M. René-Pierre Signé. C’est vrai !
M. Ronan Kerdraon. Mes chers collègues, force est de constater que la loi Leonetti présente des insuffisances et des limites.
En effet, les contours de la notion d’acharnement thérapeutique sont flous et complexes à évaluer.
Il demeure ainsi des centaines d’hommes et de femmes pour lesquels il n’existe réellement aucune solution, soit parce que leurs douleurs physiques ne peuvent pas être soulagées, soit parce que leur souffrance psychique ne peut pas être levée.
Par conséquent, la loi de 2005 ne peut être considérée comme suffisante et satisfaisante : ni par les patients, ni par les familles, ni par le corps médical.
La politique du « laisser mourir » est intolérable.
Mes chers collègues, ces dernières années, un certain nombre de témoignages particulièrement émouvants et douloureux m’ont conduit à m’interroger sur la fin de vie. Je pense notamment aux cas de Vincent Humbert ou Chantal Sébire. Je pense à leur famille, aux médecins qui les ont soignés.
Que traduisent tous ces témoignages ?
Tout d’abord, une grande détresse et une certaine culpabilité face à l’impuissance à soulager les souffrances d’un être cher.
Et, face à une telle épreuve, l’honnêteté doit nous conduire à reconnaître que tous les malades ne sont pas égaux. Une infime partie d’entre eux, ceux qui en ont les moyens financiers (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.),…
Mme Bernadette Dupont. Ce n’est pas vrai ! C’est insupportable !
M. Ronan Kerdraon. … trouvent à l’étranger – en Belgique ou en Suisse – une solution qui est alors légale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. C’est la vérité !
M. Ronan Kerdraon. Les autres dépendent de la décision prise par les soignants de tel ou tel établissement, décision intervenant souvent en dehors de tout cadre légal, les souffrances étant abrégées sans que le malade lui-même ou sa famille se prononcent. Quelle belle hypocrisie ! (Mme Gisèle Printz applaudit.)
M. Roland Courteau. En effet !
M. Ronan Kerdraon. Ces témoignages, ces échanges d’expériences poignants mettent en exergue un constat indéniable : la situation actuelle ne peut perdurer.
Je partage les propos de Nicolas Sarkozy qui, devant ses comités de soutien, en février 2007, c’est-à-dire postérieurement au vote de la loi Leonetti, déclarait : « on ne peut pas rester les bras ballants face à la souffrance d’un de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine, tout simplement parce qu’il n’en peut plus ».
Alors, que prévoit le texte que nous examinons ce soir ?
Tout d’abord, il place – enfin ! – le patient au cœur du processus décisionnel.
En effet, la principale disposition est la reconnaissance du droit à demander une assistance médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable infligeant une souffrance physique ou psychique qu’elles jugent insupportable. J’insiste : nous parlons de personnes en véritable souffrance.
Les conditions d’acceptation d’une telle demande sont clairement encadrées : en plus du médecin traitant, deux autres praticiens sans rapport avec le patient sont appelés à examiner le cas afin d’évaluer les recours médicaux et de s’assurer du caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande, demande qui peut d’ailleurs être révoquée à tout moment.
Il est aussi prévu la possibilité pour toute personne de rédiger des directives anticipées concernant la fin de sa vie au cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté.
Les médecins pourront faire jouer leur clause de conscience et refuser de participer à une telle procédure.
On le voit, le dispositif retenu offre toutes les garanties de transparence et de contrôle, je tiens à le réaffirmer avec force.
Mes chers collègues, la question qui se pose à nous est donc bien la suivante : ou bien nous continuons de fermer les yeux et nous acceptons hypocritement que de nombreuses euthanasies soient pratiquées sans règle ni contrôle ; …
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Ronan Kerdraon. … ou bien nous optons pour le choix d’une fin de vie encadrée par des règles définies et précises qui constituent une protection pour le malade et pour le corps médical.
Ne laissons pas ce dernier seul avec le poids d’une telle responsabilité et les tourments qui peuvent s’ensuivre.
Le choix est donc non pas entre une situation satisfaisante aujourd’hui et une législation dangereuse demain, mais entre une situation confuse et hypocrite aujourd’hui et l’adoption pour l’avenir de règles respectueuses de notre devise républicaine : « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Ayant fait moi-même ce cheminement intellectuel qui, je le reconnais, bouleverse mes convictions, j’ai choisi de soutenir cette proposition de loi.
