M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est l’occasion de nous prononcer sur l’avenir de l’action extérieure de la France et sur les nouvelles impulsions qu’il convient de lui donner.
À l’heure où l’influence de la France dans le monde recule, où notre diplomatie culturelle s’essouffle, le rapporteur pour avis du budget de l’action extérieure que je suis se réjouit qu’un tel texte nous soit soumis.
Chacun connaît sur ces sujets la qualité du travail accompli au Sénat depuis plusieurs années. Aussi, je tiens tout d’abord à remercier les présidents de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, pour leur rapport d’information sur le rayonnement culturel international, qui pose, de façon objective, les défis et les défaillances de notre diplomatie culturelle.
Je tiens ensuite à remercier le rapporteur de la commission des affaires étrangères, M. Joseph Kergueris, et le rapporteur pour avis de la commission de la culture, M. Louis Duvernois, ainsi que notre collègue Adrien Gouteyron, pour ses rapports et analyses budgétaires des plus pertinents sur le fonctionnement du Quai d’Orsay en général.
Je ne doute pas que tout le travail réalisé en amont par les deux commissions et avec vous, monsieur le ministre, permettra à ce projet de loi d’être un texte fondateur pour notre politique de rayonnement à l’étranger, car c’est bien de politique qu’il est question, mes chers collègues.
Il s’agit de doter l’ensemble des acteurs de notre réseau culturel à l’étranger de moyens et de dispositifs efficaces, afin que notre politique en faveur de l’action extérieure de l’État soit plus moderne, plus efficace et surtout plus visible !
À ce titre, ce texte s’inscrit non seulement dans le cadre de la RGPP, mais il répond également aux objectifs fixés par le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
La France dispose du plus grand réseau culturel à l’étranger au monde. Il est l’œuvre de personnalités issues de la société civile qui, au fil des siècles et des expéditions, n’ont cessé de promouvoir les valeurs et les connaissances françaises dans le monde entier, de créer et de répondre à une immense attente.
Ce réseau est un héritage fabuleux par son histoire, son ancienneté et sa diversité. Toutefois, mes chers collègues – vous me pardonnerez mon pragmatisme – comme tous les héritages, si on ne le fait pas fructifier, il est dilapidé et peut même disparaître.
Si nous voulons que notre politique en faveur de l’action culturelle extérieure soit à la hauteur de notre ambition, elle ne doit plus reposer uniquement sur la réputation des Alliances et des Centres français, dont le travail et l’investissement des personnels sont remarquable.
C’est à nous, politiques, de leur donner des directions claires et d’optimiser leurs moyens. Il est grand temps de définir un pilotage stratégique cohérent.
En effet, si la diversité des agences et des opérateurs qui animent notre réseau culturel à l’étranger est une chance, il n’en demeure pas moins que le pluralisme, en termes de budget et de décisions, est devenu un handicap face à la concurrence née de la mondialisation.
Notre réseau a besoin d’une réforme structurelle, et ce d’autant plus qu’aux difficultés inhérentes à une gestion interministérielle s’ajoutent les baisses de crédits alloués à l’action culturelle extérieure et à la coopération éducative et scientifique. En 2009, nous avons constaté une baisse de 13 % en moyenne sur le programme 185, ce qui n’est pas négligeable.
Certes, nous ne referons pas le débat budgétaire, mais, à terme, il est impératif que nous puissions bénéficier d’un budget global pour l’action extérieure de l’État.
Cela nous permettrait d’avoir enfin une réelle visibilité financière. De même que les cotutelles, cette dispersion des financements n’est plus raisonnable.
Telle est la raison pour laquelle la réunion des opérateurs gérant la mobilité universitaire et scientifique, tels que CampusFrance, Egide et France coopération internationale, en un seul établissement public industriel et commercial, relève du bon sens.
Cette future agence française pour l’expertise et la mobilité internationales, l’AFEMI, doit relever non seulement de la tutelle unique du ministère des affaires étrangères, mais demeurer la seule agence gérant la mobilité universitaire.
