compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. François Fortassin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Saisines du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi :
– le 21 décembre 2010, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante députés et soixante sénateurs de la loi de finances pour 2011 ;
– le 22 décembre 2010, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution par plus de soixante députés de la loi de finances rectificative pour 2010.
Le texte des saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
3
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer, en application du décret n° 2010-1048 du 1er septembre 2010.
Les commissions des affaires sociales, de l’économie, des finances et des lois ont présenté chacune des candidatures pour deux titulaires et deux suppléants. La commission de la culture et la commission des affaires européennes ont présenté chacune des candidatures pour un titulaire et un suppléant.
Ces candidatures sont les suivantes :
Titulaires : Mme Catherine Procaccia, MM. Serge Larcher, Georges Patient, Daniel Marsin, Éric Doligé, Marc Massion, Christian Cointat, Mme Jacqueline Gourault, MM. Soibahadine Ibrahim Ramadani, Simon Sutour ;
Suppléants : Mmes Anne-Marie Payet, Gélita Hoarau, MM. Claude Lise, Michel Magras, Roland du Luart, Mme Michèle André, M. Nicolas Alfonsi, Mmes Éliane Assassi, Lucienne Malovry, Colette Mélot.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
4
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur le suivi de l’objectif de baisse d’un tiers de la pauvreté en cinq ans établi en application de l’article L. 115-4-1 du code de l’action sociale et des familles.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.
5
Conventions internationales
Adoption de huit projets de loi en procédure d'examen simplifié
(Textes de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de huit projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Il s’agit des projets de loi suivants :
- projet de loi autorisant la ratification de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens [projet n° 555 (2008-2009), texte de la commission n° 74, rapport n° 73] ;
- projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde [projet n° 345 (2009-2010), texte de la commission n° 124, rapport n° 123] ;
- projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’adhésion à la convention des Nations unies de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation [projet n° 402 (2009-2010), texte de la commission n° 458, rapport n° 457] ;
- projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cap-Vert relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire [projet n° 405 (2009-2010), texte de la commission n° 76, rapport n° 75] ;
- projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire [projet n° 406 (2009-2010), texte de la commission n° 77, rapport n° 75] ;
- projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Irak relatif à la coopération dans le domaine de la défense [projet n° 593 (2009-2010), texte de la commission n° 126, rapport n° 125] ;
- projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la Bosnie-et-Herzégovine, d’autre part [projet n° 670 (2009-2010), texte de la commission n° 120, rapport n° 119] ;
- projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République slovaque relatif à la coopération dans le domaine de la défense [projet n° 689 (2009-2010), texte de la commission n° 72, rapport n° 71].
Pour ces huit projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
convention des nations unies sur les immunités juridictionnelles des états
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, adoptée le 2 décembre 2004 et signée par la France le 17 janvier 2007.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
accord de sécurité sociale avec l’inde
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde, signé à Paris le 30 septembre 2008.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
convention des nations unies de 1997 relative aux cours d’eau internationaux
Article unique
Est autorisée l'adhésion à la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation (ensemble une annexe), adoptée à New York le 21 mai 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec le cap-vert relatif à la gestion concertée des flux migratoires
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Cap-Vert relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire (ensemble trois annexes), signé à Paris le 24 novembre 2008.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec le burkina faso relatif à la gestion concertée des flux migratoires
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Burkina Faso relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire (ensemble six annexes), signé à Ouagadougou le 10 janvier 2009.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec l’irak relatif à la coopération dans le domaine de la défense
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Irak relatif à la coopération dans le domaine de la défense, signé à Paris le 16 novembre 2009.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
accord de stabilisation et d’association entre les communautés européennes et la bosnie-et-herzégovine
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la Bosnie-et-Herzégovine, d'autre part (ensemble sept annexes et sept protocoles), signé à Luxembourg le 16 juin 2008.
M. Didier Boulaud. Je demande la parole.
M. le président. Mon cher collègue, la procédure d’examen simplifié ne laisse normalement place à aucun débat. Mais puisque Noël approche, je ne voudrais pas vous priver d’un cadeau, et je vous donne donc la parole. (Sourires.)
