. Des conventions du même type, cela a été rappelé, ont déjà été adoptées avec les autres collectivités d’outre-mer disposant d’une compétence fiscale. Il ne s’agit donc pas d’une première !
Pour Saint-Martin, la Polynésie française et Saint-Barthélemy, il s’agit d’accroître la transparence, à savoir l’échange de renseignements et des accords d’assistance administrative, entre le régime fiscal de la métropole et celui qui est applicable dans chacune des trois collectivités. N’oublions pas que, jusqu’à la loi organique de 2007, Saint-Martin et Saint-Barthélemy faisaient partie intégrante de la Guadeloupe.
La convention fiscale établie entre l’État et Saint-Martin s’inspire largement du modèle prévu par l’OCDE ; elle est assortie des adaptations habituellement souhaitées par la France dans le cadre de la négociation d’accords fiscaux avec des pays tiers, ce qui explique que je prenne aujourd’hui la parole sur cette proposition de loi organique. En effet, la commission des finances, sous l’impulsion de M. Gouteyron, a entrepris depuis plusieurs mois un examen attentif des conventions fiscales signées avec des pays tiers et conformes au modèle OCDE.
Le choix de négocier à partir du document type établi par l’OCDE permet de couvrir l’ensemble des champs fiscaux et d’aboutir à une convention, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, qui pourra servir de modèle aux futures conventions du même type.
Il a toutefois fallu tenir compte du fait qu’il ne s’agit pas d’une convention internationale : ainsi, l’article 23 de la convention prévoit qu’une loi organique sera nécessaire pour la dénoncer, tout comme une loi organique est nécessaire pour la conclure.
M. le rapporteur y ayant fait allusion, je passe sur la règle de résidence fiscale particulière qui s’applique dans l’île. J’ajouterai simplement que la commission s’est interrogée sur le nombre de fonctionnaires en poste à Saint-Martin par rapport à la population totale, de 30 000 habitants, et à la population active. Après vérification, je me suis aperçue que les chiffres étaient à peu près équivalents à ceux qui sont relevés sur le territoire français. Il n’y a donc pas lieu de s’en émouvoir.
Selon la direction de la législation fiscale, cette mesure fera perdre de un à deux millions d’euros par an à l’État. Même s’il ne s’agit pas d’une grosse dépense, une telle estimation, qui va du simple au double, gagnerait à être affinée ! (M. le rapporteur s’exclame.) Je ne conteste pas cette décision, monsieur le rapporteur, compte tenu de la situation de cette collectivité. Je dis simplement que, par les temps qui courent, l’affectation de chaque centaine de milliers d’euros est examinée de près !
Cette somme contribuera à combler une petite partie du déficit de Saint-Martin, estimé entre 25 et 30 millions d’euros et dû à des difficultés financières et économiques. Soulignons en effet que, en quittant la Guadeloupe, la collectivité a perdu – cela pèse lourd ! – le bénéfice de l’octroi de mer. Il faut donc lui donner les marges de manœuvre financières nécessaires pour assainir sa situation, faute de quoi l’État serait appelé, en dernier ressort, à remédier à ses difficultés. Mieux vaut donc agir en amont qu’en aval ! Au demeurant, s’agissant de Saint-Martin, il conviendrait d’identifier, certainement dans un autre cadre, les facteurs de blocage en matière de développement économique endogène. Au cours de l’examen de la LODEOM, nous avions beaucoup insisté, avec mes collègues ultramarins, sur cette question.
J’en viens aux trois accords d’assistance administrative visés par les articles 2 à 4 de la proposition de loi organique, lesquels, reprenant le modèle fourni par l’OCDE, ont été enrichis pour faciliter les échanges de renseignements entre l’État et les collectivités concernées.
Je vois deux intérêts à la conclusion de tels accords.
En premier lieu, cela permettra à la France de répondre aux demandes de renseignements fiscaux provenant de pays tiers et concernant ces territoires.
En second lieu, ces conventions autorisent – c’est extrêmement important à mes yeux – les agents des services fiscaux à aller contrôler sur place, d’une part, les investissements ayant bénéficié de divers dispositifs de défiscalisation applicables outre-mer, que j’évoquerai tout à l’heure, et, d’autre part, les personnes vivant à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy mais ayant toujours la qualité de résidents fiscaux de l’État.
La LODEOM du 27 mai 2009 a grandement facilité la conclusion de ces accords fiscaux, puisque son article 15 prévoit que les dispositifs de défiscalisation spécifiques à l’outre-mer ne seraient applicables aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 2010 dans ces collectivités que si celles-ci étaient en mesure d’échanger avec l’État les informations utiles à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Cet article, d’après ce que l’on m’a dit, a beaucoup pesé dans la décision de la Polynésie française de signer un accord d’échange d’informations, alors que la directive européenne dite « épargne », dont on diffère sans cesse le réexamen et qui est destinée à mieux lutter contre les paradis fiscaux, ne lui était pas applicable.
Si je m’arrêtais là, mes chers collègues, vous penseriez que le groupe socialiste s’apprête à émettre un avis favorable sur ce texte.
M. Éric Doligé, rapporteur. C’est ce que nous attendons !
Mme Nicole Bricq. Cependant, celui-ci soulève des questions et, surtout, suscite de notre part certaines réticences.
Première interrogation, dès lors que l’on applique la convention OCDE issue de la résolution adoptée en avril 2009 lors du G20 de Londres, où chacun s’était engagé à lutter contre les paradis fiscaux, n’est-il pas légitime de s’interroger sur la situation qui prévalait avant la signature de ces conventions ? Avions-nous affaire à des territoires non coopératifs, autrement dit des paradis fiscaux ? M. Fleming est certain pour sa part, il vient de nous le dire, que tel n’est pas le cas.
Je tiens à vous rassurer, mes chers collègues : au sens des définitions adoptées par les instances internationales, les collectivités d’outre-mer françaises ne sont ni des paradis fiscaux ni des places de blanchiment. Toutefois, nous sommes dans un entre-deux, et je suis soucieuse de ce que nous ferons par la suite. A priori, il doit être plus facile de contrôler ces territoires, grâce à l’échange automatique de renseignements fiscaux – nous y serions plutôt favorables –, que de s’attaquer aux règles fiscales des îles Caïmans ou au secret bancaire du Liechtenstein !
