Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Jean-Paul Virapoullé.
2. Cessation de mandat et remplacement de sénateurs
3. Candidatures à une commission mixte paritaire
4. Décision du Conseil constitutionnel
5. Communication d'un avis de l'Assemblée de la Polynésie française
6. Souhaits de bienvenue à M. le Président de la République de Colombie
7. Démission d'un membre d'une mission commune d'information et candidature
8. Communication du Conseil constitutionnel
9. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
10. Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental. – Discussion d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi ; Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois ; Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé.
11. Souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur
12. Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental. – Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale (suite) : Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Antoine Lefèvre, Jean-Paul Amoudry, Jacques Mézard, Mmes Christiane Demontès, Alima Boumediene-Thiery.
Clôture de la discussion générale.
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi.
Amendement n° 1 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois ; Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé. – Rejet.
Amendement n° 2 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le secrétaire d'État. – Retrait.
Amendement n° 3 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le secrétaire d'État. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 4 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le secrétaire d'État. – Retrait.
Adoption de l'article.
Adoption de l’ensemble de la proposition de loi.
13. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
14. Modification de l'ordre du jour
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
15. Questions cribles thématiques
utilisation du « flashball » et du « taser » par les forces de police
Mme Anne-Marie Payet, M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
MM. François Fortassin, le ministre.
MM. Antoine Lefèvre, le ministre.
MM. Charles Gautier, le ministre.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le ministre.
Mme Catherine Procaccia, M. le ministre.
Mme Dominique Voynet, M. le ministre, Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Catherine Troendle, M. le ministre.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
16. Communication du Conseil constitutionnel
17. Nomination d'un membre d'une mission commune d'information
18. Enfants franco-japonais. – Adoption de deux propositions de résolution identiques
Discussion générale commune : MM. Richard Yung, auteur de la proposition de loi n° 674 rectifié ; Louis Duvernois, auteur de la proposition de résolution n° 94.
M. Roland du Luart, Mmes Claudine Lepage, Françoise Laborde, MM. Robert del Picchia, Jean-Jacques Pignard.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
Clôture de la discussion générale commune.
MM. Jean-Pierre Cantegrit, Christian Cointat, Christophe-André Frassa.
Adoption des deux propositions de résolution identiques.
19. Demande d'avis sur des nominations
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
MM. Jean-Pierre Bel, Guy Fischer, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. le président.
21. Assistance médicalisée pour mourir. – Rejet d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
Mmes Valérie Létard, Sylvie Desmarescaux, MM. Gilbert Barbier, Guy Fischer, Alain Fouché, Ronan Kerdraon, Yves Détraigne, Mme Patricia Schillinger, MM. Bruno Retailleau, Jacques Mézard, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Anne-Marie Payet, MM. Jean Desessard, Jean-Louis Lorrain, Didier Guillaume, André Lardeux, Alain Milon, Mme Bernadette Dupont.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
M. le rapporteur.
Article additionnel avant l’article 1er
Amendement n° 14 rectifié de M. Yvon Collin. – MM. Yvon Collin, le rapporteur, le ministre. – Retrait.
Mme Nicole Bonnefoy, MM. Jean-Jacques Mirassou, Claude Jeannerot, Mme Isabelle Pasquet, MM. François Autain, René-Pierre Signé, Yves Daudigny.
Amendements identiques nos 7 rectifié de M. Gilbert Barbier et 21 rectifié quinquies de Mme Marie-Thérèse Hermange. – M. Gilbert Barbier, Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. le rapporteur, le ministre, Mme Muguette Dini, MM. Jean-Jacques Pignard, Alain Milon, Mme Odette Herviaux, MM. Philippe Darniche, Ronan Kerdraon, Alain Fouché, Jean Desessard, Alain Houpert, Mme Raymonde Le Texier, MM. Claude Domeizel, Jean-Pierre Raffarin, Guy Fischer. – Adoption, par scrutin public, des deux amendements supprimant l'article, l’amendement no 17 rectifié devenant sans objet.
Amendement n° 8 rectifié de M. Gilbert Barbier. – MM. Gilbert Barbier, le rapporteur, le ministre, Mme Annie David. – Adoption de l'amendement n° 8 rectifié supprimant l'article, les amendements nos 5, 1, 20 rectifié, 22, 23, 2 et 24 devenant sans objet.
Amendement n° 9 rectifié de M. Gilbert Barbier. – MM. Gilbert Barbier, le rapporteur, le ministre, Guy Fischer. – Adoption de l'amendement n° 9 rectifié supprimant l'article, les amendements nos 15 rectifié, 3 et 25 devenant sans objet.
Article additionnel après l'article 3
Amendement n° 16 rectifié de M. Yvon Collin. – Devenu sans objet.
Amendement n° 10 rectifié de M. Gilbert Barbier. – Adoption de l'amendement n° 10 rectifié supprimant l'article, les amendements nos 6 et 26 devenant sans objet.
Amendement n° 11 rectifié de M. Gilbert Barbier. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Articles additionnels après l'article 5
Amendements nos 18 rectifié et 19 rectifié de M. Yvon Collin. – Devenus sans objet.
Amendement n° 12 rectifié de M. Gilbert Barbier. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement n° 13 rectifié de M. Gilbert Barbier. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Article additionnel après l'article 7
Amendement n° 4 de M. Jean Desessard. – Devenu sans objet.
Aucun article n’ayant été adopté, la proposition de loi est rejetée.
22. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Jean-Paul Virapoullé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Cessation de mandat et remplacement de sénateurs
M. le président. Par courrier en date des 19 et 21 janvier derniers, MM. Nicolas About et Pierre Fauchon m’ont fait connaître qu’ils remettaient respectivement leur mandat de sénateur des Yvelines et de sénateur du Loir-et-Cher, à compter du samedi 22 janvier 2011 à minuit.
Acte est donné de ces décisions.
À la suite de la cessation du mandat de M. Pierre Fauchon, sénateur du Loir-et-Cher, le siège détenu par ce dernier est devenu vacant et sera pourvu, selon les termes de l’article L.O. 322 du code électoral, lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.
Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration m’a fait connaître que, en application de l’article L.O. 320 du même code, Mme Roselle Cros est appelée à remplacer, en qualité de sénateur des Yvelines, M. Nicolas About.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite la plus cordiale bienvenue à notre nouvelle collègue.
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine.
J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
4
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 20 janvier 2011, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel.
Acte est donné de cette communication.
5
Communication d'un avis de l'Assemblée de la Polynésie française
M. le président. En application de l’article 9 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, j’ai saisi, le 8 décembre 2010, le haut-commissaire de la République en Polynésie française en vue de la consultation de l’Assemblée de la Polynésie française sur la proposition de loi, présentée par M. Richard Tuheiava, visant à actualiser l’ordonnance n° 2005-10 du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs.
Par lettre en date du 24 janvier 2011, j’ai reçu de M. le haut-commissaire de la République communication de l’avis favorable de l’Assemblée de la Polynésie française sur cette proposition de loi, qui sera examinée le jeudi 27 janvier 2011.
Acte est donné de cette communication.
6
Souhaits de bienvenue à M. le Président de la République de Colombie
M. le président. Mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, du Président de la République de Colombie. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Le Président Juan Manuel Santos Calderón, avec qui nous venons d’avoir un long et très cordial échange, effectue sa première visite officielle hors du continent sud-américain depuis son élection, il y a six mois, et nous sommes heureux et honorés qu’il nous fasse l’amitié de venir d’abord en France. Je lui souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue au Sénat de la République française.
Il est accompagné de son épouse et d’une délégation de haut niveau. Parmi les ministres présents, je me permets notamment de saluer Mme María Ángela Holguín Cuéllar, ministre des affaires étrangères, qui était déjà venue prononcer au Sénat un superbe discours à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance des pays d’Amérique latine. Il est également entouré de nos collègues Michel Doublet, président délégué du groupe d’amitié France-Pays Andins, et Roland du Luart, vice-président du Sénat.
Aujourd’hui, le Président Santos veille à lutter contre la violence en Colombie, mais il est aussi le maître d’œuvre d’un vaste plan de réformes économiques et sociales, destiné à construire une société plus équitable et plus juste.
Le Sénat entretient des relations interparlementaires nourries avec le Sénat de Colombie, et notre groupe d’amitié France-Pays Andins s’est rendu dans ce pays en septembre dernier. Nos collègues ont pu constater la force de nos liens culturels, lesquels seront bientôt renforcés par un accord linguistique et universitaire, ainsi que l’intensité de nos relations politiques et économiques.
Membre du Conseil de sécurité des Nations unies pour les deux prochaines années, la Colombie est un pays important d’une région, l’Amérique centrale et la Caraïbe, dont, ne l’oublions pas, nous faisons aussi partie, avec la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane.
Alors que notre pays préside le G20 avec l’ambition de faire progresser une mondialisation mieux régulée, nos échanges de ce matin ont été précieux. Je ne doute pas que les échanges de demain avec le Président de la République le seront également, comme l’ont été ceux d’hier avec le Premier ministre.
Je redis au Président Juan Manuel Santos Calderón et à sa délégation combien nous sommes honorés de leur visite, heureux de les recevoir et attentifs à l’approfondissement de nos relations. (Applaudissements.)
7
Démission d'un membre d'une mission commune d'information et candidature
M. le président. J’ai reçu avis de la démission de Mme Raymonde Le Texier, comme membre de la mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom du candidat proposé en remplacement.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
8
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 21 janvier 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (n° 87-2010 QPC, n° 88-2010 QPC, n° 89-2010 QPC et n° 90-2010 QPC).
Acte est donné de ces communications.
9
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 21 janvier 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2011-113 QPC et n° 2011-114 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
10
Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental
Discussion d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, présentée par MM. Jean-René Lecerf et Gilbert Barbier et Mme Christiane Demontès (proposition de loi n° 649 [2009-2010], texte de la commission n° 217, rapport n° 216).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi.
M. Jean-René Lecerf, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, que j’ai déposée avec mes collègues Christiane Demontès et Gilbert Barbier, s’insère d’abord dans la continuité de la loi pénitentiaire et reflète l’obstination du Sénat, commune à l’ensemble des groupes qui le composent, à mettre fin à ce sinistre constat d’humiliation pour la République que nos prisons ont, hélas ! trop longtemps mérité.
Les dispositions adoptées quant à l’évolution des conditions de détention, à l’obligation d’activité, au développement de l’emploi et de la formation en milieu carcéral ainsi qu’au renforcement des aménagements de peine et des alternatives à l’enfermement marquent d’incontestables avancées. D’autres initiatives sont allées opportunément dans le même sens, comme la création du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Il ne peut donc surprendre que le Sénat veille d’abord à la pérennité de ces progrès lorsqu’il craint de les voir, même partiellement, remis en cause. Les débats d’hier sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – LOPPSI –, et ceux de demain sur le Défenseur des droits en portent et en porteront témoignage.
Toutefois, la loi pénitentiaire, sans doute parce qu’elle fut exclusivement initiée par le ministère de la justice, sans partenariat réel avec celui en charge de la santé, n’a pu appréhender l’un des problèmes essentiels auxquels la prison d’aujourd’hui se trouve confrontée, la présence nombreuse de malades mentaux lourds dans nos établissements pénitentiaires. Non seulement cette présence est terriblement dérangeante pour les codétenus de ces personnes et pour le personnel de surveillance, mais elle est aussi bien peu compatible avec les valeurs de la République.
Tous ceux qui visitent régulièrement nos prisons – c’est le cas de nombreux membres de la commission des lois –, usant pour ce faire d’un droit qui ne leur est guère reconnu que depuis 2000, vous diront combien ils sont agressés par la prégnance de la maladie mentale, par ces regards vides ou ces visages hallucinés trop vite croisés au détour d’une coursive, par ces détenus attendant un train fantôme à votre arrivée et s’étonnant de n’avoir pu s’en aller avec lui lors de votre départ.
Comment s’étonner, dans ces conditions, que surviennent des drames majeurs, comme ceux qu’a connus la prison de Rouen, où, en l’espace d’une année, deux détenus furent tués par leurs codétenus, l’un d’eux dans des conditions particulièrement atroces, son meurtrier lui dévorant en partie les viscères ? Si, comme le pensait Albert Camus, une civilisation se juge au sort qu’elle réserve aux personnes détenues, nul doute qu’il nous reste beaucoup à faire.
Quant au nombre de suicides que l’on déplore chaque année dans nos prisons, la seule explication que l’on puisse donner au fait qu’il dépasse largement celui qu’enregistrent des pays comparables au nôtre tient encore à ce fléau de la maladie mentale, dont on sait bien que ceux qui en souffrent sont davantage exposés à la tentation suicidaire.
Sans doute vous souvenez-vous, mes chers collègues, que le Sénat a souhaité insérer dans la loi pénitentiaire, en guise de préambule permettant d’éclairer les autres réformes, la disposition suivante, qui porte sur le sens de la peine : « Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions. » Néanmoins, quel sens la peine peut-elle bien revêtir pour ceux qui ne se rendent même pas compte de la nature de l’établissement où ils sont enfermés, pour ceux que terrorisent les voix qui les hantent et les dominent, ou encore pour ceux dont la totale abolition du discernement n’a pas été reconnue, dans la mesure où la prison est apparue aux cours d’assises comme le seul lieu susceptible de protéger durablement la société contre leur folie ?
C’est parce que l’on ne peut se satisfaire d’une pareille situation que les commissions des lois et des affaires sociales ont missionné un groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, composé des trois signataires de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, ainsi que de notre collègue Jean-Pierre Michel, qui n’a pas cosigné cette proposition de loi pour pouvoir en être le rapporteur.
Dans son rapport d’information intitulé « Prisons et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? », ce groupe de travail aborde nombre d’aspects qui ne seront pas examinés aujourd’hui, les auteurs de la proposition de loi s’étant bornés à reprendre les seules mesures de nature législative ayant fait l’objet d’un accord unanime.
Les réformes suggérées partent d’un constat accablant. À la lumière de l’expérience des responsables des services médico-psychologiques régionaux, les SMPR, et de l’étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, conduite en 2003 et 2004, 35 à 42 % d’entre elles souffriraient de troubles mentaux, et la proportion de celles qui seraient atteintes des pathologies les plus graves – schizophrénie ou autres formes de psychose –, et pour lesquelles la peine ne revêt guère de sens, atteindrait 10 %, soit plus de 6 000 personnes.
Cette situation ne répond ni aux exigences de l’éthique médicale – la prison, malgré les progrès réalisés, ne sera jamais un lieu de soins adapté –, ni aux exigences de la sécurité – quel que soit le quantum de peine, il ne correspond en aucune manière à l’évolution d’une pathologie –, ni à nos valeurs démocratiques, lorsque l’on voit que des personnes dont le discernement s’avère considérablement altéré sont plus sévèrement punies que celles qui ont pleine conscience de la portée de leurs actes.
Cette dérive du système français s’explique largement par la diminution drastique de la capacité d’hospitalisation en psychiatrie générale, par le souci thérapeutique d’un certain nombre de psychiatres de responsabiliser les malades en retenant plutôt l’altération que l’abolition du discernement, enfin, par l’absence d’alternative proposée aux tribunaux correctionnels et, surtout, aux cours d’assises.
C’est pourquoi, sans remettre en cause la distinction entre abolition et altération du discernement, telle qu’elle a été insérée dans l’article 122-1 du nouveau code pénal, cette proposition de loi entend préciser les dispositions du deuxième alinéa de cet article, pour en revenir à l’intention initiale du législateur.
Selon les termes de cet article, « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime ». Les travaux préparatoires, notamment le rapport établi pour le Sénat par M. Marcel Rudloff, tout comme l’insertion de ces dispositions dans un chapitre du code pénal consacré aux causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité, ne laissent subsister aucune ambiguïté sur la volonté du législateur.
Pourtant, l’altération du discernement mène le plus souvent, et presque toujours devant les cours d’assises, à une aggravation de la peine. Comme le relève Jean-Pierre Michel dans son rapport, citant lui-même un document rédigé en 2005 par la commission santé-justice présidée par Jean-François Burgelin, ancien procureur général près la Cour de cassation, « ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que les individus dont le discernement a été diminué puissent être plus sévèrement sanctionnés que ceux dont on considère qu’ils étaient pleinement conscients de la portée de leurs actes ».
La proposition de loi prévoit donc une réduction du tiers de la peine encourue dans l’hypothèse d’une altération du discernement au moment des faits. Il appartiendra, en outre, en tout état de cause, à la juridiction de fixer, dans la limite du plafond ainsi déterminé, la durée la plus appropriée, en tenant compte du fait que plus la personne est souffrante, plus sa situation justifie une prise en charge sanitaire de préférence à une incarcération.
Recherchant un meilleur équilibre entre réponse pénale et prise en charge sanitaire, la proposition de loi vise à renforcer parallèlement les garanties concernant l’obligation de soins pendant et après la détention. Le texte initial prévoyait que, si un sursis avec mise à l’épreuve était prononcé, il devait nécessairement comporter une obligation de soins. M. le rapporteur a amélioré cette rédaction, en lui retirant son caractère trop systématique, et en prévoyant à la fois un avis médical préalable et la possibilité d’une décision contraire du juge.
L’article 2 de la proposition de loi tend à autoriser le juge de l’application des peines à retirer les réductions de peines en cas de refus de soins de la part d’une personne incarcérée dont le discernement était altéré au moment des faits. Ce mécanisme, conformément aux principes actuels, met en place un retrait facultatif, s’agissant du crédit de réduction de peine dit « automatique », et un retrait de principe, sauf décision contraire du juge, s’agissant de la réduction supplémentaire de peine. Là encore, ce dispositif a été amélioré par M. le rapporteur.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi vise à permettre d’appliquer aux personnes dont le discernement était altéré les mesures de sûreté introduites par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, destinées pour l’heure aux seules personnes reconnues irresponsables. Comme l’écrit M. le rapporteur, « si des personnes jugées pénalement irresponsables ont été considérées par le législateur en mesure de respecter des mesures de sûreté – et d’encourir une sanction pénale en cas de manquement –, tel devrait, a fortiori, être le cas pour des personnes reconnues responsables dont le discernement était seulement altéré au moment des faits ». Il appartiendrait au juge de l’application des peines d’ordonner de telles mesures, qui seraient complétées par l’obligation de soins. Cet article illustre une fois encore la volonté de concilier la réduction de la peine encourue par les personnes atteintes de troubles mentaux et la nécessaire sécurité due à la société.
Cette proposition de loi ne pouvait évidemment pas reprendre les nombreuses suggestions du groupe de travail qui n’entrent pas dans le domaine législatif, comme le fait de prévoir l’affectation systématique des personnes dont le discernement est altéré dans les établissements pénitentiaires dotés d’un SMPR, de créer une spécialisation de niveau master en psychiatrie pour les infirmiers, de développer les formations communes aux professionnels de la justice et de la santé appelés à intervenir auprès des auteurs d’infractions atteints de troubles mentaux, ou encore d’améliorer les conditions de l’expertise. Sur ces points, je vous renvoie, mes chers collègues, au rapport d’information.
Je tiens néanmoins à évoquer, avant de conclure, un certain nombre de réflexions et d’interrogations, sans doute moins consensuelles, mais que je pense largement partagées par les deux corapporteurs du groupe de travail de la commission des lois, Jean-Pierre Michel et moi-même.
Les unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, instituées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002, posent ainsi un certain nombre de questions. Ces structures seront implantées dans des établissements de santé, et sécurisées par l’administration pénitentiaire, afin d’assurer l’hospitalisation, avec ou sans consentement, des personnes détenues atteintes de troubles mentaux. La première unité de ce genre vient d’être construite à Lyon.
Ces structures marquent bien sûr un progrès dans la prise en charge médicale des personnes détenues, mais ne risquent-elles pas, dans le même temps, d’encourager à condamner et à incarcérer un nombre croissant de personnes atteintes de troubles mentaux, en toute bonne conscience de surcroît, puisque des structures psychiatriques existeront – enfin ! –, mais qu’elles seront réservées aux personnes condamnées ?
Le dispositif français nous apparaît souvent excessivement manichéen : soit la personne est reconnue irresponsable, et son suivi relève exclusivement du médecin, soit la personne est condamnée, et elle relève alors du juge.
De même, les barrières qui séparent les malades mentaux selon qu’ils ont commis une infraction ou non, et selon qu’ils ont été reconnus irresponsables ou responsables pénalement, ne sont-elles pas bien aléatoires ?
Alors que les unités pour malades difficiles, les UMD, pour lesquelles les listes d’attente sont considérables, accueillent indifféremment toutes les catégories de malades mentaux, ne pourrait-il pas en être de même pour les UHSA, à tout le moins pour ce qui concerne les personnes ayant commis de graves infractions ?
Sinon, n’en arrive-t-on pas à priver de soins ceux qui, souvent par chance, n’ont pas encore commis l’irréparable ? Combien de courriers recevons-nous, mes chers collègues, de parents désespérés nous racontant la tragédie vécue par l’un de leurs enfants ? Alors qu’ils avaient, en vain, alerté plusieurs autorités sur sa dangerosité, personne ne les a écoutés, et le drame mille fois annoncé a fini par se produire.
Enfin, alors que l’avenir de la prison de Château-Thierry a parfois semblé menacé, permettez-moi de rendre un hommage admiratif au personnel pénitentiaire qui y travaille et qui s’est peu à peu spécialisé dans la prise en charge d’une population pénale comptant 85 % de détenus psychotiques. À force d’écoute, de patience et de respect, avec des gestes simples comme celui de la main tendue, des résultats remarquables sont obtenus dans la stabilisation et le suivi des personnes détenues en souffrance. Nous sommes nombreux à penser que ce type d’établissement mériterait non seulement d’être préservé, mais aussi de faire école, car ni les UMD ni les UHSA, dont le prix de journée est sans commune mesure, ne suffiront à faire face à la dimension du problème posé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’histoire de ce texte est liée au rapport qui avait été présenté par quatre membres de notre assemblée. Je ne m’attarderai toutefois pas sur ce point, que Jean-René Lecerf, l’un des auteurs de la proposition de loi, vient à l’instant d’évoquer dans son intervention.
Cette proposition de loi part d’un constat accablant : 10 % des détenus environ souffriraient de troubles psychiatriques très graves, et peuvent donc être véritablement considérés comme des malades mentaux, ce chiffre n’incluant pas les personnes souffrant de troubles du comportement, de troubles dus à des addictions ou de troubles dus à l’enfermement pénitentiaire lui-même.
Le code de procédure pénale prévoit pourtant une expertise, obligatoire en matière criminelle, facultative en matière correctionnelle. Les personnes déclarées pénalement irresponsables sont envoyées en hôpital psychiatrique sous le régime de l’hospitalisation d’office, et celles dont la responsabilité est simplement altérée encourent une sanction pénale dont la juridiction fixe la durée et les modalités d’application. Toutefois, les psychiatres préfèrent souvent ne pas conclure à l’irresponsabilité totale, et l’on constate en effet que les rapports d’expertise qui vont dans ce sens tendent à se raréfier.
Quant aux jurys d’assises, lorsqu’ils sont confrontés à un délinquant dont la responsabilité peut être altérée en raison de troubles mentaux, ils ont tendance, par mesure de sécurité – on peut les comprendre ! –, à le condamner plus lourdement encore.
Pour remédier à ces difficultés, la proposition de loi qui vous est soumise prévoit que l’atténuation de la responsabilité résultant du rapport de l’expert constitue un facteur d’allègement du quantum de la peine encourue. En contrepartie, elle renforce toute une série d’obligations de soins pendant et après la détention de la personne concernée.
Le principe de l’atténuation de la responsabilité a été initialement posé par un arrêt de la Cour de cassation de 1885 puis, en 1905, par la fameuse circulaire Chaumié, du nom du garde des sceaux de l’époque. L’évolution de la psychiatrie a par la suite montré qu’il existait des gradations dans la maladie mentale et dans la conscience de la personne malade. C’est ainsi qu’est née l’alternative de l’article 122-1 du code pénal, qui distingue l’irresponsabilité totale et l’atténuation de responsabilité.
Cette distinction aurait dû limiter le nombre de malades mentaux graves en prison. Or, il n’en est rien, avec toutes les conséquences désastreuses qui en résultent pour le délinquant malade, pour l’établissement pénitentiaire, mais aussi, nous y reviendrons, pour la société.
L’altération du discernement devrait entraîner une diminution de la durée de la peine. Le rapporteur pour le Sénat de la loi portant réforme des dispositions générales du code pénal, Marcel Rudloff, avait conclu en ce sens. Les travaux préparatoires de ce texte attestent de cette volonté du législateur, également relevée par Jean-François Burgelin dans son rapport de 2005. Enfin, le Conseil constitutionnel a rappelé ce principe à propos de la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, en indiquant que la juridiction peut toujours, sur le fondement de l’article 122-1 du code pénal, prononcer une peine inférieure aux peines prévues.
Dès lors, la prise en compte de l’altération du discernement comme cause de réduction de la peine ne constituerait nullement un précédent dans notre droit. Un tel système est d'ailleurs appliqué dans d’autres pays, notamment en Espagne et en Italie.
La proposition de loi prévoit que la peine encourue est réduite d’un tiers dans le cas où le discernement est altéré : une peine de trente ans serait ainsi ramenée à vingt ans. On peut certes discuter de l’ampleur de cette réduction – nos collègues du groupe CRC-SPG déposeront d'ailleurs un amendement sur ce point –, mais ce choix, opéré dans un souci d’équilibre, est le fruit d’un compromis acceptable par le plus grand nombre d’entre nous.
Je remarque que cette méthode, propre au Sénat, et particulièrement à la commission des lois, grâce à son président Jean-Jacques Hyest, permet de faire évoluer notre législation dans le bon sens. À l’avenir, d’autres propositions de loi, émanant de divers groupes politiques, feront également l’objet de compromis porteurs d’avancées.
Dans la limite de ce plafond abaissé d’un tiers, le juge peut décider de la durée de la peine la plus appropriée, en fonction des circonstances de l’infraction, de la personnalité du délinquant et, éventuellement, de son casier judiciaire. Le principe d’individualisation de la peine est donc pleinement respecté, je le dis solennellement. Le juge reste totalement libre, bien qu’il soit, comme toujours, contraint par un plafond : lorsqu’il juge un escroc qui encourt cinq ans d’emprisonnement, il ne peut pas le condamner à six ou sept ans d’emprisonnement !
Le code pénal contient d’ailleurs d’autres causes légales de diminution du quantum de la peine : c’est le cas pour les mineurs âgés de plus de treize ans, qui se voient appliquer une réduction de 50 %, mais aussi lorsque l’auteur ou le complice d’une infraction de terrorisme, de trafic de stupéfiants ou de fausse monnaie livre des informations qui permettent de pousser plus loin les investigations et de trouver d’autres auteurs de ces infractions particulièrement graves.
Voilà pour les dispositions figurant dans la première partie de la proposition de loi.
Dans la deuxième partie du texte, et par souci d’équilibre, les auteurs de la proposition de loi ont prévu que les personnes dont le discernement est altéré par une maladie mentale, et qui seraient condamnées moins lourdement qu’aujourd’hui, se voient imposer diverses obligations de soins – ce qui, il faut bien le dire, n’est pas le cas à l’heure actuelle.
Ainsi, si un sursis avec mise à l’épreuve est prononcé, avec ou sans peine ferme, il devra comporter une obligation de soins, laquelle ne sera toutefois pas automatique, le juge ayant la possibilité de passer outre, après avis médical. Notons que le suivi socio-judiciaire peut déjà être prononcé par le juge pour un très grand nombre d’infractions.
Par ailleurs, l’article 2 de la proposition de loi vise à permettre au juge de l’application des peines de retirer les réductions de peine pendant la détention en cas de refus de soins de la part d’une personne incarcérée dont le discernement était altéré au moment des faits. Cette décision serait également prise après avis médical.
Les psychiatres que nous avons entendus, s’ils étaient d’accord avec la proposition de loi, se sont montrés plus réticents sur ce dernier point, jugeant que l’on ne pouvait pas contraindre à une obligation de soins des personnes détenues, et que le fait de les inciter à se soigner était déjà, en soi, une thérapie.
Mes chers collègues, nous devons être conscients des contradictions de la pratique actuelle.
Une personne qui commet une infraction grave, par exemple un assassinat, et qui est déclarée pénalement irresponsable, sera hospitalisée d’office dans un hôpital psychiatrique. On ne lui demandera pas son avis et, pour son bien, on la soignera, y compris par les méthodes les plus dures, en la plaçant, par exemple, en chambre de contention ou d’isolement, ainsi que nous avons pu le constater dans les UMD que nous avons visitées.
En revanche, une personne qui commettrait la même infraction, mais dont le discernement serait simplement altéré au moment des faits, se retrouverait en prison, même si le quantum de peine venait à être atténué par ce texte. Elle serait, certes, vraisemblablement incarcérée dans un établissement doté d’un SMPR, voire, par périodes, placée en UMD, mais ne serait nullement soumise à une obligation de soins. Or les psychiatres ont eux-mêmes souligné que leurs rapports n’étaient pas des objets scientifiques incontestables et qu’ils pouvaient varier d’une personne à l’autre.
On nous dit bien que, dans un tel cas, les détenus seront incités à se soigner, l’infirmerie offrant un meilleur régime que la simple détention. Il n’en reste pas moins qu’une telle différence de traitement me paraît tout simplement impensable, mes chers collègues !
C’est la raison pour laquelle nous avons prévu que, dans ce cas-là, le juge de l’application des peines puisse faire jouer une série de mesures qui, nous l’espérons, conduiront les personnes en détention à suivre les soins que nécessite leur état de santé mentale.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi vise à permettre l’application des mesures de sûreté prévues à l’article 706-136 du code de procédure pénale aux personnes dont le discernement est altéré à l’issue de leur détention. La décision du juge serait soumise à un avis médical ; il n’y aurait donc aucune automaticité, conformément aux remarques formulées par les représentants de la Chancellerie lors de leur audition.
En conclusion, je le répète, ce texte permet d’établir un meilleur équilibre entre la réponse pénale et la prise en charge sanitaire. Le dispositif a été approuvé à l’unanimité par la commission des lois, certains commissaires n’ayant pas pris part au vote.
Cette proposition de loi, que je vous propose d’adopter, mes chers collègues, est conforme au principe de proportionnalité, en ce qu’elle permet d’assurer à la fois la réduction de la peine encourue par les personnes atteintes de troubles mentaux et la nécessaire sécurité due à la société.
Elle ne vise nullement, comme je l’ai lu à tort dans des journaux qui pratiquent la désinformation, à prendre le contre-pied de la politique sécuritaire du Gouvernement. Un tel raisonnement n’a, en l’espèce, aucun sens.
Elle permet simplement de prendre en compte le malade mental délinquant, de le soigner mieux qu’il ne l’est aujourd’hui, mais aussi de l’y obliger, afin d’éviter la récidive et de protéger la société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi vise à modifier le code pénal ainsi que le code de procédure pénale afin d’atténuer la responsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits. Ce texte résulte du travail approfondi mené par les sénateurs Jean-René Lecerf, Gilbert Barbier et Christiane Demontès dans le cadre du groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, dont le rapport d’information est intitulé « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? »
Depuis plusieurs années, notre droit pénal a considérablement évolué pour mieux prévenir la lutte contre la récidive et prévoir des obligations de soin pour les personnes présentant des troubles psychiatriques et ayant commis des crimes ou des délits. Je pense notamment au suivi socio-judiciaire prévu par la loi du 17 juin 1998, à la surveillance judiciaire instituée par loi du 12 décembre 2005 et à la surveillance de sûreté issue de la loi du 25 février 2008.
Plus globalement, le Gouvernement, en particulier le ministère de la justice, s’est fortement intéressé à la question de la délinquance et du trouble mental puisque plusieurs lois adoptées au cours de la présente législature prennent en compte ce phénomène. Je citerai, à cet égard, les deux lois les plus récentes : celle du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, que je viens de mentionner, ainsi que celle du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale. De son côté, la loi pénitentiaire n’avait pas pour objet de traiter du trouble mental en détention, mais ce texte important a toutefois permis de consacrer les droits des détenus et les devoirs de l’administration pénitentiaire.
L’article 1er de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à inscrire à l’article 122-1 du code pénal une réduction automatique de peine, à hauteur d’un tiers de la peine encourue, pour les personnes dont le discernement était altéré au moment des faits.
Ce dispositif, qui diffère de la problématique de l’irresponsabilité pénale, vise à prendre en compte la situation particulière de l’altération du discernement. Actuellement, l’équilibre du dispositif laisse à l’appréciation du juge la détermination du quantum de la peine.
La prise en compte de la situation particulière d’altération du discernement est inscrite de longue date dans notre droit. Le principe fondamental d’individualisation de la peine est essentiel afin d’adapter la peine à la situation particulière du délinquant.
Le dispositif actuel est équilibré en ce qu’il permet de différencier, par exemple, le kleptomane, qui souffre d’un trouble de la volonté et bénéficie le plus souvent d’une diminution de peine en application de l’article 122-1, alinéa 2, du code pénal, et le pyromane, qui souffre également d’un trouble de la volonté et relève donc lui aussi de cette même disposition, mais qui, compte tenu de sa dangerosité, sera en général sanctionné plus sévèrement.
Toutes les lois récemment adoptées témoignent de ce que le législateur entend faire preuve d’une plus grande sévérité à l’encontre des personnes atteintes de troubles mentaux, tout en favorisant la prise en charge médicale de ces derniers.
Cette proposition de loi, en remplaçant l’appréciation souveraine des juridictions par la réduction du tiers de la peine encourue, remet donc en cause l’équilibre de l’article 122-1 du code pénal et va à l’encontre de l’œuvre du législateur depuis l’adoption dudit code.
Elle semble également aller à l’encontre de l’appréciation du Conseil constitutionnel, qui, dans une décision du 9 août 2007 sur les peines planchers, rappelait que « le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de la Déclaration de 1789, ne saurait faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions ; qu’il n’implique pas davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l’auteur de l’infraction ». Les Sages en concluaient que les dispositions de l’article 122-1 du code pénal, « même lorsque les faits ont été commis une nouvelle fois en état de récidive légale, […] permettent à la juridiction de prononcer, si elle l’estime nécessaire, une peine autre que l’emprisonnement ou une peine inférieure à la peine minimale ».
Par conséquent, il est tout à fait manifeste que, pour le Conseil constitutionnel, l’atténuation de la responsabilité n’a pas pour conséquence d’entraîner obligatoirement une diminution de peine, par nature contraire au principe d’individualisation de la peine. Prévoir une réduction automatique conduirait à rigidifier le dispositif, alors que de telles situations requièrent une analyse au cas par cas.
Aux termes de la présente proposition de loi, les criminels les plus dangereux, et ceux qui ont commis les faits les plus atroces, ne pourront plus être condamnés à la peine maximale encourue si l’on considère, ce qui est souvent le cas, qu’ils ne sont pas totalement indemnes d’une pathologie mentale. En effet, dès lors que la loi affirmera que l’altération du discernement a pour conséquence une diminution de peine, la question du trouble mental de l’accusé deviendra ainsi un enjeu primordial de défense.
Par exemple, dans l’affaire du meurtre du petit Valentin Cremault, tué dans le département de l’Ain au mois de juillet 2008 par Stéphane Moitoiret, une réduction de peine d’un tiers serait certainement prononcée en raison de l’altération du discernement de l’individu.
L’opinion publique acceptera donc difficilement une telle réforme.
Prenons garde aux solutions qui remettent en cause la philosophie profonde de notre droit pénal en automatisant les sanctions.
Dans son article 2, la proposition de loi envisage de modifier également le régime de la peine pour les personnes atteintes au moment des faits d’une altération du discernement. Le texte prévoit un régime plus systématique et plus strict d’obligation de soins, afin d’assurer un traitement adapté aux auteurs d’infractions souffrant de troubles mentaux. C’est pourquoi il impose au juge d’assortir systématiquement le sursis avec mise à l’épreuve d’une obligation de soins et prévoit le retrait des réductions de peine en cas de refus de soins.
Une telle préoccupation retient toute l’attention du Gouvernement, car il est bien évident que la persistance des troubles et l’absence de prise en charge médicale adaptée constituent autant de risques de récidive. Elles sont aussi un frein à la réinsertion.
Mais il faut veiller à définir des solutions réellement efficaces et proportionnées et, à cet égard, le caractère systématique du dispositif paraît inadapté.
Certes, la commission des lois, consciente de la nécessité pour le juge d’adapter le régime de la peine et de prendre en compte l’infinie variété des situations individuelles, a souhaité qu’une telle mesure soit tempérée. Mais, dans certains cas, l’obligation de soins ne sera d’aucune utilité.
C’est pourquoi la commission des lois prévoit l’avis préalable d’un médecin, qui permettra éventuellement au juge de ne pas assortir le sursis avec mise à l’épreuve d’une obligation de soins lorsque cette dernière s’avère inutile.
Cependant, même ainsi amendée, cette disposition pose d’autres difficultés juridiques et pratiques.
Tout d’abord, la proposition de loi ne prend pas en compte les évolutions législatives essentielles de ces dernières années, comme le régime de suivi socio-judiciaire avec injonction de soins ou la rétention de sûreté.
Par ailleurs, le texte proposé inclut également dans le dispositif l’injonction thérapeutique, qui concerne des situations très particulières, telles que l’usage de stupéfiants ou la consommation habituelle et excessive d’alcool. Il conviendrait donc a minima de limiter la portée de la disposition en ne se référant qu’à l’obligation de soins.
Vous proposez que le juge de l’application des peines puisse revenir sur les réductions de peine prévues lorsque la personne détenue refuse les soins. À première vue, cette solution paraît efficace pour s’assurer d’un traitement réel des condamnés.
Toutefois, on ne peut pas mettre sur un même plan le traitement, dans le cadre de la peine, du trouble mental directement lié à l’origine de l’incarcération et le traitement en détention des troubles mentaux des délinquants ; imaginons par exemple le cas d’un kleptomane qui serait incarcéré pour viol.
Il est exact que certaines pathologies, parce qu’elles ont entraîné des faits graves, doivent être traitées dans le cadre de la peine. Ainsi, les juridictions peuvent assortir le suivi socio-judiciaire d’une injonction de soins.
Il faut cependant préciser plusieurs éléments.
D’abord, l’injonction de soins ne peut être prononcée que s’il est établi par une expertise médicale que la personne poursuivie est susceptible de faire l’objet d’un traitement.
Ensuite, cette injonction n’est pas applicable en tant que telle en détention, car il serait inefficace et contraire à la déontologie médicale d’imposer, sous peine de sanctions, des soins à une personne déjà privée de liberté.
Enfin, l’individu ne fait l’objet que d’incitations à suivre ces soins dans des établissements adaptés, son refus étant considéré comme le signe qu’il ne manifeste pas des efforts sérieux de réadaptation sociale ouvrant droit aux réductions de peine supplémentaires.
Le mécanisme proposé est donc plus sévère que celui résultant du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, alors même que cette peine est prévue pour les infractions les plus graves.
Tout autre est la question du traitement en détention des troubles mentaux des personnes incarcérées. Celles-ci ont droit à des soins dans tous les types d’établissement et ne peuvent pas être contraintes, en dehors de l’hypothèse d’une décision d’hospitalisation d’office prise en cours d’exécution de la peine, à suivre ces soins, sous peine de sanctions.
Les dispositions relatives aux sorties de détention qui figurent dans l’article 3 de la proposition de loi nous paraissent également conduire à une confusion entre irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et atténuation de responsabilité pour cause de trouble mental.
En effet, il est proposé de régler la question de la sortie de détention des délinquants au discernement altéré dans la partie relative aux mesures de sûreté pouvant être ordonnées en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Ces propositions opèrent une judiciarisation des soins des troubles mentaux. Le juge de l’application des peines, hors le cadre d’une peine ou d’une mesure de sûreté prononcée par une juridiction de jugement, pourra imposer des soins et diverses obligations, sous la contrainte.
Cela va à l’encontre, d’une part, des dispositions de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation et, d’autre part, des exigences constitutionnelles en la matière, telles qu’elles ont été rappelées dans une décision du 26 novembre 2010 par le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité.
En outre, la seule possibilité de recours contre pareille décision relève du juge des libertés et de la détention, qui est compétent pour statuer sur les demandes de mainlevée des hospitalisations d’office à la demande d’un tiers ou sur celles qui sont ordonnées par le préfet.
Dans le cadre de cette peine, des interdictions similaires à celles qui figurent à l’article 706-136 du code de procédure pénale peuvent donc être prononcées – elles peuvent également l’être dans le cadre des aménagements de peine ou d’une libération conditionnelle – sans qu’il soit aucunement nécessaire d’étendre les dispositions de cet article aux personnes dont le discernement est altéré.
Vous l’aurez compris, le Gouvernement est donc défavorable à l’ensemble des dispositions de cette proposition de loi, que je ne peux que vous inviter à rejeter en l’état, mesdames, messieurs les sénateurs. En outre, les amendements déposés sur ce texte ne me paraissent pas de nature à modifier la position que je viens de vous exposer.
11
Souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence parmi nous de notre nouvelle collègue Mme Roselle Cros, sénatrice des Yvelines, un département cher à mon cœur. Nous lui souhaitons la bienvenue. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Grâce à elle, le Sénat peut se targuer de compter en son sein quatre-vingts femmes et d’accentuer encore le record précédemment détenu par notre assemblée du plus grand nombre de femmes dans une assemblée nationale française depuis les origines de la République.
Mme Christiane Demontès. Seulement dans une assemblée « française » !
M. le président. Je sais qu’il reste encore du chemin à parcourir, ma chère collègue !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh oui !
M. le président. Aujourd'hui, un quart des membres du Sénat sont des femmes.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Un quart, c’est peu !
M. le président. Je constate toutefois que notre Haute Assemblée progresse.
12
Responsabilité pénale des personnes atteintes d'un trouble mental
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la secrétaire d'État, votre intervention m’a quelque peu étonnée. Vous n’avez même pas abordé un sujet qui préoccupe, semble-t-il, beaucoup de sénateurs : aujourd'hui, le nombre de détenus atteints de troubles mentaux est non seulement très important, mais en augmentation ! Une telle omission est fort regrettable, notamment de la part d’une secrétaire d’État chargée de la santé !
Selon M. le rapporteur, le taux de détenus atteints de troubles graves serait de 10 %, une proportion que certains jugent sous-évaluée. Ainsi, dans une enquête réalisée en 2005, le docteur Betty Brahmy, responsable du service médico-psychologique régional de Fleury-Mérogis, avançait les chiffres de 20 % chez les hommes et de 30 % chez les femmes !
L’autre constat est que le nombre de personnes atteintes de troubles mentaux et incarcérées, jadis constant, ne cesse de croître année après année. C’est évidemment lié à l’augmentation du nombre de détenus, aux évolutions législatives intervenues depuis des années et à la politique pénale menée au cours des dix dernières années. À en croire ce qui vient d’être indiqué, celle-ci n’a eu de cesse de promouvoir l’individualisation des peines. En réalité, elle a surtout eu pour conséquence d’aggraver la situation dans les prisons.
De mon point de vue, et une large part des membres de mon groupe partage mon analyse, une telle situation est principalement liée à la mauvaise application de l’article 122-1 du code pénal, qui opère une distinction entre les personnes dont le discernement a été « aboli » – elles sont déclarées irresponsables – et celles dont le discernement a seulement été « altéré ». Nous le savons, ce phénomène s’explique plus par une volonté d’affichage politique vis-à-vis de l’opinion que par un souci de répondre à des problèmes réels.
Aujourd'hui, on constate un double mouvement. L’altération est devenue la règle, et l’abolition l’exception. De plus en plus de malades atteints de pathologies psychiatriques importantes sont renvoyés devant les tribunaux.
Comme l’ont indiqué les sénateurs qui m’ont précédée, la notion d’« altération », qui devait initialement jouer en faveur d’un allégement et d’un aménagement de la peine, donc d’une individualisation, est progressivement devenue un facteur d’aggravation ! Car, nous dit-on, que faire de l’individu si on ne le met pas en prison le plus longtemps possible ?
Nous voilà donc bien loin de l’esprit de la réforme adoptée en 1990. En théorie, il s’agissait de permettre à une personne atteinte d’un trouble passager au moment de la réalisation d’un crime ou d’un délit de disposer d’un procès, afin de lui permettre de prendre conscience de son acte, mais également de l’aider à trouver la voie de la guérison, ce qui ne saurait être le cas si elle est incarcérée pour de longues années !
Autre facteur notable d’aggravation, les évolutions législatives intervenues sur l’initiative de votre famille politique, madame la secrétaire d’État ! Elles se caractérisent par une assimilation, qui n’est pas sans risque, entre trois notions très différentes : la maladie mentale, la responsabilité pénale et la dangerosité, voire la « dangerosité présumée » !
Cet amalgame, qui joue, notamment, sur la peur de nos concitoyens permet de faire adopter des lois reposant sur l’émotion et de justifier des mesures très dangereuses pour les libertés publiques ; je pense particulièrement à la rétention de sûreté.
Dans un contexte marqué par une défiance du pouvoir politique à l’égard du pouvoir judiciaire, pouvoir judiciaire que les plus hauts responsables de l’État n’ont de cesse de taxer de laxisme, même si aujourd'hui le discours de la Chancellerie est revu pour faire mine de défendre les magistrats contre les parlementaires, et sont prêts à sanctionner et à livrer à la vindicte populaire, comment s’étonner que les magistrats et les jurés préfèrent opter pour l’altération du discernement, qui envoie en prison, et pour une aggravation de la peine que pour l’abolition du discernement ?
De la même manière, la rétention de sûreté, qui n’est rien d’autre que la possibilité d’enfermer à vie et sans jugement des personnes déjà condamnées, aura immanquablement pour effet de replonger dans le milieu carcéral d’anciens détenus condamnés par le passé, y compris en raison de l’application contestée de l’article 122-1 du code pénal.
Enfin, comment ne pas souligner que la procédure de comparution immédiate joue en la défaveur des personnes souffrant de troubles mentaux ? Sa rapidité, le peu de temps laissé aux avocats de la défense pour constituer leurs dossiers et établir un véritable dialogue avec leur client, la nature de la procédure qui n’est pas propice à l’expression des souffrances psychiques ainsi que le caractère non suspensif des demandes d’expertises psychologiques, tout conduit à faire entrer au fur et à mesure l’ensemble de ces pathologies dans les prisons de notre pays. Même s’il est vrai que dans l’immense majorité des cas les peines prononcées en comparution immédiate sont de courte durée, il n’en demeure pas moins que des personnes dont l’état psychique aurait nécessité une prise en charge médicale sans délai, laquelle aurait peut-être permis une réinsertion rapide, se retrouvent en milieu carcéral.
Enfin, comment ne pas souligner que la situation carcérale actuelle est elle-même un élément pathogène ? La surpopulation carcérale accroit le nombre des personnes qui, peu à peu, se mettent à présenter des troubles mentaux, ce qui augmente les difficultés des personnels et des détenus. C’est un problème sur lequel nous devons nous interroger même si le débat est difficile, comme nous avons pu le constater lors de l’examen de la loi pénitentiaire.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui a le mérite de poser le problème de l’application de l’article 122-1 du code pénal et de prendre en compte l’atténuation du discernement.
Toutefois, l’article 2 de ce texte renvoie à l’application de dispositifs de droit commun et s’inscrit dans une démarche d’enfermement carcéral puisque, en l’état actuel, les dispositifs de soins psychiatriques sont insuffisants ou inadéquats pendant et après l’incarcération. Cette proposition de loi n’est donc pas de nature à corriger le manque de cohérence de la politique pénale, carcérale et psychiatrique actuelle.
Le discours que vous venez de prononcer, madame la secrétaire d'État, souligne l’incohérence et les contradictions de votre politique. Il est proposé de renvoyer en prison des personnes dont l’altération de responsabilité a été reconnue pour non-observation d’injonctions sociales ou médicales, tout particulièrement médicales avec l’obligation de soin, alors qu’il leur est difficile, leur jugement étant altéré, de bien comprendre, d’une part, le sens de la peine, ce qui renvoie à l’atténuation au lieu de l’abolition, et, d’autre part, la nécessité de se soigner. L’efficacité des soins est donc douteuse. Nous sommes en plein dans la contraction.
J’ai déposé un amendement qui ne sera pas examiné aujourd'hui, car il a été déclaré irrecevable par la commission des finances. Cet amendement visait à substituer aux peines de prison infligées en cas de non-respect de l’obligation de soin un accueil au sein d’établissement adapté à la pathologie. On peut objecter à cet amendement que ces établissements n’existent pas et qu’il faut les créer. Néanmoins, je viens d’apprendre que la commission des finances a approuvé sur la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir un amendement, je le dis d’autant plus volontiers que je n’en suis pas signataire, aux termes duquel « toute personne, dont l’état le requiert et qui le demande, a un droit universel d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Chaque département français est pourvu d’unités de soins palliatifs en proportion du nombre de ses habitants. » En quoi mon amendement serait-il irrecevable si celui de M. Maurey est retenu ? Je demande donc que mon amendement soit examiné par notre assemblée !
En tout état de cause, cette proposition de loi constitue au moins une réponse pour celles et ceux qui, atteints de troubles mentaux temporaires au moment de la commission des faits, subissent une incarcération en lieu et place d’un suivi médico-social qui serait plus pertinent. J’ai beaucoup réfléchi. La logique voudrait que je m’abstienne de voter ce texte, mais il présente le mérite de poser le problème et de reconnaître que l’on ne peut continuer à envoyer des personnes malades en prison pour des périodes indéfinies. Je voterai donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui est issue, comme M. le rapporteur l’a rappelé, des travaux de réflexion du groupe de travail mené par la commission des lois et la commission des affaires sociales sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, question qui n’a, à ce jour, pas encore reçu de réponse satisfaisante dans notre pays.
Comme l’ont très clairement exprimé les rapporteurs du groupe de travail, Mme Demontès, MM. Lecerf et Barbier, « l’altération du discernement conduit le plus souvent à une aggravation de la peine prononcée ». C’est un constat, à mon sens, terrible étant donné les dispositifs de procédure existant déjà dans le code pénal et le code de procédure pénale.
En effet, légalement, il faut distinguer l’abolition et l’altération du discernement en raison d’un trouble mental. À première vue, le distinguo peut être délicat ; pourtant, dans le premier cas la personne n’est pas pénalement responsable alors que dans le second cas elle est punissable, la juridiction devant tenir « compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime ». Cette législation participe, dans les faits, comme vous l’avez exposé, de manière significative, à la forte présence de personnes atteintes de troubles mentaux en détention : 25 % des détenus. C’est pourquoi vous nous proposez de corriger ces effets en modifiant le code pénal et le code de procédure pénale.
Il s’agit donc de prendre en compte la circonstance liée à l’altération du discernement dans la détermination de la peine et de son régime. Comme l’a souligné M. Lecerf, la peine à laquelle elles sont condamnées ne revêtirait aucun sens pour un certain nombre de personnes atteintes de troubles mentaux.
Nos collègues du groupe de travail ont montré que le milieu carcéral peut aggraver les pathologies. En outre, la cohabitation des détenus atteints de troubles mentaux avec d’autres qui en sont exempts est source de tensions et de violences.
Ainsi, le quantum de peine prononcé ne correspondrait en aucune manière à l’évolution d’une pathologie et, dans bien des cas, la personne quitterait la prison aussi malade qu’elle y est entrée.
Vous proposez, dans un premier temps, de réduire la peine privative de liberté en cas d’altération du discernement au tiers du quantum, tout en précisant qu’il appartiendra à la juridiction de fixer, dans la limite du plafond ainsi déterminé, le régime de la peine la plus appropriée, celle-ci pouvant être le sursis avec mise à l’épreuve et obligation de soins. C’est pourquoi l’expertise médicale est à notre sens primordiale.
Il n’est pas souhaitable, aujourd’hui, de remettre en cause la distinction entre abolition et altération du discernement, mais il semble important, comme vous nous le proposez, monsieur le rapporteur, de préciser que l’altération du discernement doit constituer une cause légale d’atténuation de responsabilité.
Ne perdons pas de vue, mes chers collègues, la variété des situations individuelles que les juges voudront bien analyser avec leur plus grande bienveillance.
Vous proposez, dans un deuxième temps, d’autoriser le juge de l’application des peines à retirer, en fonction de son appréciation, une partie des réductions de peine lorsque la personne, dont le discernement était altéré au moment des faits, refuse les soins qui lui sont proposés. Comme vous le savez, les détenus ne peuvent recevoir de soins psychiatriques en détention qu’avec leur consentement. Si la prise en charge médicale a pu connaître des aléas au cours des années passées, la volonté d’un traitement individualisé de la part de l’administration pénitentiaire semble, au contraire, avoir été une constante.
L’articulation entre l’atténuation de la peine et l’obligation de soins effective est aujourd’hui fondamentale pour individualiser et ré-humaniser les peines prononcées.
Par ailleurs, vous suggérez de combiner les mesures visant l’obligation de soins pendant la durée allant de la libération au terme de la peine encourue et les mesures de sûreté réservées aux personnes irresponsables. Ainsi, à leur libération, les personnes dont le discernement a été altéré pourront se voir appliquer l’obligation de soins, avec les conséquences qui en résultent.
L’insuffisance de la prise en charge semble se manifester trop souvent au moment de la sortie de prison. C’est pourquoi la pratique consistant à atténuer la peine des personnes présentant un trouble mental partiel peut être contestée si elle n’apporte aucune solution, notamment par rapport au traitement médical dont ont besoin ces individus.
Avant de conclure mon propos, vous me permettrez, à la suite de Jean-René Lecerf, d’évoquer et de défendre la prison de Château-Thierry, située dans mon département et où s’est rendue en 2009 notre commission des lois, établissement particulièrement concerné par l’accueil de personnes atteintes d’un trouble mental. La qualité de la prise en charge des détenus dans cet établissement est à souligner. Nous devons souhaiter le développement d’une telle prise en charge spécifique dans d’autres établissements de notre territoire. Il convient de donner à l’administration pénitentiaire des moyens pour ce faire.
Mes chers collègues, dans sa grande majorité, le groupe UMP votera cette proposition de loi en demandant au Gouvernement quelles mesures il entend prendre pour concilier les facteurs sociaux et médicaux avec les impératifs judiciaires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les textes consensuels dans notre assemblée sont suffisamment rares pour être salués : c’est bien l’un d’eux que nous examinons aujourd’hui.
Cette proposition de loi est, en effet, le fruit d’un travail remarquable du Sénat auquel toutes ses composantes ont participé.
Cela a déjà été rappelé, dès l’examen de la loi pénitentiaire, Nicolas About et Jean-Jacques Hyest avaient souligné la nécessité de mettre en place un groupe de travail sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions. Ce groupe de travail, dont la présente proposition de loi reprend les recommandations, a été animé conjointement par la commission des affaires sociales et la commission des lois. L’occasion m’est ici donnée de saluer l’excellent travail de nos collègues Jean-Pierre Michel, Gilbert Barbier, Christiane Demontès et Jean-René Lecerf.
