Mme Josette Durrieu. Les Palestiniens sont divisés, nous l’avons également tous dit. Monsieur le ministre, nous avons une lourde responsabilité concernant les élections de 2006 remportées par le Hamas. C’est un déni de démocratie : on ne reconnaît pas le résultat d’élections que nous sommes allés observer et que nous avons pourtant validées ! Nous devons en assumer les conséquences : la guerre et le blocus de Gaza.
La réconciliation, on le sait, passera par de nouvelles élections. Mais nous ne sommes pas en mesure de faire que ces élections puissent se dérouler : elles sont sans cesse reportées. Quand auront-elles lieu ?
On a fondé beaucoup d’espoirs dans le nouveau président des États-Unis, Barack Obama. Il ne pouvait sûrement pas tout faire ; il a néanmoins essayé et il faudra pourtant bien qu’il parvienne à faire quelque chose !
L’intention était bonne : il a remis au centre du débat le problème israélo-palestinien. La centralisation de ce problème était indispensable, il l’a dit. La stratégie initiale était judicieuse. Le sénateur George Mitchell a fait une tournée, certes sans succès, mais le Président Obama avait probablement investi le meilleur des émissaires. Les discours étaient bons mais ils n’ont pas abouti. Ensuite, il y a eu ce que certains appellent la volte-face du Président, et les discours malheureux de Mme Clinton.
Où en sommes-nous maintenant ?
L’Union européenne, chacun d’entre nous le dit, est un nain politique, mais c’est aussi un bon payeur. Monsieur le ministre, nous avons accompagné et financé des projets en leur accordant des sommes importantes de plusieurs millions voire de plusieurs milliards d’euros.
Le projet ASYCUDA, mis en place en 2001, concerne le contrôle des douanes. Or on ne contrôle rien dans un pays qui n’a pas de frontières ! On pourrait au moins contrôler la frontière entre Gaza et l’Égypte mais ce fameux logiciel, qui est l’un des plus performants du monde, ne fonctionne pas à Rafah. C’est bien dommage !
Dans le cadre du projet Seyada de renforcement du système judiciaire palestinien, mis en place en 2009, on crée des structures, on forme des juges et on crée des réseaux entre les tribunaux de Cisjordanie. Est-ce vraiment la priorité aujourd’hui ?
La formation de la police était en revanche une excellente démarche. Les policiers ne pouvant être formés en Palestine, ils le sont à l’étranger. Mais à quoi servent-ils puisque 80 % du territoire est maîtrisé par Tsahal ? Cependant, ces policiers sont efficaces là où ils se trouvent, à Naplouse notamment.
Que penser de cette opération sur l’enregistrement foncier, le cadastre en Cisjordanie aujourd’hui ?
On se préparait sans doute à faire vivre un État le jour où il a été créé. Mais, monsieur le ministre, jusqu’à présent combien d’argent a été engagé par la Communauté européenne et par la France ? Jusqu’à quand va-t-on continuer dans ces conditions ?
Certes, cet état des lieux est rapide ; d’autres en ont proposé un plus complet et différent.
J’en viens aux raisons de cette situation et aux responsabilités de chacun. Bien sûr, il faut citer George Bush et Tony Blair – George Bush, surtout. Il faut évoquer aussi la faiblesse de l’Europe, on l’a dit et on ne cessera de le dire.
Mais pourquoi une telle obstination destructrice d’Israël ? Comme le dit toujours le diplomate et historien Elie Barnavi – que vous connaissez sans doute personnellement, monsieur le ministre –, si ça continue, il en sera fini du rêve israélien !
La politique menée par Israël est destructrice. Qui peut le faire comprendre aux gens sensés – et il y en a – de ce pays ?
Il faudrait connaître un peu plus le rapport Goldstone qui, au-delà des murs et des miradors, évoque ces pratiques et ces méthodes tout à fait condamnables.