Cependant, je veux rappeler la position constante du groupe socialiste en la matière : les règles de l’OCDE méritent d’être améliorées. La commission des finances a en effet pu le vérifier, en étudiant en détail les conventions passées avec des pays tiers. Elle a procédé, notamment, à des auditions régulières du secrétaire, qui se trouve être français, de l’un des groupes du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements, forum qui coordonne les contrôles. Bien que les règles de l’OCDE soient assez lâches, pour ne pas dire pire, elles ont le mérite d’exister et de constituer une référence internationale.
Il faut donc préjuger que les nouvelles conventions signées par la France faciliteront l’assistance administrative et le contrôle.
Deuxième interrogation, ces conventions signifient-elles qu’aucun contrôle n’existait auparavant ? Nous sommes très attachés – le groupe socialiste n’est pas seul dans ce cas, puisque M. le rapporteur général nous rejoint sur ce point – à ce que les dispositions de la loi de finances rectificative de décembre 2009 s’appliquent si l’on constate, en application de ces conventions fiscales, un défaut de coopération.
Je nuancerai toutefois mon propos, en souhaitant que la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, récemment mise en place après de longs mois de préparation, procède à des contrôles. Il est vrai que la France, vous l’avez dit, madame la ministre, ne devrait plus être suspectée d’entretenir en son sein des paradis fiscaux subventionnés par le budget de l’État, ces territoires bénéficiant par ailleurs de nombreuses mesures de défiscalisation.
Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, mon propos est équilibré : j’ai pesé le pour et le contre, pour en arriver à une position plutôt favorable.
Nous avons cependant deux réticences.
La première concerne la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy, qui fait l’objet de l’article 4 de la proposition de loi organique.
La situation de ce territoire n’est pas identique à celle de Saint-Martin qui rencontre des difficultés économiques et financières. Saint-Barthélemy, pour sa part, est beaucoup moins peuplé et, sans vouloir vexer personne, d’autant que mon collègue Michel Magras n’est plus là, bien plus « opulent ». Surtout, il n’y existe aucune fiscalité directe.
Nous voterons contre cet article 4. En effet, contrairement à Saint-Martin, qui a fait la démarche de déposer l’ensemble de sa convention, Saint-Barthélemy a procédé à une démarche a minima, et ce alors que la loi organique impose que la convention fiscale soit le plus rapidement possible effective et complète. Or elle ne l’est que sur un point. La convention fiscale est, en effet, l’un des cadres importants des relations entre l’État et les collectivités d’outre-mer et nécessaires pour la vie quotidienne des résidents.
Si nous votions l’article 4 tel qu’il est rédigé, nous ferions le choix délibéré de remettre aux calendes grecques la signature d’une réelle convention fiscale entre Saint-Barthélemy et l’État. Or cette convention fiscale est attendue par les habitants de Saint-Barthélemy qui, faut-il le préciser, ne roulent pas tous sur l’or. Si le territoire est « opulent », comme je l’ai dit, on n’y trouve pas que des riches !
Par ailleurs, il faut revenir sur le rôle de la défiscalisation dans ces territoires.
Notre collègue Roland du Luart, dans son rapport d’information de novembre 2002 intitulé La défiscalisation dans les départements et les territoires d’outre-mer, fait au nom de la commission des finances, pointait les risques engendrés dans ces territoires par les mesures de défiscalisation, ainsi que « l’absence de procédures de contrôle et le nombre incertain de sanctions ». Est-ce la meilleure manière d’aider ces territoires que de multiplier les sources de défiscalisation, autrement dit les niches fiscales ?
Aux niches fiscales, le groupe socialiste a toujours clairement préféré les subventions. C’est la position qu’il a toujours défendue dans les débats consacrés à cette question. Surtout, ces mécanismes de défiscalisation peuvent être propices à la fuite de capitaux, car la tentation est forte de mobiliser ces niches pour réinvestir dans un circuit légal des fonds qui ne le sont pas. Dès qu’il y a défiscalisation, le fisc est moins présent et, fort logiquement, moins regardant sur l’origine des fonds !
Il faut donner des moyens financiers à ces collectivités, en particulier à Saint-Martin pour que celle-ci puisse équilibrer son budget.
S’agissant de cette île, à laquelle vous êtes très attaché, mon cher collègue Fleming, j’ai entendu dire que la frontière entre ses parties hollandaise et française était largement virtuelle, les mouvements bancaires entre l’une et l’autre étant fréquents et peu contrôlés.
J’ajoute que la présence de casinos crée une suspicion certaine, car on sait très bien que ces établissements peuvent être utilisés pour « légaliser » des fonds d’origine illicite.
En conclusion, il faut espérer que cette proposition de loi organique permettra au fisc d’exercer un réel contrôle. La brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, issue de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative, étant désormais opérationnelle, il n’existe aucune raison, à nos yeux, pour qu’elle n’exerce pas ses prérogatives, autant qu’elle en a les moyens.
Le groupe socialiste votera contre l’article 4 relatif à la convention entre l’État et Saint-Barthélemy pour les raisons que j’ai indiquées. Par logique pure, nous nous abstiendrons sur le texte comme nous l’avons fait chaque fois qu’une convention fiscale de type OCDE avec des États ou des territoires étrangers nous était soumise.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre prévention à l’encontre des conventions fiscales de complaisance nous a valu un communiqué vengeur de la section UMP de Saint-Martin, qui nous dénie le droit de qualifier cette île de « paradis fiscal » !
Ce qui est vrai, c’est que les paradis fiscaux ne sont jamais des paradis pour tous !
À cet égard, tout à l'heure, Nicole Bricq s’est interrogée : faut-il parler de paradis fiscal ou d’avantages fiscaux ? En outre, lors de l’examen du présent texte en commission, elle s’est demandé s’il n’y avait jusqu’à présent aucun échange d’informations entre l’État et un territoire de la République ? C’est une question que je fais mienne.
Nous voici en présence d’une proposition de loi organique, déposée par nos éminents collègues Louis-Constant Fleming et Michel Magras, sénateurs représentant, respectivement, les collectivités territoriales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, et qui porte sur la nature des relations fiscales que ces collectivités entretiennent avec la France métropolitaine.
Je signale au passage que, bien que cette proposition de loi organique concerne aussi la Polynésie française, les sénateurs de ce territoire plutôt vaste n’ont été associés ni à la signature du texte ni à sa défense. Il est permis de se demander pourquoi.