L’article 122-1 du nouveau code pénal a établi une distinction entre l’abolition du discernement et son altération. Dans le premier cas, la personne ayant commis une infraction est déclarée irresponsable ; dans le second cas, elle est pénalement responsable, donc punissable.
Cependant, si le facteur d’altération du discernement n’emporte pas l’irresponsabilité, il implique, dans l’esprit du législateur, une atténuation de la responsabilité pénale. Or tel n’est pas le cas dans la jurisprudence. C’est même le contraire qui s’observe puisque l’altération du discernement conduit parfois, en particulier aux assises, à une aggravation de la peine prononcée. C’est ce qui ressort des travaux conduits par le groupe de travail sénatorial.
Pour remédier à cet état de fait, la principale disposition de la proposition de loi est d’inscrire explicitement dans la loi que la peine privative de liberté est réduite du tiers en cas d’altération du discernement au moment de l’accomplissement de l’infraction, et ce en contrepartie d’un renforcement des obligations de soins pendant et après l’exécution de la peine.
Je veux, à ce stade, faire un commentaire d’importance : la présente proposition de loi ne doit en aucun cas être interprétée comme l’expression d’une défiance du pouvoir législatif à l’égard de l’autorité judiciaire. Cette défiance, la magistrature la ressent aujourd’hui parfois vivement dans une ambiance que certains textes et projets – mesures sur les peines planchers de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, introduction des jurys populaires en correctionnelle – tendent à entretenir.
Mais ici, rien de tel, car nous avons affaire à un texte équilibré. Il ne réduit pas le pouvoir d’appréciation du juge : une peine encourue de trente ans sera ramenée à vingt ans pour les malades mentaux comme elle l’est à quinze ans pour les mineurs.
Dans la limite de ce plafond, le juge décidera de la durée de la peine la plus appropriée.
Si l’équilibre des pouvoirs n’est donc pas l’enjeu principal de cette proposition de loi, celle-ci en soulève un autre, de non moindre importance.
Le rapport du groupe de travail sur la prise en charge des malades mentaux ayant commis des infractions fait état d’un chiffre plus qu’alarmant, qui a déjà été cité : 10 % des détenus actuels souffrent d’une altération mentale ; et encore, il ne s’agit pas de tous les détenus malades, mais d’une estimation du nombre de ceux qui sont spécifiquement concernés par le texte qui nous occupe, c’est-à-dire les détenus atteints de troubles mentaux tels que, pour eux, la peine n’a aucun sens.
Ce constat revêt une extrême gravité, parce qu’il signifie tout simplement que nous peinons à concrétiser le principe de base sur lequel se fonde tout notre droit pénal, depuis Beccaria jusqu’à Marc Ancel, la summa divisio entre personnes responsables et personnes irresponsables. Pourquoi peinons-nous à le faire ? À l’origine, ce n’est pas une question de droit, mais une question de moyens. Les travaux de la Haute Assemblée l’ont bien montré, les services médico-psychologiques régionaux sont souvent insuffisants et le manque de psychiatres rend difficile la prise en charge des malades mentaux : c’est le problème, que nous connaissons bien, de la démographie médicale, abordé sous l’angle de la justice pénale. La conséquence en est que, faute de pouvoir soigner, on incarcère ! Cette situation n’est pas acceptable ; elle l’est d’autant moins que la justice, elle aussi, manque de moyens. La loi pénitentiaire ne l’a que trop montré !
Nous voici donc dans la configuration de l’aveugle et du paralytique, à la confluence de la justice et de la santé, face à deux administrations qui, faute de moyens opérationnels suffisants, sont contraintes, si vous me permettez cette image, de se « renvoyer la balle ». Pour y remédier on appelle le législateur à la rescousse : hier, avec la loi pénitentiaire ; aujourd’hui, avec la présente proposition de loi ; demain, avec la réforme de l’hospitalisation d’office. Mais, nous le savons bien, l’intervention du législateur a ses limites. En effet, s’il peut toujours légiférer, le législateur ne réglera pas le problème tant que les moyens médicaux manqueront et que le système judiciaire sera tenu de supporter, tant bien que mal et plutôt mal que bien, une charge qui ne devrait pas lui revenir.
C’est sur ce point clef, madame la secrétaire d’État, que le groupe Union centriste tenait à attirer votre attention, avant de s’apprêter à voter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, de l’UMP et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer nos collègues Jean-René Lecerf, Gilbert Barbier et Christiane Demontès, qui ont pris une initiative heureuse en déposant cette proposition de loi, poursuivant le travail de réflexion engagé avec Jean-Pierre Michel sur le problème de la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux.
C’est l’honneur du Parlement de mettre en lumière un dossier difficile, peu médiatique, qui touche quantité de familles françaises. Il est aussi symbolique de noter que les dix-huit lois dont nous avons débattu en matière pénale depuis huit ans ont sciemment jeté un voile sur cette question, à l’exception de la loi du 25 février 2008, qui ne s’est préoccupée, dans ce domaine, que de rendre plus difficile la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de troubles mentaux. Je pourrais ainsi résumer cette attitude : « Cachez en prison ces malades que nous ne voulons pas voir ! »
Le législateur de 1810 avait, à l’article 64 du code pénal, reconnu l’irresponsabilité pénale en cas d’état de démence au moment des faits. Ce système était trop manichéen et plusieurs améliorations successives ont permis de faire évoluer l’application de la sanction : avec l’introduction des circonstances atténuantes en 1824 et 1832 ; avec la jurisprudence de la Cour de cassation posant, en 1885, le principe de l’atténuation des peines en cas d’altération du discernement ; avec la circulaire Chaumié de 1905 étendant ce principe aux personnes reconnues responsables de leurs actes tout en présentant un trouble mental.
La notion de démence ne prenant pas en compte l’ensemble des troubles mentaux modifiant le comportement, le législateur, en 1992, a distingué, à l’article 122-1 du nouveau code pénal, l’irresponsabilité découlant de l’abolition du discernement en raison du trouble mental et l’atténuation de la responsabilité en raison de l’existence d’un trouble mental altérant le discernement ou entravant le contrôle des actes.
Nous savons tous que l’application de cet article 122-1, qui a maintenant vingt ans, a posé de nombreux problèmes. Tout d’abord, on relèvera que l’abolition du discernement a été rarement reconnue, pas davantage que la démence. L’analyse de la jurisprudence, confirmée par les auditions des magistrats et des avocats, permet de constater, selon l’excellent rapport de notre collègue Jean-Pierre Michel, que « l’altération du discernement représente souvent un facteur d’aggravation de la peine », en particulier devant les cours d’assises, en raison des inquiétudes compréhensibles du jury. Celui-ci estime le plus souvent que, si la prison ne permet pas de soigner le condamné, la protection de la société prime et justifie de l’incarcérer le plus longtemps possible. Cette confusion de la dangerosité du délinquant et de la responsabilité pénale n’est pas souhaitable ni sur la forme ni sur le fond.
Il faut avoir vécu des audiences de cour d’assises – en présence, de surcroît, des victimes ou des familles de victimes justement éplorées – pour se rendre compte que, plus l’acte commis est grave, plus la notion de personnalisation de la peine s’estompe par rapport au spectre de la récidive. Cette tendance paraît d’autant plus évidente, depuis un quart de siècle, avec le tirage au sort total des jurés sans présélection et, surtout, le développement du discours sécuritaire. Les magistrats français ne sont pas laxistes, loin s’en faut, mais ils doivent souvent freiner des jurés formés par les journaux télévisés à la répression primaire.
À ce niveau du débat et après avoir parcouru attentivement le rapport, notamment les observations incluses de Jean-Pierre Michel et du président Jean-Jacques Hyest rappelant que des personnes sont condamnées à de lourdes peines de prison « afin de protéger la société alors que leur place est en établissement psychiatrique », il est clair que, devant les cours d’assises, les réactions des jurés populaires sont pour beaucoup à l’origine de ces dérives.
Face à un tel constat, n’est-il pas déraisonnable d’avoir le projet d’introduire des jurés populaires devant les tribunaux correctionnels ? Nous aurons certainement l’occasion de reparler de cette question… L’utilisation de la justice et des problèmes de délinquance à des fins médiatiques et électorales n’est jamais opportune ! De la même façon, le rapport note très justement que l’expertise psychiatrique n’est pas obligatoire en matière délictuelle et qu’elle est le plus souvent inexistante dans les toujours plus nombreuses procédures d’urgence.
Prison et troubles mentaux relèvent de deux problématiques différentes auxquelles notre société est confrontée : il y a, d’une part, les troubles mentaux qui ont un rôle dans la commission de l’infraction et/ou dans l’appréciation de la peine et, d’autre part, la prison elle-même comme facteur de déclenchement des troubles mentaux préexistants ou nouveaux – je pense en particulier aux addictions. Malheureusement, l’incarcération est aujourd’hui davantage un moyen de mise à l’écart de la société qu’un moyen de réinsertion et de lutte contre la récidive.
La proposition de loi qui nous est soumise constitue donc un pas positif afin d’améliorer la situation en remédiant à certains errements actuels. La modification de l’article 122-1 du code pénal et la réduction d’un tiers de la peine privative de liberté encourue sont autant de signes à destination des juridictions, qui conserveront néanmoins un large pouvoir d’appréciation. Certes, on peut s’interroger sur le fait que l’altération du discernement n’est pas toujours significative d’une perte de conscience de la gravité du comportement, encore plus lorsqu’elle est la conséquence de conduites addictives. Mais, d’une manière générale, il n’est pas sain que la reconnaissance de l’altération du discernement entraîne l’augmentation de la durée d’emprisonnement.
Enfin, cette proposition de loi conforte l’obligation de soins et sanctionne son refus. Nous y sommes favorables. Ce dernier point nous entraîne vers une autre question fondamentale, au niveau tant de la réalisation des expertises judiciaires que des soins en détention ou du suivi postérieur de l’obligation de soins : la question de la présence du psychiatre. D’où notre inquiétude face à l’insuffisance du nombre de psychiatres, à la désertification de nombre de territoires à ce niveau et à la diminution des lits de psychiatrie. Oui, la France manque globalement de psychiatres et ces derniers ont tendance à se regrouper autour des centres hospitaliers universitaires et dans le sud du pays ! Or nous connaissons le travail considérable accompli par les équipes psychiatriques, en particulier dans les plus petites maisons d’arrêt : il permet de limiter le nombre de suicides et de favoriser les soins et la réinsertion. La création de dix-sept unités d’unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, ne permettra pas de faire face à la diversité des problématiques présentées par tous les détenus. Pas de psychiatres, pas d’expertises, pas de soins, tel est donc l’enjeu des prochaines années !
En conclusion, j’annonce que nous voterons unanimement cette proposition de loi, qui constitue incontestablement un progrès mais en appelle d’autres ; c’est une question tant de sécurité que d’humanité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi fait suite au rapport « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français ? », établi par le groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des affaires sociales. Je tiens d’ailleurs à remercier aujourd’hui notre collègue Nicolas About – dont je salue la remplaçante –, alors président de la commission des affaires sociales, et notre collègue Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils avaient en effet souhaité tous les deux qu’un groupe de travail soit constitué, forts du constat que se trouvent aujourd’hui en prison des personnes à qui l’incarcération ne sert à rien, car elles ont besoin de soins, ce que la prison ne permet pas, ou très rarement.
À l’issue de ses travaux ce groupe de travail avait formulé un certain nombre de propositions d’ordre législatif. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en reprend certaines.
Si, dans son article 64, le code pénal de 1810 posait le principe d’irresponsabilité pénale du « dément », le nouveau code pénal de 1993 a instauré un distinguo entre abolition et altération du discernement en raison d’un trouble mental. Ainsi, selon l’article 122-1 du nouveau code pénal, dans le premier cas, la personne n’est pas considérée comme « pénalement responsable », alors que, dans le second, elle « demeure punissable ». Il est clair que, dans l’esprit du législateur, l’altération du discernement en raison d’un trouble mental a été pensée comme une cause d’atténuation de la responsabilité. La rédaction de l’article 122-1 du code pénal dispose que, dans ce cas, lorsque la juridiction fixe la durée et les modalités de la peine, la personne punissable bénéficie d’un régime spécifique. Une réduction de peine devrait donc en découler. Or force est de constater, notamment à la lecture des auditions du groupe de travail, que tel n’a pas été le cas.
En effet, nous pouvons observer que, pour les jurys d’assises en particulier, la maladie mentale est bien souvent perçue et gérée comme un facteur de dangerosité supplémentaire qui nécessiterait une détention prolongée. De fait, l’altération du discernement est devenue un facteur d’aggravation de la peine, allongeant la durée d’emprisonnement des personnes atteintes de troubles mentaux.
Contrairement aux idées reçues et bien que les statistiques soient fragmentaires, si le nombre de non-lieux a baissé en valeur absolue, la part de ceux motivés par l’article 122-1 est restée stable, elle représente environ 5 % du total. Il n’est donc pas démontré que l’évolution du cadre juridique ait provoqué une diminution du nombre de reconnaissances d’irresponsabilité pénale. En revanche, de l’avis concordant de magistrats et d’experts, l’altération du discernement, conçue par le législateur comme une cause d’atténuation de la responsabilité, a constitué en pratique, et paradoxalement, un facteur d’aggravation de la peine allongeant la durée d’emprisonnement.
Par ailleurs, selon une enquête épidémiologique menée entre 2003 et 2004, la proportion de personnes atteintes de troubles mentaux les plus graves, pour lesquelles la peine n’a guère de sens, représenterait 10 % de la population pénale – les précédents orateurs l’ont déjà dit. Aujourd’hui, les établissements pénitentiaires connaissent de grandes difficultés pour gérer des situations qui cristallisent les contradictions entre une logique de soins et une logique répressive.
Cette situation ne peut que heurter nos principes humanistes. Elle contrevient à l’éthique médicale car les prisons ne sont pas des lieux de soins. Elle contrevient aux exigences de sécurité et, comme nous l’avons vu précédemment, à l’esprit de la loi et à nos valeurs démocratiques.
Il nous est donc apparu indispensable de rompre avec cette logique pour procéder à la réécriture de l’article L 122-1 du code pénal afin, dans une rédaction plus explicite, de mieux concilier réponse pénale et prise en charge sanitaire.
Ainsi l’article 1er de notre proposition de loi prévoit-il que, dans le cas d’une peine privative de liberté prononcée à l’encontre d’une personne atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement, la peine encourue est réduite du tiers.
La juridiction devra donc, dans cette limite, fixer la durée de la peine, étant entendu que la personne est souffrante et que, plus cet état est important, plus la prise en charge médicale s’avère préférable à une incarcération.
De plus, dans le cas où un sursis avec mise à l’épreuve a été prononcé pour tout ou partie de la peine, sauf avis médical contraire ou décision contraire de la juridiction, cette peine doit être accompagnée d’une obligation de soins telle que prévue par l’alinéa 3 de l’article 132-45 du code pénal.
Quant à l’article 2 de la proposition de loi, il tend à compléter le troisième alinéa de l’article 721 du code de procédure pénale, relatif aux réductions de peines, en donnant à la juridiction la liberté de retirer une partie des réductions de peines lorsque la personne refuse les soins qui lui sont proposés.
Cette logique est aussi reprise dans les modifications apportées à l’article 721-1 du code de procédure pénale, relatif aux réductions de peines en cas d’effort sérieux de réadaptation sociale.
La rédaction de l’article 3 de la proposition de loi s’inscrit dans cette même exigence de soins. Ainsi, un nouvel article, relatif aux mesures de sûreté, est introduit dans le code de procédure pénale, laissant la possibilité à la juridiction de prononcer une obligation de soins durant la période comprise entre la date de la libération et le terme de la peine encourue.
Avec ce texte, la loi est désormais précisée. Néanmoins, au-delà, se pose la question des moyens dont se dote notre société pour faire face à ces défis.
À ce titre, notre collègue Jean-Pierre Michel, tout comme d’ailleurs Jean-René Lecerf et l’ensemble du groupe de travail, insiste sur divers points dans son rapport.
Je pense notamment à la prise en charge médicale que nécessitent ces personnes. Elle ne peut se faire que dans le cadre d’un renforcement de l’organisation de la psychiatrie, laquelle doit permettre de garantir le lien entre obtention de réductions de peines et suivi sanitaire via un placement systématique dans des établissements pénitentiaires disposant d’un service médico-psychologique régional. Or ces services doivent être notoirement renforcés en personnels et plus équitablement répartis sur le territoire.
De même, comment ignorer que la justice éprouve les plus grandes difficultés à trouver des experts psychiatres qui apprécient l’abolition ou l’altération du discernement de la personne mise en examen au moment des faits commis et éclairent les juges ?
Demain, mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, restera-t-il suffisamment de praticiens pour s’occuper, soit en milieu carcéral, soit en milieu hospitalier, de ceux dont la responsabilité pénale sera modulée en fonction de l’altération ou de l’abolition de leur discernement ?
Nous nous devons d’apporter des réponses. C’est dans cette logique que nous avons notamment proposé, dans notre rapport, d’envisager la construction de services médico-psychologiques régionaux supplémentaires dans les maisons centrales et de choisir les implantations des futurs établissements pénitentiaires en tenant compte de la démographie médicale, notamment en psychiatrie.
Je n’entrerai pas dans le débat que Jean-René Lecerf a introduit sur les objectifs des Unités hospitalières spécialement aménagées et que nous avons déjà eu au sein du groupe de travail – quel public, détenus ou non détenus, et quels troubles doivent-être concernés ? Même s’il est difficile de se prononcer sur ces structures, dont la première n’a été inaugurée que le 18 mai dernier à Lyon, il nous semble important d’établir des statistiques précises sur le profil des détenus accueillis afin de permettre une évaluation régulière de ces unités.
Madame la secrétaire d’État, bien que l’ayant écoutée avec beaucoup d’attention, je n’ai pas bien compris l’argumentation justifiant votre opposition à cette proposition de loi, qui, d’après ce que j’ai cru comprendre, sera votée par l’ensemble de notre assemblée.
J’espère que nous pourrons débattre de la prise en charge des personnes victimes de troubles psychiques à l’occasion de l’examen d’un prochain texte de loi sur la psychiatrie, un texte systématiquement annoncé et sans cesse reporté !
Effectivement, et j’en terminerai sur ce point, nous nous devons d’apporter des réponses médicales à ces détenus souffrant de troubles mentaux. À défaut, le sens même de la peine s’en trouverait perverti, l’objectif de réinsertion abandonné et notre système pénitentiaire mis en cause. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec plaisir que j’interviens aujourd’hui devant vous, au sujet de cette proposition de loi consistant à atténuer la responsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits qui leur sont reprochés.
En effet, vous n’êtes pas sans savoir à quel point les questions pénitentiaires sont au centre de mes préoccupations.
Je me permets de rappeler brièvement que, lors du débat sur la loi pénitentiaire, adoptée le 24 novembre 2009, je n’avais eu de cesse de dénoncer les atteintes graves faites aux droits des personnes détenues, voire, dans certains cas, la négation totale de leurs libertés fondamentales.
Les sénateurs Verts n’avaient d’ailleurs pas voté cette loi, qui semblait assez insatisfaisante, en dépit de tous les amendements adoptés dans ce cadre. Ceux-ci visaient, pour l’essentiel, à renforcer les droits des détenus, à rendre les dispositions du droit français conformes aux exigences communautaires et à reconnaître la dignité de la personne détenue.
J’ai par ailleurs rappelé, à l’occasion du débat sur l’édiction des mesures réglementaires d’application des lois qui s’est tenu voilà deux semaines, que le Gouvernement n’avait encore pris pratiquement aucune des mesures réglementaires prévues par la loi pénitentiaire, ce qui privait finalement cette loi de toute efficacité.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui s’inscrit dans la ligne directrice de la vision progressiste du droit pénitentiaire partagée par les sénateurs d’Europe Écologie.
Il est en effet nécessaire de débattre de la question des détenus atteints de troubles mentaux et de l’atténuation souhaitable de la responsabilité pénale de ceux dont le discernement a pu être altéré, au moment des faits, par ces troubles.
Ce texte a pour point de départ ce constat inquiétant : près de 10 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques très graves ! Dès lors la peine privative de liberté, telle qu’elle a été définie dans le cadre de la loi pénitentiaire précitée, ne signifie rien pour ces personnes.
En effet, selon cette loi du 24 novembre 2009, « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ».
Je reviendrai, ici, sur les trois points qui, dans les cas des personnes atteintes de troubles mentaux, ne semblent pas atteindre les objectifs légaux actuels : la sanction du condamné, l’insertion et la réinsertion de la personne détenue, la prévention de la récidive.
S’agissant de la sanction du condamné, nous pouvons légitimement douter qu’une personne atteinte d’une pathologie psychiatrique lourde ayant altéré son discernement au moment des faits puisse trouver en une peine d’enfermement dans un établissement pénitentiaire traditionnel une sanction adaptée à sa situation.
Ce point est d’ailleurs rappelé dans le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, qui prévoit que les personnes dont le discernement était aboli au moment des faits sont irresponsables pénalement.
S’agissant de l’insertion et de la réinsertion de la personne détenue, cet objectif, inhérent à l’exécution de la peine, nécessite que l’auteur des faits ait pris conscience des motifs justifiant sa condamnation, ce qui est impossible dans le cas des personnes atteintes de troubles mentaux lourds.
S’agissant, enfin, de la prévention de nouvelles infractions et de la lutte contre la récidive, le but semble plus difficile à atteindre quand la personne est malade et que ses pathologies risquent d’empirer en prison, le milieu carcéral n’étant pas un lieu de soins. Si l’on ne peut que saluer les progrès de la prise en charge médicale en prison, des études ont néanmoins montré que la détention carcérale pouvait aggraver les pathologies, voire en susciter.
Au-delà de ces trois raisons, liées à un régime d’exécution de la peine inadapté aux personnes souffrant de troubles psychiatriques, il est important de souligner la situation choquante créée par la mauvaise application du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal.
Cet alinéa traite du cas des personnes dont le discernement n’était qu’altéré lors de la commission de l’infraction. Pour mémoire, le premier alinéa, que j’ai déjà cité, était relatif à l’abolition du discernement au moment des faits, entraînant l’irresponsabilité pénale.
Selon les dispositions de ce deuxième alinéa, les intéressés restent punissables, mais bénéficient d’un régime particulier quant à la fixation par la juridiction de la durée et des modalités de la peine.
Comme M. Jean-Pierre Michel le souligne à juste titre, dans son dernier rapport, cette disposition devrait conduire à une réduction de peine. Or – c’est regrettable – il en va différemment en pratique, la maladie mentale étant, dans la plupart des cas, un facteur aggravant, un « indice de dangerosité supplémentaire » justifiant « une détention prolongée », et ce plus particulièrement pour les jurys d’assises.
Ainsi on s’éloigne de l’esprit du législateur et, dans le même temps, on accroît la présence de personnes atteintes de troubles psychiques et psychiatriques en prison.
À cette occasion d’ailleurs, permettez-moi de m’élever contre votre position, madame la secrétaire d’État, car vous exprimez une nouvelle défiance envers le juge et son pouvoir d’appréciation, et remettez en cause le principe d’individualisation.
Quant à moi, je suis favorable au fait de réduire du tiers la peine privative de liberté encourue et d’encourager les peines alternatives à l’enfermement, notamment le sursis à exécution avec mise à l’épreuve de tout ou partie de la peine assortie de soins, après avis médical.
Dans un seul souci de lutte contre les récidives, il est également souhaitable que le juge de l’application des peines, à la libération d’une personne condamnée dans les circonstances mentionnées dans ce second alinéa de l’article 122-1 du code pénal, puisse ordonner une obligation de soins.
Je souhaite toutefois apporter une réserve quant aux mesures de sûreté applicables après la libération, telles qu’elles sont prévues à l’article 3 de cette proposition de loi.
Les modifications apportées par cet article entraînent de fait l’application de l’article 706-139 du code de procédure pénal, qui dispose que « la méconnaissance par la personne qui en a fait l’objet des interdictions prévues [par l’article 706-136] est punie, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende ».
Cela signifie que les personnes concernées par le deuxième alinéa de l’article 122-1 du code pénal, à savoir celles dont le discernement a été altéré par des troubles mentaux au moment des faits, risquent de retourner en prison après leur libération si elles ne respectent pas les mesures de sûreté imposées par le juge... C’est un cercle sans fin !
J’ai pris bonne note de l’obligation de soins accompagnant ces mesures, mais je me questionne sur le caractère opportun de cette possibilité d’une nouvelle incarcération, qui ne me semble pas être de nature à œuvrer en faveur de la guérison des personnes atteintes de troubles mentaux et de pathologies psychiatriques.
Enfin, je tiens à rappeler le Gouvernement à ses responsabilités et à attirer son attention sur l’effectivité de l’application de ces mesures. Il ne s’agit pas de légiférer à chaque fait divers ! Il est indispensable que tous les moyens soient donnés à la justice pour une efficacité de ces dispositions.
Vous n’êtes pas sans savoir, madame la secrétaire d’État, quelles sont les conditions difficiles dans lesquelles travaillent le personnel pénitentiaire et le personnel soignant. Il est temps que ces services disposent enfin des moyens humains et financiers nécessaires à la réalisation de la lourde tâche qui leur est confiée.
À ce sujet, j’espère que le programme de construction des Unités hospitalières spécialement aménagées sera à la hauteur de ces ambitions et n’aura pas à souffrir d’un retard dans sa mise en place.
L’objectif à venir doit donc être triple : proposer des mesures plus adaptées aux auteurs d’infractions souffrant de troubles psychologiques ; prévenir l’aggravation des troubles mentaux en prison ; améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire et soignant intervenant en milieu carcéral.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs Verts sont favorables à cette proposition de loi, à laquelle ils apportent tout leur soutien !
Je voterai donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Le second membre de phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal est remplacé par trois phrases ainsi rédigées :
« Toutefois, la peine privative de liberté encourue est réduite du tiers. En outre, la juridiction tient compte de cette circonstance pour fixer le régime de la peine. Lorsque le sursis à exécution avec mise à l’épreuve de tout ou partie de la peine a été ordonné, cette mesure est assortie de l’obligation visée par le 3° de l’article 132-45 après avis médical et sauf décision contraire de la juridiction. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, sur l'article.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Avant toute chose, je tiens à saluer, comme l’ont fait les orateurs précédents, le travail considérable mené conjointement par nos collègues de la commission des lois et de la commission des affaires sociales – MM. Jean-René Lecerf, Jean-Pierre Michel, Gilbert Barbier et Mme Christiane Demontès – sur la prison et les troubles mentaux, ce qui a permis d’élaborer cette proposition de loi.
Le dispositif proposé par nos collègues à l’article 1erest simple : les personnes dont le discernement est atténué au moment des faits doivent pouvoir bénéficier automatiquement d’une réduction de peine d’un tiers. Ils feront en outre l’objet d’un suivi spécifique à leur sortie de prison. Ceux qui refusent l’injonction de soins à la sortie de prison devront purger la totalité de la peine normalement encourue.
Je rappelle qu’on estime à près de 25 % des personnes actuellement incarcérées le nombre de celles qui sont atteintes de troubles mentaux ; c’est considérable.
Comme cela est indiqué dans le rapport d’information, les résultats à ce jour les plus complets ont été établis par l’enquête épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues en prison, qui a été conduite dans les années 2003-2004, à la demande du ministère de la justice et du ministère chargé de la santé.
Cette enquête, qui a été publiée en 2006, a permis de dresser un certain nombre de constats édifiants, qui sont d’ailleurs rappelés dans le rapport sur la proposition de loi.
Ainsi, 35 % à 42 % des détenus sont considérés comme manifestement malades, gravement malades ou parmi les patients les plus malades, selon une échelle d’évaluation de la gravité de l’état de la personne ; 42 % des hommes et la moitié des femmes détenus en métropole présentent des antécédents personnels familiaux d’une gravité manifeste ; 38 % des détenus incarcérés depuis moins de six mois présentent une dépendance aux substances illicites et 30 % d’entre eux une dépendance à l’alcool.
Enfin, un entretien sur cinq a débouché sur une procédure de signalement auprès de l’équipe soignante de l’établissement, en accord avec la personne détenue, sauf en cas d’urgence.
C’est dire combien est important le sujet dont nous débattons aujourd'hui.
Cela étant, je veux aussi rappeler que cette situation est de mieux en mieux appréhendée par les pouvoirs publics et l’administration pénitentiaire.
D’abord, les vingt-six services médicaux psychologiques régionaux, les SMPR, situés dans l’enceinte des maisons d’arrêt ou des centres pénitentiaires suivent les personnes au cours de l’incarcération et préparent la mise en place de leur suivi à la sortie de prison.
Par ailleurs, la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, a permis la création des unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, dont Jean-René Lecerf a parlé tout à l'heure. Ces unités ont pour vocation de prendre en charge les personnes condamnées atteintes de troubles mentaux le temps nécessaire à leur stabilisation.
À ce jour, seule l’UHSA lyonnaise du Vinatier est en fonctionnement. La mise en fonctionnement des huit autres structures est prévue pour le deuxième semestre 2012.
Cependant, à mon sens, l’article 1er ne constitue pas une réponse appropriée au problème soulevé.
Le code pénal renvoie au juge l’appréciation de la peine, c’est indiscutable, et vous en avez parlé lors de votre intervention, madame la secrétaire d'État. C’est le principe de l’individualisation de la peine. Il est évident que les juges prennent déjà en compte la situation particulière de chaque personne mise en examen et adaptent en conséquence les peines qu’elles encourent et leurs aménagements.
Vous avez cité un certain nombre d’exemples, je peux en donner d’autres susceptibles de frapper l’imagination.
Ainsi, le kleptomane, qui souffre d’un véritable trouble de la volonté, mais dont la dangerosité pour la société reste quand même limitée, doit pouvoir bénéficier d’une diminution de peine. En revanche, le pédophile,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah, le pédophile !...
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … qui souffre d’un même trouble de la volonté mais qui représente un danger pour la société, sera le plus souvent sanctionné sévèrement.
Dès lors, instaurer un mécanisme automatique et uniformisé reviendrait à rigidifier inutilement le système et risquerait de remettre en cause notre action de lutte contre la récidive.
Il est à craindre que, dans les procès les plus atroces, cette question du trouble mental de l’accusé ne devienne un enjeu primordial de défense. Pour avoir été avocate, je sais qu’on prend vite certains réflexes. De toute évidence, cette question va automatiquement devenir un enjeu primordial de défense. Ceux qui ne le comprennent pas n’ont bien évidemment jamais été avocat et n’ont jamais eu à assurer la défense de qui que ce soit.
Par exemple, dans l’affaire Fofana, bien que l’expertise n’ait pas conclu à l’atténuation de sa responsabilité, celle-ci a été plaidée pour le faire échapper à la peine maximale ; il faut quand même le rappeler.
Dans l’affaire du meurtre d’Anne-Lorraine Schmitt, trois expertises psychiatriques ont été obtenues, la dernière retenant une légère altération.
Il est bon qu’un tel sujet donne lieu à un débat. Mais il est clair selon moi que l’opinion publique ne sera pas favorable à cette réforme et qu’elle ne la comprendra pas. Ainsi que vous l’avez d’ailleurs souligné, madame la secrétaire d'État, je ne pense pas que le recours systématique à la réduction du tiers des peines encourues par les personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits soit la réponse idoine.
Mme la présidente. Veuillez conclure !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il me semble beaucoup plus important d’aller dans le sens des efforts déjà engagés pour mieux accompagner et soigner ces personnes au cours et à l’issue de leur incarcération. Il y va de notre honneur de favoriser de telles mesures et non d’apporter une réponse systématique. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, mes chers collègues, je ne comptais pas intervenir, par respect envers Mme la secrétaire d'État, mais je ne peux pas, en tant que législateur, et ce de longue date, laisser dire n’importe quoi.
J’étais député lorsqu’a été révisé le code pénal. Relisez les excellents propos tenus à l’époque par le rapporteur au Sénat, Marcel Rudloff, qui était un éminent juriste, propos que le garde des sceaux d’alors avait confirmés : il disait que l’altération entraînait une diminution de la peine ! L’interprétation à l’envers de certaines décisions du Conseil constitutionnel me gêne beaucoup.
Madame Des Esgaulx, pourquoi avons-nous institué la rétention de sûreté et le suivi socio-judiciaire ? Parce que nous avons visé la dangerosité Vous pouvez ne pas être d’accord avec ces dispositions. Mais si on confond dangerosité et responsabilité, il n’y a plus de droit ! (M. Jacques Mézard acquiesce.)
C’est tout le sens de la démarche du groupe de travail et de ses conclusions. Bien sûr, prévoir une réduction de la peine d’un tiers, ce n’est pas forcément l’idéal, mais c’est envoyer un signal : Attention ! Vous ne pouvez pas condamner quelqu’un dont l’altération des facultés mentales est prouvée à une peine plus lourde que celui qui est en pleine possession de ses facultés.
Ma chère collègue, je veux bien vous suivre en ce qui concerne le pyromane ou le kleptomane. Cela étant, l’acte de pyromanie peut entraîner des morts. Mais le pédophile, lui, va être condamné plus sévèrement parce que la pédophilie ne procède pas d’une altération des facultés mentales.
M. Jacques Mézard. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne mélangeons pas les choses !
Il y a des gens qui tuent parce qu’ils sont schizophrènes, mais cela ne veut pas dire qu’ils se rendent compte de leurs actes et qu’ils en sont responsables. Faut-il les garder en prison indéfiniment ou les placer dans des établissements spécialisés ? Tel est le problème qui se pose.
La difficulté actuelle, madame la secrétaire d'État, vous le savez bien et vous l’avez également soulignée, c’est de trouver d’autres solutions que la prison pour ces gens qui sont dangereux pour eux-mêmes et pour les autres mais pour qui la prison n’a pas de sens puisqu’ils ne sont pas conscients de leurs actes. Il faut développer des expériences comme celles qui ont été menées dans bien d’autres pays tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas, où nous nous sommes rendus.
Au demeurant, pour être tout à fait honnête et objectif, il faut dire aussi que nous avons prévu l’application de mesures de sûreté pour les cas où il y a altération des facultés mentales.
Le dispositif proposé par la commission est par conséquent équilibré, puisqu’il prend la mesure de la responsabilité en cas d’altération des facultés, et, en même temps, propose des dispositions pour éviter que la société ne soit en danger.
Pour avoir visité, comme Jean-René Lecerf, de nombreux établissements pénitentiaires, je vous assure qu’il faut trouver des solutions de remplacement ; certes le processus est engagé, mais il faut aller beaucoup plus loin pour éviter de faire de nos prisons de grands hôpitaux psychiatriques qui n’auraient pas les moyens de l’être. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, sur l’article.
M. Jean-René Lecerf. Je vous remercie, madame la présidente, de me donner la parole sur cet article 1er, ce qui va me permettre de répondre à l’argumentation développée par Mme la secrétaire d'État sur deux points.
Premier point, le code pénal de 1810 était très manichéen : soit on était responsable totalement, soit on n’était pas responsable du tout.
On s’est rendu compte très vite que la réalité était rarement blanche ou noire, qu’il lui arrivait plus souvent d’être grise. En 1905 est ainsi diffusée la circulaire Chaumié, qui posait en quelque sorte le principe « demi-fou, demi-peine ».
Aujourd'hui, avec l’augmentation de la responsabilité des malades mentaux dont le discernement a été altéré, on est passé en fait au principe « demi-fou, double peine ». Je ne suis pas sûr que la démocratie y ait beaucoup gagné.
J’en viens au second point.
Je comprends parfaitement, madame la secrétaire d'État, le souci qui est le vôtre d’assurer la sécurité de nos concitoyens. C’est un souci unanimement partagé dans cet hémicycle (M. le président de la commission acquiesce), ce qui est bien naturel. Toutefois, je me demande si la situation actuelle en matière législative permet d’assurer cette sécurité.
Imaginons trois cas différents.
Le premier concerne une personne dont le discernement a été altéré. Dans ce cas, vous le savez très bien, le quantum de la peine n’a aucun lien avec la pathologie, ce qui signifie que, si la personne était dangereuse en entrant en prison, elle le sera autant, si ce n’est davantage, lorsqu’elle en sortira.
Dans un deuxième cas, la personne a été déclarée irresponsable ; très rapidement, il n’y a plus aucune mesure de protection de la société, d’où les propositions qui ont été faites, en dehors même du groupe de travail, pour trouver des solutions permettant d’accueillir de telles personnes dans des établissements spécialisés.
Enfin, il y a le cas de la personne qui souffrait déjà de troubles mentaux lourds avant même qu’elle ne commette une infraction. C’est la situation des « pousseurs » du métro ou du RER, celle des personnes qui, un jour, frappent à la porte du domicile où elles habitaient quelques années auparavant et qui poignardent la personne qui leur ouvre, alors qu’elles ne l’ont jamais rencontrée. Il y a également une réflexion à mener pour assurer la protection de la société dans ce type de situation.
Madame la secrétaire d'État, je crois qu’actuellement, en matière de protection de la société, notre système dans son ensemble n’apporte pas de réponses satisfaisantes.
Avec de nombreux collègues, J’ai visité, en Belgique, des établissements dits de défense sociale. Je ne suis pas favorable aux systèmes de défense sociale mais je reconnais qu’ils ont leur légitimité et qu’ils emportent en partie ma conviction dès lors que se trouvent ainsi placés dans des établissements hospitaliers fermés les différents types de personnes dont j’ai parlé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
du tiers
par les mots :
de moitié
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ma position est exactement inverse de celle de Mme Des Esgaulx. Les avocats défendent toujours l’atténuation de la responsabilité, mais ce ne sont pas les avocats qui jugent : ce sont les juges, les psychiatres et, en l’occurrence, les jurés.
J’aurais souhaité que la peine soit réduite de la moitié plutôt que du tiers, dans un souci d’analogie avec ce qui est prévu pour les mineurs. Je sais que vous n’êtes pas d’accord, mais il faut tout de même tirer de vraies conséquences du discernement altéré de l’auteur des faits.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Bien sûr, le code pénal prévoit au moins deux situations dans lesquelles la peine encourue est réduite de moitié. La première tient à l’excuse de minorité, entre treize et seize ans, et je ne sache pas que, dans ce cas, la liberté du juge ne soit pas respectée : ce que vous dites, madame la secrétaire d'État, est donc inexact. La seconde concerne les repentis.
Nous aurions donc pu vous suivre, madame Borvo Cohen-Seat, sur la réduction de moitié, mais les auteurs de la proposition de loi ont estimé que, compte tenu de certains arguments, ceux qu’a développés Mme Des Esgaulx, un tiers était suffisant eu égard aux mesures d’obligation de soins.
C'est la raison pour laquelle la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit précédemment quant au principe même de la réduction des peines : le Gouvernement y est hostile et considère qu’il convient de laisser au juge le soin d’apprécier la durée de la peine qui doit être prononcée au regard des circonstances de l’espèce. J’émets donc un avis défavorable.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Remplacer les mots :
est assortie
par les mots :
peut être assortie
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le fait que le sursis avec mise à l'épreuve soit automatiquement assorti d'une obligation de soins n’est pas conforme à l’individualisation des peines, à laquelle certains se disent très attachés tout en se déclarant favorables aux peines planchers…
Avec cet amendement, je propose de supprimer cette automaticité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je suggère à Mme Borvo Cohen-Seat de retirer son amendement, qui est, à mon avis, satisfait par le texte tel qu’il a été adopté en commission des lois.
En effet, j’ai présenté en commission un amendement qui supprime de fait cette automaticité puisqu’il prévoit la nécessité de recueillir un avis médical préalable, comme cela me l’avait été d’ailleurs suggéré par la Chancellerie.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je retire cet amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 2 est retiré.
L'amendement n° 3, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2
1° Dernière phrase
Après le mot :
assortie
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
des obligations visées aux articles 131-36-1 et 131-36-12
2° Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le non-respect de ces obligations peut entraîner, après expertise médicale et psychologique, sauf décision contraire de la juridiction, l'application du 3° de l'article 132-45.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avant d'imposer à la personne condamnée une injonction de soins, dont l'efficacité est souvent contestée, il serait préférable de mettre avant tout en place un suivi socio-judiciaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Cet amendement introduit une confusion entre le sursis avec mise à l’épreuve et le suivi socio-judiciaire ; or ces deux mesures sont tout à fait distinctes et ne peuvent donc être associées. C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis
(nouveau)
À la première phrase du premier alinéa de l’article 362 du code de procédure pénale, après les mots : « des dispositions » sont insérés les mots : « du second alinéa de l’article 122-1 et ». – (Adopté.)
Article 2
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Avant la dernière phrase du troisième alinéa de l’article 721, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Il peut également ordonner, après avis médical, le retrait lorsque la personne condamnée dans les circonstances mentionnées à la première phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal refuse les soins qui lui sont proposés. » ;
2° Le premier alinéa de l’article 721-1 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« De même, après avis médical et sauf décision contraire du juge de l’application des peines, aucune réduction supplémentaire de peine ne peut être accordée à une personne condamnée dans les circonstances mentionnées à la première phrase du second alinéa de l’article 122-1 du code pénal qui refuse les soins qui lui sont proposés. »
Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans la logique de ma démarche, je demande la suppression de cet article puisqu’il place, pour diverses obligations, des personnes dont l’altération de la responsabilité a été reconnue sous le régime du droit commun : ces dispositions tendent en réalité à les faire inexorablement retourner en prison. Or je considère qu’il doit y avoir une autre solution que la prison.
Néanmoins, je retire cet amendement.
Cela étant, je tiens à le dire, il est inadmissible que l’on ne m’ait pas expliqué la raison pour laquelle la commission des finances a jugé mon amendement n° 5 irrecevable, alors que, sur la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir, qui sera examinée ce soir, elle a accepté un amendement strictement équivalent au regard des deniers de l’État.
Il est dommage que Marie-Hélène Des Esgaulx, qui est membre de la commission des finances, ne soit plus là : elle aurait pu m’apporter des explications...
Je le répète, cette méthode de travail est absolument intolérable pour les parlementaires. Je suis mise dans l’impossibilité de défendre mon amendement et je ne recevrai évidemment aucune réponse à son sujet, d’autant que le président de la commission des finances, qui a tout de même dû entendre parler de cette affaire, n’a pas jugé bon de venir aujourd’hui en séance ; j’aurais pourtant bien aimé qu’il m’explique les raisons de cette différence d’appréciation entre deux amendements parfaitement symétriques.
Ce n’est pas la première fois que cela se produit, mais on continue comme si de rien n’était ! Or, avec cette manière de procéder, le Parlement – ici, l’exécutif n’est pas en cause – n’est pas responsable de son propre travail, ce qui est proprement inconcevable.
Mme la présidente. L'amendement n° 4 est retiré.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° A (nouveau) L’intitulé du chapitre III du titre XXVIII du livre IV est ainsi rédigé :
« Mesures de sûreté pouvant être ordonnées en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou en cas de reconnaissance d’altération du discernement » ;
1° Après l’article 706-136, il est inséré un article 706-136-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-136-1. – Le juge de l’application des peines peut ordonner, à la libération d’une personne condamnée dans les circonstances mentionnées au second alinéa de l’article 122-1 du code pénal, une obligation de soins ainsi que les mesures de sûreté visées à l’article 706-136 pendant une durée qu’il fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement. Les deux derniers alinéas de l’article 706-136 sont applicables. »
2° À la première phrase de l’article 706-137, les mots : « d’une interdiction prononcée en application de l’article 706-136 » sont remplacés par les mots : « d’une mesure prononcée en application de l’article 706-136 ou de l’article 706-136-1 » ;
3° À l’article 706-139, la référence : « l’article 706-136 » est remplacée par les références : « les articles 706-136 ou 706-136-1 » – (Adopté.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)
13
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux recherches impliquant la personne humaine.
La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : Mmes Muguette Dini, Marie-Thérèse Hermange, M. Paul Blanc, Mme Catherine Deroche, MM. Jean-Pierre Godefroy, Ronan Kerdraon, François Autain.
Suppléants : M. Gilbert Barbier, Mme Brigitte Bout, MM. Guy Fischer, Marc Laménie, Jacky Le Menn, Jean-Louis Lorrain, Mme Patricia Schillinger.
14
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. J’informe le Sénat que les questions orales n° 1176 de M. Alain Milon et n° 1178 de M. Ambroise Dupont pourraient être inscrites à l’ordre du jour de la séance du mardi 15 février 2011.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux jusqu’à dix-sept heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
15
Questions cribles thématiques
utilisation du « flashball » et du « taser » par les forces de police
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’utilisation du « Flashball » et du « Taser » – ces termes ne sont pas des noms communs, je le précise, mais correspondent à des marques déposées – par les forces de police.
L’auteur de la question et le ministre, pour sa réponse, disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Comme les fois précédentes, ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !), de Frédéric Taddéï.
Je demande instamment à chacun des orateurs de respecter son temps de parole.
La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les violences à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique sont malheureusement fréquentes. Les policiers municipaux, au même titre que les policiers nationaux et les gendarmes, sont devenus des cibles privilégiées pour des délinquants de plus en plus violents.
Dans ce contexte, un certain nombre de maires ont souhaité doter les policiers municipaux de leur commune de moyens de force intermédiaire, notamment de pistolets à impulsion électrique, de manière qu’ils soient mieux protégés.
Si une telle décision est bien compréhensible, certains s’en sont toutefois inquiétés. Les moyens de force intermédiaire, pour utiles qu’ils soient, n’en restent pas moins des armes dont l’usage doit être très encadré et subordonné à une formation spécifique.
Afin de prendre en compte les observations qui avaient été formulées par le Conseil d’État en 2009, l’armement des agents de police municipale a fait l’objet d’un nouveau décret, en date du 26 mai 2010.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser comment les agents de police municipale sont formés à l’utilisation des moyens de force intermédiaire et dans quelles conditions ces derniers sont employés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Madame Payet, l’équipement des polices municipales en pistolets à impulsion électrique et en Flashballs est conforme aux principes généraux de l’armement de la police municipale.
Celui-ci, premièrement, est facultatif en ce sens qu’il est à la diligence du maire.
Deuxièmement, il est conditionné à la conclusion d’une convention de coordination entre le maire et l’État.
Troisièmement, il est fonction de la dangerosité des missions confiées à la police municipale.
L’usage des pistolets à impulsion électrique est évidemment entouré de très fortes garanties.
Tout d’abord, une formation préalable est délivrée par le Centre national de la fonction publique territoriale. S’y ajoute une formation d’entraînement qui a lieu deux fois par an.
Ensuite, un système de contrôle permet à la fois d’assurer la traçabilité de chaque arme et d’en vérifier l’utilisation puisqu’un système d’enregistrement sonore et une caméra sont associés au viseur.
En outre, un rapport doit être remis au maire après chaque utilisation et, chaque année, le maire transmet lui-même un rapport au préfet et au procureur de la République.
Enfin, les conditions d’usage sont identiques à celles qui sont prévues pour la police et la gendarmerie nationales.
Afin d’être le plus complet possible, je précise que, à ce jour, dix-sept communes ont équipé leur police municipale de ces armes.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, pour la réplique.
Mme Anne-Marie Payet. Je remercie simplement M. le ministre de ses réponses extrêmement précises.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce jour, dans le monde, l’utilisation du Taser par les forces de police des pays qui l’ont autorisée aurait provoqué la mort de centaines de personnes.
En France, plusieurs personnes ont récemment trouvé la mort dans des circonstances faisant apparaître la responsabilité présumée de cette arme, le dernier cas de décès remontant au 30 novembre dernier.
Aujourd’hui encore, les effets du pistolet à impulsion électrique sur la santé ne sont pas réellement connus. Supposé, selon son fabricant, ne causer aucun risque mortel, le Taser se banalise de plus en plus et reste employé dans des situations qui ne nécessitent pas toujours son usage.
En réalité, cette arme, qui inflige des souffrances importantes, est utilisée comme un moyen de neutralisation, de rétorsion ou d’intimidation sur des personnes ne présentant pas forcément un danger immédiat. De nombreuses forces de police aux États-Unis utilisent régulièrement les pistolets électriques comme un moyen de contrainte pour maîtriser des personnes récalcitrantes ou perturbées et qui, pourtant, ne créent aucun trouble sérieux.
Faut-il rappeler que, dans un rapport du 23 novembre 2007 sur le Portugal, le Comité contre la torture de l’ONU a condamné l’usage et l’équipement des forces de police en Tasers ? Le Comité s’inquiétait non seulement de la douleur aiguë engendrée par ces armes, douleur constituant une « forme de torture », mais aussi du fait que l’utilisation du pistolet électrique peut causer la mort. En effet, dans bien des cas, le choc émotionnel consécutif à la douleur causée par ces armes peut entraîner un arrêt cardiaque et donc provoquer la mort.
Compte tenu des questions soulevées par le développement de ces armes à neutralisation et des cas de décès répertoriés par des études fiables, aujourd’hui, nos concitoyens ne comprennent plus que l’on généralise leur emploi sans que le Gouvernement prenne davantage en compte leur dangerosité.
Sans même évoquer les risques de bavure, toujours bien réels, le Taser suscite encore de trop nombreuses interrogations. Dans ces conditions, pourquoi ne pas faire le choix de la prudence – un choix qui, en l’occurrence, peut sauver des vies humaines – en suspendant l’usage de cette arme ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Fortassin, puisque vous aurez la possibilité de vous exprimer à nouveau après moi, permettez-moi de vous interroger à mon tour. J’ai bien compris que vous étiez réservé quant à l’utilisation de telles armes, mais je n’ai pas saisi quelle autre solution vous proposiez. En réalité, le choix est assez simple et se situe finalement entre les armes à létalité réduite et les armes létales. Quelle est, selon vous, l’autre possibilité ?
Je vous rappelle que l’utilisation de ces armes n’est possible qu’en état de légitime défense.
Quel a été l’emploi des moyens de force intermédiaire en 2010 ? Les 3 408 Flashballs qui équipent les unités de police et de gendarmerie les plus exposées ont été utilisés à 1 481 reprises, ce qui est d’ailleurs moins important que l’année précédente, puisqu’on a dénombré 1 600 utilisations en 2009.
Concernant les lanceurs de balles de défense – il s’agit de modèles permettant de tirer à plus longue distance –, 3 166 pièces ont été utilisées à 491 reprises, chiffre cette fois plus élevé qu’en 2009.
S’agissant du pistolet à impulsion électrique, plus connu dans l’opinion publique sous le nom de Taser, il équipe les unités de police et de gendarmerie les plus exposées à hauteur de 4 051 pièces, qui ont été utilisées à 815 reprises en 2010, une donnée là encore moins importante que celle de l’année précédente puisqu’il y a eu 907 utilisations en 2009.
En outre, monsieur le sénateur, et je tiens à le préciser parce qu’un tel chiffre répond très exactement à votre question, ces armes ont été utilisées à 12 000 reprises depuis 2006. Lors de ces 12 000 utilisations, vous avez raison, des accidents sont survenus, y compris des accidents graves, mais leur nombre a été limité à vingt-deux. Ce sont certes vingt-deux cas de trop, je m’empresse de le dire, mais, rapportés au nombre total d’utilisations, ils ne représentent qu’une proportion de 0,2 %.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour la réplique.
M. François Fortassin. Monsieur le ministre, lorsque des décès sont causés par l’utilisation d’armes traditionnelles, on considère que c’est une bavure et cela crée incontestablement une émotion profonde dans l’opinion publique. Lorsque c’est l’usage de Flashball ou de Taser qui est en cause, on a l’impression que c’est moins grave… Or ces armes ont tout de même entraîné la mort de vingt-deux personnes : ce n’est pas rien !
Monsieur le ministre, il existe bien une troisième solution pour dissuader des individus de se montrer par trop agressifs, pour les immobiliser ou les repousser, et on y a recours depuis fort longtemps : les canons à eau. Sachant qu’un gros orage disperse les manifestants, utilisez donc des Canadairs. Ce sera tout de même beaucoup moins dangereux ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France, comme d’ailleurs la plupart de ses partenaires européens, a fait le choix d’équiper ses forces de l’ordre en moyens de force intermédiaire, Flashball ou lanceur de balles de défense de 40 millimètres et pistolets à impulsion électrique.
L’emploi de ces moyens est évidemment encadré et demeure subordonné aux exigences de nécessité et de proportionnalité.
Malheureusement, des affaires récentes mettant en cause notamment le Flashball ont pu légitimement émouvoir nos concitoyens, lesquels s’interrogent sur les règles qui encadrent l’emploi de ces équipements.
Monsieur le ministre, même si vous nous avez déjà apporté certaines informations en répondant à notre collègue Mme Payet, pouvez-vous nous préciser le cadre législatif et réglementaire dans lequel les policiers et les gendarmes doivent inscrire leur action lorsqu’ils utilisent les moyens de force intermédiaire mis à leur disposition ?
Par ailleurs, pouvez-vous détailler les procédures de contrôle mises en œuvre lorsque des problèmes surviennent et indiquer notamment si des contrôles a posteriori sont réalisés sur les conditions d’usage de ces équipements ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Lefèvre, votre question porte en fait sur l’encadrement juridique de l’usage des moyens de force intermédiaire et sur l’évolution d’un tel usage, car il faut évidemment tenir compte des retours d’expérience.
Bien entendu, l’utilisation de telles armes s’inscrit dans un cadre légal, au travers des exigences du code pénal et du code de procédure pénale, notamment en ce qui concerne la définition de la légitime défense et de l’état de nécessité.
Il existe, pour l’emploi de chaque moyen de force intermédiaire, qu’il s’agisse du Flashball ou des pistolets à impulsion électrique, une instruction qui rappelle les dispositions juridiques relatives à ces armes.
Ces instructions, je tiens à le souligner, sont régulièrement mises à jour, pour tenir compte à la fois de l’expérience et de l’évolution des connaissances médicales ainsi que des données techniques et scientifiques. Elles ont d’ailleurs été réactualisées en 2009 pour la police et au cours de l’année 2010 pour la gendarmerie.
Je le rappelle, les policiers et les gendarmes sont tenus de rendre compte de l’utilisation de ces armes.
J’ajoute que l’arme est munie d’une puce qui enregistre tous les paramètres de tir, c’est-à-dire la date, l’heure, la durée de l’impulsion électrique. Surtout, le viseur est désormais doté d’une caméra qui filme l’intervention. Par conséquent, toutes les précautions sont prises pour que la traçabilité de chaque utilisation soit totale, précisément afin d’éviter les litiges.
D’ailleurs, à ce jour, aucun décès n’a été judiciairement imputé à l’utilisation de telles armes en France.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.
Sans doute un effort doit-il être fourni pour communiquer davantage sur la réglementation relative à l’usage de ce type d’armes.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Monsieur le ministre, il n’est pas question ici de revenir sur le principe d’un certain armement des forces de l’ordre : il importe en effet qu’elles aient les moyens de se protéger et de prévenir les accidents dont pourraient être victimes les personnes présentes sur la voie publique.
Toutefois, avant même les drames récents, plusieurs associations ont dénoncé le Flashball et le Taser comme des armes pouvant entraîner la mort, bien qu’elles soient définies comme non létales, et le Comité de l’Organisation des Nations unies contre la torture a qualifié l’utilisation du Taser de « traitement inhumain et dégradant », équivalant à une « forme de torture ».