Concernant la communauté internationale, c’est-à-dire nous, monsieur le ministre, je reviendrai sur un certain nombre de principes qui vous sont chers, j’en suis sûre.
On ne peut déposséder les Palestiniens à la fois de leur terre et de leurs droits !
À la suite des élections de 2006 a été commis un déni de démocratie. L’élection du Hamas était probablement prévisible ; elle a été consternante. Mais, vous avez raison, monsieur Marini, il fallait l’accepter, par la force des choses. On ne pouvait pas aboutir à un résultat pire que celui-ci ! Il fallait faire évoluer le Hamas. Pouvait-il évoluer ? Quoi qu’il en soit, il était un interlocuteur incontournable et il le reste : nous ne sommes pas plus avancés aujourd’hui.
Par ailleurs, nous, l’Europe et la France, surtout, comment pouvons-nous ne pas rappeler des droits qui sont également ceux des Palestiniens et des peuples du Moyen-Orient ?
Monsieur le ministre, au-delà du respect du droit au retour pour les réfugiés, il faudra maintenir ce principe, dont les modalités d’application seront bien sûr modulées, et on le sait très bien.
Comme Yasser Arafat me l’avait dit à la Mouqata’a, les Palestiniens installés au Chili ne reviendront évidemment pas, mais le droit au retour est un principe sacré.
Le droit à la résistance et à l’oppression existe : il est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Nous, Français, oserons-nous un jour rendre leurs droits à ces hommes et à ces femmes ? En tant que fille de résistant, je n’ai pas envie que ce droit à la résistance soit identifié au terrorisme. On peut transformer des résistants en terroristes quand on ne les entend pas, et c’est évidemment ce qui se passe. Il faudrait de temps à autre parler du droit à la résistance et définir réellement ce qu’est le terrorisme.
Lors de vos déplacements, vous devez souvent entendre parler, monsieur le ministre, de cette politique de « deux poids deux mesures » à laquelle faisait référence Jean François-Poncet. Il ne s’agit pas seulement des résolutions de l’ONU, qui ne sont jamais respectées par les Israéliens. Il s’agit aussi de l’ambiguïté par rapport au problème du nucléaire.
On veut éviter la prolifération du nucléaire en le refusant à l’Iran, soit ! Mais comment peut-on accepter l’armement nucléaire de l’Inde et du Pakistan, qui ont signé le traité de non-prolifération,…
M. Didier Boulaud. Très bien !
Mme Josette Durrieu. … et laisser planer l’ambiguïté sur Israël, lequel détient la bombe sans le dire ? (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
Il faut remettre les choses à leur place. Monsieur le ministre, ce n’est pas sur l’injustice ni sur le cynisme que l’on pourra bâtir la paix. Nous devons remettre un peu de morale dans cette situation.
Soixante ans après, la paix est loin, comme le dit Bachar el-Assad, que j’ai eu la chance de rencontrer deux fois cette année. L’absence de guerre – ou le statu quo, pour certains, pas pour moi – est peut-être ce dont on peut se satisfaire.
Monsieur le ministre, comment peut-on assurer la sécurité et la paix des Israéliens et des Palestiniens de la région ? Quels sont les risques nucléaires et les risques de prolifération nucléaire au Moyen-Orient si la situation ne change pas ? Quelles solutions et avec quels acteurs sont possibles ? « Pouvons-nous vivre sans solution ? », disait Moshe Dayan. Certainement pas !
Dans l’immédiat, nous avons quelques objectifs qui sont des postulats premiers : arrêt de la colonisation et de l’occupation, levée du blocus à Gaza et libération des prisonniers.
D’ailleurs, pour moi, il n’y a pas un prisonnier de chaque côté. L’équation n’est pas si simple : d’un côté, le soldat franco-israélien Gilad Shalit est prisonnier mais de l’autre, 12 000 Palestiniens sont détenus ! Comment peut-on ramener la situation à un contre un ?