Cette première question permet de lever un coin du voile sur le contenu du texte qui nous est proposé.
Certes, les bonnes intentions des auteurs de cette proposition de loi organique sont affichées : mettre un terme à une situation transitoire – le transitoire qui dure n’est jamais une bonne chose – ; trouver les moyens de financer l’action de la collectivité confrontée à des urgences sociales ; enfin, mettre chacun en face de ses responsabilités quant à son apport à l’effort collectif. Les problématiques sont différentes selon que l’on est à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, mais les enjeux ne varient guère.
Cependant, la réalité des faits que nous avons découverts, qui nous ont été rapportés et que nous avons pris la peine de mesurer et d’analyser, nous incline à penser que les intentions sont une chose, les réalités, une autre.
Par exemple, nous nous sommes procurés deux documents essentiels : le code des contributions de Saint-Barthélemy, dans sa version consolidée, et la délibération du conseil territorial de Saint-Martin, qui a fixé, à la fin de 2007, les règles fiscales en vigueur sur le territoire de la collectivité en adaptant le code général des impôts métropolitain à la situation locale, en élaborant une version que je qualifierais de light.
Il existe quelques points communs entre les deux textes, qui suscitent, par ailleurs, un sentiment général quant à une volonté de faire de ces deux territoires une sorte de laboratoire d’innovation fiscale. Je ne suis pas le seul à le dire.
Le changement de statut des îles du Nord a changé la nature du droit fiscal, devenu local.
Pour mémoire, on remarquera qu’en 2006, dernière année où Saint-Martin et Saint-Barthélemy furent parties intégrantes du territoire français, on dénombrait sur ces territoires, respectivement, 13 394 foyers fiscaux, dont 3 295 imposables, et 696 foyers fiscaux, dont 391 imposables.
Notons-le, à Saint-Martin, la majorité des contribuables, soit près de 7 600, déclaraient moins de 7 500 euros nets annuels et disposaient d’un peu plus de 12 % des revenus déclarés. A contrario, on dénombrait sur ce même territoire 98 foyers fiscaux, soit moins de 1 % de la population de l’île, disposant de plus de 78 000 euros de revenus, déclarant un peu plus de 13 % des revenus imposables et soldant plus de la moitié des 7,1 millions d’euros de produit de l’impôt sur le revenu perçu par le fisc.
À Saint-Barthélemy, les foyers aisés étaient moins nombreux, soit un total de 25, mais ils disposaient d’un revenu fiscal moyen de près de 300 000 euros et s’acquittaient de plus de 80 % du produit de l’impôt perçu sur l’île. Il faut dire que ces 25 foyers rassemblaient plus de 45 % de l’assiette fiscale de l’impôt sur le revenu de l’île.
En 2008, la situation était pire de ce point de vue, avant que l’année 2009 ne consacre la chute du produit des impôts « nationaux ».
On ne doute pas, à la lumière de ces chiffres, que ces 120 à 130 familles aux revenus importants ont accueilli avec sympathie le changement de statut des deux collectivités, puisque ce changement a mis fin à l’assujettissement à l’impôt sur le revenu métropolitain.
À dire vrai, la lecture du code des contributions de Saint-Barthélemy, qui ne prévoit ni impôt sur le revenu ni ISF et qui accorde aux entreprises locales un forfait local peu élevé en lieu et place de l’impôt sur les sociétés, nous apprend que l’imagination est assez vive dès lors qu’il s’agit de créer des droits indirects sur les biens et marchandises en circulation sur l’île.
Comme la collectivité doit compenser à l’État les pertes de produit fiscal occasionnées par le changement de statut, cela revient pratiquement à faire payer, par le droit de quai, par exemple, c’est-à-dire par tous les habitants de l’île, ce qui, hier, était payé par les plus fortunés des habitants au titre de l’impôt sur le revenu !
Par conséquent, nous sommes certes favorables aux contrôles, mais nous dirons, pour aller vite, que Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont presque des paradis fiscaux, et ce à un détail près : il faut avoir les clés du paradis, c’est-à-dire les biens, la fortune et les revenus qui en découlent pour en jouir pleinement.
Pour les autres, les plus modestes, les plus nombreux des habitants des deux îles, demeurent la persistance des problèmes sociaux, les difficultés d’emploi, de logement, la vie chère – rappelons que Saint-Barthélemy manque d’eau potable et doit quasiment tout importer – et les droits indirects, qui accroissent le prix de n’importe quel bien.
Pour conclure, je rappellerai que les deux îles ont une économie si « touristico-dépendante » que la moindre crise de ce point de vue pose problème – je pense à l’appréciation de l’euro par rapport au dollar, à la concurrence exacerbée sur le moins-disant social et fiscal dans la zone – et met en péril les fragiles équilibres de chaque collectivité.
Madame la ministre, voter en l’état une telle proposition de loi organique reviendrait à confirmer la confiscation de l’intérêt général, qui est le fondement de la loi dans notre pays, au profit exclusif de quelques privilégiés et au détriment, à l’évidence, du plus grand nombre. Je donnerai quelques exemples concrets dans mes interventions sur les articles.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il nous est demandé aujourd’hui de nous prononcer sur l’approbation de conventions fiscales passées entre l’État et les trois collectivités d’outre-mer de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de la Polynésie française.
Il s’agit de conventions fiscales tendant, pour la plupart, à mettre en place une assistance administrative mutuelle afin de lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales, notamment au travers d’un échange de renseignements renforcé destiné à prévenir toute utilisation abusive des règles fiscales. À l’évidence, il s’agit là d’un objectif louable
Cependant, cette proposition de loi organique prévoit aussi l’approbation d’une convention tendant à éviter les doubles impositions avec la collectivité de Saint-Martin.
Habituellement, le Parlement est amené à s’exprimer sur des conventions signées avec des territoires étrangers.
Il est tout de même assez extraordinaire que des territoires français ne soient pas assujettis aux règles de procédure fiscale en vigueur partout ailleurs en France.
Nous, les sénateurs radicaux de gauche, nous sommes en quelque sorte les inventeurs de la progressivité de l’impôt sur le revenu et nous sommes très attachés à l’équité fiscale. Or nous voilà confrontés à une première entorse à cette équité !