M. Didier Boulaud. Merci, monsieur le président.
En tant que rapporteur pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du projet de loi autorisant la ratification de cet accord de stabilisation et d’association, je me réjouis que cette ratification soit enfin menée à bien. Je regrette toutefois que la France ait été le dernier pays de l’Union européenne à y procéder.
Notre pays devrait, me semble-t-il, se montrer un peu plus allant à l’égard des Balkans, ces territoires dans lesquels nous avons dû intervenir militairement par le passé, laissant malheureusement derrière nous quelques morts. Nous pourrions y jouer un rôle plus affirmé.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est définitivement adopté.)
accord avec la république slovaque relatif à la coopération dans le domaine de la défense
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République slovaque relatif à la coopération dans le domaine de la défense, signé à Bratislava le 4 mai 2009.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
6
Reconversion des militaires
Adoption définitive d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la reconversion des militaires (projet n° 611 [2009-2010], texte de la commission n° 154, rapport n° 153).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre auprès de la ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le ministre d’État, ministre de la défense et des anciens combattants, qui représente en ce moment même le Gouvernement aux obsèques du second maître Jonathan Lefort, tué le 17 décembre dernier en Afghanistan, lors d’une opération.
Vous le savez, quatre militaires du rang sur cinq quittent l’institution avant d’avoir accompli un parcours professionnel leur ouvrant droit à une pension de retraite. Ces carrières courtes sont une condition indispensable pour conserver une armée jeune et opérationnelle.
Dans ce contexte, l’aide à la reconversion est à la fois un droit et une nécessité : un droit pour les jeunes militaires, qui doivent pouvoir regagner la vie civile dans les meilleures conditions après avoir rempli leur mission au service de la patrie ; une nécessité pour le ministère qui doit, pour satisfaire ses besoins en recrutement, être en mesure de proposer une seconde carrière à son personnel, principalement aux hommes du rang et aux sous-officiers.
Cette nécessité est aujourd’hui plus criante que jamais : d’abord, parce que le financement des allocations chômage des anciens militaires pèse de plus en plus lourdement sur le budget de l’État – en six ans, cette charge est passée de 75 millions à 110 millions d’euros –, mais surtout parce que la loi de programmation militaire pour 2009-2014 prévoit une diminution des effectifs du ministère de 54 000 personnes, dont environ trois quarts de militaires.
Face à cette situation, depuis plusieurs années déjà, le ministère de la défense a pris des mesures fortes. Je pense au renforcement du dispositif d’aide à la reconversion des militaires, au sein des fonctions publiques comme dans le secteur privé. Je pense aussi à la création, en 2009, de l’agence de reconversion de la défense et à la mise en place d’une vraie politique d’orientation, de formation professionnelle et de recherche d’emploi.
Aujourd’hui, si les résultats sont globalement satisfaisants, avec un taux de reclassement des militaires qui atteint 69 % en moyenne – 71 % pour les officiers, 73 % pour les sous-officiers et 50 % pour les militaires du rang – ce dispositif présente cependant deux faiblesses : d’une part, 35 % seulement des militaires du rang quittant l’institution avec quatre ans d’ancienneté trouvent un emploi ; d’autre part, les reclassements dans la fonction publique sont inférieurs de moitié aux objectifs fixés initialement.
Pour pallier ces carences, nous devons prendre des mesures complémentaires : c’est tout le sens du projet de loi qui vous est soumis.
Ce texte doit nous permettre d’améliorer notre dispositif d’aide à la reconversion grâce à deux leviers.
Le premier est le congé de reconversion. L’article 1er du projet de loi tend à en assouplir les règles, de façon à permettre aux militaires de suivre une formation segmentée dans le temps. Le congé serait désormais fractionnable par journées, dans la limite de cent vingt jours ouvrés cumulés, contre six mois consécutifs au maximum actuellement.