Il m’est apparu urgent de décriminaliser l’aide médicale à mourir afin de protéger à la fois le médecin qui pose l’acte, la personne qui en fait la demande et qui en est le bénéficiaire ainsi que les membres de son entourage.
C’est parce que la vie est précieuse que nous avons le devoir de la respecter jusqu’à son terme, y compris dans la décision de chacun d’en choisir la fin.
Certains nous objectent que la société n’est pas prête et que les sondages vont à l’encontre du présent texte. Cependant, plus de 80 % des Français se déclarent régulièrement favorables à une loi républicaine.
D’ailleurs, depuis dix ans, nos voisins belges et hollandais appliquent une telle législation et personne n’en demande l’abrogation.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est vrai !
M. Ronan Kerdraon. Il ne s’agit pas de disposer de la mort d’autrui ; il s’agit, et je citerai André Gide, de « penser la mort pour mieux aimer la vie ».
Faut-il l’aimer envers et contre tout, cette vie ? Je ne le crois pas forcément.
Ces éléments de réflexion me conduisent par conséquent à me prononcer, comme la très grande majorité du groupe socialiste, en faveur de l’assistance médicalisée à mourir. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’avoue que, comme beaucoup d’entre vous sans doute, j’ai longtemps hésité sur la position à prendre dans ce débat.
D’un côté, on ne peut pas être indifférent aux « appels au secours » que peuvent émettre des malades souffrant d’un mal qui provoque des douleurs insupportables et ne leur laisse aucun espoir d’amélioration. Leur vie est souvent un calvaire, et on ne peut que comprendre leur désir d’en finir. On se doit donc de répondre efficacement à leur souffrance.
D’un autre côté, et quelles que soient les précautions dont on s’entoure pour s’assurer qu’elle est réclamée en toute connaissance de cause et qu’elle procure une mort sans souffrance, la décision d’aider une personne à mourir aboutit à commettre consciemment un acte qui donne la mort, et c’est pourquoi je pense qu’il n’appartient pas au législateur de franchir le pas.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Yves Détraigne. Comment, en effet, le législateur, qui, en 2007, a ajouté un article à la Constitution pour inscrire dans celle-ci que « nul ne peut être condamné à la peine de mort », s’interdisant ainsi de donner la mort aux criminels les plus abjects et les plus dangereux pour la société, pourrait-il accepter que l’on puisse donner la mort à un malade ? (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Il répondrait certainement à une attente, mais il ouvrirait surtout une terrible brèche.
Or je crois qu’il y a un principe absolu qui ne peut être transgressé, surtout dans une société en manque de repères comme la nôtre : nous ne pouvons pas inscrire dans la loi la possibilité pour l’homme d’ôter la vie à un autre homme.
M. Paul Blanc. Très bien !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Il ne s’agit pas de ça !
M. Bernard Piras. Il faut le laisser souffrir ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Il faut interdire la guerre alors !
M. Yves Détraigne. Ayant dit cela, je suis bien conscient que laisser un malade subir une torture inutile et dégradante n’est pas plus acceptable, surtout s’il a lui-même demandé qu’on y mette fin et qu’il n’y a plus d’espoir.
C’est pour cela qu’il faut que nous nous donnions réellement les moyens de rendre applicable partout sur le territoire la loi Leonetti afin que les personnes malheureusement condamnées puissent mourir dans la dignité, sans souffrances inutiles et en bénéficiant vraiment des soins palliatifs indispensables.
M. René-Pierre Signé. Et ceux qui résistent aux opiacés ?
M. Yves Détraigne. C’est comme cela, me semble-t-il, que notre société se grandira, sans renier un de ses principes fondateurs, le respect de la vie d’autrui, et en prenant réellement en compte les appels à l’aide de ceux qui souffrent et n’ont plus d’espoir.
Cela signifie que je ne suis pas pour en rester à ce statu quo où 20 % seulement des gens qui ont besoin de soins palliatifs y ont accès. Je suis au contraire pour que cesse une certaine « bonne conscience » liée au vote de la loi Leonetti et pour que l’on se donne les moyens d’imposer la mise en œuvre des dispositions de celle-ci.
C’est ce que nous attendons de vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens à féliciter Jean-Pierre Godefroy pour son excellent rapport et pour son courage.
Je remercie Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, d’avoir soutenu cette proposition de loi.
Pour commencer mon discours, je souhaite citer un passage du philosophe André Comte-Sponville sur les six raisons de légiférer sur l’aide active à mourir.
