M. Didier Guillaume. Qu’est-ce que cela veut dire ?
M. Bernard Piras. Rendez-nous Haenel ! C’est honteux !
Mme Raymonde Le Texier. Et malhonnête !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
Mme Isabelle Pasquet. Ce sont ces propos-là qui font honte au Sénat !
M. Jean-Louis Lorrain. Ce risque pose la question de l’exception. Les situations extrêmes – mais lesquelles ? – sont toujours extrêmes pour celui qui va mourir. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Bernard Piras. Rendez-nous Haenel !
M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. Lorrain, et à lui seul !
M. Jean-Louis Lorrain. Elles doivent être prises en considération – on n’abandonne pas un être en souffrance –, mais elles ne peuvent exiger la transgression.
M. Daniel Raoul. Honteux !
M. Jean-Louis Lorrain. L’évolution législative devrait permettre, selon Emmanuel Hirsch, « l’exonération de la culpabilité d’un acte transgressif. » Le « Tu ne tueras pas » de Levinas et des autres ne nous permet pas de balayer, même avec précaution, les impératifs kantiens et hippocratiques.
Cette proposition de loi est irrecevable et malsaine. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Ronan Kerdraon. C’est vous qui êtes malsain !
M. Bernard Piras. Oui, c’est vous !
M. Jean-Louis Lorrain. En voulant lier l’assistance médicalisée pour mourir aux soins palliatifs, les auteurs marquent leur préférence pour le meurtre compassionnel tout en invoquant la complémentarité. (Mme Brigitte Bout applaudit.)
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est honteux !
Mme Raymonde Le Texier. C’est indigne d’un élu !
M. Jean-Louis Lorrain. De ce fait, il n’y a aucun lien, ni philosophique, ni technique, ni médical, avec les soins palliatifs, qui relèvent de la sollicitude, de l’accompagnement et du non-abandon. (Protestations continues sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
J’aimerais souligner le rôle de l’Observatoire national de la fin de vie, présidé par le professeur Aubry : il est proposé de développer des connaissances sur la fin de vie, sur les pratiques du soin, d’apporter des données objectives fiables et de promouvoir la recherche. Dans ce registre, la Société française des soins palliatifs a en outre défini de bonnes pratiques.
M. Jean-Pierre Bel. Le temps de parole est écoulé !
M. Jean-Louis Lorrain. Nous devons nous réapproprier notre mort, déléguée au milieu hospitalier, car nous avons médicalisé la vie : de l’assistance médicale à la procréation à l’assistance médicalisée à mourir, nous nous sommes dépossédés de notre existence, nous conduisant à invoquer le droit à la mort, qui ne correspond pas à un combat éthique. (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG martèlent leurs pupitres.)
L’euthanasie est pour certains un engagement politique,…
M. René-Pierre Signé. Cela suffit !
M. Jean-Louis Lorrain.… mais il ne s’agit que d’acharnement à vouloir légiférer et à obtenir le droit à une injustifiable violence, celle du « faire mourir » ; il s’agit, selon le philosophe, de faire de la mise à mort un droit. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Daniel Raoul. Cessez !
M. Jean-Louis Lorrain. L’eugénisme le plus sournois, monsieur le ministre chargé de la santé, est celui que l’on demande à soi-même. Il devient norme pour le politique totalitaire et ouvre la porte à la barbarie.
Avec le sage, nous pensons que nous devons tendre à vivre dignement, pour soi et pour les autres (Protestations continues sur les mêmes travées), même dans les situations extrêmes, dans la sollicitude et dans le non-abandon ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également. – Huées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Protestations sur certaines travées du RDSE.)
M. Daniel Raoul. Scandaleux !
M. René-Pierre Signé. Honteux !
Mme Annie David. Excessif !
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’avais compris qu’il ne s’agissait pas de jouer une nouvelle version de la querelle des Anciens et des Modernes, d’opposer les adeptes du progrès et les autres.