En outre, le projet de loi ouvre le droit au congé de reconversion, dans la limite de vingt jours, aux volontaires ayant moins de quatre ans de services. Il s’agit d’un progrès important pour cette population fortement exposée au chômage, puisqu’elle ne disposait auparavant d’aucun dispositif complet d’accompagnement.
Le deuxième levier de progrès est l’aide à la création d’entreprise. Deux dispositifs expérimentaux ont été prévus en ce sens.
D’une part, est prévu à l’article 2 le congé pour création ou reprise d’entreprise, directement inspiré du dispositif existant pour la fonction publique. Ce congé d’une durée maximale d’un an, renouvelable une fois sur demande agréée, est destiné aux militaires ayant huit ans d’ancienneté.
D’autre part, le cumul d’activité entre l’activité de militaire et celle d’auto-entrepreneur a été autorisé par l’Assemblée nationale pour les militaires en fin de carrière. Prévue à l’article 3, cette mesure est très encadrée : elle est réservée aux militaires qui sont à moins de deux ans de la limite d’âge ou de durée de services ou bien aux militaires bénéficiant d’un congé de reconversion. Naturellement, ces activités d’auto-entrepreneur doivent être agréées par le commandement, car elles doivent être compatibles avec le bon fonctionnement des services.
Au-delà de ces mesures, le Gouvernement a souhaité que le projet de loi comporte deux séries d’articles additionnels, qui ont d’ailleurs tous été adoptés par l’Assemblée nationale.
La première série d’articles vise à assouplir et à rendre plus attractif le dispositif des emplois réservés de la fonction publique ouverts aux invalides de guerre et militaires blessés en opération, aux veuves, aux orphelins, aux enfants de harkis, ainsi qu’aux militaires en activité ou libérés depuis moins de trois ans. Il s’agit notamment de permettre aux candidats d’effectuer leur année de stage dans leur emploi réservé en conservant – j’insiste sur ce point – la rémunération qu’ils auraient perçue s’ils étaient restés en position d’activité au sein des armées ; cela signifie qu’ils ne subiront aucune perte à cet égard.
La deuxième série d’articles est destinée à permettre aux agents du ministère de la défense de se reconvertir dans le cadre d’opérations d’externalisation. Les personnels qui le souhaiteraient pourraient ainsi être mis à disposition des prestataires privés liés par un contrat de partenariat. Cela pourrait notamment être le cas dans le cadre du grand projet Balard.
En outre, les personnels des établissements publics du ministère de la défense pourraient désormais bénéficier des mises à disposition prévues par la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je tiens à remercier le président Josselin de Rohan, ainsi que tous les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour leur fructueuse coopération avec le ministère. Je pense en particulier – personne n’en sera surpris – à l’éminent président André Dulait, rapporteur du texte au Sénat, qui a effectué un travail de préparation très efficace (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) pour que le projet de loi puisse être examiné rapidement, afin de répondre aux légitimes – mais vives – attentes du monde de la défense.
Avec ce texte, nous avons en effet l’opportunité de compléter la panoplie des outils de reconversion indispensables à la gestion de nos armées.
Nous répondons également aux aspirations des militaires, qui, à l’issue de leur carrière dans l’institution, souhaitent pouvoir s’insérer au mieux dans la société civile.
Enfin, nous nous donnons un atout supplémentaire pour réussir la modernisation de notre outil de défense, dans un contexte de réforme sans précédent, qui se traduit notamment par une forte réduction du format de nos armées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. André Dulait, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, avec la reconversion des militaires, nous abordons un grand sujet à travers un petit texte. Ne voyez là, monsieur le ministre, aucune critique ! (Sourires.)
Nous nous plaignons trop de l’inflation législative, qui nous fait réformer à tour de bras des pans entiers de notre législation, pour ne pas nous féliciter de voir un texte retoucher le code de la défense, afin de n’y apporter que des modifications nécessaires.
Un texte modeste, donc, mais un sujet important.
