M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en début d’année, il est de coutume de prononcer des vœux. À l’échelle globale, nous souhaiterions que la paix s’installe davantage dans le monde.
Malheureusement, au regard des dernières évolutions géopolitiques, l’idéal de liberté et de démocratie est loin de gagner du terrain. La commission des affaires étrangères et de la défense a donc souhaité organiser ce débat sur le Moyen-Orient.
Parce qu’elle est l’épicentre des grandes turbulences politiques de la planète, cette région mérite en effet une attention particulière.
La question est assez simple : quels progrès peut-on espérer en 2010 dans cette zone ?
Pour ma part, j’hésite entre espoir et déception. Dans chacun des pays en proie à un conflit, les avancées paraissent souvent faibles face aux difficultés anciennes ou, parfois, nouvelles.
Abordons d’abord la question israélo-palestinienne, qui s’éternise depuis un demi-siècle, et qui semble, à bien des égards, orienter le destin du secteur.
Si la paix n’est toujours pas à portée de main pour les Israéliens et les Palestiniens, le processus engagé sous Jimmy Carter à Camp David et repris en 2000 par Bill Clinton a au moins progressé dans les esprits. L’idée « deux terres, deux peuples » s’est peu à peu imposée et certains des points les plus épineux font heureusement, même si c’est encore insuffisant, l’objet de certaines avancées.
Pour autant, nous est-il permis d’espérer davantage pour cette année ? Je crains que non, tant que les deux camps opposés seront incapables de résister à la pression de leurs éléments extrêmes.
D’un côté, le Fatah, concurrencé politiquement par le Hamas, peine à s’imposer à la fois au sein de la population palestinienne et comme l’interlocuteur unique des négociations de paix, alors qu’il demeure le seul représentant vraiment reconnu pour Israël et pour la communauté internationale.
De l’autre côté, nous avons un premier ministre qui tourne régulièrement le dos à ses engagements. Récemment encore, Benyamin Netanyahou a autorisé la construction de neuf cents logements dans les territoires occupés à Jérusalem-Est, contrairement à ce qu’il avait promis quelques semaines plus tôt.
Dans ces conditions, le défi qui consiste à garantir l’avenir du peuple palestinien sans compromettre l’existence d’Israël reste entier et pour le moment sans issue.
En Irak, la situation évolue également de manière contrastée. On peut observer une relative stabilité du gouvernement Maliki qui a fait de la sécurité et de l’État de droit ses priorités. On peut même se réjouir d’un certain recul de la violence par rapport au plus fort de la guerre confessionnelle entre sunnites et chiites entre 2006 et 2007. Le sursaut américain a certes porté ses fruits grâce au déploiement de 30 000 soldats supplémentaires. Le ralliement des tribus sunnites, avec la création des « conseils de réveil », a par ailleurs contribué au retour d’une relative accalmie.
Mais le retrait des troupes américaines risque de changer la donne car elles ont fortement secondé les forces irakiennes dans leur lutte contre l’insurrection. Les « conseils de réveil » dépendent désormais d’un gouvernement dirigé par les chiites.
Par ailleurs, le problème kurde, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et même mieux que quiconque, n’est toujours pas résolu. Les prochaines élections pourraient donc créer un facteur supplémentaire d’instabilité si la majorité de M. Maliki était trop mince.
Mes chers collègues, si l’Iran n’est pas un pays en guerre, il suscite bien d’autres tensions, tout aussi préoccupantes.
L’ancienne tentation de ce pays d’exporter la révolution islamique a longtemps inquiété à juste titre les Occidentaux. Aujourd’hui, ce panislamisme a été remplacé par un nationalisme teinté de paranoïa, ce qui n’est guère plus rassurant.
Dans cet esprit, l’Iran nourrit l’ambition même plus dissimulée de posséder la bombe atomique. En effet, en faisant obstacle au travail des agences de l’ONU, en refusant l’offre franco-russe d’enrichissement de son uranium et en déclarant tardivement l’existence du site de Qom, ce pays laisse entrevoir la finalité militaire de son programme nucléaire, quoiqu’en disent ses dirigeants.
En conséquence, il est essentiel que la communauté internationale reste vigilante et ferme sur ce dossier, d’autant que nous mesurons aujourd'hui la nature réelle du régime iranien, au vu des événements récents : après une élection présidentielle truquée, la brutalité avec laquelle les derniers rassemblements ont été réprimés dévoile – certes sans créer de surprise – son véritable visage, celui d’une dictature autoritaire et liberticide.
