Mme Catherine Tasca. Une fois de plus, pardonnez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, votre Gouvernement a choisi de soumettre ce texte à la procédure accélérée. Auriez-vous estimé que ce projet de loi ne méritait pas plus d’attention et n’exigeait pas un véritable échange entre les deux chambres ?
Nous le déplorons fortement car le débat parlementaire s’en trouve tronqué et le bicamérisme contourné. Cela n’est pas de bon augure au moment où l’on s’interroge sur la qualité du travail législatif.
J’en viens à votre projet de loi. J’interviendrai exclusivement sur l’action culturelle, qui est le cœur du projet ; mes collègues Monique Cerisier-ben Guiga et Yves Dauge reviendront sur ce point et traiteront également d’autres sujets, notamment de l’expertise et de la mobilité internationales.
Tous ceux qui suivent les questions de politique étrangère, et en particulier celles qui touchent à l’action culturelle extérieure, s’accordent à reconnaître que celle-ci est un élément majeur de la politique d’influence de notre pays.
Le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France et les travaux de nos deux commissions ont bien pointé les faiblesses de l’action culturelle extérieure et suscité l’espoir d’une véritable rénovation et relance du réseau.
Dès lors, comment nier notre déception ? Le texte du projet de loi tel qu’il nous a été transmis était très en deçà de toutes les préconisations. Il ressort du travail en commission une rédaction qui nous laisse perplexes car, malgré le travail très positif des rapporteurs, les amendements n’ont pas suffi à lui donner la cohérence et surtout l’ambition attendues.
Perplexes, nous le sommes, car nous avons souhaité cette réforme et nous voudrions croire à son efficacité.
Ce débat nous éclairera peut-être sur la volonté réelle du Gouvernement de créer une véritable cohérence et une impulsion de l’administration centrale à la nouvelle agence et de celle-ci à nos centres et instituts de par le monde.
La quasi-concomitance de ce débat avec l’adoption du projet de loi de finances rectificative est évidemment fâcheuse, puisque ont été entérinées de nouvelles amputations du budget du ministère des affaires étrangères et européennes dont nous avions déjà vu en 2008 qu’il était « à l’os ».
Ainsi disparaissent 13,6 millions d’euros pour la mission « Action extérieure de l’État » et 23,4 millions d’euros s’agissant de la mission « Aide publique au développement ». Il serait injuste d’imputer ces décisions à vous seul, monsieur le ministre, car nous savons bien le poids du budget dans la hiérarchie gouvernementale et les effets de la mécanique destructrice de la révision générale des politiques publiques. Mais vous comprendrez que nous ne puissions pas non plus les mettre à votre actif...
La principale innovation de votre réforme visait la création d’une grande agence chargée des échanges culturels à l’étranger, et regroupant pour ce faire CulturesFrance et les centres et instituts culturels à l’étranger.
Malheureusement, vous vous êtes arrêté en chemin, puisque vous avez fini par reporter à trois ans la décision de rattachement du réseau à l’agence, amputant ainsi la réforme de sa principale audace.
En définitive, le projet de loi se contente de transformer le statut de CulturesFrance en établissement public à caractère industriel et commercial. On est donc loin de la réforme d’ampleur souhaitée.
Cette transformation du statut de CulturesFrance constitue-t-elle une réponse à la crise des moyens de notre diplomatie culturelle ? À la lecture du projet de loi, on peut en douter. On peut ainsi lire, dans l’exposé des motifs, que les nouveaux opérateurs retirent « une part significative de leurs ressources du produit de leurs propres prestations ». Et, à l’article 3 relatif aux ressources de ces établissements, dans sa rédaction initiale, « les recettes provenant de l’exercice de leurs activités » figuraient à la première place.
Ainsi, en transformant le statut de CulturesFrance en celui d’établissement public à caractère industriel et commercial, l’objectif initial était d’aller vers la diminution, voire la suppression de tout financement public, en incitant ces opérateurs à mener des activités lucratives...
