M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la littérature du Sénat sur le thème de l’action culturelle extérieure a été prolifique. Elle est surtout très ancienne. Voilà presque dix ans, notre collègue Yves Dauge, alors député, tirait la sonnette d’alarme sur la situation de notre réseau d’instituts et de centres culturels à l’étranger. Ses propos, parce que justes, avaient fait l’effet d’une bombe médiatique amplifiée par la célèbre émission culturelle de l’époque Apostrophes.
Depuis, plusieurs rapports d’information et avis budgétaires se sont succédé pour réclamer haut et fort un sursaut de notre diplomatie culturelle, aussi bien en termes de stratégie qu’en termes budgétaires. Je suis moi-même l’auteur d’un rapport d’information sur la diplomatie d’influence française, présenté en 2004, au nom de la commission des affaires culturelles.
Car notre politique culturelle extérieure n’a été, longtemps, portée par aucune véritable stratégie. Privée d’une cohérence d’ensemble, elle fait tout naturellement l’objet de coupes budgétaires de plus en plus systématiques. Orphelin de projet, orphelin de moyens, notre réseau culturel à l’étranger est ainsi en proie à une démobilisation préoccupante. Entretenir l’image de la France à l’étranger, une image dont l’effet de levier est, du reste, considérable, cela a un prix. En refusant de le payer, on hypothèque gravement notre capacité d’influence et d’attractivité, avec des répercussions bien plus douloureuses qu’on n’ose l’imaginer.
On en revient toujours au même paradoxe. La France a inventé le concept de diplomatie culturelle dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Et pourtant, aujourd’hui, nous apparaissons complètement dépassés par l’activisme intense déployé par nos concurrents qui multiplient à l’étranger les British Councils, les instituts Goethe, les instituts Cervantes ou encore les instituts Confucius. Nous disposons pourtant d’un potentiel énorme : un capital de sympathie à l’étranger alimenté par un très fort désir de France, le réseau culturel le plus dense au monde, des personnels culturels compétents et passionnés. Alors pourquoi sommes-nous dépassés, que nous manque-t-il ? Il nous manque, tout simplement, une stratégie claire et les moyens de la mettre en œuvre !
Vous comprendrez donc que ce projet de loi, nous l’attendions avec une très forte impatience, monsieur le ministre. En février 2007, le Sénat adoptait déjà à l’unanimité une proposition de loi, dont j’étais l’auteur, qui visait à transformer CulturesFrance en établissement public à caractère industriel et commercial, EPIC, et à mieux articuler ses liens avec le réseau culturel. Aujourd’hui se présente à nous une nouvelle chance qu’il faut saisir de toute urgence.
Faisons de ce projet de loi un texte à la hauteur de nos espérances. Je salue, à ce propos, l’esprit de concertation qui a présidé à l’élaboration du texte de la commission des affaires étrangères. Je veux remercier mon collègue rapporteur Joseph Kergueris et les présidents Legendre et de Rohan pour leurs positions courageuses et leur détermination. Nos deux commissions ont conduit ensemble une longue série d’auditions. Elles ont ainsi pu présenter des amendements identiques, inspirés de leur rapport d’information commun adopté à l’unanimité.
Ce que nous voulons, c’est une stratégie clairement identifiable dans le projet de loi. Cette stratégie est la suivante : notre diplomatie d’influence doit reposer sur des opérateurs au pilotage stratégique clairement identifié et aux périmètres d’intervention bien dessinés. Ils doivent disposer d’une gouvernance à la fois réactive et participative. Leurs liens avec le réseau culturel doivent être clairement établis. C’est avec cette stratégie à l’esprit que nous entendons compléter substantiellement le projet de loi.
Un pilotage stratégique effectif suppose de responsabiliser les opérateurs vis-à-vis de leurs tutelles respectives. Nous avons donc souhaité consacrer le principe de la conclusion systématique d’un contrat d’objectifs et de moyens entre les agences et l’État.
Le pilotage stratégique suppose également de bien identifier la tutelle, un « chef de file », une « tête de pont ». S’agissant de l’agence culturelle, il nous a semblé que le Quai d’Orsay avait tout naturellement vocation à exercer cette tutelle. Le principe d’une tutelle unique, garantie d’un pilotage effectif, n’exclut pas pour autant une concertation interministérielle préalable dans l’élaboration de leurs orientations stratégiques.
