M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’application de la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision n’est pas au cœur des préoccupations de nos concitoyens, parce que la plupart d’entre eux en ignorent les tenants et les aboutissants. En revanche, il constitue un élément fondamental du contrôle que la Haute Assemblée doit exercer sur les conditions d’application de la loi. À ce titre, je tiens à remercier tout particulièrement notre collègue Hervé Maurey d’avoir demandé son inscription à l’ordre du jour de nos travaux.
Je voudrais d’abord rappeler que cette loi était la traduction législative du rapport de la commission pour une nouvelle télévision publique, présidée par Jean-François Copé et composée de parlementaires, mais aussi de professionnels.
Ce texte, qui se voulait emblématique, comportait de fait une seule mesure évidente : la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision et, par voie de conséquence, la compensation du manque à gagner qui en découlait pour celles-ci. S’y ajoutait néanmoins la réorganisation des sociétés publiques de l’audiovisuel en une société unique, France Télévisions, dotée de différentes antennes, son président devant être nommé par l’État actionnaire.
Lors de l’examen du projet de loi, le groupe du RDSE avait dénoncé avec fermeté le fait que les dispositions relatives à la suppression de la publicité sur les chaînes publiques après 20 heures soient déjà entrées en vigueur quelques jours auparavant. Favorable à ce que la publicité ne serve plus à financer le service public de l’audiovisuel, il avait souligné la nécessité d’assurer un financement pérenne à celui-ci, et avait par ailleurs regretté les conditions de révocation du président de France Télévisions. Les membres du groupe, dans leur diversité, avaient majoritairement voté contre ce texte ou s’étaient abstenus.
Si j’ai voulu rappeler la position qu’avait prise alors le RDSE, c’est pour souligner combien aujourd’hui elle me paraît « sage », ou du moins appropriée. Qu’en est-il, en effet, de l’application de la loi ?
Depuis le 5 janvier 2009, la publicité a disparu sur les chaînes publiques entre 20 heures et 6 heures du matin. Soit ! Mais il faut mesurer les conséquences d’une telle évolution avant que ne soit mise en œuvre la deuxième phase prévue par la loi, à savoir la suppression totale de la publicité à compter du 30 novembre 2011.
Ces conséquences ont été soulignées par la Cour des comptes, qui, en octobre 2009, remettait un rapport consacré aux comptes et à la gestion du groupe France Télévisions. Couvrant la période 2004-2008, ce rapport fait le constat d’une télévision publique « fragilisée », aux objectifs d’audience peu ambitieux, à la situation financière très dégradée. La loi du 5 mars 2009 aurait dû être un remède à ces « fragilités ».
Pour la Cour des comptes, il importe que la réforme du mode de financement de la télévision publique présente des bénéfices « incontestables », car « nul ne comprendrait que l’État dépense plus pour un service inchangé ».
« Pour réussir dans cette voie », écrit encore la Cour des comptes, « France Télévisions aura besoin que les pouvoirs publics lui accordent ce qui lui a fait défaut jusqu’à présent : la continuité stratégique ; une autonomie de gestion qui permette de faire prévaloir l’intérêt de l’entreprise sur ceux de la production indépendante privée ; surtout et enfin, le soutien aux réorganisations internes et à la renégociation des accords sociaux qu’entraîne le choix par le législateur de l’entreprise commune en lieu et place des anciennes chaînes. »
Or, force est de constater que tous les ingrédients ne sont pas réunis pour faire de cette aventure une parfaite réussite.
Tels qu’ils sont prévus par les textes, les différents modes de compensation financière, clefs de voûte du dispositif, soulèvent de nombreuses craintes. La loi de finances pour 2010 est apparue comme une menace : les aides promises par le Gouvernement à France Télévisions ont été ramenées de 450 millions d’euros à 415 millions d’euros, au motif que le manque à gagner lié à la suppression de la publicité aurait finalement été moins considérable que prévu au moment de l’adoption de la loi, en 2009.
En outre, le taux de la taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées a été remis en cause. Les chaînes privées, invoquant une baisse de leurs recettes publicitaires, ont obtenu qu’il soit réduit.