C’est pourquoi il est vivement souhaitable que le Centre national des œuvres universitaires et scolaires y soit intégré.
Si un second opérateur gérant les bourses des étudiants étrangers relevant du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche voyait le jour, cela reviendrait à vider le texte de son objectif premier.
Mes chers collègues, il faut savoir ce que nous voulons : soit nous mettons en place un dispositif au fonctionnement rationalisé, soit nous créons d’ores et déjà des doublons et des dérogations, et l’AFEMI et la réforme perdront de leur sens.
L’action culturelle française à l’étranger doit bénéficier d’une grande lisibilité et être facilement identifiable.
La création de l’Institut Victor Hugo va dans ce sens et nous nous en félicitons. Cet institut regroupera tous les acteurs participant à l’action culturelle extérieure sous un label unique.
Je sais que l’appellation en elle-même fait débat. La question n’est pas d’être des « hugolars » extrémistes, mais là encore il s’agit d’être pragmatique et de faire simple. Si beaucoup de gens ignorent que Victor Hugo fut l’un de nos pairs, son œuvre littéraire est porteuse de la France tout entière. En cela, il me paraît inutile d’y associer le terme « français ».
Prenons exemple sur nos voisins européens. Ils ont choisi une dénomination simple, emblématique et percutante.
Dans le panel des représentants de la culture européenne, nous avons soit le British Council, soit l’Institut Goethe, soit l’Institut Cervantes, mais en aucun cas une triple terminologie.
Ce projet de loi crée deux EPIC qui seront emblématiques de la marque « France », tâchons de ne pas l’oublier.
Par ailleurs, je souhaite revenir sur l’une des autres avancées de ce texte : la modification du mode de versement de l’allocation au conjoint de l’agent expatrié. Cette allocation se substituera au supplément familial de 1967 et sera désormais versée directement au conjoint.
Cette mesure, attendue depuis longtemps, est neutre budgétairement. C’est un signe fort envoyé à nos agents expatriés et nous nous en félicitons.
Je veux également évoquer les articles 13 et 14.
Ils répondent à l’irresponsabilité croissante de certains de nos concitoyens qui s’aventurent dans des pays où, pour des raisons évidentes de sécurité, le ministère des affaires étrangères déconseille de se rendre. Outre que leur rapatriement engage la sécurité de ceux qui en ont la charge et qu’il peut avoir un effet négatif sur nos relations diplomatiques, il a un coût, trop souvent ignoré par les personnes qui en bénéficient. Cette conception extravagante de la gratuité des secours n’a pas d’équivalent juridique à l’étranger.
Ces articles ont donc avant tout vocation à responsabiliser nos concitoyens, et je souhaite rappeler qu’ils ne sont ni coercitifs ni d’application absolue : les professionnels ou les civils qui devront se rendent impérativement dans des pays « déconseillés » ne sont pas concernés.
Permettez-moi, avant de conclure mon propos, de formuler un vœu. Si, pour André Malraux, « la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert », je vous propose, monsieur le ministre, d’aller au-delà de cette maxime : nous devons mettre en place à l’étranger un dispositif culturel « conquérant » ; cela passe par la nécessité de conforter les ambassadeurs et les attachés culturels dans leur rôle de coordinateurs de l’action culturelle à l’étranger.
En ce moment même, à New York, on fête les deux cent cinquante ans de Candide et un festival consacré à Marguerite Duras est organisé conjointement par l’Alliance française et une cinémathèque new-yorkaise ; quant au prochain festival Food and Wine de Miami, il accueillera des grands chefs parisiens. Ces trois événements, préparés en partenariat avec nos ambassades, démontrent la force d’impulsion des attachés culturels et des ambassadeurs : ce sont des acteurs essentiels de notre rayonnement.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. André Trillard. Pour autant, si nous souhaitons mettre en place une diplomatie culturelle ambitieuse, nous ne pouvons aujourd’hui nous cantonner dans la seule logique de rayonnement. Il est temps d’y ajouter une logique d’influence ! C’est ce que Joseph Nye a appelé le soft power.