« Certes, c’est la vie qui vaut, mais elle vaut d’autant plus qu’elle est davantage libre. C’est en ce sens que le Comité consultatif national d’éthique a raison de parler d’une exception d’euthanasie. Qui dit exception dit règle. La règle, évidemment, c’est le respect de la vie humaine, mais respecter vraiment la vie humaine c’est aussi lui permettre de rester humaine jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort inclusivement. »
Depuis quelques années, le vif débat que suscite en France l’aide active à mourir témoigne du besoin de légiférer sur la question.
La proposition commune de loi qui nous est présentée aujourd’hui est une progression, que nous devons notamment à Vincent et Marie Humbert.
Elle s’inscrit dans le prolongement d’une suite d’avancées réelles qui ont eu lieu ces dernières années, notamment grâce à la loi de juin 1999 garantissant l’accès de tous aux soins palliatifs, à la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades et, enfin, en 2005, à la loi Leonetti, dont l’objet est d’éviter l’acharnement thérapeutique en autorisant l’arrêt des traitements et de permettre au médecin de traiter la souffrance des malades.
Cependant, si la loi Leonetti a prévu un dispositif autorisant à mettre fin à l’alimentation artificielle, elle ne va pas assez loin et ne répond pas au vœu des personnes qui, tout en souhaitant mourir, ne veulent pas pour autant interrompre l’alimentation artificielle. Tel était le cas du jeune Vincent Humbert, qui souhaitait mettre un terme à une vie qui lui était devenue insupportable, mais ne voulait pas mourir de faim ou souffrir ; il souhaitait partir le jour et au moment où il l’avait décidé.
En l’état actuel des choses, la loi permet au patient qui déciderait de l’arrêt des traitements de se laisser mourir de faim, mais il est difficile d’accepter de laisser un patient mourir par arrêt des traitements – y compris par arrêt de l’alimentation – avec la possibilité d’une agonie qui dure un certain temps. Bien souvent, les malades ne veulent pas agoniser et perdre leur dignité.
Aujourd’hui, notre législation permet donc de « laisser mourir », mais interdit toujours que l’on provoque délibérément la mort, même à la demande du malade.
Si les soins palliatifs visent à soulager ou à atténuer la souffrance, on sait aujourd’hui qu’ils n’ont en aucun cas pour objet de prendre en compte la demande d’aide à mourir.
La proposition de loi relative à l’assistance médicalisée pour mourir apporte une réponse aux personnes qui, comme l’était le jeune Vincent Humbert, sont confrontées à une situation médicale grave et sans issue.
Cependant, ne nous trompons pas de débat. Il ne s’agit pas ici de légaliser l’euthanasie pour tout le monde. Cette aide active à mourir ne concerne que des personnes qui sont dans une situation médicale grave et sans issue, dans de grandes souffrances, et qui souhaitent partir en en faisant la demande. Ces personnes font un choix. On parle bien ici de situations exceptionnelles.
Lorsqu’on est en phase terminale, la douleur physique ou psychologique est parfois insupportable. On peut alors vouloir ne plus vivre et donc réclamer une aide active à mourir, et non pas des soins palliatifs. La décision de répondre à cette demande est une responsabilité qui ne peut peser exclusivement ni sur les épaules des médecins, ni sur celles des proches des malades.
Faire une loi sur l’assistance médicalisée à mourir est la seule façon de contrôler efficacement cette assistance et de combattre d’éventuelles et réelles dérives. Réglementer, c’est éviter que des patients conscients ne soient euthanasiés sans qu’on leur demande leur avis. Nous devons reconnaître que l’euthanasie existe et est pratiquée de manière clandestine ; légiférons justement pour combattre ce genre de dérive et pour instaurer un certain nombre de contrôles.
Nous ne pouvons laisser aux médecins non plus qu’aux proches des malades le poids d’une telle responsabilité. La loi permettra d’assumer collectivement cette responsabilité afin que les médecins et les proches puissent ensuite supporter individuellement la charge qui leur revient.
De plus, la loi aura pour effet non pas la dépénalisation pure et simple de l’euthanasie mais la reconnaissance d’une exception d’euthanasie strictement encadrée par le code de la santé publique.
Je comprends, bien sûr, les inquiétudes des personnes qui ne sont pas favorables à ce texte, car nous sommes là face aux problèmes de la fin de vie et à une réflexion éthique complexe.
Cependant, la proposition de loi qui nous est présentée encadre l’assistance médicalisée pour mourir : le médecin sollicité par le malade doit en effet non seulement saisir deux confrères, mais il doit aussi proposer au patient les soins palliatifs disponibles comme alternative à sa décision. Le choix du patient reste en outre « révocable à tout moment ».