M. Robert Hue. Très bien !
Mme Catherine Tasca. Heureusement, la commission des affaires étrangères, sur l’initiative conjointe de son rapporteur et du groupe socialiste, a réintroduit les dotations de l’État, que votre projet de loi avait écartées, et les a placées au premier rang des ressources de l’Agence. Mais, au regard de la dégradation des crédits affectés au ministère, confirmée la semaine dernière encore à l’occasion de l’adoption du collectif budgétaire, on peut douter de l’effectivité de la correction apportée.
Selon notre groupe, le statut d’établissement public administratif paraît plus adapté s’agissant d’un établissement public chargé d’une mission de nature régalienne, telle que la culture. Nos amendements tenteront d’y remédier.
À l’évidence, la création de la nouvelle Agence ne suffira pas à donner sens et visibilité à notre action culturelle à l’étranger si elle ne s’accompagne pas de mesures fortes dans trois directions : une stratégie claire, des moyens adaptés et un fort investissement dans la gestion des personnels.
Tout d’abord, la création de cette agence ne dispense évidemment pas l’État de définir les objectifs stratégiques de notre diplomatie culturelle. Or, à cet égard, on peut avoir des inquiétudes. D’ores et déjà, en matière d’audiovisuel extérieur, le ministère des affaires étrangères et européennes a renoncé à son rôle de pilotage au profit d’une société holding, malgré l’extrême importance de ce secteur pour notre influence culturelle et linguistique.
Avec la création de la nouvelle Agence, ne risque-t-on pas d’aboutir également à un organisme largement autonome, sans véritable pilotage stratégique ?
La création du Conseil d’orientation stratégique, sur l’initiative de notre commission, va dans le bon sens, à condition que le ministre des affaires étrangères et le ministre de la culture y travaillent vraiment de concert et réussissent l’harmonisation des objectifs et l’addition de leurs réseaux, ce après quoi l’on court depuis des années.
Malheureusement, vous n’avez pas retenu l’une des recommandations du rapport conjoint des présidents Josselin de Rohan et Jacques Legendre visant justement à assurer le pilotage stratégique : la création d’un secrétariat d’État chargé de l’action culturelle, de l’audiovisuel extérieur et de la francophonie.
La seconde question que pose avec acuité ce projet de réforme est celle des moyens consacrés à l’action culturelle extérieure.
L’ensemble des crédits consacrés à notre diplomatie culturelle représentent actuellement pour l’État un montant évalué à 136 millions d’euros, soit un montant inférieur à ceux de la Bibliothèque nationale de France ou de l’Opéra de Paris, dont je ne conteste bien entendu pas l’utilité.
Monsieur le ministre, vos crédits n’en finissent pas de fondre ; et ce mouvement s’est accéléré en 2009, avec une baisse des subventions de 20 % à 30 % en moyenne. Aujourd’hui, la plupart des conseillers culturels et des directeurs de centres ou d’instituts en sont réduits à faire des économies de bouts de chandelle pour financer l’acquisition de quelques livres ou DVD.
Vous nous avez annoncé, certes, avoir obtenu une enveloppe exceptionnelle de 40 millions d’euros supplémentaires. Mais cette enveloppe ne sera pas suffisante, à elle seule, pour compenser la baisse programmée des crédits consacrés à l’action culturelle extérieure, qui devraient être réduits d’un quart entre 2009 et 2011.
Disons les choses clairement : depuis des années, la cure d’amaigrissement budgétaire imposée à votre ministère se fait régulièrement aux dépens de l’action culturelle extérieure. Comment croire, dès lors, que celle-ci figure tant soit peu au rang des priorités de votre ministère ?
Dans le même temps, nos principaux partenaires en Europe – Britanniques, Allemands, Espagnols... – ont pris le chemin inverse et augmentent fortement les crédits consacrés à leur action culturelle à l’étranger. Même la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, ne manque pas de souligner l’importance de la diplomatie dite « de l’intelligence ». Notre pays sera-t-il le seul à y renoncer ?