Les seuls qui ne pourront pas être les protagonistes directs de la paix, ce sont les Israéliens et les Palestiniens ! Ils en sont incapables pour des raisons différentes.
M. le président. Chère collègue, il va falloir conclure.
Mme Josette Durrieu. Je termine monsieur le président.
On demande aux États musulmans de s’impliquer davantage. Ils ont fait une grande partie du chemin, notamment avec le plan de paix du roi Fahd d’Arabie saoudite lancé à Beyrouth en 2002.
Il existe des États médiateurs, comme l’Égypte et la Turquie, que vous avez mentionnés, et auxquels j’ajoute la Syrie. Qu’il s’agisse du plateau du Golan, du Hezbollah, du Hamas ou du Liban, la Syrie est concernée. Elle veut normaliser sa situation et sans doute protéger la résistance palestinienne.
Monsieur le ministre, je partage la position exprimée par M. Solana juste avant de quitter ses fonctions : devant l’incapacité des uns et des autres, il faudra mettre une solution sur la table. Puisque vous avez rencontré des émissaires de haut rang, pouvez-nous nous dire si les États-Unis préparent réellement un plan de paix pour régler ce conflit dans les deux ans, comme l’affirme le journal Maariv ? Ce sera ma dernière question, tout autant qu’un vœu ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est-il utile ? Voilà une question qui, au fil du temps, aura fait couler beaucoup d’encre. Certains saluent sa prudence, sa sagesse, et s’en réjouissent. D’autres dénoncent son conformisme, et le déplorent.
Ce soir, en tout cas, cette question ne se pose pas, car le rapport qui sert de support à notre débat fournit, sur des sujets aussi sensibles et complexes que ceux qui sont relatifs à la situation au Moyen-Orient, un diagnostic minutieux, alliant précision et discernement, et ce sans exonérer quiconque de ses responsabilités dans les déséquilibres et les blocages constatés aujourd’hui, je tiens aussi à le souligner Il faut ici reconnaître et saluer comme il le mérite le travail considérable de Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga.
Seulement voilà : si ce rapport est remarquable, il est malheureusement presque certain qu’il n’aura guère d’impact sur ceux qui auraient tout intérêt à le lire. La raison en est toute simple : bon nombre de ses recommandations n’ont manifestement pas été portées à la connaissance de ceux qui, à l’Élysée, décident des orientations de la diplomatie française, de ceux qui, chaque fin de semaine, portent la bonne parole dans les capitales du Moyen-Orient.
Monsieur le ministre, il est permis de s’interroger : quelle est réellement la position de la France et comment nos interlocuteurs peuvent-ils s’y retrouver face aux signaux contradictoires envoyés par notre pays ?
Le temps qui nous est imparti pour ce débat ne permet pas de revenir en profondeur sur chacune des crises que connaît la région, mais leur simple évocation suffit à traduire l’ampleur des inquiétudes en la matière.
En Iran, les aspirations démocratiques exprimées par une large partie de la population, lors des fêtes religieuses de l’Achoura, ont été réprimées dans le sang par un régime dont on sait qu’il ambitionne de se doter de l’arme nucléaire.
L’Irak, dont il est à présent admis que l’invasion a été décidée sur la base d’arguments fallacieux, reste confronté au défi du maintien de son unité, les États-Unis ayant imposé, après la destitution de Saddam Hussein, une architecture institutionnelle ignorante de la donne locale et propice à un éclatement confessionnel, matérialisé, comme nous l’avons vu, par plusieurs années de chaos.
L’Afghanistan, déjà handicapé par l’affrontement des expansionnismes sur son territoire au xixe siècle, instrumentalisé durant la Guerre froide par la mobilisation des intégrismes pour des causes étrangères, connaît une nouvelle intervention de la communauté internationale. Si elle est juridiquement légitime, elle n’a pas évité les faux pas stratégiques. Manque de cohérence et de coordination entre les différents intervenants, insuffisante prise en compte du tissu multiethnique et religieux, nombreuses sont les raisons qui expliquent l’enlisement actuellement constaté.