Certes, ces territoires ont acquis, depuis trois ans, un nouveau statut constitutionnel, qui rendait nécessaire l’élaboration de nouvelles règles. Mais ces dernières s’accompagnent, à l’évidence, d’une très grande complexité.
Ces territoires sont ceux de la diversité, mais s’ajoute à ces diversités multiples une diversité fiscale. C’est un nouveau concept que nous n’apprécions que modérément.
Enfin, est-il normal qu’il existe des « trous noirs » fiscaux, pour reprendre une expression employée par certains, permettant à de riches contribuables ou à des entreprises bien conseillées d’utiliser la « polyrésidence fiscale » ? D’une manière générale, cela ne nous dit rien qui vaille ! En définitive, c’est une façon d’échapper à la rigueur de certaines impositions.
Cette situation est d’autant plus insolite que la proposition de loi nous apprend qu’il n’y a pour ainsi dire que très peu d’échanges entre les administrations déconcentrées de ces territoires et le ministère du budget.
Ces conventions sont écrites dans des termes identiques à celles qui sont conclues avec des territoires comme les Bahamas et d’autres zones fiscales particulièrement attractives.
Au travers de ces conventions, quels qu’en soient les mérites, on prend le risque d’ouvrir une brèche. On nous rétorquera bien sûr que ces territoires présentent des problématiques que nous ne méconnaissons pas, notamment celle d’une vie chère, et que tous leurs habitants ne sont pas fortunés.
Tout cela est exact, mais, comme l’a signalé mon excellente collègue Mme Nicole Bricq, nous aurions préféré à ce système de ravaudage fiscal un système de subventions, de manière que l’équité soit maintenue sans règles dérogatoires.
Autrement dit, ces conventions comportent de nombreux paradoxes. On nous demande d’approuver des textes qui ressemblent à ceux qui sont passés avec des ports de l’économie souterraine, des havres de la spéculation ou encore des blanchisseries industrielles de l’argent sale, sans parler des poumons de l’économie criminelle que l’on trouve dans ces zones, comme chacun le sait. Et ce n’est pas parce que l’on est en territoire français que le drapeau tricolore devient systématiquement synonyme de vertu ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Si le pari de la transparence fiscale est louable, il n’en reste pas moins vrai que nous ne pouvons approuver ces conventions. En conséquence, les radicaux de gauche et la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen s’abstiendront sur la présente proposition de loi organique.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Est approuvée la convention entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscale, signée à Saint-Martin, le 21 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. L’article 1er de cette proposition de loi organique présente un caractère pour le moins original.
Il s’agit en effet d’une convention fiscale que la France signera avec la collectivité territoriale de Saint-Martin, destinée à éviter les doubles impositions.
Que cherche à résoudre cette convention ? Fondamentalement, elle cherche à consacrer ce que le président Arthuis a qualifié de « laboratoire d’innovation fiscale », lors de l’examen du rapport en commission. La raison d’être de ce laboratoire trouve son origine dans l’esprit et la lettre de l’article 74 de la Constitution.
Contrairement à Saint-Barthélemy, la collectivité territoriale de Saint-Martin n’a pas élaboré un code des contributions. Elle s’est contentée, si l’on peut dire, de prendre le code général des impôts et de le mettre en lien avec la situation locale.
Puisqu’il s’agissait d’une priorité, à Saint-Martin il n’existe pas de bouclier fiscal, ni d’impôt de solidarité sur la fortune, ni de taxe sur les salaires, sinon, bizarrement, un sous-produit de la TVA appelé « taxe générale sur le chiffre d’affaires », ou TGCA, qui ne laisse pas d’option aux assujettis – contrairement au territoire métropolitain –, ainsi qu’un impôt sur les sociétés et un impôt sur le revenu dont le barème est, de manière générale, aménagé à la baisse.
Notons que Saint-Martin, dans la fameuse délibération du conseil territorial du 21 novembre 2007 – nous l’avons consultée avec intérêt – qui a fixé l’essentiel des règles fiscales locales, a supprimé pratiquement toutes les niches de l’impôt sur le revenu, comme de l’impôt sur les sociétés, c’est-à-dire qu’elle a opté pour une simplification et une lisibilité des règles.
La vérité, c’est que lorsque l’on compte plus ou moins 20 % de sans-emploi et un grand nombre de familles ne disposant pas de ressources très élevées pour vivre, on peut largement se contenter d’adapter le dispositif de défiscalisation outre-mer, comme c’est le cas aujourd’hui.
Enfin, la délibération du 21 novembre prévoit d’appliquer à Saint-Martin le régime de réduction du montant de l’impôt sur le revenu appliqué en Guyane, soit une baisse de 40 % du montant de l’impôt dans la limite de 6 700 euros.
À la suppression de l’ISF, Saint-Martin ajoute donc la flat tax ! Là encore, on pourrait dire que M. le président Arthuis a eu raison : Saint-Martin est un laboratoire d’innovation fiscale !
Mais le résultat de cette situation découle de l’objectif visé, celui de percevoir un minimum de recettes fiscales, sur un territoire où les contribuables, à l’exception sans doute notable des fonctionnaires en place sur l’île, ont parfois de la peine à faire face à leurs obligations.
Pourtant, ce choix ne rencontre pas un grand succès, puisque le 25 mars 2010, lors de la délibération d’examen du budget primitif de la collectivité, le conseil territorial de Saint-Martin, à la demande de son président M. Frantz Gumbs, a accordé l’inscription d’une ligne de provision pour créances fiscales irrécouvrables de 26 millions d’euros !
Ce chiffre doit être comparé au rendement de 7,1 millions d’euros de l’impôt sur le revenu, constaté en 2006 à Saint Martin, ce qui, pour une collectivité d’environ 45 000 habitants, doit sans doute constituer un record !
Autrement dit, ce que vous nous proposez de valider avec l’article 1er, quoi que vous disiez sur la nécessité de clarifier le traitement fiscal entre résidents et non-résidents, ce n’est, ni plus ni moins, qu’une gestion plutôt défaillante ou, pour le moins, en délicatesse des deniers publics.
D’ailleurs, la même délibération du conseil territorial indique, en article 5, que l’on ne procédera à aucune affectation du titre des excédents de fonctionnement capitalisés, puis, en article 6, que l’on opérera les ajustements, concernant les résultats définitifs de l’exercice 2009, après le vote du compte administratif de 2009, à l’occasion du budget supplémentaire de 2010.