Pour la troisième fois depuis l’été dernier, l’opposition, d'ailleurs de moins en moins impressionnée par l’appareil sécuritaire, n’a pas hésité à braver les autorités pour dénoncer le régime. Son courage a été chèrement payé le 27 décembre dernier, puisque les affrontements avec les forces de sécurité et les milices ont fait au moins huit morts, dont le neveu d’Hussein Moussavi.
La multiplication des arrestations et des exécutions sommaires montre le mépris des dirigeants iraniens pour les droits de l’homme.
S’il est prématuré d’imaginer un véritable changement de régime à ce stade des événements, le réveil d’une jeunesse militante, laïque, courageuse, suscite des espoirs.
Mes chers collègues, ces trois zones d’instabilité demeurent très dangereuses pour les populations qui y vivent, mais aussi pour la sécurité du monde. En effet, le terrorisme s’y nourrit, au nom du djihad mué en haine. Si Al-Qaïda a été affaiblie par endroits, l’organisation sait renaître ailleurs. L’attentat manqué contre le vol Amsterdam-Detroit du 25 décembre dernier confirme l’émergence de nouvelles bases, en l’occurrence au Yémen.
Une fois de plus, les terroristes profitent de la faiblesse de l’État pour s’implanter. Nous le savons, le président du Yémen, bien qu’il soit au pouvoir depuis 1978, ne contrôle plus les provinces orientales de son pays.
La conférence internationale du 28 janvier prochain devrait évoquer le cas du Yémen. Si l’attentat manqué nécessite de poursuivre la lutte contre le terrorisme, il paraît toutefois difficilement envisageable de laisser naître un nouvel Afghanistan.
M. Philippe Marini. Certes !
M. Jean-Michel Baylet. Compte tenu des enjeux de sécurité, qui dépassent le seul Moyen-Orient, se pose toujours la même question : quelle politique étrangère mener dans ces régions ?
Beaucoup de voies ont déjà été explorées : les sanctions, l’interposition, l’intervention militaire, la médiation... De nombreux pays se sont impliqués, au premier rang desquels les États-Unis.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurais pu évoquer encore d’autres pays de cette région et traiter de bien d’autres points de crispation. Toutefois, le sujet est tel, naturellement, qu’il est impossible d’évoquer l’ensemble des cas particuliers. La situation générale, en tout cas, demeure quant à elle incertaine et fragile.
Dans ce contexte, il est important, me semble-t-il, que la politique étrangère de la France s’inscrive dans la continuité, donc dans la recherche permanente des droits des peuples et de la paix.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ajouterai un dernier mot : si l’Union européenne pouvait se montrer plus active au Moyen-Orient, cette démarche serait utile, me semble-t-il, surtout compte tenu de nos responsabilités historiques dans cette région du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de rendre hommage au courage de M. Jean François-Poncet, qui a tenu à venir spécialement de Marrakech pour participer à ce débat et qui a certainement payé cet effort du malaise qu’il a subi. Nous lui souhaitons tous un prompt et total rétablissement.
Je voudrais aussi saisir l’occasion qui m’est accordée pour féliciter et remercier de leur remarquable rapport Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Jean François-Poncet, qui nous ont permis d’organiser ce débat. Nous avons puisé dans leur travail des informations de tout premier ordre. Leurs analyses sont parfaitement d’actualité et éclairent nos délibérations, en particulier celles d’aujourd’hui.
Quels sont les éléments que j’en retiens ? Il s'agit de trois constats et d’une conclusion.
Le premier constat est que le Moyen-Orient compte beaucoup pour l’Europe.
Cet intérêt trouve sa source dans la géographie, l’histoire et l’économie. Le Moyen-Orient est le berceau de notre civilisation. Nous y avons exercé une présence dès les origines de notre pays, et singulièrement au XXe siècle. Notre approvisionnement énergétique en dépend. Sa géographie en fait un carrefour stratégique entre trois continents, l’Europe, l’Afrique et l’Asie, et un lieu de confrontation entre les influences et les idéologies les plus diverses.