Par ailleurs, la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communication et les fournisseurs d’accès à internet est largement contestée, y compris par les instances européennes.
Que penser, dans ces conditions, de ce dispositif, dans la mesure où les engagements pris ne sont pas respectés ? Je pourrais également évoquer, à cet égard, le comité de suivi chargé de faire un point d’étape régulier sur l’application de la loi et le groupe de travail sur la redevance audiovisuelle, dont on se demande encore aujourd’hui ce qu’il va advenir !
Que penser des retards pris dans l’élaboration et la publication des textes d’application de la loi ? Je me bornerai à n’évoquer que quelques-uns d’entre eux, attendus avec impatience.
Ils ont notamment trait à des dispositions figurant à l’article 45 de la loi, relatives aux conditions d’accès des diffuseurs aux courts extraits d’événements présentant un grand intérêt pour le public, ou encore au régime de diffusion des brefs extraits de compétitions sportives retransmis dans le cadre d’émissions d’information.
Sont également concernées, à l’article 55, les règles applicables aux services de médias audiovisuels à la demande diffusés par voie autre que hertzienne, ainsi que, à l’article 66, les règles relatives à la procédure de suspension de retransmission de services de télévision en provenance d’un autre État membre ou les conditions d’application du dispositif anti-délocalisation relatif aux services de communication audiovisuelle destinés au public français.
Je pourrais également citer d’autres mesures, non réglementaires, qui ne sont toujours pas mises en œuvre aujourd'hui.
Nous le savons tous, monsieur le ministre, engager des réformes n’implique pas forcément qu’elles réussiront. Néanmoins, notre devoir, au regard de la loi votée, n’est-il pas d’être le plus respectueux possible des contraintes que nous nous sommes fixées, en veillant à l’applicabilité des dispositions adoptées, à la pérennisation du financement de la télévision publique et à la prise en compte des vingt-sept mesures préconisées par la Cour des comptes, dont nous aimerions savoir comment elles seront mises en œuvre ?
Monsieur le ministre, le groupe du RDSE compte sur vous pour obtenir des réponses sur ces différents points. Il s’agit de faire en sorte que la communication audiovisuelle et le nouveau service public de télévision soient vraiment au service du public. (Mme Catherine Tasca applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, retenu en Afrique pour y défendre une bonne cause, celle de la francophonie.
Ce n’est certes pas la première fois que les ambitions culturelles se heurtent à des contraintes et à des freins budgétaires, ni que nous avons à arbitrer entre le principal et le subsidiaire.
Voilà quelques mois, à l’automne dernier, le président de France Télévisions tenait les propos suivants lors de son audition par la commission de la culture : « L’année sera éclairante, fondatrice et déterminante. »
Notre débat d’aujourd’hui s’inscrit au cœur même de cette perspective, puisqu’il doit nous permettre de faire le point sur l’application de la loi que nous avons adoptée voilà un an, d’en tirer les enseignements et de nous rappeler les principes fondateurs de cette réforme, ainsi que ses enjeux.
Les échanges passionnés que nous avons eus l’année dernière lors de l’examen du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision ont bien montré l’importance du sujet et combien nous tenons tous, au-delà des clivages politiques, à une télévision publique de qualité.
La réforme reposait sur un postulat simple, auquel nous attachons tous beaucoup d’importance : la télévision publique doit se distinguer, se démarquer, se différencier dans le paysage audiovisuel français ; elle doit avoir une couleur qui lui soit propre.
Cet objectif de différenciation correspond, tout simplement, tout naturellement, à la mission de service public singulière qui est la sienne, axée sur l’élévation des esprits par la culture, le partage des connaissances, la stimulation de l’esprit critique et la satisfaction de la curiosité intellectuelle de nos concitoyens. Cette mission est également fondée sur le partage des enjeux des mutations de notre société contemporaine afin de nourrir un lien social que, mal éclairées, ces mutations pourraient distendre. Il s’agit donc pour notre pays d’une mission d’une importance majeure, difficile mais unique.