La reconversion est tout d’abord, historiquement, une mission des armées. Celles-ci prennent à la société une partie de notre jeunesse, pour la lui rendre quelques années plus tard. Ce brassage de jeunes Français de toutes origines rappelle l’existence d’un lien historique entre les armées et leur mission sociale de reconversion de leurs soldats. Cette mission n’a pas disparu malgré la fin de la conscription.
Il y a également un lien structurel entre les armées et cette mission de reconversion. Les carrières militaires sont en effet courtes. Ainsi, 80 % des militaires n’effectuent pas l’intégralité de leur carrière dans les armées. Ces dernières ont besoin de beaucoup de jeunes soldats aptes au combat et de peu de généraux.
La question de la reconversion se pose donc dès le recrutement. Les armées savent bien qu’elles pourront d’autant mieux recruter qu’elles sauront reconvertir.
Évidemment, cette reconversion revêt une importance conjoncturelle.
Vous l’avez largement souligné, monsieur le ministre : du fait du nouveau format des armées, celles-ci se seront, en 2014, séparées de 54 000 hommes, et c’est considérable. Nous avons jugé cette réforme nécessaire : la modernisation de nos armées passe par des effectifs resserrés, mieux équipés, plus entraînés. Nous devons toutefois veiller à la cohérence globale de l’action des pouvoirs publics. Les réformes actuelles préoccupent les familles de militaires et les bassins d’emploi concernés.
S’il nous faut moderniser notre outil de défense, il nous faut aussi lutter contre le chômage dans le contexte économique défavorable que nous connaissons. D’où l’impérieuse nécessité de reconvertir au mieux les anciens militaires.
La reconversion est donc un sujet d’importance, mais aussi un sujet délicat. Il faut ici concilier les aspirations individuelles et les besoins de l’institution militaire.
Les armées ne recrutent pas pour reconvertir, les armées ne forment pas pour reconvertir ; les armées recrutent et forment les soldats pour qu’ils accomplissent au mieux les missions qui leur sont confiées, au service de la nation.
Il faut donc trouver un juste équilibre entre la nécessité de rentabiliser les efforts consentis en matière de recrutement comme en matière de formation des soldats et la nécessité de préparer ces derniers à une reconversion leur permettant d’embrasser une seconde carrière. Cela suppose de veiller à ce que les efforts faits pour ceux qui partent ne soient pas supérieurs à ceux qui sont faits pour ceux qui restent.
Le chômage des militaires a un coût croissant, vous l’avez souligné, monsieur le ministre.
Pour bien des raisons, les pouvoirs publics ont, depuis plusieurs années déjà, renforcé le dispositif d’aide à la reconversion des militaires.
Comme vous l’avez également rappelé, en 2009, le Gouvernement a restructuré son dispositif au sein d’une agence unique, l’agence de reconversion de la défense.
D’ores et déjà, et en dépit d’un contexte économique difficile, les résultats sont globalement convenables. Cependant, le taux de reclassement n’est pas tout à fait satisfaisant pour les militaires du rang puisqu’il est de 50 %. Le taux de reclassement est encore moins bon pour les militaires du rang ayant quatre ans d’ancienneté : il n’est que de 35 %.
Ces chiffres permettent de comprendre clairement que la situation des militaires du rang, plus particulièrement de ceux ayant le moins d’ancienneté, est une priorité.
Les reclassements dans la fonction publique ne sont pas tout à fait satisfaisants non plus. Comme j’avais eu l’occasion de le dire lors de l’examen du budget, il fallait s’y attendre : seulement la moitié de l’objectif a été atteinte. En effet, toutes les administrations réduisent leurs effectifs et n’accueillent donc pas nos militaires à bras ouverts. Ces reclassements dans la fonction publique sont néanmoins en nette augmentation puisque près de 2 000 militaires ont intégré la fonction publique en 2009, soit une hausse de 54,6 % par rapport à 2008. Mais n’attachons pas plus d’importance qu’ils n’en ont à ces résultats statistiques.
Comme vous pouvez le constater, ce projet de loi comporte des dispositions très techniques et de portée limitée.