Il nous faut non plus seulement répondre à la « demande de France », mais aussi susciter l’« envie de France ». Et pour cela, il nous faut encourager les initiatives comme les acteurs du « privé ».
Si la France est reconnue dans le monde comme un pays de culture, pourquoi ne pas faire confiance aussi aux professionnels dont la culture est le cœur de métier pour faire rayonner et « exporter » la « culture France » ?
Aujourd’hui, les « ambassadeurs » culturels traditionnels que sont le cinéma et l’Université ne suffisent plus à donner « envie de France » et n’engendrent plus assez d’attractivité. Force est de reconnaître que les dialogues d’Audiard tiennent difficilement la distance face aux superproductions de Bollywood et que, l’an dernier, l’image d’une Sorbonne en grève n’a guère été un atout pour concurrencer les campus d’Harvard. Le classement de Shanghai en témoigne ! (M. le ministre paraît ne pas accorder un crédit sans faille à la validité dudit classement.)
Notre attractivité tient donc à la combinaison de l’image et de la performance. Il s’agit d’être bon, dans tous les domaines possibles, et de faire en sorte que cela se voie. C’est ce qu’Hilary Clinton appelle le smart power, c'est-à-dire le pouvoir de l’intelligence : cette notion repose sur la faculté de combiner tous les outils, qu’ils soient sociaux, économiques, politiques ou juridiques, afin non seulement de développer une bonne « image », mais d’augmenter la « demande de France ».
Je terminerai en illustrant mon propos par un exemple qui me touche de près. Dans mon département, la Loire-Atlantique, a lieu chaque année un festival de musique classique qui s’appelle « La Folle Journée ». Il est organisé par le Centre de réalisations et d’études artistiques, le CREA, qui a des statuts équivalents à ceux d’une société et gère des centaines de concerts et d’artistes de renommée internationale. Mais le CREA a exporté le concept à l’étranger : ainsi « La Folle journée » s’est déroulée à Tokyo, à Bilbao, à Rio… À Tokyo, elle a enregistré plus de 200 000 entrées !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Bravo !
M. André Trillard. Plus que du rayonnement, c’est de l’influence !
Mes chers collègues, le présent projet de loi pose les fondements d’une véritable réforme pour l’action extérieure de la France, qui a profondément besoin de ces nouveaux ajustements. Tâchons de ne pas passer à côté et de faire en sorte qu’il soit porteur d’avenir.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis marque une nouvelle étape dans la réforme d’ensemble engagée au sein du ministère des affaires étrangères et européennes. L’objectif est de passer d’une logique de rayonnement à une logique d’influence.
L’idée n’est pas nouvelle. Quand, se préparant à la première des guerres que nous appelons médiques, Darius payait des Grecs pour qu’ils soutiennent des positions favorables à la Perse, il menait une politique d’influence. Quand Alexandre, après avoir conquis un pays, se proclamait fils des dieux locaux et incitait ses généraux à prendre des épouses autochtones, il menait une politique d’influence. Quand Sun Tzu, dans L’Art de la guerre, conseillait à un souverain d’offrir du vin et des concubines au roi voisin pour amollir son caractère, il promouvait une politique d’influence.
Tout cela se passait voilà plus de deux mille ans, mais on pourrait trouver bien d’autres exemples dans l’Histoire, tant ancienne que plus récente. Toutefois, la diplomatie d’influence est vraiment née au xxe siècle. Depuis l’entre-deux-guerres, les politiques étrangères de tous les États s’accompagnent de démarches pour conforter leur influence dans le monde. Les émissions de Radio Free Europe au-delà du « rideau de fer » ou, plus récemment encore, le monopole des images de CNN en 1991, sans oublier la création de France 24, ont illustré le rôle majeur de l’influence dans les relations internationales.
Nos partenaires ont, sans doute plus vite que la France, pris conscience de l’importance stratégique des idées et de la culture dans l’action diplomatique ; mais je ne reviendrai pas sur la comparaison entre l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France. Quoi qu'il en soit, il y a urgence à doter le ministère d’opérateurs modernes et efficaces.