Je dois vous dire que nous sommes nombreux à avoir eu honte d’entendre les propos qui viennent d’être tenus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Je me suis senti insulté. Monsieur le ministre chargé de la santé, tout à l’heure, vous nous avez invités à délibérer dans la sérénité et le respect de la liberté de conscience de chacun.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Alain Gournac. Chacun s’exprime !
M. Didier Guillaume. J’estime que les paroles que nous venons d’entendre se situent à la limite de la dignité, à la limite de ce que nous sommes capables de supporter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
Comme l’a écrit dans Le Monde notre Premier ministre, M. Fillon, « aucune conviction n’est indigne ».
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Didier Guillaume. Toutes les convictions sont respectables. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.) C’est cela qui compte aujourd'hui dans le débat.
En face d’une situation si complexe, il est légitime que le législateur s’interroge. Le sujet que nous abordons est suffisamment important pour éviter de nombreux écueils, du discours manichéen opposant le bien et le mal au débat caricatural.
Monsieur le ministre, permettez que nous nous mettions d’accord sur les termes : cette proposition de loi n’est pas un texte sur l’euthanasie. (M. Alain Gournac s’esclaffe.) Il ne faut pas détourner le débat.
Cette proposition de loi concerne l’accompagnement d’un malade en fin de vie, pour écourter ses souffrances, lui rendre sa dignité lorsque la pathologie est grave ou incurable. Ce n’est pas lui donner la mort, c’est le soulager : voilà la différence, et c’est bien cela qui est écrit dans l'article 1er de cette proposition de loi !
Une majorité de la commission des affaires sociales s’est retrouvée, la semaine dernière, autour d’un texte équilibré. Le Sénat peut en être fier. Ce soir, les sénateurs voteront en leur âme et conscience, comme ils l’entendent, peut-être en dehors des clivages politiques.
Monsieur le président du Sénat, c’est l’honneur de notre République et de la Haute Assemblée que ce débat ait lieu, ici même, quelle que soit l’issue du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Ce type d’initiative témoigne vraiment de la vigueur du Parlement. Bien sûr, nous en sommes tous conscients, cette proposition de loi attise les passions. Mais le fait que le débat vive dans cette enceinte comme au sein de la société, qu’il soit sans cesse étayé et serein, comme nous l’espérions, est la marque d’une bonne démocratie.
Le monde qui nous entoure s’est toujours construit autour de grands débats, qui l’ont fait évoluer. En 1944, ce fut le droit de vote accordé aux femmes. En 1975, ce fut l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse. En 1981, ce fut l’abolition de la peine de mort. En 1999, ce fut l’adoption du pacte civil de solidarité.
Tous ces débats se sont déroulés avec beaucoup de force : ce fut une chance pour notre démocratie. En 1975 comme en 1981, il n’y avait pas une majorité de Français pour suivre les parlementaires dans leur vote. Il ne s’agit pas aujourd'hui de s’appuyer sur les sondages. Chacun peut, tour à tour, citer des enquêtes d’opinion en faveur de telle ou telle position. Ce qui compte, c’est la réalité de ces grands sujets de société qui sont débattus au Parlement.
Alors, oui, l’adoption de la loi Leonetti a constitué un pas en avant. Mais il nous semble que la loi peut encore évoluer, car elle n’est pas allée assez loin.
Le texte que la commission des affaires sociales a adopté mardi dernier n’est finalement ni plus ni moins qu’un texte juridique visant à prolonger la loi Leonetti et destiné à permettre aux personnes qui le souhaitent de finir leur vie dignement.
Il ne s’agit pas ici de répondre à la détresse de la famille du patient qui voudrait « que l’on en termine, que l’on arrête de s’acharner, que l’on aille plus vite » ; non, il s’agit de prendre en compte les souffrances du malade.