Le troisième impératif de la réforme est l’engagement d’une nouvelle politique de gestion des ressources humaines, un sujet sur lequel votre texte initial faisait étrangement l’impasse.
À l’inverse des employés de l’Institut Goethe ou du British Council, les personnels de nos centres et instituts ne peuvent pas faire carrière dans le réseau culturel. Or on ne devient pas, du jour au lendemain, conseiller culturel ou directeur de centre ou d’institut. C’est un vrai métier, qui demande une formation adaptée et qui devrait permettre à ces agents de valoriser leurs compétences au cours d’un véritable parcours professionnel.
Arbitraire des nominations, insuffisance des formations aux tâches indispensables de gestion ainsi qu’aux langues et cultures des pays d’accueil, absence de perspective d’un déroulement de carrière après trois ans dans un poste, absence de passerelles, dans les deux sens, avec le réseau des établissements culturels en France : tels sont les handicaps majeurs pour nos agents culturels à l’étranger.
Sans la volonté de changer profondément la gestion de ces personnels, toute réforme de l’action culturelle extérieure ne pourra qu’échouer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. le président de la commission de la culture applaudit également.)
Notre commission a opportunément introduit au titre des missions de l’Agence, à l’article 6 du projet de loi, le conseil et la formation professionnels des personnels, ainsi que la participation à la politique de recrutement, d’affectation et de gestion des carrières de ces personnels. L’effectivité de cette disposition sera l’une des clés de la réussite de la réforme.
Enfin, nous voudrions croire que le report à trois ans du rattachement des centres et instituts locaux à l’Institut Victor Hugo n’est que transitoire. Depuis des années, nous regrettons qu’entre l’administration centrale, l’agence sise à Paris et l’ensemble des centres et instituts, la réflexion, les choix stratégiques et les propositions ne circulent pas suffisamment dans les deux sens. La conséquence en est une insuffisante lisibilité, des incompréhensions et des insatisfactions à l’égard des programmations.
La capacité d’écoute et l’efficacité de ces liens doivent être un objectif majeur de la future agence. Votre texte, en l’état, ne surmonte pas ces défauts. C’est pourquoi notre commission a inscrit, dans un article 6 ter, l’amorce du rattachement des éléments du réseau à l’agence, au travers d’expérimentations à mettre en œuvre dès que possible, afin d’apprécier toutes les facettes d’une telle mutation. À vous, monsieur le ministre, de ne pas renoncer à ce rattachement, d’y préparer diplomates et professionnels du réseau, et surtout de reconquérir les budgets nécessaires.
Au total, ce projet de loi est peut-être une étape vers la réforme que nous espérions, mais il n’est qu’une toute petite étape. C’est pourquoi nous serons attentifs aux positions que vous prendrez au cours de ce débat, et notamment à l’accueil que vous ferez à nos amendements. La position de notre groupe en dépendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. « Le pape, combien de divisions ? » On se souvient de la célèbre apostrophe de Staline à Churchill, apostrophe qui minorait excessivement les moyens d’influence de l’Église. (Sourires.)
On serait tenté, monsieur le ministre, de vous poser la même question à propos des moyens consacrés à notre action culturelle et technique à l’étranger, sans vouloir diminuer, par ailleurs, votre rayonnement personnel, qui n’est tout de même pas à la hauteur de l’influence spirituelle du Pape... (Nouveaux sourires.)
Vous nous proposez de créer deux grands opérateurs : une agence chargée de l’action culturelle extérieure, et une agence pour l’expertise et la mobilité internationales, l’AFEMI, toutes deux sous forme d’EPIC, et en cohérence avec la création, au sein du ministère des affaires étrangères et européennes, d’une direction de la mondialisation.
Je n’ai pas d’hostilité de principe à cette réforme. On peut regrouper, rattacher, restructurer et fusionner autant qu’on voudra. En matière d’organisation, ce qui compte, ce sont la vision politique et surtout les moyens, par exemple pour offrir une carrière digne de ce nom aux personnels de l’action culturelle. Mais est-ce bien là le propos de la réforme que vous nous présentez ? Ne serait-ce pas plutôt l’inverse ?
