M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.
M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous ici d’une génération qui, dans son enfance, entendait souvent ses parents dire, à l’occasion d’un décès : « Encore un qui n’atteindra pas la retraite » ou bien : « Celui-là n’aura pas profité longtemps de sa retraite ». Nous tous avons vécu cela, et aussi l’espoir de la retraite à 60 ans. Pierre Mauroy et Jack Ralite nous l’ont rappelé avec humanité. L’oublier n’est pas possible.
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous assurer aujourd’hui que l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans n’a pas été un puissant facteur favorisant notre espérance de vie ?
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Jean-François Voguet. Ce temps de vie en plus, cette vie ajoutée aux années, nous les devons aux progrès de la recherche et de la science, aux fantastiques avancées médicales, à l’amélioration de nos conditions de vie. Mais c’est aussi – j’en ai la conviction – très fortement lié aux conquêtes sociales qui ont allégé les peines et les souffrances au travail.
Qui peut nier que la diminution du temps de travail, la médecine du travail, l’amélioration des conditions de travail, la reconnaissance partielle de la pénibilité et, bien entendu, l’abaissement de l’âge de la retraite ont été des leviers pour cette formidable avancée humaine, ouvrant devant nous un temps de vie plus long ?
Avec ces progrès considérables, la vie a changé, rendant plus insupportables encore les injustices qui frappent les plus démunis d’entre nous, pour qui ces progrès n’ont pas été mis en partage et qui ne peuvent pas profiter de toutes ces avancées.
Or, aujourd’hui, avec ce projet de loi, pour la première fois dans l’histoire humaine, vous tentez de faire rimer progrès humain avec régression sociale. C’est insupportable ! Benoist Apparu lui-même vient de déclarer qu’il assumait cette régression. C’est inacceptable !
Tout au long des débats, nous avons apporté la preuve que d’autres choix étaient possibles, en particulier à travers ceux de nos amendements que vous avez censurés par le vote unique. Avec la force de nos convictions, nous avons tenté de dégager les pistes d’une autre voie.
En effet, la retraite c’est d’abord un choix de société, de civilisation, qui pose concrètement la question de la vie.
Ne mesure-t-on pas le degré de développement d’une société aux capacités humaines à se dégager des contraintes que la nature lui impose ?
Aujourd’hui, l’espace-temps s’élargit ; de nouveaux horizons s’ouvrent à nous. Notre espérance de vie s’allonge. N’est-ce pas alors le moment de créer les conditions d’une nouvelle période de la vie ?
M. Roland Courteau. Bien sûr que si !
M. Jean-François Voguet. Pouvons-nous envisager un nouvel âge de la vie pour s’occuper de soi, de ses enfants et petits-enfants, pour se cultiver, découvrir le monde, aller à la rencontre des autres et se mettre à leur disposition, donner du temps à la société ?
M. Roland Courteau. C’est cela, être libre !
M. Jean-François Voguet. Mais il est vrai que, de toutes ces questions, vous n’avez pas voulu parler !
Comme un petit boutiquier, vous avez les yeux uniquement fixés sur la ligne bleue des bilans financiers. Ainsi que le chantait Jacques Brel, vous êtes de « ces gens-là » chez qui « on ne cause pas, on compte » !
Nous, nous avons la conviction que notre pays a les moyens de garantir à tous la possibilité de partir en retraite dès 60 ans à taux plein.
Les caisses du CAC 40 se remplissent des milliards d’allégements fiscaux que vous leur octroyez, vidant ainsi au profit de quelques actionnaires de vos amis, les caisses publiques qui devraient servir au bien-être de tous.
Le « chacun pour soi », qui est votre marque de fabrique, est en fait une manière de vivre égoïste.
Vous présentez cette contre-réforme des retraites comme étant la seule possible, la revêtant d’un voile teinté de pragmatisme qui cache mal vos arrière-pensées idéologiques.