À lire certaines dispositions du projet de loi – « la prise en compte des congés maladie, dans la durée maximale du congé de reconversion à partir du quarantième jour de celui-ci » (Sourires.) –, on se dit que l’on est loin de l’esprit et de la lettre de l’article 34 de notre Constitution, qui prévoit que la loi fixe les principes fondamentaux.
Il s’agit vraiment ici de modalités pratiques. C’est, d’une certaine façon, l’illustration de l’inflation législative qui nous conduit à avoir toujours plus de lois et des sessions de plus en plus longues, ainsi que nous pouvons le vérifier ce soir même. C’est à l’image d’un goût très français pour la norme et les statuts, sinon d’une passion pour la réglementation, au moins d’un fort appétit pour la loi. (Nouveaux sourires.)
Portalis, à moins que ce ne soit Montesquieu, disait que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. Je ne crois cependant pas que ce projet de loi soit inutile, monsieur le ministre. Ses dispositions, telles qu’elles nous reviennent de l’Assemblée nationale, répondent très concrètement à différents besoins des armées. Il faut bien reconnaître qu’à partir du moment où des dispositions figurent dans la loi, elles ne peuvent être modifiées que par une autre loi.
Nous avons expertisé chacun des dispositifs. Nous avons procédé à plusieurs auditions. Les dispositions, telles qu’elles sont écrites, semblent bien atteindre les objectifs fixés. Aussi, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n’a-t-elle pas vu matière à proposer des amendements à ce texte. Elle ne voudrait pas contribuer, elle aussi, par des amendements superflus, à l’inflation législative.
C’est pourquoi, après l’adoption de ce texte à l’unanimité par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce texte sans modification.
Ce vote conforme est l’occasion, monsieur le ministre, de vous interroger – et, à travers vous, d’interroger le ministère de la défense – sur le financement de cette politique de reconversion.
L’action du ministère de la défense en faveur de la reconversion est financée par le titre II du budget de la défense. Or, depuis plusieurs années, ce titre souffre d’une sous-dotation structurelle de l’ordre de 250 millions d’euros.
Lors du débat sur le projet de loi de finances pour 2011, le ministre de la défense nous a annoncé un « resoclage » de 113 millions d’euros, ce qui ne nous rassure pas entièrement.
Vous l’aurez compris, le bouclage financier de cette politique et, plus largement, celui de la réforme en cours suscitent une certaine inquiétude. On observe que, malgré la diminution des effectifs, la masse salariale s’est maintenue depuis trois ans. Les gains attendus de la réforme tardent.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer comment seront financés en 2011 le titre II et la politique de reconversion ? Quelles sont les mesures prises pour que la situation que nous avons connue en 2010, en particulier l’abondement de fin d’année de près de 200 millions d’euros, ne se reproduise pas en 2011 ?
Malgré ses interrogations, la commission vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent projet de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, environ 35 000 militaires quittent nos armées, et ce sont principalement des militaires du rang qui sont concernés par ces départs. En 2009, près de 20 000 de ces derniers ont quitté le service. En moyenne, ces militaires du rang quittent l’armée après environ quatre années de service, alors qu’ils sont âgés de 25 ans.
Il faut garder à l’esprit cet âge moyen pour comprendre à quel point il est essentiel que ces femmes et ces hommes entament leur seconde carrière professionnelle dans les meilleures conditions.
Les enjeux ont été très bien résumés par M. le rapporteur. Comme cela a été dit, la difficulté consiste à trouver l’équilibre entre l’intérêt de ceux qui partent et celui de ceux qui restent, entre les besoins de notre défense et ceux des femmes et des hommes qui la font vivre.
La période actuelle est difficile. Au sein de l’armée, la restructuration de notre outil de défense est très exigeante pour les civils et les militaires qui l’animent. Au dehors, la crise financière et le manque de compétitivité du pays compliquent l’accès à l’emploi pour tous, spécialement pour les demandeurs d’emploi les plus jeunes.
Dans ce contexte, je salue la création de l’entité « Défense mobilité » par l’arrêté du 10 juin 2009. Elle a permis de rationaliser les structures locales de reconversion. Regroupées et coordonnées, celles-ci sont plus efficaces que lorsqu’elles étaient éclatées dans les différentes armées.