« La France n’enverra pas un soldat de plus [en Afghanistan] », a annoncé le Président de la République en octobre dernier, alors que le Président Obama était encore dans sa phase de réflexion sur l’ajustement de la stratégie américaine. Aujourd’hui, c’est Nicolas Sarkozy qui semble encore en train de réfléchir, puisqu’il n’exclut plus d’envoyer également des troupes pour venir gonfler le contingent français sur place. Rien n’est décidé, bien sûr.
Après le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ici, et alors qu’il est patent que cette décision n’a pas contribué à renforcer l’autonomie décisionnelle de la France,…
M. Didier Boulaud. C’est même tout le contraire !
Mme Dominique Voynet. … nous sommes très préoccupés : au rayon politique, le maigre espoir de la communauté internationale de voir émerger dans ce pays une « bonne gouvernance » a fait long feu. C’est bien cette même communauté internationale qui a accepté en effet, après son arrivée, l’établissement en Afghanistan d’un système constitutionnel permettant, par définition, les fraudes électorales. C’est encore elle qui a validé le scrutin présidentiel truqué de 2009.
Quant au conflit israélo-palestinien, souvent qualifié de façon presque ironique de « conflit de faible intensité », il atteint aujourd’hui une tension maximale. Les risques d’explosion – et je ne parle pas là de l’arme nucléaire – sont bien réels. Devant le refus d’Israël de stopper la colonisation illégale des territoires palestiniens, dont on sait qu’elle rend chaque jour plus difficile la création d’un État palestinien digne de ce nom, le dialogue est au point mort. Les habitants de Gaza, étranglés par un blocus aux conséquences humanitaires lourdes, ont vu s’abattre sur eux une pluie de bombes meurtrière dans le cadre d’une opération militaire dont le nom, « Plomb durci », résume la somme des cynismes qui conduisent, comme le fait en ce moment même l’Égypte, à finir de clôturer, jusqu’à plusieurs mètres sous terre, la cage que constitue désormais Gaza.
Monsieur le ministre, après soixante ans de conflit, je conviens qu’il est hasardeux de prétendre résoudre une équation sur laquelle ont buté tant de dirigeants politiques. L’énoncé du problème est pourtant connu de tous. L’enchaînement argumentaire qui pourrait conduire à la constitution de deux États voisins, vivant en paix, est établi. Rien n’y fait. Il faut le dire, ici encore, la communauté internationale n’est pas avare de maladresses et de calculs coupables. Ainsi, après avoir poussé à un scrutin démocratique en 2006 dans la bande de Gaza, les Occidentaux ont refusé de reconnaître la victoire du Hamas et de considérer celui-ci comme un interlocuteur.
À cette époque, la France et ses partenaires se sont pliés à l’option des États-Unis, consistant à renier un processus qu’ils avaient pourtant soutenu. Certes, vous n’étiez pas alors en responsabilité, monsieur le ministre. Mais, aujourd’hui, alors que nos deux rapporteurs ont courageusement engagé le dialogue avec Khaled Mechaal à Damas, vous-même persistez à vous couper de l’un des principaux acteurs, quoi qu’on en dise, de ce conflit et, par la même occasion, à vous priver de la possibilité de travailler efficacement à la remise sur les rails du processus de paix.
Cette position contribue à radicaliser le Hamas et à décrédibiliser les prétentions démocratiques des Occidentaux. Cet état de fait est d’autant plus incohérent que vous avez envoyé relativement discrètement, en 2008, un diplomate Français, aujourd’hui retraité, pour établir tout de même un contact avec le Hamas. Vous le savez, ce diplomate ne cesse de clamer qu’il est temps que la France adopte une autre posture à ce sujet.
Alors, que faire ? Comment imaginer un exercice plus difficile que celui qui nous est demandé ce soir ? Que dire qui n’ait été dit mille fois ? Que suggérer qui n’ait déjà été tenté ?