Toutefois, du Moyen-Orient dépendent aussi notre sécurité et celle de l’Europe dans son ensemble. Le meilleur moyen de lutter contre ce que nous appelons, dans un amalgame approximatif, le « terrorisme islamique » passe par une paix juste et durable au Moyen-Orient.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Des groupes, certes islamiques, mais avant tout fanatiques et terroristes, prennent prétexte pour menacer et tenter de frapper nos territoires d’une politique censée faire deux poids deux mesures entre Israël et les Arabes et qu’ils qualifient « d’injuste et d’inéquitable » ou de « double standard ».
C’est donc parce que notre propre sécurité dépend de la situation au Moyen-Orient que nous sommes fondés à exprimer notre opinion sur ce qui s’y passe. Il s’agit non pas de distribuer le blâme ou l’éloge, mais de nous prononcer sur la politique menée par les États de la région, à l’aune de notre propre sécurité.
La seconde raison justifiant l’intérêt de l’Europe est que les communautés d’origine moyen-orientales y sont particulièrement importantes. Entre quinze et vingt millions de musulmans vivent en Europe. En France, la communauté musulmane compte plus de cinq millions de personnes. C’est la plus importante d’Europe. Tel est aussi le cas de la communauté juive, estimée à 500 000 personnes.
Malgré la retenue dont font preuve leurs responsables, une radicalisation du conflit entre les Israéliens et les Arabes ne pourrait pas ne pas retentir sur les relations entre les communautés. Une telle situation n’est pas compatible avec la vision qui est la nôtre de l’harmonie sociale et de l’unité nationale. Veillons à ne pas importer dans notre pays les querelles du Moyen-Orient et à ne pas laisser à cette occasion se développer l’antisémitisme ou son pendant, l’anti-islamisme.
Mon deuxième constat est à l’inverse du précédent : l’Europe compte peu au Moyen-Orient.
Ceux qui voyagent en Orient ont peut-être eu le sentiment d’une véritable attente d’Europe. On y loue son soft power par contraste avec le hard power américain. On nous rappelle nos liens historiques. On marque de l’intérêt pour nos entreprises ou nos produits. Toutefois, soyons lucides ! Dès que les choses se compliquent, on se tourne vers les États-Unis. Cette situation n’a jamais été aussi vraie que depuis l’élection du Président Obama, qui a su tendre la main au monde musulman dans son discours du Caire.
Pourtant, l’Europe a été la première à reconnaître la solution des deux États, à travers la déclaration de Venise en juin 1980. Elle a joué un rôle important avec la conférence de Madrid et les accords d’Oslo en 1991.
Or, depuis lors, l’Europe s’est effacée. Elle n’a pesé pour rien pendant les années Bush. La création du Quartet a entériné une distribution des rôles dans laquelle les États-Unis coordonnent les efforts diplomatiques et sont garants de la sécurité, tandis que l’Europe paye.
La contribution des pays européens pour compenser les conséquences de l’occupation israélienne en Cisjordanie s’est élevée à plus de 1 milliard d’euros en 2009.
M. Didier Boulaud. Eh oui !
M. Josselin de Rohan. L’importance de cet engagement financier contraste avec l’effacement politique de l’Union européenne.
Pourquoi ? La réponse est malheureusement simple, et ce sera mon troisième constat : si l’Europe est impuissante, c’est parce qu’elle est divisée, incapable de parler d’une même voix sur la question centrale qui focalise l’attention du Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien.
Soyons clairs : pour des raisons qui tiennent à notre histoire et aux tragédies du siècle dernier, nous éprouvons des difficultés à affronter et à apprécier les faits en tant que tels, sans considération de l’identité de celui qui les commet. Les gouvernements d’Israël le savent et en tirent avantage.
Pourtant, l’amitié franco-israélienne ne fait aucun doute. Comme l’a rappelé le Président de la République dans son discours à la Knesset, cette amitié est due « à la manière dont le judaïsme a influencé, a nourri, a enrichi la culture française », et, en sens inverse, « à l’inspiration que les Pères fondateurs d’Israël ont puisée dans les valeurs de l’universalisme français ».
Le Président de la République a donné des gages de l’amitié de la France vis-à-vis de ce pays et des preuves de son amitié personnelle pour ses dirigeants. Comme lui, nous pouvons dire : « Oui, la France est l’amie d’Israël et la France sera toujours aux côtés d’Israël lorsque sa sécurité et son existence seront menacées ». Ces paroles engagent notre pays.