Ce que vous voulez, c’est casser les solidarités sociales intergénérationnelles et intragénérationnelles que notre histoire a forgées au sein de notre société.
L’individu seul contre tous : telle est votre vision du monde !
Vous niez la nécessité d’une œuvre collective pour façonner un projet commun. La concurrence doit régner en toute chose. Le vivre-ensemble est pour vous un vivre à côté où chacun doit seul assumer sa vie.
Votre vision du monde freine aujourd’hui son évolution, casse notre pacte social.
À l’inverse de ce que vous proposez, et c’est maintenant une exigence qui s’exprime majoritairement, il faut une autre répartition des richesses pour répondre aux besoins de développement de notre société. Cette exigence monte ; il faudra bien la satisfaire.
Malgré le fort mécontentement que cette loi suscite, vous allez la voter. Vous allez tenter de l’imposer à notre peuple. Votre obstination montre que vous ne comprenez pas le peuple. Vous ne l’entendez pas, vous ne l’écoutez pas. Vous êtes sourd à ses préoccupations, à ses craintes, mais aussi à ses espoirs.
Aujourd’hui, vous lui répondez même par la force. « Bloqueurs, casseurs, même combat », a dit le Président. Tel un pompier pyromane, il crie au feu après avoir attisé les braises. Il s’entête, et vous avec lui, en réduisant le débat démocratique au Parlement et dans la société.
Et pourtant, vous le savez maintenant, ce vote d’aujourd’hui ne règle rien. Tout reste à faire. Tout est encore possible.
Alors, avec l’ensemble des membres de mon groupe, je voterai contre ce projet de loi, parce qu’il est injuste, inefficace et parce qu’il ne répond en rien aux enjeux de notre temps. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Lise.
M. Claude Lise. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux que m’associer à toutes les critiques formulées par mes collègues du groupe socialiste et, d’une manière générale, de la gauche sénatoriale.
Au moment où s’achèvent nos débats, et avant de joindre mon vote à celui de tous ceux qui disent non à la réforme proposée, je veux souligner que le Gouvernement a fait preuve d’une singulière et totale surdité face aux interventions des élus d’outre-mer.
Monsieur le ministre, ces élus se sont efforcés, comme c’était leur devoir, de vous démontrer la nécessité de tenir compte des évidentes différences de situation en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane et à la Réunion.
Alors que l’on entend ici et là, notamment au sommet de l’État, de très beaux discours sur la notion de diversité et sur la nécessité de tenir compte des réalités locales, vous avez refusé d’envisager la moindre adaptation aux conditions particulières que connaissent ces salariés d’outre-mer.
Je pense à nos salariés du secteur agricole, qui partent avec des retraites de misère, ou à ceux du BTP. D’une manière plus générale, c’est la plupart de nos retraités qui connaissent des situations plus graves que celles des retraités de l’Hexagone ! Ils sont chez nous proportionnellement beaucoup plus nombreux, et ils seront plus pénalisés que leurs homologues de métropole par la réforme.
C’est pourquoi nous vous avons tout naturellement demandé de différer l’application de ce texte dans nos départements. Ce ne serait pas la première fois. Cela a toujours pu se faire lorsque c’était à notre détriment...
Nous avons proposé que soit élaboré au préalable un rapport faisant le point sur la situation de nos retraités. Une telle étude aurait pu mesurer l’incidence de différents facteurs, notamment de la situation économique et sociale, de la précarité, des faibles revenus, de la situation particulière des femmes. Mais vous n’avez rien voulu entendre et, encore moins, comprendre.
En outre, monsieur le ministre, j’ai été particulièrement choqué que vous n’ayez absolument pas réagi à mon intervention de lundi soir.
M. Guy Fischer. Il a raison !
M. Claude Lise. Mon propos visait à attirer votre attention sur la situation des travailleurs et des petits exploitants agricoles ayant été exposés pendant des années, dans les bananeraies des Antilles, aux effets d’un pesticide cancérigène, le chlordécone.