J’ai évoqué le renoncement de la France à une posture singulière, qui lui a jusque-là permis de conserver une réelle crédibilité au Moyen-Orient. Je passerai rapidement sur la question européenne. L’Europe ne possède pas, à cette heure, une influence suffisante dans la résolution du conflit. L’entrée en vigueur récente du traité de Lisbonne contribuera peut-être, du moins peut-on l’espérer, au renforcement du rôle de l’Union européenne, à condition, bien entendu, que l’on s’émancipe à l’avenir des égoïsmes nationaux. Ces derniers amènent, aujourd’hui encore, à choisir une parfaite inconnue pour diriger la diplomatie européenne, comme pour mieux se prémunir de l’émergence possible d’une véritable direction politique de l’Union.
À l’heure où la crainte d’attaques terroristes de grande ampleur sur les sols américain et européen est à son paroxysme, à la suite de l’attentat manqué sur le vol Amsterdam-Detroit et de l’attentat suicide meurtrier contre la base américaine de Khost, en Afghanistan, à la fin du mois de décembre, il serait opportun, sans pour autant baisser la garde face aux terroristes, de repenser notre approche des relations internationales. Après huit ans de « guerre contre le terrorisme », si les théâtres d’opérations sont mouvants et les organisations changeantes, le constat est sans appel : la menace reste, plus que jamais, d’actualité. Et la démonstration est faite : cette guerre-là ne peut pas être gagnée, ne sera pas gagnée, par les moyens qui sont aujourd’hui déployés.
Entre-temps, la démocratie que l’on entendait exporter, imposer et voir triompher, s’est en effet égarée dans les méandres de la manipulation électorale, de la négociation des résultats, de la détention arbitraire et de la torture sous toutes ses formes.
Il s’agit non pas de renoncer à espérer voir fleurir la démocratie et se répandre les droits de l’homme dans le monde, mais plutôt de s’assurer que notre façon de mettre en œuvre et de faire vivre les principes et les règles que nous avons érigées en la matière puisse recueillir l’adhésion des autres États et de chacune des luttes et des résistances nationales.
Monsieur le ministre, je formule ainsi un vœu, qui sera aussi ma conclusion : c’est que mon pays renforce son engagement auprès de la société civile en mouvement, quand elle existe. Il fut un temps où nous sûmes le faire ; je pense notamment à l’engagement de la France auprès des démocraties de l’autre côté de ce qui était alors qualifié de « rideau de fer ». Nous étions fiers de soutenir Václav Havel et l’Assemblée européenne des citoyens.
Aujourd’hui, en Iran, en Jordanie, en Syrie, en Égypte, en Israël même, il est des hommes et des femmes qui n’attendent que notre soutien. Nous devons leur envoyer un message éclatant, renforcer nos relations avec eux, notamment sur le plan matériel. Notre pays peut et doit le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord rendre hommage à M. Jean François-Poncet, qui a tenu à délivrer, à quelques phrases près – mais vous avez complété, madame Cerisier-ben Guiga –, son message. Je salue son talent et son courage.
Je tiens, madame, à vous féliciter du rapport passionnant, fruit d’une grande érudition et de beaucoup de travail, que vous avez commis tous les deux. En vous écoutant, je me disais : après tout, ce débat en est-il bien un ? Si j’étais à votre place, j’aurais sans doute tenu une grande part de vos propos. Et si vous étiez à la mienne, vous auriez vraisemblablement choisi quelques-unes des phrases que je vais prononcer.
Plutôt que de répondre point par point à chacune des interventions, je dresserai un tableau général de la situation, en m’efforçant de vous fournir le plus d’informations possible. Je reviendrai en particulier sur les événements d’aujourd'hui.