Ce que ce texte consacre, c’est non pas le droit de mourir dans la dignité exclusivement, mais le droit de choisir de mourir dans la dignité. Et il faut vraiment veiller ensemble à ne pas opposer les soins palliatifs et cette proposition de loi.
Oui, l’accès universel aux soins palliatifs est une priorité, une obligation humaniste. Et ce sujet fait aujourd’hui consensus.
Je veux d’ailleurs saluer les médecins, les infirmiers et infirmières, le personnel soignant et aide-soignant et tous les bénévoles qui se consacrent aux soins palliatifs. Ce sont des personnes absolument remarquables dont la vie est également difficile, car c’est à elles qu’il revient d’accompagner tous les jours celles et ceux dont nous parlons aujourd’hui.
Dans ce débat, il ne s’agit pas de compter le nombre des lits dévolus aux soins palliatifs dans les hôpitaux qui, si j’en crois ce que disait M. le ministre tout à l’heure, seraient en augmentation. Non ! Il faut aller plus loin parce que seulement 20 % des personnes incurables en fin de vie sont aujourd’hui en soins palliatifs. Il faut aller plus loin.
Ce texte vise à légiférer pour poser un cadre juridique à l’assistance médicalisée à mourir. C’est de cela qu’il s’agit ! Alors, monsieur le ministre, l’autonomie de la volonté, où se manifeste-t-elle le mieux, sinon dans la lettre de Vincent Humbert au Président de la République ? Voilà vraiment ce qu’est l’autonomie de la volonté !
La hauteur et la qualité des débats au Sénat doivent nous permettre, dans le respect des convictions de chacun, d’aborder ce débat sereinement et d’aller au bout.
Si cette loi était votée, il y aurait un cadre juridique – peut-être imparfait, mais du moins éviterait-il pour beaucoup l’hypocrisie que l’on constate aujourd’hui.
M. Bernard Piras. Très bien !
M. Didier Guillaume. Si cette loi était votée, elle permettrait tout simplement à ces personnes malades, à leur famille, d’accéder à la dignité.
Et non, chers collègues, on ne va pas, comme cela a été dit tout à l’heure, euthanasier les personnes en difficulté ! Là n’est pas la question. Pensons à ceux qui n’en peuvent plus, qui sont atteints d’une maladie incurable et souffrent le martyre, qui n’ont pas d’autre issue et pour lesquels les traitements dispensés dans les services de soins palliatifs ne suffisent pas parce qu’ils n’apaisent plus la douleur. Alors, oui, pensons à ceux-là et uniquement à ceux-là, protégés par des garde-fous et verrous destinés à éviter tout dérapage. Que les médecins s’expriment, qu’ils acceptent de participer ou qu’ils n’acceptent pas ! Que le malade puisse le dire, que la famille puisse également écrire !
Avec tous ces verrous, il n’y a pas de risque de déraper ! Il y a simplement la possibilité de réduire la souffrance et d’offrir, pour la fin de vie des malades incurables, une plus grande dignité.
Les convictions humanistes que les défenseurs de cette loi partagent, c’est que l’adoption de cette loi serait un pas supplémentaire vers la consécration du principe de dignité de la personne humaine. C’est, en tout cas, mon intime conviction.
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure que nous débattions dans l’émotion et la précipitation. Je veux le dire ici, nous voulons légiférer dans la dignité et en responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, malgré toute la considération et l’estime que j’ai pour Jean-Pierre Godefroy, notre rapporteur ce soir, je ne peux pas le suivre sur le chemin qu’il nous propose.
M. Daniel Raoul. On ne vous en demande pas tant !
M. André Lardeux. Je n’avais pas voté la loi Leonetti bien qu’elle ne fût pas sans mérite, considérant que ses faiblesses, notamment en ce qui concerne la ventilation, l’alimentation et l’hydratation des patients, pouvaient ouvrir la porte, par des modifications progressives, à des transgressions de plus en plus graves. Avec ces trois propositions de loi réunies en une seule maintenant, nous y sommes. Elles sont la reprise, à quelques mots près, du texte que l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD, avait présenté dès mars 2006.