Au moment où l’on parle de la « diplomatie d’influence », où nos partenaires et concurrents étrangers, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi la Chine, renforcent les moyens consacrés à leur diplomatie culturelle, notamment en Asie, en Afrique, et même en Europe, comment expliquer que notre pays soit le seul à réduire drastiquement les moyens consacrés à son rayonnement culturel et linguistique ? Notre collègue Duvernois parle même de « débâcle budgétaire sans précédent » pour ce qui est des services de l’État ou dépendant de lui juridiquement.
S’il n’y avait pas le réseau associatif, et en particulier le millier d’Alliances françaises qui accomplissent un travail admirable et largement autofinancé pour développer notre langue, celle-ci qui, selon Fernand Braudel, constitue près de 80 % de l’identité de la France, serait en perdition. Le nombre des Alliances françaises, de 2000 à 2009, a augmenté de 8 % ; celui des instituts et centres culturels a, quant à lui, diminué de 20 %.
Notre pays a pourtant été le premier à mettre en place une diplomatie d’influence. Faut-il rappeler qu’au lendemain de la défaite de 1870 la France a pris l’initiative, grâce à des personnalités comme Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur, Ernest Renan ou Jules Verne, de mettre en place ce magnifique réseau des Alliances françaises, qui joue un rôle majeur pour promouvoir notre culture et notre langue hors de nos frontières ?
Aujourd’hui encore, notre pays dispose du réseau culturel le plus dense et le plus étendu. Mais il suffit de se rendre dans nos ambassades, dans nos centres ou instituts culturels, ou même de voyager à l’étranger, pour constater la faiblesse croissante des moyens dont disposent nos diplomates, nos conseillers culturels, nos directeurs d’instituts et de centres culturels, ainsi que l’ensemble des personnels de notre diplomatie culturelle, à l’engagement et au dévouement desquels je veux rendre l’hommage qu’ils méritent, mais qui ne peuvent compenser, à la longue, le rétrécissement des crédits et les suppressions de postes.
Comment s’étonner, dans ce contexte, que partout l’usage de notre langue et la présence de la culture française diminuent, y compris dans des zones d’influence traditionnelle de la France, comme en Europe centrale et balkanique, au Maghreb, et même en Afrique francophone ?
Faut-il rappeler que, si le français est l’une des trois langues de travail des institutions européennes, la part des documents rédigés en français au sein de la Commission européenne a chuté, passant de 38 % en 1996 à moins de 12 % en 2008 ? Dans le même temps, la part des documents rédigés en anglais est passée de 45 % à 72 %.
Dans ce contexte, comment expliquer la nomination à la tête de la diplomatie européenne de Mme Catherine Ashton, alors que celle-ci, contrairement à une coutume bien établie, ne semble pas parler notre langue ?
Mme Catherine Tasca. Elle va faire un stage...
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. ... en immersion !
M. Jean-Pierre Chevènement. Elle ne l’a pas encore commencé...
Voilà qui peut laisser songeur quant à l’influence de notre pays au sein de la nouvelle diplomatie européenne !
Il est un domaine que je connais bien, celui de notre enseignement supérieur. J’ai constaté que, grâce à l’effort réalisé en 1997 et 1998 sous l’impulsion de M. Allègre, ministre de l’éducation, de M. Védrine, ministre des affaires étrangères, et de moi-même, alors en charge de l’immigration et, par conséquent, de l’accueil des étudiants étrangers, le nombre de ces derniers dans l’enseignement supérieur français, au sens large, est passé de 160 000 en 1999 à 266 000 en 2008. Toutefois, la France accueille un trop faible nombre d’étudiants étrangers en provenance des grands pays émergents, comme l’Inde, la Russie ou le Brésil, et la plupart des futurs cercles dirigeants de ces pays auront une culture anglo-saxonne.