Monsieur Marini, je vous remercie d’avoir rappelé que personne plus que la France n’est en ce moment entendu, écouté, sollicité par les pays arabes et Israël, comme par les autres, sur le conflit du Moyen-Orient. Tout n’est pas parfait, mais qui le serait sur un problème aussi difficile, dont vous-même avez évoqué les racines ? Vous avez à juste titre souligné, mais peut-être faut-il le faire plus encore, que les raisons de l’existence même de l’État d’Israël sont aujourd’hui oubliées. Une très large part des générations actuelles ne sait plus que celui-ci est né d’une décision de l’ONU, après l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale, loin du théâtre du Moyen-Orient où se joue en ce moment ce jeu si cruel.
En outre, tous les intervenants l’ont signalé, il y aurait beaucoup à dire sur le rapport Goldstone, sur la façon dont certaines ONG israéliennes ont souligné les excès impardonnables commis lors de la guerre de Gaza.
Cela étant, mesdames, messieurs les sénateurs, qui a plus condamné que la France, avec une grande constance, l’entrée de l’armée israélienne à Gaza ? Le Président Sarkozy a condamné ce déchaînement de violence. Bien entendu, dans le même temps, nous avons eu la même attitude devant les tirs de roquette, qui, d’ailleurs, n’ont pas complètement cessé. De façon vraiment décisive, nous avons maintenu une telle condamnation, comme celle de la colonisation.
La publication du rapport Goldstone a entraîné, je le reconnais, un certain nombre d’incompréhensions : en la matière, on a assisté à une véritable escalade. Si, au dernier moment, nous avons refusé de prendre part au vote au Conseil des droits de l’homme avant de s’abstenir à l’ONU, ce n’est pas faute d’avoir travaillé dans le dialogue avec nos amis palestiniens sur la présentation du texte, qui, vous le savez, a entraîné une succession d’incompréhensions de leur part.
Par ailleurs, je l’ai dit, nous continuons de condamner ce qui se passe dans la bande de Gaza.
À la question de savoir ce que je fais quand on m’interdit d’aller à Gaza, je réponds que j’ai signé le jour même la convention sur la reconstruction de l’hôpital Al-Quds avec nos amis palestiniens. Et j’espère que c’est ce qui est en train de se faire, malgré les difficultés du passage. Pour avoir travaillé comme médecin à Gaza, je connais bien la situation. Elle a évolué. Maintenant, l’essentiel, c’est de maintenir la pression, d’être déterminés et d’avoir pris la décision de reconstruire cet hôpital.
Je voudrais attirer votre attention sur quelque chose que vous n’avez pas évoqué et dont on a pourtant beaucoup parlé dans les médias : je veux parler du fait que M. Mitchell s’est arrêté en France pour faire le point sur le processus politique et sur le suivi de la Conférence de Paris. Or l’intitulé de cette conférence est conférence internationale des donateurs « pour l’État palestinien », et non « pour la création d’un État palestinien ». Nous avons continué à assurer le suivi de cette conférence et ce fut un succès ; je parle non seulement en termes financiers, sous l’angle de la récolte des fonds, mais également sur le plan politique. M. George Mitchell est venu nous encourager à poursuivre cet effort rendant ainsi hommage par sa présence à ce suivi de la Conférence de Paris.
Il a été décidé de réunir les experts autour du comité ad hoc, dirigé par nos amis norvégiens. Peut-être une autre Conférence de Paris sera-t-elle organisée en 2011, où avant si un certain nombre d’éléments politiques sont proposés.
Les conditions seront-elles réunies ? Je vous remercie d’avoir souligné que, pour jouer un rôle au Moyen-Orient, il faut être écouté de tous les côtés. Certaines positions excessives, comme celles que j’ai prises par le passé, ne sont pas productives. C’est un peu l’impression que j’ai ressentie au sortir de ma conversation avec George Mitchell. L’administration Obama se rend compte que tout peut se débloquer et que des mouvements ont eu lieu. Ils ont été salués, en particulier, par les représentants égyptiens : le ministre des affaires étrangères, M. Aboul Gheit et le général Suleiman se sont rendus à Washington pour y rencontrer George Mitchell et Hillary Clinton. Nous restons étroitement en contact avec eux depuis leur retour des États-Unis.