En conséquence, nous avons précisé que le Quai d’Orsay devra les définir conjointement avec le ministère de la culture dans le cas de l’agence culturelle, et avec le ministère de l’enseignement supérieur dans le cas de l’agence de la mobilité.
Une autre dimension à imprimer au pilotage de ces opérateurs est leur dimension participative et fédérative. Autant que faire se peut, tous les acteurs concernés, aussi bien publics que privés, doivent être associés au fonctionnement de ces agences. C’est pourquoi nous avons tenu à préciser que seront placés auprès de ces opérateurs des conseils d’orientation stratégique qui leur seront potentiellement ouverts.
Conformément au rapport d’information conjoint des deux commissions, nous avons également précisé les périmètres d’intervention respectifs de ces deux agences. Elles ont vocation à se concentrer sur deux cœurs de métiers spécifiques qui feront appel à des compétences spécialisées.
S’agissant de la gouvernance, la commission de la culture a fait adopter un amendement tendant à augmenter le nombre de parlementaires présents au conseil d’administration de ces agences afin de garantir la représentativité des différentes commissions concernées.
Enfin, le souci principal de nos deux commissions a été de clarifier les liens entre ces deux agences avec le réseau culturel à l’étranger, en d’autres termes, de préparer le terrain au rattachement du réseau à l’agence culturelle.
Le principe de ce rattachement a été clairement acté, à l’unanimité, par nos deux commissions. Nous militons de longue date en faveur d’un réseau culturel organiquement lié à une agence culturelle digne de ce nom.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Tout à fait !
M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis. Le Sénat n’a donc pas l’intention de revenir sur ce principe.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Très bien !
M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis. En conséquence, nous avons adopté des dispositions permettant la mise en œuvre de ce rattachement, en s’inspirant du précédent d’Ubifrance.
Les trois prochaines années doivent servir au renforcement des liens entre l’agence culturelle et le réseau culturel, le cas échéant en ayant recours à des expérimentations. Cela suppose également de lui conférer une responsabilité éminente dans la formation, le recrutement, l’affectation et la gestion des carrières de nos personnels culturels à l’étranger, ce que nous avons fait, étant entendu que toute évolution structurelle ne peut être possible sans l’adhésion des personnels concernés. (M. le ministre fait un signe d’approbation.)
Tous les éléments sont donc aujourd’hui réunis pour préparer aussi bien l’agence que le réseau à ce rattachement. Nous ferons ensemble le point sur ce sujet dans trois ans avant de procéder au transfert total du réseau culturel à l’agence.
Mes chers collègues, le texte établi par la commission des affaires étrangères me laisse espérer. La commission de la culture a émis un avis favorable sur ce texte, car elle considère qu’il permet de donner un nouveau souffle à notre réseau culturel. Certes, la mise en œuvre demandera de la pédagogie et, surtout, des moyens substantiels. Mais, en adoptant dès aujourd’hui ce projet de loi, nous adresserons un signal fort au réseau culturel, comme au Gouvernement, pour leur signifier notre détermination à voir les paroles suivies d’effets concrets. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de notre action culturelle et de coopération à l’étranger ne constitue pas un sujet nouveau pour notre assemblée.
Depuis déjà de nombreuses années, le Parlement, le Sénat en particulier, appelle de ses vœux une réforme de notre diplomatie culturelle.
De nombreux rapports ont été consacrés à ce sujet par le passé, comme ceux de nos collègues Louis Duvernois, Adrien Gouteyron ou Yves Dauge.
Sur l’initiative de notre collègue Louis Duvernois, une proposition de loi avait même été adoptée à l’unanimité par le Sénat en 2007.
Le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, auquel nos collègues Jean François-Poncet et Catherine Tasca ont contribué, a également traité de ce sujet.
Enfin, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication de notre assemblée ont beaucoup travaillé à la réforme de notre diplomatie culturelle.
Nous avons ainsi procédé l’année dernière à une série d’auditions conjointes portant sur l’action culturelle de la France à l’étranger.
Afin d’avoir une vue comparative, nous avons également entendu des représentants du British Council et du Goethe Institut.
