M. Jean-Jacques Mirassou. C’est déjà fait !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Faudra-t-il voir se produire des phénomènes similaires à ceux que constate l’ordre des médecins allemands ? Celui-ci fait état de l’installation croissante en Allemagne de personnes âgées néerlandaises, qui craignent que leur entourage ne profite de leur vulnérabilité pour abréger leur vie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. René-Pierre Signé. Il ne faut pas dire n’importe quoi !
Mme Marie-Thérèse Hermange. À l’heure de la réduction de la dette et de la prise en charge financière de la dépendance, peut-on sincèrement consacrer un droit à l’aide active à mourir en pensant qu’il n’y aura pas de dérives ?
Ma troisième certitude est que prendre appui sur le principe de liberté individuelle, c’est articuler notre droit autour de la volonté du patient.
Toutefois, l’ouverture d’un droit objectif peut-elle répondre à la complexité des situations extrêmes de fin de vie et se fonder sur une volonté présentée comme inébranlable ? En effet, chacun sait, pour l’avoir vécu, que, en cet instant, on oscille en permanence entre le souci d’en finir et le désir de se battre, puisque la vie de l’homme est toujours entrebâillée par l’espérance. C’est d’ailleurs cette dernière qui est refusée au condamné à mort.
Légiférer, n’est-ce donc pas demander à la loi, générale par définition, de claquer la porte, de faire cesser, pour un autre, cet entrebâillement, cette capacité à dire : « Je veux vivre ». La question se pose d’autant plus que, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, cette autonomie de choix postule, paradoxalement, l’intermédiaire d’un autre pour se faire entendre.
Chers Alain Fouché et Jacques Mézard, pour moi la vie est un don, même si, mes chers collègues, je ne peux partager cette certitude avec chacun d’entre vous. En revanche, vous pouvez souscrire à ces propos de Robert Badinter, selon lesquels le droit à la vie est le premier des droits de l’homme, garanti non seulement par les textes onusiens et européens, mais aussi par notre Constitution, puisque, en abolissant la peine de mort, nous avons consacré le droit à la vie.
M. René-Pierre Signé. Cela n’a rien à voir !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Dès alors, celui que notre droit à mourir va désormais soustraire de la vie ne sera-t-il pas présent partout pour nous interroger sur nos contradictions juridiques ? Comment cette aide active à mourir s’articulera-t-elle avec l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement » ? Comment ce droit à mourir s’accordera-t-il avec la prohibition de la provocation au suicide, la poursuite de la non-assistance à personne en danger et de l’abus de faiblesse, ou encore avec le droit à la santé ?
J’ai aussi la certitude que, après le questionnement anthropologique et juridique, le médecin nous rappellera que ce texte va à l’encontre de la déontologie qui est la sienne, comme l’ont souligné plus de 8 000 praticiens : « Quels que soient les choix que notre société pourrait faire dans le futur, donner la mort ne relève en aucune façon de la compétence du médecin et […] nous […] n’assumerons pas ce rôle. » Comment en effet concilier ce nouveau devoir d’assistance médicalisée avec le serment d’Hippocrate et l’article R. 4127-38 du code de la santé publique qui impose au médecin de ne pas « provoquer délibérément la mort » ? (M. Robert del Picchia applaudit.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
Mme Marie-Thérèse Hermange. J’ai la certitude aussi que différentes autorités, notamment médicales, ainsi que celles et ceux qui m’ont fait l’honneur de me donner mandat pour siéger dans cette assemblée m’interrogeront : « Vous ai-je élue pour voter une loi donnant le droit à la mort ? Pourquoi ajouter encore aux textes existants ? Ne convient-il pas plutôt de faire appliquer la législation actuelle ? » C’est aussi pour pouvoir leur répondre que je ne voterai pas cette proposition de loi.
Je souhaite enfin remercier Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, Jean-Pierre Godefroy, Guy Fischer et Alain Fouché de me donner la possibilité de dire, dans cette enceinte, qu’il n’y a pas de réponse simple et que nous sommes peut-être en train d’évoquer un des rares problèmes sur lesquels aucune loi n’aura jamais aucune prise. (M. Jean Desessard s’exclame.) Et que même avec un regard différent du vôtre, avec des mots sans aucun doute maladroits, il n’y a pas non plus d’impossible pour rencontrer l’autre, écouter et accueillir sa parole.