Si l’on parle d’armes « à létalité atténuée », celles-ci n’en demeurent pas moins létales et nous devons donc les considérer comme telles.
Le Taser se range aujourd’hui parmi les armes de quatrième catégorie.
Il a par ailleurs été démontré que l’utilisation du Flashball était extrêmement imprécise du fait du risque de déviation des balles, même pour un tireur expérimenté.
Il est donc urgent d’agir pour rétablir la vérité sur ces armes et afin d’éviter au maximum les accidents.
Certes, l’arme idéale n’existe pas, mais l’État n’en a pas moins fait l’erreur de considérer Taser et Flashball comme des armes non létales. Il faut réparer cette erreur, et le faire rapidement. Je souhaiterais, monsieur le ministre, connaître vos intentions sur ce point.
Quant aux polices municipales, elles n’ont pas les mêmes missions que la police nationale : elles doivent rester des polices de proximité et leurs agents demeurer des agents de tranquillité publique. Il est urgent de légiférer sur la question pour que cessent les confusions entre police nationale et polices municipales, qui n’ont pas et ne doivent pas avoir les mêmes prérogatives.
Aujourd'hui, il y a autant de situations que de conventions signées entre l’État et les communes. Avec une meilleure répartition des compétences, et donc la disparition des confusions, les rôles respectifs de la police nationale et des polices municipales seront mieux définis.
Sur les 18 000 policiers municipaux, 8 500 sont armés d’armes de la quatrième à la septième catégorie et il n’y a encore jamais eu d’accident.
Comptez-vous, monsieur le ministre, uniformiser les textes applicables en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Je pense très sincèrement, je l’ai déjà dit, que le recours aux moyens de force intermédiaire est – en tout cas aujourd’hui, car cela évoluera peut-être – la seule alternative à l’usage de l’arme en feu en situation de légitime défense, ce qui signifie que la suppression de ces armes à létalité réduite que sont le Taser et le Flashball aurait pour conséquence l’utilisation de l’arme à feu.
On ne peut pas ignorer – ce que vous ne faites d’ailleurs absolument pas dans votre question, monsieur Gautier – que 19 policiers et gendarmes sont décédés dans l’exercice de leurs fonctions et que 12 870 policiers, dont 300 officiers et 30 commissaires de police, ont été blessés au cours de l’année 2010. Ces chiffres élevés soulignent, même s’ils sont aussi imputables à des accidents, qu’il s’agit d’un corps confronté à des situations particulières.
En 2010, il y a eu très exactement cinq affaires en France qui ont donné lieu à des enquêtes judiciaires ou administratives. Ces affaires étant en cours, je ne peux évidemment pas présager de leurs conclusions, mais, s’il y a faute, c'est-à-dire non-respect du principe de légitime défense, des sanctions seront naturellement prises. Pour être respectées, de toute évidence, les forces de l’ordre doivent être irréprochables.
À cet égard, j’insiste sur le fait que les forces de sécurité font certainement partie des services administratifs les plus contrôlés dans notre pays, ce qui est d’ailleurs parfaitement normal compte tenu des responsabilités qui sont les leurs. Ainsi, en 2010, 2 698 policiers et un peu plus de 3 000 gendarmes ont été sanctionnés pour non-respect de leurs obligations. C’est assez dire que les membres des forces de l’ordre ne sont pas à l’abri de toute punition.
Vous avez évoqué, monsieur Gautier, plusieurs associations ainsi que les Nations unies, et nous sommes nous-mêmes en discussion avec des ONG – notamment avec la représentante française d’Amnesty international – de manière à pouvoir prendre en compte, éventuellement, un certain nombre de leurs remarques.
S’agissant par ailleurs de vos questions relatives aux polices municipales, je crois y avoir déjà à peu près répondu précédemment.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour la réplique.
M. Charles Gautier. Monsieur le ministre, c’est justement sur les polices municipales que mes préoccupations sont centrées et je note que vous n’êtes pas revenu sur la question clairement posée : envisagez-vous une clarification des missions des polices municipales par rapport à celles de la police nationale ?
La confusion qui est entretenue fait en effet courir des risques aux agents municipaux, car les agents des polices municipales sont souvent pris pour des policiers comme les autres, c'est-à-dire en fait des membres de la police d’État.
Je crains, de surcroît, que votre programme de diminution constante des effectifs de l’État, qui se trouve compensée sur le terrain par des recrutements en nombre à peu près équivalent dans les polices locales, ne conduise à un transfert de compétence de fait alors que tous les transferts de compétences opérés dans notre République l’ont été par la loi.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, j’ai déjà interpellé à plusieurs reprises les ministres de l’intérieur successifs – et, me semble-t-il, notamment vous-même – sur la dangerosité du Taser X26 et du Flashball.
Chaque fois, j’ai obtenu la même réponse, celle que vous nous apportez cet après-midi encore : toutes les garanties existent, d’abord du point de vue de la formation, ensuite du fait que l’utilisation est limitée à certaines circonstances, principalement la légitime défense.
En outre, nous disait-on, s’il y avait eu des morts dues au Taser aux États-Unis, il ne pouvait pas y en avoir en France parce que les impulsions électriques utilisées chez nous étaient moins fortes. Or on compte aujourd’hui deux morts, l’un à Colombes, l’autre à Marseille.
Quant au Flashball, il a fait tout récemment un blessé très grave à Montreuil.
J’avais prévu, monsieur le ministre, de vous demander qui utilisait ces armes, comment et dans quelles circonstances, mais vous avez déjà en partie répondu à ces questions et je vais vous en poser deux autres.
D’abord, n’estimez-vous pas qu’il est indispensable, conformément à ce que préconise la Commission nationale de déontologie de la sécurité dans un rapport, d’empêcher l’utilisation du Flashball dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre lors des manifestations sur la voie publique ?
Ensuite, quelle évaluation faites-vous de la dangerosité de ces armes ?
Peut-être le Taser est-il utilisé de façon moins dangereuse en France qu’aux États-Unis et peut-il être considéré, dans notre pays, comme une arme non létale lorsqu’il est employé à l’encontre de personnes qui se portent parfaitement. Mais cela reste-t-il vrai lorsqu’il est utilisé contre des personnes fragiles, et notamment contre celles qui souffrent d’insuffisance cardiaque, ce qui n’est pas écrit sur leur figure ? Il serait bon de savoir dans quels cas une décharge électrique peut être mortelle.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame Borvo Cohen-Seat, des enquêtes, vous le savez, sont en cours sur les décès qui se sont produits à Marseille et à Colombes et je ne peux donc pas me prononcer sur ce qui s’est réellement produit. Cependant, au terme de la procédure judiciaire, nous tirerons, le cas échéant, les leçons qui devront être tirées.
Vous m’avez interrogé sur l’utilisation de ce type d’armes à l’occasion des manifestations, et vous pensez sans doute à des manifestations comme celles qui se sont déroulées au cours de l’automne. Je vous précise que le pistolet à impulsion électrique ne doit pas être utilisé au cours de ces manifestations, sauf, naturellement, en situation de légitime défense.
Il est cependant indéniable que les policiers et les gendarmes sont de plus en plus souvent confrontés à de graves agressions qui visent à les blesser, voire à les tuer. Or mon devoir de ministre de l’intérieur est de faire en sorte que les forces de sécurité soient protégées : je ne serais pas dans mon rôle si je n’avais la préoccupation constante de garantir la protection de ceux qui ont la responsabilité d’assurer la tranquillité et la sécurité de nos concitoyens. J’observe que les voyous n’hésitent pas à tendre des guets-apens et parfois même à utiliser des armes de guerre.
Hors ces cas extrêmes, les forces de l’ordre sont souvent confrontées à des personnes en état de démence temporaire ; dans 54 % des cas, l’utilisation du pistolet à impulsion électrique est liée à la nécessité de réduire l’agressivité et la résistance de ces personnes, souvent sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants.
En outre, je rappelle que le taux d’interpellation, une donnée qui n’est tout de même pas indifférente, est de 97 % après usage d’un pistolet à impulsion électrique.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour la réplique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, que la police doive être en mesure d’exercer ses missions, personne ne le conteste.
Je constate néanmoins que le syndicat national des policiers municipaux demande un moratoire sur l’utilisation du Taser par les policiers municipaux. Ainsi, au sein même des forces de police, d’aucuns se posent des questions sur l’utilisation de ces armes en l’état actuel de nos connaissances quant à leur dangerosité.
J’observe également que, du fait de l’évolution de notre législation, de plus en plus d’opérations relatives à l’ordre et à la sécurité publique seront déléguées à des services de sécurité privés. Allons-nous, monsieur le ministre, autoriser les polices privées à se doter de ces armes de quatrième catégorie ?
Il s’agit d’un point d’autant plus préoccupant que le fabricant du Taser conduit, vous le savez, une campagne de publicité à peine déguisée, accessible très facilement, pour que tout un chacun se dote de ces armes en principe non létales.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, le Flashball et les pistolets à impulsion électrique constituent une alternative à l’usage des armes à feu par les forces de sécurité, mais ces équipements n’en demeurent pas moins des armes et peuvent être dangereux.
Toutes les mesures doivent être prises pour que leur utilisation se fasse dans le respect des règles de sécurité inhérentes à leur emploi et pour éviter, dans la mesure du possible, que ne se produisent des cas de blessures corporelles graves, comme ceux dont la presse et certains de mes collègues ont pu se faire l’écho. Je sais que vous y êtes attentif.
Monsieur le ministre, je veux vous interroger sur la formation des agents pouvant être équipés de ces moyens de force intermédiaire. Vous avez déjà en partie répondu à la question. Je souhaiterais cependant savoir s’il y a une obligation de formation continue, et non pas seulement une formation avant usage de ces équipements.
Au-delà de la simple maîtrise juridique et technique de l’emploi de ces moyens, des mises en situation sont-elles prévues dans les formations pour montrer aux forces de sécurité comment réagir et dans quels cas utiliser ces armes ?
Enfin, je voudrais en savoir un peu plus sur les ventes sur Internet et par correspondance.
Je suis allée sur la Toile : sur un site, le Taser était quasiment en vente libre pour toute personne majeure ; et pour acquérir un Flashball, étaient simplement exigés un certificat médical ou un permis de chasse et une pièce d’identité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait !
Mme Catherine Procaccia. J’avoue que je n’ai pas poussé la « conscience professionnelle » jusqu’à commander une de ces armes pour l’apporter en séance cet après-midi (Sourires.), mais j’aimerais savoir si le Gouvernement entend encadrer ces ventes sur Internet ou par correspondance.
En effet, j’estime que l’usage de ces armes par les particuliers est beaucoup plus dangereux que leur emploi par les forces de police.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur le président, m’est-il possible de revenir sur une question qui m’a été posée antérieurement ? M. Charles Gautier et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ont en effet soulevé des points qui méritent des éclaircissements.
M. le président. C’est possible, monsieur le ministre, mais à condition que vous répondiez également à la très importante question de Mme Procaccia.
M. Brice Hortefeux, ministre. Je me tourne donc tout d'abord vers Mme Procaccia pour lui indiquer qu’un dispositif de formation initiale obligatoire est prévu pour tous les personnels susceptibles d’utiliser ces équipements, qu’il s’agisse des pistolets à impulsion électrique ou des Flashballs et autres lanceurs de balles de défense.
Cette formation doit être validée par une habilitation qui, naturellement, est individuelle et non pas collective. Celle-ci vérifie la fois le discernement, le sang-froid et la maîtrise des équipements, sur le plan tant technique que juridique, qu’ont acquis les personnels.
Vous m’interrogez sur le volet continu de cette formation. Le maintien de l’habilitation est précisément conditionné par le suivi d’une formation individuelle annuelle. Si cette obligation n’est pas respectée, bien entendu, des mesures sont prises.
Par ailleurs, vous vous souciez de ce qu’il en est s’agissant des ventes sur Internet. Vous avez eu raison d’attirer mon attention sur ce problème, qui m’a déjà été signalé. Je vous précise donc que ces armes ne sont en vente libre nulle part, et donc en aucun cas sur Internet. Si vous avez connaissance de cas précis, je vous remercie de nous les signaler et nous ne manquerons pas d’en saisir le parquet.
Puisque je dispose encore de quelques secondes, je précise à M. Charles Gautier que, en ce qui concerne les polices municipales, un décret adopté en mai 2010 aligne le dispositif de formation à l’usage de ces équipements sur celui qui existe pour la police et la gendarmerie nationales.
Je souhaitais également répondre à Mme Borvo Cohen-Seat, mais ne me souviens plus de la question qu’elle a posée… Bien sûr, j’y répondrai dès que la mémoire me reviendra…
En tout cas, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous souhaitez observer par vous-mêmes les formations qui sont dispensées pour l’utilisation des armes de ce type, vous êtes les bienvenus. Nous organiserons avec grand plaisir la visite de ces centres de formation.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le ministre, pour ma part, je vous invite, ainsi que les membres de votre cabinet, à aller sur Internet et à taper « Taser » ou « Flashball » sur un moteur de recherche.
Je vous assure que j’ai failli commander une arme de ce type pour voir jusqu’où je pouvais aller dans cette démarche sans rencontrer d’obstacle, mais je n’ai pas eu envie de communiquer mon numéro de carte de crédit (Sourires.), d’autant que je n’avais pas vraiment l’intention de me servir de cette arme… Tapez « anti-agression » sur un moteur de recherche et vous verrez !
Je ne sais pas si ces armes sont vraies ou fausses, mais il est très facile d’en acheter. Je le répète, ce qui m’a le plus surprise, c’est qu’il y avait aussi peu de conditions à leur acquisition.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat évoquait tout à l'heure les polices privées, c'est-à-dire les entreprises de sécurité. Si les particuliers que nous sommes peuvent acheter de telles armes, je ne vois pas ce qui empêche une police privée d’en faire autant !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait ! Il existe d'ailleurs de très beaux catalogues !
Mme Catherine Procaccia. Je pense qu’il faut encadrer ces ventes sur Internet, comme on le fait pour d’autres produits, et vérifier l’identité des acheteurs.
Enfin, sur ces sites, les textes sont écrits dans un français tout à fait convenable, ce qui permet de penser que ce ne sont même pas des sites étrangers.
Mmes Dominique Voynet, Alima Boumediene-Thiery et M. Charles Gautier. Combien coûtent ces armes ?
Mme Catherine Procaccia. Environ 400 euros.
Mme Dominique Voynet. Il y a des soldes ? (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le ministre, l’utilisation des nouvelles armes de quatrième catégorie – pistolets à impulsion électrique et lanceurs de balles de défense –, autorisées en France depuis quelques années, nous conduit à nous interroger très sérieusement.
Quand ces armes ont été autorisées, on nous a expliqué qu’elles permettraient d’éviter l’usage de certains moyens conventionnels d’intervention des forces de l’ordre, notamment des armes à feu, et donc d’épargner des vies. Elles avaient en commun, disait-on alors, d’être « non létales ». Je pense que cette qualification a rassuré de façon excessive un certain nombre de nos fonctionnaires de police, parce que la réalité est bien sûr plus complexe : si elles peuvent exceptionnellement tuer, ces armes sont, plus fréquemment, susceptibles de blesser et handicaper durablement.
Au-delà d’une formule séduisante, je crois donc que nous devons regarder la réalité en face : chaque mois nous apporte la preuve de la dangerosité de ces équipements. À Montreuil, ville dont je suis maire, en l’espace de dix-huit mois, deux jeunes hommes ont été gravement blessés par des tirs de Flashball émanant des forces de l’ordre. L’un y a perdu un œil, l’autre a déjà subi trois interventions chirurgicales et en gardera des séquelles durables au visage.
Dans aucun de ces deux cas, l’attitude des victimes n’était en cause : en clair, les fonctionnaires de police ne se trouvaient pas en état de légitime défense et ils n’ont pas respecté les consignes d’emploi de ces armes. Dans les deux cas, ils ont tiré au jugé, dans le tas, alors qu’ils étaient chargés de maintenir l’ordre à l’occasion d’une manifestation sur la voie publique et ne se trouvaient nullement dans une situation où ils auraient eu à affronter des délinquants dangereux.
Pour lever toute ambiguïté, j’ajoute que l’utilisation de ces armes met en péril non pas seulement les personnes qui y font face, mais aussi nos propres forces de l’ordre. L’imprécision de ces armes, la gravité des blessures qu’elles causent, le manque évident de formation des agents – vous n’avez pas précisé ce point, monsieur le ministre, mais je crois que l’on offre au maximum deux demi-journées de formation à ces personnels – ainsi que l’extrême difficulté à respecter, dans l’urgence, des conditions très restrictives d’usage exposent ceux qui les manient à des risques juridiques et moraux disproportionnés.
D'ailleurs, des deux policiers qui sont en cause dans les affaires de Montreuil, l’un a été mis en examen et l’autre ne manquera pas de l’être. Est-ce bien ce que nous souhaitons ?
Combien de temps encore accepterons-nous que nos concitoyens soient mis en danger par l’équipement de ceux qui sont censés les protéger ? Combien de blessés, combien de morts faudra-t-il avant que l’on ne reconnaisse l’inadaptation et la dangerosité de ces armes pour la surveillance des manifestations de voie publique ?
L’alternative aux armes à létalité réduite, ce sont les armes à feu, avez-vous dit ; pour ma part, je considère que, s’agissant de la surveillance des manifestations, ce sont des effectifs plus nombreux, bien encadrés et bien formés.
Monsieur le ministre, il vous appartient aujourd’hui d’agir en limitant drastiquement l’usage de ce type d’armes et en mettant l’accent sur le renforcement des effectifs, sur la formation et sur l’inscription des forces de l’ordre dans une logique de proximité.
M. le président. Veuillez conclure.
Mme Dominique Voynet. J'ajoute un mot sur les polices municipales et j’en aurai terminé, monsieur le président.
Monsieur le ministre, vous avez souligné qu’un décret récent alignait la formation des polices municipales sur celle de la police nationale pour ce qui concerne l’utilisation de ces équipements. Je considère qu’il y a là une confusion des rôles et des missions qui ne répond pas du tout à nos souhaits.
Ainsi, vendredi dernier au soir, à Montreuil, c’est la police municipale qui a dû procéder à la neutralisation de trois malfaiteurs qui avaient pris en otage un commerçant…
M. le président. Il faut vraiment conclure, madame Voynet.
Mme Dominique Voynet. … et menaçaient de violer son épouse. La police nationale est arrivée vingt minutes plus tard, monsieur le ministre. (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame la sénatrice, tout d'abord, vous avez très largement préjugé des résultats de l’enquête en cours. Je vous le dis avec beaucoup d’humilité : dans notre pays, on est condamné pour bien moins que cela, et c’est un expert qui vous parle. (Sourires.)
En effet, vous avez ici, sinon porté atteinte à la présomption d’innocence, du moins largement préjugé des résultats de l’enquête en cours en affirmant que, inéluctablement, l’un des policiers en cause serait mis en examen.
Mme Dominique Voynet. Non, non !
M. Brice Hortefeux, ministre. Croyez-moi, je vous encourage à être très prudente dans votre expression. Je le répète, c’est un expert en ce domaine qui vous parle ! (Nouveaux sourires.)
Vous avez abordé plusieurs problèmes.
Tout d'abord, vous évoquez ce qui s’est passé à Montreuil le 8 juillet dernier – lors de l’évacuation d’un squat, un jeune homme a été gravement blessé à l’œil par un tir de Flashball – et le 14 octobre dernier – un lycéen de seize ans a été blessé au visage par un tir de lanceur de balles de défense à l'occasion d’une manifestation.
Pour ces deux affaires, j’ai bien sûr demandé immédiatement une enquête de l’inspection générale des services, indépendamment de l’information judiciaire qui est en cours et sur laquelle je me garde bien de me prononcer.
Je vous le dis très directement : si ces enquêtes devaient révéler un usage inadéquat de ces équipements ou des dysfonctionnements, je prendrais bien entendu un certain nombre de mesures. Toutefois, comme je l’ai indiqué à M. Fortassin, de tels incidents sont plutôt rares puisque, de 2006 à 2010, on en a recensé vingt-deux – ce qui est encore trop, bien sûr –, pour quelque 12 000 utilisations de ces armes.
Vous demandez un moratoire, voire une interdiction de l’utilisation de ces armes à létalité réduite.
M. Jean Desessard. Eh oui !
Mme Dominique Voynet. Pour les manifestations de rue !
M. Brice Hortefeux, ministre. Je comprends votre point de vue, mais, je le répète, quelle est l’alternative à ces équipements ? Les armes à feu ? Là est la difficulté !
Je suis tout à fait attentif aux problèmes posés par ces équipements. Toutefois, si nous interdisons les armes à létalité réduite, nous devrons utiliser celles qui sont à létalité non réduite, c'est-à-dire que nous serons conduits à accepter l’utilisation des armes à feu.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas pour des manifestations ! Nous ne sommes tout de même pas en Tunisie.
M. Brice Hortefeux, ministre. Mon objectif est d’assurer la protection, la tranquillité et la sécurité de nos concitoyens, mais je dois aussi veiller sur ceux qui ont la responsabilité de cette mission, et je ne puis les laisser sans moyens de défense.
M. le président. Monsieur le ministre, il faut conclure, afin que le dernier intervenant puisse poser sa question.
M. Brice Hortefeux, ministre. Enfin, pour répondre à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat – je me souviens à présent de sa question ! –, les sociétés de sécurité privées n’ont pas le droit d’utiliser des armes de quatrième catégorie.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour la réplique.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, je ne suis pas convaincue par vos propos. Que ce soit à Montreuil, à Colombes ou à Marseille, il y a une vérité, qu’il faut savoir dire et assumer : ces armes sont mortelles ; la preuve en est qu’elles ont tué. Il faut donc cesser de mentir et admettre que leur dangerosité est bien réelle !
En outre, il faut que justice soit faite. Nous ne pouvons accepter l’impunité. J’ignore ce qui ressortira des instructions en cours, mais il est clair que celles-ci doivent aller jusqu’au bout. Nous devons connaître la vérité, et il faut que justice soit rendue. Les fautifs doivent être sanctionnés : c’est la condition sine qua non pour que la police soit respectée.
Enfin, vous demandez quelle est l’alternative à ces équipements. Vous le savez très bien, il existe de nombreuses solutions de rechange qui ne sont pas mortelles pour les citoyens, ne serait-ce que l’emploi des canons à eau. Surtout, il faut augmenter les effectifs. Dans toutes les banlieues, sur tous les territoires de France, nous avons besoin d’une police nationale – j’insiste sur cet adjectif – renforcée, voilà la vérité. Aujourd'hui, ce sont les citoyens qui sont les victimes de la réduction des effectifs. (Mme Dominique Voynet et M. Jean Desessard applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le ministre, face aux violences de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves auxquelles les représentants des forces de l’ordre, comme malheureusement l’ensemble des dépositaires de l’autorité publique, sont quotidiennement exposés, la France a choisi, ainsi que l’organisation des Nations unies l’a préconisé, d’équiper ses policiers et ses gendarmes en moyens de force intermédiaire, au premier rang desquels figurent, depuis 1993, le lanceur de balles de défense Flashball et, depuis 2004, le pistolet à impulsion électrique.
La dotation des forces de l’ordre en équipements alternatifs aux armes à feu a répondu à la volonté d’améliorer la sécurité de tous : les policiers, les mis en cause et les tiers. En effet, si l’utilisation de ces équipements, qu’il s’agisse du Flashball ou du pistolet à impulsion électrique, n’est pas sans risques, leur dangerosité apparaît infiniment moindre que celle des armes à feu, tel le pistolet automatique dont les agents sont équipés.
Monsieur le ministre, avec plusieurs années de recul, quel bilan peut-on tirer aujourd’hui de cette décision d’équiper nos forces de l’ordre en moyens de force intermédiaire ?
Vous avez répondu, voilà quelques instants, à mon collègue Antoine Lefèvre que de nombreux dispositifs techniques avaient été mis en œuvre en vue d’assurer une véritable traçabilité de l’utilisation de ces équipements. Existe-t-il un service spécifique qui exploite ces données en vue d’un travail statistique permettant de contribuer à l’élaboration d’un bilan plus détaillé encore ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame Troendle, je l’ai dit, nous avons fait un choix clair, que nous assumons, celui d’équiper nos forces de sécurité de lanceurs de balles de défense et de pistolets à impulsion électrique, précisément pour éviter que la possibilité de réaction de nos forces de sécurité, en état de légitime défense, se résume au seul usage des armes à feu. C’est donc un équipement alternatif qui a été proposé à nos policiers et à nos gendarmes, effectivement confrontés de plus en plus souvent à des situations extrêmement difficiles, où ils sont la cible d’attaques visant à les blesser, voire à les tuer.
Par exemple, à Grenoble, au mois de juillet dernier, un policier qui avait été visé par un délinquant a miraculeusement échappé à la mort parce que la balle lui a frôlé le visage, juste sous le nez, devant la lèvre supérieure.
Je le dis très clairement, l’usage des armes à feu dans nos démocraties doit rester extrêmement rare. Ainsi, dans notre pays, il ne doit intervenir que dans les circonstances les plus graves.
Les armes à létalité réduites sont aujourd'hui des moyens de force intermédiaire indispensables, qui prennent place entre l’usage de la seule force physique et celui des armes à feu.
Je l’ai dit, la traçabilité de l’utilisation de ces armes est assurée grâce à la caméra associée au viseur et à la puce électronique qui enregistre, pour chaque tir, la date, l’heure, le lieu d’utilisation, la durée de l’impulsion s’agissant du pistolet à impulsion électrique ou la distance de projection du lanceur de balles de défense.
Toutes ces données sont recensées et conservées aussi bien à la direction générale de la gendarmerie qu’à la direction générale de la police nationale, afin d’éviter toute polémique.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle, pour la réplique.
Mme Catherine Troendle. Je veux seulement remercier M. le ministre d’avoir répondu à mes deux questions.
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques.
Je vous remercie, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’avoir participé à cet échange qui a permis d’éclairer le Sénat.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures dix, sous la présidence de Mme Monique Papon.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
16
Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 25 janvier 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de Cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-115 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
17
Nomination d'un membre d'une mission commune d'information
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Bernadette Bourzai membre de la mission commune d’information sur l’organisation territoriale du système scolaire et sur l’évaluation des expérimentations locales en matière d’éducation, à la place laissée vacante par Mme Raymonde Le Texier, démissionnaire.
18
Enfants franco-japonais
Adoption de deux propositions de résolution identiques
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Richard Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés (n° 674 rectifié [2009-2010]), et de la proposition de résolution, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Louis Duvernois et plusieurs de ses collègues (n° 94), tendant toutes deux à permettre au parent français d’enfants franco-japonais de maintenir le lien familial en cas de séparation ou de divorce.
Ces deux propositions de résolution, rédigées en termes identiques, feront l’objet d’une discussion générale commune.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung, auteur de la proposition de résolution n° 674 rectifié. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, les enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français, en cas de séparation ou de divorce, vivent une situation particulièrement pénible. C’est en vérité de leur père qu’ils sont le plus souvent privés, et cela est pour eux une source de difficultés psychologiques, voire de déséquilibre. C’est d’ailleurs essentiellement cet aspect qui doit retenir notre attention dans cette discussion.
Par le biais de notre proposition de résolution, nous demandons la ratification par le Japon de la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Nous souhaitons en outre que le Japon puisse faire évoluer son code civil sur le droit de la famille de manière à permettre la continuité et l’effectivité des liens familiaux. Enfin, nous suggérons que le comité de consultation franco-japonais sur l’enfant soit élargi de façon permanente au ministère japonais de la justice, voire éventuellement à d’autres ministères, d’une part, et qu’il puisse servir de structure de médiation pour les problèmes familiaux, d’autre part.
Ce débat est difficile, car il touche à des valeurs profondément ancrées dans la société : la place de l’enfant, les rôles respectifs de l’homme et de la femme dans le couple, le rapport entre les deux parents au sein de la famille, la relation entre les enfants et les parents.
Au Japon, le concept de liê établit clairement que le cœur de la famille est constitué de la mère, de l’enfant et de la maison ; le père se trouve en quelque sorte à l’écart. En Occident, notre conception est tout autre. Nous sommes donc en présence de deux traditions et de deux structures familiales qui s’opposent. Mais nous vivons dans un monde qui se transforme à la faveur des échanges entre les peuples, y compris des échanges matrimoniaux. C’est pourquoi il nous faut aborder cette question avec respect, en ayant le souci d’écouter aussi des arguments qui nous sont a priori étrangers.
On dénombre environ 10 000 naissances d’enfants binationaux par an au Japon. Par chance, toutes n’entrent pas dans la catégorie que nous examinons. Les parents français ne sont évidemment pas les seuls concernés : de nombreux pères américains, canadiens, allemands se trouvent confrontés au problème douloureux que j’ai décrit.
Avant d’en venir à l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, je tiens à faire remarquer que c’est la première fois que le Parlement examine, en application de l'article 34-1 de la Constitution – il s’agit d’un droit nouveau, ouvert par la réforme de 2008 –, une proposition de résolution touchant à des affaires internationales. Je me réjouis d’ailleurs que notre collègue Louis Duvernois, lui aussi sénateur représentant les Français établis hors de France, ait suivi un chemin analogue au nôtre et ait déposé un texte identique. J’espère, bien entendu, que ces deux propositions de résolution seront adoptées.
La hausse du nombre de mariages franco-japonais est l’un des signes les plus tangibles du renforcement des liens entre le Japon et la France. En 2009 – je ne dispose malheureusement pas des chiffres de 2010 –, le consulat a transcrit 321 actes de mariage entre Français et Japonais. Il en résulte évidemment une augmentation du nombre d’enfants binationaux : 233 actes de naissance ont été enregistrés cette même année. L’autre conséquence, moins heureuse, est la hausse des séparations et des divorces.
Heureusement, tous les couples franco-japonais ne se séparent pas dans la douleur ; certains parviennent à une solution consensuelle, mais c’est moins souvent le cas lorsqu’ils ont un ou plusieurs enfants. Quoi qu'il en soit, des enfants binationaux en nombre croissant se retrouvent au centre d’un conflit entre leurs parents.
Ainsi, des enfants résidant sur le territoire français ont été enlevés par leur parent japonais et ramenés au Japon sans l’accord du parent français, qui s’était pourtant vu attribuer l’autorité parentale à la suite du divorce.
Étant donné qu’il n’existe aucune convention bilatérale entre la France et le Japon, les décisions judiciaires françaises ne sont pas systématiquement reconnues par la justice japonaise, laquelle donne généralement raison au parent japonais qui a enlevé l’enfant. En outre, le Japon ne sanctionne pas les déplacements illicites d’enfants et n’a pas encore signé la convention de La Haye de 1980. Cette dernière institue une coopération des autorités centrales pour assurer le retour des enfants illicitement déplacés du lieu de résidence habituelle.
Lorsque le couple binational réside au Japon, il arrive que le parent japonais abandonne le domicile conjugal et parte avec l’enfant sans le consentement de l’autre parent. En France, une telle pratique est sanctionnée. Au Japon, en revanche, elle n’est pas considérée comme une infraction et ne justifie donc pas le recours à des mesures d’exécution forcée pour faire revenir l’enfant au domicile familial. Le parent qui a enlevé l’enfant est même souvent maintenu dans ses prérogatives par la justice japonaise.
Dans ces conditions, des citoyens français ayant divorcé d’un ressortissant japonais se trouvent dans l’impossibilité d’exercer au Japon leurs droits parentaux. Les services consulaires français ont connaissance d’une quarantaine de cas, mais nous pensons qu’il y en a significativement plus. Les couples franco-japonais étant majoritairement constitués d’un ressortissant français et d’une ressortissante japonaise, ce sont le plus souvent des pères français qui sont concernés.
Alors que la loi française établit un partage de l’autorité parentale en cas de séparation ou de divorce, l’article 819 du code civil japonais prévoit que la garde de l’enfant ou des enfants est accordée à un seul parent. Ainsi, dans 80 % des cas, l’autorité parentale est confiée à la mère en vertu du principe socialement admis qu’elle est la personne la plus importante pour l’enfant et qu’il n’appartient pas au père de s’occuper directement de son éducation. Dans d’autres cas, c’est la préservation des intérêts de la mère qui prévaut sur la continuité des relations de l’enfant avec ses deux parents. Ainsi, même lorsqu’un tribunal japonais constate l’instabilité de la mère, il peut choisir de lui confier l’autorité parentale.
Le Japon et la France n’ont pas non plus la même conception du droit de visite.
Selon la législation française, l’exercice de ce droit ne peut être refusé à l’autre parent que pour des motifs graves ; lorsque la continuité et l’effectivité des liens de l’enfant avec ce parent l’exigent, le juge aux affaires familiales a la possibilité d’organiser le droit de visite dans un espace de rencontre désigné à cet effet.
Au Japon, le droit de visite est non pas inscrit dans le code civil, mais laissé à l’appréciation du juge aux affaires familiales et au bon vouloir du parent auquel a été attribuée la garde de l’enfant. En vertu de l’article 766 du code civil japonais, l’un des deux articles qu’il conviendrait de modifier à l’issue de la procédure de ratification de la convention de La Haye par le Japon, le juge japonais peut ordonner toutes les mesures nécessaires dans l’intérêt de l’enfant.
Le parent français rencontre aussi des difficultés à expliquer au juge les raisons pour lesquelles il veut se voir reconnaître ce droit de visite. Au demeurant, il n’est pas rare que le juge japonais lui attribue un droit de visite. Toutefois, cette décision n’est pas mise en œuvre lorsque le parent japonais, invoquant la volonté de l’enfant, refuse que ce dernier voie son autre parent ; d’où des situations très douloureuses, d’autant qu’il arrive que le parent ayant la garde parle en mal à son enfant de la personne de laquelle il est séparé. Je précise aussi que, dans les affaires familiales, l’absence d’exécution des jugements n’est pas sanctionnée.
En outre, quand un droit de visite est accordé au parent français, il se résume souvent à une seule visite de quelques heures par mois, alors qu’en France les modalités les plus répandues prévoient un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires.
Par conséquent, de nombreux pères français, ou d’autres nationalités, n’ont plus de contact avec leurs enfants, qui se voient ainsi privés d’une partie essentielle de leur identité. Le droit de ces enfants à avoir deux parents, deux familles, deux cultures, deux langues, est bafoué. Il en résulte des effets psychologiques graves. Certains enfants souffrent notamment du syndrome d’aliénation parentale, un désordre psychologique qui atteint l’enfant lorsque le parent présent exerce sur lui, de manière plus ou moins consciente, une sorte de pression visant à détruire l’image du parent absent.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Richard Yung. Face à ces situations très pénibles, la France, en liaison avec d’autres États, a entrepris de nombreuses démarches auprès du gouvernement japonais. En décembre 2009, l’ambassadeur de France à Tokyo – je tiens ici à lui rendre hommage, car il a fait de ce dossier sensible une priorité de son action – a ainsi obtenu la création d’un comité de conciliation franco-japonais, composé de représentants des ministères des affaires étrangères des deux pays et ayant pour objectif de faciliter les échanges et le partage d’informations. La France est le premier pays à mettre en place une telle structure avec le Japon ; nous nous en réjouissons.
Cet arrangement est bienvenu et montre que le Japon reconnaît l’existence du problème des enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français. Il demeure néanmoins insuffisant. D’autres initiatives sont nécessaires afin de faire prévaloir l’intérêt supérieur de ces enfants.
Il y a une certaine urgence à agir. Le nombre de cas, je l’ai dit, va croissant. Sans vouloir en faire un argument dans le cadre de cette discussion, je rappellerai les actes dramatiques commis ces derniers mois par plusieurs pères poussés à bout, pour les raisons que j’ai évoquées, peut-être pour d’autres, mais le résultat est là.
La présente proposition de résolution n’a nullement pour objet de remettre en cause la souveraineté du Japon, que nous respectons. Je suis moi-même un ami de ce pays, un admirateur de la culture et de la tradition japonaises, de cette capacité à concilier le moderne et l’ancien, à perpétuer les usages du passé tout en étant à l’avant-garde du progrès. Certes, nous le savons, l’évolution des sociétés est le fruit de longs processus, mais, sur le problème qui nous intéresse aujourd'hui, il faut tout de même avancer dans la mesure où il y aura de plus en plus de mariages franco-japonais.
Madame le ministre d’État, mes chers collègues, si le Japon nous entend et est prêt à progresser, à son rythme, dans le respect de ses propres procédures, sur les trois points que j’ai évoqués, à savoir la ratification de la convention de La Haye, la réforme du code civil japonais pour ce qui concerne ses articles 766 et 819 et la transformation du comité de conciliation, alors nous aurons contribué à résoudre un problème ô combien douloureux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Jean-Pierre Cantegrit applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois, auteur de la proposition de résolution n° 94. Madame la présidente, madame le ministre d'État, mes chers collègues, cette proposition de résolution soulève un problème éminemment humain. C’est donc sur ce seul terrain que j’entends me placer en la défendant aujourd'hui, car la souffrance d’un père ou d’une mère n’a rien à voir avec un quelconque clivage partisan.
La question qui se pose est celle du droit légitime de l’enfant à conserver un lien familial avec ses deux parents et à pouvoir bénéficier ainsi de la richesse inestimable d’une double culture.
Voilà plus de deux ans que les élus de la circonscription concernée à l’Assemblée des Français de l’étranger ont appelé mon attention sur cette difficile situation, particulièrement injuste pour nos compatriotes parents d’enfants franco-japonais. La situation n’a pas évolué, malgré la ténacité des associations de nos amis Richard Delrieu – SOS Parents Japan – et Jacques Colleau – SOS Papa International.
La hausse du nombre de divorces observée au cours des vingt dernières années interpelle les législateurs que nous sommes sur l’évolution de la notion de famille dans nos sociétés, ainsi que sur la place de l’enfant au sein de celle-ci. En effet, le divorce a toujours une incidence sur le développement de l’enfant et c’est de son intérêt que le juge doit tenir compte au premier chef dans son jugement.
En cas de séparation et de divorce, la loi française établit un partage de l’autorité parentale et assure un droit de visite régulier au parent qui ne reçoit pas la garde. La non-présentation d’enfant y est sévèrement punie par la loi, que la force publique fait respecter. Le divorce entre les parents ne signifie pas le divorce d’un des deux parents avec les enfants.
La question se révèle plus délicate en matière de divorces internationaux, notamment, puisque c’est ce cas qui nous occupe aujourd’hui, lorsque l’un des antagonistes est japonais.
Aujourd'hui, 90 % des divorces se font au Japon par consentement mutuel à la mairie ; concernant les enfants, le formulaire de divorce à remplir par les époux ne permet d’indiquer, sans autre détail, que l’unique parent qui sera désormais détenteur de l’autorité parentale.
Sur les 10 % de divorces restants, environ 9 % vont se résoudre en conciliation judiciaire ; dans 1 % des cas, les parents ne parvenant décidément pas se mettre d’accord, il faut avoir recours à l’arbitrage d’un juge. L’autorité parentale, unique au Japon, est confiée, ainsi que la garde des enfants, dans plus de 80 % des cas à la mère. Le père ne reçoit, en échange, que des devoirs, principalement celui de payer une pension alimentaire, ce dont les pères japonais s’acquittent assez rarement.
Le parent qui n’a pas l’autorité parentale n’a plus aucun droit de regard sur l’éducation des enfants et ne reçoit que très rarement du tribunal un droit de visite, qui n’existe pas dans la loi japonaise et dont l’application est soumise, après le jugement et dans les faits, à l’arbitraire du parent détenteur du droit de garde.
Ainsi n’est-il pas rare qu’un des parents, généralement la mère, prenne l’initiative, avant même que la séparation soit décidée, d’enlever brutalement les enfants et de se réfugier dans sa famille en refusant qu’ils aient désormais le moindre contact avec leur autre parent, tout en réclamant une pension.
La loi japonaise ne punit pas l’enlèvement parental. Le Japon est le seul pays du G8, hormis la Russie, à n’avoir toujours pas signé la convention de La Haye sur les aspects civils des déplacements illicites d’enfant. Il n’applique pas non plus la convention relative aux droits de l’enfant, dite « convention de New York », qu’il a signée le 22 avril 1994. Pis, c’est le parent qui sera le plus prompt à enlever les enfants qui prendra l’avantage sur le plan juridique pour l’attribution de la garde et de la pension !
Soulignons dès à présent l’action de l’ambassade de France à Tokyo grâce, notamment à l’implication personnelle de notre ambassadeur, M. Philippe Faure, qui a permis la création dans cette même ville d’un comité de consultation franco-japonais sur l’enfant au centre d’un conflit parental. Ce comité a pour objet de faciliter le partage d’informations entre la France et le Japon et la mise en œuvre de mesures concrètes de coopération relatives aux cas individuels de déplacements illicites et de non-représentation d’enfant.
Lors de la troisième réunion de cette instance, au mois de décembre dernier, certaines avancées notables ont pu être soulignées : il en est ainsi, notamment, de la participation pour la première fois d’agents du ministère de la justice japonais et du règlement effectif ou en voie de l’être de quelques cas.
La France est le premier pays à avoir mis en place une telle structure avec le Japon.
Le 16 octobre 2009, lors d’une rencontre avec la ministre de la justice, Mme Keiko Chiba, l’ambassadeur de France et ceux de sept autres pays – l’Australie, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie et la Nouvelle-Zélande – avaient appelé le nouveau gouvernement japonais à signer la convention de La Haye. Ce traité, ratifié par plus de quatre-vingts pays, a fixé des procédures pour assurer le retour des enfants dans leur pays de résidence habituelle et pour protéger le droit d’accès à l’enfant des deux parents.
Plus récemment encore, voilà une quinzaine de jours, Mme Hillary Clinton, secrétaire d’État, s’est entretenue à Washington avec M. Seiji Maehara, ministre japonais des affaires étrangères, des quatre-vingt-deux cas similaires de conflits parentaux américano-japonais ; elle a également demandé à l’État japonais de rejoindre les signataires de la convention précitée.
Le premier entretien susvisé avec un haut responsable politique japonais a été suivi, le 30 janvier 2010, d’une démarche menée par notre ambassadeur, M. Philippe Faure, avec le même groupe de pays auprès du ministre des affaires étrangères de l’époque, M. Katsuya Okada, et enfin, le 22 octobre 2010, d’une démarche auprès du successeur de Mme Chiba au ministère de la justice, M. Minoru Yanagida.
Cette dernière action, menée par l’ambassadeur américain au Japon, M. John Roos, a mobilisé pas moins de onze ambassadeurs et représentants d’ambassades, ainsi que la délégation de l’Union européenne. Jusqu’à présent, les États-Unis ont usé d’un ton bien plus comminatoire que la France pour parvenir au règlement du conflit qui nous occupe aujourd’hui. J’en veux pour preuve la résolution n° 1326, adoptée par le Congrès américain, tendant à condamner le Japon pour l’impunité qu’il assure à ses ressortissants coupables d’enlèvements parentaux internationaux.
En ma qualité de représentant des Français établis hors de France, pouvais-je rester insensible à la détresse de nos compatriotes expatriés, dont les droits et les sentiments sont ainsi bafoués et les laisser se débattre seuls dans cet inextricable problème ?
M. Roland Courteau. Non !
M. Louis Duvernois. Très récemment, trois pères français connus pour souffrir de cette situation se sont donné la mort.
Transcendant les clivages politiques, cette question de société doit être appréhendée dans le respect de la souveraineté du Japon et des différences culturelles entre nos deux pays, liés par une amitié ancienne et solide. C’est le sens que j’ai souhaité donner à notre action, car en l’espèce il est question non pas de droite ou de gauche, mais d’humanité et de compassion.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Louis Duvernois. Un élu responsable doit, à mes yeux, faire preuve de courage, et il me semble essentiel de compléter l’action diplomatique intense de notre ambassade à Tokyo par l’adoption d’une résolution montrant l’implication de la représentation nationale et, par voie de conséquence, de la nation tout entière dans ce problème aussi dramatique que délicat.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous prie d’apporter votre soutien à la présente proposition de résolution, dont les auteurs ne prétendent aucunement donner des leçons juridiques au Japon, mais demandent simplement la reconnaissance du droit des enfants binationaux à pouvoir grandir dans l’amour de leurs deux parents. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Roland du Luart.
M. Roland du Luart. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, j’interviens aujourd’hui en ma qualité de vice-président du groupe d’amitié France-Japon que j’ai eu l’honneur de présider de 1980 à 1990.
Je suis personnellement très attaché au renforcement des liens unissant nos deux pays et je souhaite vous indiquer les raisons pour lesquelles l’adoption des propositions de résolution aujourd’hui soumises à notre examen me semble inopportune.
Certes, ces textes ont été inspirés par des événements douloureux liés à la difficulté pour nos compatriotes divorcés de garder le contact avec leurs enfants. Cette situation, qui concerne une trentaine d’enfants, a conduit au suicide deux pères français privés de leurs enfants au cours des derniers mois. Je comprends donc – et je partage – l’émotion et l’implication de nos collègues représentant les Français établis hors de France pour tenter de mettre fin à cette situation dramatique. Mais la méthode retenue ne me semble pas appropriée.
La première proposition de résolution avait été déposée par M. Yung et trente-cinq sénateurs socialistes au mois de juillet dernier. Ses auteurs appelaient le gouvernement du Japon à trouver une solution et à signer la convention de La Haye de 1980, qui traite de la situation d’enfants de couples binationaux séparés. En outre, ils lui demandaient d’étudier la possibilité de modifier le code civil afin de permettre de garantir la continuité et l’effectivité des liens entre parents et enfants.
Ce texte constituait, à mes yeux, une ingérence inacceptable dans les affaires japonaises. J’observe, d’ailleurs, que notre collègue David Assouline, président du groupe d’amitié France-Japon, ne l’avait pas cosigné. J’observe également que, par la suite, ses auteurs l’ont rectifié pour le rendre identique à la proposition de résolution qui a été déposée le 6 novembre 2010 par M. Duvernois.
C’est donc sur cette dernière que nous devons nous prononcer aujourd’hui, les deux propositions de résolution ayant été jointes.
Je constate qu’elle est plus mesurée et reprend des recommandations formulées par le gouvernement français depuis plusieurs années. Sur le fond, je ne puis qu’y souscrire. Il est, en effet, indispensable que le Japon ratifie la convention de La Haye du 25 octobre 1980, puisqu’il est, avec la Russie, le seul pays du G8 à ne pas l’avoir fait. Et j’insiste pour que le gouvernement japonais définisse rapidement une position sur la question des enfants binationaux en cas de divorce.
Mais faut-il pour autant adopter une résolution, alors que parallèlement, sur le plan diplomatique, les choses avancent, comme viennent de le démontrer nos deux excellents collègues ? De plus, dans ce genre d’affaires, la discrétion semble préférable.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que les gouvernements français et japonais ont créé un organe de consultation sur l’enfant au centre d’un conflit parental en vue d’échanger les informations sur les cas concrets malheureusement déjà existants et pour lesquels se pose la question de l’autorité parentale au sein d’un couple franco-japonais divorcé ou séparé.
À travers cet organe, le ministère des affaires étrangères du Japon coopère étroitement avec l’ambassade de France se trouvant dans ce pays. Le gouvernement japonais est donc déterminé à poursuivre le dialogue avec la France et à prendre toutes les mesures possibles pour l’intérêt des deux pays.
Lors du déplacement de M. Bernard Kouchner au Japon au mois de mars dernier, le Premier ministre de l’époque lui avait indiqué qu’il allait donner des instructions aux ministères concernés en vue d’examiner la possibilité d’adhérer à la convention de La Haye.
Lors d’une conférence de presse le jour même de sa nomination, le nouveau Premier ministre, M. Naoto Kan, a demandé au ministre de la justice, M. Satsuki Eda, de traiter cette question de façon prioritaire et d’examiner la ratification de la convention de La Haye et la révision de la législation actuelle afin de respecter cette convention.
Le gouvernement du Japon a donc engagé le processus, bien qu’il existe, j’en conviens, une certaine réticence au sein de l’opinion publique à l’égard d’une adhésion à cette convention, car, dans certains cas, des mères sont rentrées au Japon en raison de violence domestique.
C’est pourquoi l’on peut redouter que l’adoption d’une résolution par le Sénat français ne soit considérée comme une pression extérieure injuste et ne provoque une réaction négative de la part de l’opinion publique japonaise vis-à-vis de la convention. Cela nuirait aux efforts entrepris par l’administration du Japon et par notre ambassade pour faire avancer les études nécessaires en vue de la ratification de la convention.
M. Roland Courteau. C’est le contraire !
M. Roland du Luart. Force est de constater que le dépôt des propositions de résolution et leur inscription à l’ordre du jour du Sénat ont eu un effet incontestable d’accélérateur du processus du côté japonais, une troisième réunion du comité ayant eu lieu au mois de décembre.
M. Roland Courteau. La preuve !
M. Richard Yung. CQFD !
M. Roland du Luart. Mes chers collègues, je crois que nous devons faire confiance aux autorités japonaises. Je suis en mesure de vous assurer de la sincérité de la démarche du Japon visant à trouver une solution. J’estime au contraire contreproductive l’adoption par le Sénat d’une résolution.
La plus grande prudence me semble nécessaire. Ne donnons pas un signal négatif à nos amis japonais, alors que nos relations diplomatiques sont excellentes, après la visite du Premier ministre François Fillon au mois de juillet dernier et la reprise des échanges parlementaires au cours de l’année écoulée, notamment au mois de septembre !
Au-delà du Japon, la question des enfants de couples divorcés se pose dans de nombreux pays et l’adoption des présentes propositions de résolution pourrait constituer un précédent fâcheux. Allons-nous adopter tous les mois des résolutions de ce type à l’encontre de tel ou tel pays ?
Mme Claudine Lepage. Pourquoi pas ?
M. Roland du Luart. C’est pourquoi, à titre personnel et comme mon collègue et ami Pierre Hérisson, qui m’a chargé de l’indiquer à cette tribune, je voterai contre les propositions de résolution qui nous sont soumises.
M. Roland Courteau. C’est une erreur !
Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, l’union de deux personnes est toujours promesse de découvertes et de richesse. L’enrichissement est d’autant plus remarquable entre deux conjoints de nationalités différentes.
Un nouveau mode de vie, un mode de pensée, une éducation, une histoire, une culture, une langue différentes sont autant d’éléments que, bien souvent, l’on accepte avec enthousiasme, non seulement pour comprendre l’autre, mais aussi par souci d’apprendre et, plus tard, de faire partager ces connaissances démultipliées aux enfants à venir.
Ainsi, les couples binationaux sont, en général, particulièrement ouverts sur le monde et ont une vision bienveillante de l’altérité. Pourtant, cette formidable richesse peut aussi constituer le terreau idéal de déchirements et de luttes, dont tous les membres de la famille auront à souffrir. Ce sont les enfants qui se trouvent au cœur du conflit, au centre de l’arène, et qui paient le plus lourd tribut de ces querelles.
Les problèmes de partage de l’autorité parentale et de garde d’enfants se rencontrent auprès de nombre de couples binationaux. Depuis quelques années, ce sont les séparations de couples franco-japonais qui semblent engendrer les plus importantes difficultés dans ce domaine.
Je tiens donc à saluer l’excellente initiative de nos collègues Richard Yung et Louis Duvernois, qui, par ces propositions de résolution relatives aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation, entendent appeler l’attention du gouvernement japonais sur cette situation aux effets dramatiques.
En Europe, un mariage sur cinq est aujourd’hui binational ; dans le même temps, un divorce sur cinq concerne un couple binational. En France, plus du quart des mariages sont binationaux : en 2009, ce sont 84 000 Français ou Françaises qui ont ainsi épousé une personne étrangère. Nous remarquons, malheureusement, que cette forte progression des unions mixtes a parallèlement engendré une augmentation de 9 % des enlèvements parentaux en 2008.
À côté de certaines affaires dramatiques très médiatisées, combien d’histoires, tout aussi bouleversantes, de vies brisées existe-t-il ?
Au Japon, près de 166 000 enfants japonais ou binationaux sont privés de l’un de leurs parents. Il s’agit presque toujours du père, et ce que les anciennes unions soient franco-japonaises ou 100 % japonaises. En effet, un million de pères japonais ne voient plus leur enfant.
Ainsi, au-delà de la « préférence nationale », qui, dans la plupart des pays du globe, commande l’attribution du droit de garde des enfants, le droit japonais donne littéralement les pleins pouvoirs à la mère. La société japonaise considère que celle-ci est la personne la plus importante pour l’enfant et que le père n’a aucun rôle à jouer dans l’éducation de ce dernier. En effet, en cas de divorce au Japon, un seul parent – dans plus de 80 % des cas la mère – exerce l’autorité parentale.
Quant au droit de visite du père, il n’est même pas codifié et ne bénéficie d’une reconnaissance jurisprudentielle que depuis 1964 ; et encore la Cour suprême du Japon a-t-elle refusé, par une décision de 1984, de lui donner une valeur constitutionnelle. Enfin, dans la pratique, ce droit de visite est subordonné au paiement de la pension alimentaire.
À bien des égards, vis-à-vis des enfants, le droit de la famille japonais est bien différent de celui de la plupart des pays occidentaux. À cela s’ajoute, pour ce qui concerne les affaires familiales, l’absence de sanction en cas de défaut d’exécution d’un jugement. Dans ces conditions, la mère japonaise peut, à loisir, arguer du refus de l’enfant de voir son père pour repousser la mise en œuvre de la décision judiciaire qui avait pu attribuer un droit de visite à ce dernier.
Par ailleurs, aucune convention bilatérale en matière judiciaire n’existe entre la France et le Japon. Les décisions de justice française ne bénéficient donc d’aucune reconnaissance de la part de la justice japonaise. De la même façon, le Japon n’a toujours pas signé la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et ne sanctionne pas les déplacements illicites d’enfants.
Dans ces conditions, il n’existe pas entre la France, signataire de cette convention depuis 1983, et le Japon de véritable coopération destinée à assurer le retour de l’enfant illicitement déplacé au lieu de sa résidence habituelle.
Le Japon, par la voix de son précédent Premier ministre Yukio Hatoyama, a manifesté, voilà quelques mois, sa volonté de signer la convention. M. Hatoyama précisait à l’époque qu’il fallait éviter que le Japon soit perçu, selon son expression, comme un « pays à part ». Il me semble inutile d’insister encore davantage sur ce point.
La prochaine signature de la convention de La Haye, si elle est bienvenue, ne réglera sans doute pas pleinement le problème, le juge conservant toujours, conventionnellement, la possibilité de refuser la restitution de l’enfant, dès lors qu’il considère que celle-ci n’est pas dans l’intérêt de l’enfant. Pourtant, nombre de psychologues, pédiatres et spécialistes de l’enfance s’accordent pour témoigner de l’importance du contact persistant et le plus étroit possible entre l’enfant et ses deux parents.