Chaque médecin aura la possibilité de refuser de fournir lui-même cette assistance, qui sera donc délivrée par des professionnels de santé volontaires, lesquels devront suivre « une formation sur les conditions de réalisation d’une assistance médicalisée pour mourir ».
Par ailleurs, la présente proposition de loi ne marque pas la fin du développement des soins palliatifs. Bien au contraire, ce texte confirme l’obligation de proposer à tous les malades l’accès aux soins palliatifs adaptés à leur situation.
Oui, accompagner la mort dans la dignité est un acte d’amour, qu’il s’agisse d’accompagner des personnes âgées atteintes de maladies dégénératives à l’évolution inexorable, des personnes, malheureusement jeunes parfois, foudroyées par des affections incurables ou encore des victimes d’accidents ayant entraîné des lésions irréversibles, empêchant tout espoir de retour à un minimum d’autonomie de vie.
On sait très bien qu’en France on pratique aujourd'hui des aides actives à mourir dans la clandestinité : bien que les évaluations soient difficiles à réaliser, on estime ainsi que le nombre d’euthanasies se situe entre 1 500 et 1 800 par an.
Pourquoi ne pas agir en toute transparence afin de ne plus être dans l’illégalité et ainsi accompagner le malade et son entourage avec une équipe médicale formée ? Une société ne doit pas vivre avec un décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue. Nous ne pouvons pas rester dans l’hypocrisie.
Enfin, j’insisterai sur l’importance de la vie. En effet, à tout moment la volonté de vivre doit l’emporter sur celle de mourir. Cependant, il peut arriver un moment où la volonté de mourir l’emporte sur l’intérêt de vivre parce que l’individu est parvenu aux limites du supportable. C’est à ce moment qu’il importe de prendre en compte la volonté du patient dans une situation médicale grave et sans issue et celle de sa famille.
Pour avoir travaillé en milieu hospitalier, je peux vous assurer que parfois, face à certaines détresses, quand tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, la demande de délivrance devient un droit : elle doit être l’expression de notre dernière liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, je veux, dans le bref temps de parole qui m’est imparti, à savoir deux minutes, dire pourquoi je ne voterai pas ce texte mais dire aussi que la fermeté de mes convictions sur ce sujet n’empêche absolument pas le profond respect que j’ai pour celles et ceux qui sont venus à cette tribune pour soutenir une position très différente de la mienne.
Certains ont parlé de la réponse que la mort donnée, la mort assistée pourrait constituer ; pour ma part, je crois qu’en aucun cas la mort donnée ne peut être, sur le plan éthique, une réponse.
Je pense en effet que l’euthanasie blesse irrémédiablement un principe fondateur extrêmement fort de notre société, celui du respect de la vie et de l’inviolabilité de celle-ci.
Sous-tendue par l’idée que mourir pourrait être un bien et vivre un mal,…
M. René-Pierre Signé. Vivre une vie végétative !
M. Bruno Retailleau. … elle contredit aussi le sens commun. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Sur le plan médical ensuite – vous y avez fait allusion, monsieur le ministre –, l’euthanasie ne peut pas être une option parmi d’autres parce que la nécessaire relation de confiance entre le médecin et son patient pourrait subir des conséquences dommageables incalculables.
M. René-Pierre Signé. Au contraire !
M. Bruno Retailleau. Elle n’est pas davantage admissible sur le plan de la société. Pour tenir debout, mes chers collègues, une société doit en effet s’adosser sur des principes.
L’ordre juridique doit être unique et commun à tous, ce qui n’exclut ni la pluralité des croyances, ni la diversité des opinions, mais sommes-nous prêts à cette transgression radicale ?
Avons-nous envisagé l’intolérable, peut-être l’inhumaine pression sur ces êtres malades, en état de vulnérabilité, qui se considèrent comme une gêne pour leur entourage ? Si l’euthanasie était autorisée, ces personnes ne seraient-elles pas en effet amenées à considérer comme une évidence qu’il leur appartient de demander, pour soulager leur entourage, cette mort que vous souhaitez assistée ? Je ne crois pas que nous ayons considéré ce risque.
Enfin, sur le plan législatif, autoriser l’euthanasie serait un renoncement.