Voilà ce que vous nous avez donné à vivre ce soir au travers de ce débat, et cela nous devons vous en remercier.
Si je partage vos interrogations, je n’adhère pas à la réponse que vous leur apportez.
Je fais ainsi écho à ceux que nous n’entendons pas. Je pense, par exemple, à Mme Pavageau, qu’au sein de cette assemblée, monsieur le président du Sénat, par l’intermédiaire de Monique Papon, vous avez décorée de la Légion d’honneur, pour son combat en faveur des personnes handicapées.
Cette femme, âgée de cinquante-cinq ans, tient les propos suivants : « Il y a vingt-six ans, en dix minutes, j’ai basculé de la parfaite santé à la dépendance totale. […] Je ne parle qu’avec difficulté. […] J’utilise l’ordinateur avec deux doigts. […] Il me faut avoir à tout moment la patience de mes impatiences. […] Il a pu m’arriver de souhaiter mourir, mais c’était pour entendre quelqu’un autour de moi me donner une raison de vivre. […] Si un jour je traverse une période de découragement intense, est-ce qu’on va m’euthanasier en rebaptisant cet acte “geste d’amour” ? » (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat débat aujourd'hui de l’opportunité de légaliser l’euthanasie. Je souhaite revenir avec vous sur deux notions invoquées par les auteurs de la proposition de loi : la dignité et la liberté.
En premier lieu, la dignité ne serait-elle vue qu’à travers le seul prisme du regard de l’autre et ne dépendrait-elle que de facteurs extérieurs tels que l’âge, la santé, la beauté ou encore la productivité ? À partir de quand estime-t-on une vie non digne d’être vécue ? Y a-t-il un seuil de déchéance à partir duquel une vie humaine serait qualifiée d’indigne ? Si oui, ce seuil serait-il objectif ou laissé à l’appréciation de chacun ?
Ne soyons pas dupes de la fausse compassion qui prévaut en la matière. Certes, les intentions des uns et des autres peuvent être sincères et la question qui nous occupe est pour le moins délicate.
Mais donner la possibilité à un malade de demander au médecin d’abréger ses jours, sous le prétexte qu’à partir d’un certain seuil sa vie serait devenue indigne, revient à inscrire dans la loi le caractère relatif de la dignité humaine.
Pour les partisans de l’euthanasie, il existe des situations où la dignité de la vie humaine peut être mise en doute, mesurable à l’aune de critères variables. Ainsi, certaines vies ou fins de vie, « dégradées » par la maladie, n’auraient plus vraiment de valeur, au point que, dans ces cas, le geste euthanasique constituerait un bien pour celui qui serait en train de perdre sa dignité et qui demande d’en finir.
On peut d’ailleurs se demander si l’entourage des malades et, au-delà, la société tout entière ne sont pas, pour une bonne part, responsables de l’image que chacun se forme de sa propre dignité.
C’est ce que dit Axel Kahn : « Une personne peut craindre de devenir indigne de l’image qu’elle a de la dignité. Mais je pense qu’elle a surtout peur de se voir comme indigne dans les yeux des autres ».
N’est-ce pas en raison de l’image de cette « indignité », dont nous voudrions être épargnés, que les grands malades et les mourants, victimes de la « déchéance », sont écartés de la scène publique ? Le statut du mourant n’est-il pas problématique dans nos sociétés ?
Si l’on ne peut nier, sur le plan psychologique, que le malade, voyant se flétrir son corps et ses facultés, puisse éprouver le « sentiment d’une dignité diminuée », on ne doit pas perdre de vue qu’au-delà de nos appréciations subjectives, le malade possède une dignité inhérente à son être même, fondée sur le seul fait d’appartenir au genre humain. La dignité est bien un principe intangible et indiscutable : par le seul fait qu’il existe, l’être humain a une dignité.
Le philosophe et ancien ministre Luc Ferry s’emporte contre ceux qui font de la dignité un attribut que l’on peut perdre : « L’idée même qu’un être humain puisse perdre sa dignité, parce qu’il serait faible, malade, vieux et par là dans une situation d’extrême dépendance, est une idée intolérable sur le plan éthique, à la limite des plus funestes doctrines des années trente ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Il ne faut pas exagérer !