Je soulignais qu’ils avaient continué à y être exposés sans protection alors que le produit était interdit dans l’Hexagone depuis plusieurs années.
Mme Odette Terrade. C’est scandaleux !
M. Claude Lise. Je pensais que cela méritait une réaction.
Mme Odette Terrade. Oh oui !
M. Claude Lise. Et j’ai remarqué que ce qui, à l’heure actuelle, est vécu chez nous comme un drame, avait l’air de vous laisser totalement indifférent. En tout cas, vous n’avez pas prononcé un mot de réponse à mon intervention.
Je vous indiquais qu’il fallait prévoir pour eux un système peut-être comparable à celui qui a été élaboré pour les victimes de l’amiante. Faudra-t-il attendre que des procès se tiennent – certains sont déjà engagés – pour s’apercevoir que l’on a une fois de plus laissé se dérouler un drame sans réagir ? Et après, certains se demanderont évidemment pourquoi leur sort n’est pas plus pris en compte…
C’est donc aussi pour ces raisons supplémentaires par rapport à celles de mes collègues de l’Hexagone que je voterai contre ce projet de réforme des retraites. Heureusement, j’ai la conviction, certainement partagée sur ces travées, que cette réforme n’est pas promise à un très grand avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans mon explication de vote, j’aborderai essentiellement l’engagement de la jeunesse contre ce projet de loi.
Alors que nous achevons l’examen de votre texte – au pas de charge ! –, aujourd’hui encore des lycéens, des étudiants manifestent contre lui. Et leur mobilisation n’a pas faibli cette semaine.
Monsieur le ministre, mesurez-vous que cette irruption de notre jeunesse est un événement majeur – je dis bien : majeur ! –, l’expression d’une prise de conscience, d’une terrible angoisse par rapport à l’avenir ? Il faut l’entendre, il faut l’écouter ! Elle porte une réalité incontournable : vous ne pourrez pas contourner cette force d’avenir qu’est notre jeunesse !
Vous comptez sur les vacances scolaires pour voir le mouvement se dissoudre ; d’où ce coup de force pour accélérer nos débats ! Mais leurs organisations ont d’ores et déjà appelé lycéens et étudiants à se mobiliser lors des deux prochaines journées d’action, le 28 octobre et le 6 novembre.
Votre attitude à leur égard est, depuis le début, celle du mépris. Lorsqu’ils ont commencé à rejoindre en nombre les cortèges aux côtés des salariés, vous avez d’abord crié à la « manipulation », accusant l’opposition de « jeter dans la rue des jeunes de 15 ans » !
Vous avez ensuite entonné le couplet de l’« irresponsabilité ». Un comble ! Vous qui ne cessez depuis près de dix ans de les renvoyer à leurs responsabilités, notamment en abaissant la responsabilité pénale à 13 ans !
« Les casseurs n’auront pas le dernier mot ! », a lancé hier le Président de la République, faisant un amalgame inacceptable entre manifestants et casseurs pour tenter de retourner une opinion publique qui condamne très largement cette réforme et qui soutient la mobilisation : à hauteur de 70 % selon un sondage paru ce matin !
Pourtant, à en croire le conseiller du Président, M. Soubie, cette réforme serait « d’abord faite pour eux », les jeunes. Si c’est le cas, comment, dès lors, les priver du droit de s’en mêler ?
M. Nicolas About. De s’emmêler ?
M. Robert Hue. Oui, cette réforme les concerne ! Les jeunes qui se mobilisent l’ont bien compris, et ils entendent donc exercer leur droit de la critiquer. Il est faux de dire que ce débat n’est pas le leur.
La jeunesse qui manifeste l’a bien compris : derrière la question des retraites, se pose également celle de l’emploi et de sa précarisation galopante, donc de leur avenir.