Cela montre, s’il en était besoin, que, dès lors que l’on mélange compte administratif et décision modificative, on est dans l’urgence comptable...
Toutes ces remarques nous amènent naturellement à rejeter sans hésiter l’article 1er, parce que cette convention ne vise réellement qu’à entériner une situation locale peu satisfaisante du point de vue du rendement des impôts et de la réalité des informations et du contrôle qui sera opéré sur la situation de certains contribuables peu regardants.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Est approuvé l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé à Saint-Martin le 23 décembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. L’article 2, qui prévoit une convention d’assistance administrative entre la France et Saint-Martin, sur les modalités de coopération en matière fiscale, ne présente pas plus de garanties que l’article 1er quant à l’amélioration de la situation.
Nous avons eu l’occasion de le pointer, la population saint-martinoise est, de manière générale, dans une situation de ressources pour le moins délicate. En effet, les habitants de la collectivité, dans leur très grande majorité, ne payent pas d’impôt sur le revenu, les ressources dont ils disposent ne leur permettant pas d’y être assujettis.
Comme nous l’avons déjà vu aux Antilles, ils subissent tous la cherté de la vie, notamment celle qui découle des positions quasi monopolistiques atteintes par certains groupes de la distribution sur l’île de Saint-Martin.
D’ailleurs, je profite de cette intervention pour indiquer qu’il est regrettable que l’observatoire des prix de Saint-Martin ne soit pas en activité et qu’il ne se soit réuni qu’une seule fois, pour sa mise en place.
L’assistance administrative que la France pourra apporter concernera fondamentalement la situation des fonctionnaires en poste à Saint-Martin, dont, on le sent bien, l’imposition risque fort de constituer, dans les prochaines années, le principal outil de rendement fiscal de la collectivité.
Pour le reste, en effet, on peut craindre que l’on ne fasse jouer avec beaucoup de facilité la ligne de provision pour atténuation de recettes.
Les 8 000 ménages saint-martinois qui ont, en 2006, présenté un revenu annuel inférieur à 9 400 euros n’ont aucune sorte d’intérêt à voir disparaître l’impôt de solidarité sur la fortune ni même le bouclier fiscal.
Nul doute aussi qu’ils n’ont guère intérêt à voir adaptée à la situation locale la défiscalisation telle que prévue par la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM.
En revanche, les effets de la TGCA et des taxes diverses sur les produits de consommation, cela les regarde et les touche !
Cette convention d’assistance administrative n’est donc intéressante que pour une partie réduite de la population locale, celle qui fait des affaires et qui a besoin du verni de la légalité pour mieux continuer à mener ces affaires !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur. Tout à l’heure, pour éviter d’être monotone, j’ai mis de côté une partie de mon intervention sur les articles 2, 3 et 4. Je vous livrerai maintenant ces quelques réflexions.
Les accords visés à ces articles n’appellent pas de remarques particulières puisqu’ils reprennent les dispositions figurant dans le modèle prévu par l’OCDE et que ce modèle a même été enrichi pour faciliter davantage les échanges de renseignements entre l’État et ces collectivités. Cela permettra notamment à la France de répondre aux demandes de renseignements fiscaux provenant de pays tiers et relatifs aux territoires concernés.
Ces accords prévoient en outre la possibilité, pour les agents des services fiscaux, d’aller contrôler sur place les investissements qui ont bénéficié des diverses dispositions de défiscalisation applicables outre-mer ainsi que les individus qui vivent à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy mais qui continuent d’avoir la qualité de résidents fiscaux de l’État.
Enfin, je relève que l’article 15 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer a grandement facilité la constitution de ces accords fiscaux. Cet article concernait les dispositifs de défiscalisation spécifiques à l’outre-mer.
D’ailleurs, puisque vous avez évoqué ce point, madame Bricq, et vous aussi, monsieur Foucaud, je me permets de faire un simple rappel. Lors des débats assez longs sur la défiscalisation que nous avons eus dans cet hémicycle, pour ce qui nous concerne, nous étions réservés à une extension de la défiscalisation. C’était surtout sur vos travées que s’exprimaient des demandes très importantes de nos collègues d’outre-mer, en général apparentés au groupe socialiste, pour élargir la défiscalisation.
Mme Nicole Bricq. Des subventions !
M. Éric Doligé, rapporteur. J’avais cru entendre aussi qu’un certain nombre d’entre eux étaient assez favorables à l’article 74, qui donne une certaine autonomie et permet ce que nous venons de débattre à l’instant au sein de notre assemblée. J’ai parfois un peu de mal à suivre les raisonnements de certains… Enfin, cela fait souvent partie des règles de nos débats ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Cet article 15 prévoyait que les dispositifs de défiscalisation spécifiques à l’outre-mer ne seraient applicables aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 2010 dans ces collectivités que si elles étaient en mesure d’échanger avec l’État les informations utiles à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Cette disposition a beaucoup pesé dans la décision, notamment de la Polynésie française, de signer un accord d’échange d’informations qui s’avérait nécessaire, la convention fiscale de 1957 ne prévoyant pas les dispositions requises. Je me félicite de cette initiative.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Est approuvé l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Polynésie Française concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé à Papeete, le 29 décembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi organique. – (Adopté.)
Article 4
Est approuvé l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé à Saint-Barthélemy le 14 septembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. Je voudrais le dire à M. le rapporteur, nous n’avons aucun problème avec le contrôle, mais nous faisons la démonstration que ces conventions entérineront tous les avantages fiscaux des plus fortunés, qui se trouveront dans une sorte de paradis fiscal, alors que la population n’en peut plus et que les difficultés s’accroissent. Tel est le sens de nos interventions.
M. Christian Cointat. Ce n’est pas la réalité !
M. Thierry Foucaud. Concernant cet article 4, la situation de Saint-Barthélemy est nettement différente de celle de Saint-Martin ou de la Polynésie française : ni impôt sur le revenu, ni impôt sur les sociétés, ni, évidemment, impôt de solidarité sur la fortune.
L’une des différences de fond est que la population de Saint-Barthélemy est nettement plus réduite que celle de Saint-Martin, mais que, lors des derniers exercices fiscaux au cours desquels les deux collectivités étaient partie intégrante de la Guadeloupe, le rendement de l’impôt sur le revenu était quasiment aussi important à Saint-Barthélemy qu’a Saint-Martin...