Mme Anne-Marie Payet. Et de plaider pour « […] un discours de compréhension et d’assistance, pour ne pas dire d’amour […] ».
Il n’existe aucun droit sur les plans philosophique et juridique qui justifierait le fait d’être euthanasié au nom de la dignité.
N’est-ce pas également en raison de la portée du principe de dignité que la France s’apprête à rejeter avec fermeté la légalisation de la gestation pour autrui ? Même avec son consentement, la « mère porteuse » n’est pas libre de s’exiler de l’humanité et d’abdiquer sa dignité.
N’est-ce pas la première forme de respect que nous devons aux plus vulnérables ?
Poussant plus loin la réflexion, je me demande si l’on n’est pas saisi par la tentation de rejeter la condition humaine avec toute la part de déchéance qu’elle comporte inévitablement, surtout lors du grand âge.
Refuser de vieillir, cela peut être aussi refuser de vivre, puisque la vieillesse fait partie intégrante de la condition humaine.
Dès lors, je me demande si ce n’est pas notre regard sur la vieillesse qui ne serait pas assez pur. Dans une société qui valorise l’image et l’apparence, multiplie les crèmes antirides et les produits de beauté,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Qu’est-ce que cela a à voir ? Faut arrêter !
Mme Anne-Marie Payet. … ne devient-on pas esclave d’une image artificielle de l’homme que favorisent le show-biz et la publicité, au risque de rejeter l’évolution naturelle de l’espèce humaine ?
Mme Anne-Marie Payet. Pourquoi refuse-t-on de vieillir aujourd’hui en France ? Et quel signal renvoie-t-on alors au monde de la vieillesse en dévalorisant ainsi un âge jugé indigne ?
En second lieu, je poursuivrai mon propos par une analyse de la notion de liberté, au cœur de la revendication des partisans de l’euthanasie.
La thèse avancée pour autoriser l’euthanasie consiste à dire qu’elle serait un droit fondamental de l’individu dès lors qu’elle est librement choisie par un adulte en pleine possession de ses facultés.
Nous pouvons émettre deux objections. D’abord, on oublie complètement que l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté ne sont pas, et ne seront jamais, le lieu d’exercice d’une liberté purement individuelle. En effet, comme le soulignent Luc Ferry et Axel Kahn, les promoteurs de l’euthanasie se focalisent sur la demande et les procédures garantissant le bien-fondé du consentement libre de la démarche du malade, oubliant l’autre moitié du contrat : la réponse qu’il faut apporter à cet appel.
Autrement dit, en faisant peser sur des tiers, en l’occurrence les médecins, l’obligation de rendre effectif un droit à mourir, on se trouve devant le paradoxe d’une liberté qui a besoin de l’autre et n’est finalement que l’expression de l’impuissance d’un individu qui a besoin de la puissance d’agir des autres pour être effective.
Ensuite, la seconde objection consiste à rappeler que la liberté revendiquée d’un malade qui souffre n’existe pas pleinement. La demande de mort n’est la plupart du temps que l’expression d’un appel désespéré, d’un appel au secours.
Je comprends d’ailleurs parfaitement l’angoisse d’un malade qui, en proie à une souffrance qu’il n’estime plus supportable, en vient à demander sa propre mort. Ne doit-on pas reformuler sa demande et estimer qu’il s’agit d’un cri de détresse devant une souffrance devenue insupportable ?
Je pense que, loin de devoir donner la mort, le rôle du médecin consiste à tenir compte du contexte de violence extrême dans lequel s’effectue cette demande, pour la reformuler ensuite en termes médicaux, par exemple, en une demande de soins palliatifs.
La vraie liberté serait celle de choisir entre la vie et la mort, en l’absence de toute contrainte liée aux circonstances de l’existence, qu’elles soient d’ordre physique, notamment en cas de maladie ou d’invalidité, ou psychologique et morale, en particulier dans les situations de deuil ou de rupture affective. Elle supposerait aussi de connaître parfaitement les termes du choix afin de se déterminer en toute connaissance de cause. Un tel choix est-il possible, mes chers collègues, à partir du moment où la mort reste pour nous la grande inconnue ?
Sans entrer dans un tel débat philosophique, j’attire votre attention sur l’imposture qui consiste à présenter l’euthanasie comme une liberté.
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas l’euthanasie !