La télévision publique n’a pas connu un bouleversement total de sa mission. Elle met du temps pour conquérir un public tout en restant fidèle à sa vocation. La seule suppression de la publicité ne suffira pas à lui assurer la réussite.
Déjà, le contrat d’objectifs et de moyens 2007-2010 et les engagements pris par France Télévisions au travers de l’avenant qui le prolonge jusqu’en 2012 marquent, en matière de diffusion culturelle et de soutien à la création, des progrès considérables dans la voie de l’accomplissement de cette mission.
Pour ma part, je suis assez admiratif du travail réalisé actuellement par la direction de France Télévisions, qui a déjà fortement ancré l’originalité des chaînes publiques dans le paysage et s’est résolument engagée dans l’application de la réforme.
Pour accentuer la différenciation des chaînes publiques, la loi votée en mars 2009 a prévu la suppression de la publicité en deux temps : d’abord après 20 heures, puis totalement, après le passage au « tout numérique », fin 2011. À cet égard, je souligne, car cela n’a pas encore été fait, que cette évolution technique engendrera des économies pour France Télévisions, puisqu’elle pourra utiliser davantage de canaux.
La réforme est donc, sur ce point comme sur d’autres, au milieu du gué.
Outre qu’elle satisfait une forte majorité de téléspectateurs, la suppression de la publicité après 20 heures a permis à France Télévisions de prendre la main sur les horaires traditionnels de ce que l’on appelle le prime time, de capter une partie de l’audience et, surtout, de « décorréler » la programmation du taux d’audience, en la libérant du joug de l’audimat.
Si la programmation est soumise à la pression de l’audimat, il ne fait aucun doute que la vocation culturelle et sociale de la télévision publique que j’évoquais tout à l’heure se trouve obligatoirement altérée et affaiblie.
Libérer la télévision publique de la publicité, c’est lever une contrainte, s’affranchir d’une influence, ouvrir la porte à l’audace et à la créativité, donner le temps aux programmes de trouver leur public et s’adresser à tous les Français, et non pas seulement aux cibles privilégiées par les publicitaires.
Il s’agissait d’une nécessité non seulement culturelle, mais également économique, la publicité n’étant pas une manne inépuisable, comme la crise nous l’a confirmé. L’émergence des nouvelles chaînes de la TNT et de nouveaux médias tels qu’internet rend le marché publicitaire de plus en plus tendu.
La suppression totale de la publicité sur les ondes des chaînes publiques est, à mon sens, la bonne voie et le bon objectif. Dès lors, se pose bien sûr le problème du financement du service public, de la compensation des manques à gagner, dans le respect de la pérennité des moyens accordés à France Télévisions, ainsi que de son indépendance.
Dans ce contexte, la loi avait apporté des solutions qui garantissaient à la télévision publique un financement pérenne et principalement d’origine publique.
D’abord, elle a introduit une taxe d’un montant raisonnable – j’évoquerai tout à l’heure sa fragilité actuelle – sur le chiffre d’affaires des opérateurs de communication et des fournisseurs d’accès à internet. Ces derniers réalisent des bénéfices en exploitant des images de la télévision, et il ne me semble donc pas anormal qu’ils contribuent, en retour, au financement de celle-ci.
Ensuite, une taxe modulable sur les recettes publicitaires des chaînes privées a été mise en place pour tenir compte du report à leur profit des ressources publicitaires. Cette mesure ne me semble pas non plus anormale.
Par ailleurs, le montant de la redevance, qui présente l’avantage d’être une ressource assurément pérenne, a été indexé sur l’inflation. Est-ce suffisant ? Je rappelle que la commission de la culture a engagé depuis longtemps une réflexion sur la revalorisation de la redevance, dont le montant était gelé depuis 2001.
M. David Assouline. Par la droite !
Mme Catherine Tasca. Depuis 2002 !
M. Jean-Pierre Leleux. Ce montant reste d’ailleurs inférieur à la moyenne constatée dans les autres pays européens. Une augmentation raisonnable de la redevance pourrait donc être le moyen d’accompagner le passage à la suppression totale de la publicité.