Présentement, la sécurité d’Israël semble solidement établie. Ni ses voisins, ni même les menaces insensées d’Ahmadinejad ne sauraient la remettre en cause.
Aussi le temps est-il venu, me semble-t-il, où Israël peut et doit s’employer à rechercher les moyens de mettre fin à un conflit sans issue, qui, de part et d’autre, n’a engendré que la haine, la destruction et le désespoir.
Comment, alors que l’Europe vient de célébrer l’anniversaire de la chute d’un mur qui consacrait sa séparation, croire qu’un mur qui coupe en deux le territoire palestinien, empêche toute circulation entre ses parties et multiplie les vexations et les tracasseries pour les Palestiniens puisse être autre chose qu’un instrument de ressentiment et de frustration ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. Bravo !
M. Josselin de Rohan. Comment un peuple comme celui d’Israël, qui a tant souffert de sa dispersion, de honteuses et inhumaines discriminations, mais aussi des spoliations, peut-il imposer à un autre peuple la privation d’emploi, l’expropriation de ses biens, des restrictions drastiques du droit d’aller et de venir, la possibilité même de reconstruire les logements ou les équipements détruits lors de l’opération contre Gaza ?
Comment une authentique démocratie comme Israël peut-elle s’accommoder d’atteintes aux droits de l’homme, telles qu’elles ont été établies dans le rapport Goldstone par les Nations unies, ou se satisfaire de la déstabilisation de l’Autorité palestinienne ?
Les terribles images diffusées par les télévisions du monde entier lors de l’opération « Plomb durci » en 2008, le témoignage de nos deux collègues Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga, qui se sont rendus presque immédiatement sur les lieux, jettent une bien cruelle lumière sur la tragédie de Gaza.
Aucune cause ne peut justifier la destruction délibérée d’hôpitaux, d’écoles, ou les attaques contre les populations civiles !
MM. Michel Billout, Didier Boulaud et Philippe Marini. Très bien !
M. Josselin de Rohan. De tout temps, et c’est à l’honneur d’Israël, des voix se sont élevées pour condamner les excès de la répression. Israël a connu des dirigeants comme Menahem Begin ou Itzhak Rabin qui, un jour, ont décidé de franchir les lignes de leur propre camp et de tendre la main à l’adversaire. C’est ce processus que les États-Unis et l’Union européenne doivent encourager en joignant leurs efforts. Les pays arabes et même le Hamas ont admis que les frontières de 1967 pouvaient servir de base à un règlement.
En formulant la proposition d’un moratoire ou d’un gel de la colonisation en Cisjordanie, le gouvernement israélien a implicitement reconnu que l’implantation de communautés juives dans les territoires occupés constituait un obstacle à l’établissement de la paix.
Quel que soit le point de départ, il est urgent de reprendre les discussions, mais, dans cette perspective, il est indispensable que le gouvernement israélien dispose d’un interlocuteur crédible et représentatif de l’opinion palestinienne.
En déstabilisant l’autorité palestinienne, en lui faisant chaque fois ressentir son impuissance, en la privant de toute autonomie, on la condamne à l’inexistence, et, qui plus est, on fait apparaître le Hamas, que par ailleurs on stigmatise, comme la seule force incarnant la résistance !
Quant aux dirigeants du Fatah, ils doivent être conscients que les divisions intestines des Palestiniens s’exercent au détriment de leur cause. Elles servent d’alibi utile à la partie adverse.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Quel peut être l’effort de notre pays pour faciliter l’établissement d’une paix durable au Proche-Orient ?
La France doit agir comme aiguillon au sein de l’Union européenne, pour que celle-ci devienne à même d’élaborer des propositions concrètes permettant la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens.
Nos rapporteurs en ont énuméré quelques-unes : le gel total des colonies, la libération des prisonniers détenus dans chaque camp, celle de Marwan Barghouti comme celle de Gilad Shalit, la fin des expulsions des habitants palestiniens et la levée complète des barrages en Cisjordanie.
En revanche, l’engagement de cesser les attentats sur le territoire israélien doit être obtenu des diverses factions palestiniennes. Les aides financières de l’Union européenne pour la reconstruction à Gaza pourraient être conditionnées au respect de ces conditions.