Faut-il rappeler que, pour la très grande majorité d’entre eux, l’entrée dans la vie active suppose un passage obligé par la précarité et le chômage ? D’après l’OCDE, il faut entre huit et onze ans à un jeune Français pour décrocher un emploi stable après la fin de ses études et l’âge moyen d’entrée dans l’emploi stable s’établit désormais à 27 ans. Cette réalité, les jeunes la connaissent, certains l’éprouvent même déjà !
Combiné aux périodes de précarité et de chômage, l’allongement de la durée des études fait qu’avec cette réforme atteindre le nombre d’annuités requis pour une retraite complète deviendrait impossible !
Ce mouvement traduit donc aussi l’inquiétude des jeunes quant à leur avenir. Selon le baromètre annuel IPSOS pour le Secours populaire, publié en septembre dernier, un jeune sur deux se dit « angoissé » et plus d’un sur trois « en colère » en pensant à l’avenir.
Le maintien et la défense d’une solidarité intergénérationnelle a donc trouvé un écho chez ces jeunes, car cette réforme et les effets qu’elle produira vont à l’encontre même du principe de solidarité entre les générations, qui veut que les plus âgés laissent leurs emplois aux plus jeunes,…
M. Nicolas About. Grave erreur d’analyse !
M. Robert Hue. … lesquels peuvent alors cotiser et participer au financement des retraites.
Alors, être responsable aujourd’hui, pour eux, c’est participer aux manifestations afin de faire entendre leur voix. Il est encore temps de les entendre et de recevoir les organisations syndicales et celles qui représentent la jeunesse. Votre majorité va voter ce texte, mais il reste encore le temps de la commission mixte paritaire, puis celui de la promulgation.
Monsieur le ministre, aujourd’hui, cette jeunesse prend pleinement ses responsabilités ; l’Histoire enseignera que vous avez refusé de prendre les vôtres ! Notre vote contre votre projet de loi est un vote d’espoir pour notre jeunesse ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Desessard. Je serai bref et j’irai à l’essentiel.
Mme Isabelle Debré. Oh ! Quel dommage ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, vous avez parlé de dialogue. Curieux dialogue social que celui qui suscite l’opposition de toutes les centrales syndicales et mobilise des millions de manifestants pendant plusieurs semaines !
Alors, on s’interroge : quel dialogue ? Avec le MEDEF, bien sûr, avec les amis fortunés du Fouquet’s ! Et qui paie l’addition du Fouquet’s ? Les salariés, évidemment, car cette loi est injuste : deux ans de plus au « turbin » pour les travailleurs aux métiers pénibles ! Deux ans de plus pour les femmes qui n’obtiendront pas tous leurs droits à taux plein ! Pas d’avancées pour les poly-pensionnés, les paysans, les petits artisans, les précaires !
Non seulement cette loi est injuste, mais elle est inefficace, car déjà le financement des retraites n’est pas assuré. Vous n’arriverez pas à remettre au travail les seniors, ce qui conduira à la baisse de leurs pensions.
Cette loi ne va pas diminuer le chômage et n’augmentera donc pas, point pourtant fondamental, l’assiette des cotisations destinées à financer les retraites.
Enfin, cette loi va à contresens de l’histoire : alors que les moyens techniques de production nous permettent de mieux vivre, on veut repousser l’horizon du havre de paix que représente la retraite. Alors qu’il faut préserver la planète, économiser les ressources et l’énergie, on prétend que la solution consiste à travailler toujours plus !
Pourquoi cette politique sarkozyste du « ça passe et ça casse » ? Parce que la droite a choisi l’adaptation aux lois du marché international, c’est-à-dire la baisse du coût du travail, l’augmentation des cadences et de la productivité, l’appel à la précarité et à la sous-traitance, la restriction des droits du travail et des salariés. En parallèle, elle a sans complexe choisi de baisser la taxation des plus riches, de favoriser la circulation des capitaux et, par là même, d’encourager la spéculation.