À cet égard, j’ai en mémoire une déclaration du président Jacques Legendre, qui soulignait, à juste titre, que « la redevance n’est pas une imposition, mais un droit d’accès à la télévision publique ». En effet, elle s’apparente davantage à un abonnement garantissant à chaque foyer de bénéficier d’un programme de nature culturelle et sans publicité pour près de dix euros par mois, soit l’équivalent d’une place et demie de cinéma. Ce montant est à mon sens un minimum, et il me semble même insuffisant au regard du service rendu.
M. David Assouline. Eh oui !
M. Jean-Pierre Leleux. Personnellement, une majoration de la redevance ne me choquerait donc pas, pourvu qu’elle soit bien expliquée.
Au sein de cette palette de sources de financement, je sais bien que la Commission européenne remet en cause la taxe sur les opérateurs de communication et les fournisseurs d’accès à internet, et qu’il y a là une faiblesse dans notre dispositif. Nous aimerions connaître votre position sur ce point, monsieur le ministre, et savoir quelles démarches le Gouvernement a entreprises à l’échelon européen.
Quoi qu’il en soit, à l’heure où nous nous engageons pleinement dans la mutation numérique, où le concept de « média global » s’universalise, où l’on se rend compte que la consommation des contenus culturels ne se fera plus uniquement – tant s’en faut ! – autour du traditionnel poste de télévision familial, dans le salon, n’est-il pas légitime de demander aux acteurs économiques qui commercialisent tant les supports que les accès de contribuer pour partie au financement de France Télévisions ?
Aujourd'hui, chaque mois, plus de 7 millions de visiteurs uniques viennent consulter les sites numériques de France Télévisions, et plus de 12 millions de vidéos à la demande ou de vidéos de rattrapage sont visionnées à partir de ces mêmes sites. Est-il légitime que je n’acquitte aucune redevance pour regarder tous les jours le journal télévisé de 13 heures de France 2 sur mon téléphone portable ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la réflexion sur un financement pluriel, juste et pérenne de la télévision publique, garantissant à la fois son indépendance et la qualité de sa programmation, libérée de la pression, si légère soit-elle, de l’audimat et de la publicité, n’est pas encore totalement aboutie. J’en suis persuadé, de nombreuses pistes restent à approfondir pour garantir l’évolution des ressources de France Télévisions. D’ailleurs, des propositions émanant de toutes les travées de notre hémicycle sont encore en suspens.
Enfin, pour terminer le panorama des ressources du service public, je n’oublierai bien sûr pas d’évoquer la subvention spécifique de l’État inscrite dans le projet de loi de finances, qui peut être remise en cause chaque année. Ainsi, son montant, qui devait atteindre 450 millions d’euros, a été réduit dans la loi de finances pour 2010. Certes, l’équilibre financier de France Télévisions est garanti pour cette année, mais qu’en sera-t-il à l’avenir ? Je comprends parfaitement qu’il soit souhaitable, voire tentant, dans le contexte budgétaire actuel, de réduire cette contribution. Il nous revient de trouver et de proposer d’autres sources de financement, et je pense qu’il en existe !
Vous l’aurez sans doute compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de réserves que j’accueille l’idée de ne pas réaliser la prochaine étape prévue par la loi, à savoir la suppression totale de la publicité sur France Télévisions, décision qui avait été pourtant prise après mûre réflexion.
Cette idée est sous-tendue par le désir, compréhensible au demeurant, d’alléger les charges de l’État dans le contexte de crise actuel. Le débat est lancé. Chacun peut, et doit, y prendre sa part. L’enjeu est de taille, car sont en cause l’indépendance de la programmation par rapport aux ressources publicitaires et les exigences liées à la mission de service public de France Télévisions. Pour ma part, j’estime qu’il ne faut pas modifier l’échéancier prévu par la loi, la suppression totale de la publicité étant un objectif sain, qu’il faudra atteindre.
Envisager une telle option me semble surtout prématuré. Une seule année s’est écoulée depuis la mise en œuvre de la réforme. La crise économique est survenue, et nous ne disposons pas d’un bilan précis. Les orateurs précédents l’ont rappelé, la loi prévoit qu’un comité de suivi réalise des points d’étape réguliers concernant l’application de la loi et qu’un groupe de travail sur la redevance audiovisuelle soit constitué. Toutefois, la mise en place de ce dispositif a pris du retard, et les études nous manquent. Monsieur le ministre, je souhaiterais obtenir de votre part des précisions sur le calendrier aujourd’hui prévu.