À l’issue de ces auditions, nous avons publié un rapport d’information contenant dix recommandations, qui ont été adoptées à l’unanimité par les membres de nos deux commissions.
Je tiens à cet égard à saluer, à mon tour, la très bonne entente qui existe entre nos deux commissions, en particulier avec le président Jacques Legendre et le rapporteur pour avis Louis Duvernois, entente qui nous a permis d’aboutir à des positions identiques ou très proches.
Je veux également remercier le ministre, les membres de son cabinet et ses services pour leur grande disponibilité et leur volonté constante d’associer étroitement les parlementaires à cette réforme.
Je rappelle, en effet, que des membres de nos deux commissions, tant de la majorité que de l’opposition, ont participé aux travaux du comité de préfiguration de la nouvelle agence chargée de l’action culturelle extérieure.
Il faut saluer la volonté de M. le ministre et lui donner acte de sa fermeté à engager cette réforme attendue depuis longtemps mais qui, c’est vrai, rencontre certaines résistances.
Le projet de loi, qui a été présenté en premier lieu au Sénat, répond à une forte attente.
Avec le réseau culturel le plus dense et le plus étendu au monde, la France a fait depuis longtemps de la promotion de sa culture et de sa langue hors de ses frontières un élément essentiel de sa diplomatie.
Faut-il rappeler que l’adoption d’une convention consacrée à la diversité culturelle par l’UNESCO en 2005 doit beaucoup à notre pays, avec l’appui de la francophonie ?
Toutefois, notre diplomatie culturelle traverse une crise, dans un contexte marqué par la mondialisation et par de fortes contraintes budgétaires.
Alors que les autres pays renforcent les moyens consacrés à leur diplomatie d’influence, à l’image du Royaume-Uni avec le British Council, de l’Allemagne avec les instituts Goethe, de l’Espagne avec les instituts Cervantes, mais aussi de la Chine avec les instituts Confucius – autant de nom d’écrivains… –, au moment où la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a fait de la diplomatie dite de l’intelligence, ou smart power, une priorité de sa politique étrangère, la France doit rester fidèle à ce qui fait sa vocation universelle.
C’est dans cet esprit, et à l’aune des recommandations adoptées à l’unanimité par les membres des deux commissions, que la commission des affaires étrangères et la commission de la culture ont examiné ce projet de loi.
Et c’est dans le droit fil de ces recommandations que, sur l’initiative de leurs deux rapporteurs, nos collègues Joseph Kergueris et Louis Duvernois, elles ont souhaité apporter plusieurs compléments pour conforter la réforme de notre diplomatie d’influence.
Je tiens d’ailleurs à rendre hommage ici au travail effectué par nos deux rapporteurs et à l’esprit de concertation qui a présidé à nos travaux, tant avec nos collègues de la commission de la culture qu’avec les membres de l’opposition, dont plusieurs amendements ont été intégrés au texte présenté par la commission.
Quelles ont été les principales modifications apportées par nos deux commissions ?
Tout d’abord, nous avons estimé indispensable, et conforme aux recommandations issues du rapport d’information, de placer les deux nouvelles agences sous une tutelle unique clairement identifiée.
Comme on le sait, une tutelle partagée entre plusieurs ministères aboutit le plus souvent à une absence de tutelle et à un défaut de pilotage de l’État.
Et, compte tenu de l’importance de la dimension culturelle ou éducative pour notre diplomatie, il nous a semblé nécessaire que cette tutelle soit confiée au ministre des affaires étrangères et européennes.
Cela ne veut pas dire pour autant que les autres ministères, comme celui de la culture ou de l’enseignement supérieur, ne doivent pas être étroitement associés à la définition des priorités de notre action culturelle.
C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité instituer un conseil d’orientation stratégique de l’action culturelle extérieure, au sein duquel tous les ministères concernés pourront exprimer leur point de vue et élaborer conjointement les priorités assignées à notre action culturelle à l’étranger.
Il nous a également paru nécessaire d’associer étroitement les collectivités territoriales, les établissements d’enseignement supérieur, ainsi que d’autres organismes, comme les Alliances françaises, notamment au moyen d’instances consultatives.