J’espère que, dans le prolongement de cet effort, le présent projet de loi contribuera à un meilleur accompagnement des militaires vers une nouvelle carrière professionnelle.
Après avoir servi nos armées, les gradés comme les militaires du rang doivent pouvoir valoriser leur expérience pour embrasser la carrière qu’ils souhaitent. Il ne faut évidemment pas que leur horizon se limite aux secteurs de l’armement et de la sécurité, comme c’est actuellement le cas. Tous la société civile doit bénéficier de leur expertise, notamment les secteurs du génie, de la logistique, de l’informatique. Dans cette optique, il faut que leur formation et leur parcours soient attrayants pour les recruteurs dans tous les secteurs économiques.
Le texte que nous examinons est d’une portée limitée, mais il tend à faciliter la poursuite de l’activité professionnelle des militaires qui quittent l’institution.
Il comporte des dispositions relatives à deux mesures statutaires et vise également le bilan professionnel de carrière. L’Assemblée nationale l’a utilement complété et, comme le rapporteur, je ne pense pas qu’il soit utile que le Sénat y apporte d’autres modifications. Je vous indique d’ailleurs d’ores et déjà que les membres du groupe de l’Union centriste voteront ce texte.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite à présent évoquer deux pistes, deux perspectives, qui sont non pas concurrentes mais complémentaires des mesures prévues dans ce projet de loi.
Voilà quelques semaines, alors que nous débattions du système antimissile qui doit être mis en place en Europe dans le cadre de l’OTAN, j’ai eu l’occasion de rappeler le cœur de la doctrine militaire des centristes, qui est en vérité fort ancienne.
À nos yeux, la défense française doit s’inscrire dans le cadre à la fois de l’Alliance atlantique et du développement d’une véritable Europe de la défense ; notre position rejoint d’ailleurs celle du Président de la République. (D’un geste de la main, M. Didier Boulaud manifeste que cela ne lui paraît pas aller de soi.) Il doit en être ainsi pour nos forces, nos projets, nos moyens, que nous devons apprendre à mutualiser, mais également pour les hommes et les femmes qui font vivre nos armées. Sur tous ces plans, il est des bonnes pratiques dont nous devons nous inspirer.
Dans cet esprit, je souhaite évoquer tout d’abord le cas des États-Unis. Évidemment, dans la société américaine, l’armée joue un rôle très différent de celui qu’occupe l’armée française dans la société française.
Les inégalités sociales, le coût des études, le système de protection sociale, la place des jeunes dans la société et face à l’emploi : tout est si différent outre-Atlantique qu’il n’y a pas lieu d’établir des comparaisons qui ne pourraient être que vaines. Cependant, nous pourrions utilement nous inspirer de certaines pratiques, en les adaptant, évidemment, au contexte français. Je pense au système de bourses et de partenariat avec des universités mis en place par l’armée américaine pour attirer des recrues. Ces bourses permettent à des jeunes d’accéder à des études avant, pendant ou après leur service sous les drapeaux, alors que, dans ce pays, l’accès à ces formations est souvent réservé à une élite financière.
Fort heureusement, le système universitaire est très différent en France, mais cela ne signifie pas que nous ne devions pas songer à adapter chez nous ce qui se fait de bien chez nos partenaires.
La reconversion militaire se prépare évidemment au moment du départ, généralement dans les douze à dix-huit mois qui précèdent l’interruption de service. Mais elle gagnerait peut-être à être pensée plus en amont, plus tôt dans la carrière, voire dès l’entrée dans l’armée.
Le meilleur passeport pour l’emploi, assurément, c’est une formation de qualité, enrichissante, professionnalisante. L’armée procure cette formation aux militaires.
Depuis toujours, la formation militaire est reconnue, et aujourd’hui encore, notamment pour ce qui concerne les métiers techniques et d’ingénierie. Elle constitue un atout pour ceux qui cherchent ensuite à entamer une autre carrière dans le secteur privé. Mais l’armée recrute et forme pour que les militaires remplissent les missions qui lui sont dévolues, et non celles que leur confiera leur prochain employeur.