Le présent projet de loi crée une agence chargée de la coopération culturelle. Cette agence devra soutenir nos priorités et être une vitrine de l’offre culturelle française dans toute sa diversité. En apportant un soutien aux artistes, elle assurera la promotion de notre culture et de notre langue.
Elle devra aussi, comme l’a souligné la commission, être à l’écoute de nos partenaires étrangers par l’intermédiaire de notre réseau diplomatique.
Sur l’initiative de son rapporteur, la commission a conforté ces objectifs. Elle a précisé les missions du nouvel opérateur, ce qui me semble important.
En matière de gouvernance, elle a comblé un silence du texte en plaçant la future agence sous la tutelle du ministre des affaires étrangères : les machines à deux têtes ont trop souvent montré à quel point elles étaient difficiles à manier !
Le ministère de la culture devra néanmoins jouer un rôle important dans le pilotage de nos actions, et il faut qu’il soit associé à la prise de décision. C’est ce qu’a prévu la commission en indiquant que l’établissement exercera ses missions selon les orientations définies conjointement par le ministère des affaires étrangères et le ministère chargé de la culture. Celui-ci sera représenté au sein du conseil d’administration et sera cosignataire du contrat d’objectifs et de moyens entre l’opérateur et l’État.
Enfin, la commission a prévu la création d’un conseil d’orientation stratégique qui associera tous les ministères concernés.
C’est sur cet équilibre entre bonne gouvernance et association de l’ensemble des acteurs concernés que je m’interroge. Ce qui est surprenant, et suscite des réserves de ma part, c’est que tous ces acteurs sont issu du secteur public ou semi-public. Qu’en est-il de la sphère privée ?
La France est marquée par Malraux, par la puissance du ministère de la culture, et notre conception de la culture est aussi un héritage de la royauté. Pour autant, madame Tasca, je ne suis pas sûr que la culture soit un domaine régalien ! (Mme Catherine Tasca s’exclame.) Il ne s’agit pas pour moi, à travers cette remarque, d’écarter l’État de son rôle culturel ; néanmoins, il me paraît nécessaire d’ouvrir beaucoup plus la culture au monde du privé ! Est-ce à un fonctionnaire, comme on l’a trop vu, de décider quels artistes contemporains – ce sont pratiquement les mêmes depuis de nombreuses années ! – nous représenteront à l’étranger ? Ne reviendrait-il pas plutôt au monde de l’art contemporain lui-même de choisir les artistes qui seront représentés ou, à tout le moins, d’intervenir dans leur choix ?
Le deuxième opérateur créé par le projet de loi est l’établissement public pour l’expertise et la mobilité internationales. Il sera chargé de l’appui à la mobilité des étudiants et des chercheurs étrangers.
L’objectif est d’améliorer l’accueil des étudiants et chercheurs étrangers, mais aussi, et c’est très important, le placement des experts français hors de nos frontières. Nous pensons que la gouvernance proposée le permettra. Là encore, nous soutenons les améliorations apportées au texte par la commission.
Je formulerai toutefois une remarque complémentaire. Mes fonctions passées d’inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche m’ont permis de constater qu’il existe un « relationnel » très important entre les différentes universités françaises et les différents réseaux de chercheurs français, d’une part, et les instances européennes et étrangères, d’autre part. L’autonomie des universités va conforter ce « relationnel ».
Aux termes de l’alinéa 10 de l’article 5, le ministère chargé de l’enseignement supérieur participera à la définition des orientations de l’agence. Je ne conteste pas l’autorité du ministère des affaires étrangères sur cette question, mais je regrette que le ministère de l’enseignement supérieur ne soit pas un acteur plus important dans ce texte.
Ce que je souhaite, monsieur le ministre, c’est que l’autorité du ministère des affaires étrangères n’implique pas que le patron de l’agence soit obligatoirement un ambassadeur qui n’a pu obtenir de grande ambassade ou qu’on ne sait où nommer. Votre ministère doit s’ouvrir, de telle sorte que ce poste puisse être occupé par un grand président d’université, par un chercheur incontestable, ou même, pourquoi pas ? par un grand chef d’entreprise ; et j’espère que la commission des affaires étrangères et la commission de la culture seront saisie de ces nominations !