Enfin, il nous a semblé utile de prévoir dans la loi la dénomination de ces deux nouvelles agences afin de leur conférer une plus grande visibilité.
Nous avons donc choisi d’appeler la nouvelle agence issue de la fusion de CampusFrance, d’Égide et de France coopération internationale « Agence française pour l’expertise et la mobilité internationales » et de remplacer le nom de « CulturesFrance » par celui d’« Institut Victor Hugo ».
Je sais que certains auraient préféré la dénomination d’« Institut français » – le nom « Institut de France » étant, lui, déjà pris…(Sourires) –, mais il nous a semblé que Victor Hugo était représentatif des valeurs universelles portées par la France. N’a-t-il pas dit : « En art point de frontière. » ?
La question la plus délicate a porté sur le rattachement ou non du réseau des centres et instituts culturels à l’agence chargée de la coopération culturelle.
Comme vous le savez, mes chers collègues, nos deux commissions s’étaient prononcées à l’unanimité en faveur de ce rattachement.
Cependant, compte tenu des nombreuses difficultés juridiques et administratives soulevées par ce rattachement, notamment en matière de statut des personnels, de fiscalité ou de protection diplomatique, et de son coût budgétaire, évalué entre 20 millions et 50 millions d’euros, nous avons toujours estimé que ce rattachement ne pouvait se faire que de manière progressive, à l’image du précédent d’UbiFrance.
Je rappelle que ce sont près de 130 établissements culturels et plus de 6 000 agents qui seraient concernés, soit le tiers des effectifs du ministère des affaires étrangères.
C’est la raison pour laquelle nous avons pris acte de votre décision, monsieur le ministre, de reporter à trois ans votre décision sur ce rattachement.
Toutefois, sur l’initiative de nos deux rapporteurs, nos commissions ont souhaité inscrire cet engagement dans la loi, en prévoyant une « clause de rendez-vous » : au plus tard trois ans après l’entrée en vigueur de la loi, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport comprenant une évaluation des modalités et des conséquences de ce rattachement.
Dans l’intervalle, des expérimentations seront menées. Ainsi, nous serons en mesure de nous prononcer en toute connaissance de cause sur le rattachement.
Surtout, nous avons estimé indispensable d’établir dès à présent un lien renforcé entre l’agence et le réseau culturel à l’étranger.
Comme nous l’avions souligné dans le rapport d’information conjoint, la gestion des ressources humaines constitue sans doute le « point noir » de notre réseau culturel à l’étranger.
Les personnels appelés à diriger les centres culturels ne se voient proposer qu’une formation de cinq jours. À titre d’exemple, la formation initiale est de six mois en Allemagne.
La durée d’immersion dans un pays est relativement courte, de l’ordre de trois années, alors qu’elle est de cinq ans pour le British Council et pour l’Institut Goethe.
Enfin, l’Allemagne et le Royaume-Uni offrent de bien meilleures perspectives de carrière aux agents de leur réseau culturel à l’étranger que la France.
Afin de remédier à cette situation, nous avons souhaité associer l’agence à la politique de gestion des ressources humaines des agents du réseau culturel.
Ainsi, l’agence sera associée à la politique de recrutement, d’affectation et de gestion des carrières de ces personnels.
Elle assurera de nouvelles missions en matière de formation professionnelle des agents du réseau.
Je sais que le rattachement à l’agence du réseau culturel a pu susciter des craintes chez certains ambassadeurs. Je veux être très clair sur ce point : autant il ne saurait y avoir de diplomatie française sans une forte composante culturelle, autant une action culturelle à l’étranger coupée de notre diplomatie ne serait pas acceptable pour notre commission.
Qui peut sérieusement envisager une action culturelle autonome qui ne tiendrait pas compte de nos priorités diplomatiques ou géographiques ?
Peut-on réellement penser que l’on mène la même politique culturelle aux États-Unis, en Afrique ou au Moyen-Orient ?
De même que le ministère des affaires étrangères doit jouer un rôle de direction de notre diplomatie culturelle à Paris, nos ambassadeurs doivent jouer un rôle de « chef de file » sur le terrain.
C’est la raison pour laquelle je me félicite que notre commission ait souhaité affirmer dans le texte de loi l’autorité de l’ambassadeur sur l’ensemble des services extérieurs de l’État.