La question de fond n’a pas changé. Par cette proposition, l’ADMD veut autoriser l’euthanasie, à savoir la possibilité de donner la mort à une tierce personne sous couvert d’une attitude compassionnelle, autrement dit, un permis de tuer.
Les auteurs de la proposition s’appuient sur l’émotion suscitée par certains cas largement médiatisés. En effet, qui n’a pas été touché par la situation de Vincent Humbert ou de Chantal Sébire ? Il y a cependant un oubli de taille dans ces deux cas : ni l’un ni l’autre n’étaient en fin de vie.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement !
M. André Lardeux. Notre législation n’accepte pas que l’on donne délibérément la mort, et cette position me paraît la seule raisonnable car, ce qui est en jeu, c’est le respect imprescriptible de la dignité de toute personne.
On sait où commence une transgression, mais, une fois celle-ci accomplie, toutes les barrières tombent et il n’y a plus d’obstacles pour interdire des transgressions de plus en plus grandes.
C’est ce que l’on constate dans les pays qui pratiquent l’euthanasie. En Belgique, elle a progressé de 250 % en cinq ans. Aux Pays-Bas, elle représente 2 % du total des décès, ce qui est considérable. La tendance est confirmée par l’installation croissante en Allemagne de personnes âgées néerlandaises, signalée par l’ordre des médecins allemand.
Certains, pour minimiser le problème, parlent d’exception d’euthanasie. C’est, pour moi, un concept fallacieux. En effet, l’euthanasie est ou n’est pas. Il n’y a pas de situation intermédiaire. On peut aussi jouer sur les mots en parlant d’une « euthanasie active » et d’une « euthanasie passive ». C’est tout aussi inexact. Le « laisser mourir » n’est pas assimilable à cette dernière.
Pour promouvoir la mise en place de l’autorisation de tuer, on invoque la liberté de chacun. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) On met en avant ce qu’on appelle « l’ultime liberté », mais je ne crois pas que la liberté de s’autodétruire en soit une. Dans ce prétendu droit à l’ultime liberté, on croit entendre les tenants de courants ultralibéraux qui voudraient l’étendre à tous les aspects de la vie.
La pensée ultralibérale prétend, en effet, conquérir des droits nouveaux pour mieux asservir l’homme. Mais, en cela, on préfère la liberté de mourir à celle de vivre. Au lieu d’accompagner la fin de vie, on se propose de l’accélérer.
Selon Axel Kahn, la liberté de se suicider est une liberté singulière parce qu’elle n’est, en réalité, que celle d’échapper à l’inéluctable. Le suicide, ultime liberté, est le seul moyen perçu par le suicidant d’échapper à l’insupportable, c’est-à-dire exactement le contraire de la liberté.
La proximité de la mort n’est jamais une condition suffisante pour abréger la vie. L’absolu de l’interdiction de tuer ne permet pas d’y introduire des exceptions.
L’homme peut revendiquer beaucoup de libertés, mais pas la liberté de décider de son humanité. Présenter cette proposition comme moyen de prévention du suicide, ce que nous avons entendu en commission, est un raisonnement plutôt controuvé. D’ailleurs, que sait-on de ce qui se passe dans l’esprit d’une personne âgée qui est en train de le perdre ?
Il ne faut pas non plus oublier la liberté des personnels de santé, des médecins : donner la mort n’est nullement de leur compétence. On ne peut pas reconnaître aux professionnels de santé le droit à l’objection de conscience et mettre en place un dispositif violant la liberté de conscience. En effet, le texte prévoit que si un médecin refuse de pratiquer l’euthanasie, il doit indiquer au demandeur les moyens de le faire. Or, en morale, il n’y a pas de différence de degré entre la réalisation d’un acte et la complicité dans la réalisation de cet acte. Il est bien sûr inutile d’insister sur l’effet que cela aura, en outre, sur la confiance des malades vis-à-vis des soignants…
La deuxième série d’arguments utilisés concernent la « dignité » de la vie et de la personne.