Si je fais cette remarque, c’est que toutes les réflexions qui sont actuellement menées sur la mondialisation, sur la montée en puissance de la Chine, de l’Inde et des pays d’Amérique latine, mettent en évidence l’affaiblissement potentiel de l’Europe : l’Europe ne restera une grande puissance que si elle sait contrôler ce que l’on appelle le développement de l’économie de la connaissance. C’est bien à cela que cette agence a vocation à participer.
Pour pouvoir porter tous ses fruits, la réforme devra relever de nombreux défis.
Le tout premier d’entre eux, le plus crucial sans doute, c’est la rénovation de la gestion des ressources humaines de notre réseau culturel à l’étranger. Pour la réussir, j’y ai déjà fait allusion, il nous faudra sans doute élargir notre vivier de compétences. Nous y parviendrons en développant des passerelles non seulement entre les administrations, qui en ont bien besoin, mais aussi entre les secteurs public et privé. Là encore, il y a beaucoup à faire !
Il nous faudra également donner de vrais moyens à la formation professionnelle permanente, de façon que nos agents puissent acquérir et consolider leurs compétences tout au long de leur carrière.
Cela m’amène au deuxième défi qu’il faudra relever dans les années à venir : le défi des moyens. Les moyens humains doivent être optimisés, les moyens financiers doivent être à la hauteur. Ce ne sera pas facile !
Le troisième défi sur lequel j’aimerais attirer votre attention et avoir votre sentiment, monsieur le ministre, c’est le défi technologique. Depuis plusieurs années déjà, nous vivons une révolution numérique. Internet bouleverse notre manière d’échanger, de communiquer, de diffuser notre savoir, notre culture et nos idées. Aujourd’hui, on ne peut pas prétendre exercer une influence culturelle dans le monde si l’on ne prend pas cette révolution à bras-le-corps. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, quels moyens seront mis en œuvre pour relever ce défi de demain, qui est d’ailleurs, en fait, un défi d’aujourd’hui ?
Internet offre à chacun la possibilité de s’exprimer à travers le monde. Évidemment, la France doit prendre toute sa place sur la Toile.
Un autre défi me semble au moins aussi important : la valorisation de la société civile. Je sais que vous y être très sensible, monsieur le ministre.
Les ONG, les entreprises, les associations, les individus occupent de nos jours une place bien plus importante qu’hier sur la scène internationale. Il faut prendre cette réalité en compte. Pour être efficace, la diplomatie d’influence doit s’inscrire au-delà de la simple action gouvernementale.
Aujourd’hui, l’influence dépend de la capacité à tisser des réseaux d’idée, d’opportunité, de médiation. Dans cette optique, l’État doit s’entourer d’acteurs de la société civile. Les pays anglo-saxons l’ont très bien compris : leurs think tanks et leurs médias projettent leur vision du monde sur tous les continents. Peut-être pouvez-vous nous faire connaître, monsieur le ministre, quelle place la société civile occupera dans la diplomatie d’influence que ce projet de loi vise à promouvoir ?
J’ajouterai que les nouvelles agences doivent être les supports de cette société civile bien plus que des opérateurs hiérarchiquement décisionnaires.
Par ailleurs, je regrette – mais peut-être est-il encore un peu tôt pour cela ! – que le projet de loi s’inscrive dans un cadre strictement national, alors que l’adoption du traité de Lisbonne a permis à l’Union européenne de se doter d’une Haute Représentante pour les affaires étrangères et d’un service étranger d’action extérieure.
Je sais que, dans les domaines de l’éducation et de la culture, l’action extérieure relève avant tout des diplomaties nationales. Mais ne serait-il pas judicieux de commencer à réfléchir à l’inscription de notre propre action extérieure en ces matières dans un cadre européen ? Vous le savez, le groupe Union centriste considère que c’est là le cadre naturel dans lequel elle doit s’insérer. Monsieur le ministre, la prochaine étape de la réforme de votre ministère permettra peut-être de mieux articuler nos actions avec les initiatives européennes !