Aujourd’hui, M. George Mitchell a remarqué que les choses avançaient. Je crois ne pas trahir sa pensée en disant qu’il a constaté que le Premier ministre israélien, M. Netanyahou, avait décidé un moratoire, certes insuffisant, de dix mois sur la colonisation pour les territoires occupés à l’exclusion de Jérusalem. Cette proposition est connue des Palestiniens, qui peuvent, à leur tour, faire un mouvement.
Les représentants de l’Union, c’est-à-dire Mme Ashton, Tony Blair, au nom du Quartet, Miguel Moratinos, qui assure, au nom de l’Espagne, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, et moi-même avons tous répondu à M. Mitchell qu’il nous semblait possible que les Palestiniens acceptent, sinon les négociations, du moins le principe de rencontres. Nous avons également constaté que la carte proposée sous le gouvernement Olmert, en fin des discussions, après le processus d’Annapolis, était relativement satisfaisante pour les deux parties en termes de frontières. Je salue le sérieux et l’intensité avec lesquels nos amis palestiniens ont rencontré M. Olmert et Mme Tzipi Livni. Or, par rapport à cette période, nous avons régressé.
Si je voulais m’exprimer en termes beaucoup plus brutaux, beaucoup plus sommaires, je dirais que M. Mitchell proposait que nous nous mettions tous ensemble pour que les pourparlers reprennent. Mais nous n’avons jamais arrêté de dialoguer, nous l’avons fait en permanence, nous le faisons presque tous les jours ! Y a-t-il un espoir ? Bien sûr ! Tout le monde sait qu’il y aura deux États. Quand et au prix de combien de victimes encore ? Nous n’en savons rien, mais tout le monde sait que c’est la solution !
N’oublions pas que s’agissant des territoires, c’est-à-dire de la Cisjordanie, des progrès considérables ont été accomplis par les Palestiniens, sous la direction du Premier ministre Salam Fayyad. Souvenons-nous que deux cents projets au moins ont été menés à bien et qu’une liste complémentaire d’un nombre équivalent nous sera présentée dans quelques jours. J’ajoute que 50 % de l’argent de la Conférence de Paris, d’un montant finalement plus élevé que ce qui avait été prévu, sera dépensé à Gaza. De ce point de vue, la Conférence a été un succès sur le plan politique comme sur le plan économique.
Peut-on continuer ? Oui ! Comment ? Franchement, la réponse ne nous appartient pas. Je vous ai écoutés, j’ai entendu vos exigences élevées s’agissant de l’attitude de la France. Mais aucun pays n’a une attitude plus équilibrée, obstinée et profondément intangible que la France ! Je dis bien : aucun !
Vous avez dénoncé ou souligné le fait que les Américains ont quelque peu changé de position. C’est vrai : face à la réalité, du moins à la réalité telle qu’ils l’ont ressentie, ils ont changé de position.
Avons-nous changé de position ? Non ! Le moratoire, nous avons tous considéré qu’il s’agissait d’une avancée.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Quelle avancée ?
M. Bernard Kouchner, ministre. George Mitchell a dit aujourd’hui que M. Netanyahou se situe désormais au centre de l’arène politique israélienne. Selon lui, le Premier ministre est non plus à droite, mais au centre. N’oublions pas que, d’après les derniers sondages, 70 % des Israéliens se prononcent en faveur de la création de deux États et que 57 % acceptent que Jérusalem soit la capitale de ces deux États.