La souffrance des personnes malades et la perception qu’en ont leurs proches sont des questions difficiles. On voit bien que la peur ou l’hostilité que le vieillissement extrême inspire à notre société ne font que s’accentuer au fil du temps. Probablement est-ce ce qui pousse les partisans d’une aide active à mourir à un acharnement à en finir au plus vite.
C’est pourquoi la lutte contre la douleur et l’accompagnement de la personne en fin de vie sont indispensables et qu’il est impératif de pleinement appliquer la loi de juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. On sait que cela diminue considérablement les demandes d’euthanasie.
Pousser le concept de la qualité de la vie à un point où l’on peut affirmer tranquillement qu’une vie diminuée ne mérite plus d’exister ne laisse pas d’inquiéter.
Si la qualité de la vie devient le critère de la valeur de la vie humaine, on nie le fondement naturel et culturel de l’égalité, on institue une éthique de l’inégalité. La valeur de la vie humaine dérive non de l’état de la personne mais de son existence même.
Cela pose la question de la place faite dans notre société aux malades, aux mourants, aux faibles, aux vulnérables. Ce n’est pas en les dépossédant de la vie qu’on améliore leur qualité de vie. C’est ce que confirme le professeur Israël : « Le monde vers lequel nous nous dirigeons sera à l’image du sort qu’il réservera à ses vieillards. Si ce monde n’a qu’une hâte, celle de se débarrasser de ses vieillards, il est évident que toutes les autres catégories humaines qui ne seront pas considérées comme productives pour les pouvoirs en place connaîtront le même sort. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Dans cette situation, ce n’est pas au médecin qu’il faut demander de décider, c’est aux économistes.
La société n’a pas vocation à organiser la mort, ni celle de l’enfant à naître, ni celle du grand malade, ni celle du vieillard en fin de vie, ni celle du criminel ayant commis un acte monstrueux.
En le faisant, elle sape les fondements mêmes de son existence. C’est proprement suicidaire ! L’essence de la vie transcende toutes les conditions de l’existence, si difficile soit-elles. Personne ne peut donc décider de la mort d’autrui.
Ce qui pousse la société vers l’euthanasie, c’est que la mort est le plus grand tabou de notre époque. Il nous faut apprendre à la réapprivoiser. Il nous faut sortir de l’idéal totalitaire du corps parfait.
Le grand problème est la solitude des malades, des mourants, car notre société fait tout pour expulser la mort de la Cité. Pourtant, la mort ne peut qu’être au cœur de la vie, de la société.
Une société pour la vie est une société qui aide ses membres à vivre jusqu’au bout leur vie, qui ne fait pas douter de la valeur de leur présence. Sinon, tout un chacun se demandera si on veut encore de lui. À moins de penser, comme l’écrit Jacques Attali, que « l’euthanasie sera l’un des instruments essentiels de nos sociétés futures »…
L’interdiction de donner la mort est donc un principe fondateur de notre société. Le transgresser, même pour des raisons compassionnelles, entraînera des dérives de plus en plus difficiles à contrôler.
C’est contraire à l’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’homme et au principe d’égalité de l’article Ier de la déclaration de 1789. Et je suis convaincu que cela met à mal le troisième terme de notre devise républicaine.
Il s’agit donc de ma part d’une opposition de fond au permis de tuer, car ma vision du monde, de la société et de l’humanité diverge tout à fait de celle qui sous-tend les propositions de loi présentées.