Les êtres humains sont bien sûr extrêmement divers. Ces singularités s’expliquent notamment – il importe justement de le relever en cet instant – par leur culture ou leur langue. Seulement, comme le souligne le pédiatre Aldo Naouri, les êtres humains partagent strictement les mêmes besoins élémentaires, et l’un d’entre eux est bien le lien entre l’enfant, durant les premières années et même tout au long de sa vie, et ses deux parents. Pour construire convenablement son identité, l’enfant a impérieusement besoin de ce double lien, afin de développer la meilleure image possible de sa mère et de son père.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Claudine Lepage. L’altération de la représentation de l’un d’eux suscitera chez l’enfant un profond trouble quant à la loyauté qu’il s’impose à leur égard et engendrera un grave conflit intérieur, qu’il ne pourra résoudre seul. Une pathologie spécifique a d’ailleurs été étudiée, sur le modèle du syndrome de Stockholm propre aux otages : le syndrome d’aliénation parentale. Les effets destructeurs d’une telle situation sur l’identité de l’enfant s’éprouveront alors tout au long de la vie.
La troisième réunion, à Tokyo, du comité franco-japonais de conciliation sur l’enfant au centre d’un conflit parental a donné lieu, voilà quelques semaines, au déplacement au Japon d’une délégation interministérielle française. La participation à cette réunion, pour la première fois, d’agents du ministère japonais de la justice témoigne d’une évolution positive.
Pour conclure, je veux manifester ma confiance dans la volonté des autorités japonaises d’œuvrer pour que ce douloureux problème des enfants franco-japonais privés de lien avec leur parent français trouve une issue satisfaisante, et ce pour toutes les parties en présence : l’enfant, la mère et le père.
Il est en effet évident, comme l’évoque cette image utilisée par M. Naouri, que les deux parents sont une échelle double sur laquelle l’enfant grimpe à la conquête de la vie.
M. Roland Courteau. Bien dit !
Mme Claudine Lepage. Dès lors que l’un d’entre eux détruit l’autre, l’échelle s’écroule, entraînant l’enfant dans sa chute...
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à approuver ces propositions de résolution, dans l’intérêt même des enfants franco-japonais. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, les propositions de résolution déposées par certains de nos collègues nous donnent aujourd’hui l’occasion de débattre d’un sujet difficile et douloureux pour tous ceux qu’il vise : le déplacement illicite d’enfants.
Dans les faits, cette terminologie juridique adoucit quelque peu une réalité qui relève, pour la plupart des parents victimes, davantage du rapt que du simple déplacement. Malheureusement, dans de nombreux cas, le parent concerné est purement et simplement coupé de son ou de ses enfants.
Lorsque la situation est très conflictuelle, l’auteur de l’enlèvement de l’enfant profite souvent des conditions juridiques et culturelles de son pays pour consolider sa position et se soustraire au principe élémentaire du droit de visite.
De ce point de vue, le Japon offre un cadre favorable à ses ressortissants, en particulier à ses ressortissantes.
En effet, comme l’ont souligné nos collègues auteurs des propositions de résolution, ce pays, qui n’est pas signataire de la convention de La Haye du 25 octobre 1980, ne sanctionne pas les déplacements illicites d’enfants, ne reconnaît pas les décisions judicaires étrangères et ne fait pas appliquer les mesures exécutoires. Le code civil japonais ignore le partage de l’autorité parentale.
En outre, dans la culture japonaise, la mère est considérée comme la personne la plus importante pour l’enfant.
Il résulte de la combinaison de tous ces facteurs que les tribunaux japonais accordent le droit de garde aux mères japonaises dans 80 % des cas.
In fine, les pouvoirs publics japonais donnent raison au parent japonais qui a enlevé l’enfant. Les couples franco-japonais étant la plupart du temps composés d’un Français et d’une Japonaise, les pères français sont presque toujours lésés.
Ces conditions pénalisantes pour nos concitoyens entraînent parfois des drames. L’année dernière, deux Français se sont suicidés après avoir tenté, en vain, de récupérer leurs enfants enlevés par leurs ex-épouses. L’un d’entre eux s’était même vu reprocher par ses avocats japonais d’avoir quitté sa femme.
Compte tenu de la politique quasiment unilatérale des autorités japonaises, des avocats occidentaux vont jusqu’à conseiller aux pères étrangers de kidnapper leur enfant en premier, avant que la mère japonaise ne le fasse. Ces attitudes, certes extrêmes, reflètent la gravité de la pratique des déplacements illicites qui plonge des parents dans la détresse et déstabilise des enfants.
Les services consulaires français ont dénombré trente-cinq dossiers, chiffre qui ne tient pas compte des cas de parents résignés ou pensant pouvoir régler seuls leur problème.
De surcroît, le nombre de mariages franco-japonais est en hausse constante, mouvement qui s’accompagne aussi, hélas, d’une augmentation du nombre de divorces. Cette évolution laisse présager un accroissement des litiges. Et pas seulement avec la France, d’ailleurs...
On a recensé 37 000 mariages entre Japonais et étrangers, soit huit fois plus que voilà quarante ans, et 19 000 divorces de couples mixtes. En conséquence, il y aurait actuellement 180 cas d’enlèvements par des mères japonaises. Après les Français, ce sont les Américains, les Canadiens, les Australiens et les Britanniques qui sont les plus concernés.
Il est donc urgent de sensibiliser les autorités japonaises à la nécessité de s’impliquer dans ce dossier.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Françoise Laborde. Tel est l’objet de ces propositions de résolution, qui seront sans doute approuvées par la plupart d’entre nous, mes chers collègues. Je crois en effet qu’il est important d’encourager le Japon à coopérer, dans l’intérêt de l’enfant.
Pour autant, il ne s’agit nullement de stigmatiser l’archipel, qui est tout de même signataire de la convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant. Les Japonais ont leur propre approche de la politique familiale qui, je le répète, découle en partie de considérations culturelles, comme le rôle consacré de la mère pour l’éducation de l’enfant. Nous avons la nôtre, différente, modernisée, en particulier depuis l’institution du principe de coparentalité, du développement de la mesure de garde alternée, ou encore du congé de paternité, une politique familiale qui vise ainsi à concilier tous les intérêts, celui de l’enfant, celui de la mère et celui du père.
Mais il est peu probable que cette évolution propre à notre pays gagne le Japon dans l’immédiat. Je ne pense pas que le principe du droit de visite soit inscrit demain dans le code civil japonais. C’est pourquoi la coopération internationale est essentielle sur ce sujet. Il faut absolument l’encourager.
Comme le préconisent les auteurs des propositions de résolution, il serait bien évidemment souhaitable que le Japon ratifie la convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.
L’archipel n’a qu’un petit pas à faire. Signataire de la convention internationale des droits de l’enfant, il dispose déjà des outils permettant une approche coopérative du sujet. Rappelons en effet que l’article 11 de ladite convention précise : « Les États parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger. À cette fin, les États parties favorisent la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants ».
Cependant, je crois utile de souligner que cela ne suffirait pas, car, si la convention de La Haye oblige le pays signataire à s’acquitter de certaines obligations, notamment celles qui consistent à vérifier où se trouve l’enfant et à assurer son retour dans le pays initial, elle prévoit aussi des exceptions sur lesquelles certains pays signataires s’appuient sans aucun scrupule pour ne pas restituer l’enfant enlevé.
Il est donc également très important de favoriser la piste d’une éventuelle coopération bilatérale avec le Japon.
Afin d’encourager le dialogue entre les juges, nous avons conclu de nombreuses conventions bilatérales avec plusieurs pays d’Afrique, avec le Brésil, le Liban et bien d’autres États.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Françoise Laborde. Nous devrions pouvoir y parvenir avec le Japon, d’autant que, depuis quelques années, on a pu noter que le gouvernement de ce pays faisait preuve d’une meilleure écoute. Il a en effet accepté, en 2009, la mise en place d’un comité franco-japonais de conciliation sur l’enfant au centre d’un conflit parental. C’est un début encourageant.
Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, conséquence de la séparation des couples internationaux, les déplacements illicites d’enfants génèrent chaque année environ 400 dossiers, selon la cellule de magistrats français chargés de la médiation familiale internationale. Le cas spécifique du Japon ne doit donc pas faire oublier que des enfants binationaux impliquant d’autres pays subissent le même sort.
Sachant que la continuité du lien de l’enfant avec ses deux parents est essentielle à son épanouissement, les membres du RDSE approuveront à l’unanimité ces deux propositions de résolution. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, mon intervention sera brève. En effet, chacun d’entre nous, en particulier les sénateurs représentant les Français établis hors de France, connaît le contexte ainsi que la situation de nos ressortissants. Je n’y reviendrai donc pas, les auteurs des propositions de résolution les ayant déjà décrits mieux que je ne saurais le faire.
Reste que les deux propositions de résolution qui nous sont soumises cet après-midi sont particulières. Elles ont en effet une portée internationale. Dès lors, il nous importe d’être prudents quant à l’image et au message que la Haute Assemblée délivrera à l’issue de son vote.
Les cas de divorce et de séparation entre les couples franco-japonais et l’éloignement des enfants qui en résulte pourraient porter ombrage à nos relations avec le Japon. Si tel était le cas, nous le déplorerions.
Je tiens à le rappeler solennellement devant vous : le Japon est un pays ami, avec lequel nous entretenons de très bonnes relations. Nous souhaitons fermement que cela continue.
C’est dans cette logique que doivent s’inscrire les présentes propositions de résolution, en particulier celle de notre collègue du groupe UMP Louis Duvernois. Celle-ci doit avant tout être envisagée comme le témoignage de notre amitié envers le Japon. C’est en tout cas de cette façon que le groupe UMP l’entend.
Ces textes démontrent l’attachement de la Haute Assemblée à la bonne tenue des relations franco-nipponnes. Leur examen est l’occasion non seulement pour nous de manifester tout notre soutien au Japon dans son processus d’adhésion à la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international, mais aussi de nous réjouir des démarches entreprises par ce pays.
Avant de conclure, je formulerai un vœu.
Depuis le 1er décembre 2009, les autorités françaises et japonaises ont créé un comité de consultation sur l’enfant au centre d’un conflit parental – nous nous en félicitons –, qui, à ce jour, traite vingt-huit cas.
La création de cette instance est l’illustration même de notre bonne collaboration avec le Japon. Il importe que ce comité, qui s’est réuni au mois de décembre dernier à Paris, poursuive le plus assidûment possible ses travaux, afin que les situations visées trouvent un dénouement raisonnable. Il y va du bien-être des enfants, auquel le Japon est autant attaché que nous, puisque, je le rappelle, nos deux pays ont ratifié la convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard.
M. Jean-Jacques Pignard. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, tout a été dit ou presque.
Connaissant bien le Japon et certains de nos compatriotes confrontés à ce douloureux problème, je voterai, comme tous les membres de l’Union centriste, les propositions de résolution que nous examinons.
Je les voterai, parce que cette initiative du Sénat redonnera de l’espoir à ceux qui l’ont perdu.
Je les voterai pour des raisons humaines, sans ignorer les arguments exposés tout à l’heure par M. du Luart.
Reste que le problème relève non seulement, comme cela a été dit, de la loi ou de la convention de La Haye, mais aussi d’un héritage culturel profondément ancré.
Comme l’indique l’exposé des motifs, et nombre d’orateurs l’ont rappelé, au Japon, l’autorité parentale relève de la mère, le père n’ayant pas vocation à s’occuper des enfants. La signature de la convention de La Haye ne suffira donc sans doute pas à faire évoluer les mentalités, même si, je m’en réjouis, le comité de consultation franco-japonais peut y contribuer.
Je voudrais, moi aussi, signaler le rôle très positif joué par notre ambassadeur Philippe Faure, qui, avec beaucoup de tact, s’est saisi de ce délicat problème.
Pour conclure, j’ajouterais que le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui concerne d’autres pays plus proches de nous où la justice fait parfois obstacle au droit de visite. En Europe, il y a 18 % de couples mixtes et certains connaissent des difficultés analogues à celles des couples franco-japonais. La Commission européenne s’en est d’ailleurs émue récemment.
Je le répète, je voterai ces propositions de résolution, car elles vont dans le bon sens, tout en souhaitant que, un jour, la question des enfants binationaux fasse l’objet d’une étude plus exhaustive dans cette assemblée, afin, notamment, que nos amis japonais n’aient pas le sentiment d’être stigmatisés, ce qui n’est certainement pas l’intention de mes collègues ni la mienne, moi qui suis un amoureux de ce pays. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, en prenant l’initiative de déposer deux propositions de résolution relatives aux enfants franco-japonais privés de lien avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation, le Sénat se saisit d’une question aux enjeux larges et aux répercussions concrètes.
La mondialisation favorise la circulation des personnes, dont la multiplication des couples binationaux est une conséquence. Le nombre accru de séparations ou de divorces en est malheureusement le corollaire, comme le soulignait Mme Lepage.
Aujourd’hui, certains parents n’hésitent pas à déplacer de manière illicite leur enfant, allant même jusqu’à priver l’autre parent de tout contact avec celui-ci. Parmi les couples franco-japonais séparés, une trentaine de cas, monsieur Yung, ont été portés à la connaissance du Gouvernement, mais peut-être en existe-t-il davantage.
MM. Duvernois et Yung, au nombre des auteurs des deux propositions de résolution, ont parfaitement décrit la situation, ses causes, ses complexités et ses difficultés. Face au désarroi et à la douleur qu’elle engendre chez certains de nos compatriotes, nous devons apporter des réponses concrètes et concertées.
De ce point de vue, nous pouvons nous appuyer sur l’excellence des relations entre la France et le Japon, que soulignait M. del Picchia.
Nous devons travailler en confiance, dans le respect mutuel de nos traditions juridiques, en nous gardant de toute ingérence et de toute appréciation hâtive des choix de nos amis japonais.
Nous sommes décidés à obtenir des résultats concrets dans l’intérêt des enfants et de leur père, souvent français.
Les propositions de résolution s’inscrivent en cohérence avec les initiatives prises par le Gouvernement pour renforcer la coopération entre la France et le Japon dans ce domaine.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois que chacun d’entre nous partage le constat : face aux déplacements illicites d’enfants franco-japonais, notre coopération est aujourd’hui dépourvue des instruments juridiques adéquats.
Le Japon n’est pas partie à la convention de La Haye du 25 octobre 1980, comme l’a souligné M. Yung. Il n’est pas non plus lié à la France par un accord bilatéral de coopération judiciaire en matière civile.
En dépit des obstacles juridiques, le Gouvernement s’efforce de trouver des solutions concrètes à la situation de nos compatriotes privés de leur enfant. Il est bien évidemment à leurs côtés.
Le ministère des affaires étrangères et européennes ainsi que le ministère de la justice et des libertés suivent les cas individuels par l’intermédiaire des services diplomatiques et consulaires de la France au Japon. Nous travaillons également en concertation avec les autorités japonaises et en relation étroite avec les associations de défense des intérêts des pères français.
Pour aller au-delà d’un traitement ponctuel de chaque situation, un comité consultatif a été mis en place avec le Japon. À cet égard, je remercie MM. Duvernois et Pignard d’avoir exprimé leur reconnaissance à notre ambassadeur, qui a pris l’initiative de cette création. En effet, monsieur del Picchia, la France a été le premier pays à prendre une telle décision.
Les autorités françaises et japonaises examinent ensemble dans le cadre de cette instance les cas individuels, afin de dégager des solutions concrètes concernant l’exercice du droit de visite consulaire, le rétablissement du lien parent-enfant et la médiation familiale.
Vous l’avez tous souligné, le comité s’est réuni trois fois : aux mois de décembre 2009 à Tokyo, de juin 2010 à Paris et de décembre 2010 à Tokyo. Je tiens à souligner cette régularité. La quatrième réunion doit avoir lieu au mois de juin prochain à Paris.
Le ministère des affaires étrangères et européennes a associé le ministère de la justice et des libertés aux travaux de ce comité, dont nous espérons élargir les moyens d’action, en liaison avec les autorités japonaises.
Mesdames, messieurs les sénateurs, des initiatives ont été prises. Nous avons l’espoir qu’elles porteront rapidement leurs fruits au bénéfice des parents qui se trouvent en situation de détresse.
Aujourd’hui, vous souhaitez aller plus loin.
Pour approfondir la coopération, nous encourageons le gouvernement japonais, ainsi que tous les autres pays non signataires, à adhérer à la convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.
Aujourd’hui, le dialogue progresse entre la France et le Japon. Des efforts importants ont été réalisés pour rapprocher nos positions.
M. Duvernois l’a mentionné, des rencontres ont eu lieu entre les ambassadeurs des pays les plus concernés et les autorités japonaises. Mon prédécesseur avait d’ailleurs évoqué cette question lors de sa dernière visite au Japon au mois de mars dernier.
Des rencontres et séminaires ont également permis de sensibiliser les milieux décideurs japonais aux enjeux réels et au mode de fonctionnement de la convention de La Haye.
Certains d’entre vous l’ont indiqué, des signaux positifs sont à relever. Je pense à la position de l’ancien Premier ministre japonais. Le nouveau ministre de la justice du Japon a marqué sa volonté de faire du dossier de l’adhésion de son pays à la convention de La Haye l’une de ses priorités.
Nous sommes donc en phase avec nos amis japonais.
Les présentes propositions de résolution marquent un pas de plus dans le dialogue engagé entre la France et le Japon.
Ces textes font écho, dans leur esprit et dans leur lettre, à la résolution votée au mois de septembre dernier par la chambre des représentants américaine. Notre pays n’est donc pas le premier à prendre une telle initiative.
Ces textes s’inscrivent également dans le prolongement des actions menées et dans la cohérence avec notre volonté commune de convaincre le Japon d’adhérer à la convention de La Haye, madame Laborde.
La question que tout le monde se pose finalement aujourd'hui est la suivante : quelles sont les voies les plus efficaces de ce dialogue ?
M. du Luart, pour sa part, préconise une démarche plus discrète, si je puis dire, à savoir la voie diplomatique.
M. Roland du Luart. En effet !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. L’action du Gouvernement vise à résoudre les difficultés de nos concitoyens dans le cadre d’un dialogue confiant avec les autorités japonaises.
Les propositions de résolution que nous examinons expriment solennellement la préoccupation du Sénat face aux drames subis par certains de nos compatriotes.
Pour préserver la qualité de notre dialogue, veillons à trouver un juste équilibre entre l’expression de notre solidarité et le respect de la souveraineté du Japon, que personne ne conteste. Tel est le choix qu’il revient à chacune et chacun d’entre vous de faire.
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de votre assemblée, qui a pris l’initiative de ces propositions de résolution, en a débattu très librement, et a écouté avec beaucoup de respect le point de vue des uns et des autres. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…
La discussion générale commune est close.
Nous passons à l’examen des deux propositions de résolution identiques, dont les termes sont les suivants :
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Rappelant que la présente proposition de résolution n’a nullement pour objet de remettre en cause la souveraineté du Japon ;
Affirmant son respect des différences culturelles entre le Japon et la France, ainsi que son attachement aux liens d’amitié qui unissent le Japon et la France ;
Rappelant que le Japon est partie à la convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, dont le préambule rappelle que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine ainsi que l’égalité et le caractère inaliénable de leurs droits sont le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », dont l’article 3, alinéa 1, dispose que dans « toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », et dont l’article 9, alinéa 3, dispose que les « États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant » ;
Rappelant que le Japon est le seul État membre du G7 à n’avoir pas signé la convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfant, qui vise à protéger les enfants des effets nuisibles causés par leur déplacement illicite ou leur rétention au-delà des frontières internationales ;
Rappelant que la législation japonaise ne reconnaît pas, en matière de droit de la famille, le partage de l’autorité parentale après un divorce et limite le droit de visite à l’appréciation du juge aux affaires familiales ;
Rappelant que les parents français font face à d’éprouvantes difficultés dans le cadre des procédures de justice qu’ils ont engagées au Japon ;
Rappelant que certaines décisions judiciaires qui leur accordent un droit de visite ne sont pas systématiquement appliquées en ce qu’elles se heurtent au refus du parent japonais et à l’absence de mesures exécutoires ;
Rappelant qu’il en résulte une situation préjudiciable à une trentaine d’enfants issus de couples franco-japonais qui, suite à une séparation ou à un divorce, se retrouvent privés de tout contact avec leur parent français et de liens avec leur second pays ;
Rappelant qu’il a été démontré que les enfants privés de contacts avec l’un de leurs parents souffrent d’un déficit affectif susceptible de nuire à leur développement personnel ;
Rappelant que les ambassades d’Australie, du Canada, d’Espagne, des États-Unis, de France, d’Italie, de Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni ont, à plusieurs reprises, fait part au gouvernement du Japon de leur inquiétude face à l’augmentation du nombre de cas d’enlèvements parentaux internationaux impliquant des ressortissants japonais ;
Rappelant, comme nous l’avions fait en octobre 2009, auprès de la ministre de la justice Mme Chiba et, en janvier 2010, auprès du ministre des affaires étrangères M. Okada, que nous avons proposé le 22 octobre 2010 au ministre de la justice M. Yanagida de continuer à travailler étroitement avec le gouvernement japonais sur ce sujet sensible ;
Soulignant l’importance de l’avancée que représente la mise en place, le 1er décembre 2009, d’un comité de consultation franco-japonais sur l’enfant au centre d’un conflit parental, chargé de faciliter les échanges et le partage d’informations et de permettre la transmission de documents ;
Souhaite que le comité de consultation franco-japonais sur l’enfant au centre d’un conflit parental soit élargi à d’autres ministères tels que ceux de la justice et des affaires sociales, qu’il puisse auditionner les associations de parents et qu’il ait la possibilité de mener des actions de médiation entre les parents japonais et français ;
Émet le vœu de voir émerger, dans un délai raisonnable, une solution qui, acceptable pour tous, soit respectueuse de l’intérêt supérieur des enfants issus de couples binationaux ;
Appelle de ses vœux le gouvernement du Japon à définir une position sur la question des enfants binationaux privés de liens avec leur parent non japonais ;
Appelle de ses vœux la ratification par le Japon de la convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfant afin de garantir la continuité et l’effectivité du maintien des liens de l’enfant avec chacun de ses parents.
Explications de vote
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble des propositions de résolution identiques, je donne la parole à M. Jean-Pierre Cantegrit, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Le présent débat, délicat et difficile, a été calme, courtois et responsable.
M. Roland Courteau. C’est bien normal !
M. Jean-Pierre Cantegrit. C’est tout à fait normal, en effet, car nous avons évoqué un grand pays, le Japon, ami de la France, dont la civilisation est, pour certains – dont je suis – un modèle. Gardons ce fait à l’esprit.
J’ai bien écouté les différents orateurs. En ma qualité de président d’un groupe d’amitié, je comprends l’intervention de M. du Luart, que j’estime particulièrement et qui a des responsabilités au sein du groupe d’amitié France-Japon, dont je suis membre.
J’ai apprécié également l’intervention du vice-président de la commission des affaires étrangères, Robert del Picchia, qui a calmement exposé les enjeux soulevés par la question que nous examinons.
MM. Yung et Duvernois, représentant, comme moi, les 2,5 millions de Français établis hors de France – je m’attacherai particulièrement à ceux qui vivent au Japon –, ont, avec beaucoup de tact et de délicatesse, abordé ce très grave sujet. Je me réjouis du fait qu’appartenant à des groupes différents, nous ayons une même communauté d’intérêt, ce qui m’a profondément touché.
Si je prends la parole en cet instant, c’est parce que M. Thierry Consigny, vivant au Japon, membre, depuis quelques années, de l’Assemblée des Français de l’étranger et de la Caisse des Français de l’étranger, tout comme moi, et avec lequel je collabore étroitement, m’a alerté sur le point suivant : un certain nombre de nos compatriotes n’ont pas vu leurs enfants depuis quinze ou vingt ans ! Je suis très sensible à son appel.
Et je ne peux qu’être très profondément touché par le suicide, évoqué par nos collègues Yung et Duvernois, de certains de nos compatriotes. Certes, il est très difficile d’affirmer que la cause principale de leur acte est l’absence de contact avec leurs enfants, mais nous constatons néanmoins une corrélation entre ces faits.
Cette situation ne devrait-elle pas inciter ce grand pays ami qu’est le Japon, l’un des rares pays membres du G8 à n’avoir pas pris un tel engagement vis-à-vis de la communauté internationale, à signer la convention de La Haye relative aux enlèvements parentaux ?
Douze ambassadeurs occidentaux, dont celui de France, M. Philippe Faure, que je connais personnellement et que j’apprécie, ont rencontré à trois reprises le ministre japonais de la justice à cette fin. Des centaines de milliers de parents japonais, français, ou d’autres nationalités, appellent de leurs vœux un geste de la France pour accélérer le changement de comportement du Japon sur ce sujet.
Je remercie MM. Yung et Duvernois de leurs propositions de résolution qui, je pense, vont dans le bon sens et que je voterai. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, nous évoquons aujourd'hui – comme viennent de le rappeler les orateurs précédents – un drame humain extrêmement grave, sans, toutefois, que soit remise en cause l’amitié de la France et du Japon.
C’est justement en raison de cette amitié que nous devons dire à ce grand pays, que nous respectons, ce que nous ressentons. Si l’on est ami, on peut s’exprimer ; à défaut, cela signifie que tel n’est pas le cas.
Le présent débat démontre justement la profonde amitié que nous témoignons au Japon.
Je voterai bien entendu ces propositions de résolution. Il faut en effet rendre l’espoir à ceux qui l’ont perdu. Il faut également continuer à agir pour que nos amis japonais comprennent que l’humanité mérite quelques efforts. Comme le dit, si je ne me trompe, un proverbe asiatique, c’est dans le regard d’un ami que l’on peut le mieux se voir et se comprendre. J’invite donc le Japon à le faire. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour explication de vote.
M. Christophe-André Frassa. En mes qualités de membre du groupe d’amitié France-Japon et de représentant des Français établis hors de France, je me suis rendu à deux reprises au Japon, où j’ai pu rencontrer certains pères français qui vivent sur place dans la quasi-clandestinité, du fait de l’interdiction par les autorités japonaises de voir leurs enfants, qui leur ont été soustraits par les familles des mères de ces derniers. C’est, à double titre, un drame, d’une part, pour nos compatriotes, lésés du droit légitime de voir leurs enfants, et, d’autre part, pour ces enfants binationaux, qui, ne bénéficient pas de la double culture de leurs parents.
Toutes les interventions précédentes ont été d’excellente qualité.
S’il est possible de continuer à œuvrer dans le cadre du comité de consultation franco-japonais sur l’enfant au centre d’un conflit parental– je me suis entretenu sur ce sujet avec Philippe Faure, qui a été un pilote dans la mise en place de cette instance –, il convient aussi de montrer à nos amis japonais, pour lesquels nous avons la plus grande estime, que, entre amis, on peut se faire remarquer ce qui ne va pas.
Je tiens à remercier nos collègues Yung et Duvernois d’avoir pris l’initiative de ces deux propositions de résolution, pour lesquelles je voterai. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les deux propositions de résolution identiques qui tendent à permettre aux parents français d’enfants franco-japonais de maintenir le lien familial en cas de séparation ou de divorce.
(Ces propositions de résolution identiques sont adoptées.)
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Demande d'avis sur des nominations
Mme la présidente. Conformément aux dispositions de l’article 28 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat, par lettre en date du 25 janvier 2011, de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière d’énergie sur le projet de reconduction de M. Philippe de Ladoucette à la présidence du collège de la Commission de régulation de l’énergie et de nomination au sein de ce collège de MM. Jean-Christophe Le Duigou et Frédéric Gonand.
Ces demandes d’avis ont été transmises à la commission de l’économie.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt-deux heures dix, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, le débat que nous abordons ce soir, à vingt-deux heures dix, aurait mérité, me semble-t-il, un meilleur traitement.
Quels que soient le jugement, le sentiment, la position de chacun, nous sommes nombreux à considérer, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, que le Sénat se serait honoré d’examiner les questions qui vont être abordées à une autre heure, afin de leur apporter une plus grande clarté.
On prétend vouloir réhabiliter le Parlement, faire en sorte que la voix du Sénat porte ; or, malheureusement, nous devons nous exprimer cette nuit, ...
M. Roland Courteau. En catimini !
M. Jacky Le Menn. C’est anormal !
M. Jean-Pierre Bel. … je ne sais jusqu’à quelle heure, sur un sujet de cette importance. Cette façon de procéder n’est pas à la hauteur des enjeux, et n’est tout simplement pas digne de la Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour un rappel au règlement.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, à mon tour, au nom du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, je veux dire que notre assemblée se serait honorée de programmer ce débat, qui a un caractère historique eu égard à l’importance du sujet traité, au cours d’une séance de l’après-midi, quitte à le poursuivre le soir.
Les règles applicables aux semaines d’initiative parlementaire ont prévalu et nous regrettons vivement que ce débat, qui va certainement se prolonger bien au-delà de minuit, ait lieu dans ces conditions, en catimini. Quoi qu’il en soit, nous ferons en sorte que nos travaux se déroulent dans la plus grande dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour un rappel au règlement.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, le groupe UMP exprime le même regret, compte tenu de l’enjeu du débat et ce, comme l’a dit Jean-Pierre Bel, quelles que soient nos positions sur ce sujet.
M. le président. Acte vous est donné de ces rappels au règlement, mes chers collègues.
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Assistance médicalisée pour mourir
Rejet d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir (propositions de loi nos 65 [2008-2009], 659 [2009-2010] et 31, texte de la commission n° 229, rapport n° 228).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est à l’honneur du Sénat d’avoir ce soir ce débat sur un sujet aussi sensible que celui de la fin de vie, sujet qui fait appel à des convictions morales, religieuses, philosophiques ou éthiques ; et c’est à l’honneur de la commission des affaires sociales, et de sa présidente, d’avoir permis cette discussion en séance publique dont on voit bien qu’elle intéresse énormément nos concitoyens. Je souhaite, tout comme M. le Premier ministre, que ce débat soit calme et serein, dans le respect des convictions de chacun.
Saisie de trois propositions de loi, celle de notre collègue Alain Fouché, membre de l’UMP, celle de notre collègue Guy Fischer et de plusieurs membres du groupe CRC-SPG et celle que j’ai moi-même présentée avec plusieurs membres du groupe socialiste, la commission des affaires sociales a adopté un texte de synthèse relatif à l’assistance médicalisée pour mourir, qui est ce soir soumis au Sénat.
Il n’est ni politiquement ni idéologiquement partisan. Il est issu de propositions de sénateurs de groupes politiques différents, et ne reflète la position unanime d’aucun groupe. Il nous renvoie chacun à nos convictions personnelles en même temps qu’à notre responsabilité de législateur.
La question de la mort assistée relève indissociablement de l’intime et des libertés publiques. C’est donc en revenant au fondement de notre droit que les auteurs des propositions de loi et la commission des affaires sociales ont choisi de l’aborder. Ce fondement, c’est l’autonomie de la volonté.
Consacré en matière civile depuis la Révolution, ce principe a été progressivement étendu à tous et à l’ensemble des aspects de notre vie. Depuis 2002, la loi l’a affirmé comme base de la relation entre le médecin et le malade. Le consentement libre et éclairé est désormais requis pour les actes de soins. Le patient n’a plus à subir passivement les traitements ; il en est acteur à part entière. On doit les lui expliquer, et il peut les refuser ou les accepter. Il est un individu autonome, libre de ses choix et traité en tant que tel.
La proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir marque l’aboutissement du mouvement qui reconnaît la primauté du respect de la volonté individuelle comme principe fondamental de l’organisation de notre société et de la mise en œuvre du soin. En effet, elle vise à mettre fin au paradoxe selon lequel une personne peut prendre l’ensemble des décisions qui orienteront son existence, indiquer par testament ce qu’il doit advenir de ses biens après son décès, mais serait privée d’un tel droit à la fin de sa vie, au moment de sa mort.
M. Jean Desessard. Très bien ! Bravo !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Les éléments favorables et défavorables à la mise en place de la possibilité d’une assistance médicalisée pour mourir sont bien connus. Cela fait trente ans que le débat agite la société française, et le Sénat lui-même a eu l’occasion d’en discuter tant en séance publique qu’au travers des auditions, travaux de réflexion et rapports réalisés par la commission des affaires sociales. Je n’entends pas reprendre l’ensemble des arguments échangés. En revanche, je voudrais simplement insister sur un point : contrairement à ce que l’on entend souvent, l’assistance médicalisée pour mourir ne s’oppose pas aux soins palliatifs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Il est incontestable que la logique des soins palliatifs et celle de l’assistance médicalisée pour mourir sont distinctes.
Les soins palliatifs visent à apaiser la douleur, même si leur délivrance implique éventuellement d’accélérer le moment du décès. L’assistance médicalisée pour mourir tend pour sa part à mettre fin à la souffrance résultant de la perception que la personne a de sa propre situation et à lui ouvrir la possibilité de choisir, le moment venu, les conditions de sa fin de vie. Il existe donc non pas des contradictions, mais des réponses différentes à des demandes qui sont différentes.
D’ailleurs, la présente proposition de loi confie la mission de mettre en œuvre l’aide médicalisée pour mourir non pas aux équipes de soins palliatifs, mais au médecin traitant ou au médecin saisi de la demande, si l’amendement de Mme Dini, la présidente de la commission des affaires sociales, est adopté par notre Haute Assemblée.
Pourquoi les soins palliatifs seraient-ils la seule solution offerte aux personnes en fin de vie ? Pourquoi ceux – ce ne sont évidemment pas les plus nombreux – pour qui l’apaisement de la douleur ne mettra pas fin à leur souffrance et qui décideront, en toute connaissance de cause, de ne pas ou de ne plus recourir aux soins palliatifs ne pourraient-ils pas faire respecter leur volonté de décider du moment de leur mort ?
Mes chers collègues, la lutte contre la douleur est évidemment primordiale, et elle doit le rester. Ce qui favorise la vie et la volonté de vivre doit toujours être privilégié sur le choix de la mort. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », a marqué un progrès important en ce sens. La mise en œuvre de ce texte, qui a pour objet de permettre l’accès universel aux soins palliatifs, est un combat qui, je le crois, nous unit tous.
Mais, pour certains, qui sont en fin de vie, les soins palliatifs, ou du moins leur seule perspective, ne suffiront pas. Pour eux, si telle est leur volonté libre, éclairée, réfléchie et réitérée, dans des conditions strictement encadrées, nous demandons qu’une assistance médicalisée pour mourir soit possible.
C’est donc le double respect de la vie et de la volonté des personnes qui sous-tend la proposition de loi adoptée par la commission des affaires sociales.
Respect de la vie d’abord, car la procédure de mise en œuvre de l’aide que nous avons prévue est strictement définie et encadrée. La demande devra être examinée par des médecins dont le regard sera extérieur et dépassionné ; elle devra être dûment confirmée. Évidemment, elle sera révocable à tout moment.
La commission a également renforcé la priorité donnée aux soins palliatifs en prévoyant que le médecin saisi d’une demande d’assistance médicalisée pour mourir non seulement devra informer le malade – c’est une nouveauté – des possibilités que lui offrent les soins palliatifs, mais également prendra toutes les mesures nécessaires pour mettre effectivement en œuvre ces soins si la personne marque son intérêt. La demande d’assistance médicalisée ne sera donc pas le choix par défaut de ceux qui n’auront pas eu accès aux soins palliatifs.
Respect de la volonté ensuite, car c’est seulement aux personnes majeures et capables que la possibilité de demander une assistance médicalisée pour mourir sera réservée. Aucun mineur, aucune personne légalement protégée ne pourra valablement formuler une telle demande.
La faculté de solliciter une assistance médicalisée sera ouverte à ceux qui, pleinement conscients, en feront la demande quand ils se trouveront dans la situation prévue par la loi du 22 avril 2005, à savoir au stade avancé ou terminal d’une maladie grave et incurable causé par une pathologie ou un accident. En fait, nous ne sortons pas de la loi Leonetti ;…
M. Gilbert Barbier. Un peu quand même !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. … nous la prolongeons.
La même possibilité sera également offerte, par l’intermédiaire des personnes de confiance, aux malades devenus inconscients mais ayant laissé des directives anticipées en ce sens s’ils n’étaient plus en mesure d’exprimer eux-mêmes leur volonté le moment venu. C’est donc toujours la volonté de la personne qui sera respectée, et l’acte délibéré qui lui permettra une mort rapide et sans douleur n’est qu’une faculté mise à sa disposition.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Pourquoi instituer une assistance médicalisée, c’est-à-dire mise en œuvre sous le contrôle et en présence d’un médecin qui aura accepté ?
Tout d’abord parce que, face à la demande de mourir, il faut un regard capable d’évaluer la situation médicale de la personne, un regard suffisamment étranger à l’entourage du malade pour comprendre si la demande d’assistance est véritablement libre, éclairée et réfléchie, le regard d’une personne apte à interrompre à tout moment la procédure d’assistance.
Selon nous, les options consistant à laisser l’assistance à mourir dans la clandestinité, comme c’est malheureusement parfois le cas, ou à la confier au monde associatif, comme cela se pratique en Suisse, sont porteuses de trop d’incertitudes et de risques pour qu’un tel choix puisse être effectué en conscience.
La proposition de loi adoptée par la commission des affaires sociales comporte sept articles.
L’article 1er ouvre aux personnes majeures capables la possibilité d’une aide médicalisée pour mourir, dans le cadre que j’ai précédemment indiqué. Il peut s’agir du stade avancé ou terminal d’une pathologie grave et incurable, quel que soit l’âge, ou d’une souffrance physique ou psychique ne pouvant pas être apaisée ou jugée insupportable par la personne.
L’article 2 offre la faculté aux malades conscients de demander cette aide et définit la procédure applicable : saisine par la personne de son médecin, qui s’adjoint deux de ses confrères pour examiner le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande et la situation médicale du malade.
La première mission de ces médecins sera, je le répète, de proposer, voire d’organiser, l’accès de la personne aux soins palliatifs. Telle est d’ailleurs la pratique actuelle, que nous avons tenue à maintenir et à réaffirmer dans le présent texte.
Si c’est en pleine connaissance de cause que la personne refuse ces soins, les médecins remettront dans les huit jours un rapport écrit pour juger si son état de santé correspond aux critères définis par la loi. Si le rapport est favorable et si, lors de sa remise, le malade persiste dans cette demande en présence de sa personne de confiance, alors seulement l’assistance pourra être mise en œuvre à partir de huit jours plus tard.
Seize jours, c’est une durée longue pour les personnes en fin de vie, mais il faut donner tout le temps à la réflexion pour, le cas échéant, laisser à ce qu’il reste de vie la possibilité de reprendre ses droits. Pour ceux qui estimeront trop long un tel délai, parce qu’ils sont convaincus d’avoir atteint le terme de leur existence, la proposition de loi ouvre la possibilité d’un délai plus court, avec l’accord du médecin.
L’article 3 de ce texte offre la faculté à une personne majeure capable de laisser des directives anticipées, afin que soit demandée pour elle une assistance médicalisée pour mourir si elle est devenue inconsciente.
L’article 4 définit la procédure d’examen de la demande, qui repose sur l’initiative, puis sur la confirmation de la requête par les personnes de confiance. Le délai pour la remise du rapport est le même, mais celui pour la mise en œuvre de l’assistance est plus court – il est de deux jours, et pourra être porté à huit jours, si l’amendement qui a été déposé sur ce point est adopté –, la volonté de la personne inconsciente ayant été établie.
L’article 5 définit la procédure de contrôle mise en œuvre sur les actes d’assistance médicalisée pour mourir. Il instaure une commission nationale et des commissions régionales chargées d’examiner les rapports transmis par les médecins après la mise en œuvre d’une assistance médicalisée. Ce système, fondé sur l’exemple belge, aboutit à la saisine du juge en cas de doute sur le respect des dispositions légales relatives à l’assistance médicalisée pour mourir. Encadrées par la loi et contrôlées par le juge, les pratiques d’assistance médicalisée ne seront pas susceptibles d’entraîner des dérives, comme on pourrait le craindre et comme cela arrive parfois aujourd'hui.
Par ailleurs, l’article 5 prévoit que les personnes ayant été assistées pour mourir dans le cadre de la loi seront réputées mortes de mort naturelle, afin d’éviter toute ambiguïté juridique s’agissant des contrats auxquels elles sont parties. Je vous proposerai sur ce point un amendement de coordination.
L’article 6 dispose qu’aucun professionnel de santé n’est tenu de participer à une assistance médicalisée pour mourir. Cette clause de conscience est usuelle et naturelle, dès lors qu’il s’agit d’un acte ne relevant pas de la thérapeutique ou du soin.
Enfin, l’article 7 prévoit qu’une formation à l’assistance médicalisée pour mourir sera dispensée.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite insister sur un dernier point. La reconnaissance du principe de l’assistance médicalisée pour mourir serait un pas important pour les libertés publiques. Elle permettrait à chacun de rester maître de ses choix et de son corps jusqu’au terme de l’existence.
En conclusion, je suis persuadé que le présent texte apporte une quadruple réponse.
Premièrement, il répond aux souhaits de la personne en lui permettant de rester maître de toutes les décisions concernant la fin de son existence et de la manière dont elle souhaite la vivre avant de disparaître. La volonté du patient doit être absolument respectée.
Deuxièmement, il répond aux médecins confrontés à ces cas douloureux et leur offre un cadre juridique dans lequel ils pourront, en respectant leur clause de conscience, répondre à cette demande d’une manière humaine, sans pour autant se mettre eux-mêmes dans l’illégalité, ce qui est le cas aujourd'hui. En effet, nous le savons bien, il arrive parfois que des médecins accèdent par compassion à la sollicitation pressante de leur patient.
Troisièmement, la proposition de loi répond aux proches, qui finissent parfois par accéder aux souhaits de la personne malade, par amour, en se mettant eux-mêmes en danger devant la justice. En effet, si cette dernière est généralement clémente, elle n’en poursuit pas moins pour meurtre. Il faut mettre un terme à cette situation horrible, le malade, avant de fermer les yeux, réclamant ce geste d’amour tout en ne sachant pas ce qu’il adviendra judiciairement à celui qui va l’aider.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Quatrièmement, le texte que nous examinons répond aux juges, qui souvent font preuve de clémence, mais qui doivent pouvoir apporter une réponse au nom du peuple français, et non pas simplement en leur âme et conscience.
M. Axel Kahn conclut ainsi son livre L’ultime liberté : « Il existe sans doute des circonstances particulières exceptionnelles poussant en conscience quelqu’un, médecin ou proche, à transgresser cette dernière règle », c'est-à-dire « l’interdiction de donner la mort à autrui ». Mais, contrairement à lui, qui suggère d’« instruire leurs cas avec humanité selon le principe d’une société sachant à la fois s’accorder sur des principes et pardonner qui en transgresse la lettre plus que l’esprit », j’estime pour ma part que c’est au législateur de fixer les règles permettant un tel acte de compassion.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. C’est justement pour apporter une réponse républicaine, humaine et humaniste que nous avons l’honneur de vous présenter cette proposition de loi dont nous sommes convaincus qu’elle est l’aboutissement logique d’une réflexion en marche depuis de très nombreuses années. Elle est bien évidemment amendable tant ici qu’à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas un débat comme un autre. J’ai déjà participé à de nombreuses discussions dans cet hémicycle qui se sont tenues à des heures aussi avancées qu’aujourd'hui ; il n’y avait pas toujours autant de monde. (M. René-Pierre Signé s’exclame.) On ne s’écoutait pas non plus de la façon dont on a écouté le rapporteur M. Godefroy, quelles que soient les travées. Je suis certain qu’il en sera de même pour l’ensemble des intervenants.
Comme je vous l’ai dit juste avant de monter à la tribune, monsieur Godefroy, je ne partage pas la position que vous avez exprimée, mais je la respecte. Toutes les personnes qui nous regardent vont assister à un débat digne.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué un certain nombre de sujets sur lesquels nous aurons certainement l’occasion de revenir dans les prochaines heures. Il en est un qui m’a marqué particulièrement : vous avez insisté sur l’autonomie de la volonté. C’est le cœur de votre démonstration, mais c’est aussi sa limite. (MM. Alain Gournac et Paul Blanc opinent.)
En effet, dans un certain nombre de cas, il n’est pas possible d’établir l’autonomie de la volonté. Je pense aux victimes de la maladie d’Alzheimer. Même si une déclaration anticipée a été faite, comment, au moment crucial, peut-on parler de l’autonomie de la volonté ?
M. Jacques Blanc. Il a raison !
M. Xavier Bertrand, ministre. J’ai été sensible à la sincérité de votre démonstration, monsieur le rapporteur, mais votre raisonnement porte en lui sa propre limite comme celle du débat. En définitive, l’enjeu est simple : souhaite-t-on cesser un traitement maintenant un patient en vie – c’est la situation actuelle – ou souhaite-t-on autoriser un acte volontaire en vue d’abréger la vie du patient ?
M. René-Pierre Signé. C’est une non-vie !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce soir, notre droit peut basculer. Pour ma part, je ne souhaite pas qu’il en aille ainsi.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Xavier Bertrand, ministre. J’en suis intimement convaincu, il ne s’agit pas d’un débat comme un autre. Pour un ministre, ce n’est pas un débat que l’on aborde comme un autre débat : c’est un débat qui marque, pour lequel il convient de recenser de nombreux témoignages d’élus et de citoyens. Dans les jours qui l’ont précédé, il m’a été impossible de ne pas demander à mes différents visiteurs comment ils envisageaient la question.
J’ai été étonné de constater – je reviendrai sur la lecture que l’on peut faire des différents sondages – que nos concitoyens, contrairement à l’idée première qui laisserait accroire qu’ils seraient largement favorables à l’euthanasie afin d’abréger les souffrances (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.),…
M. Bernard Piras. Ce n’est pas l’euthanasie !
M. Xavier Bertrand, ministre. … se satisfont en définitive de la législation actuelle si tant est qu’elle puisse être appliquée partout et pour tous ceux qui le souhaitent.
M. René-Pierre Signé. C’est ce que disent les gens qui ne sont pas médecin ! Vous n’avez pas vécu avec des malades !
M. Xavier Bertrand, ministre. La proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir, adoptée par la commission des affaires sociales du Sénat, traite d’une question difficile : celle de la fin de vie et, plus précisément, de l’autorisation à donner volontairement la mort.
Cet acte n’est pas présenté comme une possibilité ultime et exceptionnelle, il est présenté comme une solution de remplacement aux soins palliatifs. La question à laquelle nous devons répondre ce soir est donc celle de savoir si notre société veut décider de légiférer pour s’accorder le droit de donner la mort.
C’est une question radicale. (M. René-Pierre Signé s’exclame.) Comme l’a indiqué le Premier ministre hier, le Gouvernement estime que cette limite ne doit pas être franchie et il n’est donc pas favorable à ce texte. Il ne nous paraît pas, en effet, apporter de réponses adaptées aux questions posées par la fin de vie ni présenter les garanties suffisantes. Ces questions, qui touchent avant tout à l’intime, mais aussi à la responsabilité du législateur, exigent une réflexion approfondie et nuancée sur la valeur que nous donnons à la vie humaine, à la souffrance et à la mort.
Ce texte expose, en outre, à des dérives incontrôlables non seulement les personnes les plus vulnérables, par exemple des malades d’Alzheimer qui ne pourraient plus exprimer leur volonté de façon libre et éclairée (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), mais aussi les médecins et l’ensemble de notre société.
Comme on pouvait le craindre, en voulant apporter des réponses simples à ces questions éminemment complexes, le dispositif prévu par ce texte introduit de la confusion et, pour tout dire, un vrai risque sur un sujet qui n’est pas comme un sujet les autres.
Le texte donne plusieurs définitions de la fin de vie et des procédures applicables, ce qui est source d’insécurité juridique. De plus, les conditions selon lesquelles l’acte de donner la mort pourrait être mis en œuvre ne sont pas assez précises : la proposition de loi ne prévoit aucune obligation explicite de consultation ni même d’information de la famille du malade.
M. Guy Fischer. Mais si !
M. Xavier Bertrand, ministre. Non seulement le dispositif introduit de la confusion, mais de surcroît il est porteur de vrais risques. Il est dangereux, d’abord, pour les droits des personnes en fin de vie : dans la proposition de loi, le contrôle de l’acte de donner la mort serait effectué a posteriori par une commission. Chacun voit bien le risque d’un contrôle aussi tardif, vu le caractère irréversible de l’acte accompli.
Le dispositif prévu est également porteur de risques pour les soignants. S’il s’avère que les exigences du décès assisté par le médecin n’ont pas été respectées, le médecin verra sa responsabilité pénale engagée. Le Conseil national de l’ordre des médecins a d’ailleurs exprimé son rejet de cette proposition de loi. (M. René-Pierre Signé s’exclame.) Il est clair que ce texte ne serait pas sans conséquences dans la relation de confiance entre le soignant et le soigné. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je reprendrai sur ce sujet les propos du professeur Lantieri, auteur de la première greffe totale du visage : « voter une loi autorisant l’euthanasie,…
Mme Raymonde Le Texier. Qui parle d’euthanasie ?
M. Xavier Bertrand, ministre. … c’est nier les possibles progrès de la médecine. […] Notre tâche est d’accompagner le patient vers sa mort, et non de la provoquer ». (Applaudissements sur la plupart des travées de l’UMP.)
Voilà pourquoi, au-delà des réserves de principe sur le bien-fondé d’une telle autorisation à donner la mort, cette proposition de loi ne saurait répondre aux questions posées par la fin de vie.
Soyons clairs, il ne s’agit nullement pour qui que ce soit, et surtout pas pour le Gouvernement, de nier la souffrance des personnes en fin de vie et de leurs proches. Nous avons tous en mémoire certains cas douloureux comme celui de Vincent Humbert. Mais nous devons avoir l’honnêteté de reconnaître que même un tel texte n’aurait pas permis d’apporter une solution dans ce cas précis.
Un sénateur du groupe socialiste. Mais si !
M. Xavier Bertrand, ministre. Absolument pas !
Le principe d’autonomie de la volonté, encore et toujours ! Devant de tels drames humains, j’en ai bien conscience, l’émotion et la compassion sont légitimes. Pour autant, nous ne devons pas nous tromper de débat.
J’entends dire que les Français seraient majoritairement favorables à l’euthanasie. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. René-Pierre Signé. Il ne s’agit pas d’euthanasie !
M. Roland Courteau. Changez de vocabulaire !
M. Xavier Bertrand, ministre. D’après les sondages, 94 % des Français approuvent une législation qui permettrait l’euthanasie,…
Mme Raymonde Le Texier. C’est le ministre qui parle d’euthanasie !
M. Xavier Bertrand, ministre. … mais 36 % d’entre eux, seulement, pensent que la mesure ne devrait s’appliquer qu’en cas de souffrance insupportable et insurmontable !
Si l’on examine les sondages dans le détail et que l’on précise le sens des mots, 60 % des Français préfèrent le développement des soins palliatifs à la légalisation de l’euthanasie. (M. Alain Gournac opine.) Cette proportion s’élève à 75 % chez les plus de soixante ans. (M. Alain Gournac opine de nouveau.) Par ailleurs, 68 % des Français, soit plus des deux tiers d’entre eux, ne savent pas aujourd'hui qu’il existe une loi interdisant l’acharnement thérapeutique.
M. Guy Fischer. À qui la faute ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Telle est la réalité !
Ces chiffres nous permettent de mesurer les avancées à réaliser, mais aussi les difficultés rencontrées pour faire connaître la loi Leonetti du 22 avril 2005. Quoi qu’il en soit, je préfère mesurer le chemin qu’il reste à parcourir plutôt que de me tromper de chemin. Voilà aussi le choix que le Gouvernement souhaite proposer ! (Applaudissements sur la plupart des travées de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
Les Français veulent que l’on accompagne la fin de vie en soulageant le plus possible la souffrance, ils ne souhaitent pas que l’on donne la mort, et ce n’est pas du tout la même chose !
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce qui est en jeu, c’est, pour chacun d’entre nous, l’angoisse de souffrir. L’euthanasie est synonyme d’apaisement des souffrances. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.)
M. Roland Courteau. Euthanasie n’est pas le mot !
M. Xavier Bertrand, ministre. Or les soins palliatifs permettent d’apaiser ces souffrances. Concrètement, il y a trois aspects cruciaux sur lesquels les soins palliatifs permettent d’agir efficacement : soulager la douleur physique, accompagner la peur de la solitude et prendre en compte le sentiment d’indignité, c’est-à-dire le sentiment terrible de ne plus servir à rien, de peser sur son entourage, d’être une charge pour la société. Là, l’accompagnement psychologique, mais aussi, bien sûr, l’accompagnement de la famille et des proches jouent un rôle essentiel. Les soins palliatifs savent faire cela.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. René-Pierre Signé. Non !
M. Jacques Blanc. Si !
M. René-Pierre Signé. Les soins palliatifs, ce n’est pas ça !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, ce n’est pas d’une loi qui autorise à donner la mort, c’est d’une application de la loi actuelle, celle du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l’UMP. – M. Guy Fischer s’exclame.) Monsieur Fischer, j’apporterai des éléments de réponse sur ce point.
M. Bernard Piras. Nous aussi, nous en apporterons !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je l’ai dit : plus des deux tiers des Français ignorent que cette loi existe.
Un sénateur du groupe socialiste. C’est la faute de l’opposition ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Xavier Bertrand, ministre. Elle apporte pourtant des réponses adaptées aux situations de fin de vie. Elle proscrit l’obstination déraisonnable de soins, elle autorise la limitation ou l’arrêt de traitements, ainsi que l’usage des antalgiques. Cette loi reconnaît également le droit du malade à demander une limitation ou un arrêt du traitement. Les choses sont prévues dans la loi.
M. René-Pierre Signé. Il faut l’appliquer !
M. Xavier Bertrand, ministre. Lorsque le malade est inconscient, la loi dispose que sa volonté doit être respectée telle qu’elle a été exprimée préalablement ou au travers du témoignage de sa famille et de ses proches.
La volonté du Gouvernement est donc claire : développer les soins palliatifs et refuser l’acharnement thérapeutique. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.)
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas la même chose !
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous allons donc poursuivre le programme de développement des soins palliatifs et la prise en charge des personnes en fin de vie.
M. Bernard Piras. Bla-bla-bla !
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Président de la République a fait du pilotage du programme de développement des soins palliatifs une priorité absolue en juin 2008. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Piras. Ah ! voilà !
Un sénateur du groupe socialiste. Avec tant d’autres !
M. Bernard Piras. Il ne faut pas mentir, alors !
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas le sujet du débat !
M. Xavier Bertrand, ministre. … a été confié au docteur Régis Aubry, spécialiste reconnu dans la prise en charge palliative. Il prévoit, en particulier, d’augmenter en quatre ans, de 2008 à 2012, significativement le nombre de patients en fin de vie pris en charge et de créer 1 200 lits de soins palliatifs dans les hôpitaux. Nous sommes en train d’atteindre ce dernier objectif (M. René-Pierre Signé s’exclame.), notamment en fléchant des crédits pour la mise en place des soins palliatifs dans les établissements de santé. L’idée est d’éviter d’attribuer des crédits qui, au dernier moment, pour des questions de priorités locales, seraient alloués à d’autres missions. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.) C’est l’engagement que je prends en tant que ministre de la santé.