La Haute Assemblée a, pour sa part, créé une mission d’information sur le financement de France Télévisions, qui rendra son rapport dans quelques mois.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Leleux. Il me semble que la suppression totale de la publicité sur la télévision publique est un bon objectif. Il nous appartient de dégager les moyens de l’atteindre, dans l’esprit que je viens d’évoquer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Mon cher collègue, vous avez dépassé de près de quatre minutes votre temps de parole, qui était de dix minutes. Cela est d’autant plus dommage que votre groupe, dont vous êtes le seul orateur, pouvait disposer de vingt-huit minutes. Il aurait suffi, pour éviter toute difficulté, que vous demandiez à ce que l’on vous octroie un temps de parole plus long.
La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, chacune, chacun d’entre vous, nous voici donc au deuxième acte de l’examen en paroles de la situation financière de l’audiovisuel public. Le 5 mai dernier, la commission de la culture a été saisie d’une proposition de loi du groupe CRC-SPG visant à sauver celui-ci. Elle a décidé que ce texte ne serait pas examiné, donc pas mis au vote. Le groupe Union centriste a demandé la tenue d’un débat sur la même question ce 10 mai, qui ne débouchera bien sûr pas sur un vote final. Le 20 mai, nous serons sollicités pour avaliser la décision du 5 mai de la commission de la culture, mais toujours sans qu’intervienne un vote sur le fond. Le 4 juin se tiendra un quatrième rendez-vous sur ce sujet à partir des questions cribles demandées par nos collègues socialistes sur le thème « médias et pouvoir », mais il n’y aura toujours pas de vote. Et pendant ce temps perdure la situation caractérisée en ces termes le mercredi 4 avril 2007, lors de la rencontre « Mon engagement pour la culture » organisée par M. Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République : « Il faut être ambitieux pour notre télévision, et notamment pour les chaînes publiques. C’est un fait, l’audiovisuel public est actuellement sous-financé. […] Il existe un débat sur le financement, y compris entre nous. Il y a les partisans de l’augmentation de la redevance. Je sais que c’est une des moins chères d’Europe, mais, dans mon programme, je ne tends pas vers une augmentation des impôts, théoriquement. Et il y a l’accès aux ressources publicitaires. » On connaît la suite : la suppression de la publicité annoncée unilatéralement par le candidat devenu Président lors de ses vœux pour 2008.
Tout cela a un parfum d’Ancien Régime.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel n’a validé, le 3 mars 2009, la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, « que sous cette réserve » : la suppression de la publicité sur France Télévisions doit être compensée chaque année sous peine d’affecter son indépendance.
Je rappelle que la Cour des comptes a estimé, le 14 octobre 2009, que « la situation financière actuelle et prévisionnelle du groupe est très fragile ».
Je rappelle que le Conseil d’État, le 11 février 2010, a annulé l’ingérence du pouvoir exécutif dans les prérogatives du législatif et du conseil d’administration de France Télévisions qui, le 5 janvier 2010, fut obligé d’appliquer la loi, avant même son examen par le Sénat, qui devait commencer le 7 janvier 2010.
Or aujourd’hui, la réserve expresse formulée par le Conseil constitutionnel n’est pas respectée, et je crains sa non-prise en compte dans le budget pour 2011, avec ses dépenses « gelées » en valeur, c’est-à-dire ne suivant pas l’inflation, qui ont été annoncées voilà deux jours par M. Fillon.
Or aujourd’hui, que vont faire l’Élysée et le Gouvernement de la remarque de la Cour des comptes selon laquelle « les questions liées au périmètre du groupe, au nombre des chaînes publiques et aux genres qui sont représentés ne sauraient être exclues de l’évaluation de la réforme » ? En bon français, c’est de la privatisation de tout ou partie de la télévision publique qu’il s’agit.