Il en va de même en Europe, où nous sommes devancés par la Grande-Bretagne et l’Allemagne. II faut dire que les moyens de promotion de CampusFrance, qui a pris le relais d’EduFrance, sont dérisoires, comparés à ceux du British Council ou du Goethe Institut.
Le problème des tutelles ministérielles sur l’AFEMI n’est pas réglé, mais il me semblerait raisonnable que, s’agissant de l’accueil des étudiants et des chercheurs étrangers, la cotutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche soit préservée. Cette question, évoquée par M. Kergueris, a été renvoyée à un décret, mais elle est essentielle et me paraît mériter de figurer dans la loi.
M. le président de la commission des affaires étrangères a souhaité un conseil consultatif. Cela sera-t-il suffisant ? Je m’interroge.
Mme Catherine Tasca. Vous avez raison !
M. Jean-Pierre Chevènement. Le budget consacré par la France à son rayonnement culturel a connu une forte diminution ces dernières années, malgré les 40 millions d’euros que vous avez évoqués, dont il convient de retrancher les 13 millions d’euros qui ont été supprimés, cela ne fait déjà plus que 27 millions d’euros.
Il y a eu des baisses pouvant aller jusqu’à 20 % ou 30 % selon les pays.
Tout laisse penser que le budget et les effectifs du ministère des affaires étrangères vont encore continuer à subir des coupes claires dans les prochaines années...
En effet, monsieur le ministre, votre budget est pris en étau entre le marteau de la RGPP et l’enclume des contributions internationales, qui connaissent, quant à elles, une hausse exponentielle.
Le montant total des contributions internationales versées par la France s’élève, je le rappelle, à plus de 740 millions d’euros.
À titre de comparaison, je rappelle que l’ensemble des moyens consacrés à notre action diplomatique, au sens strict, ne représente que 90 millions d’euros. Monsieur le ministre, vous avez évoqué un agrégat très large de 350 millions d’euros pour notre action culturelle extérieure, il convient d’étudier ce chiffre, mais je rappelle que 740 millions d’euros sont consacrés aux contributions multilatérales. On peut s’interroger.
Notre contribution à l’OTAN représente à elle seule 170 millions d’euros, et pour quels services ? (M. le ministre s’exclame.)
Est-il utile – malgré toute l’admiration que je porte à Baudelaire – de contribuer financièrement à l’Association pour la conservation des albatros et des pétrels ? (Sourires.)
De même, ne serait-il pas utile de revoir notre participation à des organisations telles que l’Organisation internationale des bois tropicaux – le Sénat en a parlé tout à l’heure – le Comité consultatif international du coton, la Commission interaméricaine du thon des tropiques ou encore le groupe international d’études du caoutchouc ? (Nouveaux sourires.)
Nos participations internationales amputent d’autant les moyens dévolus aux actions bilatérales, qui contribuent pourtant de manière déterminante à notre rayonnement à l’étranger.
Le soutien au multilatéralisme que vous prônez, monsieur le ministre, n’est bien souvent qu’un des aspects de l’effacement de la France. Voilà le grand mot lâché : l’effacement de la France. On n’y remédiera pas, monsieur le ministre, en réduisant la multiplicité de nos opérateurs. Sans doute faut-il resserrer le dispositif. Plusieurs initiatives ont déjà été prises, et ce depuis longtemps. L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France, l’Agence pour la diffusion de l’information technologique, sont des précédents éclairants. Il y a sûrement des leçons à tirer pour la création des deux nouveaux opérateurs.