En effet, même si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. Je crois à la vie car, pour moi, tout homme est une histoire sacrée. Je refuse donc la culture de mort qui conduit l’Europe à son suicide. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis l’adoption, en 2005, de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, ce débat, sans cesse relancé autour de ce qu’on appelle communément « l’accompagnement à la mort », ou « le droit des patients en fin de vie », continue, certes, d’évoluer, mais reste souvent stérile et occulte complètement l’ensemble des travaux et rapports d’une grande qualité qui l’ont accompagné.
Aujourd’hui, de même qu’il y a chez certains une volonté de maîtriser le début de vie, il y a la tentation de maîtriser la fin de vie.
J’ai eu, comme vous, à maintes reprises, l’occasion d’animer des soirées autour de ce thème difficile, et souvent tabou. Ces rencontres m’ont toujours permis d’informer un public large, de dialoguer et d’échanger sur ce sujet délicat, pour lequel nous nous sentons tous concernés. Nous ne pouvons pas, en effet, rester muets face à cette interrogation fondamentale que représente le choix du thème relatif à la fin de vie. Bien souvent, chacun repart de ces soirées plein d’interrogations dont les réponses nous renvoient à notre propre conscience, comme l’a souligné Mme Hermange.
Aucun d’entre nous ici n’a oublié cette loi du 22 avril 2005, qui prévoyait le droit reconnu aux malades d’accéder aux soins palliatifs et, en même temps, de refuser un traitement, ou le devoir imparti au médecin par l’article 37 du code de déontologie médicale de ne pas pratiquer d’obstination déraisonnable et de soulager les souffrances.
Aucun d’entre nous n’a oublié que cette loi est aujourd’hui applicable. N’est-il donc pas préférable de continuer à informer et communiquer sur ce texte qui, reconnaissons-le, reste encore trop méconnu du grand public, de sensibiliser le plus grand nombre aux questions que pose la prise en charge de la fin de vie, plutôt que relancer une polémique sur la fin de vie ?
Un récent sondage précise d’ailleurs que 60 % de nos compatriotes considèrent le développement de soins palliatifs de qualité comme la priorité en termes de fin de vie.
Comme vous, je me suis souvent posé des questions sur ce sujet, sensible et chargé en émotion. L’homme, la santé et la maladie, le respect de la vie, la dignité humaine, la dépendance, le vieillissement sont autant de thèmes qui s’entrecroisent comme dans un kaléidoscope.
Pousser son premier cri, c’est aussi accepter de rendre son dernier soupir.
L’évolution des pratiques médicales ne doit pas éroder les valeurs communes qui sont au fondement d’une société et soutiennent ses institutions. Offrir des conditions optimales de soins pour adoucir la souffrance, à défaut de guérir, est l’un des nouveaux enjeux de la médecine. Il ne s’agit en aucun cas d’ôter la vie, il s’agit de diminuer la durée d’un passage au terme inéluctable.
Le droit à la mort reste contraire aux valeurs des médecins et aux sources morales de notre démocratie. Quelles que soient les motivations de ceux qui demandent la légalisation de l’euthanasie, on ne peut pas admettre que la société assigne aux médecins, aux infirmiers, ou à tout autre personnel soignant, la tâche de tuer un patient (Mme Marie-Thérèse Hermange applaudit). On ne peut pas plus admettre que l’administration de la mort soit prévue par la loi, car le suicide est une liberté, et non un droit, et n’a pas vocation à le devenir.
Aujourd’hui, il s’agit bien davantage de rendre la mort plus douce et, paradoxalement, plus « naturelle ».
Le médecin et les personnels soignants doivent rendre sa dignité et la sérénité à celui qui se trouve en fin de vie. Il s’agit non pas de provoquer la mort, mais de la laisser venir naturellement. L’acte de tuer est incompatible avec le devoir de ne pas nuire, et l’associer aux soins saperait la confiance des familles envers les soignants.
Nous avons un devoir d’humanité, ce qui signifie que nous devons prendre soin de l’autre, être en harmonie avec lui et avec nous-mêmes, trouver les mots ou les gestes qui humanisent et préservent la dignité de chacun, changer notre regard et, surtout, le regard que le malade perçoit.