En tant que représentant de l’État et du Gouvernement, l’ambassadeur, à l’image du préfet au niveau local, doit pouvoir exercer une réelle autorité sur l’ensemble des services de l’État.
Je m’étonne d’ailleurs, monsieur le ministre, d’un amendement du gouvernement visant à soustraire l’Agence française de développement de la nouvelle catégorie d’établissements publics et donc de cette disposition.
Mme Catherine Tasca. Très juste !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Pourquoi faudrait-il que l’Agence française de développement soit le seul établissement public à échapper à l’étranger à l’autorité de l’ambassadeur ?
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Exactement !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Est-ce que, oui ou non, l’aide au développement est, comme la culture, une composante essentielle de notre diplomatie ? Avant de me prononcer sur cet amendement, je souhaiterais, monsieur le ministre, avoir des éclaircissements sur ce point.
Pour conclure, face à ceux qui se lamentent sur le déclin supposé de la France et sur la diminution de notre influence culturelle et linguistique dans le monde, face à ces « déclinologues » de profession, je veux dire ici qu’il existe encore une forte attente de France à l’étranger.
Oui, notre pays a encore un message à adresser au reste du monde et sa voix porte loin hors de nos frontières, comme nous l’avons vu récemment en Haïti.
Oui, la France dispose encore d’importants atouts et reste une référence à l’étranger en matière culturelle ou linguistique !
Oui, la diplomatie culturelle et notre politique de coopération éducative, linguistique et technique sont des composantes essentielles de notre diplomatie ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le déclin de la culture française et de l’influence de notre pays dans le monde est, depuis quelques années, un thème récurrent, voire, pour certains, un lieu commun.
Cette idée reçue avait été lancée dans un article ironique et mal intentionné de l’édition européenne de Time Magazine, dans le contexte de la prise de position hostile de notre pays à propos de la guerre menée par les États-Unis en Irak. Il est bon de le rappeler.
Cela étant, il faut bien admettre qu’il peut y avoir un fond de vérité, qu’un problème existe et qu’il faut tenter d’y remédier.
Face aux défis que nous impose la globalisation et face aux enjeux de la place de la France dans le monde, on peut réellement se demander si le Président de la République et son gouvernement ont encore les moyens, sinon la volonté, de promouvoir l’influence, la culture, la langue et, ajouterai-je, les valeurs de notre pays.
Mais, pour l’action culturelle de la France dans le monde comme pour l’ensemble de notre politique étrangère, n’est-on pas en droit de considérer que votre action, monsieur le ministre, est étiolée du fait de la confiscation de la moindre « parcelle diplomatique » par le Président de la République, le secrétaire général et les services de l’Élysée ?
Monsieur le ministre, dans le projet de loi que vous nous présentez, vous affichez l’ambition de proposer une réforme des structures de l’action culturelle et de la coopération technique, ce qu’il est convenu d’appeler la « diplomatie d’influence ».
Je dis bien que vous « affichez » cette ambition, car je pense que votre méthode et les moyens que vous y consacrez ne sont pas à la hauteur des enjeux.
À la suite des réflexions exposées dans le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, qui date maintenant de quelques années, nous pouvions espérer que, sur ce volet de l’action culturelle et de coopération technique, vous alliez prendre appui sur une véritable refondation de l’action de l’État dans ces domaines.
Or on ne trouve pas dans votre texte la volonté de donner un nouveau souffle à notre diplomatie d’influence, alors que son adaptation à la mondialisation est plus nécessaire que jamais.
La commission des affaires étrangères et la commission de la culture ont bien tenté de préciser les missions et le périmètre de la future agence chargée de l’action culturelle à l’étranger, d’apporter des éclaircissements et des garanties sur certains de ses aspects ; le compte n’y est toujours pas et le décalage reste trop grand entre les objectifs que vous prétendez vouloir atteindre et les moyens que vous vous donnez.
Cette réforme, pourtant annoncée depuis longtemps, a été maintes fois reportée. Avant que l’on aboutisse à ce texte, elle a d’abord été esquissée de façon expérimentale et par petits bouts, au gré des restrictions budgétaires, et sans aucune vision stratégique.