Or aujourd’hui, si le conseil d’administration de France Télévisions a tiré les leçons de l’arrêt du Conseil d’État, en votant, parlementaires compris, la suspension sine die de la privatisation de la régie publicitaire, notre assemblée étire incompréhensiblement le calendrier du débat, devenu vaines parlotes, au point qu’est donnée l’impression que nous nous faisons à nous-mêmes ce que M. Sarkozy nous a fait lors de son « coup » du 5 décembre 2008.
Je ne veux pas être un « parlementaire-commodité », utilisé, détroussé de ses droits devenus mirages. Nous devons rejeter le management, la « gouvernance », comme on dit, qui nous construit en purgeant le conflit de nos débats. Je sais trop bien, avec Pierre Legendre, que « la paix gestionnaire est une guerre », dans laquelle « le droit des affaires est la pointe avancée du management ».
Allons-nous nous satisfaire de diagnostics toujours remis ou allongés au lendemain ? Je sais que notre collègue Mme Morin-Desailly est chargée d’une mission de contrôle au titre de laquelle elle a déjà reçu cinquante-huit personnes. Je sais que le Gouvernement, qui n’a pas mis en place les groupes de travail prévus pour assurer le contrôle et le suivi, s’est engagé, lors du dernier conseil d’administration de France Télévisions, à faire le point, « son » point, pour l’automne. Ces atermoiements, selon moi, ne doivent pas durer. Imaginez un médecin appelé au chevet d’un citoyen et remettant sans cesse au lendemain son diagnostic, donc sa médication, au prétexte que le meilleur soin sera disponible dans six mois !
Pour ma part, je déclarais devant la commission Copé, dès le 21 mai 2008 : « Au plan financier, la télévision publique n’est pas assurée de son avenir. C’est comme si les parents d’un enfant avaient décidé de ne plus le reconnaître. Aucune entreprise privée n’accepterait la situation faite à France Télévisions. »
Puisque j’évoque le privé, rappelez-vous quand le lobby Bouygues-TF1 s’est mis en marche contre notre décision de taxer la publicité. Par deux fois, il est intervenu, malgré le passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge, malgré les sept minutes par heure de publicité, devenues neuf, malgré la seconde coupure publicitaire dans les œuvres patrimoniales, malgré son achat à bas prix de deux chaînes de la TNT ! Et la majorité du Sénat a accepté, quasiment en urgence, que le taux de cette taxe soit ramené, pour l’année dernière, de 3 % à 0,5 %...
Pourquoi l’urgence pour Bouygues-TF1, sans la réalisation d’aucune étude, et la longue durée pour France Télévisions, enferrée dans des débats de commissions qui ne débouchent pour l’heure sur rien, à ceci près que le mal continue à se faire…
J’ai dit devant la commission de la culture les arguments qui justifieraient l’urgence pour France Télévisions. J’ai entendu des propos identiques, prononcés par plusieurs parlementaires de la majorité, et non des moindres, lors de la table ronde organisée par la nouvelle commission culturelle de l’Assemblée nationale, le 7 avril dernier.
Oui, il faut transformer la longue durée en urgence, d’abord parce que Bouygues-TF1, malgré un vrai redressement, continue de contester la taxe sur la publicité et a saisi la Commission européenne de cette question, ensuite parce que l’Europe a tout contesté : la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communication électronique, qui représente 400 millions d’euros ; la nature de la dotation budgétaire de 450 millions d’euros attribuée par l’État à France Télévisions en 2009 ; le régime de TVA appliqué aux FAI, taxe qu’elle souhaite voir passer de 5,5 % à 19,5 %, notamment dans le cas des abonnements triple play, ce qui priverait la création audiovisuelle française de 60 millions à 100 millions d’euros ; enfin, l’aide envisagée par l’État pour le développement du « global media », sous prétexte qu’il s’agit d’un marché concurrentiel dont les ressources doivent être de caractère privé.
Bref, l’ensemble des modalités de compensation de la publicité est contesté. L’État lui-même a réduit de 35 millions d’euros les 450 millions que nous avions votés, sanctionnant ainsi, au lieu de les récompenser, les « performances » réalisées par France Télévisions.