Nul ne vit la douleur de la même façon. Nul ne perçoit sa déchéance au travers du même prisme. Accepter notre condition de mortel tout en refusant la douleur, telle est donc la philosophie à laquelle nous devons rester attachés, en restituant au médecin la plénitude de ses responsabilités.
Renoncer à l’acharnement thérapeutique, éviter l’obstination déraisonnable, rompre l’isolement du malade en fin de vie, épargner le désarroi à la famille et éviter la culpabilité des personnels soignants, tels sont les principaux objectifs sur lesquels nous avons pu aboutir grâce au développement de la culture palliative, qui confirme l’interdit de tuer, mais replace le malade au centre du dispositif en affirmant son droit à maîtriser la fin de sa vie.
Monsieur le ministre, il est indispensable de confirmer l’importance qu’il convient d’accorder aux soins palliatifs : non pas tant, en l’occurrence, la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements que la participation à cette démarche des différents services susceptibles d’accueillir des patients en fin de vie.
Faire entrer les soins palliatifs dans les services hospitaliers a constitué une avancée notable, une « révolution culturelle », dans la mesure où cette présence traduisait l’acceptation des limites de la « médecine curative ».
M. René-Pierre Signé. Nous sommes encore en retard !
M. Alain Milon. Elle a permis de rappeler chacun à l’humilité, et cela est déjà en soi un grand progrès.
Au fil des années, les choses ont changé, et nous pouvons nous féliciter de l’évolution significative de notre législation. Mais peut-elle se poursuivre ? Peut-elle aller encore plus loin en ouvrant la porte à une nécessaire évolution de nos mentalités, de nos lois, qui irait jusqu’à une forme de « droit à la mort » conférant un ancrage législatif aux conditions de limitation ou d’arrêt d’un traitement ?
S’il est vrai que la mort est un sujet qui dérange, il faut accepter de porter la réflexion sur le devant de la scène – je remercie Mme la présidente de la commission des affaires sociales et M. le rapporteur de l’avoir fait ! –, en reconnaissant que ce qui nous réunit tous, à l’occasion de ce débat, c’est le refus de la souffrance.
Oui, le sujet est polémique. Mais, quoi qu’il en soit, nous devons tenter, tout en respectant la dignité du patient, de trouver des solutions justes, raisonnables et humaines face à certaines situations, qui restent exceptionnelles et dramatiques.
Personnellement, je pense que la question de l’euthanasie, ou de l’aide active à mourir, est dépassée, car presque toutes les souffrances peuvent être soulagées. Le mot « euthanasie » est d’ailleurs souvent employé pour évoquer un autre débat, que je n’aborderai pas ici : celui de l’aide au suicide.
Autoriser et pratiquer l’euthanasie, mes chers collègues, revient à fuir nos responsabilités. Il ne s’agit en aucun cas d’une victoire de la liberté, mais bien d’une défaite de la volonté collective.
La prudence à l’égard des dérives possibles d’une loi, la protection des plus faibles et enfin la protection de la mission du médecin, plaident en faveur d’un refus de légiférer sur le principe de l’euthanasie, car il y aura toujours, hélas, des situations dramatiques et des exceptions.
J’estime, en conclusion, qu’il n’est pas opportun de voter une nouvelle loi traitant d’un sujet aussi douloureux et complexe au regard de l’extrême diversité des situations existantes. En revanche, nous devons insister sur le refus de l’obstination déraisonnable. Il nous faut aussi prendre conscience, j’en suis convaincu, de l’importance fondamentale qui s’attache non seulement au développement des nombreuses actions de sensibilisation et d’information relatives aux soins palliatifs, mais aussi à la formation des professionnels de santé, des bénévoles et du public dans le cadre d’une loi qui tolère un « laisser mourir » et surtout pas une « aide à mourir ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)