Au cours de ce débat, nous avons vu se dérouler le fil conducteur de votre projet de loi. Tout d’abord, pour plaire au FMI…
M. Christian Cointat. Strauss-Kahn !
M. Jean Desessard. … et aux agences de notation, vous reculez aujourd’hui de deux ans l’âge de départ à la retraite. Et, dès demain, vous vous orienterez vers la retraite par points,…
M. Nicolas About. On l’étudie !
M. Jean Desessard. … conception individuelle de l’assurance vieillesse. Puis, logique du marché oblige, vous avancerez progressivement vers un système par capitalisation, que l’on sent poindre dans les articles relatifs à l’épargne retraite !
M. Roland Courteau. Et voilà !
M. Jean Desessard. Au cours de ce débat, nous avons assisté à une confrontation droite-gauche, entre ceux qui veulent l’adaptation libérale au marché, qui font la promotion de l’individualisme – vous l’avez dit à plusieurs reprises ! – et ceux qui veulent garantir la solidarité, qui prônent des réponses collectives aux enjeux de demain.
M. Nicolas About. On a vu ce que cela a donné dans le passé !
M. Jean Desessard. Vous n’avez pas voulu débattre avec la société en organisant un référendum, mais ce débat aura lieu ! Pendant ces trois semaines, parlementaires de gauche et écologistes, nous avons confronté nos propositions et affiné nos convergences. Nous pouvons dire aux millions de manifestants que leur combat n’est pas fini, que nous continuons avec eux la lutte contre les inégalités, que nous sommes aujourd’hui porteurs d’un projet pour les retraites…
M. Nicolas About. Enfin, la gauche a réfléchi !
M. Jean Desessard. … alternatif, crédible et solidaire, qui, un jour ou l’autre, s’imposera ! C’est pourquoi nous, sénatrices et sénateurs Verts, sommes opposés à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot.
M. Jean-Claude Danglot. Je commencerai mon intervention par une citation : « Je garantirai la pérennité du régime de retraite […]. Je ne changerai pas le régime par répartition [...] par un régime où chacun épargnerait de son côté [...]. Il faudra que tout soit mis sur la table : la seule piste que je ferme tout de suite, c’est celle de la diminution des pensions [...] Les pensions sont trop basses. »
C’est avec ce genre de déclarations péremptoires que le Président de la République avait esquissé, en janvier dernier, la réforme des retraites dont nous achevons temporairement la discussion. C’est aussi avec ce genre de déclarations que l’on aboutit, quelques mois plus tard, à préférer la matraque au dialogue social et les coups de force institutionnels au fructueux et indispensable débat parlementaire !
Pendant ce temps, certains se préparent à récolter les dividendes de cette réforme : Guillaume Sarkozy a engagé son entreprise dans une politique visant à en faire un acteur majeur de la retraite complémentaire privée et il a trouvé des alliés plus puissants que lui, notamment les grands financiers de l’État… mais avec une telle carte de visite, cela n’a rien d’étonnant ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Ensemble, tous ces partenaires vont créer, le 1er janvier prochain, une société commune qui rêve de rafler une bonne part du marché qui se profile. En clair, la réforme est un formidable outil qui conduira à l’asphyxie financière des grands régimes par répartition.
Et, selon l’AGEFI, agence économique et financière, « le conseil d’administration de l’assureur coté a approuvé les modalités de création de cette coentreprise, baptisée Sevriena », et le « démarrage opérationnel de Sevriena, qui héritera des portefeuilles de ses deux maisons-mères, est prévu pour janvier 2011 ».
Que fera Sevriena ? Tout simplement, la création, la gestion, la distribution de produits de retraite complémentaire par capitalisation à titre collectif ou individuel. Il s’agit bien de drainer vers la bourse, vers les placements financiers, les 300 milliards d’euros actuels de prestations d’assurance vieillesse, quitte à ce que les plus démunis ne puissent pas en bénéficier.