Les principales mesures qui nous sont proposées aujourd’hui consistent à transférer la mise en œuvre des actions culturelles et de coopération internationale du ministère des affaires étrangères et européennes à deux nouveaux opérateurs ayant le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial.
Certes, notre action culturelle à l’étranger manque de lisibilité. Il fallait mettre un terme à cette dispersion des moyens et donner une cohérence à toutes ces entités aux acteurs et aux statuts divers que sont les services culturels des ambassades, les instituts français, les centres culturels, les alliances françaises.
La transformation de l’association CulturesFrance en établissement public à caractère industriel et commercial pourrait apparaître comme une bonne chose. Mais je crains malheureusement que votre souci de rationaliser les actions de l’État dans ces domaines ne se heurte rapidement aux dures exigences de la révision générale des politiques publiques et des restrictions budgétaires.
En effet, comme l’avait très pertinemment souligné l’excellent rapport de nos deux commissions consacré au rayonnement culturel international, les crédits consacrés au programme « Rayonnement culturel et scientifique » de la mission « Action extérieure de l’État » ne cessent de diminuer : ils ont baissé de 10 % entre 2005 et 2008, de 13 % en 2009 et de 11 % en 2010.
Cette contrainte budgétaire et cette nécessité de rationaliser vous ont déjà amenés à opérer des coupes sévères dans nos établissements à l’étranger.
La moitié des centres culturels ont été fermés en Allemagne, et il semblerait que leurs équivalents en Italie soient menacés. On observe la même tendance en Inde, en Grèce ou en Afrique francophone.
Il me semble que l’un des « non-dits » de votre réforme réside dans le fait de réaliser des économies, dans ce secteur comme dans les autres, et de permettre à l’État de se désengager financièrement d’une partie de ses activités diplomatiques.
Le choix du statut d’établissement public à caractère industriel et commercial pour l’opérateur culturel me paraît ainsi propre à justifier ce désengagement.
Il serait apparemment motivé par la recherche d’une certaine souplesse de gestion pour faire fonctionner ce type d’activité. Mais un tel statut implique une logique de réduction du financement de l’État avec l’obligation pour ces établissements de retirer une part significative de leurs ressources du produit de leurs propres prestations.
De la sorte, les risques d’un désengagement de la puissance publique et de l’introduction progressive d’intérêts marchands privés, par le biais des financements recherchés, sont bien réels.
La responsabilité de l’État dans le financement de ces opérateurs qui, je le rappelle, devront toujours assumer des missions de service public, sera amoindrie avec un établissement public de ce type ; on sait en effet que, selon le vieil adage, « qui paie, commande ».
Au lieu d’augmenter l’effort de l’État dans ce secteur, vous accompagnez un mouvement qui aboutit à l’obligation pour nos établissements culturels d’avoir une part d’autofinancement de 55 %.
Plus généralement, une grande partie des personnels de votre ministère ont manifesté quelques inquiétudes sur ce volet du projet de réforme.
Les agents des opérateurs culturels, en France comme à l’étranger, redoutent en particulier que les propositions de réemploi qui leur seront faites ne correspondent ni à leur activité actuelle ni à la définition de leur poste de travail.
Ils expriment des doutes quant au délai qui leur sera proposé pour refuser ou accepter un nouveau contrat, alors que, dans le même temps, la convention nationale applicable devra faire l’objet d’un accord ou être applicable quinze mois après le transfert des agents.
Les contrats de travail étant liés à la convention nationale applicable, n’aurait-t-il pas été préférable de négocier avec les organisations syndicales une harmonisation à quinze mois des délais d’acceptation ou de refus des nouveaux contrats par les agents ?
Enfin, les salariés estiment, à juste titre, que la représentation des partenaires sociaux dans les conseils d’administration des nouveaux opérateurs sera trop réduite pour faire valoir utilement les intérêts des personnels. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement afin de rétablir un équilibre sur ce point.
Tous ces éléments me confortent dans l’idée que le statut d’établissement public à caractère administratif aurait été préférable pour garantir la prééminence de la puissance publique dans le financement et dans le pilotage de la politique culturelle extérieure de notre pays.
Un tel statut offrirait également plus de garanties pour les personnels. S’il était inscrit dans la loi que la gestion des personnels et des établissements, aux statuts divers, était assurée par un établissement public à caractère administratif, la volonté de maintenir cette activité dans le domaine régalien serait plus nettement affirmée.