Monsieur le rapporteur, un des enjeux est de permettre aux soins palliatifs – dont vous parlez – d’être une réalité dans les établissements. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.) J’ai bien conscience, au moment où nous avons ce débat, que nous devons prendre des engagements renforcés sur ce point. Il ne s’agit pas pour moi d’annoncer l’ouverture de 1 200 lits, il s’agit de faire en sorte que les patients et les familles concernés puissent en bénéficier. (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
Le Gouvernement s’est également engagé à appliquer les recommandations issues du rapport de Jean Leonetti de décembre 2008 sur la fin de vie. Ainsi, la loi du 2 mars 2010 a institué une allocation d’accompagnement d’une personne en fin de vie. C’est important pour certains aidants.
Nous devons aussi approfondir le débat sur la prise en charge de la fin de vie. Je compte sur l’Observatoire national de la fin de vie, créé en février 2010, pour promouvoir les travaux de recherche sur l’euthanasie et le suicide assisté. Vous le savez, certaines études sont d’ailleurs déjà en cours, dont nous connaîtrons les résultats dès le mois de septembre prochain, soit très rapidement. Nous devons notamment analyser attentivement les expériences étrangères : en Belgique, par exemple, cette pratique est légale, mais seulement 53 % des cas d’euthanasie sont rapportés au comité de contrôle. Cela signifie donc que 47 % des euthanasies sont pratiquées en dehors du cadre légal. Chacun doit par conséquent bien mesurer les risques encourus si nous adoptions un dispositif moins précis que celui qui est aujourd’hui en vigueur en Belgique.
Les études indépendantes dont nous disposons, réalisées dans d’autres pays, permettent de porter un regard objectif sur ce qui s’est passé dans les pays d’Europe qui ont changé non pas le système de prise en charge de la fin de vie, mais le système de fin de vie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous en avons bien conscience : derrière les textes, il est avant tout question de situations de souffrance, insupportables pour les malades et pour leurs proches. Nous avons tous reçu de nombreux témoignages – vous êtes élus, je le suis également. Bien souvent, ce sont des témoignages que l’on porte dans sa chair ou dont on se dit que l’on devra un jour les rapporter, pour soi-même ou pour ses proches.
Il est important aussi, ce soir, de faire preuve d’une réelle pédagogie sur ce sujet. Marie de Hennezel disait en effet que « les propositions de loi sur l’euthanasie fleurissent sur le terreau de la méconnaissance ». En tant que parlementaires, vous connaissez le dossier ; vous-même, monsieur le rapporteur, vous le suivez depuis longtemps. Voilà pourquoi je respecte la position que vous défendez, même si je ne la partage pas. Quelles que soient nos convictions, nous devons, bien entendu, écouter avec respect les arguments de chacun et ne pas nous en tenir à des idées toutes faites, dans ce débat qui, à mon sens, n’a rien de partisan. Je me souviens d’ailleurs qu’avant l’adoption de la loi Leonetti un travail avait été réalisé en commun par deux parlementaires, Nadine Morano et Gaëtan Gorce, ce qui montre bien que ce sujet dépasse et transcende les clivages politiques. Quelles que soient nos opinions, nous devons choisir de privilégier la réflexion et la conviction, plutôt que l’émotion et la précipitation.
En effet, notre responsabilité consiste à mieux répondre aux souffrances, à protéger les personnes vulnérables, et non à donner volontairement la mort à autrui. C’est ainsi que nous répondrons de la façon la plus juste et la plus digne au difficile débat sur la fin de vie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet ainsi que MM. Gilbert Barbier et Jean-Marie Bockel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard. (Mmes Fabienne Keller et Christiane Kammermann ainsi que M. Pierre Hérisson applaudissent.)
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du débat, permettez-moi de vous dire à quel point j’apprécie d’avoir rejoint les rangs de la commission des affaires sociales.
Sur les trois propositions de loi qui ont été soumises à discussion commune, notre débat en commission a été, je tiens à le dire, respectueux des personnes et des convictions. Je tiens à remercier notre présidente, Mme Dini, qui a su maintenir cet esprit de sérieuse réflexion. Les législateurs que nous sommes ont pleinement conscience que ce sujet est grave et qu’il mêle intimement l’éthique, le juridique et le sociétal.
Permettez-moi également de saluer, avec beaucoup d’émotion, le travail tout à fait remarquable effectué par le président Nicolas About,…
M. Daniel Raoul. Il est où ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. Il est à bout ! (Même mouvement.)
Mme Valérie Létard. … dont le jugement perspicace, la capacité d’écoute et le souci d’apporter des solutions mesurées vont, à n’en pas douter, nous manquer. Mais la réflexion engagée par le groupe de travail sur la fin de vie constitué sur son initiative demeure. Ce groupe de travail a apporté une contribution très riche à ce débat et je tenais à le remercier de la justesse des pistes qu’il a tracées.
Enfin, permettez-moi aussi de saluer la qualité du travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Godefroy. Quelle que soit l’issue finale de nos débats, sa contribution pour faire avancer la prise en compte de la fin de vie dans un sens toujours plus respectueux des volontés exprimées par les patients ajoute une pierre utile à notre réflexion commune.
Revenons à la question de l’aide médicalisée à mourir. Ce débat est, je le crois, nécessaire, et c’est tout à l’honneur de notre Haute Assemblée d’avoir eu le courage de l’ouvrir.
Cette question n’a pas surgi par hasard : elle s’est développée avec les progrès indéniables de la médecine. Une vision parfois très technicienne de celle-ci s’est avérée de plus en plus inadaptée au moment de la fin de vie, où la possibilité de soigner pour guérir n’existe plus. La médecine a dû s’adapter : la mort survient désormais, le plus souvent, au terme d’un long processus de souffrance et de déchéance physique, parfois dans une détresse psychique et morale qui atteint le malade comme ses proches. Qui ne connaît l’état d’épuisement des accompagnants, au point que nous avons choisi, à juste de titre, d’instaurer un congé spécifique et, depuis la loi du 2 mars 2010, de le rémunérer, grâce une allocation d’accompagnement de la personne en fin de vie ?
Faisant suite à plusieurs textes, dont la proposition de loi adoptée sur l’initiative de notre ancien collègue Lucien Neuwirth, qui avait été un précurseur, la loi du 22 avril 2005, dite « loi Leonetti », s’est attachée à stopper l’acharnement thérapeutique, à mieux informer le patient, à mieux prendre en compte aussi sa volonté et à promouvoir un accès généralisé aux soins palliatifs. Cette loi constitue une avancée majeure. Puis-je rappeler que l’ensemble du groupe de l’Union centriste avait, en 2005, apporté son soutien à ce texte ?
Que constatons-nous, six ans après l’adoption de cette loi ? Malgré le volontarisme du Gouvernement et les plans successifs pour augmenter le nombre de places dans les services de soins palliatifs, beaucoup de malades et de leurs proches ne trouvent ni l’information dont ils ont besoin ni une prise en charge adaptée.
M. Guy Fischer. Effectivement !
Mme Valérie Létard. Trop peu sont entourés de personnels formés et capables de leur apporter le réconfort psychique comme physique dont ils ont cruellement besoin.
Un sénateur du groupe socialiste. Tout est dit !
Mme Valérie Létard. Nous constatons également un trop grand décalage entre l’affichage de créations de places nouvelles et, dans les faits, des moyens trop insuffisants fléchés spécifiquement sur les soins palliatifs. (M. Bernard Piras s’exclame.) Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, et je vous donne acte de votre engagement, le Gouvernement fait effectivement un effort de fléchage des crédits sur les soins palliatifs, mais nous devons rester extrêmement vigilants, à l’avenir, afin que ces crédits ne se perdent pas dans les dotations globales versées aux hôpitaux,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
Mme Valérie Létard. … qui pourraient être parfois tentés de les utiliser à d’autres fins, parce qu’ils font face à des urgences de toute nature. Il faut donc réaffirmer la nécessité d’être présent à ce rendez-vous, cet aspect me paraît très important.
Nous constatons enfin que trop peu de professionnels se sont approprié cette loi dans toutes ses dimensions.
Si ce débat sur ce que beaucoup ont choisi de renommer « légalisation de l’euthanasie » perdure, c’est bien le signe que les progrès accomplis n’ont pas encore permis de prendre en compte toutes les détresses de la fin de vie. Pour ma part, je ne crois pas que la commission des affaires sociales, en examinant ces propositions de loi, ait choisi d’ouvrir un débat sur l’euthanasie en général. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.) Notre commission s’est juste rendue à l’évidence que certaines situations n’étaient pas réglées par les dispositions de la loi Leonetti.
M. Jean Desessard. Voilà !
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
Mme Valérie Létard. En instaurant la généralisation des soins palliatifs, nous avons, en même temps, reconnu que le patient en fin de vie avait droit à la parole et qu’il était acteur de sa vie jusqu’au bout.
M. Jean Desessard. Voilà !
Mme Valérie Létard. Cela suppose que, dans ces situations, la décision ne soit plus seulement entre les mains des soignants : cette décision se partage. À n’en pas douter, une véritable évolution culturelle doit faire son chemin : un patient qui accepte d’être davantage maître de son destin, un soignant attentif à la volonté exprimée par le soigné.
Tels sont, pour moi, les termes du débat. Ils méritent d’être abordés en évitant, de part et d’autre, les crispations, les anathèmes et les caricatures. Oui donc au débat, parce que nous nous rassemblons tous sur un point : nous voulons collectivement que notre société permette aux personnes de « bien » mourir et que la mort cesse d’être escamotée, mais puisse au contraire être partagée, accompagnée, réintégrée dans le processus de la vie dont elle ne constitue que l’ultime étape. Telles sont les raisons qui m’ont incitée, tout comme Nicolas About dont je partageais l’avis, à voter l’article 1er de la présente proposition de loi en commission.
En votant cet article, j’ai aussi souhaité que l’on reconnaisse les « zones grises » que notre législation a laissé perdurer. Notre collègue Sylvie Desmarescaux nous a proposé, hier soir, de visionner un témoignage sur le fonctionnement de la maison médicale Jeanne Garnier. Ce film, Les yeux ouverts, comprend une séquence où une équipe médicale choisit, à la demande d’un malade, d’interrompre un traitement, entraînant trois jours plus tard le décès de la personne. N’est-ce pas, si l’on veut bien y réfléchir, une certaine forme d’assistance à mourir ? Celle-ci est légale, d’autres ne le seraient pas. Pour moi, la limite entre les deux doit cependant susciter notre interrogation, car elle appelle la réflexion et le débat. Mais pour qu’il y ait débat, encore faut-il savoir quelle est exactement la situation aujourd’hui en France.
M. le président. Il faut songer à conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Létard. Nous avons besoin d’un état des lieux qui permette de connaître quelles sont les pratiques, quelles sont les dérives, quelles conséquences nous serions en droit d’attendre d’un changement de la législation. À ce niveau-là, il faut reconnaître que nous ne disposons pas d’une photographie précise de ce qui se passe. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Mme Isabelle Debré. C’est fini !
Mme Valérie Létard. L’Observatoire de la fin de vie, créé en 2010 seulement, ne dispose pas encore des données suffisantes pour nous renseigner.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Valérie Létard. Nous avons donc besoin d’études complémentaires afin de nous permettre de nous positionner avant l’adoption d’un texte comme celui que nous examinons ce soir. Aujourd’hui, rien n’est réglé. Il nous faut maintenant, parce que de nombreuses situations demandent effectivement… (Nouvelles marques d’impatience sur les mêmes travées.)
M. le président. Ma chère collègue, il faut conclure !
Mme Valérie Létard. Si vous le permettez, monsieur le président, puisque, sur un sujet aussi difficile, je ne peux pas aller au bout de mon propos (Protestations sur les travées de l’UMP.) ni le démontrer, je conclurai par deux phrases.
Il y a encore place pour la réflexion, afin que les prescriptions d’une telle loi apportent toutes les garanties face à des situations d’infinie fragilité où doivent se combiner protection et respect des volontés de la personne. Les débats autour de la loi Leonetti montrent bien qu’il reste des situations auxquelles la législation actuelle ne répond pas complètement. Tôt ou tard, cette loi devra être complétée.
Le mérite du Sénat est d’ouvrir le débat. Nous devons continuer à le faire vivre jusqu’à ce que se dégage un consensus suffisamment fort. C’est la raison pour laquelle, bien que favorable au principe contenu dans l’article 1er de cette proposition de loi, je m’abstiendrai lors du vote final (Ah ! sur les travées de l’UMP.), tout simplement parce que je pense que la loi Leonetti doit être complétée et mieux appliquée. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste et du groupe socialiste. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. Jacques Blanc applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui n’est pas, loin s’en faut, le premier sur la fin de vie, mais, parce qu’il nous renvoie à nos convictions profondes, à notre approche personnelle – je dirais même viscérale – de la vie et de la mort, il reste toujours aussi vif et lourd de sens pour chacun d’entre nous.
Les heures que nous consacrons à ce thème difficile de la fin de vie sont utiles et ne sont pas sans nous rappeler ce qu’Albert Camus appelait « l’absurdité de la condition humaine ». Finalement, ce qu’il y a de plus révoltant dans la vie, c’est la mort – la nôtre, évidemment, mais aussi, et peut-être surtout, celle de nos proches. En dehors de toute considération religieuse, c’est bien la conscience de cette mort inéluctable qui permet aussi à l’homme de goûter les moments présents.
Les auteurs des propositions de loi, réunies en un seul texte, veulent légaliser une procédure d’euthanasie prônant des principes de respect et de dignité de la personne.
Mme Raymonde Le Texier. Encore l’euthanasie !
Mme Sylvie Desmarescaux. À mon sens, cette approche de la fin de vie n’est ni complète ni sereine. Rendre effectif et équitable l’accès aux moyens antalgiques, accompagner les personnes et leurs proches lorsque la vie arrive à son terme et favoriser le développement des soins palliatifs me semblent, en effet, davantage coïncider avec une approche « globale » de la fin de la vie. Autour de ces défis, mes chers collègues, nous avons un combat profondément « politique » à mener, une vision du « vivre ensemble » à défendre et à faire progresser. Tels me semblent être les engagements à tenir ; nous le devons, en tant que législateurs, à nos concitoyens.
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a permis, chacun en convient, de réelles avancées en consacrant, notamment, le principe d’obstination déraisonnable et le droit au refus d’un traitement.
En 2005, l’hypothèse d’une légalisation de l’euthanasie, c’est-à-dire de l’injection de substances létales visant délibérément à faire mourir, avait été écartée. Parce qu’elle est constitutive du socle sur lequel notre société repose, cette différence éthique fondamentale entre le fait de donner la mort et celui de ne pas l’empêcher à tout prix doit être maintenue.
M. Jacques Blanc. Très bien !
Mme Sylvie Desmarescaux. Notre rôle de législateur sera rempli si nous appréhendons le débat sur la fin de vie de façon générale, et non au travers du seul prisme de l’euthanasie. (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
Il n’est, à mon sens, ni du rôle de la loi ni de notre devoir de parlementaires de mettre en place, sans connaissance préalable des conséquences qu’ils emportent, des mécanismes permettant de mettre délibérément un terme à la vie. Celle-ci est un bien trop précieux !
Depuis quelques années, on observe les prémices d’une véritable diffusion de la « culture palliative ». Tout doit être mis en œuvre pour continuer à avancer dans cette voie. Les actions en matière de développement de l’offre de soins palliatifs, à l’hôpital, en ville, dans les établissements d’accueil pour personnes âgées ou handicapées, doivent effectivement être poursuivies.
Je tiens d’ailleurs à saluer ici le travail formidable réalisé par ces équipes auprès des patients et de leur famille en termes d’accompagnement et de soutien. Au regard de la qualité des soins dispensés aux patients et de l’accompagnement proposé aux proches, il n’est pas rare de constater qu’une personne qui demande à mourir change d’avis quelques jours plus tard.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, mes chers collègues, je l’ai vécu avec ma fille. Mes propos ne sont donc pas des paroles rapportées. Notre fille est morte dans la dignité parce qu’elle a fini sa vie entourée de personnes convaincues de sa dignité, malgré sa maladie et en dépit de ses souffrances.
Pour les raisons que je vous ai exposées, il ne me semble pas que le débat sur la fin de vie doive se résumer à la question de la légalisation, ou non, de l’euthanasie. En revanche, il doit être appréhendé dans son ensemble, avec toute l’humanité que nous devons au sujet.
De plus, nous ne disposons pas en l’état actuel de connaissances suffisantes pour investir de façon optimale ce débat. Des données factuelles précises devraient émerger des travaux de l’Observatoire national de la fin de vie, mis en place en septembre dernier.
Loin de sondages reflétant une réalité aléatoire, il est également essentiel, à mon sens, qu’un débat sociétal puisse avoir lieu et que les avis des acteurs du système de soins, mais également des malades eux-mêmes, soient connus. Il ne s’agit d’ignorer ni la souffrance ni la douleur ; il est question de prendre le recul nécessaire pour poser les bonnes questions et y apporter des réponses, certes concrètes, mais aussi – et surtout – mesurées.
M. Jean Desessard. D’accord ! Mais lesquelles ?
Mme Sylvie Desmarescaux. Aussi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur la plupart des travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé par M. Xavier Bertrand, 94 % des Français seraient favorables à une légalisation de l’euthanasie, selon un sondage de l’IFOP réalisé en octobre dernier.
Ce chiffre se veut convaincant pour certains,…
M. Guy Fischer. Nous ne l’avons pas utilisé !
M. Gilbert Barbier. … mais chacun ici sait que le résultat est souvent affaire de formulation. Quand on propose la mort sans souffrance, je suis personnellement surpris que 57 personnes sur les 956 interrogées se prononcent contre.
A également été évoqué le sondage d’OpinionWay dans lequel 60 % des Français déclarent préférer le développement des soins palliatifs à la légalisation de l’euthanasie, 52 % estimant même qu’une loi légalisant cette démarche comporterait des risques de dérives.
Mes chers collègues, je ne pense pas qu’on peut sérieusement se fier aux sondages pour répondre à un problème aussi complexe et aussi sensible que celui que rencontre chacun d’entre nous face à la mort. Le sujet dont nous traitons aujourd’hui mérite un peu plus de dignité et de respect !
J’ai par exemple entendu, dans mon département, le président de l’association défendant cette proposition de loi dénoncer régulièrement les « voleurs de liberté » que seraient notamment les médecins parlementaires, « sourds à la souffrance de leurs semblables et partisans de l’acharnement thérapeutique ».
M. Gilbert Barbier. J’étais médecin, je suis parlementaire et je m’oppose à la légalisation de l’euthanasie : je serais donc un « voleur de liberté »… Soit, mais qu’il me soit permis au moins d’en donner les raisons !
En réalité, nombre de nos concitoyens trouvent une justification à l’euthanasie dans une analyse ou une tentative d’analyse de leur propre mort. Les sondages nous disent une seule chose, toute simple : « je ne veux pas souffrir ». Nous sommes à peu près tous dans cette disposition.
Toutefois, la question posée aujourd’hui n’est pas celle de notre propre mort, dont Freud disait qu’il nous est absolument impossible de nous la représenter car « toutes les fois que nous l’essayons, nous nous apercevons que nous y assistons en spectateurs [et], dans son inconscient, chacun est persuadé de sa propre immortalité ».
La question est de savoir si la société doit reconnaître un droit à l’aide active à mourir – soyons clairs, un droit de tuer (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Appelons les choses comme elles doivent l’être ! – au nom de la dignité du malade et du respect de sa volonté.
Il s’agit bien de cela dans la proposition de loi qui nous est présentée. Au-delà des intentions sans doute sincères, au-delà des précautions de langage, reste le fait que c’est bien un tiers qui dispose d’une vie qui n’est pas la sienne, fût-ce dans des circonstances limitées et avec l’accord de l’intéressé.
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh alors ?
M. Gilbert Barbier. C’est pour le moins curieux dans un pays qui a voté, voilà trente ans, l’abolition de la peine de mort !
M. René-Pierre Signé. Voilà autre chose !
M. Gilbert Barbier. Je dois dire que l’expression retenue par les auteurs de cette proposition – « assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur » – a quelque chose de maladroit, voire de glaçant. Elle peut rappeler des pratiques très anciennes. (Oh ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Ce ne sont pas les termes « assistance médicalisée » qui permettent de s’affranchir de la violence de l’acte.
M. Bernard Piras. Ce n’est pas sérieux !
M. Gilbert Barbier. Dans Une mort très douce, Simone de Beauvoir disait à propos de sa mère, une vieille femme au bout du temps : « Il n’y a pas de mort naturelle. [Toute mort est] une violence indue. » Bien qu’athée, elle avait bien noté la contradiction essentielle de la condition humaine : même naturelle, la mort est un scandale.
Alors, en quoi une fin de vie rapide, donnée par autrui, garantit-elle une fin de vie calme et digne ?
L’amalgame que font certains entre euthanasie et droit à mourir dans la dignité est d’ailleurs inacceptable. Qui s’aviserait de dénier ce droit à quiconque ? Faut-il rappeler que la dignité est un caractère intrinsèque de toute personne, qu’elle est la même pour tous et n’admet pas de degré ? Selon le philosophe Paul Ricœur, cette notion renvoie à l’idée que « quelque chose est dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain ».
On veut respecter la volonté des personnes, mais le souhait d’en finir pour ne souffrir ni physiquement ni psychiquement relève d’une forme de névrose obsessionnelle (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.), qui habite chacun d’entre nous, de ne pas avoir à se trouver face à la mort. C’est peut-être la rançon des avancées techniques, mais c’est aussi, comme le disait François de La Rochefoucauld, parce que « le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ».
Quoi qu’il en soit, ce souhait peut varier en fonction de tel ou tel soulagement, information ou événement extérieur. Les malades en fin de vie peuvent vouloir épargner leurs proches par une demande qui ne correspond pas forcément à leur désir profond.
Enfin, on aurait pu croire que ce texte satisfasse les idéologues voulant sortir la société de l’obscurantisme du corps médical et laisser l’individu maître de sa destinée. En fait, il n’en est rien ! La proposition de loi remet encore la décision finale et le geste de l’euthanasie sous la responsabilité des médecins, dans une procédure bien complexe d’ailleurs.
Il leur appartiendra donc toujours, au-delà des lois, de respecter ou non le serment d’Hippocrate qui, dans sa version originale, dit : « jamais je ne remettrai du poison, même si on me le demande, et je ne conseillerai pas d’y recourir ».
Il y a bien d’autres points à développer dans cette discussion et je ne manquerai pas de les aborder lors de l’examen des articles, en toute indépendance d’esprit, car je ne suis à la solde de personne.
Mes chers collègues, je respecte les opinions de chacun d’entre nous dans ce débat de société. Je m’exprime ici en confiance, comme je l’ai fait en 1979, par exemple, en soutenant Simone Veil dans son combat en faveur de l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG.
M. René-Pierre Signé. Avec les voix des socialistes !
M. Gilbert Barbier. Ma position ne se veut pas fermée à toute détresse et dans ma profession, croyez-moi, j’en ai rencontré.
La loi Leonetti de 2005 et l’article 37 du code de déontologie médicale, récemment complété, condamnent l’obstination déraisonnable et recommandent l’utilisation de tous les moyens nécessaires au soulagement des douleurs et à l’apaisement des angoisses terminales. Ces moyens existent et, s’ils ne sont pas mis en œuvre, c’est par méconnaissance des dispositions légales ou même manque de culture palliative. Ce n’est pas pour cette raison que, demain, il faut autoriser à tuer ! (Applaudissements sur la plupart des travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme d’autres viennent de l’exprimer, je fais le vœu que le débat qui nous réunit aujourd’hui soit le plus apaisé possible, que de part et d’autre on évite les anathèmes, les amalgames grossiers, les raccourcis dangereux, et que l’on considère tous les intervenants, dans la pluralité de leurs propos et de leurs convictions, pour ce qu’ils sont : des femmes et des hommes ayant des positions personnelles en la matière et souhaitant les défendre.
Je voudrais d’ailleurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, remercier chacun des membres de mon groupe pour avoir, durant nos propres échanges, donné corps à ce principe. Je veux leur dire que, par respect pour celui qu’ils m’ont témoigné, je comprends leurs questionnements et leurs doutes.
À vous tous, mes chers collègues, ainsi qu’à celles et ceux qui suivent aujourd’hui nos débats – ils sont nombreux, j’en suis certain –, je dirai qu’en intervenant devant vous je me fais seulement le porte-parole d’hommes et de femmes partageant certaines convictions, et non celui d’un groupe ou d’un parti.
C’est la raison pour laquelle je me retrouve dans les interventions ou les prises de position de certains de mes collègues du groupe UMP ou de l’Union centriste, avec qui nous sommes très souvent en opposition dès lors qu’il s’agit d’économie, de fiscalité, de politique des territoires ou de droits sociaux.
Naturellement, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait rendu possible, et ce par une majorité importante de ses membres, l’examen de cette proposition de loi. Il s’agit d’un texte de consensus issu des trois propositions de loi initialement déposées, celle de M. Jean-Pierre Godefroy et d’une partie des membres du groupe socialiste, celle de M. Alain Fouché et celle que j’ai moi-même déposée, avec mon ami François Autain et quelque dix-huit autres membres du groupe CRC-SPG.
L’adoption par la commission des affaires sociales de la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner ce soir ainsi que le débat qui va suivre ne marqueront pas la victoire d’un camp sur un autre. Si nous avons été nombreux à nous réjouir du sort que la commission a réservé aux textes que nous avions déposés, c’est parce que, d’une part, la commission n’a pas entravé par son vote le droit des parlementaires à légiférer et que, d’autre part, elle a permis que soit abordé en séance publique un sujet aussi important pour chacun d’entre nous, quelle que soit notre position.
Mes chers collègues, c’est en républicain, en laïc et en citoyen que je m’exprime devant vous pour défendre cette proposition visant à inscrire dans la loi la possibilité pour celles et ceux de nos concitoyens qui, « en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, [leur] infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou [qu’ils jugeraient] insupportable » voudraient, en pleine connaissance de cause, bénéficier dans des conditions très particulières, précises et encadrées d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort sans douleur et plus rapide que celle qui peut survenir naturellement.
Je veux m’en expliquer, d’abord en républicain.
Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, je suis attaché à notre République. Cet attachement est fondé sur un double pilier : d’une part, l’état de droit et, d’autre part, les principes propres à notre République, qui sont inscrits aux frontons de nos écoles et de nos mairies : liberté, égalité, fraternité.
Mon engagement en tant que militant politique et qui se poursuit aujourd’hui au Sénat a toujours été, et demeure, celui d’une œuvre législative respectant nos concitoyens et, devrais-je même dire, les plaçant au cœur de notre politique, au-delà de tout autre intérêt, fût-il commercial, économique ou politique. L’État de droit n’a de sens pour moi que si les lois servent à l’émancipation des femmes et des hommes, une émancipation qui n’est naturellement pas étrangère à la notion d’égalité.
Or plus personne ne l’ignore aujourd’hui, malgré les volontés affichées ou les déclarations péremptoires de certains, nous ne sommes pas égaux devant la mort, que celle-ci survienne naturellement ou qu’elle soit choisie. Car celles et ceux qui font, en pleine connaissance de cause, le choix de mettre médicalement un terme à leur vie et qui disposent tout à la fois des informations et des moyens financiers nécessaires peuvent s’offrir une mort choisie dans l’un des pays voisins du nôtre l’autorisant. L’expression « pouvoir s’offrir une mort choisie », je le sais, vous interpelle. Mais les témoignages multiples, médiatisés ou plus confidentiels l’attestent : il y a aujourd’hui, d’un côté, ceux qui disposent des possibilités techniques et matérielles de choisir une mort digne et rapide et, de l’autre, ceux qui, plus démunis, ne disposent pas de cette possibilité.
Pour ceux-là, le droit à une mort choisie s’apparente plus à un bricolage, composé d’attentes, de renoncements, de craintes ou de solutions violentes.
Ce n’est pas sans nous rappeler la situation que supportaient les femmes avant l’adoption – et dans les conditions que l’on connaît – de la loi du 17 janvier 1975 légalisant l’avortement, dite loi Veil, du nom de la ministre qui la défendit courageusement. Souvenons-nous qu’avant cette date l’avortement clandestin n’était pas sans risque. Ceux qui les réalisaient encouraient la peine capitale, et tout le monde se souvient du sort terrible qui fut réservé à Marie-Louise Giraud, jugée coupable d’avoir réalisé plusieurs avortements et qui fut décapitée en 1943. Les femmes prenaient de leur côté d’importants risques sanitaires et les décès post-avortement étaient nombreux.
Soixante-huit ans plus tard, d’importantes similitudes subsistent entre les deux situations. Même s’il est rare que les personnes qui optent pour une mort volontaire n’y parviennent pas, à quel prix le font-elles ? Elles le payent parfois d’une souffrance physique importante et souvent d’une souffrance morale que l’on a du mal à mesurer. Cette souffrance repose beaucoup sur le sentiment des personnes voulant être accompagnées dans une mort qu’elles ont choisie de réaliser un acte mal perçu par notre société, un acte si abominable aux yeux des autres et de la loi qu’il est réalisé dans la clandestinité et le secret et demeure interdit au point que ceux qui assistent les personnes désirant mourir encourent une peine criminelle pour assassinat.
C’est en laïc ensuite que je défendrai cette proposition de loi.
Bien évidemment, tous ceux qui s’opposent aujourd’hui à ce que soit légalisée l’assistance médicalisée à mourir ne le font pas sur des fondements religieux. À l’inverse, je sais pertinemment qu’il existe des croyants parmi ceux qui plaident en faveur d’une telle évolution législative. Mais je reconnais aussi parmi les associations qui s’opposent vigoureusement au droit à mourir dans la dignité les mêmes associations « pro vie » – comme si nous étions, de notre côté, des défenseurs de la mort – qui s’opposent au droit à l’avortement.
Ce sont, pour l’aide active à mourir comme pour l’avortement, les mêmes discours, selon lesquels ce serait nuire à la dignité humaine que de décider du moment de sa mort, une mort qui par nature ne peut être naturelle et que les femmes et les hommes ne pourraient que subir. Pour les tenants de ces discours, les êtres humains sont en quelque sorte extérieurs à leur mort, qui ne peut être programmée que par celui qu’ils vénèrent.
Entendant ces discours, je ne peux que me dire que notre pays, paradoxalement Terre des lumières après avoir été fille aînée de l’Église, a tout à gagner à ce que notre débat soit assis sur un principe simple : le corps des hommes n’appartient à aucune autre entité que l’homme lui-même, dans le respect des règles propres à garantir des protections collectives. (Mme Odette Terrade applaudit.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Guy Fischer. Une propriété associée au principe d’inaliénabilité du corps humain qui, à juste raison, prévoit que si l’on peut décider en droit du sort que l’on veut réserver à son propre corps on ne peut pour autant, au nom d’un principe légitime de protection des droits collectifs, décider d’en faire commerce. Le corps de chacun est ainsi exclusivement partagé entre la volonté individuelle et les droits collectifs.
Cette question de la propriété abordée ici n’a pas pour objet de souligner certaines divergences. Elle nous renvoie toutefois à une autre question selon moi incontournable : « la législation relative à la vie doit-elle imposer une règle générale qui est bonne par définition ou bien doit-elle intégrer l’idée d’exception ? ».
À cette question, c’est en citoyen ou plutôt, devrais-je dire, en homme libre que je veux répondre.
Cette proposition de loi ne tend pas à faire de l’assistance médicalisée à mourir la seule mort possible. Elle ne tend pas à la généraliser ou à l’imposer à toutes et à tous. Elle n’a pour objectif que de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de partir dignement. C’est-à-dire de partir avant que la souffrance physique ou psychique ne soit trop forte, avant que la maladie et les dégradations qui l’accompagnent l’emportent sur l’humanité.
Il s’agit, comme le précise le journaliste et écrivain François de Closets, « d’offrir et non pas d’imposer un recours contre cette mauvaise mort. Non pas en prenant en charge les destins individuels, mais en permettant aux volontés de chacun de s’exprimer et d’être respectées ».
Certains y verront une œuvre libérale, au sens philosophique du terme. J’y vois personnellement une réponse humaniste et solidaire face à une situation que l’écrivain Viviane Forestier a parfaitement décrite en ces termes : « Être devenu un lieu terrible pour soi-même, un enfer, une prison. Y être maintenu de force, enfermé sans espoir, alors qu’il serait possible d’en soustraire ceux qui le demandent, ceux qui en font le choix, tel est le sort auquel sont condamnés beaucoup de vivants ».
Mes chers collègues, le XXe siècle a été, en termes de droits individuels, de conquête des droits de l’homme sur lui-même, marqué par la reconnaissance – ô combien légitime – du droit des femmes à s’approprier leur avenir en décidant, avec les méthodes modernes de contraception, le moment qu’elles estiment opportun pour donner la vie. Le XXe siècle leur a également permis de refuser une maternité qu’elle ne voulait pas.
C’est dans cette continuité que s’inscrit la présente proposition de loi, à l’instar de la loi légalisant l’avortement, qui ne contraint personne à avorter mais qui élargit simplement le champ des libertés individuelles. Aucun médecin ne sera contraint de pratiquer un tel acte, soit parce qu’il transmettra le dossier de son patient à un confrère, soit parce que le patient pourra accomplir le geste salvateur lui-même dans un acte de suicide assisté. Cette proposition de loi donne la possibilité à celles et ceux qui le souhaitent, par goût de la vie, de la quitter sereinement.
Véronique Neiertz, ancienne secrétaire d’État aux droits des femmes, le dit avec ces mots, sobres et généreux : « C’est le droit de disposer de son corps sans avoir de permission à demander à personne et sans que cela puisse entraîner de sanction pour quelque soignant que ce soit. »
Mes chers collègues, je sais que cette proposition de loi peut susciter en vous nombre d’interrogations voire d’inquiétudes, mais, je le crois, l’examen des articles qui la constituent sera de nature à lever vos craintes tant ils sont protecteurs.
Pour conclure, je voudrais vous dire qu’il ne faut pas chercher à opposer sur ce sujet nos concitoyens. En l’état actuel de sa rédaction, la proposition de loi permet, pour reprendre les mots de Louis Bériot, que soit respectée l’idée selon laquelle la conception de l’existence ne doit pas être exclusive et que celles et ceux qui veulent choisir librement le moment de leur mort ne soient pas excommuniés.
Je vous rappelle que dans notre législation l’assistance au suicide reste pénalisée, par le biais soit de la non-assistance à personne en danger, soit de la fourniture d’un produit vénéneux. Le corps de Chantal Sébire a dû subir une autopsie et une enquête a été diligentée pour savoir qui lui avait fourni le produit.
Cette proposition de loi ne repose pas sur un projet de société. C’est en revanche un important débat dans notre société, et la différence n’est pas mince. Il ne s’agit pas de dessiner un modèle unique reposant sur un refus des soins palliatifs. Ceux-ci sont naturellement incontournables et nous n’imaginons pas – cette proposition de loi le prévoit clairement – qu’il puisse être satisfait à la demande d’un patient de disposer d’une assistance médicalisée à mourir sans que lui soient auparavant proposées des thérapeutiques destinées à éviter les souffrances.
Mais s’agissant de celles et ceux pour qui les soins palliatifs ne sont pas suffisants ou sont sans effet sur des douleurs plus lourdes encore que celles qu’ils ressentent dans leur chair – je pense aux douleurs psychiques –, il faut avoir le courage de les laisser partir, comme ils le souhaitent, comme ils le demandent.
S’agissant de celles et ceux pour qui, actuellement, la fin de vie passe d’abord par un refus de soins, puis un refus d’alimentation et d’hydratation, ce que l’on appelle la sédation, et qui s’accompagne d’interminables souffrances, d’une lente agonie, de l’attente pesante d’une libération tant espérée, il est de notre responsabilité, parce que nous souffrons quand les autres souffrent, de les aider à partir. Nous devons faire preuve du même courage que celles et ceux qui demandent à quitter cette vie en reconnaissant avec eux que « le prolongement de cette vie n’est pas une fin en soi et qu’il est honorable de savoir y mettre un terme ».
Pour toutes ces raisons, je vous invite avec conviction, avec courage et avec émotion à voter en faveur de cette proposition de loi qui, venant s’inscrire dans la continuité des lois réaffirmant les droits des patients et plus légalement les droits individuels, constitue une réponse, parmi d’autres, à celles et ceux qui souffrent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat montre une nouvelle fois son ouverture sur des questions de société qui mobilisent l’intérêt d’un grand nombre de Français, tous clivages confondus.
Aussi, je suis heureux en tant qu’auteur d’une proposition de loi déposée sur ce sujet voilà plus de deux ans de contribuer à ce débat. Ce n’est pas sans déchirement que le chrétien que je suis est parvenu, après une longue et mûre réflexion, à admettre la nécessité de légiférer sur une matière aussi sensible.
Lorsque je pense à cette phrase adressée par Vincent Humbert au Président de la République : « je vous demande le droit de mourir », je ne peux rester indifférent à sa souffrance, à sa volonté et à sa dignité. Ne pas répondre à cette demande revient à mettre à l’écart ces personnes atteintes de maux atroces et à les forcer à agir seules, en catimini, dans l’illégalité.
Est-ce là la place que nous voulons pour ces personnes ? Je ne le souhaite pas comme nombre de Français qui sont favorables à la légalisation de l’aide active à mourir dans les cas de pathologies graves et avancées.
Légaliser, c’est donner à ces personnes toute leur place dans la société.
M. Jean-Louis Lorrain. Ben voyons !
M. Alain Fouché. Sommes-nous en train de nous arroger le droit de mettre fin à la vie d’une personne ? Ce n’est nullement ma conviction.
Tout comme les pères de l’Église – saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin et d’autres – ont, avec le concept de guerre juste, tenté de limiter les conséquences d’un fléau pourtant ardemment combattu par l’Église – « tu ne tueras point » –, cette proposition de loi ne vise qu’à mettre un terme, dans des conditions très strictes, très limitées et très encadrées par le droit et la morale, aux souffrances indicibles endurées par des personnes qui n’ont plus aucun espoir de guérison.
Ne rien faire, mes chers collègues, c’est abandonner le problème à des initiatives personnelles, clandestines, sans débat et sans contrôle.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Alain Fouché. En France, il est estimé qu’environ 15 000 actes par an ont pour objectif d’abréger les souffrances d’un malade ; …
M. Jean Desessard. Exactement !
M. Alain Fouché. … selon une étude publiée dans un magazine de santé, 50 % des décès dans les services de réanimation sont le fait d’un arrêt du traitement sans l’avis du médecin traitant ni de la personne concernée.
C’est pourquoi nous devons créer un cadre légal à cette pratique, afin d’en limiter les abus.
Je tiens à préciser à ceux qui sont en désaccord et qui agitent contre la dépénalisation le danger d’un accroissement des dérives que toute loi comprend un risque d’abus. Mais n’est-il pas préférable de fixer des règles plutôt qu’ignorer la réalité ?
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Fouché. Aussi, ne pensez-vous pas qu’il est temps de sortir du flou juridique qui entoure la question ? C’est notre rôle de parlementaire que d’assurer la sécurité juridique ! Le droit en vigueur est souvent inadapté ; ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les nombreuses décisions judiciaires contradictoires dans ce domaine qui le montrent.
Le constat est simple : le dispositif actuellement en vigueur a ses limites.
La loi Leonetti de 2005 a été une avancée majeure dans le domaine de la fin de vie, notamment pour les soins palliatifs. Cependant, même si ce texte inscrit dans notre arsenal juridique l’arrêt de la vie, il ne permet pas à une personne de décider de mourir au moment où elle le souhaite et selon ses volontés.
C’est le sens de la proposition de loi soumise à notre examen ce soir.
J’entends bien ceux qui ne veulent pas légaliser l’aide active à mourir ; cependant, mes chers collègues, le pas a déjà été franchi. La législation de 2005 envisage déjà de hâter la mort puisqu’un patient en phase terminale peut bénéficier, sur la seule décision de son médecin, de la sédation profonde ou du double effet de la morphine.
Le présent texte va plus loin : la personne peut choisir elle-même une assistance médicalisée pour une mort rapide et sans douleur lorsque son état médical révèle un mal grave et incurable dont l’avancement est tel qu’il lui inflige une souffrance physique ou psychique insupportable.
Néanmoins, il n’est pas envisageable de permettre cette pratique sans la contrôler. Dès lors, il est prévu que la demande du patient soit soumise à l’expertise d’un collège de médecins, qui inclut le médecin traitant si celui-ci souhaite prendre part à la procédure.
Le texte prévoit que tout médecin a la possibilité de demander à un autre confrère de se prononcer. Les médecins seront chargés de vérifier le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande du patient.
Dans les cas où la personne n’est pas en état d’exprimer sa volonté, la proposition de loi rappelle évidemment l’existence des directives anticipées créées par la loi Leonetti.
Ainsi, le geste d’apaisement sera issu d’une volonté intime, réitérée et lucide, contrôlée par le corps médical et sera accompagné par une personne de confiance.
Enfin, ce texte inscrit explicitement l’obligation du médecin d’informer le patient sur les diverses possibilités de soins palliatifs. Cette information est essentielle, monsieur le ministre, car la loi de 2005 reste bien trop souvent méconnue et, malheureusement, seuls 15 % à 20 % des malades peuvent accéder à ces soins.
M. Guy Fischer. C’est la vérité !
M. Alain Fouché. Cette proposition de loi a déjà l’avantage d’avoir fait comprendre au Gouvernement qu’il fallait faire mieux en matière de soins palliatifs. En moyenne, il n’y a que 9,5 lits pour 100 000 habitants ; un chiffre qui ne nécessite aucun commentaire.
Quel que soit le choix de la personne, il s’agit de bien faire comprendre à cette dernière, ainsi qu’à son entourage, les différentes démarches thérapeutiques qui s’offrent à elle.
Et pour que l’accompagnement soit le meilleur possible, il faut indéniablement que cette légalisation soit conduite en étroite liaison avec une politique en faveur d’un accès universel aux soins palliatifs.
Arrêtons de mettre en concurrence légalisation de l’aide active à mourir et soins palliatifs ! Un récent rapport montre que la dépénalisation en Belgique n’a pas entraîné de diminution des demandes de soins palliatifs.
À l’heure actuelle, on ne peut malheureusement pas apaiser toutes les souffrances, qu’elles soient physiques, psychiques ou psychologiques.
Certains patients ne souhaitent pas entamer un parcours de soins palliatifs jusqu’à ce que la maladie ait raison d’eux. Ils n’ont tout simplement pas envie d’assister au spectacle de leur propre déchéance et préfèrent être maître de leur fin de vie.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Alain Fouché. C’est pourquoi – et je conclurai sur ce point – le législateur doit croire en son travail en votant cette proposition de loi qui encadre et protège tout en permettant l’égalité de nos concitoyens face à un tel droit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat que nous avons ce soir porte sur la proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir, et non sur l’euthanasie. Il ne s’agit pas de donner la mort, il s’agit d’accompagner une mort choisie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Guy Fischer applaudit également.)
Ce n’est pas la première fois que le Parlement français débat en séance publique de ce sujet, qui est particulièrement sensible et douloureux. La dernière fois, c’était en novembre 2009 à l’Assemblée nationale sur la proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité, déposée par notre collègue député et président du groupe socialiste Jean-Marc Ayrault.
Cependant, le débat que nous menons ce soir au Sénat est inédit ; il est historique.
En effet, jusqu’à présent, jamais des parlementaires de sensibilités politiques différentes n’avaient réussi à porter une initiative commune sur ce sujet délicat ; c’est pourtant ce qu’ont fait nos collègues Guy Fischer, Alain Fouché et Jean-Pierre Godefroy en déposant chacun une proposition de loi légalisant l’aide active à mourir.
Je tiens à saluer leur initiative ainsi que leur très fort engagement personnel sur le sujet difficile de la fin de vie.
Le texte dont nous allons débattre est une synthèse de ces trois propositions de loi.
La problématique de l’aide médicalisée à mourir est tout à la fois philosophique, éthique et médicale. Elle peut aussi, pour certains d’entre nous, – l’orateur qui m’a précédé l’a mentionné – relever de convictions religieuses, et je respecte ces dernières.
Toutefois, personnellement, je considère qu’il s’agit avant tout d’une problématique politique au sens noble du terme et qui ne doit pas être caricaturée.
L’assistance médicalisée à mourir est une question de société. Et au même titre que la société, elle est un sujet qui évolue, mûrit et doit se concrétiser.
Apporter des réponses à la question du choix de sa propre mort – car c’est bien de cela qu’il s’agit – et à la question de la souffrance, c’est dire vers quelle société nous souhaitons aller.
Voilà plus d’une trentaine d’années que ces questions trouvent écho dans notre société.
Au sein de cet hémicycle, nous croyons tous à l’importance du législateur et en particulier à la fonction du Sénat : voilà bien un sujet sur lequel notre Haute Assemblée doit s’honorer de débattre, et ce dans le plus profond respect des opinions de chacun.
C’est d’ailleurs l’esprit qui a présidé aux travaux de la commission des affaires sociales sous la présidence de Muguette Dini.
Je regrette simplement l’heure tardive à laquelle ce texte majeur est examiné.
Léon Blum a écrit : « L’homme libre est celui qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de sa pensée. » C’est ce à quoi le texte qui nous est soumis nous invite.
Chaque année, en France, plusieurs milliers de malades se trouvent dans la situation extrême qui est envisagée dans la présente proposition de loi.
Certes, des progrès ont été réalisés dans l’accompagnement de la fin de vie. Les traitements anti-douleurs, les soins palliatifs, l’arrêt de l’acharnement thérapeutique autorisé par la loi de 2005 apportent des solutions dans de nombreux cas.
Pour autant, l’accès aux soins palliatifs est loin d’être universel. Seuls 20% de ceux qui en auraient besoin en bénéficient.
M. René-Pierre Signé. C’est vrai !
M. Ronan Kerdraon. Mes chers collègues, force est de constater que la loi Leonetti présente des insuffisances et des limites.
En effet, les contours de la notion d’acharnement thérapeutique sont flous et complexes à évaluer.
Il demeure ainsi des centaines d’hommes et de femmes pour lesquels il n’existe réellement aucune solution, soit parce que leurs douleurs physiques ne peuvent pas être soulagées, soit parce que leur souffrance psychique ne peut pas être levée.
Par conséquent, la loi de 2005 ne peut être considérée comme suffisante et satisfaisante : ni par les patients, ni par les familles, ni par le corps médical.
La politique du « laisser mourir » est intolérable.
Mes chers collègues, ces dernières années, un certain nombre de témoignages particulièrement émouvants et douloureux m’ont conduit à m’interroger sur la fin de vie. Je pense notamment aux cas de Vincent Humbert ou Chantal Sébire. Je pense à leur famille, aux médecins qui les ont soignés.
Que traduisent tous ces témoignages ?
Tout d’abord, une grande détresse et une certaine culpabilité face à l’impuissance à soulager les souffrances d’un être cher.
Et, face à une telle épreuve, l’honnêteté doit nous conduire à reconnaître que tous les malades ne sont pas égaux. Une infime partie d’entre eux, ceux qui en ont les moyens financiers (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.),…
Mme Bernadette Dupont. Ce n’est pas vrai ! C’est insupportable !
M. Ronan Kerdraon. … trouvent à l’étranger – en Belgique ou en Suisse – une solution qui est alors légale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. C’est la vérité !
M. Ronan Kerdraon. Les autres dépendent de la décision prise par les soignants de tel ou tel établissement, décision intervenant souvent en dehors de tout cadre légal, les souffrances étant abrégées sans que le malade lui-même ou sa famille se prononcent. Quelle belle hypocrisie ! (Mme Gisèle Printz applaudit.)
M. Roland Courteau. En effet !
M. Ronan Kerdraon. Ces témoignages, ces échanges d’expériences poignants mettent en exergue un constat indéniable : la situation actuelle ne peut perdurer.
Je partage les propos de Nicolas Sarkozy qui, devant ses comités de soutien, en février 2007, c’est-à-dire postérieurement au vote de la loi Leonetti, déclarait : « on ne peut pas rester les bras ballants face à la souffrance d’un de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine, tout simplement parce qu’il n’en peut plus ».
Alors, que prévoit le texte que nous examinons ce soir ?
Tout d’abord, il place – enfin ! – le patient au cœur du processus décisionnel.
En effet, la principale disposition est la reconnaissance du droit à demander une assistance médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable infligeant une souffrance physique ou psychique qu’elles jugent insupportable. J’insiste : nous parlons de personnes en véritable souffrance.
Les conditions d’acceptation d’une telle demande sont clairement encadrées : en plus du médecin traitant, deux autres praticiens sans rapport avec le patient sont appelés à examiner le cas afin d’évaluer les recours médicaux et de s’assurer du caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande, demande qui peut d’ailleurs être révoquée à tout moment.
Il est aussi prévu la possibilité pour toute personne de rédiger des directives anticipées concernant la fin de sa vie au cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté.
Les médecins pourront faire jouer leur clause de conscience et refuser de participer à une telle procédure.
On le voit, le dispositif retenu offre toutes les garanties de transparence et de contrôle, je tiens à le réaffirmer avec force.
Mes chers collègues, la question qui se pose à nous est donc bien la suivante : ou bien nous continuons de fermer les yeux et nous acceptons hypocritement que de nombreuses euthanasies soient pratiquées sans règle ni contrôle ; …
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Ronan Kerdraon. … ou bien nous optons pour le choix d’une fin de vie encadrée par des règles définies et précises qui constituent une protection pour le malade et pour le corps médical.
Ne laissons pas ce dernier seul avec le poids d’une telle responsabilité et les tourments qui peuvent s’ensuivre.
Le choix est donc non pas entre une situation satisfaisante aujourd’hui et une législation dangereuse demain, mais entre une situation confuse et hypocrite aujourd’hui et l’adoption pour l’avenir de règles respectueuses de notre devise républicaine : « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Ayant fait moi-même ce cheminement intellectuel qui, je le reconnais, bouleverse mes convictions, j’ai choisi de soutenir cette proposition de loi.
Il m’est apparu urgent de décriminaliser l’aide médicale à mourir afin de protéger à la fois le médecin qui pose l’acte, la personne qui en fait la demande et qui en est le bénéficiaire ainsi que les membres de son entourage.
C’est parce que la vie est précieuse que nous avons le devoir de la respecter jusqu’à son terme, y compris dans la décision de chacun d’en choisir la fin.
Certains nous objectent que la société n’est pas prête et que les sondages vont à l’encontre du présent texte. Cependant, plus de 80 % des Français se déclarent régulièrement favorables à une loi républicaine.
D’ailleurs, depuis dix ans, nos voisins belges et hollandais appliquent une telle législation et personne n’en demande l’abrogation.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est vrai !
M. Ronan Kerdraon. Il ne s’agit pas de disposer de la mort d’autrui ; il s’agit, et je citerai André Gide, de « penser la mort pour mieux aimer la vie ».
Faut-il l’aimer envers et contre tout, cette vie ? Je ne le crois pas forcément.
Ces éléments de réflexion me conduisent par conséquent à me prononcer, comme la très grande majorité du groupe socialiste, en faveur de l’assistance médicalisée à mourir. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’avoue que, comme beaucoup d’entre vous sans doute, j’ai longtemps hésité sur la position à prendre dans ce débat.
D’un côté, on ne peut pas être indifférent aux « appels au secours » que peuvent émettre des malades souffrant d’un mal qui provoque des douleurs insupportables et ne leur laisse aucun espoir d’amélioration. Leur vie est souvent un calvaire, et on ne peut que comprendre leur désir d’en finir. On se doit donc de répondre efficacement à leur souffrance.
D’un autre côté, et quelles que soient les précautions dont on s’entoure pour s’assurer qu’elle est réclamée en toute connaissance de cause et qu’elle procure une mort sans souffrance, la décision d’aider une personne à mourir aboutit à commettre consciemment un acte qui donne la mort, et c’est pourquoi je pense qu’il n’appartient pas au législateur de franchir le pas.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Yves Détraigne. Comment, en effet, le législateur, qui, en 2007, a ajouté un article à la Constitution pour inscrire dans celle-ci que « nul ne peut être condamné à la peine de mort », s’interdisant ainsi de donner la mort aux criminels les plus abjects et les plus dangereux pour la société, pourrait-il accepter que l’on puisse donner la mort à un malade ? (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Il répondrait certainement à une attente, mais il ouvrirait surtout une terrible brèche.
Or je crois qu’il y a un principe absolu qui ne peut être transgressé, surtout dans une société en manque de repères comme la nôtre : nous ne pouvons pas inscrire dans la loi la possibilité pour l’homme d’ôter la vie à un autre homme.
M. Paul Blanc. Très bien !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Il ne s’agit pas de ça !
M. Bernard Piras. Il faut le laisser souffrir ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Il faut interdire la guerre alors !
M. Yves Détraigne. Ayant dit cela, je suis bien conscient que laisser un malade subir une torture inutile et dégradante n’est pas plus acceptable, surtout s’il a lui-même demandé qu’on y mette fin et qu’il n’y a plus d’espoir.
C’est pour cela qu’il faut que nous nous donnions réellement les moyens de rendre applicable partout sur le territoire la loi Leonetti afin que les personnes malheureusement condamnées puissent mourir dans la dignité, sans souffrances inutiles et en bénéficiant vraiment des soins palliatifs indispensables.
M. René-Pierre Signé. Et ceux qui résistent aux opiacés ?
M. Yves Détraigne. C’est comme cela, me semble-t-il, que notre société se grandira, sans renier un de ses principes fondateurs, le respect de la vie d’autrui, et en prenant réellement en compte les appels à l’aide de ceux qui souffrent et n’ont plus d’espoir.
Cela signifie que je ne suis pas pour en rester à ce statu quo où 20 % seulement des gens qui ont besoin de soins palliatifs y ont accès. Je suis au contraire pour que cesse une certaine « bonne conscience » liée au vote de la loi Leonetti et pour que l’on se donne les moyens d’imposer la mise en œuvre des dispositions de celle-ci.
C’est ce que nous attendons de vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens à féliciter Jean-Pierre Godefroy pour son excellent rapport et pour son courage.
Je remercie Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, d’avoir soutenu cette proposition de loi.
Pour commencer mon discours, je souhaite citer un passage du philosophe André Comte-Sponville sur les six raisons de légiférer sur l’aide active à mourir.
« Certes, c’est la vie qui vaut, mais elle vaut d’autant plus qu’elle est davantage libre. C’est en ce sens que le Comité consultatif national d’éthique a raison de parler d’une exception d’euthanasie. Qui dit exception dit règle. La règle, évidemment, c’est le respect de la vie humaine, mais respecter vraiment la vie humaine c’est aussi lui permettre de rester humaine jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort inclusivement. »
Depuis quelques années, le vif débat que suscite en France l’aide active à mourir témoigne du besoin de légiférer sur la question.
La proposition commune de loi qui nous est présentée aujourd’hui est une progression, que nous devons notamment à Vincent et Marie Humbert.