En dépit de ces réserves, le projet de loi constitue une première étape nécessaire, même si, nous le savons, elle est loin d’être suffisante. Sur l’initiative de son rapporteur, la commission des affaires étrangères a accompli un travail que je tiens à saluer, tout comme je salue celui de la commission de la culture.
Pour toutes ces raisons, le groupe de l’Union centriste soutiendra le texte tel qu’il nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Sans vouloir le moins du monde vous être désagréable, monsieur le ministre, je vous avouerai d’emblée que j’aurais aimé voir siéger à vos côtés M. le ministre de la culture et de la communication. Certes, je n’ignore pas que le ministère des affaires étrangères et européennes doit être le pilote de cette action, mais je tiens à dire dès le début de mon propos que l’implication du ministère de la culture est nécessaire et doit même être constante.
À cet égard, il ne saurait être question de concertation épisodique.
M. Adrien Gouteyron. J’ajoute le qualificatif « épisodique », M. le rapporteur pour avis a bien parlé de « concertation » et même ce seul terme ne me convient pas.
En revanche, j’ai noté avec satisfaction que les deux commissions proposaient d’instituer un conseil d’orientation stratégique pour l’action culturelle extérieure. Je souhaite que celui-ci soit un instrument efficace, car je ne conçois pas que l’on établisse, en matière de rayonnement de notre culture, une distinction entre l’Hexagone et l’étranger. Si nos artistes sont confiants et soutenus, ils auront, nous le savons, la capacité de se faire entendre, d’être lus, vus et écoutés à l’étranger.
J’en viens maintenant à des propos sans doute plus agréables à votre égard, monsieur le ministre !
M. Adrien Gouteyron. J’ai beaucoup apprécié votre discours, que j’ai trouvé à la fois bienvenu et enthousiaste. Certes, vous êtes dans votre rôle, mais il m’a paru propre à susciter un engouement que l’on ne ressent pas spontanément à la seule lecture de ce projet de loi.
Quoi qu'il en soit, ce texte constitue une première étape, qu’il nous faut franchir. Il est avant tout une armature ; on pourrait même parler de « squelette ». Usant de cette métaphore, je dirai qu’il restera à lui donner de la chair, à le muscler, à l’animer, au sens étymologique du terme, c'est-à-dire lui donner une âme !
L’essentiel, ce sera la capacité d’action du nouvel institut créé, ce sera la coopération effective de l’ensemble du réseau au service d’une politique culturelle, ce sera de sortir d’une vision de pré-carré administratif, de façon que chacun se mette au service d’une politique unique de rayonnement culturel de la France.
Monsieur le ministre, vous le savez, nous avons, je le dis très sincèrement, beaucoup de considération pour nos ambassadeurs. Je le confesse, je les connaissais peu, mais, depuis que je suis chargé du budget de l’action extérieure de l’État, je les fréquente beaucoup. Tous sont distingués, pleins de bonne volonté et capables de conduire leur action. Mais ont-ils toujours le temps de consacrer autant d’énergie qu’il le faudrait à l’action culturelle de notre pays ? J’en suis un peu moins sûr ! Même si certains d’entre eux sont particulièrement brillants et diligents – mais je ne veux pas faire de personnalités ici ! –, on ne peut exiger de tous qu’ils déploient leurs talents dans toutes les directions à la fois.
Ce problème me conduit à vous poser une question, monsieur le ministre, et j’espère ne pas être indiscret. (Sourires.)