Mme Anne-Marie Payet. Pour Axel Kahn, « la demande de mort émane toujours d’une personne pour qui la vie est devenue insupportable, et qui estime qu’elle n’a pas d’autre choix que de l’interrompre. »
C’est donc parce qu’il est indispensable de promouvoir la dignité inaliénable et absolue de toute personne humaine quels que soient son âge, sa vigueur et sa santé, et parce que, par ailleurs, l’euthanasie ne peut, à mon sens, constituer un choix libre et raisonnable que je voterai contre ce texte, qui tend selon moi à instaurer un permis légal de tuer, car la seule solution digne d’une société humaine comme la nôtre est le développement des soins palliatifs. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur de nombreuses travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Ce n’est pas dans la légalité que les abus ont lieu, mais bel et bien dans l’illégalité ». C’est avec ces mots que Jean Huss, notre collègue député Vert luxembourgeois, a défendu la loi qui a permis au Grand-Duché de légaliser l’aide à mourir.
J’espère que nous suivrons aujourd’hui l’exemple de nos voisins du Benelux et je remercie mon collègue socialiste Jean-Pierre Godefroy, mon collègue du groupe CRC-SPG Guy Fischer et mon collègue de la majorité Alain Fouché d’avoir eu le courage d’ouvrir à nouveau ce débat.
Il existe aujourd’hui une absurdité dans notre code pénal : aucune distinction n’est faite entre la mort donnée par compassion à autrui, à sa demande, et l’assassinat, puni de la réclusion criminelle à perpétuité.
Le cas de Vincent Humbert a montré les lacunes de notre droit.
La responsabilité du décès ne doit pas incomber aux familles ou aux médecins. C’est à la personne en fin de vie de choisir. C’est un acte individuel fort. C’est le droit à disposer de soi-même.
Quand allons-nous reconnaître l’exercice du droit fondamental de chaque être humain sur sa propre vie ? L’opinion publique semble prête. Que fera cette nuit la représentation nationale ?
La majorité se repose sur la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti ». Malheureusement, cette loi est trop souvent ignorée, mal connue et pas toujours appliquée. (M. Alain Gournac s’exclame.) Les médecins ne sont pas toujours correctement formés, les patients pas toujours bien informés et l’acharnement thérapeutique existe toujours.
Mais, surtout, cette loi est insuffisante, car elle laisse trop peu de place à l’autodétermination des patients. C’est à chaque malade de choisir : faire le choix de vivre encore ou de mettre un terme à ses douleurs, à sa souffrance. Ce n’est ni à l’entourage ni à l’équipe médicale de décider.
D’ailleurs, que peut faire l’équipe médicale ? Aujourd’hui, elle se cantonne à laisser mourir les malades, puisque l’on interdit au médecin d’aller au bout de son acte. On augmente les doses de morphine, on enlève les perfusions, mais, officiellement, on ne donne pas la mort. Quelle hypocrisie !
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Jean Desessard. La loi n’est donc pas adaptée, car elle ne satisfait pas celles et ceux qui arrivent en fin de vie ni leurs proches ni les soignants.
M. Josselin de Rohan. C’est ce que vous dites !
M. Jean Desessard. Alors que se passe-t-il ? Allons-nous laisser souffrir les malades qui demandent à mourir ? Allons-nous laisser les citoyens sans repère, quitte à ce que certains se retrouvent devant les tribunaux ? Allons-nous laisser les médecins enfreindre la loi encore longtemps ? Allons-nous laisser les magistrats face à ce vide juridique ? De toute façon, comment punir ceux qui ont aidé leurs proches ? Le procès de Marie Humbert s’est conclu par un non-lieu.
Cela fait trente ans que les Français attendent une loi. C’est aujourd’hui au législateur d’assumer sa responsabilité.
C’est tout de même étrange d’entendre certains dire aujourd’hui qu’il y a un vrai problème et qu’il faut y réfléchir encore. Une décision est à prendre, c’est tout !
Nous avons entendu ceux qui nous expliquent que si les personnes en fin de vie souffraient moins physiquement, il n’y aurait pas besoin d’assistance médicalisée pour mourir.
Ce sont deux questions différentes. D’un côté, il faut impérativement généraliser l’accès aux soins palliatifs, nous sommes tous d’accord sur ce point. Or, monsieur le ministre, à l’heure actuelle, ces soins ne sont accessibles qu’à 15 % ou 25 % de ceux qui en ont besoin. C’est vraiment très peu !