Cela a conduit la commission d’évaluation des transferts de compétences à demander à la collectivité de verser plus de 6 millions d’euros environ à l’État pour compenser les pertes de recettes fiscales liées à la nouvelle extraterritorialité.
Soyons précis, mes chers collègues, et dépassons quelque peu la fameuse question de la non-résidence, qui a été présentée comme celle que la convention devait permettre de résoudre.
En 2007, l’impôt sur le revenu rapportait 6,7 millions d’euros à Saint-Barthélemy, dont 6,2 millions récupérés auprès de 27 foyers fiscaux déclarant tous plus de 97 500 euros par an, et, en moyenne, 1,3 million d’euros...
En 2008, ce rendement est tombé à 2,4 millions d’euros, notamment de par l’application des règles de résidence des contribuables. D’ailleurs, le revenu moyen des foyers les plus aisés a diminué de 1 million d’euros.
Conclusion de ce processus : les plus riches habitants de l’île ont bénéficié, avec l’absence d’impôt sur le revenu dans le code des contributions de Saint-Barthélemy, d’une chute libre du montant de leur imposition, puisque celle-ci se situe désormais 4,4 millions d’euros en dessous de ce qu’elle était en 2007, ce qui signifie que le changement de statut leur a rapporté en moyenne près de 200 000 euros par foyer...
Contrairement à ce que certains ont dit, Saint-Barthélemy serait-il un paradis fiscal ? Oui, mais pour les initiés !
Allons au bout de la logique et posons-nous, notamment, la question de la résidence des personnes morales.
Je n’aurais pas la mauvaise grâce de souligner par quel artifice, finalement assez grossier, on peut aisément donner aux entreprises domiciliées à Saint-Barthélemy la qualité de résidente locale.
Il suffit, madame la ministre – vous êtes intervenue sur ce point tout à l’heure –, d’appliquer l’article 4 du code des contributions qui dispose notamment, en son deuxième alinéa : « Sont également considérées comme ayant leur domicile fiscal dans la collectivité de Saint-Barthélemy, les personnes morales ayant établi à Saint-Barthélemy leur siège de direction effective et qui sont contrôlées, directement ou indirectement, par une ou plusieurs personnes physiques résidentes à Saint-Barthélemy au sens de l’article 2 du présent code. »
Cette citation montre qu’il suffit de trouver un habitant du cru suffisamment compréhensif pour, au travers d’une entreprise ad hoc, assumer telle ou telle activité pour compte de tiers domicilié ailleurs...
Fort habilement, dois-je l’avouer, le même code des contributions limite l’application de la clause de résidence pour les entreprises assurant la vente de marchandises à l’export du territoire de la collectivité.
Cela signifie, pour aller vite, que toute entreprise qui se contente de vendre des services dématérialisés en direction de telle ou telle autre entreprise, y compris métropolitaine, pourra bénéficier de la résidence à Saint-Barthélemy et se contenter d’acquitter le forfait fiscal de 300 euros – plus 100 euros par salarié – dont nous avons déjà dit à quel point il s’apparentait à ce que l’on rencontre, pas très loin de l’île, avec le système des IBC, International Business Companies.
Autre aspect clé de la convention dont nous parlons : placer l’île sur le chemin du statut de pays d’outre-mer, c’est-à-dire de territoire pouvant échapper aux règles communautaires en vigueur dans bien des domaines sensibles – notamment la protection de l’environnement, le droit de l’urbanisme ou les normes de construction – pour toute île caribéenne.
C’est bien parce que nous voulons poser clairement la question de la pertinence de l’article 74 de la Constitution et de son application – sa mise en œuvre n’a-t-elle pas été rejetée par les populations de la Martinique comme de la Guyane, qui ont préféré rester régies par les dispositions de l’article 73 de la Constitution ? – que nous sommes plus que réservés en ce qui concerne l’adoption de cet article 4.
Asseoir légalement une forme de paradis fiscal – loin d’être un paradis pour tous, vu la cherté de la vie et les handicaps liés à l’insularité, qui contraignent par exemple les jeunes à émigrer afin de poursuivre leurs études – et compléter l’affaire en ouvrant la porte à un futur porteur de risques pour la qualité de vie, l’environnement ou encore la transparence des activités financières et économiques, nous ne le voulons pas.
C’est pourquoi nous ne voterons pas cet article.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique, je donne la parole à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur. Je souhaiterais très rapidement donner la position de la commission des finances.
Les accords fiscaux qu’il nous est proposé d’approuver sont satisfaisants au regard tant des finances publiques que de la nécessité de garantir l’exercice des compétences fiscales des collectivités concernées.
Il ne s’agit pas ici de revenir sur le principe des lois organiques que nous avons votées, et sur l’octroi des compétences fiscales aux collectivités d’outre-mer concernées. L’objectif des conventions que nous sommes appelés à approuver est justement d’encadrer l’exercice de ces compétences et de garantir que celui-ci se fera dans le respect des règles de transparence et des principes de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
En outre, ces accords ont fait l’objet de longues négociations, et il ne me semble pas opportun de revenir sur l’équilibre qui a présidé à leur conclusion.
C’est pourquoi la commission des finances, outre une correction d’erreur matérielle, n’a pas apporté de modification à la présente proposition de loi organique, et vous propose de l’adopter en l’état.
Mme la présidente. La parole est à Mme Lucette Michaux-Chevry, pour explication de vote.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Madame la présidente, mes chers collègues, je ne pensais pas intervenir dans ce débat, mais j’ai entendu tellement de propos scandaleux : paradis fiscal, délits d’initiés, véritables flibustiers que sont les Saint-Martinois et les Saint-Barths, blanchiment d’argent !
Je voudrais rappeler à mes collègues que ce sont de tels propos, tenus parfois ici, qui provoquent les incidents extrêmement graves que nous déplorons.
En effet, dire cela, c’est démontrer que des Français ne connaissent pas la France, et c’est grave ! Comment pouvez-vous voter une loi et formuler des observations sur des régions que vous méconnaissez ?