En outre, ce statut juridique assurerait fermement le maintien de l’influence prépondérante de l’État lors du nécessaire rattachement du réseau culturel à l’agence. En effet, par souci de cohérence et d’efficacité, tout le monde convient qu’il faudra, à terme, transférer la gestion de notre réseau culturel à l’étranger à la future agence chargée de la coopération culturelle. Il serait en effet peu pertinent d’avoir une agence parisienne totalement coupée des réalités du terrain, c’est-à-dire d’environ 130 établissements culturels à autonomie financière et de 6 000 agents.
De ce point de vue, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a précisé le lien qui doit rattacher l’agence au réseau en prévoyant que celle-ci serait associée à la politique de recrutement, d’affectation et de gestion de carrière des agents et qu’elle assurerait la formation professionnelle de ces derniers.
C’est une avancée importante que j’apprécie à sa juste valeur. Mais, pour éviter que ce rattachement ne soit renvoyé aux calendes grecques, il aurait été là aussi préférable d’inscrire clairement dans la loi une date butoir qui n’allonge pas excessivement le temps des expérimentations et des évaluations.
La précision ainsi apportée engagerait l’État plus fortement que la simple mention d’un rapport au Parlement sur la diplomatie d’influence et sur les modalités de ce rattachement.
J’ai essentiellement axé mon propos sur la création du nouvel opérateur de la diplomatie culturelle française, qui me paraît être le point le plus central de la réforme envisagée.
Concernant l’autre volet, celui qui met en place l’agence pour l’expertise et la mobilité internationales, dont l’importance est évidemment loin d’être négligeable au sein de notre diplomatie d’influence, je ne critiquerai pas le statut juridique que vous avez souhaité donner à cet opérateur.
Ce statut me semble en effet pouvoir être suffisamment souple et efficace pour que la France reprenne pied dans le domaine de l’expertise et de la coopération internationales, mais aussi pour fédérer les efforts des différents opérateurs publics ou privés de ce secteur.
Malheureusement, monsieur le ministre, ce deuxième objectif ne peut compenser les critiques que j’ai formulées précédemment sur les aspects fondamentaux du projet de loi.
Enfin, je voudrais aborder un aspect du texte qui, de prime abord, pouvait sembler de bonne logique, mais qui, à la lumière d’événements récents, me paraît devoir être éclairci.
Il s’agit du remboursement des frais engagés par l’État à l’occasion d’opérations de secours à l’étranger.
Le texte vise à donner une base juridique à ces remboursements, mais les dispositions proposées sont trop générales pour pouvoir correspondre à toute la diversité de situations souvent délicates et dramatiques.
Concrètement, avec l’article 14 de ce projet de loi, les journalistes français actuellement retenus en otage en Afghanistan, pourraient se voir réclamer à eux-mêmes ou à France Télévisions, le remboursement d’une partie des frais engagés pour leur libération.
J’envisage ce cas de figure car, récemment, les plus hautes autorités de l’État, qu’il s’agisse du Président de la République, du secrétaire général de l’Élysée, ou encore du chef d’état-major des armées, ont vivement critiqué ce qui leur semblait être une attitude irresponsable et ont insisté sur le coût des opérations de recherche. Un tel discours a créé un climat qui, avec les dispositions que vous envisagez, risquerait d’apparaître tout simplement régressif aux yeux de la presse.
Monsieur le ministre, contrairement à ce qu’a écrit un laudateur de votre projet dans l’édition du week-end du journal Le Monde, tout émoustillé de votre engagement, cette réforme n’est malheureusement ni audacieuse ni révolutionnaire.
Nous voyons bien qu’après une longue et laborieuse mise en œuvre, le souffle lui fera totalement défaut du fait d’une insuffisance patente de moyens.
Au total, le manque d’ambition réelle de votre projet de loi pour répondre aux défis posés par la mondialisation, les risques de désengagement de l’État induits par le choix de l’EPIC pour l’opérateur culturel, les légitimes inquiétudes des personnels du ministère et, enfin, l’avenir incertain des financements alloués par l’État, justifient amplement que le groupe communiste républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche vote contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.