Une chose est sûre cependant : si vos moyens ne sont pas substantiellement accrus dans le budget de 2011, mieux vaut ne pas engager des réformes précipitées qui ne feraient qu’ajouter la confusion à la disette. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Laissez les bourses universitaires au Centre national des œuvres universitaires et scolaires, le CNOUS, et n’engagez d’expérimentations de rattachement des instituts culturels au nouvel opérateur qu’avec des moyens substantiellement accrus. Surtout, en matière « d’expertise internationale », ne vous aventurez pas sur le terrain glissant des mises à disposition de fonctionnaires français auprès de think tanks étrangers plus ou moins bien orientés, ou encore de facturations de services d’expertises à des entreprises étrangères dans des domaines ne relevant pas nécessairement de l’intérêt public, toutes actions restant subventionnées par l’État français. Pas de mélange des genres, le cœur de cible doit rester notre coopération scientifique, culturelle et technique et il faut conjurer le risque de dérive mercantile, surtout si les moyens budgétaires ne sont pas suffisants !
Vous parlez de « modernisation » ; en vérité, vous êtes prisonnier de cette fameuse RGPP, dont le regretté Philippe Séguin avait critiqué l’application indiscriminée. Vous ne pourrez maintenir, au fil des réductions qui se succèdent année après année, la présence universelle de notre diplomatie dont vous convenez vous-même qu’elle est encore l’un de ses principaux atouts.
Je souhaite me tromper, mais je crains qu’avec la création de l’opérateur culturel le ministère des affaires étrangères n’ait trouvé une solution pour ne jamais harmoniser la situation salariale des recrutés locaux de ses divers réseaux diplomatiques. Le passage sous statut privé signifierait l’échec du projet d’harmonisation sociale, qui seul répondrait à l’ambition d’une grande politique culturelle extérieure, offrant à ceux qui s’y consacrent des perspectives normales de carrière et d’épanouissement.
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, ne saurait tenir lieu à lui seul de réponse à la crise que traverse notre diplomatie culturelle.
Ce n’est pas en créant une nouvelle agence, même si on décide de l’appeler « Institut Victor Hugo », que l’on pourra réellement espérer un renforcement de notre action culturelle. J’aurais préféré, pour ma part, le nom plus sobre d’« Institut français », à l’image du British Council. Victor Hugo, « notre plus grand poète, hélas ! », ne résume pas toutes les faces de la culture et de la littérature françaises, et je dis cela bien qu’étant franc-comtois. Victor Hugo est né à Besançon, qu’il qualifiait d’ailleurs, de façon inexacte, de vieille ville espagnole. J’ai beaucoup de tendresse pour Victor Hugo,…
M. Jean-Pierre Chevènement. … mais la France, c’est plus vaste.
Les amendements présentés par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées apportent certes des améliorations bienvenues, notamment en ce qui concerne les ressources de ces établissements.
En revanche, monsieur le ministre, je suis médiocrement convaincu, comme M. le président de la commission des affaires étrangères, me semble-t-il, par le rattachement à cette agence des services de coopération et d’action culturelle des ambassades ou des centres et instituts culturels.
Ne serait-ce pas là le signe d’un renoncement à une composante essentielle de notre diplomatie ?
Le ministère des affaires étrangères et les ambassadeurs ne risquent-ils pas d’être tenus à l’écart et privés de cet outil majeur d’influence, comme c’est déjà le cas en matière économique avec UbiFrance ou en matière d’aide au développement avec l’Agence française de développement ? La culture peut encore moins être dissociée du politique.
En définitive, l’État sera-t-il toujours en mesure de conduire une diplomatie culturelle ?
J’espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous rassurer sur ce point, mais nous ne le serons vraiment que lors de la présentation du prochain budget.
J’en termine. Monsieur le ministre, vous avez évoqué dans une interview au Journal du Dimanche, il y a deux jours, la création d’un État palestinien, avant même la négociation sur ses frontières. On n’en attendait pas moins du créateur de Médecins sans frontières. Mais ne craignez-vous pas, dans le rapport de forces actuel, d’entériner ainsi les avancées de la colonisation israélienne des territoires occupés ? Quel est sur ce sujet l’avis de M. Mahmoud Abbas ? Et celui des États-Unis ? Nous aimerions le savoir et, sur ce sujet aussi, nous aimerions être rassurés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. André Trillard.