Compte tenu du très jeune âge des nombreux militaires qui souhaitent se reconvertir, il semble intéressant de réfléchir à des partenariats resserrés et durables entre la défense et des structures d’enseignement supérieur. Je sais que certains existent déjà, notamment pour les officiers. Je regrette d’ailleurs que le rapport de la commission n’apporte pas d’éléments sur ce point.
J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous apporter des précisions sur ce qui existe et nous dire ce qui pourrait être fait pour avancer dans cette voie.
Je souhaite à présent évoquer le second pilier de notre défense et le cadre naturel dans lequel elle doit se développer : je pense bien sûr à l’Union européenne.
Plus précisément, je vise l’initiative européenne pour les échanges de jeunes officiers, inspirée du programme Erasmus. Je connais ce projet puisque j’ai été amené à présenter à l’Union de l’Europe occidentale un rapport sur ce sujet au mois de juin 2009.
Les ministres de la défense des pays membres de l’Union européenne ont discuté, au mois d’octobre 2008 à Deauville, de cette initiative, qui a été adoptée officiellement au mois de novembre suivant par le Conseil de l’Union européenne. À l’époque, Hervé Morin, alors ministre de la défense, a été l’un des acteurs principaux.
Il s’agit de permettre aux jeunes officiers européens, dès leurs premières années d’études, d’acquérir une compréhension supranationale des questions de sécurité et de défense, et de développer une attitude commune à cet égard.
Le projet « Erasmus militaire » a germé durant la préparation de la présidence française de l’Union européenne ; il est donc à porter au crédit du Président de la République. Il vise avant tout à constituer une culture de sécurité commune. L’idée n’est pas nouvelle : depuis longtemps, les pays d’Europe ont établi des relations en matière d’instruction et des programmes d’échanges bilatéraux variés. L’exemple le plus significatif est sans doute la coopération franco-allemande de sécurité et de défense, créée dans le cadre du traité de l’Élysée, signé cinquante ans plus tôt.
Aujourd’hui, dans tous les domaines, le fait de disposer d’une expérience à l’étranger est un atout. En faisant valoir une expérience d’études, de stage ou de travail effectués à l’étranger, les jeunes démontrent qu’ils savent s’adapter, évoluer dans un univers différent du leur. Ces expériences, auxquelles les recruteurs sont réellement sensibles, leur procurent ouverture d’esprit et audace. Elles enrichissent l’économie française.
Il semble par conséquent d’autant plus intéressant de relancer la dynamique autour du projet « Erasmus militaire ».
Dans une étude réalisée par le secrétariat général du Conseil de l’Union européenne au mois de septembre 2008, on pouvait lire ceci : « La formation initiale des officiers commence après le recrutement. Elle comprend trois sous-catégories : la formation “académique” et la formation militaire de base, toutes deux assurées par les académies militaires, et la formation professionnelle, dispensée dans d’autres écoles ou instituts de formation militaires. »
C’est dans le domaine académique que la charte Erasmus doit permettre des échanges entre États membres.
Aujourd’hui, moins des deux tiers des États membres reconnaissent la formation initiale reçue dans d’autres États membres. La proportion de jeunes officiers concernés par les différents programmes d’échanges existants, bilatéraux ou multilatéraux, y compris le programme Erasmus, demeure très limitée.
J’espère, monsieur le ministre, que, après avoir été à l’origine de ce projet, la France pourra lui donner un second souffle.
Je sais que le Royaume-Uni n’a pas manifesté d’intérêt pour l’initiative au moment où elle a été proposée. Peut-être la signature de deux traités historiques avec la France le 2 novembre dernier encouragera-t-elle ce pays à accueillir de jeunes officiers français dans ses écoles et à prendre une part plus active à ce projet.
Cet élan européen serait bénéfique non seulement à nos armées, mais aussi aux femmes et aux hommes qui la font vivre, pendant leur service et après, dans la suite de leur vie professionnelle.