L’avènement au pouvoir du Président Obama a fait naître un espoir au Proche-Orient, puisqu’il a marqué une plus grande attention des États-Unis à la condition des Palestiniens, une vision moins unilatérale du conflit israélo-palestinien, une prise de position claire contre l’extension de la colonisation à Jérusalem et en Cisjordanie. L’Union européenne doit être en mesure d’appuyer cette vision. Sa détermination sur ce point sera un test de sa crédibilité.
Ce qui se joue au Moyen-Orient au travers d’un conflit vieux de plus de soixante ans, ce n’est pas seulement l’avenir de la Palestine ou celui d’Israël, c’est celui de notre sécurité en Europe et de la paix dans le monde.
Nous n’osons imaginer les conséquences d’un raid israélien sur les installations nucléaires iraniennes et, inversement, d’une attaque iranienne contre Israël.
M. Didier Boulaud. Oui !
M. Jacky Le Menn. Ce serait joli !
M. Josselin de Rohan. Nous savons que, tant qu’Israéliens et Palestiniens s’opposeront, aucune paix n’est possible entre Israël et la Syrie ou le Liban.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Depuis l’intervention israélienne dans la bande de Gaza, l’Union pour la Méditerranée, qui pourrait être un trait d’union puissant entre l’Europe, l’Asie et le continent africain, est en panne.
En conclusion, il est de l’intérêt de tous les protagonistes de sortir du face-à-face stérile et meurtrier dans lequel ils se sont enfermés. Dans l’intérêt des Palestiniens, c’est évident, il faut en finir avec le blocus de Gaza ! Quel responsable palestinien soucieux des intérêts de son peuple peut souhaiter que cette situation perdure ? Dans l’intérêt des Israéliens, c’est également évident, car le temps ne joue pas en leur faveur.
Pour sortir du statu quo, c’est au plus fort de tendre la main. C’est à Israël de faire le premier pas. Or le gouvernement israélien ne le fera que s’il est convaincu qu’il y va de son intérêt. Pour des raisons tenant au système politique israélien qu’a rappelées Jean François-Poncet, en particulier au régime électoral, ce premier pas est difficile, voire impossible. Israël ne bougera que si les pressions internationales sont plus fortes que les pressions nationales.
Pas plus qu’aucun autre pays européen, la France n’est suffisamment écoutée du gouvernement d’Israël pour l’en persuader. Les États-Unis, oui. Le veulent-ils ? Tel semble être le cas. Mais le Président Obama n’y arrivera pas tout seul. Il a besoin d’aide. L’Europe peut l’aider ! Encore faut-il que les Européens soient unis.
C’est pourquoi il est urgent de travailler à l’émergence d’un consensus européen et d’une plus grande coopération transatlantique sur ce sujet. Puisse le colloque que nous organisons dans cette enceinte les 28 et 29 janvier prochains y contribuer ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de décembre 2008, le Président de la République m’a confié une mission d’étude, d’analyse et de contacts sur le Proche-Orient. À ce titre, j’ai suivi nos rapporteurs presque à la trace (Sourires), car ma feuille de route était assez largement identique à la leur. Parcourant onze pays – un peu moins que vous, madame Cerisier-ben Guiga –, de capitale en capitale, nous nous sommes généralement succédé ou précédé à quelques jours près.
Paradoxalement, tout au long de l’année 2009, à la suite des événements dramatiques survenus à Gaza, de grands espoirs ont pu être nourris : plusieurs fois, les négociations entre les parties palestiniennes ont failli déboucher sur un accord, notamment grâce à la médiation égyptienne. Cependant, après la divulgation du rapport Goldstone, nous avons assisté à la rupture définitive des positions et à une profonde crise politique au sein de la partie palestinienne.
Par ailleurs, au cours de l’année 2009, la France a poursuivi dans la voie d’un rapprochement avec toutes les parties en présence. Dans tous les pays du Proche-Orient, l’attente à l’égard de la France est très grande. Quel chef d’État est en mesure de s’exprimer à Ryad, à Jérusalem, à Damas devant les interlocuteurs les plus divers, que des conflits extrêmement vifs opposent, et de susciter, par sa seule parole, une grande adhésion et une grande attente sur bien des points ?