Vous avez dit tout à l'heure avoir lancé une enquête sur ce texte par voie de questionnaire auprès de nos postes diplomatiques. Je n’en connais pas le résultat,…
M. Adrien Gouteyron. … mais j’aimerais savoir si nos ambassadeurs ont manifesté un enthousiasme suffisant et à la mesure de vos ambitions pour le développement culturel de notre pays. (M. le ministre fait une moue dubitative.) Je n’insisterai pas…
Vous avez accordé hier à un journal, monsieur le ministre, un entretien tout à fait intéressant, dans lequel vous avez abordé divers sujets – certains tout à fait essentiels ! –, dont le présent projet de loi. Vous avez cité l’institut Goethe, l’institut Cervantes et le British Council. En cela vous avez fort bien fait, mais, vous le savez, la comparaison…
M. Ivan Renar. Tout à fait !
M. Adrien Gouteyron. … mérite d’être précisée, voire singulièrement affinée.
Chaque fois que je vais à l’étranger, je rends toujours visite aux responsables de ces instituts et j’essaie de faire des comparaisons. Je ne souhaite pas que le nouvel institut ait le même degré d’autonomie que ces établissements, car ce n’est pas conforme à notre tradition. Il me semble que notre raison en souffrirait et que notre rayonnement culturel en pâtirait.
Toutefois, il est nécessaire d’aller plus loin que ce texte ne le fait. En effet, il va falloir trouver le moyen d’intégrer le réseau. Je me réjouis de ce qu’une clause de « revoyure » – un terme que je n’aime pas beaucoup, car il ne me paraît pas relever du très bon français, mais que j’emploie parce qu’il est commode ! – soit prévue par les commissions. J’aurais préféré que l’on dise que l’on procède par étapes. Mais, même si l’objectif est le même, telle n’est pas, me semble-t-il, l’intention de MM. les rapporteurs.
Monsieur le ministre, personne ici n’ignore les pesanteurs internes, que vous avez d’ailleurs évoquées très franchement, pas plus que les influences externes qui ont pu, sinon freiner votre enthousiasme, du moins brider votre volonté… Mais il va falloir avancer, et vous allez devoir faire preuve de détermination. Les commissions compétentes, j’en suis sûr, seront vigilantes et, moi-même, à ma mesure et à ma place, je m’efforcerai de l’être aussi.
Je me réjouis des expérimentations locales prévues par les deux rapporteurs, car c’est une très bonne chose.
Mme Catherine Tasca. Oui !
M. Adrien Gouteyron. D’une manière générale, dans une administration aussi monolithique que la nôtre, dans de nombreux ministères, on aurait intérêt à procéder par voie expérimentale. Alors, pourquoi pas dans ce domaine, puisqu’on a tant de mal à avancer globalement ?
Permettez-moi maintenant d’aborder brièvement le rôle des conseillers culturels. J’apporterai une petite touche d’immodestie, en évoquant quelques propos que j’ai tenus, alors que je publiais l’un des nombreux rapports qui ont été cités.
Dans un journal du soir, j’avais expliqué en substance qu’il fallait cesser de confondre la présence culturelle, c'est-à-dire la promotion de la culture française dans un pays ou une ville donné, et le centre culturel, un lieu dont le rayonnement est forcément limité.
À cet égard, je reprendrai volontiers les propos de notre collègue et ami André Trillard : le conseiller culturel doit maintenant être un passeur, qui doit chercher des relais avec les établissements culturels du pays dans lequel il exerce sa mission. C’est même son travail essentiel ! En effet, il ne suffit pas de prévoir la diffusion d’un film dans une salle de trois cents places pour considérer qu’on a servi le rayonnement de la France ! Le rayonnement culturel, aujourd’hui, c’est tout autre chose ! Et tel doit être l’objectif de nos conseillers culturels, monsieur le ministre !
M. Adrien Gouteyron. C’est d’ailleurs un très beau rôle qui leur est confié, quoique très difficile ! Dans votre discours liminaire, vous avez prononcé une phrase qui m’a beaucoup plu : la culture se nourrit de l’échange, elle meurt de la solitude. Eh bien, ne restons pas enfermés dans nos murs, nourrissons-nous de l’échange ! Le rôle des conseillers culturels se situe d’abord et avant tout aujourd'hui à ce niveau.
Cela m’amène à évoquer leur sort, comme d’autres collègues l’ont fait avant moi. Pour ma part, je voudrais insister sur l’importance du choix des femmes et des hommes qui composent le réseau diplomatique.