Elle s’inscrit dans le prolongement d’une suite d’avancées réelles qui ont eu lieu ces dernières années, notamment grâce à la loi de juin 1999 garantissant l’accès de tous aux soins palliatifs, à la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades et, enfin, en 2005, à la loi Leonetti, dont l’objet est d’éviter l’acharnement thérapeutique en autorisant l’arrêt des traitements et de permettre au médecin de traiter la souffrance des malades.
Cependant, si la loi Leonetti a prévu un dispositif autorisant à mettre fin à l’alimentation artificielle, elle ne va pas assez loin et ne répond pas au vœu des personnes qui, tout en souhaitant mourir, ne veulent pas pour autant interrompre l’alimentation artificielle. Tel était le cas du jeune Vincent Humbert, qui souhaitait mettre un terme à une vie qui lui était devenue insupportable, mais ne voulait pas mourir de faim ou souffrir ; il souhaitait partir le jour et au moment où il l’avait décidé.
En l’état actuel des choses, la loi permet au patient qui déciderait de l’arrêt des traitements de se laisser mourir de faim, mais il est difficile d’accepter de laisser un patient mourir par arrêt des traitements – y compris par arrêt de l’alimentation – avec la possibilité d’une agonie qui dure un certain temps. Bien souvent, les malades ne veulent pas agoniser et perdre leur dignité.
Aujourd’hui, notre législation permet donc de « laisser mourir », mais interdit toujours que l’on provoque délibérément la mort, même à la demande du malade.
Si les soins palliatifs visent à soulager ou à atténuer la souffrance, on sait aujourd’hui qu’ils n’ont en aucun cas pour objet de prendre en compte la demande d’aide à mourir.
La proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir apporte une réponse aux personnes qui, comme l’était le jeune Vincent Humbert, sont confrontées à une situation médicale grave et sans issue.
Cependant, ne nous trompons pas de débat. Il ne s’agit pas ici de légaliser l’euthanasie pour tout le monde. Cette aide active à mourir ne concerne que des personnes qui sont dans une situation médicale grave et sans issue, dans de grandes souffrances, et qui souhaitent partir en en faisant la demande. Ces personnes font un choix. On parle bien ici de situations exceptionnelles.
Lorsqu’on est en phase terminale, la douleur physique ou psychologique est parfois insupportable. On peut alors vouloir ne plus vivre et donc réclamer une aide active à mourir, et non pas des soins palliatifs. La décision de répondre à cette demande est une responsabilité qui ne peut peser exclusivement ni sur les épaules des médecins, ni sur celles des proches des malades.
Faire une loi sur l’assistance médicalisée à mourir est la seule façon de contrôler efficacement cette assistance et de combattre d’éventuelles et réelles dérives. Réglementer, c’est éviter que des patients conscients ne soient euthanasiés sans qu’on leur demande leur avis. Nous devons reconnaître que l’euthanasie existe et est pratiquée de manière clandestine ; légiférons justement pour combattre ce genre de dérive et pour instaurer un certain nombre de contrôles.
Nous ne pouvons laisser aux médecins non plus qu’aux proches des malades le poids d’une telle responsabilité. La loi permettra d’assumer collectivement cette responsabilité afin que les médecins et les proches puissent ensuite supporter individuellement la charge qui leur revient.
De plus, la loi aura pour effet non pas la dépénalisation pure et simple de l’euthanasie mais la reconnaissance d’une exception d’euthanasie strictement encadrée par le code de la santé publique.
Je comprends, bien sûr, les inquiétudes des personnes qui ne sont pas favorables à ce texte, car nous sommes là face aux problèmes de la fin de vie et à une réflexion éthique complexe.
Cependant, la proposition de loi qui nous est présentée encadre l’assistance médicalisée pour mourir : le médecin sollicité par le malade doit en effet non seulement saisir deux confrères, mais il doit aussi proposer au patient les soins palliatifs disponibles comme alternative à sa décision. Le choix du patient reste en outre « révocable à tout moment ».
Chaque médecin aura la possibilité de refuser de fournir lui-même cette assistance, qui sera donc délivrée par des professionnels de santé volontaires, lesquels devront suivre « une formation sur les conditions de réalisation d’une assistance médicalisée pour mourir ».
Par ailleurs, la présente proposition de loi ne marque pas la fin du développement des soins palliatifs. Bien au contraire, ce texte confirme l’obligation de proposer à tous les malades l’accès aux soins palliatifs adaptés à leur situation.
Oui, accompagner la mort dans la dignité est un acte d’amour, qu’il s’agisse d’accompagner des personnes âgées atteintes de maladies dégénératives à l’évolution inexorable, des personnes, malheureusement jeunes parfois, foudroyées par des affections incurables ou encore des victimes d’accidents ayant entraîné des lésions irréversibles, empêchant tout espoir de retour à un minimum d’autonomie de vie.
On sait très bien qu’en France on pratique aujourd'hui des aides actives à mourir dans la clandestinité : bien que les évaluations soient difficiles à réaliser, on estime ainsi que le nombre d’euthanasies se situe entre 1 500 et 1 800 par an.
Pourquoi ne pas agir en toute transparence afin de ne plus être dans l’illégalité et ainsi accompagner le malade et son entourage avec une équipe médicale formée ? Une société ne doit pas vivre avec un décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue. Nous ne pouvons pas rester dans l’hypocrisie.
Enfin, j’insisterai sur l’importance de la vie. En effet, à tout moment la volonté de vivre doit l’emporter sur celle de mourir. Cependant, il peut arriver un moment où la volonté de mourir l’emporte sur l’intérêt de vivre parce que l’individu est parvenu aux limites du supportable. C’est à ce moment qu’il importe de prendre en compte la volonté du patient dans une situation médicale grave et sans issue et celle de sa famille.
Pour avoir travaillé en milieu hospitalier, je peux vous assurer que parfois, face à certaines détresses, quand tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, la demande de délivrance devient un droit : elle doit être l’expression de notre dernière liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, je veux, dans le bref temps de parole qui m’est imparti, à savoir deux minutes, dire pourquoi je ne voterai pas ce texte mais dire aussi que la fermeté de mes convictions sur ce sujet n’empêche absolument pas le profond respect que j’ai pour celles et ceux qui sont venus à cette tribune pour soutenir une position très différente de la mienne.
Certains ont parlé de la réponse que la mort donnée, la mort assistée pourrait constituer ; pour ma part, je crois qu’en aucun cas la mort donnée ne peut être, sur le plan éthique, une réponse.
Je pense en effet que l’euthanasie blesse irrémédiablement un principe fondateur extrêmement fort de notre société, celui du respect de la vie et de l’inviolabilité de celle-ci.
Sous-tendue par l’idée que mourir pourrait être un bien et vivre un mal,…
M. René-Pierre Signé. Vivre une vie végétative !
M. Bruno Retailleau. … elle contredit aussi le sens commun. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Sur le plan médical ensuite – vous y avez fait allusion, monsieur le ministre –, l’euthanasie ne peut pas être une option parmi d’autres parce que la nécessaire relation de confiance entre le médecin et son patient pourrait subir des conséquences dommageables incalculables.
M. René-Pierre Signé. Au contraire !
M. Bruno Retailleau. Elle n’est pas davantage admissible sur le plan de la société. Pour tenir debout, mes chers collègues, une société doit en effet s’adosser sur des principes.
L’ordre juridique doit être unique et commun à tous, ce qui n’exclut ni la pluralité des croyances, ni la diversité des opinions, mais sommes-nous prêts à cette transgression radicale ?
Avons-nous envisagé l’intolérable, peut-être l’inhumaine pression sur ces êtres malades, en état de vulnérabilité, qui se considèrent comme une gêne pour leur entourage ? Si l’euthanasie était autorisée, ces personnes ne seraient-elles pas en effet amenées à considérer comme une évidence qu’il leur appartient de demander, pour soulager leur entourage, cette mort que vous souhaitez assistée ? Je ne crois pas que nous ayons considéré ce risque.
Enfin, sur le plan législatif, autoriser l’euthanasie serait un renoncement.
Le choix n’est pas entre la souffrance et la mort assistée, entre l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie : avec la loi Leonetti, la France a opté pour une législation avancée ; elle a choisi la voie de la sagesse et de l’équilibre. Nous n’avons pas à abdiquer devant la souffrance et nous n’avons pas non plus, dans la lutte contre la souffrance, à abdiquer nos valeurs. (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
Il vous revient à vous, monsieur le ministre, de nous sortir de ce dilemme en dotant notre pays des moyens nécessaires pour développer cette solution alternative que sont les soins palliatifs. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. Jean Desessard. Si c’est lié aux moyens qui peuvent être mis à disposition par le ministre, l’affaire est réglée !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout d'abord, je remercie ceux qui ont permis cette discussion. Quels que soient les opinions défendues et le résultat du scrutin, le Parlement est pleinement dans son rôle, dans un grand débat de société.
Sénèque a écrit : « Y a-t-il plus cruel supplice que la mort ? Oui, la vie quand on veut mourir. » Ce dossier est pour beaucoup celui de la souffrance et de la détresse marquant la fin de la vie. Or, aujourd'hui, nous le savons tous ici, l’aide active à mourir existe dans les faits. Doit-elle être légalisée ? Tel est le débat qui nous anime.
Vie et mort sont indissociablement liées, et le passage de l’une vers l’autre est la grande question qui préoccupe l’homme depuis que son évolution l’a fait se lever, réfléchir et parler. La mythologie avait imaginé que la descente vers les Enfers se faisait en traversant des fleuves, dont le Styx, c'est-à-dire en passant d’une rive à l’autre.
Certains croient à une vie après la mort, d’autres non. Qu’il s’agisse d’une fin ou d’un commencement, chacun d’entre nous aspire à ce que ce moment puisse se dérouler dans la sérénité, pour soi et ses proches.
Les progrès considérables de la connaissance sur l’origine de l’univers comme sur celle de la vie n’ont pas répondu à toutes ces questions ; ils en ont fait apparaître de nouvelles et n’arrivent point à effacer tant de siècles d’obscurantisme.
Au travers des progrès scientifiques et techniques, notre société a subi davantage de bouleversements en un siècle qu’au cours de toutes les époques passées. De ce fait, les débats d’éthique et de bioéthique, relatifs à la procréation, à la santé et à la mort deviendront de plus en plus prégnants, d’autant qu’ils seront, dans la pratique, de plus en plus indifférents aux frontières des États. L’exemple de la Suisse montre d'ailleurs que nombreux sont ceux qui sont prêts à franchir les frontières pour aller au devant d’une mort assistée.
Parmi ces débats, celui qui porte sur l’aide active à mourir prend une acuité particulière, parce que la médecine a fait des progrès immenses, parce que la durée de la vie a augmenté considérablement – elle est passée de 27 ans au début du XIXe siècle à plus de 80 ans aujourd’hui –, parce que de plus en plus nombreux sont ceux qui vieillissent en subissant un effondrement de leurs qualités physiques et intellectuelles, parce que, aussi, de plus en plus, grande vieillesse va de pair avec grande solitude, eu égard à la distension accélérée des liens familiaux.
Ce débat n’est pas récent, mes chers collègues. La Haute Assemblée a déjà examiné en séance publique, le 7 mai 1980, une proposition de loi du sénateur Henri Caillavet relative au droit de vivre sa mort,…
M. Roland Courteau. Exact !
M. Jacques Mézard. … avec un rapport du sénateur Jean Mézard.
Déjà, obligation d’information, consentement du malade par acte authentique et responsabilité médicale faisaient l’objet de propositions, finalement rejetées par le Sénat au motif que le problème posé relevait de l’éthique individuelle et médicale. En fait, il s’agissait alors d’abstention thérapeutique. Trente ans ont passé, et la loi Leonetti a constitué une avancée remarquable ; d'ailleurs, il conviendrait selon nous qu’elle soit mieux connue et qu’un bilan de son application soit réalisé.
Toutefois, ce dont il est question aujourd’hui ressortit à une problématique différente : c’est la reconnaissance d’un droit à l’aide active à mourir, déjà admis par plusieurs pays européens.
Nous comprenons les oppositions de principe, les réticences, les doutes suscités par ce texte. Fallait-il faire évoluer la loi Leonetti, une nouvelle loi est-elle en l’état justifiée ?
Pour nous, le serment d’Hippocrate a un sens, le respect de la vie tout autant. Mais quelle signification donner à cette dernière si l’on n’est pas maître de sa destinée, libre de décider pour soi et de choisir de ne pas aller au-delà de telle souffrance physique, de ne pas supporter telle déchéance inéluctable ?
C’est cette liberté fondamentale dont nous demandons la reconnaissance. Dans ce domaine, comme dans celui de la procréation ou de l’IVG, les dogmes religieux ou philosophiques ne sauraient s’imposer à la liberté individuelle. De la même façon, il ne serait pas admissible d’attenter à la liberté du médecin, ou de tout auxiliaire médical, de refuser son concours.
La liberté est indissociable de la validité du consentement, sachant que l’approche de la mort peut modifier ce dernier, comme il arrive qu’elle convertisse in fine un athée en un croyant. Ce consentement doit être explicite, incontestable, avec une personne « en phase avancée ou terminale d’une pathologie grave et incurable. »
Ce qui est en jeu à ce niveau, c’est l’importance de la mission d’information par le médecin sur la pathologie et sur les soins palliatifs, car l’articulation entre ces derniers et le droit à la mort assistée est primordiale.
La vraie liberté de choix impose une information loyale et complète. Nous ne pourrions accepter que la volonté d’anticiper la mort soit le fruit d’un moment de désespoir, ni qu’elle soit émise par une personne dont les facultés de jugement seraient altérées. Ce qui peut apparaître comme une procédure lourde est indispensable ; cet encadrement est nécessaire pour éviter ce que l’on appelle pudiquement les « dérives », qui existent d’ailleurs aujourd’hui en l’absence de cette loi. C’est d’autant plus indispensable que la mort assistée doit impérativement être l’exception et ne peut en aucun cas devenir la norme.
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Absolument !
M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, je suis conscient des imperfections du texte qui nous est soumis. Je respecte profondément toutes les opinions, très diverses, qui s’expriment, y compris au sein de mon groupe. Si j’émets personnellement un vote favorable en privilégiant le principe de liberté de chacun de faire cesser sa propre vie, ce n’est pas sans qu’une part de moi-même freine cet élan dans un débat qui, sous diverses formes, est de tous les âges.
Aussi, mes chers collègues, conclurai-je comme j’ai commencé, en me référant au sage Sénèque dans ses Lettres à Lucilius : « Pour la vie, on a des comptes à rendre aux autres ; pour la mort, à soi-même. La meilleure mort : celle que l’on choisit. » (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes tous venus ici avec notre interrogation face à la dernière heure. Et non sans une certaine impudeur, je monte à cette tribune avec ce que j’ai vécu et ce que je n’ai pas vécu, avec mes convictions et mes certitudes, mais aussi avec mes doutes. Ce sont les unes et les autres que je voudrais partager avec vous en cet instant.
Ma première certitude est que, lorsque l’épreuve arrive, alors la belle assurance se fissure : ma conscience a peine à répondre en raison du refus de porter le fardeau au détriment de mon petit confort personnel.
Mes chers collègues, il m’est impossible aujourd’hui de jurer devant vous que cette demande d’aide active à mourir, je ne la formulerai en aucun cas pour moi-même ou pour un de mes proches lorsqu’une telle difficulté me concernera. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Du reste, pourquoi ne le ferai-je pas si la loi me l’autorise, si le droit-créance ainsi créé fait peser sur tous le devoir de le rendre effectif, déplaçant les interdits anthropologiques qui fondent notre société ?
Je sais également que le coma ou la maladie peuvent me rendre étrangère à moi-même ou me rendre étrangers ceux que j’accompagne à la fin de leur vie. Pour autant, l’enjeu, ici, c’est le rapport d’humanité, et plus encore de fraternité, qui doit subsister, même quand le malade n’est plus que l’ombre de lui-même. Comment puis-je rester le frère, la sœur en humanité de celui qui me dit ne plus être lui-même ou craindre de ne plus l’être ? Et pour qu’il soit présent à lui-même, doit-il aligner son existence sur mes propres critères de dignité ou, au contraire, dois-je réajuster le sens de mon existence pour percevoir ce qui, chez lui ou chez elle, reste fondamentalement humain ?
La dignité n’a-t-elle pas, plutôt, une dimension ontologique accordée à chaque homme dans sa singularité, comme l’a proclamé la Déclaration universelle des droits de l’homme ?
Affirmer le contraire ou juger de l’identité ou de l’humanité de l’autre à l’aune de critères médicaux, n’est-ce pas ouvrir la voie à une discrimination entre les êtres humains, qui toucherait avant tout les plus vulnérables ?
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est déjà fait !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Faudra-t-il voir se produire des phénomènes similaires à ceux que constate l’ordre des médecins allemands ? Celui-ci fait état de l’installation croissante en Allemagne de personnes âgées néerlandaises, qui craignent que leur entourage ne profite de leur vulnérabilité pour abréger leur vie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. René-Pierre Signé. Il ne faut pas dire n’importe quoi !
Mme Marie-Thérèse Hermange. À l’heure de la réduction de la dette et de la prise en charge financière de la dépendance, peut-on sincèrement consacrer un droit à l’aide active à mourir en pensant qu’il n’y aura pas de dérives ?
Ma troisième certitude est que prendre appui sur le principe de liberté individuelle, c’est articuler notre droit autour de la volonté du patient.
Toutefois, l’ouverture d’un droit objectif peut-elle répondre à la complexité des situations extrêmes de fin de vie et se fonder sur une volonté présentée comme inébranlable ? En effet, chacun sait, pour l’avoir vécu, que, en cet instant, on oscille en permanence entre le souci d’en finir et le désir de se battre, puisque la vie de l’homme est toujours entrebâillée par l’espérance. C’est d’ailleurs cette dernière qui est refusée au condamné à mort.
Légiférer, n’est-ce donc pas demander à la loi, générale par définition, de claquer la porte, de faire cesser, pour un autre, cet entrebâillement, cette capacité à dire : « Je veux vivre ». La question se pose d’autant plus que, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, cette autonomie de choix postule, paradoxalement, l’intermédiaire d’un autre pour se faire entendre.
Chers Alain Fouché et Jacques Mézard, pour moi la vie est un don, même si, mes chers collègues, je ne peux partager cette certitude avec chacun d’entre vous. En revanche, vous pouvez souscrire à ces propos de Robert Badinter, selon lesquels le droit à la vie est le premier des droits de l’homme, garanti non seulement par les textes onusiens et européens, mais aussi par notre Constitution, puisque, en abolissant la peine de mort, nous avons consacré le droit à la vie.
M. René-Pierre Signé. Cela n’a rien à voir !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Dès alors, celui que notre droit à mourir va désormais soustraire de la vie ne sera-t-il pas présent partout pour nous interroger sur nos contradictions juridiques ? Comment cette aide active à mourir s’articulera-t-elle avec l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement » ? Comment ce droit à mourir s’accordera-t-il avec la prohibition de la provocation au suicide, la poursuite de la non-assistance à personne en danger et de l’abus de faiblesse, ou encore avec le droit à la santé ?
J’ai aussi la certitude que, après le questionnement anthropologique et juridique, le médecin nous rappellera que ce texte va à l’encontre de la déontologie qui est la sienne, comme l’ont souligné plus de 8 000 praticiens : « Quels que soient les choix que notre société pourrait faire dans le futur, donner la mort ne relève en aucune façon de la compétence du médecin et […] nous […] n’assumerons pas ce rôle. » Comment en effet concilier ce nouveau devoir d’assistance médicalisée avec le serment d’Hippocrate et l’article R. 4127-38 du code de la santé publique qui impose au médecin de ne pas « provoquer délibérément la mort » ? (M. Robert del Picchia applaudit.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
Mme Marie-Thérèse Hermange. J’ai la certitude aussi que différentes autorités, notamment médicales, ainsi que celles et ceux qui m’ont fait l’honneur de me donner mandat pour siéger dans cette assemblée m’interrogeront : « Vous ai-je élue pour voter une loi donnant le droit à la mort ? Pourquoi ajouter encore aux textes existants ? Ne convient-il pas plutôt de faire appliquer la législation actuelle ? » C’est aussi pour pouvoir leur répondre que je ne voterai pas cette proposition de loi.
Je souhaite enfin remercier Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, Jean-Pierre Godefroy, Guy Fischer et Alain Fouché de me donner la possibilité de dire, dans cette enceinte, qu’il n’y a pas de réponse simple et que nous sommes peut-être en train d’évoquer un des rares problèmes sur lesquels aucune loi n’aura jamais aucune prise. (M. Jean Desessard s’exclame.) Et que même avec un regard différent du vôtre, avec des mots sans aucun doute maladroits, il n’y a pas non plus d’impossible pour rencontrer l’autre, écouter et accueillir sa parole.
Voilà ce que vous nous avez donné à vivre ce soir au travers de ce débat, et cela nous devons vous en remercier.
Si je partage vos interrogations, je n’adhère pas à la réponse que vous leur apportez.
Je fais ainsi écho à ceux que nous n’entendons pas. Je pense, par exemple, à Mme Pavageau, qu’au sein de cette assemblée, monsieur le président du Sénat, par l’intermédiaire de Monique Papon, vous avez décorée de la Légion d’honneur, pour son combat en faveur des personnes handicapées.
Cette femme, âgée de cinquante-cinq ans, tient les propos suivants : « Il y a vingt-six ans, en dix minutes, j’ai basculé de la parfaite santé à la dépendance totale. […] Je ne parle qu’avec difficulté. […] J’utilise l’ordinateur avec deux doigts. […] Il me faut avoir à tout moment la patience de mes impatiences. […] Il a pu m’arriver de souhaiter mourir, mais c’était pour entendre quelqu’un autour de moi me donner une raison de vivre. […] Si un jour je traverse une période de découragement intense, est-ce qu’on va m’euthanasier en rebaptisant cet acte “geste d’amour” ? » (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat débat aujourd'hui de l’opportunité de légaliser l’euthanasie. Je souhaite revenir avec vous sur deux notions invoquées par les auteurs de la proposition de loi : la dignité et la liberté.
En premier lieu, la dignité ne serait-elle vue qu’à travers le seul prisme du regard de l’autre et ne dépendrait-elle que de facteurs extérieurs tels que l’âge, la santé, la beauté ou encore la productivité ? À partir de quand estime-t-on une vie non digne d’être vécue ? Y a-t-il un seuil de déchéance à partir duquel une vie humaine serait qualifiée d’indigne ? Si oui, ce seuil serait-il objectif ou laissé à l’appréciation de chacun ?
Ne soyons pas dupes de la fausse compassion qui prévaut en la matière. Certes, les intentions des uns et des autres peuvent être sincères et la question qui nous occupe est pour le moins délicate.
Mais donner la possibilité à un malade de demander au médecin d’abréger ses jours, sous le prétexte qu’à partir d’un certain seuil sa vie serait devenue indigne, revient à inscrire dans la loi le caractère relatif de la dignité humaine.
Pour les partisans de l’euthanasie, il existe des situations où la dignité de la vie humaine peut être mise en doute, mesurable à l’aune de critères variables. Ainsi, certaines vies ou fins de vie, « dégradées » par la maladie, n’auraient plus vraiment de valeur, au point que, dans ces cas, le geste euthanasique constituerait un bien pour celui qui serait en train de perdre sa dignité et qui demande d’en finir.
On peut d’ailleurs se demander si l’entourage des malades et, au-delà, la société tout entière ne sont pas, pour une bonne part, responsables de l’image que chacun se forme de sa propre dignité.
C’est ce que dit Axel Kahn : « Une personne peut craindre de devenir indigne de l’image qu’elle a de la dignité. Mais je pense qu’elle a surtout peur de se voir comme indigne dans les yeux des autres ».
N’est-ce pas en raison de l’image de cette « indignité », dont nous voudrions être épargnés, que les grands malades et les mourants, victimes de la « déchéance », sont écartés de la scène publique ? Le statut du mourant n’est-il pas problématique dans nos sociétés ?
Si l’on ne peut nier, sur le plan psychologique, que le malade, voyant se flétrir son corps et ses facultés, puisse éprouver le « sentiment d’une dignité diminuée », on ne doit pas perdre de vue qu’au-delà de nos appréciations subjectives, le malade possède une dignité inhérente à son être même, fondée sur le seul fait d’appartenir au genre humain. La dignité est bien un principe intangible et indiscutable : par le seul fait qu’il existe, l’être humain a une dignité.
Le philosophe et ancien ministre Luc Ferry s’emporte contre ceux qui font de la dignité un attribut que l’on peut perdre : « L’idée même qu’un être humain puisse perdre sa dignité, parce qu’il serait faible, malade, vieux et par là dans une situation d’extrême dépendance, est une idée intolérable sur le plan éthique, à la limite des plus funestes doctrines des années trente ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Il ne faut pas exagérer !
Mme Anne-Marie Payet. Et de plaider pour « […] un discours de compréhension et d’assistance, pour ne pas dire d’amour […] ».
Il n’existe aucun droit sur les plans philosophique et juridique qui justifierait le fait d’être euthanasié au nom de la dignité.
N’est-ce pas également en raison de la portée du principe de dignité que la France s’apprête à rejeter avec fermeté la légalisation de la gestation pour autrui ? Même avec son consentement, la « mère porteuse » n’est pas libre de s’exiler de l’humanité et d’abdiquer sa dignité.
N’est-ce pas la première forme de respect que nous devons aux plus vulnérables ?
Poussant plus loin la réflexion, je me demande si l’on n’est pas saisi par la tentation de rejeter la condition humaine avec toute la part de déchéance qu’elle comporte inévitablement, surtout lors du grand âge.
Refuser de vieillir, cela peut être aussi refuser de vivre, puisque la vieillesse fait partie intégrante de la condition humaine.
Dès lors, je me demande si ce n’est pas notre regard sur la vieillesse qui ne serait pas assez pur. Dans une société qui valorise l’image et l’apparence, multiplie les crèmes antirides et les produits de beauté,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Qu’est-ce que cela a à voir ? Faut arrêter !
Mme Anne-Marie Payet. … ne devient-on pas esclave d’une image artificielle de l’homme que favorisent le show-biz et la publicité, au risque de rejeter l’évolution naturelle de l’espèce humaine ?
Mme Anne-Marie Payet. Pourquoi refuse-t-on de vieillir aujourd’hui en France ? Et quel signal renvoie-t-on alors au monde de la vieillesse en dévalorisant ainsi un âge jugé indigne ?
En second lieu, je poursuivrai mon propos par une analyse de la notion de liberté, au cœur de la revendication des partisans de l’euthanasie.
La thèse avancée pour autoriser l’euthanasie consiste à dire qu’elle serait un droit fondamental de l’individu dès lors qu’elle est librement choisie par un adulte en pleine possession de ses facultés.
Nous pouvons émettre deux objections. D’abord, on oublie complètement que l’euthanasie ou le suicide médicalement assisté ne sont pas, et ne seront jamais, le lieu d’exercice d’une liberté purement individuelle. En effet, comme le soulignent Luc Ferry et Axel Kahn, les promoteurs de l’euthanasie se focalisent sur la demande et les procédures garantissant le bien-fondé du consentement libre de la démarche du malade, oubliant l’autre moitié du contrat : la réponse qu’il faut apporter à cet appel.
Autrement dit, en faisant peser sur des tiers, en l’occurrence les médecins, l’obligation de rendre effectif un droit à mourir, on se trouve devant le paradoxe d’une liberté qui a besoin de l’autre et n’est finalement que l’expression de l’impuissance d’un individu qui a besoin de la puissance d’agir des autres pour être effective.
Ensuite, la seconde objection consiste à rappeler que la liberté revendiquée d’un malade qui souffre n’existe pas pleinement. La demande de mort n’est la plupart du temps que l’expression d’un appel désespéré, d’un appel au secours.
Je comprends d’ailleurs parfaitement l’angoisse d’un malade qui, en proie à une souffrance qu’il n’estime plus supportable, en vient à demander sa propre mort. Ne doit-on pas reformuler sa demande et estimer qu’il s’agit d’un cri de détresse devant une souffrance devenue insupportable ?
Je pense que, loin de devoir donner la mort, le rôle du médecin consiste à tenir compte du contexte de violence extrême dans lequel s’effectue cette demande, pour la reformuler ensuite en termes médicaux, par exemple, en une demande de soins palliatifs.
La vraie liberté serait celle de choisir entre la vie et la mort, en l’absence de toute contrainte liée aux circonstances de l’existence, qu’elles soient d’ordre physique, notamment en cas de maladie ou d’invalidité, ou psychologique et morale, en particulier dans les situations de deuil ou de rupture affective. Elle supposerait aussi de connaître parfaitement les termes du choix afin de se déterminer en toute connaissance de cause. Un tel choix est-il possible, mes chers collègues, à partir du moment où la mort reste pour nous la grande inconnue ?
Sans entrer dans un tel débat philosophique, j’attire votre attention sur l’imposture qui consiste à présenter l’euthanasie comme une liberté.
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas l’euthanasie !
Mme Anne-Marie Payet. Pour Axel Kahn, « la demande de mort émane toujours d’une personne pour qui la vie est devenue insupportable, et qui estime qu’elle n’a pas d’autre choix que de l’interrompre. »
C’est donc parce qu’il est indispensable de promouvoir la dignité inaliénable et absolue de toute personne humaine quels que soient son âge, sa vigueur et sa santé, et parce que, par ailleurs, l’euthanasie ne peut, à mon sens, constituer un choix libre et raisonnable que je voterai contre ce texte, qui tend selon moi à instaurer un permis légal de tuer, car la seule solution digne d’une société humaine comme la nôtre est le développement des soins palliatifs. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur de nombreuses travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Ce n’est pas dans la légalité que les abus ont lieu, mais bel et bien dans l’illégalité ». C’est avec ces mots que Jean Huss, notre collègue député Vert luxembourgeois, a défendu la loi qui a permis au Grand-Duché de légaliser l’aide à mourir.
J’espère que nous suivrons aujourd’hui l’exemple de nos voisins du Benelux et je remercie mon collègue socialiste Jean-Pierre Godefroy, mon collègue du groupe CRC-SPG Guy Fischer et mon collègue de la majorité Alain Fouché d’avoir eu le courage d’ouvrir à nouveau ce débat.
Il existe aujourd’hui une absurdité dans notre code pénal : aucune distinction n’est faite entre la mort donnée par compassion à autrui, à sa demande, et l’assassinat, puni de la réclusion criminelle à perpétuité.
Le cas de Vincent Humbert a montré les lacunes de notre droit.
La responsabilité du décès ne doit pas incomber aux familles ou aux médecins. C’est à la personne en fin de vie de choisir. C’est un acte individuel fort. C’est le droit à disposer de soi-même.
Quand allons-nous reconnaître l’exercice du droit fondamental de chaque être humain sur sa propre vie ? L’opinion publique semble prête. Que fera cette nuit la représentation nationale ?
La majorité se repose sur la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti ». Malheureusement, cette loi est trop souvent ignorée, mal connue et pas toujours appliquée. (M. Alain Gournac s’exclame.) Les médecins ne sont pas toujours correctement formés, les patients pas toujours bien informés et l’acharnement thérapeutique existe toujours.
Mais, surtout, cette loi est insuffisante, car elle laisse trop peu de place à l’autodétermination des patients. C’est à chaque malade de choisir : faire le choix de vivre encore ou de mettre un terme à ses douleurs, à sa souffrance. Ce n’est ni à l’entourage ni à l’équipe médicale de décider.
D’ailleurs, que peut faire l’équipe médicale ? Aujourd’hui, elle se cantonne à laisser mourir les malades, puisque l’on interdit au médecin d’aller au bout de son acte. On augmente les doses de morphine, on enlève les perfusions, mais, officiellement, on ne donne pas la mort. Quelle hypocrisie !
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Jean Desessard. La loi n’est donc pas adaptée, car elle ne satisfait pas celles et ceux qui arrivent en fin de vie ni leurs proches ni les soignants.
M. Josselin de Rohan. C’est ce que vous dites !
M. Jean Desessard. Alors que se passe-t-il ? Allons-nous laisser souffrir les malades qui demandent à mourir ? Allons-nous laisser les citoyens sans repère, quitte à ce que certains se retrouvent devant les tribunaux ? Allons-nous laisser les médecins enfreindre la loi encore longtemps ? Allons-nous laisser les magistrats face à ce vide juridique ? De toute façon, comment punir ceux qui ont aidé leurs proches ? Le procès de Marie Humbert s’est conclu par un non-lieu.
Cela fait trente ans que les Français attendent une loi. C’est aujourd’hui au législateur d’assumer sa responsabilité.
C’est tout de même étrange d’entendre certains dire aujourd’hui qu’il y a un vrai problème et qu’il faut y réfléchir encore. Une décision est à prendre, c’est tout !
Nous avons entendu ceux qui nous expliquent que si les personnes en fin de vie souffraient moins physiquement, il n’y aurait pas besoin d’assistance médicalisée pour mourir.
Ce sont deux questions différentes. D’un côté, il faut impérativement généraliser l’accès aux soins palliatifs, nous sommes tous d’accord sur ce point. Or, monsieur le ministre, à l’heure actuelle, ces soins ne sont accessibles qu’à 15 % ou 25 % de ceux qui en ont besoin. C’est vraiment très peu !
En revanche, d’un autre côté, la délivrance de la mort doit être également un choix, car les soins palliatifs et l’aide à mourir sont des choix complémentaires.
La douleur des personnes en fin de vie n’est pas tout. Elle s’accompagne parfois d’un désespoir lucide qui va au-delà de la douleur. Certaines personnes ne supportent pas l’idée de devenir complètement dépendantes et n’acceptent plus leur déchéance.
Il faut partir des réalités d’aujourd’hui : 70 % à 75 % des décès ont lieu à l’hôpital ou en maison de retraite, dans des conditions le plus souvent jugées inacceptables par les soignants,…
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Jean Desessard. … et seules 24 % des personnes qui meurent à l’hôpital sont accompagnées par leurs proches,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Desessard. … soit plus de 75 % qui meurent dans la solitude.
Pourtant, que souhaitent la plupart de nos concitoyens ? Mourir chez eux sereinement, entourés de leurs proches à qui ils peuvent dire au revoir.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien ! C’est cela le respect !
M. Jean Desessard. Prenons un exemple européen.
Cela fait dix ans que les Pays-Bas autorisent l’aide à mourir et la jurisprudence en tolérait la pratique depuis vingt ans. Il n’y a pas d’abus à déplorer. Dans ce pays, où l’aide médicalisée à mourir concerne 2 % des décès, et ce taux a tendance à légèrement diminuer, on meurt le plus souvent à domicile.
M. René-Pierre Signé. En France, 70 % des personnes meurent à l'hôpital !
M. Jean Desessard. Mon souhait est que ce vœu profond de délivrance puisse également être accompagné et encadré en France. Car mourir dignement est un droit fondamental.
C’est à nous, parlementaires, de faire en sorte que l’État protège le pluralisme moral.
Les législations des États qui autorisent l’aide médicalisée à mourir n’obligent évidemment personne à demander ces interventions, mais elles n’interdisent pas non plus à certains citoyens d’y recourir et de vivre ainsi selon leurs convictions morales. Elles vont dans le sens du pluralisme moral, ce que la loi Leonetti ne permet pas aujourd’hui.
Ceux qui, pour des raisons éthiques ou religieuses, veulent lutter jusqu’au bout de leurs forces doivent considérer que d’autres peuvent faire un autre choix et accepter que la loi les y autorise.
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Jean Desessard. C’est donc une loi républicaine que nous avons la possibilité de consacrer aujourd’hui.
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Jean Desessard. C’est une loi de liberté, qui respecte la volonté du malade, mais aussi celle du médecin, qui peut accompagner ou ne pas accompagner vers la mort.
C’est une loi d’égalité, car les Français seront enfin égaux devant ce choix ultime. Il n’y aura plus ceux qui ont les moyens d’aller en Suisse et les autres.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Desessard. C’est enfin une loi de fraternité, pour permettre aux malades et à leurs proches d’affronter le plus sereinement possible ces moments douloureux.
C’est pour ces raisons que les écologistes voteront pour ce progrès en faveur des libertés individuelles. Les sénatrices et les sénateurs Verts soutiennent la proposition de loi ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Bernard Piras. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’indignation mobilise les sentiments, elle relève plus du comportement et moins de l’agir. Mais la honte que nous éprouvons devant la proposition de la commission des affaires sociales (Exclamations sur les travées du groupe socialiste)…
Mme Françoise Laborde. La « honte » ? C’est excessif !
M. Jean-Louis Lorrain. … est du domaine de l’émotion.
Oui, j’ai eu honte pour le Sénat ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. C’est un peu excessif, non ?
M. Bernard Piras. C’est un appel à la sérénité du débat…
M. Jean-Louis Lorrain. Voilà un texte militant dont nous montrerons les faiblesses. Sa dangerosité a pour seul mérite de renforcer nos convictions, d’inciter à la réflexion, à la recherche, à accorder les moyens nécessaires, par exemple aux unités de soins palliatifs, aux équipes mobiles, à l’hospitalisation à domicile et aux structures d’accueil.
Le tragique du débat est qu’il mobilise souvent les mêmes arguments contre la dépénalisation ou à l’appui de la légalisation. Il ne s’agit pas d’un débat éthique où nous pourrions cheminer non vers un consensus, mais dans la discussion, en échangeant des convictions.
Mme Isabelle Pasquet. C’est ce que nous faisons ce soir !
M. Jean-Louis Lorrain. Les positions sont contradictoires et irréversibles ; elles engagent la perception de la liberté. Être libre de décider du moment de sa mort, être libre du jugement que l’on porte sur soi-même et sur sa dignité, être libre de décider du seuil de la souffrance supportable : tout cela est un leurre.
M. René-Pierre Signé. Il n’a jamais vécu ce qu’il se passe à l'hôpital !
M. Bernard Piras. Chacun fait comme il veut !
M. Jean-Louis Lorrain. Tous font référence à des valeurs de solidarité, mais, ici, on rejette des contraintes collectives. L’affirmation d’une liberté individuelle à mourir nécessite pour les mêmes le recours au monde médical et à la loi afin de déresponsabiliser l’acte de mort. Il n’y a pas de liberté de choix de mourir, selon Axel Kahn, pour qui « la demande de mort émane toujours d’une personne pour qui la vie est devenue insupportable et qui estime qu’elle n’a pas d’autre choix que de l’interrompre ».
On ne retrouve plus affiché dans le présent texte le concept de dignité. Ce concept ouvre trop le débat, en particulier celui de l’indignité à définir, à identifier parmi nos semblables. Pour Jacques Ricot, « mourir dans la dignité signifie ici exactement le contraire de ce qu’on fait dire à l’expression, puisque, en provoquant la mort d’une personne dont on estime qu’elle a perdu sa dignité, on la conforte dans la dépréciation d’elle-même et l’on nie sa dignité ontologique ».
Légaliser, c’est s’engager vers un risque de pression morale sur les plus fragiles et les plus pauvres, c’est faire du médecin un décideur radical par son jugement…
M. Didier Guillaume. Mais non !
M. Jean-Louis Lorrain. … et un exécuteur de la sentence aboutissant à la division des professions de santé.
Nous devons nous en tenir aux textes législatifs en notre possession, en particulier à la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti. Le principe de non-abandon retenu nécessite que l’on écoute, que l’on accompagne, que l’on soulage la personne en grande détresse devant la mort. Mais l’interdit doit rester. Tuer serait immoral pour certains et accordé à d’autres.
M. René-Pierre Signé. Mais on va tous mourir un jour !
M. Jean-Louis Lorrain. La légalisation de l’euthanasie ne contribue en rien à la moralisation de l’acte de mort.
Prenons deux figures.
La femme à la rue, en grande souffrance, ne pouvant assumer une vie normale et dont les conditions d’existence ne lui permettent plus d’assumer son identité : que répondez-vous en cas de demande d’aide à mourir ?
L’étranger gravement malade, qui se verrait refuser son droit de séjour et demandant à en finir : est-ce au médecin de régler les conséquences de décisions politiques ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Les étrangers, vous n’en voulez pas !
M. Jean-Louis Lorrain. L’euthanasie ou la possibilité de mort médicalement assistée est une menace pour les personnes fragilisées et dépendantes.
M. Didier Guillaume. C’est l’inverse !
M. Jean-Louis Lorrain. L’image d’inutilité, de coût que s’inflige la personne vulnérable est accentuée par cette offre mortifère que lui donnerait la loi.
Ce texte me paraît d’autant plus injustifié qu’il est issu de personnes respectables,…
Mme Raymonde Le Texier. Il ne faut pas délirer comme cela !
M. Jean-Louis Lorrain.… avec lesquelles nous pouvons partager des valeurs. (M. Guy Fischer s’exclame.)
Il nous est proposé toute une organisation bureaucratique : commission, fichier, formation, exécutants. Nous sommes devant un texte « allégé », censé préparer le futur.
L’aide à mourir, relevant du code de la santé publique, pose déjà le problème de l’articulation avec des sanctions pénales pour provocation au suicide ou abus de faiblesse.
Nous entrerons, après d’inévitables dérapages, dans un système totalitaire.
M. Jean-Louis Lorrain. Et le politique, grâce à l’administration contrainte, soutenu par quelques intellectuels de haut rang, s’attaquera aux handicapés, aux déments, trop coûteux... (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Bel. C’est honteux !
M. Didier Guillaume. Qu’est-ce que cela veut dire ?
M. Bernard Piras. Rendez-nous Haenel ! C’est honteux !
Mme Raymonde Le Texier. Et malhonnête !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
Mme Isabelle Pasquet. Ce sont ces propos-là qui font honte au Sénat !
M. Jean-Louis Lorrain. Ce risque pose la question de l’exception. Les situations extrêmes – mais lesquelles ? – sont toujours extrêmes pour celui qui va mourir. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Bernard Piras. Rendez-nous Haenel !
M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. Lorrain, et à lui seul !
M. Jean-Louis Lorrain. Elles doivent être prises en considération – on n’abandonne pas un être en souffrance –, mais elles ne peuvent exiger la transgression.
M. Daniel Raoul. Honteux !
M. Jean-Louis Lorrain. L’évolution législative devrait permettre, selon Emmanuel Hirsch, « l’exonération de la culpabilité d’un acte transgressif. » Le « Tu ne tueras pas » de Levinas et des autres ne nous permet pas de balayer, même avec précaution, les impératifs kantiens et hippocratiques.
Cette proposition de loi est irrecevable et malsaine. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Ronan Kerdraon. C’est vous qui êtes malsain !
M. Bernard Piras. Oui, c’est vous !
M. Jean-Louis Lorrain. En voulant lier l’assistance médicalisée pour mourir aux soins palliatifs, les auteurs marquent leur préférence pour le meurtre compassionnel tout en invoquant la complémentarité. (Mme Brigitte Bout applaudit.)
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est honteux !
Mme Raymonde Le Texier. C’est indigne d’un élu !
M. Jean-Louis Lorrain. De ce fait, il n’y a aucun lien, ni philosophique, ni technique, ni médical, avec les soins palliatifs, qui relèvent de la sollicitude, de l’accompagnement et du non-abandon. (Protestations continues sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
J’aimerais souligner le rôle de l’Observatoire national de la fin de vie, présidé par le professeur Aubry : il est proposé de développer des connaissances sur la fin de vie, sur les pratiques du soin, d’apporter des données objectives fiables et de promouvoir la recherche. Dans ce registre, la Société française des soins palliatifs a en outre défini de bonnes pratiques.
M. Jean-Pierre Bel. Le temps de parole est écoulé !
M. Jean-Louis Lorrain. Nous devons nous réapproprier notre mort, déléguée au milieu hospitalier, car nous avons médicalisé la vie : de l’assistance médicale à la procréation à l’assistance médicalisée à mourir, nous nous sommes dépossédés de notre existence, nous conduisant à invoquer le droit à la mort, qui ne correspond pas à un combat éthique. (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG martèlent leurs pupitres.)
L’euthanasie est pour certains un engagement politique,…
M. René-Pierre Signé. Cela suffit !
M. Jean-Louis Lorrain.… mais il ne s’agit que d’acharnement à vouloir légiférer et à obtenir le droit à une injustifiable violence, celle du « faire mourir » ; il s’agit, selon le philosophe, de faire de la mise à mort un droit. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Daniel Raoul. Cessez !
M. Jean-Louis Lorrain. L’eugénisme le plus sournois, monsieur le ministre chargé de la santé, est celui que l’on demande à soi-même. Il devient norme pour le politique totalitaire et ouvre la porte à la barbarie.
Avec le sage, nous pensons que nous devons tendre à vivre dignement, pour soi et pour les autres (Protestations continues sur les mêmes travées), même dans les situations extrêmes, dans la sollicitude et dans le non-abandon ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également. – Huées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Protestations sur certaines travées du RDSE.)
M. Daniel Raoul. Scandaleux !
M. René-Pierre Signé. Honteux !
Mme Annie David. Excessif !
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’avais compris qu’il ne s’agissait pas de jouer une nouvelle version de la querelle des Anciens et des Modernes, d’opposer les adeptes du progrès et les autres.
Je dois vous dire que nous sommes nombreux à avoir eu honte d’entendre les propos qui viennent d’être tenus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Je me suis senti insulté. Monsieur le ministre chargé de la santé, tout à l’heure, vous nous avez invités à délibérer dans la sérénité et le respect de la liberté de conscience de chacun.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Alain Gournac. Chacun s’exprime !
M. Didier Guillaume. J’estime que les paroles que nous venons d’entendre se situent à la limite de la dignité, à la limite de ce que nous sommes capables de supporter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
Comme l’a écrit dans Le Monde notre Premier ministre, M. Fillon, « aucune conviction n’est indigne ».
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Didier Guillaume. Toutes les convictions sont respectables. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.) C’est cela qui compte aujourd'hui dans le débat.
En face d’une situation si complexe, il est légitime que le législateur s’interroge. Le sujet que nous abordons est suffisamment important pour éviter de nombreux écueils, du discours manichéen opposant le bien et le mal au débat caricatural.
Monsieur le ministre, permettez que nous nous mettions d’accord sur les termes : cette proposition de loi n’est pas un texte sur l’euthanasie. (M. Alain Gournac s’esclaffe.) Il ne faut pas détourner le débat.
Cette proposition de loi concerne l’accompagnement d’un malade en fin de vie, pour écourter ses souffrances, lui rendre sa dignité lorsque la pathologie est grave ou incurable. Ce n’est pas lui donner la mort, c’est le soulager : voilà la différence, et c’est bien cela qui est écrit dans l'article 1er de cette proposition de loi !
Une majorité de la commission des affaires sociales s’est retrouvée, la semaine dernière, autour d’un texte équilibré. Le Sénat peut en être fier. Ce soir, les sénateurs voteront en leur âme et conscience, comme ils l’entendent, peut-être en dehors des clivages politiques.
Monsieur le président du Sénat, c’est l’honneur de notre République et de la Haute Assemblée que ce débat ait lieu, ici même, quelle que soit l’issue du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Ce type d’initiative témoigne vraiment de la vigueur du Parlement. Bien sûr, nous en sommes tous conscients, cette proposition de loi attise les passions. Mais le fait que le débat vive dans cette enceinte comme au sein de la société, qu’il soit sans cesse étayé et serein, comme nous l’espérions, est la marque d’une bonne démocratie.
Le monde qui nous entoure s’est toujours construit autour de grands débats, qui l’ont fait évoluer. En 1944, ce fut le droit de vote accordé aux femmes. En 1975, ce fut l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse. En 1981, ce fut l’abolition de la peine de mort. En 1999, ce fut l’adoption du pacte civil de solidarité.
Tous ces débats se sont déroulés avec beaucoup de force : ce fut une chance pour notre démocratie. En 1975 comme en 1981, il n’y avait pas une majorité de Français pour suivre les parlementaires dans leur vote. Il ne s’agit pas aujourd'hui de s’appuyer sur les sondages. Chacun peut, tour à tour, citer des enquêtes d’opinion en faveur de telle ou telle position. Ce qui compte, c’est la réalité de ces grands sujets de société qui sont débattus au Parlement.
Alors, oui, l’adoption de la loi Leonetti a constitué un pas en avant. Mais il nous semble que la loi peut encore évoluer, car elle n’est pas allée assez loin.
Le texte que la commission des affaires sociales a adopté mardi dernier n’est finalement ni plus ni moins qu’un texte juridique visant à prolonger la loi Leonetti et destiné à permettre aux personnes qui le souhaitent de finir leur vie dignement.
Il ne s’agit pas ici de répondre à la détresse de la famille du patient qui voudrait « que l’on en termine, que l’on arrête de s’acharner, que l’on aille plus vite » ; non, il s’agit de prendre en compte les souffrances du malade.
Ce que ce texte consacre, c’est non pas le droit de mourir dans la dignité exclusivement, mais le droit de choisir de mourir dans la dignité. Et il faut vraiment veiller ensemble à ne pas opposer les soins palliatifs et cette proposition de loi.
Oui, l’accès universel aux soins palliatifs est une priorité, une obligation humaniste. Et ce sujet fait aujourd’hui consensus.
Je veux d’ailleurs saluer les médecins, les infirmiers et infirmières, le personnel soignant et aide-soignant et tous les bénévoles qui se consacrent aux soins palliatifs. Ce sont des personnes absolument remarquables dont la vie est également difficile, car c’est à elles qu’il revient d’accompagner tous les jours celles et ceux dont nous parlons aujourd’hui.
Dans ce débat, il ne s’agit pas de compter le nombre des lits dévolus aux soins palliatifs dans les hôpitaux qui, si j’en crois ce que disait M. le ministre tout à l’heure, seraient en augmentation. Non ! Il faut aller plus loin parce que seulement 20 % des personnes incurables en fin de vie sont aujourd’hui en soins palliatifs. Il faut aller plus loin.
Ce texte vise à légiférer pour poser un cadre juridique à l’assistance médicalisée à mourir. C’est de cela qu’il s’agit ! Alors, monsieur le ministre, l’autonomie de la volonté, où se manifeste-t-elle le mieux, sinon dans la lettre de Vincent Humbert au Président de la République ? Voilà vraiment ce qu’est l’autonomie de la volonté !
La hauteur et la qualité des débats au Sénat doivent nous permettre, dans le respect des convictions de chacun, d’aborder ce débat sereinement et d’aller au bout.
Si cette loi était votée, il y aurait un cadre juridique – peut-être imparfait, mais du moins éviterait-il pour beaucoup l’hypocrisie que l’on constate aujourd’hui.
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Didier Guillaume. Si cette loi était votée, elle permettrait tout simplement à ces personnes malades, à leur famille, d’accéder à la dignité.
Et non, chers collègues, on ne va pas, comme cela a été dit tout à l’heure, euthanasier les personnes en difficulté ! Là n’est pas la question. Pensons à ceux qui n’en peuvent plus, qui sont atteints d’une maladie incurable et souffrent le martyre, qui n’ont pas d’autre issue et pour lesquels les traitements dispensés dans les services de soins palliatifs ne suffisent pas parce qu’ils n’apaisent plus la douleur. Alors, oui, pensons à ceux-là et uniquement à ceux-là, protégés par des garde-fous et verrous destinés à éviter tout dérapage. Que les médecins s’expriment, qu’ils acceptent de participer ou qu’ils n’acceptent pas ! Que le malade puisse le dire, que la famille puisse également écrire !
Avec tous ces verrous, il n’y a pas de risque de déraper ! Il y a simplement la possibilité de réduire la souffrance et d’offrir, pour la fin de vie des malades incurables, une plus grande dignité.
Les convictions humanistes que les défenseurs de cette loi partagent, c’est que l’adoption de cette loi serait un pas supplémentaire vers la consécration du principe de dignité de la personne humaine. C’est, en tout cas, mon intime conviction.
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure que nous débattions dans l’émotion et la précipitation. Je veux le dire ici, nous voulons légiférer dans la dignité et en responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, malgré toute la considération et l’estime que j’ai pour Jean-Pierre Godefroy, notre rapporteur ce soir, je ne peux pas le suivre sur le chemin qu’il nous propose.
M. Daniel Raoul. On ne vous en demande pas tant !
M. André Lardeux. Je n’avais pas voté la loi Leonetti bien qu’elle ne fût pas sans mérite, considérant que ses faiblesses, notamment en ce qui concerne la ventilation, l’alimentation et l’hydratation des patients, pouvaient ouvrir la porte, par des modifications progressives, à des transgressions de plus en plus graves. Avec ces trois propositions de loi réunies en une seule maintenant, nous y sommes. Elles sont la reprise, à quelques mots près, du texte que l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD, avait présenté dès mars 2006.
La question de fond n’a pas changé. Par cette proposition, l’ADMD veut autoriser l’euthanasie, à savoir la possibilité de donner la mort à une tierce personne sous couvert d’une attitude compassionnelle, autrement dit, un permis de tuer.
Les auteurs de la proposition s’appuient sur l’émotion suscitée par certains cas largement médiatisés. En effet, qui n’a pas été touché par la situation de Vincent Humbert ou de Chantal Sébire ? Il y a cependant un oubli de taille dans ces deux cas : ni l’un ni l’autre n’étaient en fin de vie.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement !
M. André Lardeux. Notre législation n’accepte pas que l’on donne délibérément la mort, et cette position me paraît la seule raisonnable car, ce qui est en jeu, c’est le respect imprescriptible de la dignité de toute personne.
On sait où commence une transgression, mais, une fois celle-ci accomplie, toutes les barrières tombent et il n’y a plus d’obstacles pour interdire des transgressions de plus en plus grandes.
C’est ce que l’on constate dans les pays qui pratiquent l’euthanasie. En Belgique, elle a progressé de 250 % en cinq ans. Aux Pays-Bas, elle représente 2 % du total des décès, ce qui est considérable. La tendance est confirmée par l’installation croissante en Allemagne de personnes âgées néerlandaises, signalée par l’ordre des médecins allemand.
Certains, pour minimiser le problème, parlent d’exception d’euthanasie. C’est, pour moi, un concept fallacieux. En effet, l’euthanasie est ou n’est pas. Il n’y a pas de situation intermédiaire. On peut aussi jouer sur les mots en parlant d’une « euthanasie active » et d’une « euthanasie passive ». C’est tout aussi inexact. Le « laisser mourir » n’est pas assimilable à cette dernière.
Pour promouvoir la mise en place de l’autorisation de tuer, on invoque la liberté de chacun. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) On met en avant ce qu’on appelle « l’ultime liberté », mais je ne crois pas que la liberté de s’autodétruire en soit une. Dans ce prétendu droit à l’ultime liberté, on croit entendre les tenants de courants ultralibéraux qui voudraient l’étendre à tous les aspects de la vie.
La pensée ultralibérale prétend, en effet, conquérir des droits nouveaux pour mieux asservir l’homme. Mais, en cela, on préfère la liberté de mourir à celle de vivre. Au lieu d’accompagner la fin de vie, on se propose de l’accélérer.
Selon Axel Kahn, la liberté de se suicider est une liberté singulière parce qu’elle n’est, en réalité, que celle d’échapper à l’inéluctable. Le suicide, ultime liberté, est le seul moyen perçu par le suicidant d’échapper à l’insupportable, c’est-à-dire exactement le contraire de la liberté.