En revanche, d’un autre côté, la délivrance de la mort doit être également un choix, car les soins palliatifs et l’aide à mourir sont des choix complémentaires.
La douleur des personnes en fin de vie n’est pas tout. Elle s’accompagne parfois d’un désespoir lucide qui va au-delà de la douleur. Certaines personnes ne supportent pas l’idée de devenir complètement dépendantes et n’acceptent plus leur déchéance.
Il faut partir des réalités d’aujourd’hui : 70 % à 75 % des décès ont lieu à l’hôpital ou en maison de retraite, dans des conditions le plus souvent jugées inacceptables par les soignants,…
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Jean Desessard. … et seules 24 % des personnes qui meurent à l’hôpital sont accompagnées par leurs proches,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Desessard. … soit plus de 75 % qui meurent dans la solitude.
Pourtant, que souhaitent la plupart de nos concitoyens ? Mourir chez eux sereinement, entourés de leurs proches à qui ils peuvent dire au revoir.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien ! C’est cela le respect !
M. Jean Desessard. Prenons un exemple européen.
Cela fait dix ans que les Pays-Bas autorisent l’aide à mourir et la jurisprudence en tolérait la pratique depuis vingt ans. Il n’y a pas d’abus à déplorer. Dans ce pays, où l’aide médicalisée à mourir concerne 2 % des décès, et ce taux a tendance à légèrement diminuer, on meurt le plus souvent à domicile.
M. René-Pierre Signé. En France, 70 % des personnes meurent à l'hôpital !
M. Jean Desessard. Mon souhait est que ce vœu profond de délivrance puisse également être accompagné et encadré en France. Car mourir dignement est un droit fondamental.
C’est à nous, parlementaires, de faire en sorte que l’État protège le pluralisme moral.
Les législations des États qui autorisent l’aide médicalisée à mourir n’obligent évidemment personne à demander ces interventions, mais elles n’interdisent pas non plus à certains citoyens d’y recourir et de vivre ainsi selon leurs convictions morales. Elles vont dans le sens du pluralisme moral, ce que la loi Leonetti ne permet pas aujourd’hui.
Ceux qui, pour des raisons éthiques ou religieuses, veulent lutter jusqu’au bout de leurs forces doivent considérer que d’autres peuvent faire un autre choix et accepter que la loi les y autorise.
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Jean Desessard. C’est donc une loi républicaine que nous avons la possibilité de consacrer aujourd’hui.
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Jean Desessard. C’est une loi de liberté, qui respecte la volonté du malade, mais aussi celle du médecin, qui peut accompagner ou ne pas accompagner vers la mort.
C’est une loi d’égalité, car les Français seront enfin égaux devant ce choix ultime. Il n’y aura plus ceux qui ont les moyens d’aller en Suisse et les autres.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Desessard. C’est enfin une loi de fraternité, pour permettre aux malades et à leurs proches d’affronter le plus sereinement possible ces moments douloureux.
C’est pour ces raisons que les écologistes voteront pour ce progrès en faveur des libertés individuelles. Les sénatrices et les sénateurs Verts soutiennent la proposition de loi ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Bernard Piras. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’indignation mobilise les sentiments, elle relève plus du comportement et moins de l’agir. Mais la honte que nous éprouvons devant la proposition de la commission des affaires sociales (Exclamations sur les travées du groupe socialiste)…
Mme Françoise Laborde. La « honte » ? C’est excessif !
M. Jean-Louis Lorrain. … est du domaine de l’émotion.
Oui, j’ai eu honte pour le Sénat ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. C’est un peu excessif, non ?
M. Bernard Piras. C’est un appel à la sérénité du débat…
M. Jean-Louis Lorrain. Voilà un texte militant dont nous montrerons les faiblesses. Sa dangerosité a pour seul mérite de renforcer nos convictions, d’inciter à la réflexion, à la recherche, à accorder les moyens nécessaires, par exemple aux unités de soins palliatifs, aux équipes mobiles, à l’hospitalisation à domicile et aux structures d’accueil.