Le rêve de Guillaume Sarkozy, c’est de faire main basse sur les complémentaires avec la bénédiction politique de son frère et de tous ceux qui approuvent cette loi scélérate, c’est-à-dire vous ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Mais, à une nuance près, car Guillaume Sarkozy n’est pas un philanthrope : il veut bien que l’on mette en place l’épargne retraite et une cotisation volontaire de plus pour la dépendance, mais il ne veut pas des « plus démunis ». Ceux dont la fiche de paie est trop maigre et les ressources trop faibles, il les laisse à la charité publique !
Dire que cette réforme fait le lit des fonds de pension en défaisant la couverture collective n’est rien d’autre que rappeler une évidence ! Dire que les inégalités sociales vécues durant la vie professionnelle se retrouveront au moment de la retraite et jusqu’au seuil du tombeau, c’est en rappeler une autre ! C’est bel et bien ce que cette réforme programme, organise et structure ! Vous ne sauvez pas la retraite par répartition ni notre régime de retraite, vous l’apportez sur un plateau d’argent aux Sarkozy, de Castries et consorts pour que gonflent sans limite les masses financières mises en jeu à la bourse.
Vous le faites en spéculant sur le gel du pouvoir d’achat des retraités et sur l’exploitation sans cesse accrue de ceux qui travaillent ! Nous refusons le hold-up d’aujourd’hui, avant le hold-up à venir de la capitalisation, et nous voterons contre cette réforme. Rendez l’argent du travail à ceux qui l’ont fabriqué, et donc aux travailleurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Le 5 octobre, devant notre assemblée, monsieur le ministre, vous déclariez que, « grâce à ce texte, le dialogue social pourra gagner en légitimité et en efficacité ». La réalité est malheureusement tout autre !
Le mouvement social contre votre réforme s’amplifie, comme l’a rappelé Guy Fischer et, en réponse, vous durcissez la répression ! Ces méthodes exacerbent un peu plus le conflit social qui s’est installé dans notre pays : encore ce matin, vous avez eu recours à la réquisition pour briser la grève.
Vous aviez aussi assuré, monsieur le ministre, que le débat devant le Sénat ne serait pas écourté, que vous laisseriez le temps à l’opposition d’exprimer ses positions. Là encore, la réalité est tout autre.
Tout d’abord, vous avez décidé d’engager la procédure accélérée, qui ne permet qu’une lecture devant chaque chambre et réduit considérablement le débat. Ensuite, vous avez demandé l’examen en priorité des articles 4, 5 et 6, les plus emblématiques du projet de loi, espérant ainsi arrêter les manifestations dans le pays. Enfin, vous avez multiplié les séances de nuit, au risque d’épuiser les orateurs.
L’organisation de nos débats n’est vraiment pas respectueuse du travail parlementaire : suspensions de séance, absence de quorum, scrutins publics… Tout cela donne une bien mauvaise image du Parlement, et c’est uniquement de votre fait ! Sans compter le renvoi de la discussion de tous les articles additionnels à la fin de l’examen du projet de loi. Autrement dit, on renvoie à la fin, en vote bloqué, le débat sur les propositions censées offrir des solutions de rechange à votre projet : car c’est bien ce débat qui n’a pas eu lieu !
L’objectif, on le sait, était de limiter une nouvelle fois l’expression des voix divergentes au sein de cette assemblée : vous vouliez à tout prix accréditer l’idée qu’une seule solution est possible. Mais vous avez échoué !
Même s’il est prévu par la Constitution, le recours à la procédure du vote unique aboutit à une confiscation du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif.
Un certain nombre de propositions, émanant de la gauche comme de la droite, qui méritaient d’être discutées ont été écartées – la totalité des nôtres, bien entendu ! – par le Gouvernement qui a choisi seul les amendements à retenir et ceux à rejeter.