La France, en particulier dans sa relation avec la Syrie et son président Bachar el-Assad, a ouvert des portes et utilisé les ressources de cet exceptionnel carrefour de l’Orient. Ainsi, depuis 2007, elle s’est replacée au cœur du jeu et a sans doute quelque chose de plus à apporter que ses partenaires. Bien sûr, les contradictions sont à l’œuvre. Nombreux sont les orateurs à l’avoir souligné, ces sujets sont parmi les plus difficiles du monde. La question palestinienne est certainement depuis soixante ans la question la plus symbolique, la plus aiguë à laquelle toutes les diplomaties du monde entier ont été confrontées. Dans ce contexte, notre pays a certainement un rôle important à jouer.
Nous assistons de nouveau à une montée des périls. Il convient de souligner l’extrême sensibilité de la zone. Les incidents survenus cet automne à Jérusalem ont bien montré que d’une étincelle pouvaient résulter de très grands désordres. Pour ma part, je crois que la communauté internationale sous-estime la situation. Plusieurs intervenants ont très justement mis l’accent sur cette politique insidieuse et tenace de transformation de Jérusalem. C’est bien là le cœur du sujet : pour des centaines de millions de personnes dans le monde, il s’agit de l’aspect le plus symbolique. Tout cela ne peut qu’inspirer de très grandes inquiétudes.
Ce problème est politique mais aussi religieux, miroir de nos différentes identités.
Comment espérer esquiver le principal et ne régler que l’accessoire ?
Cette remarque semble s’imposer à écouter les personnalités infiniment savantes, grands techniciens, voire technocrates des négociations internationales, dont l’approche a peut-être piégé la mission Mitchell. Je me pose très sérieusement la question. Monsieur le ministre, puisque vous avez rencontré Georges Mitchell – Monique Cerisier-ben Guiga l’a souligné –, sans doute pourrez-vous nous apporter des éclaircissements sur ce point.
Par la qualité de la personnalité désignée par le président des États-Unis, son antériorité, son ouverture d’esprit, son objectivité, cette espèce de correspondance et de similitude entre l’Irlande et la Palestine, la mission Mitchell a suscité un très grand espoir.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Oui !
M. Philippe Marini. Cependant, elle a travaillé très lentement et, quand les sujets ont commencé à être déblayés, l’état de grâce du Président Obama était terminé. Ce qui était possible au printemps, au début du mandat du président américain, ne l’était plus à l’automne.
Quelle est la situation actuelle ? Le patrimoine de la communauté internationale se réduit aux accords d’Oslo et au peu d’institutions palestiniennes qui existe. Il est le fruit de persévérantes et difficiles négociations et il a fallu résoudre de multiples contradictions pour en arriver là.
Or où en sont les institutions palestiniennes aujourd’hui ? Les mandats sont achevés et la situation commence à ressembler à celle du Parlement libanais pendant la guerre civile. Nous faisons semblant de ne pas avoir remarqué que le temps était révolu et qu’il faudrait une légitimité plus fraîche. La menace est réelle : si nous laissons se déliter ce patrimoine, que restera-t-il et que pourrons-nous opposer à la montée des périls ?
Quelle est l’autre solution à un schéma à deux États, autour duquel, en théorie, s’accorde la communauté internationale ? C’est le schéma à un État. Si Israël occupe tout l’espace entre la ligne de 1967 et le Jourdain, ce sera, à terme, un État avec une très puissante minorité qui, un jour, deviendra majorité.
M. Josselin de Rohan. Absolument !
M. Philippe Marini. Il s’agit là d’un profond levier de déstabilisation tant sur une rive du Jourdain que sur l’autre ! L’existence même de la Jordanie est en cause. Dès lors, l’onde de déstabilisation peut s’étendre à la péninsule arabique, à l’Égypte et à bien d’autres pays.
Nous avons peine à imaginer comment évoluerait la situation si le schéma de deux États sur le sol de la Palestine mandataire devait ne pas se concrétiser.
À mon sens, seule la perspective de deux négociations parallèles peut faire renaître l’espoir : l’une interétatique, l’autre interpalestinienne.
Il ne faut pas négliger que l’État d’Israël est toujours en guerre avec l’un de ses voisins, la Syrie, et que la position de cette dernière détermine celle du Liban. Si une paix peut intervenir sur la piste syrienne – ce que beaucoup d’Israéliens appellent le Syrian track –, un pas en avant considérable aura été franchi. Régler la question du plateau du Golan, c’est-à-dire rendre à un pays sa propre terre, et faire ainsi en sorte que la Syrie soit encore plus incitée à se réformer, à s’ouvrir vers l’Occident, à diversifier ses relations, à compter sur la France et sur l’Europe, voilà un enjeu de taille. Nous savons que nous pouvons y travailler de concert avec la Turquie.