Le tragique du débat est qu’il mobilise souvent les mêmes arguments contre la dépénalisation ou à l’appui de la légalisation. Il ne s’agit pas d’un débat éthique où nous pourrions cheminer non vers un consensus, mais dans la discussion, en échangeant des convictions.
Mme Isabelle Pasquet. C’est ce que nous faisons ce soir !
M. Jean-Louis Lorrain. Les positions sont contradictoires et irréversibles ; elles engagent la perception de la liberté. Être libre de décider du moment de sa mort, être libre du jugement que l’on porte sur soi-même et sur sa dignité, être libre de décider du seuil de la souffrance supportable : tout cela est un leurre.
M. René-Pierre Signé. Il n’a jamais vécu ce qu’il se passe à l'hôpital !
M. Bernard Piras. Chacun fait comme il veut !
M. Jean-Louis Lorrain. Tous font référence à des valeurs de solidarité, mais, ici, on rejette des contraintes collectives. L’affirmation d’une liberté individuelle à mourir nécessite pour les mêmes le recours au monde médical et à la loi afin de déresponsabiliser l’acte de mort. Il n’y a pas de liberté de choix de mourir, selon Axel Kahn, pour qui « la demande de mort émane toujours d’une personne pour qui la vie est devenue insupportable et qui estime qu’elle n’a pas d’autre choix que de l’interrompre ».
On ne retrouve plus affiché dans le présent texte le concept de dignité. Ce concept ouvre trop le débat, en particulier celui de l’indignité à définir, à identifier parmi nos semblables. Pour Jacques Ricot, « mourir dans la dignité signifie ici exactement le contraire de ce qu’on fait dire à l’expression, puisque, en provoquant la mort d’une personne dont on estime qu’elle a perdu sa dignité, on la conforte dans la dépréciation d’elle-même et l’on nie sa dignité ontologique ».
Légaliser, c’est s’engager vers un risque de pression morale sur les plus fragiles et les plus pauvres, c’est faire du médecin un décideur radical par son jugement…
M. Didier Guillaume. Mais non !
M. Jean-Louis Lorrain. … et un exécuteur de la sentence aboutissant à la division des professions de santé.
Nous devons nous en tenir aux textes législatifs en notre possession, en particulier à la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti. Le principe de non-abandon retenu nécessite que l’on écoute, que l’on accompagne, que l’on soulage la personne en grande détresse devant la mort. Mais l’interdit doit rester. Tuer serait immoral pour certains et accordé à d’autres.
M. René-Pierre Signé. Mais on va tous mourir un jour !
M. Jean-Louis Lorrain. La légalisation de l’euthanasie ne contribue en rien à la moralisation de l’acte de mort.
Prenons deux figures.
La femme à la rue, en grande souffrance, ne pouvant assumer une vie normale et dont les conditions d’existence ne lui permettent plus d’assumer son identité : que répondez-vous en cas de demande d’aide à mourir ?
L’étranger gravement malade, qui se verrait refuser son droit de séjour et demandant à en finir : est-ce au médecin de régler les conséquences de décisions politiques ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Les étrangers, vous n’en voulez pas !
M. Jean-Louis Lorrain. L’euthanasie ou la possibilité de mort médicalement assistée est une menace pour les personnes fragilisées et dépendantes.
M. Didier Guillaume. C’est l’inverse !
M. Jean-Louis Lorrain. L’image d’inutilité, de coût que s’inflige la personne vulnérable est accentuée par cette offre mortifère que lui donnerait la loi.
Ce texte me paraît d’autant plus injustifié qu’il est issu de personnes respectables,…
Mme Raymonde Le Texier. Il ne faut pas délirer comme cela !
M. Jean-Louis Lorrain.… avec lesquelles nous pouvons partager des valeurs. (M. Guy Fischer s’exclame.)
Il nous est proposé toute une organisation bureaucratique : commission, fichier, formation, exécutants. Nous sommes devant un texte « allégé », censé préparer le futur.
L’aide à mourir, relevant du code de la santé publique, pose déjà le problème de l’articulation avec des sanctions pénales pour provocation au suicide ou abus de faiblesse.
Nous entrerons, après d’inévitables dérapages, dans un système totalitaire.
M. Jean-Louis Lorrain. Et le politique, grâce à l’administration contrainte, soutenu par quelques intellectuels de haut rang, s’attaquera aux handicapés, aux déments, trop coûteux... (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Bel. C’est honteux !