Président du conseil régional de la Guadeloupe pendant douze ans, je voudrais vous dire, madame Bricq : quelles sont les subventions que l’État a versées pour construire le lycée de Saint-Barthélemy ? J’entends que des étudiants quittent Saint-Barthélemy. Or il n’y a pas de lycée à Saint-Barthélemy ! Il n’y a pas non plus d’hôpital ! La loi de défiscalisation, Saint-Barthélemy ne l’a jamais appliquée, et l’a totalement refusée !
J’entends parler, en outre, d’un paradis fiscal. Saint-Martin et Saint-Barthélemy étaient deux communes de la Guadeloupe placées sous les lois républicaines. S’il y a eu paradis fiscal, c’est que des fonctionnaires de l’État n’ont pas fait leur travail. Ce n’est pas concevable !
Qu’avez-vous fait de ces deux îles ? Vous avez, à Saint-Martin, laissé construire, contre la volonté des élus locaux, l’aéroport en zone hollandaise. Quand nous avons demandé à l’époque au Gouvernement de pouvoir siéger au conseil d’administration de cet aéroport – je me tourne vers mon collègue Louis-Constant Fleming, qui sait le combat que nous avons mené –, le Gouvernement nous a dit « non ». L’aéroport international de Saint-Martin, c’est là qu’atterrissent les avions d’Air France, en acquittant de lourdes taxes.
Quand vous avez décidé de construire un port, nous avons demandé la priorité. Or le port a été édifié en zone hollandaise. Que nous a-t-on donné en zone française ? On nous a donné l’hôpital, et nous avons joué sur cette île à Mère Teresa, car tous les Haïtiens et les habitants de Saint-Domingue malades se sont installés à l’hôpital de Saint-Martin. N’est-ce pas, mon cher collègue Fleming ?
C’est la faillite de cette île que nous avons soutenue grâce à une chose qui était illégale : alors que Saint-Martin ne payait pas de taxe d’octroi de mer, la Guadeloupe lui versait à ce titre 23 millions d’euros de l’époque, auxquels s’ajoutait la taxe complémentaire d’île éloignée. En outre, nous donnions à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, qui ne la payaient pas, la taxe destinée à alimenter le Fonds d’investissement routier : chaque fois qu’un Guadeloupéen circulait, il acquittait une taxe pour construire les routes, dont une partie était reversée à ces deux collectivités.
J’entends parler de subventions : donnez-en ! Les Haïtiens, les Dominicains ne vous demanderont que cela. Vous voulez supprimer l’aide à Saint-Martin en disant que vous allez attribuer des subventions. C’est ce qui est en train de se passer dans la Caraïbe !
On vous a parlé de laboratoire. Eh bien, moi, je suis pour le laboratoire. Le moment est venu, dans le cadre de la fiscalité, de parvenir à une complémentarité relationnelle entre la Caraïbe et les départements français de la zone, parce que, d’un côté, nous percevons des fonds européens dans le cadre des programmes opérationnels du Fonds européen de développement régional, ou FEDER, et, de l’autre, nous subventionnons les pays de la Caraïbe, qui reçoivent des fonds de l’Union européenne.
Par ailleurs, depuis fort longtemps – 1983 ! –, notre pays a laissé à l’Europe le soin de négocier dans la Caraïbe, au nom de la France, les accords, au titre de la Caricom, du Cariforum et de Lomé.
Donc, lorsqu’on parle de la Caraïbe et de l’outre-mer, je vous en supplie, ici, apprenez réellement ce qui se passe, et arrêtez de considérer les habitants de ces îles comme des assistés, des trafiquants ou des coupables de délits d’initiés ! Ce sont des Français, qui, en toute circonstance, essaient de respecter les règles républicaines. (MM. Christian Cointat et Robert Laufoaulu applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Constant Fleming.
M. Louis-Constant Fleming. Madame la présidente, ayant été mis en cause par mon collègue Thierry Foucaud, qui a déclaré que je n’avais pas associé M. Richard Tuheiava, sénateur de la Polynésie, à cette proposition de loi,…
M. Thierry Foucaud. C’est un constat !
M. Louis-Constant Fleming. … je précise simplement que j’ai effectivement fait cette démarche, mais que M. Tuheiava a répondu qu’il ne pouvait pas s’associer à une proposition de loi présentée par des sénateurs UMP.
M. Thierry Foucaud. C’est un autre constat !
Mme Nicole Bricq. M. Tuheiava a raison !
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique de nos collègues de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin a suscité, on vient de s’en rendre compte, une opposition étonnante de la part, notamment, des membres du groupe CRC-SPG, qui ont publié la semaine dernière un communiqué de presse plutôt virulent.
La critique porte en particulier sur les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin qui seraient, selon eux, érigées en véritables paradis fiscaux par la présente proposition de loi.
Tel n’est pourtant pas du tout l’objet de ce texte, loin de là, et M. le rapporteur Éric Doligé, dont je tiens à saluer la qualité du rapport, l’a excellemment bien rappelé. Mais, je me permets de le souligner, trop souvent, l’obsession de paradis fiscal n’est que l’expression d’un rêve d’enfer fiscal.
Depuis 2007, ces collectivités sont des collectivités d’outre-mer qui disposent d’une autonomie fiscale. C’est purement et simplement l’application de l’article 74 de la Constitution. Je dis cela pour notre collègue du groupe RDSE, qui, visiblement, n’avait pas fait le lien entre « collectivités d’outre-mer » et l’article 74 de la Constitution…
Dès lors, il était devenu indispensable d’éviter les doubles impositions, auxquelles, je le pense, personne, dans cette assemblée, n’est favorable.
Des conventions de même type ont déjà été adoptées avec les autres collectivités ultramarines disposant d’une compétence fiscale, et personne ne s’en est indigné – ce qui est normal puisque c’est la justice !
Le problème ne se posant pas pour Saint-Barthélemy, qui n’a pas mis en place de fiscalité directe sur son territoire, ce qui ne l’empêche pas d’être relativement riche, la présente proposition de loi organique entend résoudre le cas de Saint-Martin, en s’inspirant largement du modèle prévu par l’OCDE – c’est une référence.
Elle prévoit également une assistance administrative mutuelle en matière fiscale avec Saint-Martin, Saint-Barthélémy et la Polynésie française, afin de prévenir, par une plus grande transparence et un contrôle sur place, la fraude et l’évasion fiscales – c’est précisément ce que nous voulons éviter.