Le choix n’est pas entre la souffrance et la mort assistée, entre l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie : avec la loi Leonetti, la France a opté pour une législation avancée ; elle a choisi la voie de la sagesse et de l’équilibre. Nous n’avons pas à abdiquer devant la souffrance et nous n’avons pas non plus, dans la lutte contre la souffrance, à abdiquer nos valeurs. (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
Il vous revient à vous, monsieur le ministre, de nous sortir de ce dilemme en dotant notre pays des moyens nécessaires pour développer cette solution alternative que sont les soins palliatifs. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. Jean Desessard. Si c’est lié aux moyens qui peuvent être mis à disposition par le ministre, l’affaire est réglée !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout d'abord, je remercie ceux qui ont permis cette discussion. Quels que soient les opinions défendues et le résultat du scrutin, le Parlement est pleinement dans son rôle, dans un grand débat de société.
Sénèque a écrit : « Y a-t-il plus cruel supplice que la mort ? Oui, la vie quand on veut mourir. » Ce dossier est pour beaucoup celui de la souffrance et de la détresse marquant la fin de la vie. Or, aujourd'hui, nous le savons tous ici, l’aide active à mourir existe dans les faits. Doit-elle être légalisée ? Tel est le débat qui nous anime.
Vie et mort sont indissociablement liées, et le passage de l’une vers l’autre est la grande question qui préoccupe l’homme depuis que son évolution l’a fait se lever, réfléchir et parler. La mythologie avait imaginé que la descente vers les Enfers se faisait en traversant des fleuves, dont le Styx, c'est-à-dire en passant d’une rive à l’autre.
Certains croient à une vie après la mort, d’autres non. Qu’il s’agisse d’une fin ou d’un commencement, chacun d’entre nous aspire à ce que ce moment puisse se dérouler dans la sérénité, pour soi et ses proches.
Les progrès considérables de la connaissance sur l’origine de l’univers comme sur celle de la vie n’ont pas répondu à toutes ces questions ; ils en ont fait apparaître de nouvelles et n’arrivent point à effacer tant de siècles d’obscurantisme.
Au travers des progrès scientifiques et techniques, notre société a subi davantage de bouleversements en un siècle qu’au cours de toutes les époques passées. De ce fait, les débats d’éthique et de bioéthique, relatifs à la procréation, à la santé et à la mort deviendront de plus en plus prégnants, d’autant qu’ils seront, dans la pratique, de plus en plus indifférents aux frontières des États. L’exemple de la Suisse montre d'ailleurs que nombreux sont ceux qui sont prêts à franchir les frontières pour aller au devant d’une mort assistée.
Parmi ces débats, celui qui porte sur l’aide active à mourir prend une acuité particulière, parce que la médecine a fait des progrès immenses, parce que la durée de la vie a augmenté considérablement – elle est passée de 27 ans au début du XIXe siècle à plus de 80 ans aujourd’hui –, parce que de plus en plus nombreux sont ceux qui vieillissent en subissant un effondrement de leurs qualités physiques et intellectuelles, parce que, aussi, de plus en plus, grande vieillesse va de pair avec grande solitude, eu égard à la distension accélérée des liens familiaux.
Ce débat n’est pas récent, mes chers collègues. La Haute Assemblée a déjà examiné en séance publique, le 7 mai 1980, une proposition de loi du sénateur Henri Caillavet relative au droit de vivre sa mort,…
M. Roland Courteau. Exact !
M. Jacques Mézard. … avec un rapport du sénateur Jean Mézard.
Déjà, obligation d’information, consentement du malade par acte authentique et responsabilité médicale faisaient l’objet de propositions, finalement rejetées par le Sénat au motif que le problème posé relevait de l’éthique individuelle et médicale. En fait, il s’agissait alors d’abstention thérapeutique. Trente ans ont passé, et la loi Leonetti a constitué une avancée remarquable ; d'ailleurs, il conviendrait selon nous qu’elle soit mieux connue et qu’un bilan de son application soit réalisé.
Toutefois, ce dont il est question aujourd’hui ressortit à une problématique différente : c’est la reconnaissance d’un droit à l’aide active à mourir, déjà admis par plusieurs pays européens.
Nous comprenons les oppositions de principe, les réticences, les doutes suscités par ce texte. Fallait-il faire évoluer la loi Leonetti, une nouvelle loi est-elle en l’état justifiée ?
Pour nous, le serment d’Hippocrate a un sens, le respect de la vie tout autant. Mais quelle signification donner à cette dernière si l’on n’est pas maître de sa destinée, libre de décider pour soi et de choisir de ne pas aller au-delà de telle souffrance physique, de ne pas supporter telle déchéance inéluctable ?