Je tiens d’ailleurs à souligner que la vision et l’analyse de la France correspondent dans une très large mesure à celles de la Turquie. Pour des raisons historiques différentes, Turcs et Français connaissent la réalité complexe et multiforme de cette région et peuvent rassembler leurs efforts vers un but commun.
La négociation essentielle reste israélo-palestinienne. Mais pour négocier, il faut des interlocuteurs légitimes et, à ce titre, l’unité palestinienne est un préalable catégorique.
Chacun en convient, la politique du cordon sanitaire autour du Hamas, si on peut en comprendre l’origine et les motivations, s’est révélée dramatiquement inefficace.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Philippe Marini. Beaucoup ont rappelé à cette tribune que, paradoxalement, l’exclusive lancée contre le Hamas, dont il est d’ailleurs largement responsable, l’a renforcé et en a fait le pôle légitime de la résistance.
Le Hamas peut évoluer. Après tout, pourquoi serait-il si différent du Hezbollah ? La communauté internationale a admis, au sein du gouvernement libanais, une force militaire qui a joué le jeu des institutions, qui possède un groupe parlementaire et des ministres. Ce modèle est-il fatalement inapplicable au Hamas ?
Personne ne doit être naïf, monsieur le ministre, surtout pas les représentants de la France. Bien sûr, les efforts pour en arriver là doivent être partagés mais encore faut-il que les objectifs de ce mouvement soient compatibles avec les valeurs de la communauté internationale, avec l’existence et la sécurité de l’État d’Israël dans ses limites de 1967, à quelques ajustements ou échanges près.
Monsieur le ministre, tout cela peut redémarrer, j’en ai la conviction. Les deux pistes sont utiles et, selon les circonstances, l’une permettra d’avancer davantage, puis ce sera l’autre, puis peut-être, un jour, les deux.
Pour terminer, j’insisterai sur le rôle que la France peut jouer. Notre pays est crédible auprès de tous les interlocuteurs. Il est important qu’il le demeure vis-à-vis d’Israël. M. Josselin de Rohan a eu infiniment raison d’insister sur ce point. Si l’on veut jouer un rôle de médiation, que ce soit sur un terrain ou sur l’autre, d’un côté, avec la Turquie, de l’autre côté, avec l’Égypte ou l’Arabie Saoudite, il faut être agréé par les deux parties.
Cela suppose une analyse qui fasse preuve de réserve, même si, parfois, on aurait envie d’en dire plus et même si, comme l’a dit une très haute personnalité morale du XXe siècle, mieux vaut construire des ponts que construire des murs ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, mon propos sera, lui aussi, centré sur le conflit israélo-palestinien, et probablement plus sur la Palestine.
Je salue Mme la déléguée générale de la Palestine et celui qui nous accompagne à Ramallah régulièrement. Autrement dit, les Palestiniens sont présents dans nos tribunes pour écouter notre débat.
La situation est bloquée, monsieur le ministre. À qui profite ce statu quo ? Sûrement au Hamas à Gaza en ce moment, mais à Israël aussi probablement.
Au-delà du statu quo, l’enlisement est une réalité et le recul en est une autre. On évoque les deux États mais le principe même des deux États semble être aujourd’hui atteint : la question se pose à nouveau. C’est la réalité et l’existence des deux États qui est sans doute le problème majeur.
Nous l’avons tous dit et nous le répétons, car c’est essentiel, l’État palestinien est un État fantôme, il est occupé, colonisé et morcelé. Jérusalem-Est palestinienne est grignotée et Jérusalem-Est disparaît. Vous venez de le dire, monsieur Marini, actuellement, il n’y a plus de gouvernement ni de légitimité, et le président Abbas est simplement prolongé dans ses fonctions. La situation actuelle est particulière ; elle n’a jamais été aussi grave !
Bien sûr l’État d’Israël lui-même existe, est reconnu, et il doit l’être. Mais sans la création d’un État palestinien, son existence est-elle assurée dans la durée ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Très bien !