Ne me cherchez pas querelle à propos du manque de cohésion de l’Union européenne. J’ai sous les yeux le texte de la position de l’Union européenne. (M. le ministre brandit le document.) Cette position a été arrêtée par les Vingt-Sept le 8 décembre dernier. (M. le ministre brandit de nouveau le document.) Pour parvenir à cette position unanime des Vingt-Sept, il fallait trouver une formulation, celle que le Président Nicolas Sarkozy a prononcée à Jérusalem et à Ramallah : « Jérusalem […] capitale des deux États ». Cela veut dire : Israël et l’État palestinien. C’est ainsi que nous avons eu l’unanimité dont nous n’étions, certes, pas très loin.
La présidence suédoise avait, quant à elle, proposé « Jérusalem-Est capitale de l’État de Palestine ». Notre formulation est assez simple et recouvre la même chose. Finissons-en avec cette mauvaise querelle ! Si vous voulez une position commune, sur le fond comme sur le calendrier, je vous invite à lire ce texte des Vingt-Sept. C’est le texte le plus avancé qu’on n’ait jamais eu !
Les vingt-sept États membres de l’Union européenne sont-ils d’accord sur tous les points ? Non ! C’est bien ce qui fait à la fois la difficulté et la réussite de ce texte de la présidence suédoise, accepté par tout le monde.
Voilà ! Franchement, en dehors de ce que nous avons constaté hier comme aujourd’hui, je veux parler de la bonne volonté témoignée par M. George Mitchell et de la solidité de son engagement, il y a également un mouvement du côté des pays arabes.
Merci d’avoir souligné que la France, qui n’a jamais rompu les relations avec la Syrie, a engagé le dialogue diplomatique et politique avec cette dernière, malgré les réserves de certains de nos plus proches partenaires. C’est non seulement une avancée, mais peut-être l’un des éléments de la stratégie de demain.
Tout ce qui pourra soustraire la Syrie à une influence de l’Iran que nous n’acceptons pas sera bénéfique pour la paix au Moyen-Orient. Merci de l’avoir constaté et reconnu !
Quant à notre reconnaissance éventuelle du Hamas comme interlocuteur, ne soyons pas plus palestiniens que les Palestiniens, qui n’y sont pas favorables ! Je vous sais gré de m’avoir rappelé que l’on peut y penser. Mais, pour le moment, cela fausserait complètement le jeu qui revient à la France, un jeu d’avancées et de propositions.
Est-il possible de convaincre le Président Abbas que c’est à lui de s’engager, alors qu’il n’est pas dans une bonne position face à ses amis arabes ? Je rappelle qu’il y a eu du côté arabe une initiative que nous avons saluée et que nous continuons de saluer, qui s’appelle l’initiative arabe de paix. N’oublions pas que cela aussi, nous l’avons fait.
Est-il possible de lui demander maintenant un geste de générosité analogue à celui qu’avait accepté Anouar El-Sadate ? Peut-être est-ce à lui de le faire parce que lui seul en est capable. Il faut, pour cela, beaucoup de fermeté, d’engagements, peut-être même écrits. Ils pourraient prendre la forme d’assurances, en tout cas de certitudes qu’on pourrait lui offrir et qui iraient – pourquoi pas ? – jusqu’à la reconnaissance de l’État palestinien le moment venu.
C’était en tout cas le souhait commun autour de M. George Mitchell. Il ne nous a pas apporté d’élément autre que cette nécessité d’agir ensemble, les États-Unis et l’Europe, l’Europe et les États-Unis, car il ne conçoit pas d’avancée, de progrès sur ce dossier sans cette indispensable unité entre les deux rives de l’Atlantique.
Le débat de ce soir, à l’occasion duquel nos rôles respectifs étaient interchangeables, était-il utile ? Certainement ! Je vous remercie de l’avoir mené avec des talents aussi divers que nettement perceptibles. Les quelques accusations contre la politique de notre pays qui ont émaillé notre débat, on ne les entend qu’ici, pas là-bas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat d’initiative sénatoriale.
Avant de lever la séance, je tiens à m’associer aux propos qui ont été tenus sur le courage de notre collègue Jean François-Poncet. Je veux, en notre nom à tous, l’assurer de notre souhait de parfait et total rétablissement.