La proximité de la mort n’est jamais une condition suffisante pour abréger la vie. L’absolu de l’interdiction de tuer ne permet pas d’y introduire des exceptions.
L’homme peut revendiquer beaucoup de libertés, mais pas la liberté de décider de son humanité. Présenter cette proposition comme moyen de prévention du suicide, ce que nous avons entendu en commission, est un raisonnement plutôt controuvé. D’ailleurs, que sait-on de ce qui se passe dans l’esprit d’une personne âgée qui est en train de le perdre ?
Il ne faut pas non plus oublier la liberté des personnels de santé, des médecins : donner la mort n’est nullement de leur compétence. On ne peut pas reconnaître aux professionnels de santé le droit à l’objection de conscience et mettre en place un dispositif violant la liberté de conscience. En effet, le texte prévoit que si un médecin refuse de pratiquer l’euthanasie, il doit indiquer au demandeur les moyens de le faire. Or, en morale, il n’y a pas de différence de degré entre la réalisation d’un acte et la complicité dans la réalisation de cet acte. Il est bien sûr inutile d’insister sur l’effet que cela aura, en outre, sur la confiance des malades vis-à-vis des soignants…
La deuxième série d’arguments utilisés concernent la « dignité » de la vie et de la personne.
La souffrance des personnes malades et la perception qu’en ont leurs proches sont des questions difficiles. On voit bien que la peur ou l’hostilité que le vieillissement extrême inspire à notre société ne font que s’accentuer au fil du temps. Probablement est-ce ce qui pousse les partisans d’une aide active à mourir à un acharnement à en finir au plus vite.
C’est pourquoi la lutte contre la douleur et l’accompagnement de la personne en fin de vie sont indispensables et qu’il est impératif de pleinement appliquer la loi de juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. On sait que cela diminue considérablement les demandes d’euthanasie.
Pousser le concept de la qualité de la vie à un point où l’on peut affirmer tranquillement qu’une vie diminuée ne mérite plus d’exister ne laisse pas d’inquiéter.
Si la qualité de la vie devient le critère de la valeur de la vie humaine, on nie le fondement naturel et culturel de l’égalité, on institue une éthique de l’inégalité. La valeur de la vie humaine dérive non de l’état de la personne mais de son existence même.
Cela pose la question de la place faite dans notre société aux malades, aux mourants, aux faibles, aux vulnérables. Ce n’est pas en les dépossédant de la vie qu’on améliore leur qualité de vie. C’est ce que confirme le professeur Israël : « Le monde vers lequel nous nous dirigeons sera à l’image du sort qu’il réservera à ses vieillards. Si ce monde n’a qu’une hâte, celle de se débarrasser de ses vieillards, il est évident que toutes les autres catégories humaines qui ne seront pas considérées comme productives pour les pouvoirs en place connaîtront le même sort. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Dans cette situation, ce n’est pas au médecin qu’il faut demander de décider, c’est aux économistes.
La société n’a pas vocation à organiser la mort, ni celle de l’enfant à naître, ni celle du grand malade, ni celle du vieillard en fin de vie, ni celle du criminel ayant commis un acte monstrueux.
En le faisant, elle sape les fondements mêmes de son existence. C’est proprement suicidaire ! L’essence de la vie transcende toutes les conditions de l’existence, si difficile soit-elles. Personne ne peut donc décider de la mort d’autrui.
Ce qui pousse la société vers l’euthanasie, c’est que la mort est le plus grand tabou de notre époque. Il nous faut apprendre à la réapprivoiser. Il nous faut sortir de l’idéal totalitaire du corps parfait.
Le grand problème est la solitude des malades, des mourants, car notre société fait tout pour expulser la mort de la Cité. Pourtant, la mort ne peut qu’être au cœur de la vie, de la société.
Une société pour la vie est une société qui aide ses membres à vivre jusqu’au bout leur vie, qui ne fait pas douter de la valeur de leur présence. Sinon, tout un chacun se demandera si on veut encore de lui. À moins de penser, comme l’écrit Jacques Attali, que « l’euthanasie sera l’un des instruments essentiels de nos sociétés futures »…
L’interdiction de donner la mort est donc un principe fondateur de notre société. Le transgresser, même pour des raisons compassionnelles, entraînera des dérives de plus en plus difficiles à contrôler.
C’est contraire à l’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme et au principe d’égalité de l’article Ier de la déclaration de 1789. Et je suis convaincu que cela met à mal le troisième terme de notre devise républicaine.
Il s’agit donc de ma part d’une opposition de fond au permis de tuer, car ma vision du monde, de la société et de l’humanité diverge tout à fait de celle qui sous-tend les propositions de loi présentées.
En effet, même si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. Je crois à la vie car, pour moi, tout homme est une histoire sacrée. Je refuse donc la culture de mort qui conduit l’Europe à son suicide. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis l’adoption, en 2005, de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, ce débat, sans cesse relancé autour de ce qu’on appelle communément « l’accompagnement à la mort », ou « le droit des patients en fin de vie », continue, certes, d’évoluer, mais reste souvent stérile et occulte complètement l’ensemble des travaux et rapports d’une grande qualité qui l’ont accompagné.
Aujourd’hui, de même qu’il y a chez certains une volonté de maîtriser le début de vie, il y a la tentation de maîtriser la fin de vie.
J’ai eu, comme vous, à maintes reprises, l’occasion d’animer des soirées autour de ce thème difficile, et souvent tabou. Ces rencontres m’ont toujours permis d’informer un public large, de dialoguer et d’échanger sur ce sujet délicat, pour lequel nous nous sentons tous concernés. Nous ne pouvons pas, en effet, rester muets face à cette interrogation fondamentale que représente le choix du thème relatif à la fin de vie. Bien souvent, chacun repart de ces soirées plein d’interrogations dont les réponses nous renvoient à notre propre conscience, comme l’a souligné Mme Hermange.
Aucun d’entre nous ici n’a oublié cette loi du 22 avril 2005, qui prévoyait le droit reconnu aux malades d’accéder aux soins palliatifs et, en même temps, de refuser un traitement, ou le devoir imparti au médecin par l’article 37 du code de déontologie médicale de ne pas pratiquer d’obstination déraisonnable et de soulager les souffrances.
Aucun d’entre nous n’a oublié que cette loi est aujourd’hui applicable. N’est-il donc pas préférable de continuer à informer et communiquer sur ce texte qui, reconnaissons-le, reste encore trop méconnu du grand public, de sensibiliser le plus grand nombre aux questions que pose la prise en charge de la fin de vie, plutôt que relancer une polémique sur la fin de vie ?
Un récent sondage précise d’ailleurs que 60 % de nos compatriotes considèrent le développement de soins palliatifs de qualité comme la priorité en termes de fin de vie.
Comme vous, je me suis souvent posé des questions sur ce sujet, sensible et chargé en émotion. L’homme, la santé et la maladie, le respect de la vie, la dignité humaine, la dépendance, le vieillissement sont autant de thèmes qui s’entrecroisent comme dans un kaléidoscope.
Pousser son premier cri, c’est aussi accepter de rendre son dernier soupir.
L’évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les valeurs communes qui sont au fondement d’une société et soutiennent ses institutions. Offrir des conditions optimales de soins pour adoucir la souffrance, à défaut de guérir, est l’un des nouveaux enjeux de la médecine. Il ne s’agit en aucun cas d’ôter la vie, il s’agit de diminuer la durée d’un passage au terme inéluctable.
Le droit à la mort reste contraire aux valeurs des médecins et aux sources morales de notre démocratie. Quelles que soient les motivations de ceux qui demandent la légalisation de l’euthanasie, on ne peut pas admettre que la société assigne aux médecins, aux infirmiers, ou à tout autre personnel soignant, la tâche de tuer un patient (Mme Marie-Thérèse Hermange applaudit). On ne peut pas plus admettre que l’administration de la mort soit prévue par la loi, car le suicide est une liberté, et non un droit, et n’a pas vocation à le devenir.
Aujourd’hui, il s’agit bien davantage de rendre la mort plus douce et, paradoxalement, plus « naturelle ».
Le médecin et les personnels soignants doivent rendre sa dignité et la sérénité à celui qui se trouve en fin de vie. Il s’agit non pas de provoquer la mort, mais de la laisser venir naturellement. L’acte de tuer est incompatible avec le devoir de ne pas nuire, et l’associer aux soins saperait la confiance des familles envers les soignants.
Nous avons un devoir d’humanité, ce qui signifie que nous devons prendre soin de l’autre, être en harmonie avec lui et avec nous-mêmes, trouver les mots ou les gestes qui humanisent et préservent la dignité de chacun, changer notre regard et, surtout, le regard que le malade perçoit.
Nul ne vit la douleur de la même façon. Nul ne perçoit sa déchéance au travers du même prisme. Accepter notre condition de mortel tout en refusant la douleur, telle est donc la philosophie à laquelle nous devons rester attachés, en restituant au médecin la plénitude de ses responsabilités.
Renoncer à l’acharnement thérapeutique, éviter l’obstination déraisonnable, rompre l’isolement du malade en fin de vie, épargner le désarroi à la famille et éviter la culpabilité des personnels soignants, tels sont les principaux objectifs sur lesquels nous avons pu aboutir grâce au développement de la culture palliative, qui confirme l’interdit de tuer, mais replace le malade au centre du dispositif en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie.
Monsieur le ministre, il est indispensable de confirmer l’importance qu’il convient d’accorder aux soins palliatifs : non pas tant, en l’occurrence, la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements que la participation à cette démarche des différents services susceptibles d’accueillir des patients en fin de vie.
Faire entrer les soins palliatifs dans les services hospitaliers a constitué une avancée notable, une « révolution culturelle », dans la mesure où cette présence traduisait l’acceptation des limites de la « médecine curative ».
M. René-Pierre Signé. Nous sommes encore en retard !
M. Alain Milon. Elle a permis de rappeler chacun à l’humilité, et cela est déjà en soi un grand progrès.
Au fil des années, les choses ont changé, et nous pouvons nous féliciter de l’évolution significative de notre législation. Mais peut-elle se poursuivre ? Peut-elle aller encore plus loin en ouvrant la porte à une nécessaire évolution de nos mentalités, de nos lois, qui irait jusqu’à une forme de « droit à la mort » conférant un ancrage législatif aux conditions de limitation ou d’arrêt d’un traitement ?
S’il est vrai que la mort est un sujet qui dérange, il faut accepter de porter la réflexion sur le devant de la scène – je remercie Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. le rapporteur de l’avoir fait ! –, en reconnaissant que ce qui nous réunit tous, à l’occasion de ce débat, c’est le refus de la souffrance.
Oui, le sujet est polémique. Mais, quoi qu’il en soit, nous devons tenter, tout en respectant la dignité du patient, de trouver des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations, qui restent exceptionnelles et dramatiques.
Personnellement, je pense que la question de l’euthanasie, ou de l’aide active à mourir, est dépassée, car presque toutes les souffrances peuvent être soulagées. Le mot « euthanasie » est d’ailleurs souvent employé pour évoquer un autre débat, que je n’aborderai pas ici : celui de l’aide au suicide.
Autoriser et pratiquer l’euthanasie, mes chers collègues, revient à fuir nos responsabilités. Il ne s’agit en aucun cas d’une victoire de la liberté, mais bien d’une défaite de la volonté collective.
La prudence à l’égard des dérives possibles d’une loi, la protection des plus faibles et enfin la protection de la mission du médecin, plaident en faveur d’un refus de légiférer sur le principe de l’euthanasie, car il y aura toujours, hélas, des situations dramatiques et des exceptions.
J’estime, en conclusion, qu’il n’est pas opportun de voter une nouvelle loi traitant d’un sujet aussi douloureux et complexe au regard de l’extrême diversité des situations existantes. En revanche, nous devons insister sur le refus de l’obstination déraisonnable. Il nous faut aussi prendre conscience, j’en suis convaincu, de l’importance fondamentale qui s’attache non seulement au développement des nombreuses actions de sensibilisation et d’information relatives aux soins palliatifs, mais aussi à la formation des professionnels de santé, des bénévoles et du public dans le cadre d’une loi qui tolère un « laisser mourir » et surtout pas une « aide à mourir ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont.
Mme Bernadette Dupont. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n’est pas facile d’intervenir en dernier ! Il y aura sans doute des redites dans mon intervention, et je vous prie par avance de m’en excuser. Mais je ne pouvais me taire sur ce sujet, qui me tient particulièrement à cœur.
« La perversion de la Cité commence par la fraude des mots », disait un philosophe grec.
« Euthanasie volontaire », « aide active à mourir », « aide active à mourir dans le respect des consciences et des volontés », « assistance médicalisée pour mourir », quels que soient les termes employés, ne nous y trompons pas : il s’agit bien d’assister le suicide d’autrui en légalisant l’acte de mort.
Au nom de quoi ? Au nom du respect de la liberté et de la dignité de l’homme affaibli, dans le but d’abréger, à sa demande, ses souffrances, afin qu’il soit l’acteur de sa propre mort ?
Mais quelle est donc, mes chers collègues, cette conception de l’homme qui rabaisse sa dignité et l’enferme dans son seul état biologique, psychique ou psychologique ?
C’est le principe même d’humanité qui fait la grandeur, la liberté et la dignité de l’homme, quel que soit son état, du début à la fin de la vie. Si la société ne reconnaît pas ce principe imprescriptible et inaliénable, elle court le risque d’exclure les personnes les plus vulnérables et d’aboutir, à plus ou moins brève échéance, à l’eugénisme, au meurtre des personnes désignées comme indésirables, à une déviance des consciences. La société perd ses repères.
Comment ? Chacun le sait : le champ d’une loi d’exception, même bien encadrée, finit toujours par s’élargir et son application par se généraliser. Qu’adviendra-t-il des malades devenus incapables de s’exprimer ? Qui jugera de l’intensité de leur souffrance ? Qui prendra l’ultime décision ?
Je ne peux ainsi passer sous silence le sort des personnes mentalement handicapées, dont certaines sont complètement mutiques. Qui jugera pour elles ? les médecins ? les familles ? les tuteurs ? Et à quelle aune, sinon à celle de leur propre capacité à continuer de supporter ou non la dépendance de leurs proches ? Je pense en particulier aux parents âgés : épargnons-les ! Ne prenons pas le risque de commencer par légaliser, avant d’imposer un geste létal non désiré.
Puisque nous parlons de dépendance, mes chers collègues, pensez-vous qu’à l’heure où le Gouvernement se penche sur la manière de prendre en charge la perte d’autonomie – débat de société et affaire de cœur s’il en est, comme le disait une voix autorisée lors d’une récente cérémonie de vœux ! –, cette proposition de loi soit vraiment opportune ?
Je ne ferai à personne l’affront de penser que, sous couvert de compassion et de sollicitude, il y aurait ici une manière de traiter du financement de la dépendance. Mais prenez-y garde : certains pourraient faire ce procès, et aucun parlementaire n’en sortirait grandi.
Ces propositions sont inacceptables à tous égards. On ne vole pas la mort d’autrui. Une demande d’euthanasie doit être écoutée, et reçue en priorité comme un appel.
Tous les témoignages sont formels : pour certains, c’est un appel à apaiser des souffrances devenues intolérables, pour d’autres, un appel à un accompagnement médical adapté, et surtout à un accompagnement psychologique et affectif qui ne laisse pas le malade à sa solitude face à la mort qui vient.
De plus ces propositions de loi sont inutiles. La loi Leonetti de 2005, insuffisamment connue et exploitée, permet de répondre à ces situations extrêmes. Elle exige l’administration de soins appropriés, même au prix d’un raccourcissement de la vie, refusant tout à la fois l’euthanasie et l’acharnement thérapeutique.
Les soins palliatifs existent et apportent dans tous les cas une réponse apaisante à la souffrance et à la crainte, ô combien humaine, de la mort.
Voir partir un proche en paix, à son heure, permet à ceux qui restent d’être, eux aussi, en paix.
Ne laissons pas le corps médical courir le risque de trahir le serment d’Hippocrate ! Ne laissons personne prendre le risque de se sentir coupable de n’avoir trouvé, comme unique solution au stade ultime de la vie, que l’œuvre intentionnelle de mort. Celle-ci n’est-elle pas une manière de dire : « Dans notre impuissance, nous ne pouvons que t’abandonner », une impuissance oublieuse des rapports de cœur et de la main tendue, peut-être à la recherche du « meilleur des mondes » ?
« Ce n’est pas un droit à l’euthanasie que demandent les grands malades, mais un droit à la solidarité », disait récemment à la radio la mère d’un grand accidenté de la vie. (Mme Marie-Thérèse Hermange opine.)
Je citerai à mon tour les propos de Mme Pavageau, dont l’exemple était cité par Marie-Thérèse Hermange : « Tous ceux qui demandent à mourir sont surtout en quête d’amour ».
Il nous reste, bien entendu, monsieur le ministre, mes chers collègues, à réitérer une nouvelle fois une demande forte et urgente. Celle-ci concerne le développement de soins palliatifs qui couvrent l’ensemble du territoire et qui soient accessibles à tous. Cette demande, je la fais mienne !
Vous l’aurez compris, je ne peux, en mon âme et conscience, voter un texte autorisant le geste létal légalisé sur mon prochain. Sachez que je suis largement soutenue, tout au moins si j’en juge par le nombre de courriels que j’ai reçus, en provenance de la France entière, émanant de correspondants connus et inconnus, attachés à une société à visage humain et au respect de la vie ! Une partie de ces 350 courriels émane des « sans voix », comme ils se nomment eux-mêmes.
J’ai aussi reçu un message de l’Ordre des médecins, qui vous a sans doute été adressé à tous, mes chers collègues. J’ai par ailleurs appris cet après-midi, de la bouche d’un professeur de médecine, que l’Académie nationale de médecine s’était prononcée contre cette proposition de loi.
Quoi que certains disent en se fondant sur des sondages récemment publiés, trop réducteurs, toutes ces personnes sont bien plus nombreuses que les partisans d’un texte qui lève l’interdit de tuer !
« Tu ne tueras pas ! » : l’interdit de tuer doit rester le fondement de tout pacte social.
Mme Annie David. Dans ce cas, il faut retirer nos soldats d’Afghanistan !
Mme Bernadette Dupont. Restons logiques : la peine de mort a été abolie pour les coupables ; ne la restaurons pas, sous une autre forme, pour les innocents ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous dire à tous, et en particulier au président Larcher, le fond de ma pensée. Passons sur quelques exclamations, heureusement peu nombreuses, et reconnaissons que le débat qui nous réunit ce soir est un beau débat, qui fait honneur à la Haute Assemblée, et à la vie politique aussi !
Ce débat démontre que nous savons nous concentrer sur les sujets essentiels, et quoi de plus essentiel que la fin de vie ?
Certains d’entre vous ont réagi lorsque j’ai utilisé, tout à l’heure, le mot « euthanasie ».
Patrick Ollier, qui, par respect pour le Sénat autant que par amitié pour moi, est présent parmi nous depuis le début de notre discussion, me faisait remarquer que l’euthanasie était ainsi définie dans le dictionnaire Larousse : « Acte d’un médecin qui provoque la mort d’un malade incurable pour abréger ses souffrances ou son agonie, illégal dans la plupart des pays ».
M. René-Pierre Signé. Et qui décide seul !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je ne crois pas que ce mot soit déplacé dans ce débat !
Selon d’autres définitions, l’euthanasie désigne l’acte mettant fin à la vie d’une autre personne pour lui éviter l’agonie.
Dans une acception plus contemporaine, et plus restreinte, l’euthanasie est décrite comme « une pratique, action ou omission visant à provoquer le décès d’un individu atteint d’une maladie incurable qui lui inflige des souffrances morales et/ou physiques intolérables ». Cette définition vise plus particulièrement l’acte d’un médecin ou un acte effectué sous son contrôle.
J’ai donc utilisé ce mot à dessein, et je ne pense pas qu’il ait été inapproprié compte tenu du débat qui est le nôtre ce soir.
Beaucoup d’entre vous ont cité le cas de Vincent Humbert, et je l’ai d’ailleurs fait moi-même. À cet égard, la question qui se pose est la suivante : la loi Leonetti aurait-elle pu s’appliquer ?
M. François Autain. Non !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je partage ce point de vue, monsieur le sénateur.
Cette proposition de loi aurait-elle apporté toutes les solutions ? Je n’en ai pas le sentiment.
M. Jean Desessard. Mais si !
M. Xavier Bertrand, ministre. Comme je l’ai dit tout à l’heure à propos de l’Observatoire national de la fin de vie, des questions restent en suspens et un certain nombre de travaux doivent encore être conduits en ce qui concerne non seulement l’euthanasie, mais également le suicide assisté, qui est certainement la solution dans certains des cas que nous avons évoqués.
Cependant, je ne me résous pas non plus à franchir ce pas. Je pense en effet que, face à certaines situations bien particulières, la question en jeu est non pas celle de la fin de vie, mais le souhait de mettre un terme à sa vie alors que l’on n’a pas les moyens de le faire.
Évitons d’être manichéens et de chercher à opposer la loi Leonetti à la proposition de loi présentée ce soir, car aucun de ces deux textes n’est en mesure de résoudre tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Je le répète, j’ai été marqué par le témoignage de Mme Humbert. Même si nous avons tous parlé du cas de Vincent Humbert, et je ne dénie à personne le droit de le faire, elle reste la seule, en tant que mère, à pouvoir réellement juger de la situation de son fils.
La France, madame Létard, nous le savons, a un retard important en matière de prise en charge de la fin de vie. Je suis persuadé que nous sommes capables de le combler. Cependant, la question n’est pas uniquement celle du nombre de lits ou d’unités de soins palliatifs, il s’agit aussi de culture, je veux parler de la culture palliative des professionnels de santé.
Madame Desmarescaux, nous partageons les mêmes réflexions, les mêmes préventions, les mêmes objectifs. Nous avons également une approche commune de la notion de dignité humaine, dont personne n’a le monopole. Le regard que vous portez, nous sommes nombreux à le porter non seulement dans cet hémicycle, mais également dans la société française.
Monsieur Barbier, j’ai été marqué par vos propos. Vous avez raison : tout le monde, sans exception, a peur de souffrir et souhaite une mort sans souffrance. Or des soins adaptés peuvent pallier cette peur et cette souffrance. Vous l’avez dit, l’un des enjeux est de ne pas confondre le droit de mourir avec le droit à la dignité.
Monsieur Fischer, vous estimez que nous ne sommes pas égaux face à la mort. Ainsi, certains se rendent à l’étranger afin de « s’offrir une mort choisie ». Voilà pourquoi il faut développer sans faiblir les soins palliatifs, en promouvoir la culture et la pratique.
L’humanisme que vous évoquez, moi, je le vois dans le devoir que nous avons de protéger les plus faibles, ceux qui ont perdu l’autonomie de la volonté comme le dit M. Godefroy, et de proposer à tous ceux qui en ont besoin un égal accès aux soins palliatifs.
Monsieur Fouché, vous l’avez indiqué, ce n’est pas parce qu’il existe un cadre légal qu’il n’y a pas de dérive. En Belgique, par exemple, près de 47 % des euthanasies sont pratiquées hors du cadre légal. Voilà pourquoi un cadre légal qui irait beaucoup plus loin, ce que je ne souhaite pas, n’apporterait pas une garantie complète.
Monsieur Kerdraon, vous avez évoqué la culpabilité de celui qui peut choisir sa mort et la crainte de peser sur son entourage. Mais cette crainte peut aussi être induite par les souffrances de l’entourage. Ce choix relève-t-il toujours et uniquement d’un désir intime ? À mon sens, il est difficile de le savoir. Pensez à ces malades dont la conscience vacille et alterne entre des moments de flou et des moments de lucidité. C’est bien un risque que les soins palliatifs, en soulageant la souffrance du patient et des proches, permettent d’éviter.
Monsieur Détraigne, je partage votre point de vue. Plutôt que d’ouvrir une brèche dans notre législation autorisant une mort rapide et sans détour, nous devons continuer à protéger les plus vulnérables en développant les soins palliatifs.
Madame Schillinger, en revanche, je ne partage pas votre point de vue. Quelles garanties réelles cette proposition de loi offrirait-elle à la personne alors que le contrôle s’effectuera a posteriori ? Nous le savons, ce texte permettrait des dérives possibles vis-à-vis des personnes vulnérables, celles qui ne sont plus capables d’exprimer une demande à la fois libre et éclairée. Or on ne m’enlèvera pas de l’esprit que légaliser, c’est prendre le risque de banaliser.
Monsieur Retailleau, vous avez raison, avec l’euthanasie, on peut confondre le droit à mourir et le droit à la dignité. Or je suis également persuadé que la dignité humaine ne se résume pas à la seule question de l’intégrité physique ou psychique.
Monsieur Mézard, vous avez invoqué la liberté de choix pour demander la légalisation de l’euthanasie, en parlant toutefois d’exception. Je le répète, légaliser, c’est toujours prendre le risque de banaliser. Il ne faut pas méconnaître ce risque, même si, j’en suis sûr, la banalisation n’est pas dans l’intention des promoteurs du texte ou du rapporteur. Reste que ce risque existe et qu’il peut parfois se tapir sous les meilleures intentions.
Madame Hermange, je suis d’accord avec vous. On peut partager les interrogations de ceux qui veulent légaliser l’euthanasie sans partager aucune de leurs convictions. Vous avez raison de rappeler que l’euthanasie va non seulement à l’encontre de nos « fondements anthropologiques », diront certains, mais aussi et surtout de notre tradition juridique, qu’il s’agisse de la Constitution européenne ou de la législation française ainsi que de la déontologie et de la pratique médicales.
Madame Payet, je vous rejoins : la peur de souffrir, la peur de mourir, nous le savons, ne feront que grandir, car elles sont aussi liées à l’augmentation de l’espérance de vie. D’une certaine façon, la loi du 22 avril 2005 a été conçue pour répondre aux attentes et aux peurs des Français, et j’entends par là les patients comme leurs proches.
Comme vous le soulignez, la demande de mort n’est-elle pas avant tout une demande de secours, un cri de détresse, une souffrance qu’il convient surtout d’apaiser ? Cette idée a d’ailleurs été reprise par de nombreux intervenants, et nous devons aussi l’avoir présente à l’esprit.
Monsieur Desessard, vous avez évoqué la pratique de l’euthanasie en France. Aucune étude n’existe sur le sujet.
Vous avez également évoqué l’euthanasie légale pratiquée aux Pays-Bas, sur laquelle nous possédons plus d’informations, en soulignant que c’est ainsi que l’on peut sortir de la clandestinité. Mais comment expliquez-vous la proportion à peu près équivalente d’euthanasies illégales qui est pratiquée dans le même pays ?
En outre, un chiffre n’est jamais évoqué par les partisans de l’euthanasie : le nombre des décès que nous aurions ainsi à constater dans notre pays, compte tenu de la différence démographique entre les pays où cette pratique est légale et la France. Les proportions seraient en effet difficilement acceptables pour certains de nos concitoyens.
Monsieur Lorrain, certains partagent avec vous le souci du risque de confusion que vous avez évoqué et les dérives possibles que cette proposition de loi pourrait provoquer.
Monsieur Guillaume, selon vous, il ne s’agit pas d’une proposition de loi sur l’euthanasie. Dois-je vous rappeler la définition de ce mot, notamment celle du Larousse ? Certes, le terme n’est pas employé dans le texte, mais l’acte est bien présent. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les amendements qui seront défendus tout à l’heure.
Cette proposition de loi, disons-le clairement, vise à créer une exception légale au principe de l’interdiction de donner la mort. Ce n’est pas neutre, ce n’est pas un texte banal. Pour le dire autrement, la proposition de loi vise à créer une autorisation légale à donner la mort, c’est-à-dire à autoriser l’euthanasie.
Je peux le dire de différentes façons, le propos peut être adouci, mais, en définitive, nous en arriverons exactement au même point pour définir ce qui est ici proposé.
Monsieur Lardeux, je vous rejoins également quand vous dites qu’il ne faut pas céder à l’émotion dès que l’on aborde le thème de la fin de vie, mais qu’il faut s’interroger avec objectivité afin de faire le choix le plus juste possible.
Vous pointez également l’acception parfois trop large de la notion de « fin de vie ». Comme je l’ai dit tout à l’heure, ne confondons pas les situations. En revanche, vous le savez, je n’ai jamais eu de doute quant au bien-fondé de la loi Leonetti, texte qu’il faut promouvoir encore et toujours dans les pratiques et la connaissance.
Monsieur Milon, j’ai été marqué par la justesse de ton de votre intervention. Il est vrai que le sujet est complexe, qu’il entrecroise les soubassements sociologiques, juridiques, sociétaux de notre condition d’homme ainsi que de notre statut de citoyen. Il fait en outre peser une lourde responsabilité sur les épaules du législateur comme sur celles des soignants.
C’est pourquoi il convient d’avancer avec autant de prudence que de résolution afin que chacun puisse accéder, si besoin est, à ces soins que nous avons évoqués tout au long de cette soirée, à savoir les soins palliatifs.
Madame Dupont, la fraude des mots que vous avez évoquée en commençant votre intervention n’est pas imputable aux promoteurs du texte ; c’est, d’une certaine façon, la confusion inhérente à un débat. Tout à l’heure, j’ai cité à dessein ce sondage dans lequel 94 % des Français se déclarent favorables à l’euthanasie. Or, dans leur esprit, c’est une fin de vie telle qu’elle est prévue dans la loi Leonetti. Voilà pourquoi il faut nous garder de la confusion et des grandes envolées. Sachons conserver le ton approprié dans ce débat juste et digne.
Quoi qu’il en soit, la position du Gouvernement n’a pas évolué depuis le début de la discussion générale. Nous refusons de franchir ce pas comme il nous est proposé de le faire. Toutefois, nous avons bien conscience de la responsabilité qui est la nôtre de développer encore et toujours les soins palliatifs. Tous ceux qui l’ont dit ce soir sont dans leur droit, tous ceux qui attendent ces soins pour accompagner leur fin de vie sont également dans leur droit. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Rassurez-vous, je ne vais pas me livrer à une réponse exhaustive à tous les intervenants. Je veux simplement remettre un peu d’ordre dans cette discussion.
Tout d’abord, il n’a jamais été question que les personnes dépendantes ou celles qui sont atteintes de la maladie d’Alzheimer puissent « bénéficier » de l’assistance médicale à mourir. Le texte les exclut clairement du dispositif, et nous y avons tenu. Je tiens à le rappeler, car cet argument a été utilisé à plusieurs reprises dans le débat.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Or cela pourrait créer une confusion.
Les mineurs sont également exclus du dispositif, car nous avons estimé que ce sujet était trop compliqué pour être abordé dans le présent texte.
Ensuite, je voudrais dire à ceux qui ont fait un rapprochement avec la peine de mort que cette comparaison n’est pas acceptable. La peine de mort était une punition. Ce châtiment avait par définition vocation à être violent, parce qu’il était « exemplaire », ou du moins était-ce ainsi qu’on voulait le concevoir. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Or ce que nous proposons, c’est tout le contraire. Nous cherchons à répondre à une sollicitation de personnes en grande difficulté, en grande souffrance. Il y a donc une différence fondamentale entre ces deux aspects. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Nous ne sommes pas encore sur les amendements !
Mme Annie David. Laissez parler le rapporteur !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Mes chers collègues, il est de tradition que le rapporteur puisse s’exprimer.
M. Guy Fischer. C’est la moindre des choses !
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. J’espère que cela ne vous dérange pas trop ! (Exclamations sur les mêmes travées.) Quel que soit le texte en discussion ici, lorsque le rapporteur s’exprime, j’évite en général de l’en empêcher. Pour autant, je ne vous demande pas de souscrire à mon propos.
Le nom de Vincent Humbert a été évoqué par certains d’entre vous. Pour ma part, je n’ai jamais voulu aborder directement son cas, car j’ai beaucoup trop de respect pour les personnes concernées par sa situation. Reste que je vais expliquer pourquoi cette proposition de loi aurait été très importante pour le cas de Vincent Humbert, qui est d’ailleurs loin d’être unique.
Mes chers collègues, voilà un jeune homme qui s’est retrouvé dans l’impossibilité de bouger et, dans un premier temps pensait-on, dans l’impossibilité de communiquer. Sa maman a trouvé la voie pour communiquer avec lui. Il a alors manifesté son intention d’arrêter cette vie qui n’était plus supportable pour lui.
Qu’a répondu la société ? Parce que Vincent Humbert ne pouvait plus se mouvoir, la société a accepté, et c’est tant mieux, qu’on le nourrisse, qu’on lui apporte tous les soins. Mais, lorsqu’il a demandé si l’on pouvait l’aider à accomplir, conformément à son désir, l’acte qui lui aurait permis de mettre un terme à une vie qui, pour lui, n’avait plus de sens, la société lui a répondu que c’était impossible.
Pour les personnes se trouvant dans cette situation, une telle réponse de la société constitue une double peine. En effet, parce que vous ne pouvez plus vous mouvoir, la société refuse que l’on vous porte assistance, malgré la demande que vous formulez avec beaucoup de force !
Mme Humbert a pris la décision d’aider son fils et le docteur Chaussoy, en son âme et conscience, a finalement décidé d’aider Mme Humbert, après une première tentative. Mais, mes chers collègues, que se serait-il passé si Vincent Humbert était resté en vie ? La justice aurait interdit à Mme Humbert de continuer à voir son fils, de peur qu’elle ne renouvelle son acte. Nous aurions été alors en présence de la situation la plus dramatique qui soit, une situation inhumaine. En effet, ce jeune homme, enfermé dans son « corps-sarcophage », aurait perdu, en plus de tout espoir que l’on puisse lui venir en aide et de tout lien avec sa vie antérieure – la belle vie –, le seul lien d’amour qui lui restait, c’est-à-dire le contact avec sa maman.
Je ne veux plus que de telles situations se produisent et milite donc pour que, par humanité, dans des cas comme ceux-là – je pense que vous ne pouvez que souscrire à cette idée –, une loi permette à la société de venir en assistance à la personne qui formule une demande en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
Article additionnel avant l’article 1er
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau et Tropeano, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 1110-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
La personne malade a droit au respect de sa liberté et de sa dignité. Elle peut bénéficier, dans les conditions prévues au présent code, d'une assistance médicalisée à mourir.
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cet amendement a pour objet de reconnaître solennellement aux personnes malades le respect de leur ultime volonté de mourir dans la dignité.
Tout le monde sait que l’euthanasie est pratiquée en France clandestinement, illégalement et, parfois, dans la plus grande hypocrisie, sans que les patients ou leurs proches puissent donner leur avis.
La proposition de loi que nous examinons ce soir traduit l’évolution des mentalités dans notre pays et apporte une réponse à une question sociale et humaniste fondamentale. Elle permet de protéger, d’une part, ceux qui souhaitent mettre un terme à leurs souffrances – en leur reconnaissant le droit de vivre leur mort –, et, d’autre part, ceux qui ne le veulent pas.
Ce texte complète la loi Leonetti, qui a mis en avant l’importance du développement des soins palliatifs et de l’accompagnement des mourants et interdit tout acharnement thérapeutique jugé déraisonnable. Toutefois, le développement de tels soins ne peut résoudre la question de l’euthanasie et apporter une réponse à celles et ceux qui demandent l’assistance à une délivrance douce.
Tel est le sens de l’amendement que je vous propose d’adopter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Mon cher collègue, vous proposez de faire figurer, au côté du respect de la dignité de la personne malade, le principe du respect de sa liberté et d’inscrire dès lors la possibilité d’une assistance médicalisée pour mourir dans l’article L. 1110-2 du code de la santé publique. Vous rejoignez en cela les propositions de MM. Fouché et Fischer.
Cependant, si l’inscription du respect de la liberté du malade peut paraître intéressante, je reste réservé sur l’inscription, dans cet article, de la seule assistance médicalisée pour mourir. En effet, la mention d’un droit supposerait l’énumération des autres droits. Un tel libellé pourrait laisser entendre que l’assistance médicalisée pour mourir est une solution alternative à la liberté et à la dignité du malade.
En conséquence, puisque nous avons présenté un texte commun, je souhaiterais, si vous en êtes d’accord, que nous nous en tenions à ce texte commun. Je vous demande donc de bien vouloir retirer cet amendement. Dans le cas contraire, je serais au regret d’émettre un avis défavorable, ce qui serait dommage.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Collin, l'amendement est-il maintenu ?
M. Yvon Collin. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié est retiré.
Article 1er
L’article L. 1110-9 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. »
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, sur l’article.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cosignataire de l’une des trois propositions de loi, il me tenait à cœur d’intervenir, aujourd’hui, pour soutenir cette initiative courageuse.
La question de la fin de vie ne finit pas de nourrir les débats et de susciter les passions, nous l’avons à nouveau constaté ce soir. Elle dépasse les clivages politiques traditionnels et nous renvoie, bien souvent, à ce que nous sommes, et donc à notre éducation, nos valeurs, nos expériences ou notre religion. Ainsi, guidé par nos émotions, le débat sur cette question souffre bien souvent d’un manichéisme regrettable.
J’espérais que cette nouvelle proposition de loi éviterait cet écueil et nous aurait permis d’aborder ce débat avec le recul et la précaution nécessaires.
Malheureusement, je crains qu’à nouveau ce débat ne soit tronqué et ne nous laisse un goût d’inachevé : après son adoption la semaine dernière en commission, le texte a été totalement vidé de sa substance ce matin.
Cette décision est décevante à l’heure où la société française semble majoritairement favorable à une loi permettant de disposer dignement de la fin de sa vie. En effet, en mai 2009, un sondage avait révélé que 86,3 % des personnes interrogées s’étaient prononcées en ce sens.
Il est vrai que des sondages ont montré l’inquiétude qui pouvait être ressentie du fait des risques de dérive qu’une légalisation pourrait entraîner. Je peux comprendre ces arguments, car je les partage aussi.
Une loi d’une telle importance doit apporter toutes les garanties nécessaires pour éviter un quelconque glissement dans sa mise en œuvre. Pour ma part, je trouve que cette proposition de loi remplit parfaitement cette condition.
Tout d’abord, comme l’ont rappelé mes collègues, il faut bien avoir à l’esprit qu’en aucun cas nous n’ouvrons la voie à une euthanasie massive et dérégulée. Tels sont pourtant, bien souvent, les propos manichéens tenus par bon nombre de détracteurs qui se sont exprimés massivement ces derniers jours, et encore ce soir.
Cette proposition de loi ne saurait, non plus, remettre en cause la nécessité de développer et d’améliorer encore les soins palliatifs, bien évidemment !
Nous proposons aujourd’hui de donner la possibilité à certains patients, se trouvant dans des situations extrêmes, de pouvoir s’affranchir d’une souffrance et d’une détresse insoutenables et parfois inhumaines.
En aucun cas nous ne permettrons des dérives. Au contraire, nous proposons d’instaurer un cadre strict et réglementé. Je crois qu’il suffit de lire attentivement cette proposition de loi – notamment son article 1er – pour s’en rendre compte.
En effet, l’article 1er dispose que cette possibilité sera donnée à « toute personne capable majeure », c’est-à-dire en pleine possession de ses moyens intellectuels, que la pathologie devra être « grave et incurable », c’est-à-dire que la médecine actuelle ne pourra guérir le patient qui sera, de fait, malheureusement condamné. De plus, il faudra que cette souffrance ne puisse pas être apaisée ou, tout du moins, que la personne la juge « insupportable », c’est-à-dire que les soins palliatifs ne puissent plus apporter de soulagement au patient.
Ainsi, si et seulement si toutes ces conditions sont réunies, une personne pourra, de sa propre volonté, et en étant intellectuellement capable de le faire, demander une assistance médicalisée afin de soulager ses souffrances.
Cette demande sera ensuite transmise au médecin traitant, qui devra alors saisir deux de ses confrères praticiens n’ayant pas de lien avec le patient. Ensemble, ils devront examiner la demande et vérifier son caractère « libre, éclairé et réfléchi ». Dans le même temps, et dans un délai de huit jours, le patient pourra révoquer à tout moment sa demande.
La même procédure s’appliquera pour les directives anticipées.
Je ne vois donc pas où se trouvent les risques de dérive tant décriés.
Les médecins auront une responsabilité énorme et seront très vigilants, j’en suis convaincue, sur la nature et la recevabilité de la demande. Ils seront d’ailleurs en droit de refuser de participer à la procédure.
De plus, nous proposons d’instaurer une commission nationale de contrôle des pratiques relatives aux demandes d’assistance médicalisée pour mourir, qui viendra compléter ce dispositif déjà très restrictif et très encadré.
Il ne faut donc pas tomber dans la caricature, contrairement à ce que j’ai entendu ce soir. Non, cette loi n’instaure pas un droit de tuer !
Comme chacun sait, l’acte de donner la mort est déjà pratiqué en France, dans une totale clandestinité. Cette réalité doit nous mettre en présence d’une alternative simple : doit-on instaurer un cadre légal strict et restrictif autorisant, dans des cas extrêmes et bien définis, à soulager un patient qui en formule la demande expresse en toute connaissance de cause, ou doit-on laisser perdurer des pratiques clandestines, sans aucune règle et sans encadrement ?
Pour moi, le choix est clair : il faut voter cette proposition de loi !
En effet, mes chers collègues, si nous décidons, aujourd’hui, de ne rien faire, nous maintiendrons l’hypocrisie actuelle qui existe autour de la question de la fin de vie. Nous ne résoudrons pas ce problème, et le débat reviendra encore et encore sur la scène publique.
La loi du 22 avril 2005 a réussi à apaiser quelques craintes, mais n’a pas pour autant totalement répondu à cette question fondamentale, et beaucoup de Français jugent aujourd’hui qu’il faut aller encore plus loin dans la reconnaissance du droit à mourir dans la dignité.
Il est donc de notre responsabilité, en tant qu’élus de la République, d’engager ce débat et d’œuvrer en ce sens en votant ce texte ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l’article.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le ministre, vous avez eu raison de le dire tout à l’heure, ce texte n’a rien de banal. En effet, ce débat est très important, passionné, presque passionnel. Il a même connu quelques dérapages lors de la discussion générale.
En tout état de cause, ce texte engage un processus sociétal et exige par conséquent que ce débat, éminemment politique, soit mené ici, au sein de la représentation nationale.
Je tiens également à indiquer que je m’écarte volontairement de l’approche qui consisterait à s’arc-bouter sur les sondages. En effet, le rôle du Parlement, et l’essence même du travail parlementaire, est d’éclairer l’opinion publique et d’être en avance sur elle. C’est, du reste, ce qui a été constaté à l’occasion du vote de textes de loi évoqués tout à l’heure, l’abolition de la peine de mort, mais également l’interruption volontaire de grossesse.
L’article 1er n’est pas ambigu, il est même terriblement précis. En effet, il a pour objet d’assurer à toute personne « capable et majeure » la possibilité de demander à un médecin une assistance médicalisée pour mourir, dans le cas où cette personne se trouverait « en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ».
Faut-il, messieurs les ministres, mes chers collègues, avoir une piètre opinion de l’humanité pour faire un « saut en avant » et spéculer, pour l’application de textes comme celui dont nous débattons, sur l’attitude qu’auraient les uns ou les autres par rapport aux personnes que l’on juge les plus fragiles et les plus vulnérables : les personnes âgées ! Nous ne partageons évidemment pas ce pessimisme !
Les dispositions destinées à assurer une mort rapide, décente et sans douleur n’ont d’autre but que de soulager des gens en fin de vie en préservant leur dignité.
En ce qui me concerne, j’ai la faiblesse de penser que la dignité ne répond pas à un standard, et que chacun a le droit de définir, par rapport à sa propre personne, ce que représente la dignité, tout simplement ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.) Cette question est donc une affaire personnelle.
Bien sûr, des réserves sont formulées et d’aucuns contestent l’opportunité de légiférer aujourd’hui sur l’aide active à mourir. Elles renvoient à des questions éthiques et religieuses, mais posent également la question des liens particuliers existant entre un patient et un praticien qui a par définition prêté le serment d’Hippocrate. Nous ne pouvons que respecter ces réserves.
Néanmoins, ne pas adopter ce texte aujourd’hui reviendrait à acter le fait que les Français ne sont manifestement pas égaux devant la mort. Certains de mes collègues ont eu le courage de dire que la pratique des injections létales – appelons les choses par leur nom – a lieu aujourd’hui en France, et de manière courante.
Ne restons donc pas sourds aux appels qui nous sont lancés par nombre de nos concitoyens, qui expriment tout à la fois une profonde détresse, une angoisse palpable et une détermination sans faille à faire évoluer la situation dans le bon sens.
Je le répète, ce problème taraude notre société et, paradoxalement, est lié aux progrès de la médecine.
Précisons, encore, toujours et une nouvelle fois, que l’aide active à mourir n’a aucunement vocation à se substituer aux soins palliatifs dont on a dit, sur toutes les travées, qu’ils étaient très insuffisants dans notre pays.
Les dispositions de la loi Leonetti constituent un progrès immense, mais elles ne vont manifestement pas assez loin. Parfois, il n’est tout simplement pas possible de se contenter d’arrêter un traitement curatif pour laisser la place au seul traitement antalgique, dont on connaît toutes les limites. Il est également des cas dans lesquels il est parfaitement inhumain de se « contenter » de laisser mourir les gens.
Le cadre juridique est donc nécessaire pour faire face à ce type de situation. Les familles y ont droit, les proches y ont droit, ainsi que les praticiens confrontés à ce problème.
Je le répète, l’aide active à mourir relève d’une logique différente de celle des soins palliatifs. En outre, cette loi comporte de multiples garanties, à la fois pour le patient, son entourage et le praticien.
La volonté du malade doit être intégralement respectée, sous réserve qu’elle ait été exprimée, au préalable, dans des conditions de clarté et de lucidité. À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas, et reporter sans cesse l’adoption d’une loi, c’est laisser de trop nombreuses personnes dans une incertitude dramatique.
« Aimer la vie et regarder la mort d’un regard tranquille », c’est tout ce que demandent les personnes qui veulent, à nos côtés, faire progresser la loi.
M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Je conclus, monsieur le président.
Telle est la définition que donnait Jean Jaurès du courage, dans son Discours à la jeunesse, prononcé en 1903, au lycée d’Albi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot, sur l'article.
M. Claude Jeannerot. Mes chers collègues, comment ne pas partager la finalité portée par cette proposition de loi : permettre aux personnes atteintes d’une affection incurable de bénéficier d’une mort sans douleur ? C’est dire la volonté humaniste qui est incontestablement à l’œuvre dans l’initiative qui nous est présentée.
On comprend par ailleurs le sens de cette proposition de loi comme venant prolonger la loi Leonetti du 22 avril 2005, qui prévoit la possibilité pour le malade d’obtenir l’arrêt des traitements et de recourir aux soins palliatifs.
Cette loi, chacun s’accorde à le reconnaître, a marqué un progrès dans la pratique médicale. Pourtant, l’actualité se fait périodiquement l’écho de cas particuliers auxquels la loi Leonetti ne semble pas apporter de réponse satisfaisante. Les médecins reconnaissent d'ailleurs aujourd’hui les limites de ce texte.
C'est pourquoi on peut être favorable à une évolution de la législation. Pour ma part, j’avais d'ailleurs approuvé le texte qui nous était présenté en commission des affaires sociales, afin de permettre l’émergence du débat public dans l’hémicycle.
Permettez-moi cependant de faire entendre ma différence.
Au regard des enjeux éthiques et philosophiques attachés à cette question – question qui, me semble-t-il, mérite mieux qu’une proposition de loi abordée succinctement au milieu de la nuit –, je souhaite que nous disposions d’un état des lieux exhaustif de la loi Leonetti et que nous puissions nous appuyer sur les travaux de l’Observatoire national de la fin de vie, menés par le docteur Régis Aubry, avec lequel je coopère au quotidien dans mon département.
Donnons-nous, chers collègues, le temps de la réflexion approfondie, à la lumière des observations qui ont été effectuées – et la démarche que je propose, croyez-le, n’a rien de dilatoire !
Des questions me paraissent aujourd'hui rester sans réponse. Comment garantir le caractère « libre, éclairé et réfléchi » de la demande d’aide à mourir lorsque le malade vient d’apprendre le caractère incurable et inexorable de son mal ? Comment comprendre, par ailleurs, le concept de « souffrance psychique » ? La souffrance psychique n’est-elle pas, au fond, constitutive de la nature humaine au moment d’apprendre que la fin est proche ? Et comment convient-il d’y répondre ? Comment faire en sorte, mes chers collègues, que l’aide active à mourir ne se substitue pas à la nécessité de promouvoir les soins palliatifs ?
Certes, il est juste de ne pas opposer soins palliatifs et aide active à mourir, mais on observe tout de même que, dans les établissements où ils sont particulièrement bien pris en charge, les patients ne réclament pas qu’il soit mis fin à leurs jours de manière active.
Dès lors, chers collègues, prenons le temps d’un vrai débat public, nourri par le bilan exhaustif de la loi Leonetti et par les constats de l’Observatoire national de la fin de vie, qui va rendre ses conclusions dans les prochains mois.
Notre premier devoir d’humanité, c’est d’aider les personnes en fin de vie et atteintes d’un mal incurable à vivre le mieux possible le temps qui leur reste. Avons-nous fait tout ce qui était possible ? Faut-il prévoir des réponses alternatives ?
Chers collègues, dans le doute, et dans l’attente de ce débat public que j’appelle de mes vœux, je m’abstiendrai sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. –Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l’article.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, naturellement, pour avoir été cosignataire de la proposition de loi présentée par mon ami Guy Fischer, je souscris à l’idée qu’il faille une évolution législative reconnaissant le droit, je dirais même la liberté pour celles et ceux qui le souhaitent de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
Il s’agit bien là d’une évolution – j’insiste sur ce terme –, puisque cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité de la loi de 2002 relative aux droits de malades et à la qualité du système de santé, et de la loi de 2005, dite loi Leonetti, qui a permis aux patients, du moins en théorie, d’accéder à des thérapeutiques destinées à alléger leurs souffrances physiques.
Les soins palliatifs, puisque c’est de cela qu’il s’agit, sont effectivement très efficaces contre la douleur physique, mais totalement inefficaces quant aux souffrances psychiques. Certains voudraient les circonscrire et les limiter à une souffrance de réaction issue du regard des autres. Si cela peut exister, notamment dans la situation de dépendance qui donne au malade le sentiment d’être une charge pour les autres, une conception si réductrice vise en réalité à écarter l’assistance médicalisée à mourir, comme si la seule solution résidait dans un changement de comportement des proches du patient, dans une meilleure acceptation de la mort.
Les choses sont évidemment bien plus complexes, et je suis convaincue qu’il ne faut pas minorer le sentiment de celles et de ceux qui, en fin de vie ou se trouvant dans un état pathologique très lourd et irréversible, ont tout simplement perdu ce qui est essentiel à tout malade : l’espoir.
Le malade va ainsi devoir progressivement passer, comme le souligne à raison Anne Cazier, psychologue au CHU de Rouen, « par le déni, la dénégation, la colère et la frustration, la dépression et la résignation ». Anne Cazier précise également que le malade devra faire une série de deuils successifs : « Le premier deuil à faire est celui de la vie d’avant, celle du bien portant, celle de l’individu actif professionnellement » et enfin le deuil de tout espoir, autrement dit faire, vivant, le deuil de sa vie. Ce deuil, chacun le comprendra, peut s’accompagner d’une accumulation d’angoisses : celle de la souffrance, de la diminution psychique et physique et, naturellement, celle de sa propre mort.
Les soins palliatifs sont alors inefficaces. Je voudrais d’ailleurs citer une déclaration du docteur Danièle Lecomte, que je partage entièrement et qui a contribué à me convaincre : « Il y a peut-être une confusion entre douleur et souffrance. La douleur est effectivement le plus souvent maîtrisable. Mais on ne peut pas réduire le vécu douloureux de la personne en fin de vie à une composante physique accessible aux médicaments. La question est plus complexe. C’est celle de la souffrance, qui inclut des dimensions psychiques, émotionnelles, existentielles. La souffrance, on peut l’écouter, l’accompagner, mais on ne peut pas véritablement la traiter ».
Dès lors, comment pourrions-nous raisonnablement refuser à des personnes atteintes de souffrances importantes et que rien ne peut réduire le droit d’arrêter de les endurer ? Comment pourrions-nous décider de refuser ce que l’autre nous demande, au motif que nous serions nous-mêmes opposés à un tel acte ? Au nom de quoi devrions-nous, sur des fondements moraux, continuer à imposer des souffrances à des femmes et à des hommes qui, en raison de leur état de santé, en ont déjà trop supporté ?
Rien ne le justifie. C’est pourquoi je voterai cet article, ainsi que la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Autain, sur l’article.
M. François Autain. Mes chers collègues, afin d’éclairer le vote que vous allez émettre sur l’article 1er de cette proposition de loi, je voudrais livrer à votre réflexion un témoignage qui nous est parvenu de Montpellier, dans un courriel daté du 17 janvier dernier qui m’a été adressé ainsi qu’à un certain nombre d’entre nous. Je vous en donne lecture :
« Madame la sénatrice, monsieur le sénateur,
« Par la présente, je viens vous demander de voter la loi pour l’aide active à mourir. Le Président de la République a exprimé en 2007 que “l’on ne devait pas rester les bras ballants devant la souffrance d’un être humain, tout simplement parce qu’il n’en peut plus” ; de nombreux Français à travers des sondages se sont exprimés en ce sens.
« Je vous demande donc de vous affranchir de tout corporatisme religieux, politique ou autre et de voter en tant qu’individu cette loi.
« Si demain, vous-même étiez confronté à la situation de Vincent Humbert, bloqué dans un lit, relié à des machines, sans pouvoir parler : que souhaiteriez-vous ?
« Depuis ma naissance, je lutte contre une maladie orpheline dont je ne suis même plus sûre du nom, une recherche génétique est entamée depuis deux ans. J’ai cinquante-deux ans, je n’ai marché qu’à sept ans et tous mes gestes ont été la résultante d’opérations et de rééducation. Ma vie se résume en un mot : “combats”.
« Tout a été à conquérir, tout a été difficile et compliqué. Rien n’est vraiment adapté spontanément et vivre avec un handicap n’est pas chose facile.
« Aujourd’hui, suite à un divorce, je viens de m’installer à Montpellier, ville que je pensais plus équipée et là encore je déchante ; je suis bloquée depuis plusieurs jours dans mon appartement, les transports sont insuffisants pour la demande et je ne peux même pas me divertir en allant une fois par semaine au cinéma.
« Je me sens prisonnière de mon corps et de mon appartement, si confortable soit-il.
« Je n’accepte pas l’isolement et de ne pas pouvoir parler avec quelqu’un en dehors de mes auxiliaires de vie qui interviennent deux heures par jour.
« Toutes les nuits, je suis raccordée à un appareil respiratoire et je sais que l’avenir est incertain, que demain je risque de devoir être assujettie en permanence à une machine, avec de l’oxygène, que je ne pourrai peut-être plus du tout marcher et même parler.
« Je n’accepte pas cette dégradation, je veux choisir mon destin. J’ai déjà enduré trop de souffrances, trop de douleurs. Alors oui, comme Jean-Luc Romero, président de l’ADMD, je vous demande de ne pas me voler mon ultime liberté !