Je tiens à appeler l’attention de nos collègues de l’opposition sur le fait que les dispositions du texte dont nous débattons aujourd’hui contribuent par conséquent à la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale qui découle de l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Cette opposition politicienne ne peut s’expliquer que par de la mauvaise foi ou, plus vraisemblablement, par une méconnaissance de la réalité du terrain – pour ma part, à l’instar de notre collègue Lucette Michaux-Chevry, je privilégie cette deuxième hypothèse.
Comme l’a rappelé Louis-Constant Fleming, le texte que nous examinons cet après-midi revêt un caractère primordial pour la survie financière de la collectivité de Saint-Martin, en ce qu’il met fin aux délais que celle-ci a subis dans la mise en œuvre de son autonomie fiscale.
Dans ces conditions, vous le comprendrez, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UMP votera en faveur de la présente proposition de loi organique tendant à l’approbation de quatre accords entre l’État et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de la Polynésie française. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Je voudrais, sans agressivité aucune, réagir brièvement aux interventions de mes collègues.
Les termes « délits d’initiés » ou « flibustiers » sont sans doute excessifs… Toutefois, s’il y a une telle volonté de lutter contre la fraude fiscale, c’est sans doute bien que celle-ci doit exister ! (Mme Lucette Michaux-Chevry et M. Christian Cointat s’esclaffent.) Cela me paraît, somme toute, assez logique.
M. Christian Cointat. Notre but est justement de l’éviter !
M. François Fortassin. Si vous estimez que tout est vertueux sur ces territoires, je vous laisse la responsabilité de vos propos, mes chers collègues.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Ayant déjà largement explicité la position du groupe socialiste lors de mon intervention liminaire, je n’avais pas prévu de reprendre la parole à ce stade du débat.
Je tiens toutefois à prendre acte de la position de la commission des finances et de la déclaration de M. le rapporteur, affirmant qu’il y aura un contrôle fiscal digne de ce nom. Comme l’ensemble des membres du groupe socialiste, je suis très attachée à ce que ce contrôle soit effectif.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que nous avons soutenu le ministre du budget lorsqu’il a voulu, dans la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009, se doter d’un outil de lutte contre la fraude fiscale, la fameuse brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, à laquelle j’ai fait référence dans la discussion générale.
Encore faut-il lui donner les moyens de fonctionner ! Or, si l’on applique la RGPP au ministère du budget et aux cellules chargées de mener les contrôles fiscaux, il est légitimement permis de s’inquiéter.
Quant au petit jeu qui consiste à relever les contradictions des groupes politiques, il pourrait tout aussi bien s’appliquer à l’UMP. Il suffirait de rappeler la position constante du rapporteur général et des commissaires de la commission des finances à propos des mesures de défiscalisation, une position qui, au demeurant, vaut pour l’ensemble du territoire français – vous voyez que l’on ne fait pas d’ostracisme, mes chers collègues !
De surcroît, il ne faut pas confondre les départements d’outre-mer, qui, par définition, n’ont pas la compétence fiscale, et les collectivités d’outre-mer, lesquelles peuvent exercer cette autonomie fiscale.
J’ai simplement voulu dire que la défiscalisation, surtout lorsqu’elle est massive et qu’elle se traduit par une diminution du nombre des contrôles, permet vraisemblablement à de petits trous de se former – et même s’ils ne sont pas « noirs », ils sont tout de même très sombres !
Un autre moyen existe peut-être pour aider ces territoires et leur permettre d’avoir un développement économique endogène.
Quoi qu’il en soit, dès lors que l’État prend des mesures de défiscalisation, il me semble qu’il doit se donner les moyens de les évaluer régulièrement et d’en contrôler l’utilisation.
Il me semble que mon propos est clair, et qu’il reflète une volonté commune à l’ensemble des groupes à propos des mesures de défiscalisation, que celles-ci concernent le territoire hexagonal ou les départements et collectivités d’outre-mer.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Il ressort du compte rendu de la commission des finances du 2 février que son président, M. Jean Arthuis, a tenu les propos suivants : « Est-il légitime de maintenir les dispositifs de défiscalisation à Saint-Barthélemy, île prospère ? Quel gâchis d’argent public ! Certains observateurs locaux disent que les parkings y sont trop petits, tant sont nombreuses les voitures défiscalisées ! »
Le groupe CRC-SPG n’est donc pas le seul à s’interroger !
Au demeurant, c’est vous qui avez parlé de délits d’initiés et de blanchiment d’argent, madame Michaux-Chevry. Nous n’avons, pour notre part, jamais employé ces termes, conscients que nous sommes de nos responsabilités !
Nous sommes en revanche préoccupés de constater que les pertes de recettes fiscales, qui s’élèvent à 6 millions d’euros pour Saint-Barthélemy, et autant pour Saint-Martin, n’ont profité qu’aux plus fortunés.
Aussi, il me semblait que le temps était peut-être venu de proposer une évaluation des effets de l’application de l’article 74 de la Constitution, sur lequel les statuts de ces deux collectivités territoriales sont fondés.
Il nous semble notamment que la situation budgétaire, sociale et économique pose problème. Je l’ai dit et redit, au nom du groupe CRC-SPG : toutes les compétences transférées à la collectivité de Saint-Martin ne sont pas assurées par cette dernière. Par exemple, l’aide sociale à l’enfance n’a pas été mise en œuvre, alors qu’elle concerne 40 % de la population, et que 20 % des jeunes sont au chômage.
Nous devons changer cette situation, et ne pas travailler à sens unique. Les 12 millions d’euros de moins-value fiscale seraient mieux utilisés pour encourager le développement économique et aider la population.
Quand je disais que les paradis fiscaux profitaient à certains, mais pas à tous, je voulais tout simplement décrire la réalité suivante : pendant que les plus riches payent moins d’impôt, les plus pauvres deviennent de plus en plus pauvres. Mais vous pouvez toujours essayer de me démontrer que la situation est paradisiaque pour la majorité des populations de ces territoires !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 160 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 213 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 107 |
Pour l’adoption | 189 |
Contre | 24 |
Le Sénat a adopté.
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 15 février 2011 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À quatorze heures trente :
2. Débat d’orientation sur les conclusions de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création d’un cinquième risque.
À dix-huit heures trente et le soir :
3. Débat sur le schéma national des infrastructures de transport.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART