M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, vous avez salué le compromis fondateur de la loi de 1898. Il fait partie de ces lois radicales qui sont le socle du droit du travail et du droit syndical, des lois qui savaient durer parce qu’elles étaient à la fois novatrices, justes et bien faites.
Les temps ont changé ; nous ne sommes plus au pouvoir ! (Sourires.)
Par l’article 85 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, la majorité entend remédier à des différences de régime fiscal. En revanche, elle n’a pas remédié aux différences de régime de réparation mais a, curieusement, évoqué une réhabilitation du travail.
En fait, cet article 85 est assez provocateur !
Après de longs débats au moment de son examen, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, nous voici à nouveau réunis pour discuter d’une mesure adoptée au nom d’une prétendue équité et visant à corriger, selon les propres mots de Jean-François Copé, une « anomalie fiscale ».
Or, fiscaliser les indemnités journalières pour accident du travail, ce n’est pas corriger une anomalie fiscale !
Permettez-moi donc, madame la secrétaire d'État, de ne pas partager votre point de vue.
À l’époque, le ministre du budget avait justifié la fiscalisation des indemnités journalières d’accident du travail par la nécessité d’aligner leur régime sur celui de l’ensemble des indemnités, notamment celles qui sont versées en cas de maladie ou de maternité.
C’était oublier que les indemnités journalières acquittées en raison d’un accident du travail sont non pas seulement de simples revenus de remplacement, mais également la réparation d’un préjudice subi.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jacques Mézard. Selon nous, la fiscalisation des indemnités journalières perçues par les victimes d’accidents du travail, même en tenant compte de l’atténuation intervenue, remet en cause le compromis fondateur de 1898 que vous avez rappelé.
Jusqu’à cette date, le salarié devait établir la faute de l’employeur et était ainsi renvoyé au droit commun de la responsabilité, qui suppose la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité.
La loi de 1898 fut donc un réel progrès pour toutes les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, elle qui a facilité la reconnaissance d’un accident de travail à partir du moment où il s’est produit sur le lieu de travail, puis sur le trajet.
En revanche, cela a été rappelé à bon droit, les victimes n’étaient pas intégralement indemnisées de leurs préjudices. L’exonération des indemnités journalières avait été précisément adoptée pour compenser cette indemnisation limitée et le refus d’indemniser les autres préjudices.
Il s’agissait, pour les parlementaires attentifs de l’époque, à la fois d’une mesure de compensation sociale, mais également d’une reconnaissance de la nation envers des travailleurs qui avait perdu leur santé en contribuant à la production de la richesse du pays.
Aujourd'hui, une nouvelle mesure, pour le moins provocatrice et originale, a été adoptée, bien qu’elle n’ait été ni souhaitée ni voulue par les partenaires sociaux. Si vous entendiez la maintenir, il faudrait, au nom de l’équité, modifier le régime actuel d’indemnisation des victimes d’accidents du travail.
Doit-on le supprimer et renvoyer salariés et employeurs devant le juge civil ou réformer le système afin que le préjudice subi soit intégralement réparé ? Car, de toutes les victimes d’un préjudice corporel, les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles sont souvent les moins bien indemnisées. Madame la secrétaire d'État, tous les praticiens le savent, c’est particulièrement vrai pour les accidents de trajet.
Il ne faut pas oublier qu’il s’agit bien de « victimes » d’un dommage, souvent causé – souvent, mais pas toujours - par la faute de l’employeur, qui touche principalement les personnes exerçant une profession manuelle soumise à des risques plus importants.
Plus leur travail est pénible, plus leur emploi est précaire et plus les salariés subissent des conditions de travail augmentant le risque d’accident. Rappelons qu’en 2008 le nombre d’accidents du travail s’est élevé en France à plus de 700 000 et le nombre de décès à 569.
Le président du Conseil économique, social et environnemental, Jacques Dermagne, a rappelé qu’il était injuste de stigmatiser, par une mesure spécifique, les victimes d’accidents du travail. On peut toujours prendre de mauvais exemples pour essayer de faire passer une réforme, mais, oui, il est injuste de stigmatiser celles et ceux qui, je le répète, sont avant tout des victimes.
Les indemnités que ces victimes perçoivent à ce titre ne doivent pas relever d’un traitement fiscal différent de celui des autres indemnités, par exemple celles qui sont obtenues à l’occasion d’un accident de la circulation.
Remettre en cause ces principes fondateurs ne nous semble ni acceptable ni décent, même si, bien évidemment, nous ne sommes pas opposés à des modifications qui seraient justifiées par les évolutions de la société.
La fiscalisation des indemnités journalières du travail devrait rapporter 135 millions d’euros. D’autres solutions financières auraient pu être trouvées. Je le rappelle, le Parlement a récemment voté – même si notre groupe s’est prononcé contre – la suppression de la taxe professionnelle, ce qui devrait permettre aux grandes entreprises d’économiser 10 milliards d’euros.
M. Guy Fischer. Précisément 11,7 milliards d’euros !
M. Jacques Mézard. Quant aux exonérations des plus-values de cessions de filiales, elles représentent une niche fiscale d’environ 20 millions d’euros sur deux années. Et je pourrais citer bien d’autres exemples.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jacques Mézard. Si nous partageons la philosophie de la proposition de loi, je souhaiterais dire à ses auteurs que nous ne sommes cependant pas tout à fait convaincus par l’article 6.
Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2009, j’avais déposé, avec plusieurs de mes collègues, un amendement tendant à supprimer la mesure injuste de l’article 85. Aujourd’hui, la majorité des sénateurs du groupe RDSE ne peut qu’apporter son soutien à la suppression de la fiscalisation des indemnités versées aux victimes d’accidents du travail. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.
Mme Sylvie Desmarescaux. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour discuter d’une proposition de loi ô combien sensible, puisque son principal objectif est de revenir sur la fiscalisation des indemnités journalières versées aux victimes d’accidents du travail, récemment votée.
Depuis la loi de finances pour 2010, qui a instauré l’imposition de ces indemnités, on entend tout et on lit n’importe quoi sur le sujet. Au risque d’être triviale, je pourrais même dire que l’on nous tire dessus à boulets rouges !
M. Guy Fischer. Nous adorons le rouge ! (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Sylvie Desmarescaux. Mon cher collègue, je ne vous ai pas interrompu, veuillez me laisser parler.
Je suis bien consciente du fait que ce que je vais vous dire, tout le monde le sait, mais beaucoup ne veulent pas l’entendre et font de l’obstruction, quand ils ne répandent pas de fausses informations.
Je n’hésiterai cependant pas à qualifier la disposition qui a été votée de courageuse, et je suis persuadée qu’elle sera facteur d’équité. Il s’agit bien, même si certains le contestent, d’une mesure de justice sociale. En effet, ces indemnités remplacent les revenus du travail ; or tout revenu de substitution doit être fiscalisé comme les ressources tirées du travail qu’il remplace.
Pourquoi devrions-nous faire une différence avec les indemnités journalières que perçoivent les personnes en arrêt de maladie ou en congé de maternité ?
Dans ces trois circonstances – accidents du travail, maladie, maternité –, les bénéficiaires se trouvent dans l’incapacité d’exercer leur activité professionnelle et perçoivent donc tous un revenu de remplacement de la part de la sécurité sociale. Ils doivent donc tous être traités de façon équitable.
Cette équité trouve sa traduction dans les modalités de la taxation, telles qu’elles résultent de l’amendement de Philippe Marini, qui retient comme base d’imposition 50 % de l’indemnité journalière pour accident du travail.
Dans ces conditions, il faut reconnaître que les salariés qui perçoivent des bas salaires ne seront pas pénalisés puisqu’ils sont déjà, le plus souvent, non imposables sur le revenu.
Il faut également arrêter l’ « intox » et cesser d’entretenir la confusion ! J’en veux pour preuve que les rentes ne seront pas fiscalisées : cette mesure est légitime parce que ces dernières ont pour but de compenser un préjudice – un handicap reconnu médicalement à la suite d’un accident du travail – et qu’elles ne correspondent pas au versement d’un revenu de remplacement.
À droite, nous savons aussi être équitables et faire la part de ce qui doit être taxé ou non !
M. Guy Fischer. Équitable avec les riches !
Mme Sylvie Desmarescaux. Chers collègues de l’opposition, cessez de faire croire que certains ont du cœur et que d’autres en sont complètement dépourvus ! (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
Je souhaite, pour conclure, féliciter Mme Annie David, rapporteur de cette proposition de loi, pour le travail approfondi qu’elle a réalisé.
Au regard de mon propos, forcément court pour respecter le temps qui m’a été imparti, mes chers collègues, vous l’aurez compris, je ne voterai pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi tend à abroger une disposition très récente qui a été adoptée à l’Assemblée nationale avec l’avis favorable du Gouvernement, défendue par la commission des finances au sein de notre Haute Assemblée, entérinée par la majorité sénatoriale et la commission mixte paritaire et, enfin, validée par le Conseil constitutionnel.
Nous pouvons donc légitimement nous interroger sur l’utilité de recommencer le débat, deux mois plus tard, sans même que nous puissions encore disposer d’une évaluation des incidences réelles de cette disposition.
Nos collègues du groupe CRC-SPG seraient-ils à court d’idées pour remplir l’ordre du jour qui leur est réservé ? Je n’ose l’imaginer ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Autre hypothèse, il s’agirait, avec cette proposition de loi, de tenter d’exister médiatiquement, encore que les journalistes ne me semblent pas avoir marqué un grand intérêt pour notre débat de ce matin.
Cette proposition de loi aurait pu nous mettre mal à l’aise, nous, sénateurs UMP siégeant au sein de la commission des affaires sociales, puisque, dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances pour 2006 et pour 2008, nous nous étions opposés à la fiscalisation des indemnités journalières en cas d’accident du travail.
M. Guy Fischer. Vous avez viré de bord !
Mme Catherine Procaccia. Mais, si l’on reprend les débats du 7 décembre 2009, on constate que la version adoptée est celle que le Sénat a élaborée, laquelle aboutit à un taux forfaitaire d’imposition de 50 % de l’indemnité journalière versée en cas d’accident du travail, et non à une fiscalisation totale des indemnités, comme certains tentent encore de le faire croire.
M. Guy Fischer. Vous avez mis de l’eau dans votre vin !
Mme Catherine Procaccia. Comme j’ai écouté attentivement Mme la secrétaire d'État et Mme Desmarescaux, j’ai quelques scrupules à répéter ce qu’elles ont parfaitement et clairement exprimé.
Mais je m’exprime aussi au nom du groupe UMP et, à ce titre, je rappelle que la nouvelle fiscalisation des indemnités journalières versées en cas d’accident du travail vient rectifier une anomalie fiscale. En effet, ces indemnités n’étaient pas assujetties à l’impôt sur le revenu, alors que celles qui sont servies en cas de maladie ou de maternité le sont.
Or, je le rappelle, on peut attraper une maladie à son travail ou en s’y rendant. Le stress ou la dépression peuvent aussi entraîner des arrêts de maladie et les sommes perçues à cette occasion seront, elles, fiscalisées. De même, dans la fonction publique, les indemnités des fonctionnaires victimes d’un accident dans l’exercice de leur fonction sont soumises à l’impôt.
Mais le point primordial qui a entraîné l’adhésion des sénateurs UMP tient au fait que les revenus qui se substituent au travail sont bien différenciés des indemnités qui servent à compenser un préjudice. Ces dernières ne sont pas fiscalisées, alors que le revenu de remplacement suit le même sort que le revenu qui est remplacé.
Comme l’a souligné Mme Desmarescaux, nous avons constaté une réelle désinformation sur le sujet. L’opposition a prétendu que la mesure aggravait la situation des personnes les plus précaires ou ayant de faibles revenus. Mais l’impôt sur le revenu est progressif…
M. Guy Fischer. Ce n’est pas vrai ! Il n’est pas assez contributif.
Mme Catherine Procaccia. … et ces personnes ne payent pas d’impôt sur le revenu – c’est le cas d’environ 50 % des contribuables – ou ne sont imposées que dans les tranches les plus réduites du barème.
Par ailleurs, il faut préciser que les indemnités servies en cas de maladie professionnelle de longue durée, ainsi que les rentes liées à des séquelles d’accident du travail, sont exclues du dispositif adopté.
Cela a été dit, le dispositif se traduira par une économie de 135 millions d’euros pour le budget de l’État. Ce n’est donc pas le rendement financier qui a été ici recherché, mais, pour reprendre le terme employé par le rapporteur général, Philippe Marini, une plus grande « équité ».
M. Guy Fischer. Avec les riches !
Mme Catherine Procaccia. Enfin, le Conseil constitutionnel a bien confirmé que ces indemnités constituaient un revenu de remplacement. Les juges ont estimé que les dispositions ne portaient pas atteinte au droit à réparation des personnes victimes d’accident du travail, contrairement à ce que certains affirment.
Concernant l’article 1er, je crois avoir exprimé clairement la position de notre groupe. J’en viens maintenant aux autres dispositions de cette proposition de loi.
En ce qui concerne la réparation intégrale des préjudices, je rappelle que les accidentés du travail reçoivent actuellement 60 % de leur revenu pendant les vingt-huit premiers jours d’arrêt, puis 80 % à partir du vingt-neuvième jour.
Une disposition figurant au titre II de cette proposition de loi tend à prévoir la réparation intégrale des préjudices. S’il s’agissait d’un amendement, il serait tombé sous le coup de l’article 40 et aurait été irrecevable. Est-il besoin de rappeler la gravité de la situation de la sécurité sociale ? Le déficit prévu pour 2010 dépasse 30 milliards d’euros, un montant encore inégalé.
Notre collègue Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, a relevé, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, que la branche AT-MP affichait en 2009 un déficit important, de l’ordre de 650 millions d’euros. Cette situation est d’autant plus inquiétante que la branche avait tendance à être à l’équilibre ou en excédent. En 2010, ce déficit devrait s’accentuer, en raison de l’augmentation plus rapide des dépenses que des recettes, pour s’établir à près de 800 millions d’euros.
M. Guy Fischer. Les entreprises ne payent plus rien !
Mme Catherine Procaccia. C’était juste un rappel.
Comment peut-on tout à la fois critiquer le déficit de l’État et de la sécurité sociale et proposer de l’aggraver ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Il s’agit de mieux répartir la dépense !
Mme Catherine Procaccia. Autre disposition de la proposition de loi : la prévention des accidents du travail.
Si des progrès indéniables ont été accomplis en matière de santé et de sécurité au travail au cours des dix dernières années, certains chiffres demeurent inacceptables : le nombre d’accidents du travail – environ 700 000 par an – stagne à un niveau trop élevé. Plus d’une personne par jour meurt d’un accident du travail !
Il est donc légitime de souhaiter améliorer la prévention. En revanche, ce que nous proposent les auteurs de la proposition de loi l’est moins, eux qui souhaitent que les cotisations versées au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles par les entreprises ne soient plus déductibles de leur impôt sur les sociétés. En effet, selon l’exposé des motifs, l’entreprise ne serait pas « motivée » pour réduire le nombre d’accidents du travail, car elle y gagnerait une diminution d’impôt.
Voilà une nouvelle illustration de la haute opinion que l’opposition se fait du monde de l’entreprise !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Godefroy. Ou de l’équité !
Mme Catherine Procaccia. Comme je l’ai dit en commission, en cas d’accident, l’entreprise n’est pas toujours la seule responsable. Le salarié qui ne met pas ses chaussures de sécurité ou son casque, alors qu’il a l’équipement et la formation nécessaires, est à 100 % responsable de ce qui arrive !
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Catherine Procaccia. Cette approche qui désigne l’employeur comme seul responsable et seul coupable relève encore et toujours du concept pourtant dépassé de la lutte des classes. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Il existe des pistes plus sérieuses. Je pense, par exemple, aux plans santé au travail mis en place par le Gouvernement.
Le premier plan santé au travail, qui couvrait la période 2005-2009, a affiché des priorités claires et a modernisé l’inspection du travail en permettant la création d’équipes pluridisciplinaires à l’échelon régional et en développant la connaissance ainsi que l’évaluation des risques professionnels. Au total, depuis 2004, ce sont 700 postes qui ont été créés, dont 160 postes d’inspecteur en 2010.
M. Jean-Pierre Godefroy. Pour 700 000 accidents du travail chaque année !
Mme Catherine Procaccia. Élaboré dans une démarche largement participative, le second plan santé au travail a, quant à lui, deux objectifs majeurs : diminuer de 25 % le nombre d’accidents du travail et mettre fin à la croissance du nombre de cas de maladies professionnelles. Voilà, pour le groupe UMP, ce qu’il faut appeler de la véritable prévention ! Mme Morano ayant présenté ces objectifs, je n’y reviens pas plus longuement.
Pour conclure, j’aimerais dire que j’attache beaucoup d’importance aux outils indispensables qui seront mis en place dans les entreprises de onze à quarante-neuf salariés, souvent dépourvues de représentation du personnel.
J’attends aussi beaucoup, madame la secrétaire d’État, de la réforme des services de santé au travail qui nous a été annoncée.
M. Guy Fischer. Il y a de quoi faire !
Mme Catherine Procaccia. Je pense, en effet, que l’enjeu social majeur pour les années à venir est l’amélioration des conditions de travail. Et cela ne passe pas par une pénalisation systématique des entreprises, chers collègues !
Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe, n’adhérant à aucune des positions défendues par ses auteurs, ne votera pas la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. - Mme Sylvie Desmarescaux applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de la présentation de la proposition de loi, mon collègue Guy Fischer vous a expliqué l’ensemble des motivations qui nous ont conduits à déposer ce texte.
Je voudrais à mon tour insister sur le caractère choquant de la fiscalisation, même partielle, des indemnités journalières dont nous parlons. Au-delà des sommes dérisoires que cette mesure est censée rapporter, c’est la logique qui la sous-tend qui nous semble indécente.
Je voudrais vous soumettre un simple calcul : en fiscalisant les indemnités journalières versées aux victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles – au nombre de 900 000 aujourd’hui –, l’État espère récupérer 135 millions d’euros par an. Dans le même temps, nous avons le bouclier fiscal, qui coûte 500 millions d’euros aux finances publiques et qui concerne 18 000 personnes en France.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et la disproportion est éloquente ! Je vous le demande : qui coûte le plus cher aux finances publiques ?
De plus, imposer les salariés sur les indemnités journalières qu’ils vont percevoir à la suite d’un accident du travail, c’est traiter ces sommes comme un salaire de remplacement alors que, tout le monde le sait, les indemnités journalières ne comprennent pas les primes de sujétion. C’est ainsi nier le fait que le salarié dont nous parlons a été victime d’un accident qui lui a occasionné un dommage corporel. Il a payé de son corps et restera très souvent mutilé – voire pis ! – pour le restant de ses jours.
Il y a une logique qui sous-tend cette fiscalisation : après tout, si le salarié s’est blessé, c’est aussi sa faute. Il n’avait qu’à faire attention. Le coût des risques professionnels doit être partagé entre l’employeur et le salarié ; obliger le salarié à payer des impôts sur ses indemnités journalières, c’est le responsabiliser…
Permettez-moi de vous dire que cette approche est totalement contraire au code du travail et particulièrement choquante pour qui connaît les réalités du monde du travail.
Le contrat de travail est fondé sur un principe : le salarié est payé pour accomplir un travail et accepte pour cela de se placer sous la subordination juridique de son employeur. En vertu de ce principe, c’est l’employeur qui est responsable de l’organisation du travail et c’est sur lui que pèse une obligation de sécurité pour ses salariés sur leur lieu de travail. C’est la loi !
Or, pour maximiser les profits et réduire les coûts de réalisation du travail, on constate depuis des années une tendance très grave au transfert des risques professionnels sur le salarié. C’est à lui que l’on délègue entièrement l’organisation du travail. On affirme finalement qu’il est responsable individuellement de la bonne marche de l’entreprise et qu’il doit veiller lui-même à sa sécurité. Le but du jeu est d’atteindre les objectifs fixés par l’employeur à n’importe quel prix.