C’est cette liberté fondamentale dont nous demandons la reconnaissance. Dans ce domaine, comme dans celui de la procréation ou de l’IVG, les dogmes religieux ou philosophiques ne sauraient s’imposer à la liberté individuelle. De la même façon, il ne serait pas admissible d’attenter à la liberté du médecin, ou de tout auxiliaire médical, de refuser son concours.
La liberté est indissociable de la validité du consentement, sachant que l’approche de la mort peut modifier ce dernier, comme il arrive qu’elle convertisse in fine un athée en un croyant. Ce consentement doit être explicite, incontestable, avec une personne « en phase avancée ou terminale d’une pathologie grave et incurable. »
Ce qui est en jeu à ce niveau, c’est l’importance de la mission d’information par le médecin sur la pathologie et sur les soins palliatifs, car l’articulation entre ces derniers et le droit à la mort assistée est primordiale.
La vraie liberté de choix impose une information loyale et complète. Nous ne pourrions accepter que la volonté d’anticiper la mort soit le fruit d’un moment de désespoir, ni qu’elle soit émise par une personne dont les facultés de jugement seraient altérées. Ce qui peut apparaître comme une procédure lourde est indispensable ; cet encadrement est nécessaire pour éviter ce que l’on appelle pudiquement les « dérives », qui existent d’ailleurs aujourd’hui en l’absence de cette loi. C’est d’autant plus indispensable que la mort assistée doit impérativement être l’exception et ne peut en aucun cas devenir la norme.
M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur. Absolument !
M. Jacques Mézard. Mes chers collègues, je suis conscient des imperfections du texte qui nous est soumis. Je respecte profondément toutes les opinions, très diverses, qui s’expriment, y compris au sein de mon groupe. Si j’émets personnellement un vote favorable en privilégiant le principe de liberté de chacun de faire cesser sa propre vie, ce n’est pas sans qu’une part de moi-même freine cet élan dans un débat qui, sous diverses formes, est de tous les âges.
Aussi, mes chers collègues, conclurai-je comme j’ai commencé, en me référant au sage Sénèque dans ses Lettres à Lucilius : « Pour la vie, on a des comptes à rendre aux autres ; pour la mort, à soi-même. La meilleure mort : celle que l’on choisit. » (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes tous venus ici avec notre interrogation face à la dernière heure. Et non sans une certaine impudeur, je monte à cette tribune avec ce que j’ai vécu et ce que je n’ai pas vécu, avec mes convictions et mes certitudes, mais aussi avec mes doutes. Ce sont les unes et les autres que je voudrais partager avec vous en cet instant.
Ma première certitude est que, lorsque l’épreuve arrive, alors la belle assurance se fissure : ma conscience a peine à répondre en raison du refus de porter le fardeau au détriment de mon petit confort personnel.
Mes chers collègues, il m’est impossible aujourd’hui de jurer devant vous que cette demande d’aide active à mourir, je ne la formulerai en aucun cas pour moi-même ou pour un de mes proches lorsqu’une telle difficulté me concernera. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Du reste, pourquoi ne le ferai-je pas si la loi me l’autorise, si le droit-créance ainsi créé fait peser sur tous le devoir de le rendre effectif, déplaçant les interdits anthropologiques qui fondent notre société ?
Je sais également que le coma ou la maladie peuvent me rendre étrangère à moi-même ou me rendre étrangers ceux que j’accompagne à la fin de leur vie. Pour autant, l’enjeu, ici, c’est le rapport d’humanité, et plus encore de fraternité, qui doit subsister, même quand le malade n’est plus que l’ombre de lui-même. Comment puis-je rester le frère, la sœur en humanité de celui qui me dit ne plus être lui-même ou craindre de ne plus l’être ? Et pour qu’il soit présent à lui-même, doit-il aligner son existence sur mes propres critères de dignité ou, au contraire, dois-je réajuster le sens de mon existence pour percevoir ce qui, chez lui ou chez elle, reste fondamentalement humain ?
La dignité n’a-t-elle pas, plutôt, une dimension ontologique accordée à chaque homme dans sa singularité, comme l’a proclamé la Déclaration universelle des droits de l’homme ?
Affirmer le contraire ou juger de l’identité ou de l’humanité de l’autre à l’aune de critères médicaux, n’est-ce pas ouvrir la voie à une discrimination entre les êtres humains, qui toucherait avant tout les plus vulnérables ?