Je pense, par exemple, aux propositions que nous voulions défendre concernant les groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC : il aurait été intéressant que nous puissions exposer nos positions sur cette question. En ce qui concerne les effets de la réforme sur les retraites agricoles, je voudrais d’ailleurs souligner encore une fois que le monde agricole est meurtri et qu’il sortira davantage affaibli de la réforme des retraites.
La réflexion sur les retraites ne peut être menée en la déconnectant de la question du travail et de la rémunération. Comment pouvez-vous demander aux exploitants et aux salariés agricoles de travailler plus, plus longtemps, pour avoir droit à une retraite, alors que la plupart d’entre eux connaissent des difficultés économiques sans précédent. La pénibilité des activités de ce secteur, qui n’est plus à démontrer, l’augmentation des maladies graves liées à l’exercice des métiers agricoles, l’absence de prise en compte de certaines carrières et, notamment, de celle du conjoint, font des professionnels de l’agriculture les symboles de l’injustice de votre réforme.
Monsieur le ministre, ce projet de loi portant réforme des retraites sonne le glas du système par répartition : contrairement à vos affirmations, il anéantit la solidarité intergénérationnelle. La politique conduite par le Gouvernement est non seulement inefficace du point de vue du financement, mais elle est inacceptable au regard de l’intérêt général.
Le vote auquel nous procédons aujourd’hui ne constitue pas la fin du débat, bien au contraire ! Il n’est que l’une des expressions de l’opposition de la grande majorité des Français – je devrais plutôt dire la grande majorité des gens de ce pays – à la réforme des retraites, telle que vous la proposez.
Les sénateurs du groupe CRC-SPG voteront évidemment contre ce texte et ils se battront aux côtés de tous les Français pour défendre une réforme plus juste.
Ce soir, mes chers collègues, le MEDEF est heureux ! Il a été particulièrement discret ces dernières semaines, mais cela se comprend : il n’avait plus besoin d’intervenir puisqu’il a inspiré cette réforme, tout le monde en est parfaitement conscient ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le ministre, depuis trois semaines, j’ai l’impression que nous sommes dans un vaste théâtre, avec des scènes qui se déroulent, un peu de Beaumarchais, beaucoup de Pirandello, des phases dramatiques, quelques phases comiques. C’est aussi parfois un théâtre d’ombres. Ceux qui sont sur scène ou sur l’avant-scène ne sont pas les véritables acteurs, ces derniers étant derrière le rideau. On parle du MEDEF, mais il y en a d’autres, dans les hautes sphères de notre République : des conseillers du Prince, et le Prince lui-même.
Quant à nous, nous avons suivi un autre scénario. Il me fait penser à une œuvre de Dostoïevski, La confession de Stavroguine : dans une grande salle où toute la cour est rassemblée, le souverain somnole quelque peu, quand le personnage principal vient pincer l’oreille du souverain pour qu’il ouvre son regard sur le monde.
C’est un peu ce que nous avons voulu faire, afin que vous regardiez ce qu’il y a ailleurs, hors du cercle de vos conseillers, de vos amis, de vos fréquentations, hors de vos habitudes.
Vous nous avez dit, avec constance d’ailleurs, pendant plusieurs semaines, que vous vouliez sauver ce principe qui guide notre système de retraites : la répartition. Sauver la répartition… Péché d’orgueil ! Croyez bien que nous ne relâcherons pas notre vigilance !
Vous nous avez dit aussi qu’il n’y avait qu’une seule voie possible, une seule voie qui soit bonne : autre péché d’orgueil ! Il faut se méfier des seules voies possibles. Elles nous ont souvent, au cours de l’histoire, ici ou ailleurs, conduits dans des impasses et nous l’avons chèrement payé.
Les manifestations monstres par lesquelles le peuple nous a constamment, d’une certaine façon, imposé sa présence ici – vous les avez sans doute vues vous-mêmes, sinon par vos fenêtres, au moins par la petite lucarne –…