Le travailleur doit accomplir seul, car il est souvent livré à lui-même, plus vite et au moindre coût une quantité de travail impossible à fournir. Cela crée pour lui stress, souffrance, accidents et maladies. Pour atteindre les objectifs que sa hiérarchie lui assigne et pour ne pas perdre son travail, il est bien souvent conduit à prendre des risques et à se mettre en danger.
Cette « désimplication » des employeurs dans l’organisation du travail et la réduction des dépenses de sécurité qui l’accompagne aggravent fortement les risques physiques et psychologiques auxquels le salarié est exposé. Ces nouvelles méthodes communément appelées new management, qui pressurisent tant les salariés, deviennent mortifères.
Cette absence d’organisation est source de nombreux dangers pour les salariés, si bien que de nouveaux accidents du travail et de nouvelles maladies professionnelles apparaissent. C’est littéralement ce que l’on pourrait appeler « se tuer au travail ».
Malheureusement, les exemples sont nombreux. Je voudrais précisément vous en citer un pour illustrer mon propos.
Un jeune de vingt et un ans, en contrat de qualification, est entièrement seul pour « surveiller et gérer le flux » d’une chaîne, en l’occurrence un tapis roulant sur lequel circulent des biscuits au chocolat ; il s’aperçoit que, depuis quelques minutes, le nappage au chocolat des biscuits se gondole à la suite d’un problème de buse.
Les consignes sont claires : en aucun cas, le flux ne doit s’arrêter, car cela coûte trop cher. Mais ce jeune travailleur sait aussi que les gâteaux défectueux ne seront pas vendables. Que faire, alors, quand on est entièrement seul ?
Le jeune homme décide de monter sur la chaîne pour repositionner la buse. Malheureusement, ses vêtements sont happés et il se retrouve broyé par une autre machine. Son corps sans vie ne sera retrouvé que quatre heures plus tard !
Lors des auditions, des responsables diront que le jeune homme aurait évidemment dû arrêter le flux ; mais tout le monde sait que, s’il avait agi ainsi, il aurait été licencié en raison des coûts occasionnés par la perte de production. Voilà à quelles aberrations on arrive : perdre la vie au nom de la rentabilité extrême !
Comme tant de salariés, il était soumis à une injonction contradictoire. Il devait de lui-même se comporter en auto-entrepreneur et savoir prendre la meilleure décision non seulement sur le plan économique – garder le flux – et qualitatif – l’aspect du produit –, mais aussi en termes de sécurité.
Ces exemples, que je pourrais multiplier pendant des heures, ne se rencontrent pas uniquement dans l’industrie.
Dans le secteur des services, on fait vivre certains salariés dans un stress permanent en vertu d’une organisation savamment pensée. Dans des open space, on fait en sorte qu’il y ait moins de meubles de bureau que de salariés, ce qui oblige ces derniers à arriver plus tôt au travail pour être sûrs d’être assis et les contraint en somme à une compétition perpétuelle.
Stress, précarisation, dépression, certains salariés sont brisés par cette « ultramoderne violence professionnelle ».
L’existence de ces risques nouveaux, ou plutôt cette aggravation des risques professionnels, doit se traduire par une nouvelle implication financière des entreprises et de l’État. Voilà pourquoi il est vraiment nécessaire d’adopter aujourd’hui un régime d’indemnisation totale des salariés victimes de ces accidents du travail et de ces maladies professionnelles.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous demande de voter notre proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, avant d’entamer l’examen des articles de la proposition de loi, je vais suspendre la séance quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante, est reprise à dix heures quarante-trois.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
TITRE Ier
DÉFISCALISATION DES INDEMNITÉS JOURNALIÈRES VERSÉES PAR LA SÉCURITÉ SOCIALE AUX ACCIDENTÉS DU TRAVAIL
Article 1er
« L’article 85 de la loi de finances pour 2010 est abrogé. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, sur l'article.
Mme Marie-Agnès Labarre. Mes chers collègues, nous allons encore tenter, à travers la présentation des articles de notre proposition de loi, de vous convaincre.
M. Nicolas About. L’espoir fait vivre !