Certes, c’est d’abord votre affaire, monsieur le ministre, mais il ne faut pas que ce choix relève de la seule compétence de votre administration. Il faudra évidemment y associer le nouvel institut – par là, je vise les deux agences, même si je n’ai traité jusqu’à présent que des questions culturelles ! –, tout comme les autres ministères concernés, surtout si l’on veut favoriser les passerelles, dont a excellemment parlé tout à l'heure notre collègue Pozzo di Borgo, aussi bien avec les autres administrations qu’avec le secteur privé. C’est absolument crucial.
Cela suppose de bien choisir ces conseillers et de leur proposer une carrière intéressante, en leur laissant le temps sur place de développer leur action…
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. … et d’établir les relations nécessaires pour que celle-ci soit efficace. Car, on le sait bien, ce n’est pas ainsi que cela se passe aujourd'hui ; un long chemin reste donc à parcourir.
Enfin, en tant que rapporteur spécial des crédits de l’action extérieure de l’État, il m’est arrivé, au cours des années passées, de défendre le budget du ministère des affaires étrangères en rapportant les crédits tels qu’ils nous avaient été présentés. Il est vrai que ce ministère a connu des diminutions de crédits et des réductions d’effectifs absolument considérables et continues. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici, mais je tiens à le répéter encore, on a maintenant atteint la limite au-delà de laquelle l’essentiel serait touché ! (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.) Mais je sais, monsieur le ministre, que vous me rejoignez sur ce point.
Quoi qu’il en soit, bon vent à ce nouvel institut ! Il dépendra de vous et de vos collaborateurs les plus proches qu’il vive, qu’il vive réellement et ne soit pas une coquille vide ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que reste-t-il aujourd'hui de ces réformes annoncées au cours des années passées, suivies, en écho, de coupes budgétaires, et de ces discours tonitruants sur le rayonnement culturel de la France, qui couvraient mal le grincement des portes des centres culturels qu’on fermait ?
Après ces quarante ans d’évolution continue, quel message d’espoir adressez-vous aux agents de la diplomatie culturelle à l’étranger, aux francophiles du monde ? Quels moyens mettrez-vous en œuvre pour relever la place de la France dans l’expertise internationale et dans la formation supérieure des futures élites du monde ?
La réponse, c’est, d’une part, votre discours enflammé, et, d’autre part, ce projet de loi, dont le souffle et l’ambition évoquent celui de la notice technique du dernier smartphone.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais non, monsieur le ministre ! Simplement, rejoignant le point de vue de mon collègue Adrien Gouteyron, je constate qu’il existe un écart effroyable entre ce que vous avez dit et les dispositions contenues dans ce texte.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Si nous avions trouvé dans ce texte ce que vous avez annoncé, nous l’aurions voté les yeux fermés !
Certes, j’exagère un peu, monsieur le ministre, mais je sais que notre déception est aussi un peu la vôtre : ce n’est pas de ce meccano juridico-institutionnel que vous rêviez quand vous avez annoncé, il y a un an, vos projets de relance de l’action culturelle extérieure de la France !
Le premier différend entre nous porte sur l’importance accordée aux opérateurs extérieurs. Pour notre part, nous n’approuvons pas que le Gouvernement auquel vous appartenez veuille déléguer la plus grande part possible de son action à des opérateurs extérieurs, tout en s’apercevant simultanément qu’ils échappent par trop à la toise de la RGPP et tout simplement au contrôle de l’État, lequel n’a jamais été efficace dans le pilotage stratégique.
Or, pour l’action culturelle extérieure, c’est vraiment le pilotage qui manque le plus cruellement, que le travail soit fait directement par l’administration ou via des opérateurs.
Ce qui manque depuis que notre diplomatie culturelle périclite, monsieur le ministre, c’est un général qui, comme sur le champ de bataille, indique le sens de la marche aux fantassins, désigne la position à prendre et s’assure que ses soldats ont à la fois des vivres et des munitions.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. C’est vrai !