C’est sur ce terrain financier, entièrement fragilisé – de 800 millions à 1 milliard d’euros sont en question –, qu’intervient le plan dit de « non-rigueur » de MM. Sarkozy et Fillon. Sera-t-il appliqué à France Télévisions en 2011, et comment ? Que signifie « geler » en la circonstance ? Un exemple : le Sénat a décidé, et il a été suivi, une indexation de la redevance ; que va-t-il se passer ?
Monsieur le ministre, vous avez déclaré hier sur France 2 que, en situation de crise, « la culture est d’autant plus indispensable, elle donne des repères ». Je vous suis, mais les repères financiers autoritaires du Gouvernement ne vont-ils pas estomper les repères de l’esprit, de la pensée et de la création, si décisifs ? Pierre Legendre dit que « l’homme symbolise comme il respire ». Or, ces temps-ci, monsieur le ministre, il respire mal ! Va-t-il aussi symboliser mal ?
Alors, conserver la partie diurne de la publicité, c’est la moindre des choses, c’est sage, comme on dit en langage sénatorial. Ce serait faire preuve de courage que d’oser affronter enfin la finance, la foi dans l’infaillibilité supposée des marchés – cette expression a une nuance comique ! –, comme s’ils étaient de nature les maîtres du monde. Les citoyens et leurs représentants ne peuvent accepter d’être des invités de raccroc face au fondamentalisme financier qui assène des réponses pour endormir les questions.
J’ai lu récemment un très dynamique ouvrage dû à Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie : La justice sociale face au marché total. Il y a beaucoup à emprunter à ce livre, qui évoque la première Déclaration des droits à vocation universelle proclamée à Philadelphie le 10 mai 1944. Ce texte pionnier entendait faire de la justice sociale l’une des pierres angulaires de l’ordre juridique international. J’y pense beaucoup en m’adressant à vous au sujet des finances de l’audiovisuel public.
Lors de sa rencontre avec le Président des États-Unis Barak Obama, le Président Sarkozy, à Columbia University, a eu ces mots : « Nous, les chefs d’État, nous sommes comme des chefs d’entreprise. » Eh bien non ! Il me souvient que lors de la discussion du projet de loi de Catherine Tasca relatif à la création de la holding France Télévisions, en 1989, Nicolas Sarkozy, alors député, avait déclaré à l’Assemblée nationale : « L’indépendance des présidents de chaînes publiques est évidemment une exigence de caractère constitutionnel. » Il n’était pas chef d’entreprise à ce moment !
Mes chers collègues, nous sommes près du trou noir, et je ne dramatise pas ! Ne jouons pas les Diafoirus, ne remettons pas au lendemain de la revoyure ce que nous pouvons faire aujourd’hui. Ne pensons pas que les personnels, dans leur diversité, feront l’appoint d’une partie du budget manquant.
Si l’envahissement publicitaire est un mal, le sacrifice de l’indépendance de France Télévisions n’est pas un remède. Comme l’a dit notre collègue Claude Belot, qui ne siège pourtant pas du même côté que moi dans cet hémicycle, « le secteur public est en train, sans que l’on s’en rende vraiment compte, de changer de statut : il passe de celui de référence obligée, aussi bien du point de vue de l’audience et de la qualité, à celui d’offre de complément, au risque de saper la légitimité de sa configuration comme de son financement ».
Ne nous laissons pas gagner par l’impuissance démissionnaire ! Il faut en finir avec « la piètre gestion d’un dossier sensible mettant en cause l’avenir du service public de l’audiovisuel », a dit le Conseil d’État.
Je demande à la commission de la culture qu’elle revienne sur son refus de débattre de la proposition de loi du groupe CRC-SPG qui, notamment, tend à maintenir la publicité diurne.
Je pense, d’ailleurs, que ce refus de débat met en cause l’initiative parlementaire et les droits de l’opposition constitutionnellement établis.
Nous avons été bafoués par le Gouvernement dans ce dossier. Nous avons obtenu réparation par la décision du Conseil d’État. Ne restons plus sans vote sur cette question, qui intéresse fondamentalement le service public auquel nous sommes tant attachés ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)