« Je veux partir dignement, je ne veux pas de trachéotomie. Au-delà de la souffrance physique, il y a la souffrance morale et personne, je dis bien personne, n’est en droit de se substituer à moi pour mon choix de vie ou de mort.
« C’est mon corps et je dois pouvoir en disposer comme je l’entends. Mes proches, ma famille ne partagent pas forcément mon point de vue, ils voudraient me garder auprès d’eux, me voir sourire encore et encore, mais viendra un jour où je ne sourirai plus, où je ne serai qu’un magma de douleurs.
« Alors, il faudra qu’ils me lâchent la main, qu’ils me laissent m’envoler et qu’ils reconnaissent que j’ai mérité ce long repos.
« J’aurai donné le meilleur de moi, j’aurai reçu au centuple. Inutile de s’acharner stérilement, à quoi bon gagner quelques jours, lorsqu’il n’y a aucune perspective d’amélioration et que tout converge vers une déchéance ?
« Je vous remercie, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, pour le temps que vous venez d’accorder à la lecture de ma lettre. Je souhaite qu’elle reçoive un écho favorable dans votre cœur de femme ou d’homme, et qu’elle vous incite à voter cette loi, qui est une loi de bon sens, mais qui nécessite un certain courage de votre part.
« Je vous prie d’agréer, madame la sénatrice, monsieur le sénateur, mes sincères salutations. »
Je pense qu’il n’y a rien à ajouter à cette leçon de vie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, sur l'article.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat de ce soir est non seulement intéressant, mais également poignant. Pour ma part, je me suis trop investi dans les services des soins palliatifs pour rester muet.
Monsieur le ministre, la mise en place des unités de soins palliatifs en France est encore trop lente ; nous avons un retard considérable par rapport à d’autres pays. Toutefois, c’est une première réponse face à l’urgence de démythifier la mort. Est-elle suffisante ? À mon sens, il faut aller plus loin et réapprendre à vivre avec les mourants, afin de leur restituer toute leur place parmi nous, en accordant un temps à la mort accompagnée, un temps pour les ultimes moments de la vie. Il faut assurer une mort dans la dignité, afin que celle-ci soit, comme le prétendait Mallarmé, « un peu profond ruisseau calomnié ».
Chateaubriand disait de la vieillesse, et des maux qu’elle induit, que « d’une dignité » elle était devenue « une charge ». C’est, hélas ! toujours vrai. Mais elle doit être distinguée de la dépendance totale, de la vie qui n’est plus une vie et qui serait seulement une plainte si on avait la force de l’exprimer.
L’agonisant n’est ni un intrus ni une charge. Il n’a pas besoin, et ses proches non plus, de mimer « la mort de celui qui fait semblant qu’il ne va pas mourir », selon l’expression de l’historien Philippe Ariès.
Une mort sereine et paisible, évidemment médicalisée, semble une exigence raisonnable de notre époque, car l’homme peut faire cesser la cruauté d’une agonie inexorable, lente et solitaire, donc indigne d’une époque qui se veut humaniste. Qu’une suite d’actes planifiés pour mettre en œuvre un geste aussi grave soit nécessaire est une évidence. C’est vrai pour le malade, pour son confort, pour la famille, qui est souvent culpabilisée, pour le médecin, pour les soignants, qui vivent l’inexorable drame, et pour la société, à laquelle ils redonnent confiance en la médecine et en son éthique.
Encore faut-il distinguer la douleur de la souffrance, qui, même si elle n’implique pas forcément la douleur physique, devient intolérable dans la mesure où elle inclut le mal de vivre, le non-vivre, l’inquiétude, la peur et l’insupportable compassion des autres, sans cesse renouvelée à en devenir lassante quand on est enfermé dans la plus angoissante solitude !
La mort accompagnée dans le cadre d’une assistance médicalisée – elle ne concerne que peu de cas, mais ils sont extrêmement douloureux –, c’est le temps réservé aux dernières confidences, aux derniers moments les plus vrais d’intimité, aux ultimes caresses. C’est le dernier service où l’on est admis avant la mort.
Mourir dans la dignité avec une assistance médicale dûment acceptée par le malade ou par la famille lorsque le malade ne peut pas s’exprimer, si le médecin juge l’acharnement thérapeutique inutile, c’est accepter que l’on arrive à la fin de sa vie dans une sorte de paix et de sérénité sans faire des services de soins palliatifs le passage plus ou moins obligé des mourants, puisqu’une large majorité de malades souhaitent mourir chez eux, entourés des leurs, tout en bénéficiant d’une hospitalisation à domicile.
Mais, au-delà du médecin, c’est toute l’équipe de soignants et des bénévoles formés à l’accompagnement de la fin de vie qui doit s’impliquer humainement et dépasser l’indispensable geste technique pour suppléer la famille dans les moments d’intense douleur et des dernières effusions. L’objectif n’est pas seulement contenu dans le traitement ; l’objectif, c’est le malade tout entier et l’aide que l’on peut lui apporter au moment le plus décisif de sa vie !
Il est temps pour la médecine de se souvenir qu’elle n’a longtemps été que palliative. L’impuissance ressentie par le soignant devant un diagnostic fatal doit faire repenser que la guérison n’est qu’un des deux aspects de sa mission, l’autre étant d’assurer le bien-être, y compris jusqu’à la mort.
En effet, monsieur le ministre, le droit à mourir sans être chosifié, le droit à être entouré de sollicitude et de compréhension face à la souffrance physique et à la terreur d’une perspective à la fois naturelle et impensable, c’est le droit de chacun à conserver sa qualité d’être humain jusqu’au bout !
Selon les termes de l’article 1er, toute personne « capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable » doit pouvoir demander à bénéficier d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. Cela sera reconnu un jour comme l’un des droits universels de l’homme !
C’est pourquoi je voterai avec la majorité des membres du groupe socialiste l’article 1er et, au-delà, cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la majorité de la commission des affaires sociales s’est prononcée en faveur de la suppression de l’article 1er de la présente proposition de loi, dont nous débattons à cette heure tardive. Mais la question posée reste évidemment entière !
Refuser qu’une personne – il faut avoir les termes de l’article en tête – « capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable » puisse demander à bénéficier, dans les conditions prévues par la proposition de loi, d’une assistance médicalisée à mourir rapidement et sans douleur contraindra – nul ne l’ignore – le malade soit à recourir à une aide frauduleuse, voire à se déplacer à l’étranger s’il le peut, soit à souffrir continuellement jusqu’à la mort !
Adoptée après la médiatisation d’une affaire qui a déjà largement été évoquée, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, marque une avancée majeure pour les soins palliatifs, mais elle est malheureusement insuffisamment mise en œuvre aujourd'hui. Surtout, elle n’est, triste paradoxe, d’aucun secours dans un tel cas !
Il aura fallu apporter « la démonstration contre le droit, contre la loi, que donner la mort peut être aussi un acte d’amour, de compassion et de responsabilité » pour n’aboutir qu’à « cette unique solution » : « […] cesser de le nourrir. Le laisser mourir de faim, mais entouré des siens, et surveillé par une équipe médicale. […] À quoi ressemble une société qui se satisferait de pareils faux-fuyants ? Et que reste-t-il d’humanité dans cette proposition-là ? » Tel était l’amer constat du docteur Frédéric Chaussoy.
Resteraient donc le silence, la clandestinité et l’hypocrisie ?
À l’opposé, c’est une loi de protection, de responsabilité et d’humanité qui est aujourd’hui soumise à notre réflexion. Au contraire de décisions abandonnées au libre arbitre du corps médical, et nombre d’entre vous ont témoigné des souffrances des médecins eux-mêmes confrontés à cet affreux dilemme, c’est leur offrir la garantie d’actes réfléchis, encadrés et dépénalisés.
Pour quelle raison refuser ces garanties légales aux malades qui le veulent et aux médecins qui le réclament ?
La rationalité n’y trouve pas son compte, de même qu’elle n’y trouvait pas son compte en 1975 dans le débat sur l’interruption volontaire de grossesse, celui des souffrances imposées contre la liberté alors refusée aux femmes !
Il est vrai qu’il était encore proposé dans cet hémicycle – mais c’était il y a une vingtaine d’années -, à l’occasion d’une refonte du code pénal et du code de procédure pénale, de rétablir le délit d’auto-avortement de la femme sur elle-même !
Mais le législateur a su évoluer, reconnaître et garantir toujours mieux la dignité de la personne malade avec les dispositions sur le traitement de la douleur en 1995, le droit d’accès aux soins palliatifs en 1999, les droits des malades en 2002, ainsi que le droit de refuser toute investigation ou thérapeutique, même si ce refus met la vie en danger.
La possibilité pour chaque individu d’accéder à une mort digne, sans souffrance, s’inscrit dans une telle continuité, et n’en est que l’aboutissement.
La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Mais, dans ce cas, à la liberté de qui l’exercice du libre choix de mourir porte-t-il atteinte ? Au nom de quelle autre liberté protégée pouvez-vous sanctionner la mienne ?
En cet instant, je pense simplement aux dernières paroles de Roger Quilliot : « Notre choix de la mort est un acte de liberté. » Cette liberté est essentielle, respectable et mérite d’être préservée. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 7 rectifié est présenté par M. Barbier et Mme Desmarescaux.
L'amendement n° 21 rectifié quinquies est présenté par Mme Hermange, MM. P. Blanc et Gournac, Mmes Debré, Rozier, Henneron et Kammermann, M. Gilles, Mme Deroche et MM. Lardeux, P. Dominati, Leleux et Gouteyron.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier, pour présenter l’amendement n° 7 rectifié.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’article 1er est très important, car il vise à reconnaître un droit à l’aide active à mourir. Ce faisant, il va à l’encontre des textes fondamentaux qui régissent notre droit, qui ont pour vocation première de protéger le droit à la vie de tout individu et de porter assistance aux personnes les plus vulnérables et en situation de danger, ce qui est précisément le cas des personnes atteintes d’une affection « grave et incurable ».
Bien qu’absente de notre corpus législatif, l’interdiction de l’euthanasie constitue l’une des applications du principe d’indisponibilité du corps humain. Elle est pénalement réprimée et peut constituer un meurtre, un homicide involontaire, un délit de non-assistance à personne en danger, un empoisonnement ou une provocation au suicide.
Faut-il distinguer dans notre droit l’euthanasie active, qui suppose le geste d’un tiers, de l’euthanasie passive, qui serait l’arrêt des traitements, sinon palliatifs, et qui abrégerait la vie dans le cas de maladie incurable ou de situation désespérée ?
Cette terminologie est assimilée pour certains au refus d’acharnement thérapeutique, devenu légal par la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, qui autorise le médecin à limiter ou à arrêter un traitement concernant une personne « hors d’état d’exprimer sa volonté », alors que « la limitation ou l’arrêt de traitement » seraient susceptibles de « mettre sa vie en danger ».
Aux termes de cette loi, qui a modifié les articles L. 1111-4 et L. 1111-3 du code de la santé publique, le médecin peut aussi limiter ou arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie. Un décret du 6 février 2006 précise les conditions dans lesquelles une telle décision peut être prise.
Curieusement, l’article 1er, tel qu’il est proposé, occulte le terme d’« euthanasie active » ; pourtant, c’est bien ce qui est demandé. Cela traduit peut-être trop toute la violence que contient l’acte de mort donnée par un tiers. Alors, euthanasie active pour répondre à quelles aspirations ? Pour reconnaître à la personne malade le droit au « respect de sa dignité » ? Ne parlons pas de dignité dans cette affaire !
Pour répondre à certains cas dont les auteurs des propositions de loi reconnaissent qu’ils sont rares, des personnes que l’arrêt de traitement ne suffirait pas à soulager et qui ne souhaiteraient pas être plongées dans le coma pourraient demander lucidement une aide active à mourir.
Voici ce que les auteurs d’une des propositions de loi écrivent : « Nous ne pouvons pas laisser aux médecins ni aux proches des malades le poids d’une telle responsabilité ; au contraire, nous devons l’assumer collectivement. Dans un État de droit, la seule solution est celle de la loi : une loi visant non pas à dépénaliser purement et simplement l’euthanasie, mais à reconnaître une exception d’euthanasie strictement encadrée par le code de la santé publique. »
Bien curieusement, le terme d’« exception d’euthanasie » n’apparaît jamais dans le texte proposé. L’article 1er évoque une « assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur ». Et les articles suivants changent la terminologie !
Mais le problème majeur et fondamental posé par cet article réside dans la signification de certains termes, qui méritent d’être explicitée. Je pense à des expressions comme « phase avancée ou terminale » ou « affection […] grave et incurable ». À l’évidence, de tels termes comportent une part de subjectivité et un flou d’appréciation qui autorisent toutes les dérives.
M. le président. Veuillez condenser votre propos, mon cher collègue.
M. Gilbert Barbier. Mais ce qui apparaît le plus lourd de conséquences est l’expression « souffrance psychique ». Il s’agit bien du grand danger de cette proposition de loi, qui permettrait des interprétations très différentes pour des personnes fragiles diminuées physiquement par la maladie ou par l’âge et dont le discernement pourrait se trouver altéré.
À ce niveau, il s’agit non pas d’une « discussion ésotérique empreinte de fausse théologie », mais bien d’un diagnostic médical pour le moins délicat à porter en toute objectivité.
C’est pourquoi je vous demande de voter cet amendement de suppression de l’article 1er, mes chers collègues.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour présenter l'amendement n° 21 rectifié quinquies.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Cet amendement est identique. Je ne reviendrai donc pas sur les arguments qui viennent d’être développés par notre collègue Gilbert Barbier. Je souhaite simplement rappeler quelques éléments.
D’abord, cet article 1er entre en contradiction avec le droit européen.
Ensuite, les mesures contenues dans cet article sont fondées sur une évaluation de la souffrance. Or comment peut-on définir la souffrance, notamment psychique, face à la complexité des situations auxquelles nous serons confrontés ? Et comment instituer un droit objectif à partir d’une évaluation subjective, même établie par un médecin ?
On nous dit que cette disposition concerne uniquement les personnes majeures. Je rappelle que la majorité va de dix-huit ans jusqu’à l’âge de la mort, mais quid si on applique la majorité sanitaire, qui est de seize ans et trois mois ? Cet article pose donc bien un problème dans la détermination de la volonté du mineur.
Toutes ces raisons et celles que j’ai évoquées tout à l’heure me conduisent, avec un certain nombre de mes collègues, à déposer cet amendement de suppression.
Nous voulons parler au nom de celles et de ceux qui ne s’expriment pas. M. Autain a évoqué tout à l’heure le cas Humbert. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Il n’a pas parlé du cas Humbert, il a lu une lettre !
Mme Marie-Thérèse Hermange. J’ai également reçu une lettre, de Mme Pavageau, dont je vais vous donner lecture d’un extrait : « Qui pourra me dire, les yeux dans les yeux, que ma dignité est atteinte ? Oui, je suis tétraplégique depuis vingt-six ans, j’avais vingt-neuf ans, je ne peux accomplir aucun geste de la vie ordinaire, ma dépendance est totale, aussi je ne peux me résoudre à une entorse à ce bien inaliénable qui est la vie. »
M. Bernard Piras. Mais enfin, on n’oblige personne !
Mme Marie-Thérèse Hermange. « Avez-vous songé au désarroi provoqué chez les personnes qui vivent ma situation ? Devons-nous avoir le sentiment d’être inutiles, de déranger ?
« En ce début d’année permettez-moi de vous souhaiter d’avancer dans la réflexion, parfois difficile ; la compassion ne peut rimer avec la suppression, même demandée, même légale. »
C’est aussi pour ces personnes que je demande la suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. La commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur ces deux amendements identiques de suppression de l’article 1er, après avoir émis un avis favorable sur l’article 1er le 18 janvier dernier…
Vous comprendrez, mes chers collègues, qu’à titre personnel je sois opposé à cette suppression, pour des raisons très claires. Mon intervention dans la discussion générale me tiendra lieu d’explication de vote.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement est favorable aux deux amendements identiques de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini, pour explication de vote.
Mme Muguette Dini. Comme vous le constatez, pour expliquer mon vote, j’ai quitté le banc de la commission, mes chers collègues.
En effet, je vais exprimer ici mon avis personnel et en aucun cas celui de la commission des affaires sociales ni celui de mon groupe.
Ce point étant précisé, je voterai contre les amendements qui visent, en fait, à supprimer cette proposition de loi.
La raison absolument essentielle est que je considère que chaque être humain dans la situation décrite à l’article 1er de ce texte a le droit de décider ce qui est bon pour lui. Il a le droit de décider de ce qui, pour lui, est la bonne mort ou la mort douce, traduction des termes grecs qui composent le mot « euthanasie ».
Chacun, ici, l’a dit et répété, la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est une bonne loi, mais à deux conditions : elle doit être correctement appliquée et elle doit être universelle. Pour l’instant, ces deux conditions sont régulièrement bafouées. Quand bien même elles seraient satisfaites, le reproche que je ferai à cette loi est qu’elle confie à une autre personne ou à un groupe de personnes la responsabilité du moment de ma mort. (M. Jean Desessard applaudit.)
Alors que j’ai vécu en exerçant ma liberté et ma responsabilité, pourquoi ma fin de vie, si elle me place dans la situation dramatique que nous visons, devrait-elle être le seul moment qui échappe à ma décision ?
Qui peut décider, à ma place, du bon moment pour quitter une vie devenue douleur et souffrance ?
Qui peut décider, à ma place, de ce que je considère comme supportable ou non ?
M. René-Pierre Signé. Très bien !
Mme Muguette Dini. Qui peut décider, à ma place, que, même si mes douleurs physiques sont apaisées, je dois supporter des souffrances morales ou psychologiques ?
Qui peut décider, à ma place, de me priver d’un adieu lucide et serein, entourée de ceux que j’aime et qui m’aiment ?
Pourquoi me voler cette ultime liberté ?
Mes chers collègues, ce texte n’impose à personne une mort non désirée. Seuls ceux qui en auront fait la demande claire et réitérée pourront obtenir l’assistance médicalisée pour mourir.
Ne vous arrogez pas le droit de décider pour ceux qui, lucidement, en ayant, le cas échéant, rédigé des directives anticipées, ont choisi le moment de mettre fin à leur souffrance et bien souvent à celle de leur entourage !
Ne leur volez pas leur ultime liberté ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Pignard. Le général de Gaulle – Eh oui ! c’est un centriste qui le dit – déclara un jour qu’il fallait aller vers l’Orient compliqué avec des idées claires.
Mme Isabelle Debré. Des idées simples !
M. Jean-Jacques Pignard. Au temps pour moi…
Ce soir, nous avons navigué longuement vers l’Orient compliqué, vers ce mystère de la vie et de la mort que personne, ici, ne peut véritablement appréhender, qu’il croie ou non au ciel.
Je naviguerai donc personnellement vers cet Orient compliqué avec des idées claires, et simples, ma chère collègue. Je n’ai pas reçu de ceux qui m’ont envoyé ici le mandat de légiférer sur la vie et sur la mort, de légiférer sur le mystère.
En conséquence, comme l’énorme majorité du groupe de l’Union centriste, et avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour Muguette Dini, je voterai les deux amendements identiques de suppression. (Applaudissements sur certaines travées de l’Union centriste ainsi que sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Il est clair, au vu des propos qui ont été les miens tout à l’heure à la tribune, que je voterai ces deux amendements.
Je trouve dans l’intervention de François Autain une raison supplémentaire de voter les amendements de Gilbert Barbier et de Marie-Thérèse Hermange. Nous avons également reçu le courriel dont il nous a donné lecture, celui d’une femme handicapée, divorcée, de cinquante-deux ans, en mal de vivre, mais pas obligatoirement en fin de vie, et qui demande qu’on l’aide à terminer sa vie.
En réalité, cette personne n’est pas en fin de vie et elle demande un suicide assisté. Selon François Autain, il faudrait lui donner satisfaction, alors qu’un traitement psychiatrique suffirait à la soigner et à lui permettre de vivre de nouveau d’une manière convenable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Cette explication vaudra pour l’ensemble des votes qui auront lieu sur ce texte.
Ma décision a précédé depuis un moment nos débats, car elle est le fruit de mes convictions profondes ; non pas de mes convictions politiques ou religieuses, mais des convictions qui me sont dictées par mon attachement à une certaine idée de la morale laïque et de l’éthique.
Si je me félicite de la qualité des débats de cette nuit, débats qui ont eu le mérite d’aborder au fond la question importante de la fin de vie et de l’application réelle de la loi Leonetti, je regrette profondément les pressions de tous bords auxquelles nous avons été soumis :…
Mme Isabelle Debré. Ah ça, c’est sûr !
Mme Odette Herviaux. … courriers, mails en grand nombre, exemples poignants que certains ont repris. Malheureusement, les cas particuliers ne peuvent pas faire loi, même s’ils sont dignes de compréhension et de compassion.
En revanche, les arguments extrêmes, parfois les invectives, voire les menaces à peine voilées de certains groupes de pression de part et d’autre, ne sont pas acceptables dans un débat où la clause de conscience doit jouer.
C’est pourquoi, même si je comprends et peux partager les raisons qui ont amené les auteurs de ce texte à le présenter, même si je pense que les marges d’amélioration de la loi Leonetti sont énormes, je ne peux et je ne veux associer ce soir ma voix à aucune des positions avancées par les uns ou par les autres. C'est la raison pour laquelle je suis décidée à ne participer à aucun des votes sur ce texte.
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche, pour explication de vote.
M. Philippe Darniche. En votant, en 2005, la loi Leonetti sur la fin de vie, nous avions choisi la voie de la sagesse en écartant à la fois l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie pour mettre en place une grande politique de développement des soins palliatifs qui réponde, selon la majorité des médecins et des familles interrogés, à la souffrance extrême des malades et des personnes âgées en fin de vie.
Légaliser l’euthanasie serait, selon moi, une grave erreur parce qu’elle conduirait à l’échec de la médecine. Ce serait aussi une erreur sur le plan tant juridique et moral que philosophique.
Une telle décision conduirait à l’échec de la médecine, car ce serait reconnaître l’impuissance de cette dernière à faire face à une situation d’extrême souffrance pour laquelle elle ne proposerait qu’une seule solution : la mort. L’euthanasie est une réponse brutale et sans issue, en contradiction absolue avec la mission même du soignant, qui est de lutter pour la survie de son patient, et avec les immenses progrès accomplis pour améliorer la prise en charge de la fin de vie.
Si cette demande vient du malade, elle est la preuve d’une détresse infinie justifiée par la souffrance physique et morale. À cette détresse et à ce désespoir, le médecin doit-il répondre par l’acte de mort ?
Est-il acceptable, par ailleurs, que les médecins et les infirmiers ne puissent vivre en paix et soient obligés de souffrir du souvenir d’avoir donné la mort au malade ?
Il me semble que ce serait également une erreur sur le plan juridique, car une telle décision reviendrait à ignorer les grands principes du droit – un certain nombre de mes collègues ont mis l’accent sur ce point –, qui nous obligent à respecter la dignité de la personne humaine, du commencement de la vie jusqu’à l’heure dernière.
Nous, parlementaires, qui votons la loi, devons avoir le souci permanent du droit et de ce qu’il nous enseigne. Tous les principes de notre droit civil ou de notre droit pénal nous font obligation de respecter l’intégrité physique de la personne vivante, car leurs inspirateurs ont produit et rédigé un droit à la vie qui repose sur le caractère inviolable du corps humain.
Les défenseurs de l’euthanasie nous diront que le consentement de l’intéressé justifie cette entorse au droit. Mais le consentement d’une victime ne peut pas plus justifier l’euthanasie qu’il ne justifie d’autres infractions ! Un homicide – le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre, c’est la définition du code pénal – ne peut être conforme, quoi qu’on en dise, ni à l’intérêt général ni même à l’intérêt de la victime !
Enfin, ce serait une erreur sur le plan moral et sur le plan philosophique, car une société doit se structurer par un certain nombre de règles que l’on se donne en commun, et l’on ne peut présenter la demande de mourir comme un droit. On ne peut pas avoir un droit à mourir comme on a un droit à la sécurité sociale, un droit à la retraite, un droit à l’information ou à liberté d’expression.
Légaliser l’euthanasie conduirait à accepter de bâtir une société où chacun peut décider si la vie vaut la peine ou non d’être vécue. Sans respect du principe d’humanité, il ne peut y avoir de liberté. Notre société individualisée réclame plus de solidarité et d’humanité.
C’est parce que les gens sont seuls et désespérés qu’ils ont recours à l’idée de la mort. Soigner la maladie, accompagner la vieillesse et la souffrance jusqu’au bout est un devoir qui engage la société tout entière, car la grandeur et la dignité de l’homme l’obligent. Vous aurez donc compris, mes chers collègues, le sens de mon vote. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour explication de vote.
M. Ronan Kerdraon. Si nous votions la suppression de l’article 1er, nous serions en totale contradiction avec toutes nos interventions de ce soir. Nous nous prononcerons donc contre ces amendements.
Je souligne que l’intervention de Mme Dini, par ailleurs présidente de la commission des affaires sociales, intervention d’une très grande qualité, illustre parfaitement la problématique dans laquelle s’inscrit cette proposition de loi, car c’est bien de notre ultime liberté qu’il s’agit. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Je serai très bref, monsieur le président : je suis l’auteur de l’une des propositions de loi qui font l’objet de ce débat ; je suis intervenu dans la discussion générale pour exposer ma position ; je voterai bien évidemment contre les amendements de suppression.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je ne sais pas quel sera le résultat de ce vote, mais je voterai contre ces amendements de suppression. Il serait cependant souhaitable que, dans ce débat, nous développions tous des arguments raisonnables.
Premièrement, tout le monde se félicite de l’organisation de ce débat et souhaite que la discussion continue : très bien ! Dans ce cas, parlons des mêmes choses !
M. le ministre nous a dit tout à l’heure que les dispositions contenues dans cette proposition de loi n’auraient pas permis de résoudre le cas de Vincent Humbert. Au contraire, tel est précisément l’objet de cette proposition de loi ! Qu’il nous dise donc quels sont les manques de ce texte qui empêcheraient d’apporter une véritable solution. Cette proposition de loi vise en effet à légaliser un certain nombre de situations, afin qu’elles ne donnent pas lieu à un procès. Il est effectivement des situations extrêmement graves qui justifient la création d’un cadre juridique spécifique. Discutons-en !
Si certains de nos collègues nous disent ensuite qu’ils ne veulent pas s’engager moralement dans ce processus, c’est leur droit ! M. Barbier déclare que, si l’on accepte d’avancer dans cette voie, on ne sait pas où l’on s’arrêtera. Diverses positions sont possibles dans ce domaine, mais ne niez pas qu’il y a aujourd’hui un grand vide juridique !
Deuxièmement, quand une personne souffre au point de ne plus pouvoir bouger et que l’on nous dit qu’elle ressent avant tout un besoin d’amour auquel il faut répondre, dans quel monde vivons-nous ? Soyons sérieux ! La majorité de nos concitoyens vivent seuls dans des conditions difficiles. Si vous le souhaitez, nous pouvons nous donner six mois pour améliorer ce texte ; mais dans six mois, la situation sera la même !
Vous avez le droit de dire, comme Mme Hermange, que vous êtes moralement en désaccord et que vous préférez que les gens souffrent… (Vives protestations sur les travées de l’UMP.) Je retire l’expression ! Disons que vous préférez que la personne aille au terme de son existence sans pouvoir choisir les modalités de sa fin de vie. C’est un débat moral…
M. Alain Gournac. Non ! Éthique !
M. Jean Desessard. Moral ou éthique, comme vous voudrez ! Mais ne mélangeons pas tout : nous souhaitons instaurer un cadre juridique pour régler des situations aujourd’hui insupportables. Il faut encore y travailler, mais ne reprochez pas à cette proposition de loi de ne pas créer ce cadre, répondez aux vraies questions ! Nous proposons un cadre juridique accordant à chacun le droit de décider de sa fin de vie : telle est la philosophie de cette proposition de loi ! Ne la déformez donc pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert, pour explication de vote.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen de cet article 1er et des amendements de suppression, dont l’un est déposé par mon confrère Gilbert Barbier, me donne l’occasion d’insister à double titre, en tant que parlementaire et en tant que médecin, sur un point. Je souhaite en effet vous parler de la confiance nécessaire entre le médecin et son patient.
Cette confiance ne va pas de soi. Elle doit s’établir et se préserver, au prix de grands efforts par l’ensemble des parties : le médecin, son patient et la famille de ce dernier. Dans le cadre de cette nécessaire relation de confiance, je ne crois pas bon d’accorder au médecin la faculté de mettre intentionnellement fin aux jours de son patient, …
M. René-Pierre Signé. C’est un collège de trois médecins qui se prononce !
M. Alain Houpert. … – et peu importe le fait que ce dernier lui ait donné son consentement préalable ou que la famille de ce dernier presse le praticien en ce sens –, car ce serait faire du médecin un exécutant.
Ma conception de la médecine est holistique. Je crois qu’il revient au médecin de se battre pour la santé et de ne se battre que pour la santé de son patient. J’admets volontiers qu’il en va différemment pour un vétérinaire – nous en comptons de nombreux parmi nous ! –, qui doit se poser la question de l’utilité ou non de prodiguer des soins à un animal.
S’agissant d’un patient, les termes du débat sont différents. Il n’est pas question d’utilité ; le problème n’est pas de peser le pour et le contre, ou encore le coût de la prise en charge. On tronque aussi le problème en le réduisant à un choix entre acharnement thérapeutique, d’une part, et euthanasie, d’autre part. En réalité, il y a non pas un choix à faire, mais un juste milieu à rechercher, un bon équilibre à trouver. Dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, comme aux Pays-Bas, il apparaît qu’une certaine défiance s’est installée à l’égard des hôpitaux. C’est dommage !
Plutôt que de légiférer dans la précipitation et de trancher sans prudence sur cette question fondamentale, ne serait-il pas préférable de développer la médecine palliative sur l’ensemble de nos territoires ? D’expérience, les praticiens savent que les personnes ainsi prises en charge demandent non plus à mourir, mais à dire « au revoir » à leurs proches dans la dignité.
M. René-Pierre Signé. C’est faux !
M. Alain Houpert. Je ne souhaite pas entrer dans les débats philosophiques que pose l’euthanasie, ni m’étendre sur la question de savoir quelle est la valeur d’une volonté qui se nie, d’une volonté de ne plus vouloir.
En tant que praticien, je souhaite rester sur le terrain de la confiance, à mon avis primordiale, entre le médecin, son patient et les proches de ce dernier. Oui à l’accompagnement en fin de vie. Mais légaliser l’euthanasie serait porter gravement atteinte à la dignité du médecin, à la dignité de cette mission qui nous a été confiée par nos pairs lorsque nous avons prononcé le serment d’Hippocrate ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, travailler sur l’assistance médicalisée à mourir, c’est se confronter à une échéance qui nous concerne tous et nous interpelle tous. Sur ces questions, nul ne peut invoquer de vérités scientifiques. De telles réflexions nous renvoient à notre propre fin ou à celle de ceux que nous aimons, et faire œuvre de raison n’en est que plus difficile.
Les débats en commission et en séance publique ont montré à quel point un tel sujet peut soulever de passions. Disons-le clairement, dans l’esprit des auteurs de ces propositions de loi, comme de ceux qui soutiennent le texte de la commission, il ne s’agit pas d’instaurer un « droit à tuer » comme certains voudraient le faire croire. Il s’agit simplement de laisser aux hommes le choix d’exercer leur libre arbitre jusqu’au bout. Il est paradoxal de considérer comme sacrées les dernières volontés d’un défunt et de ne pas laisser au mourant la possibilité de choisir le moment de quitter les siens.
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. Aujourd’hui, dans trois cas sur quatre, on meurt à l’hôpital, le plus souvent seul. Certaines personnes âgées prennent même des risques importants, en refusant parfois d’y être conduit tant elles ont peur d’y mourir, loin de chez elles, loin des leurs, dans un environnement où leur parole et leur capacité de choisir leur sont ôtées, au nom de ce qui est « bien » pour elles.
Au cours des auditions, comme des échanges qui ont suivi, bien des interrogations sur la qualité de la prise en charge de la fin de la vie ont été soulevées, et celles-ci sont bien loin d’être résolues. Aucun d’entre nous ne souhaite que les conditions de vie que connaissent les personnes dépendantes, dans certains établissements, ne les poussent à souhaiter la mort pour fuir les traitements parfois indignes qu’elles subissent. Le respect dû à la vie ne consiste pas à empêcher un malade en fin de vie de choisir quand et comment il cessera d’être au monde, il consiste plutôt à ne jamais perdre de vue la personne derrière le patient, l’homme qui souffre derrière le corps que l’on manipule.
À la question de la prise en charge de la dépendance, s’ajoute celle de l’insuffisance des services de soins palliatifs dans notre pays. Aujourd’hui, seules 20 % des personnes concernées bénéficient d’un accompagnement en unité de soins palliatifs.
Dans cet hémicycle, la plupart de ceux qui refusent l’idée d’une assistance médicalisée à mourir mettent en avant l’existence des soins palliatifs, alors qu’ils ont sciemment voté des crédits notoirement insuffisants à l’hôpital public. Que vous le vouliez ou non, cette situation empêche la création en nombre suffisant de ces services, indispensables au respect de la fin de la vie.
Quant à nous, si nous défendons aujourd’hui ce texte, nous menons aussi le combat pour le développement des soins palliatifs, car l’assistance médicalisée à mourir ne rentre pas dans le même champ. Les deux démarches sont complémentaires et non opposées. Malheureusement, même si l’accès aux soins palliatifs était un droit universel et garanti, il n’en reste pas moins que choisir les conditions dans lesquelles une personne en fin de vie souhaite partir resterait, selon moi, toujours aussi légitime.
La souffrance subie et ressentie par certains peut être telle que même une prise en charge adaptée ne suffirait pas à redonner un sens à la poursuite d’une vie que la personne concernée considère comme insupportable ou dénué de sens. Au nom de quoi la fin de vie dépouillerait-elle l’être humain du droit à la subjectivité ?
Certes, on pourrait continuer à fermer les yeux, hypocritement, en se disant que la pratique existe et qu’elle est, de fait, tolérée. On pourrait se rassurer à bon compte en faisant observer que, chaque fois qu’une personne a été poursuivie pour avoir aidé un proche à mourir, les cours d’assises ont toujours acquitté les prévenus.
Mais nous avons été confrontés, lors des auditions, ou lors de témoignages récents, à la violence que représente pour le professionnel, comme pour la personne proche, le fait de devoir assumer seul, dans le silence et le refoulement, un geste qui coûte déjà tant et qui, même s’il repose sur l’amour, reste l’ultime transgression.
Dans des cas aussi extrêmes, il n’est pas possible de réduire une telle décision à des faits objectifs. Qui d’autre que le malade peut estimer si sa vie vaut la peine d’être vécue ? Comme le disait Jacky Le Menn lors de nos débats en commission, dans notre système de santé, tout a été fait pour toujours respecter la volonté du malade : pourquoi introduire une exception au moment de la mort ? C’est parce que l’exercice éclairé de son libre arbitre fait de l’être humain une exception dans le règne du vivant que nous avons cosigné une telle proposition de loi et que nous la soutenons. Nous voterons donc contre les amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est volontairement que je n’avais pas signé la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Godefroy et un certain nombre d’autres de mes collègues et amis. Très sincèrement, je n’arrivais pas à me déterminer. Je suis venu ce soir en faisant en grand effort pour faire abstraction des cas que je pourrais citer concernant la mort en général, ou ma propre mort.
J’ai lu et relu cet article 1er. Si je me limite à l’essentiel, il dispose que « toute personne capable majeure […] peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur ». Une mort « rapide et sans douleur » : cette lecture est terrible !
Quant au motif qui justifie cet acte, il doit s’agir – je cite à nouveau le texte – d’une personne « en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu’elle juge insupportable ». Ces termes aussi sont terribles !
C’est la raison pour laquelle, considérant que chaque être peut user de son libre arbitre à la fin de sa vie et souhaitant que le texte de cet article 1er figure dans la loi, je voterai contre les amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Raffarin. J’ai entendu ce soir beaucoup de propos passionnants qui me font réfléchir à notre condition humaine. Au fond, comme beaucoup d’entre nous l’ont dit, celle-ci est fondée sur notre singularité, sur notre spécificité, sur le fait que chacun d’entre nous a son propre destin et qu’il doit être pris en compte comme tel. Chacun, en effet, doit pouvoir avoir une vision de son propre destin.
Cette diversité des hommes, cette singularité de chacun d’entre eux forment un des piliers de la condition humaine. Mais il est un autre pilier, à savoir l’unité de la nature humaine, sur lequel repose la cohérence de l’humanité : c’est le combat pour la vie !
Nous ne pouvons pas mettre en cause l’unité de la nature humaine au nom de la singularité de chaque homme. L’humanité, à laquelle nous appartenons, se doit de respecter la vie et de chasser à tout jamais la mort ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Je voudrais apporter quelques précisions sur le vote du groupe CRC-SPG, notamment s’agissant de ces deux amendements de suppression.
À travers les sept amendements de suppression qu’il a déposés, M. Gilbert Barbier cherche à détricoter la proposition de loi. Nous comprenons en effet fort bien que, si ces amendements étaient adoptés, le texte n’existerait plus.
Nous nous sommes largement exprimés sur le fond du dossier, que ce soit par la voix d’Isabelle Pasquet, de François Autain ou par ma propre voix. Bien entendu, nous voterons très majoritairement contre ces amendements de suppression. Mais, comme je l’ai déjà indiqué, un certain nombre de nos collègues ont décidé de s’abstenir, et je leur dois, ainsi qu’à vous, mes chers collègues, de l’annoncer très clairement : Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe CRC-SPG, ainsi que Mmes Michelle Demessine, Évelyne Didier et Gélita Hoarau s’abstiendront en effet sur l’ensemble des amendements de suppression déposés sur les articles de la proposition de loi.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 7 rectifié et 21 rectifié quinquies.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que les avis de la commission et du Gouvernement sont favorables.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 139 :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 157 |
Pour l’adoption | 170 |
Contre | 142 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
En conséquence, l'article 1er est supprimé.
L'amendement n° 17 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau et Tropeano, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
insupportable
insérer les mots :
ou placée du fait de son état de santé dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité
Cet amendement n’a plus d’objet.
Article 2
Après l’article L. 1111-10 du même code, il est inséré un article L. 1111-10-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-10-1. – Lorsqu’en application du dernier alinéa de l’article L. 1110-9, une personne demande à son médecin traitant une assistance médicalisée pour mourir, celui-ci saisit sans délai deux confrères praticiens sans lien avec elle pour s’assurer de la réalité de la situation médicale dans laquelle elle se trouve. Il peut également faire appel à tout autre membre du corps médical susceptible d’apporter des informations complémentaires.
« Le médecin traitant et les médecins qu’il a saisis vérifient, lors de l’entretien avec la personne malade, le caractère libre, éclairé et réfléchi de sa demande. Ils l’informent aussi des possibilités qui lui sont offertes par les dispositifs de soins palliatifs adaptés à sa situation et prennent, si la personne le désire, les mesures nécessaires pour qu’elle puisse effectivement en bénéficier.
« Dans un délai maximum de huit jours suivant cette rencontre, les médecins lui remettent, en présence de sa personne de confiance, un rapport faisant état de leurs conclusions sur son état de santé. Si les conclusions des médecins attestent, au regard des données acquises de la science, que l’état de santé de la personne malade est incurable, que sa souffrance physique ou psychique ne peut être apaisée ou qu’elle la juge insupportable, que sa demande est libre, éclairée et réfléchie et s’ils constatent alors qu’elle persiste, en présence de sa personne de confiance, dans sa demande, l’assistance médicalisée pour mourir doit lui être apportée.
« La personne malade peut à tout moment révoquer sa demande.
« L’acte d’assistance médicalisée pour mourir est réalisé sous le contrôle et en présence du médecin traitant qui a reçu la demande et a accepté d’accompagner la personne malade dans sa démarche ou du médecin vers lequel elle a été orientée. Il a lieu après l’expiration d’un délai de huit jours à compter de la date de confirmation de sa demande.
« Toutefois, si la personne malade l’exige, et avec l’accord du médecin qui apportera l’assistance, ce délai peut être raccourci. La personne peut à tout moment révoquer sa demande.
« Les conclusions médicales et la confirmation des demandes sont versées au dossier médical de la personne. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté l’assistance adresse à la commission régionale de contrôle mentionnée à l’article L. 1111-13-2 un rapport exposant les conditions dans lesquelles celui-ci s’est déroulé. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article. »
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Il est certes bien tard, mes chers collègues, mais je ne regrette pas que ce débat ait eu lieu et que nous lui ayons consacré autant de temps. Ce thème nous touche effectivement tous.
Comme vous le savez, je suis cosignataire de la proposition de loi déposée par Guy Fischer et certains membres du groupe CRC-SPG. Avant de prendre cette décision, je me suis également beaucoup questionnée.
J’ai commencé par réfléchir à la manière dont je voudrais moi-même mourir si d’aventure j’étais atteinte d’une pathologie lourde, dégénérative et conduisant, à plus ou moins long terme, à la mort.
À l’instar de beaucoup d’entre nous, ma première et principale préoccupation est l’accès de toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à des soins palliatifs leur permettant d’atténuer la douleur. Mais – nous le savons et vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – tous les malades ne bénéficient pas de cet accès. C’est regrettable.
Voilà pourquoi je souhaite que, le moment venu, on ne m’inflige pas la souffrance, ni à moi ni à mes proches, d’endurer contre ma volonté une vie abîmée, usée, douloureuse, pénible, une vie que je n’aurai plus la force physique et mentale de supporter.
Je veux que l’on me fasse l’ultime respect d’accepter le choix qui est le mien, celui de partir sans endurer de douleurs supplémentaires, tout comme je respecterai celles et ceux de mes proches qui choisiront de ne pas mettre fin à leur vie.
En somme, je souhaite que l’on respecte ma liberté et que l’on ne m’impose pas les choix des autres, que l’on se souvienne, le temps venu, de cette citation de Rosa Luxembourg : « La liberté, c’est toujours la liberté de l’autre. »
Aussi faut-il un cadre légal pour permettre de soustraire à d’éventuelles actions pénales les professionnels de santé qui accepteraient d’accompagner vers la mort les patients ayant pris une décision en ce sens.
Le cadre légal est d’autant plus important que la loi Leonetti – il en a déjà été beaucoup question –, aussi bénéfique soit-elle, ne résout pas à ce jour toutes les difficultés. Elle ne concerne pas, par exemple, les personnes pour qui la vie est devenue tellement insupportable qu’elles font le choix d’arrêter tout traitement, y compris palliatif, toute alimentation ou hydratation. Elle ne concerne également pas – cela a été dit – les souffrances morales. Elle ne satisfait surtout pas les aspirations des personnes souhaitant partir avant que la vie ne leur apparaisse plus que comme une souffrance ou une épreuve.
D’ailleurs, la loi Leonetti, dont la popularisation serait bénéfique à tous, ne tire elle-même pas toutes les conséquences de principes pourtant fondamentaux, qui sont reconnus depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et que les juristes appellent « l’autonomie des volontés ».
En revanche, je conteste l’analyse selon laquelle cette proposition de loi aurait une portée générale. Si, effectivement, elle ouvre à chacun le droit de décider en conscience de la fin de sa vie, elle n’est pas générale. Comme pour la plupart des droits, c’est une possibilité, un droit individuel, une faculté, c’est-à-dire une liberté, que nous offririons à nos concitoyens.
Notre pays ne peut pas plus longtemps continuer à priver de cette liberté une partie de sa population, au motif qu’une autre ne voudrait pas en bénéficier.
Nous ne voulons pas imposer notre choix. Mais nous demandons aussi à celles et ceux qui, parmi nous, voteraient contre cette proposition de loi de ne pas nous imposer le leur.
M. le président. En conséquence, l'article 2 est supprimé.
L'amendement n° 5, présenté par Mme Dini, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2, première phrase :
Supprimer le mot :
traitant
II. – Alinéa 3, première phrase :
Remplacer le mot :
traitant
par les mots :
qui a reçu la demande
III. – Alinéa 6, première phrase :
Supprimer le mot :
traitant
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 1, présenté par M. Desessard et Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après les mots :
du corps médical
insérer les mots :
ou paramédical
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Chevènement, Collin, Alfonsi, Mézard, Milhau et Tropeano, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après les mots :
du corps médical
insérer les mots :
, y compris en recourant à une expertise psychiatrique,
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 2, présenté par M. Desessard et Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Si la personne malade est inconsciente, c'est alors à la ou les personnes de confiance de confirmer la demande, conformément aux souhaits exprimés dans les directives anticipées prévues à l’article L. 1111-11.
Cet amendement n’a plus d’objet.
Article 3
L’article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-11. – Toute personne capable majeure peut rédiger des directives anticipées relatives à la fin de sa vie pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées sont modifiables ou révocables à tout moment.
« À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin doit en tenir compte pour toute décision la concernant.
« Dans ces directives, la personne indique ses souhaits en matière de limitation ou d’arrêt des traitements et, le cas échéant, les circonstances dans lesquelles elle désire bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir telle que régie par l’article L. 1111-10-1. Elle désigne dans ce document la ou les personnes de confiance chargées de la représenter le moment venu. Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national automatisé tenu par la commission nationale de contrôle des pratiques relatives à l’assistance médicalisée pour mourir mentionnée à l’article L. 1111-13-2. Toutefois, cet enregistrement ne constitue pas une condition de validité du document.
« Les modalités de gestion du registre et la procédure de communication des directives anticipées au médecin traitant qui en fait la demande sont définies par décret en Conseil d’État. »
M. le président. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Il est un peu frustrant de constater que, dans ce débat, on laisse surtout du temps aux orateurs souhaitant expliquer leur vote contre les amendements présentés.
Je souhaite donc attirer votre attention, mes chers collègues, sur la gravité de cet article 3 de la proposition de loi, s’il venait à être adopté dans sa rédaction actuelle. Il s’agit en effet du problème des directives anticipées et de la complexité de la gestion du registre national qui serait mis en place pour les centraliser.
Je ne veux certes pas allonger le débat, mais il me semble important que les arguments en faveur de la suppression de cet article soient retenus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Les membres du groupe CRC-SPG voteront contre l’amendement n° 9 rectifié.
L’article 3 concerne les « directives anticipées » relatives à la fin de vie pour le cas où la personne malade serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Il me paraît nécessaire de réaffirmer, au cours de nos débats, le caractère très encadré de ces dispositions, à savoir qu’elles seraient modifiables ou révocables à tout moment, devraient avoir été établies au moins trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, seraient inscrites et réaffirmées tous les trois ans sur un registre national automatisé.
Le respect de la liberté individuelle doit nous conduire à accepter que des patients rédigent des directives anticipées définissant leur volonté de bénéficier d’une aide active à mourir et les conditions de leur mort. Il faut accepter également que des femmes et des hommes aient une conscience exacerbée des souffrances qu’ils pourraient endurer au point de ne pas vouloir continuer à vivre dans de telles conditions.
Ces directives devraient permettre à la personne en bonne santé de réfléchir à sa mort, de formuler clairement, par écrit, la manière dont elle voudra être traitée en cas d’hospitalisation et de se faire représenter par une personne de confiance, si elle perdait la faculté de s’exprimer.
Ces directives seraient le seul moyen de garantir l’absence d’acharnement thérapeutique, car seul le droit du patient doit avoir la primauté sur la volonté du médecin. Les professionnels de santé ont trop souvent à faire face, seuls, aux prises de décisions en l’absence de directives anticipées précises. Je dis « précises », car celles-ci ne doivent laisser aucun doute sur la volonté du patient. Elles seraient renouvelées tous les trois ans et pourraient être rétractables à tout moment.
Je considère que cet article renforce indéniablement le droit des patients, car notre société doit accepter que des hommes et des femmes préfèrent mourir plutôt que continuer à vivre dans la souffrance.
Afin que le médecin connaisse l’existence d’un tel document, les directives anticipées seraient inscrites sur un registre national automatisé, ce que prévoit l’article 3.
Je suis convaincu qu’avec de telles dispositions les droits des patients seraient renforcés de manière à être enfin acceptés et respectés. Ce serait une garantie pour que leur droit prime sur la décision des médecins. C’est en tout cas l’évolution que s’efforcent ce soir de favoriser ceux qui, toutes tendances confondues, ont déposé les trois propositions de loi.
J’ai reçu de nombreux témoignages de familles qui, toutes, ont souffert de voir partir un parent dans des conditions terribles, sans pouvoir agir et devenant spectateurs de sa fin de vie.
Je voudrais devant cette assemblée redire tout le respect que j’ai pour celles et ceux qui prennent l’ultime décision d’en finir avec la vie lorsque la maladie, incurable, invalidante, ou bien l’accident de la vie, les confine dans l’incapacité à mener une vie normale.
Je réaffirme également que le strict encadrement des directives anticipées exclut qu’il en soit fait un usage abusif.
Enfin, je souhaite remercier notre rapporteur, Jean-Pierre Godefroy, Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, et l’ensemble de mes collègues d’avoir permis que ce débat se déroule dans la dignité et dans le respect de chacun. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. En conséquence, l'article 3 est supprimé.
L'amendement n° 15 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau et Tropeano, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et doivent faire l'objet d'une confirmation annuelle
Cet amendement n’a plus d’objet.
L'amendement n° 3, présenté par M. Desessard et Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne,
Cet amendement n’a plus d’objet.
Article additionnel après l'article 3
M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau et Tropeano, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 1111-12 du même code est ainsi rédigé :
Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, et hors d'état d'exprimer sa volonté, a désigné une ou plusieurs personnes de confiance en application de l'article L. 1111-6, l'avis de cette ou ces dernières, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout avis non médical, à l'exclusion des directives anticipées, dans les décisions d'investigation, d'intervention ou de traitement prises par le médecin.
Cet amendement n’a plus d’objet.
Article 4
La section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est complétée par un article L. 1111-13-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-13-1. – Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, se trouve de manière définitive dans l’incapacité d’exprimer une demande libre et éclairée, elle peut bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir à la condition que celle-ci figure expressément dans ses directives anticipées établies dans les conditions mentionnées à l’article L. 1111-11.
« Sa ou ses personnes de confiance en font alors la demande à son médecin traitant qui la transmet à deux autres praticiens au moins. Après avoir consulté l’équipe médicale, les personnes qui assistent au quotidien la personne malade et tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer, les médecins établissent, dans un délai de quinze jours au plus, un rapport déterminant si elle remplit les conditions pour bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d’une assistance médicalisée pour mourir, la ou les personnes de confiance doivent confirmer le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande anticipée de la personne malade en présence de deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral à son décès. L’assistance médicalisée pour mourir est alors apportée après l’expiration d’un délai d’au moins deux jours à compter de la date de confirmation de la demande.
« Le rapport des médecins est versé au dossier médical de l’intéressé. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’assistance médicalisée pour mourir adresse à la commission régionale de contrôle mentionnée à l’article L. 1111-13-2 un rapport exposant les conditions dans lesquelles celui-ci s’est déroulé. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article, ainsi que les directives anticipées. »
M. le président. L'amendement n° 10 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Cet amendement a déjà été défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 4 est supprimé.
L'amendement n° 6, présenté par Mme Dini, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
Supprimer le mot :
traitant
Cet amendement n’a plus d’objet.
Article 5
La même section 2 est complétée par deux articles L. 1111-13-2 et L. 1111-13-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 1111-13-2. – Il est institué auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre en charge de la santé, une commission nationale de contrôle des pratiques relatives aux demandes d’assistance médicalisée pour mourir. Il est également institué dans chaque région une commission régionale présidée par le représentant de l’État. Celle-ci est chargée de contrôler, chaque fois qu’elle est rendue destinataire d’un rapport d’assistance médicalisée pour mourir, si les exigences légales ont été respectées.
« Lorsqu’elle estime que ces exigences n’ont pas été respectées ou en cas de doute, elle transmet le dossier à la commission nationale qui, après examen, peut en saisir le Procureur de la République. Les règles relatives à la composition ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement des commissions susvisées sont définies par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 1111-13-3. – Est réputée décédée de mort naturelle en ce qui concerne les contrats où elle était partie la personne dont la mort résulte d’une assistance médicalisée pour mourir mise en œuvre selon les conditions et procédures prescrites aux articles L. 1111-10 et L. 1111-11. Toute clause contraire est réputée non écrite. »
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Cet amendement a déjà été défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 18 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau et Tropeano, est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 221-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
Toutefois l'acte d'assistance médicalisée pour mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues aux articles L. 1111-10 et L. 1111-11 du code de la santé publique, n'est pas considéré comme un meurtre.
Cet amendement n'a plus d’objet.
L'amendement n° 19 rectifié, présenté par MM. Collin, Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau et Tropeano, est ainsi libellé :
Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 221-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
Toutefois, l'acte d'assistance médicalisée pour mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par les articles L. 1111-10 et L. 1111-11 du code de la santé publique, n'est pas considéré comme un empoisonnement.
Cet amendement n’a plus d’objet.
Article 6
Le dernier alinéa de l’article L. 1110-5 du même code est complété par trois phrases ainsi rédigées :
« Les professionnels de santé ne sont pas tenus d’apporter leur concours à la mise en œuvre d’une assistance médicalisée pour mourir ni de suivre la formation dispensée par l’établissement en application de l’article L. 1112-4. Le refus du médecin ou de tout membre de l’équipe soignante de participer à une procédure d’assistance médicalisée pour mourir est notifié au demandeur. Dans ce cas, le médecin est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible de déférer à sa demande. »
M. le président. L'amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Cet amendement a déjà été défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 6 est supprimé.
Article 7
Le deuxième alinéa de l’article L. 1112-4 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ils assurent également, dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels de santé, une formation sur les conditions de réalisation d’une assistance médicalisée pour mourir. »
M. le président. L'amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Barbier et Mmes Desmarescaux, Deroche et Hermange, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Cet amendement a déjà été défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Desessard et Mmes Voynet, Blandin et Boumediene-Thiery, est ainsi libellé :
Après l’article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement prendra toute initiative pour rappeler aux patients dans les établissements hospitaliers leurs droits, notamment en complétant la Charte du patient hospitalisé annexée à la circulaire ministérielle n° 95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés et comportant une charte du patient hospitalisé dont l'affichage dans les établissements de santé est obligatoire.
Cet amendement n’a plus d’objet.
Aucun des articles de la proposition de loi n’ayant été adopté, je constate qu’il n’y a pas lieu de voter sur l’ensemble puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
22
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 26 janvier 2011 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
1. Proposition de loi tendant à proroger le mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger (n° 146, 2009-2010).
Rapport de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 218, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 219, 2010-2011).
2. Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à la solidarité dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement (n° 147, 2010-2011).
Rapport de M. Michel Houel, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 234, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 235, 2010-2011).
À dix-huit heures trente et, éventuellement, le soir :
3. Proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État (n° 68, 2010-2011).
Rapport de Mme Françoise Férat, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 236, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 237, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 26 janvier 2011, à trois heures cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART