Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Jean-Paul Virapoullé.
3. Désignation d'un sénateur en mission
4. Organisme extraparlementaire
5. Audition au titre de l’article 13 de la Constitution
6. Décisions du Conseil constitutionnel
7. Modification de l'ordre du jour
8. Retrait d'une question orale
9. Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : Quelle réforme en 2010 ? – Débat d'initiative sénatoriale
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.
MM. Gilbert Barbier, Guy Fischer, René Teulade, Mme Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Nicolas About.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
MM. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville ; Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi.
MM. François Fortassin, M. le ministre.
Mme Janine Rozier, M. le secrétaire d'État.
Mme Isabelle Pasquet, M. le secrétaire d'État.
MM. Nicolas About, le ministre.
MM. Jacky Le Menn, le ministre.
MM. Marc Laménie, le ministre.
MM. Yves Daudigny, le ministre.
Suspension et reprise de la séance
10. Évaluation de la loi de modernisation de l’économie. – Débat d’initiative sénatoriale
Mmes Nicole Bricq, pour le groupe socialiste auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour ; Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Mme Odette Terrade, M. Claude Biwer, Mme Bariza Khiari, MM. Yvon Collin, Antoine Lefèvre, Pierre Hérisson, Mme Nathalie Goulet, MM. Daniel Raoul, François Fortassin, Jean Bizet, Mmes Muguette Dini, Christiane Demontès, M. Charles Revet.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
11. Moyen-Orient. – Débat d’initiative sénatoriale
M. Jean François-Poncet, au nom de la commission des affaires étrangères.
Suspension et reprise de la séance
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères.
M. Michel Billout, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Michel Baylet, Josselin de Rohan, Philippe Marini, Mmes Josette Durrieu, Dominique Voynet.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Jean-Paul Virapoullé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le procès-verbal de la séance du mercredi 23 décembre 2009 a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Remplacement d'un sénateur
M. le président. M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a fait connaître au Sénat que, en application de l’article L.O. 320 du code électoral, Mme Marie-Agnès Labarre est appelée à remplacer, à compter du 8 janvier 2010, à zéro heure, en qualité de sénatrice de l’Essonne, M. Jean-Luc Mélenchon, dont l’élection comme représentant au Parlement européen est devenue définitive. (M. Guy Fischer applaudit.)
Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la bienvenue. J’espère qu’elle trouvera immédiatement sa place dans notre maison grâce à l’accueil que lui feront non seulement le groupe auquel elle se rattachera mais aussi l’ensemble des sénateurs.
3
Désignation d'un sénateur en mission
M. le président. Par courrier en date du 24 décembre 2009, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, Mme Fabienne Keller, sénateur du Bas-Rhin, en mission temporaire auprès de M. Michel Mercier, ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, et de M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
Cette mission portera sur la politique transfrontalière.
Acte est donné de cette communication.
4
Organisme extraparlementaire
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la commission permanente pour l’emploi et la formation professionnelle des Français de l’étranger.
Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des affaires sociales à présenter une candidature.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
5
Audition au titre de l’article 13 de la Constitution
M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre, par lettre en date du 6 janvier 2010, a estimé souhaitable, sans attendre l’adoption des règles organiques qui permettront la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution, de mettre la commission intéressée en mesure d’auditionner, si elle le souhaite, M. Yannick d’Escatha, en qualité de président du conseil d’administration du Centre national d’études spatiales, dont le mandat viendra à échéance le 27 janvier prochain.
Acte est donné de cette communication, et ce courrier est transmis à la commission de l’économie.
6
Décisions du Conseil constitutionnel
M. le président. Par courriers en date du 29 décembre 2009, M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat les textes de deux décisions rendues par le Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution de la loi de finances rectificative pour 2009 et de la loi de finances pour 2010.
Acte est donné de ces communications.
7
Modification de l'ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, la présentation des vœux à l’ensemble des membres du Parlement par M. le Président de la République, le mercredi 13 janvier 2010 à dix-sept heures trente, ainsi que l’indisponibilité de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, cet après-midi pour le débat prévu sur le Moyen-Orient, ont des incidences sur notre ordre du jour de cette semaine.
Après concertation avec le Gouvernement ainsi qu’avec les groupes et les commissions directement intéressés, je vous ai fait adresser dès le samedi 9 janvier une modification de l’ordre du jour.
L’ordre du jour de la semaine s’établira donc comme suit :
Aujourd’hui, mardi 12 janvier 2010
Cet après-midi :
- Débat d’initiative sénatoriale « Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ? ».
Ce débat correspond à une première. En effet, programmé initialement dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, nous avions décidé ensemble de le reporter dans le cadre d’une semaine de contrôle. Ce sera sans doute un exemple à suivre pour alléger l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale mais aussi la discussion budgétaire.
Notons que l’année 2010 verra probablement fleurir de nombreux débats, échanges et propositions sur ce thème.
- Débat d’initiative sénatoriale sur l’évaluation de la loi de modernisation de l’économie.
Ce soir :
- Débat d’initiative sénatoriale sur le Moyen-Orient.
À cet égard, j’invite chacun de ceux qui interviendront cet après-midi à respecter son temps de parole afin que cet important débat puisse se dérouler à un horaire qui nous permettra d’avoir une discussion de qualité.
Mercredi 13 janvier 2010
À 14 heures 30 :
- Désignation d’un membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ;
Ordre du jour réservé au groupe de l’UMP :
- Proposition de loi visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie.
Si l’examen de cette proposition de loi ne pouvait être terminé avant le départ collectif prévu vers seize heures trente pour le Palais de l’Élysée, ce débat ne serait repris, en raison de l’emploi du temps du ministre, que le jeudi 14 janvier au soir. Afin d’éviter ce report en séance de nuit, des moyens particuliers de transport seront mis à disposition des sénateurs présents en séance s’il paraissait possible d’achever ce débat avant la cérémonie des vœux.
À 21 heures :
- Débat d’initiative sénatoriale sur l’évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports.
Jeudi 14 janvier 2010
À 9 heures :
Ordre du jour réservé au groupe socialiste :
- Proposition de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution, présentée par MM. François Patriat et Robert Badinter et les membres du groupe socialiste ;
- Question orale avec débat de M. Jean-Louis Carrère sur l’application de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale ;
À 15 heures :
- Questions d’actualité au Gouvernement ;
À 16 heures 15 :
Ordre du jour réservé au groupe de l’Union centriste :
- Proposition de loi relative à la création des maisons d’assistants maternels, présentée par M. Jean Arthuis et plusieurs de ses collègues ;
Suite de l’ordre du jour réservé au groupe de l’UMP :
- Proposition de loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre ;
Éventuellement, le soir :
- Suite de la proposition de loi visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie.
Y a-t-il des observations ?...
L’ordre du jour sera donc ainsi aménagé.
8
Retrait d'une question orale
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 719 de M. Alain Fouché est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
9
Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ?
Débat d'initiative sénatoriale
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’initiative sénatoriale « Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite : quelle réforme en 2010 ? ».
La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Dominique Leclerc, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, comme l’a déclaré le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès le 22 juin 2009, l’année 2010 doit être l’occasion de remettre à plat notre système de retraite, en n’éludant aucune question ni, surtout, aucune solution.
Compte tenu de l’effet amplificateur de la crise sur la dégradation des comptes de la branche vieillesse et de l’urgence à agir, la modification des paramètres actuels est, j’y insiste, inévitable.
Nous connaissons bien les différentes manières d’agir sur le pilotage du système par répartition, mais je crois utile de les rappeler pour la clarté de notre débat.
La première consisterait à réduire le montant des pensions de retraite. J’exclus d’emblée ce scénario, car il reviendrait à abaisser le niveau de vie des retraités, dont nous savons qu’il est déjà, pour certains d’entre eux, peu élevé. Je le répète, puisque l’on me fait quelquefois dire le contraire : il est exclu de réduire le montant des pensions de retraite !
La deuxième solution repose sur une hausse des cotisations de retraite. Elle a le mérite de la simplicité, mais, à moins que l’augmentation ne soit compensée par une diminution équivalente d’autres cotisations, elle présenterait deux inconvénients majeurs : d’une part, elle pèserait évidemment sur la compétitivité des entreprises et donc sur l’emploi ; d’autre part, elle aboutirait à taxer plus fortement les jeunes générations que les précédentes, ce qui affaiblirait encore davantage la solidarité intergénérationnelle.
La troisième solution, qui a été privilégiée jusqu’à présent, est l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Comme le prévoit déjà la loi de 2003, cette durée sera de quarante et une annuités en 2012. Doit-on désormais la porter à quarante-deux, voire à quarante-trois annuités ? Cela paraît assez légitime compte tenu de l’allongement parallèle de l’espérance de vie. Toutefois, avant d’emprunter cette voie, il faut garder à l’esprit que l’allongement de la durée de cotisation ne produit, en réalité, que des effets limités sur l’âge effectif de départ en retraite. Ainsi, le recul de l’âge moyen de départ en retraite résultant de la réforme de 2003 ne serait que d’environ deux mois et demi dans le secteur privé et d’environ un an et demi dans la fonction publique, selon les premières conclusions du COR, le Conseil d’orientation des retraites.
En revanche, un quatrième levier pourrait permettre d’obtenir des résultats plus significatifs. Il consisterait à repousser l’âge légal de départ à la retraite. En France, je le rappelle, cet âge a été abaissé à soixante ans en 1983. Or, ce qui, à l’époque, avait été présenté et vécu comme un progrès social entre aujourd’hui en contradiction avec les évolutions démographiques en cours. L’espérance de vie ne cessant d’augmenter, la période consacrée au travail au cours d’une vie est de moins en moins longue. En 1960, on passait près des trois quarts de sa vie au travail, aujourd’hui, on y consacre la moitié seulement. La logique voudrait donc, vous en conviendrez, que l’on repousse l’âge légal de départ en retraite, comme l’ont fait plusieurs de nos voisins européens.
Cependant, l’activation de ce levier se heurte à deux obstacles de taille : le premier est le taux d’emploi des seniors, le second est la pénibilité, sujets sur lesquels je vais maintenant m’attarder.
Nous le savons, pour le déplorer, la France présente malheureusement l’un des taux d’emploi des seniors – il s’agit des personnes âgées de cinquante-cinq ans à soixante-quatre ans – les plus bas des pays développés : il est aujourd'hui de 38 %. Cette singularité résulte des politiques publiques menées des années soixante-dix jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix. Au nom de la sauvegarde de l’emploi, notre pays a choisi la voie du partage du travail en incitant les salariés les plus âgés à partir en préretraite pour laisser la place aux plus jeunes. Avec la multiplication des mesures d’âge – dispositifs de préretraite, mises à la retraite d’office –, les seniors ont fini par être considérés comme inemployables. La politique de cessation anticipée d’activité des travailleurs âgés est devenue une véritable « culture de la sortie précoce », partagée par l’ensemble des acteurs du marché du travail. Elle a entraîné une spirale d’effets pervers, dont la dépréciation et l’inactivité des seniors me paraissent être les plus graves.
Fort heureusement, cette tendance est en train de s’inverser. Je tiens, à ce stade, à saluer les efforts entrepris par le Gouvernement, notamment à l’occasion de la loi de financement de la sécurité sociale de 2009.
Permettez-moi de rappeler, monsieur le président, que, en 2006, lorsque vous exerciez des responsabilités gouvernementales, vous aviez mis en œuvre une série de dispositions visant à favoriser l’emploi des seniors, lesquelles, on peut le dire, n’avaient pas suscité un enthousiasme délirant de la part des partenaires sociaux ! Ils vous avaient laissé bien seul…
M. le président. On peut parler de délire contenu ! (Sourires.)
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très contenu ! J’en ai été le témoin. Une réaction de cette nature doit être assez déconcertante lorsqu’on est en charge de telles responsabilités, mais vous en étiez alors au début de la concertation sur ce sujet. Les dispositions qui ont alors été mises en place ont depuis été amplifiées par les gouvernements suivants, jusqu’à en arriver au PLFSS de 2009.
De réelles avancées en matière d’emploi des seniors ont eu lieu, que ce soit grâce à la libéralisation du cumul emploi-retraite, à la revalorisation de la surcote, à l’aménagement de la mise à la retraite d’office ou, très récemment, à la conclusion d’accords dans les entreprises. S’il est encore bien évidemment trop tôt pour dresser le bilan de ces mesures, les premiers résultats sont encourageants : la mobilisation pour l’emploi des seniors est en marche.
Je pense néanmoins qu’il est indispensable, dans le contexte économique actuel, de la confirmer et même, bien évidemment, de l’amplifier. La crise ne doit pas servir d’alibi pour revenir aux mauvaises pratiques d’éviction des seniors afin d’ajuster les effectifs des entreprises ou d’éviter des licenciements économiques.
M. Guy Fischer. Cela continue !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. J’en reviens maintenant au lien entre emploi des seniors et âge de départ à la retraite.
La question du relèvement de l’âge de départ à la retraite doit en effet s’apprécier au regard de la situation de l’emploi des seniors, car, comme je l’ai déjà dit, reporter l’âge de la retraite ne conduit pas mécaniquement à un recul équivalent de l’âge de cessation d’activité. Une récente étude sur le sujet montre ainsi que l’âge auquel les personnes cessent définitivement d’être en emploi et celui auquel elles liquident un premier droit à la retraite ne coïncident que rarement. Les Français arrêtent de travailler en moyenne un an et demi avant de prendre leur retraite. Entre-temps, ils sont en invalidité, en préretraite ou, malheureusement, au chômage.
Dans ces conditions, retarder l’âge de départ à la retraite sans favoriser le maintien dans l’emploi des seniors aboutirait à augmenter le nombre des demandeurs d’emploi.
Le second obstacle est la pénibilité. Elle mesure les inégalités d’exposition aux risques professionnels. Or celles-ci sont fortes, ce qui pose la question de l’équité d’une démarche qui tendrait à prolonger de manière généralisée la vie active. La loi de 2003 portant réforme des retraites prévoyait l’engagement d’une négociation interprofessionnelle sur le sujet dans les trois ans. Celle-ci a bien commencé en février 2005, mais, en dépit de quelques avancées sur le volet « prévention », elle s’est soldée par un échec en juillet 2008.
Ce dossier m’inspire une série d’observations.
Je suis tout d’abord convaincu qu’il faut privilégier une approche individuelle de la pénibilité, tout en posant des règles collectives. Ce n’est pas le métier qui définit la pénibilité, ce sont plutôt les conditions d’exercice pour un individu donné en fonction de différents critères : pénibilité physique, pénibilité liée à un temps de travail atypique, pénibilité liée à l’environnement, etc. Ainsi une infirmière n’exerce-t-elle pas le même métier selon qu’elle travaille dans un service de soins palliatifs, dans une maternité ou dans un établissement scolaire.
J’insiste par ailleurs sur la nécessité de trouver un juste équilibre dans la prise en compte de la pénibilité : d’abord, la mise en place d’un système trop généreux risquerait d’être financièrement très coûteuse ; ensuite, il ne faudrait pas que la promesse de préretraite soit une nouvelle manière d’imposer à certains travailleurs le maintien de conditions de travail difficiles dans l’exercice d’une profession pénible.
Je rappelle en outre que le débat sur la pénibilité constitue manifestement une spécificité française : aucun pays européen n’a songé à mettre en œuvre pareil dispositif à l’échelon national.
Je finirai par un constat : quels que soient les paramètres qui seront modifiés, le problème du financement des régimes de retraite ne sera pas résolu pour autant. Il ne peut s’agir que de mesures à court terme, compte tenu des besoins de financement à satisfaire à l’horizon 2020-2050. Selon les simulations de la CNAV, la Caisse nationale d’assurance vieillesse, porter l’âge légal de départ à la retraite de soixante à soixante-deux ans apporterait au régime général 6,6 milliards d’euros en 2020, mais seulement 5,7 milliards d’euros en 2050, sur un déficit prévisionnel de plus de 46 milliards d’euros.
Au-delà de cette première étape d’ajustement, il est donc indispensable de réfléchir à d’autres modes de gestion de l’assurance vieillesse, car elle ne suffira pas à enrayer le mouvement de dégradation des comptes de la branche vieillesse. Elle ne constituera pas non plus une solution solide face au vieillissement démographique. Je n’évoquerai pas ici les besoins de financement des pensions civiles et militaires : ils sont proportionnellement encore plus importants et tout aussi inquiétants.
Sur l’initiative de la commission des affaires sociales, le Parlement a demandé au COR d’étudier les conditions dans lesquelles nos régimes par annuités pourraient être transformés en régimes par points, voire en comptes notionnels, sur le modèle suédois et bien d’autres modèles européens.
M. Guy Fischer. Cela ne marche pas !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Nous sommes conscients qu’aucun de ces modes de calcul des pensions ne constitue une formule magique permettant d’assurer le retour à l’équilibre financier d’un régime de retraite structurellement déficitaire ; mais chacun d’entre eux présente des avantages et des inconvénients, ce qu’il est important de savoir. Le rapport du COR, qui sera remis le 28 janvier prochain, constituera donc une base de travail dont nous attendons beaucoup en vue du rendez-vous de 2010. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’excellente intervention du rapporteur pour l’assurance vieillesse, M. Dominique Leclerc, qui témoigne à la fois de sa grande maîtrise du sujet des retraites et de sa lucidité quant aux défis à venir, je voudrais simplement vous livrer quelques observations.
La première porte sur l’incidence du choc démographique sur notre système de retraite. Deux phénomènes le caractérisent : l’arrivée à l’âge de la retraite, à partir de 2006, des générations nées après la Seconde Guerre mondiale – c’est le fameux « papy-boom » – et l’augmentation de l’espérance de vie de six ans depuis le début des années quatre-vingt.
En 2050, la France comptera, selon les projections actuelles, soixante-dix millions d’habitants : une personne sur trois sera alors âgée de soixante ans ou plus et onze millions de Français auront soixante-quinze ans et plus, contre cinq millions en 2005.
Cette évolution structurelle emporte des conséquences irréversibles sur les régimes de retraite. Évidemment, le vieillissement de la population accroît mécaniquement les dépenses de retraite, qui progressent plus vite que les cotisations. Il en résulte des déficits croissants et vertigineux : ils atteindront 25 milliards d’euros, tous régimes confondus, en 2020 et près de 70 milliards d’euros en 2050.
Inévitablement, nous devrons consentir des efforts pour répondre à ces besoins de financement. L’allongement de la durée d’assurance et de la durée d’activité me semble être la meilleure garantie, et la plus juste, pour assurer un haut niveau de retraite sans reporter sur les actifs de demain une charge démesurée.
Ma seconde observation porte sur un sujet qui se situe à la périphérie de notre débat sur les retraites, mais qui lui est étroitement lié : la prise en charge de la dépendance. Je crois d’ailleurs que le Gouvernement souhaite traiter ces deux dossiers parallèlement.
J’aborderai cette question sous l’angle du développement de l’offre de soins à domicile. Nous le savons, nos concitoyens, dans leur grande majorité, souhaitent pouvoir rester chez eux le plus longtemps possible et considèrent que le maintien à domicile doit être une action prioritaire de l’État. Cela suppose de renforcer l’aide aux tâches domestiques et l’accompagnement des actes de la vie quotidienne, d’améliorer l’aménagement des logements et d’accroître les aides techniques. Dans tous ces domaines, les besoins sont immenses.
Or le secteur du maintien à domicile souffre de nombreuses faiblesses qui l’empêchent de prendre véritablement son essor.
Il reste fragmenté entre différents décideurs, différents financeurs et différents producteurs. N'est-il pas singulier que nous n’ayons pas une politique de maintien à domicile pilotée et financée de manière cohérente ? La Cour des comptes avait déjà dénoncé, l’an dernier, la persistance, en dépit de ses recommandations passées, d’une multiplicité d'intervenants auprès d'une même personne – aides à domicile, infirmières, aides-soignants, personnels médicaux et paramédicaux – et leur manque de coordination.
Ensuite, ce secteur est confronté à l'insuffisante qualification de son personnel. Face à l'augmentation du nombre des services mandataires et prestataires d'aide à domicile, se pose légitimement la question de leur qualité et de la confiance qu’il est possible de leur accorder. Au-delà de l'enjeu quantitatif, il y a donc aussi un défi qualitatif à relever dans le secteur du maintien à domicile.
J'en viens à ma dernière observation : le financement de la dépendance. Comme vous le savez, dès l'annonce par le Président de la République, à la fin de 2007, d’un projet de loi sur la prise en charge de la dépendance et la création d'un cinquième risque, le Sénat a constitué sur ce thème une mission commune d'information, dont j'ai l'honneur d'être membre, entre la commission des affaires sociales et la commission des finances. La mission a établi un rapport d'étape afin de faire le point sur ce sujet majeur de société pour lequel nos concitoyens attendent des réponses pertinentes et pérennes, à la hauteur des enjeux.
Notre mission s'est d'abord attachée à expliquer pourquoi le statu quo n'est pas tenable à terme. Certes, des efforts financiers très importants ont été engagés depuis plusieurs années, comme la mise en œuvre de l'allocation personnalisée d'autonomie, la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ou l'instauration d'une journée de solidarité. Mais, parallèlement, les ressources à mobiliser pour les personnes âgées en perte d'autonomie n'ont cessé d'augmenter : elles approchent aujourd'hui une vingtaine de milliards d'euros, soit un peu plus de 1 % du PIB.
Dès lors se pose la question de la soutenabilité de la dépense publique. D'un côté, le nombre de personnes en situation de perte d'autonomie va continuer de croître. De l'autre, la dette publique accumulée, le poids déjà lourd des prélèvements obligatoires et la montée inéluctable des dépenses de maladie et de retraite liées au vieillissement de la population imposent de procéder à des arbitrages.
Partant de ce constat, notre mission a formulé quatre séries de préconisations.
Premièrement, il faut prévoir plus d'équité en faveur des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile, en instaurant un mécanisme de prise de gage sur le patrimoine.
Deuxièmement, il convient de maîtriser le reste à charge en établissement et d’accroître l'efficience de la dépense en établissements d'hébergement.
Troisièmement, la mission propose de mettre en place un financement mixte du cinquième risque, faisant intervenir les assurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance aux côtés de la solidarité nationale.
Quatrièmement, enfin, il est nécessaire de créer les conditions d'une bonne gouvernance du cinquième risque.
Les propositions de notre mission pourront, je l’espère, utilement enrichir le projet de loi annoncé pour cette année.
Je laisse maintenant la parole aux orateurs des groupes pour un débat qui, j'en suis persuadée, sera riche en propositions et critiques. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de dix minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Le Gouvernement répondra aux représentants de la commission et aux orateurs.
Puis nous aurons une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement. La durée de la discussion de chaque question est limitée à cinq minutes réparties de la manière suivante : deux minutes pour la question, deux minutes pour la réponse et une minute pour une réplique éventuelle.
La conférence des présidents a décidé d’attribuer deux questions aux groupes UMP et socialiste et une question aux groupes UC, CRC-SPG et RDSE.
Dans la suite du débat, nous en sommes parvenus aux interventions des orateurs des groupes.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, réformer les retraites est un sacré travail, « la mère des batailles », comme vous le dites justement, monsieur le ministre.
Normalement, la réforme dite « Fillon » de 2003 avait réglé les choses jusqu’en 2012. Le Président de la République a décidé de s'attaquer à la question dès cette année, et ce avec raison. Plus le temps passe, plus les responsables de la Caisse nationale d'assurance vieillesse s’inquiètent de l’évolution du déficit : ce dernier, après avoir atteint 8,2 milliards d'euros en 2009, s’élèvera à 10,7 milliards cette année !
À ces montants records, il faut ajouter les pertes des régimes de retraites complémentaires des salariés du privé – AGIRC, Association générale des institutions de retraites des cadres, et ARRCO, Association des régimes de retraites complémentaires – qui seront dans le rouge en 2010, et celles du fonds de solidarité vieillesse.
Certes, l'incidence de la crise n'est à ce sujet pas négligeable. Quand les salaires stagnent et que le nombre de chômeurs s'accroît, les cotisations se réduisent mécaniquement. Mais le problème est aussi structurel.
Comme l’a très bien montré M. le rapporteur, les données sont connues : un déséquilibre grandissant entre le nombre d'actifs et de retraités, un allongement de l'espérance de vie et, en conséquence, de la période de la retraite.
À l'évidence, les mesures prises en 2003 seront insuffisantes pour faire face au papy-boom. Nous le savons, le rythme des départs reste élevé et, même si les pensions ne sont revalorisées qu’en fonction de l'inflation, la facture continuera de s'alourdir.
La France ne peut donc faire l'économie de nouvelles mesures pour équilibrer son système de retraites. Le rendez-vous de cette année est capital et ne doit pas se limiter à quelques aménagements des dispositions existantes.
Sauf à remettre complètement le système à plat, et à changer radicalement de logique – la capitalisation plutôt que la répartition –, la réforme ne peut jouer que sur quelques leviers : la durée de cotisation, l'âge de départ à la retraite, le montant des cotisations et celui des pensions. Les réformes de 1993 et de 2003 ont surtout joué sur le premier élément. Rien n’interdirait d’ailleurs de les combiner.
La conjoncture actuelle limite les marges de manœuvre, cela ne fait aucun doute. Il est néanmoins permis de réfléchir et d'espérer.
Une baisse du niveau des pensions, nous l’avons vu, n'est guère envisageable. Elle affaiblirait le pouvoir d'achat des retraités et bloquerait la machine économique. Elle se révélerait contre-productive à tous points de vue. Déjà, nous le constatons, les retraités sont nombreux à fréquenter les Restos du cœur, le Secours populaire ou le Secours catholique...
L'augmentation des cotisations serait sans doute un scénario efficace. Toutefois, une telle décision est délicate, dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà anormalement élevés et alors que la crise rogne le pouvoir d'achat des salariés.
Reste la solution de repousser l’âge de départ à la retraite. Jusqu'à présent, nous avons choisi d'allonger la durée minimale de cotisation nécessaire à la perception d’une pension à taux plein. En réalité, le rapporteur l’a également souligné, pour beaucoup de Français, une telle évolution repousse mécaniquement l'âge de départ à la retraite. L’entrée dans la vie active se faisant de plus en plus tard, il est en effet toujours plus difficile d'obtenir ses annuités à soixante ans.
Dès lors, allons au bout de la logique et reculons l'âge légal de la retraite. Nous touchons là, j’en suis conscient, à un symbole fort, objet de vives divergences entre les partenaires sociaux. Mais discutons-en sans tabou !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Ah !
M. Gilbert Barbier. Il ne s'agit pas de remettre en cause le droit de chacun à profiter de quelques années paisibles après une vie de labeur. Il convient d’être réaliste et cohérent devant l'écart grandissant entre la durée de la vie et la durée de l'activité professionnelle.
Certains de nos voisins européens ont fixé à soixante-cinq ans, voire à soixante-sept ans l'âge de départ à la retraite. La France se distingue déjà par la durée hebdomadaire de travail la plus courte. Aura-t-elle longtemps aussi la durée de la retraite la plus longue ? Les Français seraient-ils moins endurants, vivraient-ils moins vieux que les Allemands ou les Scandinaves ? J'en doute !
Cela dit, un tel choix suppose évidemment d’avancer préalablement sur l'emploi des seniors et la pénibilité au travail, objet de la présente discussion. En effet, toutes ces problématiques sont liées.
Or, avec un taux d'emploi des seniors de 39 %, contre 46 % en moyenne dans l'Union européenne, la France est à la traîne, et se situe en deçà des objectifs assignés par la stratégie de Lisbonne.
Durant des décennies, notre pays a exclu de l'emploi les salariés les plus âgés pour, soi-disant, laisser la place aux jeunes. Cette politique de partage du travail pouvait éventuellement se justifier il y a trente ans, compte tenu du contexte démographique et économique de l’époque, mais elle a laissé une culture délétère encore bien présente.
Le licenciement d'un senior est en effet trop souvent utilisé comme une préretraite déguisée, payée par l'assurance chômage. Il en résulte un échec sur tous les tableaux. Notre système de protection sociale est menacé, les entreprises se sont privées de salariés à l'expérience et aux compétences précieuses, le chômage des jeunes a continué de croître et les seniors n'ont souvent d'autre horizon qu'une retraite au rabais...
Le Gouvernement n'est certes pas resté inactif. Surcote plus incitative, assouplissement du cumul emploi-retraite, suppression des clauses « couperet » et des mises à la retraite d'office, ce sont là des mesures concrètes. De plus, vous avez souhaité mobiliser les entreprises afin qu’elles prennent leurs responsabilités. Ainsi, plus de 8 000 d’entre elles et quatre-vingts branches ont finalisé un accord ou un plan d'action en faveur du travail des plus de cinquante-cinq ans.
Soyons francs, nombre de ces systèmes ont été bâtis en urgence pour permettre aux entreprises d'échapper à la sanction financière applicable au 1er janvier. Il reste à démontrer qu'ils ne se limiteront pas à des déclarations d'intention mais auront, malgré un contexte défavorable, une réelle capacité à produire des résultats. Avez-vous, monsieur le ministre, des retours de l'enquête qualitative que vous avez lancée sur ce sujet ?
Quoi qu'il en soit, gardons-nous d'instaurer des quotas de seniors et de pénaliser les PME. D’ailleurs, le délai de trois mois accordé me paraît insuffisant pour leur permettre de régler ce problème.
Enfin, cette évolution attendue sur l'emploi des seniors ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la pénibilité au travail. Comment, en effet, maintenir un salarié âgé sur un poste de maintenance en chaudronnerie, un poste exposé aux intempéries ou supposant un port journalier de charges lourdes, comme dans le bâtiment et les travaux publics ?
La négociation interprofessionnelle sur la pénibilité, prévue par la réforme de 2003, s'est soldée par un échec. À vrai dire, cela ne m'étonne guère, car cette notion est difficile à appréhender tant les acceptions sont nombreuses et fragmentaires.
Qu’en est-il exactement ? S'agit-il d'un travail dangereux qui induit un risque professionnel particulier, d’un travail non dangereux source d’une fatigue préjudiciable à la santé ? S'agit-il d'une situation de travail dans laquelle l'intégrité physique ou mentale du travailleur serait altérée à plus ou moins longue échéance ?
Du fait de l'intensification des tâches, due notamment aux 35 heures, il faut bien le dire, mais aussi d'un management défaillant ou d'une organisation du travail inefficace, de nombreux salariés souffrent au travail. Le stress, le mal-être au travail seront-ils, demain, des critères de pénibilité ?
Le premier enjeu est donc bien de définir cette notion. C’est une tâche complexe, car la pénibilité met en jeu la perception par l’individu de son emploi. Le stress lié à de fortes contraintes de temps peut être bien vécu. De même, le travail de nuit peut être choisi. Il n'y a pas de correspondance évidente entre la pénibilité ressentie et la pénibilité effective.
En réalité, la définition de la pénibilité dépend de l'objectif visé. Si l’objectif est la prévention, tous les facteurs de risque ayant une incidence sur la santé des salariés doivent être pris en compte. Si l’objectif est la compensation, c’est le caractère durable, identifiable et irréversible des dégâts physiques ou psychiques qui ont pu intervenir pendant la durée du travail qu’il faut retenir. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que ce point a été abordé lors des négociations ? Quels ont été les facteurs de pénibilité retenus pour ouvrir le débat sur la compensation ?
Il s’agit là du deuxième enjeu et c’est sans doute celui qui cristallise les divergences.
Personnellement, je ne suis pas sûr de vouloir partager ces conceptions. La retraite anticipée peut se justifier pour certains cas, mais elle n'est pas la solution pour beaucoup d'autres. De surcroît, elle ne concerne pas les travailleurs non salariés, également susceptibles d’exercer des métiers pénibles : je pense en particulier aux agriculteurs.
Les personnes ayant acquis une certaine expérience peuvent travailler autrement. Il convient de ne pas négliger d'autres pistes, comme le reclassement, s'il est mis en œuvre avant que les effets sur la santé ne se manifestent ; le temps partiel peut également être une solution en fin de carrière.
Il faut aider les entreprises, notamment les PME, à mieux gérer les aspects les plus délétères du travail et à accompagner les carrières.
Ainsi, dans certains secteurs, les salariés pourraient être mis sur des postes « plus doux » dès l’âge de cinquante ans, comme cela se pratique en Europe du Nord. Il faut réfléchir aux incitations de carrière et cibler la formation professionnelle sur les transitions de carrière.
Oui, du point de vue de l’équité, on peut envisager des départs anticipés ou des retraites bonifiées pour ceux dont on sait qu’ils sont aujourd’hui prématurément usés. Mais cela ne doit pas devenir la règle. Pour l’avenir, l’accent doit être mis avant tout sur la prévention, par l’amélioration des contraintes techniques et des organisations du travail et sur la formation tout au long de la vie, qui est un élément capital pour envisager une seconde carrière ou un reclassement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Claude Jeannerot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2010 devrait constituer une nouvelle étape de régression pour l’avenir des retraites (M. le rapporteur s’exclame.), ce qui inquiète à juste titre les salariés de notre pays. En effet, ils connaissent la manière de procéder de la majorité : par touches successives, ça passe mieux !
Permettez-moi de faire un bref rappel.
Pour les salariés du privé, l’année 1993 fut celle du passage aux quarante annuités de cotisations, avec la prise en compte des vingt-cinq meilleures années et l’indexation des retraites sur les prix. Il en est résulté une baisse de 10 % à 15 % des pensions pour les carrières complètes et de 20 % à 25 % pour les carrières incomplètes.
D’ailleurs, un rapport du COR a mis en évidence le fait que les principales mesures d’économies provenaient pour 80 % de l’indexation des retraites sur les prix, le passage aux vingt-cinq meilleures années pesant pour 16 % et le passage aux quarante annuités pour 4 % seulement !
À l’époque déjà, l’allongement de la durée de cotisation n’était pas la mesure économiquement déterminante. Mais elle était emblématique et avait pour objet de faire croire à nos concitoyens qu’il n’y avait pas d’autre solution que de travailler encore plus longtemps pour sauver notre système de retraites par répartition.
En 2003, vous avez porté la durée de cotisation pour les fonctionnaires à quarante annuités, sous prétexte d’équité, en instaurant un mécanisme de décote et de surcote. Quant aux deux autres mesures présentées par le Gouvernement de l’époque comme mesures phare, le dispositif « longues carrières » et le rachat des années d’études, elles sont – force est de le constater – d’autant plus insuffisantes qu’elles ont été progressivement vidées de leur substance.
Aujourd’hui, malgré les réformes Balladur, Fillon et celle, plus récente, des régimes dits spéciaux, les comptes sociaux connaissent d’importantes difficultés financières.
En 2009, le déficit de la branche vieillesse a atteint 8,1 milliards d’euros, et il devrait atteindre 11,3 milliards d’euros en 2010. Et vous prenez prétexte de cette situation pour tenter d’imposer de nouvelles mesures sur les retraites et pour porter de nouveaux coups à notre système par répartition !
Les déclarations sur le sujet se multiplient, à commencer par celles du Président de la République ou celles du Premier ministre. Vos regards, comme ceux du patronat, convergent en direction de l’Allemagne, qui vient de porter l’âge légal de départ à la retraite à soixante-sept ans à partir de 2012. (M. le rapporteur s’exclame.)
Mais, dans le contexte économique actuel, marqué par l’explosion sans précédent du chômage, de la précarité, du temps partiel subi, avec ou sans revenu de solidarité active, le RSA, décider d’allonger la durée de cotisations ou de reculer l’âge de départ à la retraite est un non-sens, d’autant que les deux questions fondamentales que sont l’emploi des seniors et la pénibilité n’ont pas été résolues.
Il faudrait également évoquer, même si ce n’est pas l’objet de notre débat d’aujourd’hui, l’accès à l’emploi des jeunes. En effet, tout est lié.
En matière d’emploi des salariés âgés de cinquante-cinq ans à soixante-quatre ans, la France fait figure de dernière de la classe de l’Union européenne, avec seulement 38,2 % de salariés de cette tranche d’âge en activité.
Nous doutons fortement que le mécanisme instauré à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, prévoyant une sanction financière égale à 1 % de la masse salariale pour les entreprises n’ayant pas conclu d’accord sur l’emploi des seniors ou n’ayant pas mis en œuvre un plan d’action sur le sujet si les négociations ont échoué, soit de nature à apporter une réponse durable sur le sujet.
Aujourd’hui, selon le ministère du travail, 8 000 entreprises ont finalisé un tel dispositif. Mais, à y regarder de près, les accords sont rares. Dans les deux tiers des cas, ce sont des plans d’actions qui sont mis en œuvre. La loi, en ne modulant pas la sanction, constitue pour les employeurs une véritable invite à contourner les partenaires sociaux ! Et quand bien même les employeurs mettraient en œuvre leurs plans d’action, les conséquences sur l’emploi des seniors risqueraient d’être modestes.
Une enquête menée par le cabinet de conseil Mercuri Urval atteste que 80 % des employeurs sondés envisagent d’organiser la transmission des savoirs et le tutorat, alors qu’ils ne seraient que 20 % à avoir l’intention de mettre en place des mesures pour favoriser l’emploi immédiat de seniors.
Dans un tel contexte, envisager l’allongement de la durée de cotisations ou le recul de l’âge légal de départ apparaît comme une véritable provocation. Cela pénaliserait immanquablement les salariés qui ont commencé à travailler tôt, d’autant que le Gouvernement a encore durci les conditions d’accès au dispositif carrières longues, y compris à l’occasion des modifications apportées à la majoration de durée d’assurance.
De la même manière, nous ne pouvons que dénoncer la suppression progressive de la dispense de recherche d’emploi pour les salariés privés d’emploi approchant les soixante ans. C’est en fait tout un modèle économique, tourné vers la performance et le moindre coût du travail, qui incite les employeurs à se séparer des salariés supposés être moins productifs et coûter plus cher, à partir de cinquante-huit ans et huit mois, comme l’a souligné Dominique Leclerc.
Par ailleurs, au groupe CRC-SPG, nous considérons que le Gouvernement doit faire de la prise en compte de la pénibilité sa priorité pour 2010. Il est nécessaire de déconnecter les deux débats : il faut évoquer la pénibilité avant de parler de la réforme des retraites.
Les négociations sur la pénibilité au travail sont gelées depuis le 16 juillet dernier. Patronat et Gouvernement portent une lourde responsabilité dans cet échec. D’abord, le patronat a refusé pendant longtemps de reconnaître que le travail pouvait être nocif pour la santé des salariés, puis a refusé d’aborder les questions de l’accès à un dispositif de retraite anticipée, de la réparation et du financement. Et le Gouvernement a laissé s’enliser les négociations.
Si celles-ci n’ont pas débouché sur un accord, elles ont néanmoins permis la reconnaissance progressive d’une réalité : les conséquences potentiellement nocives du travail sur la santé des salariés. Aujourd’hui, nul ne peut plus nier cette réalité constatée scientifiquement : l’espérance de vie d’un ouvrier est en moyenne inférieure de sept ans à celle d’un cadre.
La pénibilité peut se classer en trois catégories.
La première catégorie correspond globalement aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Cela requiert un effort important de la part des employeurs pour adapter les conditions de travail et de la part des pouvoirs publics pour adapter les règles et les outils de prévention.
La deuxième catégorie est liée aux conditions mentales ou psychiques de réalisation de l’activité professionnelle, autrement dit le « stress ». La solution passe par une modification des conditions et des rythmes de travail. Je pense notamment aux cas de suicides.
La troisième catégorie, qui est malheureusement irréversible, est celle qui résulte de l’exposition du salarié pendant un temps et selon une intensité certaine à un facteur nocif pour sa santé. Le salarié dont l’espérance de vie est ainsi réduite doit pouvoir bénéficier d’une retraite anticipée. C’est sur cette véritable mesure de justice sociale que les négociations achoppent.
En effet, le patronat considère qu’il n’a pas à financer ce mécanisme, ce que nous contestons vivement, et entend conditionner ce départ anticipé à la retraite à l’approbation d’une commission médicale. Cette proposition aurait pour effet d’instaurer, selon l’expression de la CGT, « un mécanisme d’invalidité bis ».
Avec les organisations syndicales, nous refusons cette logique médicale. Nous considérons que la pénibilité et son appréciation doivent reposer sur la reconstitution de la carrière du salarié et sur la prise en compte de son exposition à des facteurs pouvant diminuer son espérance de vie. L’analyse de la commission médicale, qui est préconisée par le MEDEF, reviendrait à avancer de quelques mois à peine la retraite des salariés malades du travail. Ce serait rendre quasi inopérant ce dispositif.
Enfin, monsieur le ministre, le 10 juillet dernier, vous déclariez sur France Inter : « Plusieurs solutions sont envisageables. […] On peut envisager une capitalisation plus grande. » Le mot est lâché !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Et alors ?
M. Guy Fischer. Les salariés de notre pays savent que vous ferez tout pour substituer ce système individualiste et inégalitaire à notre système actuel, fondé au contraire sur la répartition et la solidarité entre les générations.
Cette annonce nous inquiète. Nous nous étions pris à espérer que votre majorité était enfin échaudée par la crise économique que nous venons de traverser. En effet, souvenons-nous, ce sont presque 2 000 milliards de dollars placés dans des fonds de pensions qui ont disparu en quelques mois !
Enfin, nous entendons rappeler notre opposition au remplacement de tous les régimes de base par un régime unique par points ou en « comptes notionnels ». Cela ferait basculer notre régime dit « à prestation définie » vers un régime « à cotisations définies », ce qui aboutirait inéluctablement, à plus ou moins brève échéance, à un véritable effondrement des retraites par répartition. C’est à cela que visent toutes vos hypothèses de réformes.
Pour notre part, nous considérons qu’une réorientation radicale des finances sociales permettrait le maintien de l’âge légal de départ à la retraite à soixante ans.
Comme nous en avons fait la démonstration à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, votre majorité organise chaque année un peu plus l’appauvrissement de notre système en refusant de taxer les revenus du capital, en refusant d’élargir l’assiette de cotisations et en favorisant les emplois précaires, véritables trappes à bas salaires pesant sur les salariés comme sur les comptes sociaux, alors même que la part de richesses produites dans les entreprises et consacrée aux dépenses salariales est passée de 72,8 % en 1970 à 66,2 % en 2000. Et vous continuez à autoriser les employeurs à s’exonérer des parts patronales de cotisations sociales : 30,7 milliards d’euros en 2008, selon les chiffres que vient de publier l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS.
La véritable cause du déficit est là, et la solution pour les retraites en dépend en grande partie.
Je voudrais vous rappeler nos quatre propositions : réformer l’assiette des cotisations sociales, créer une cotisation nouvelle sur les revenus financiers des entreprises et des institutions non financières, mobiliser tous les moyens en faveur de l’emploi des jeunes générations comme des seniors et, enfin, supprimer les exonérations de cotisations sociales, qui – nous venons de l’apprendre – ont progressé de 13,1 % en 2008.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, croyez-moi, la manière dont Mme la ministre de la santé et des sports traite le volet pénibilité du travail infirmier met un singulier coup de projecteur sur le rendez-vous de 2010 sur les retraites ! On accorde un avantage, mais, en contrepartie, l’âge de départ en retraite passe de cinquante-cinq à soixante ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quelle réforme sera décidée en 2010 ?
Au cours de la décennie qui vient de s’écouler, tous les responsables politiques, y compris au plus haut niveau, ont affirmé la nécessité de procéder à des réformes pour garantir l’avenir des retraites par répartition, qui est, selon leurs propres termes, l’expression de la solidarité entre les générations et, de ce fait, un facteur de cohésion sociale. Tous ont souligné que, pour être comprises et acceptées par les Français, ces réformes devaient faire l’objet d’une véritable concertation et qu’elles ne devaient pas opposer retraités et cotisants, secteur privé et secteur public et, au sein de celui-ci, les différents régimes. La Haute Assemblée est naturellement convaincue de cette nécessité.
De même, l’allongement de l’espérance de vie est la donnée fondamentale, permanente et structurante à partir de laquelle doit s’articuler toute notre réflexion. Contrairement à ce que l’on peut dire parfois, c’est un progrès considérable pour l’humanité.
Ainsi, loin de se limiter à un simple débat financier, la question des retraites relève d’un choix de société.
Par ailleurs, l’avenir des retraites constitue, comme l’ensemble des problèmes économiques et sociaux, une question vivante et mouvante pour laquelle il n’y a pas de solution définitive, et qui nécessite des adaptations progressives et successives en fonction des réalités du moment.
Si l’on veut éviter de privilégier les deux instruments immédiatement utilisables que sont la baisse du niveau des retraites et la hausse des prélèvements obligatoires, dans une réflexion qui ne peut dépasser dix ans, d’autres éléments doivent entrer en ligne de compte tels que l’emploi, l’augmentation des effectifs cotisants, la réduction du temps de travail, le taux de croissance et le partage de ses fruits, les politiques salariales, l’assiette des cotisations ou la place que notre société entend faire aux retraités.
En effet, après la période de formation et celle de l’activité professionnelle, vient de façon plus ou moins progressive, selon les situations individuelles, le temps de la « troisième vie ». Il permet aux aînés de jouer dans la société un rôle actif sur le plan social et économique.
Faut-il rappeler que 30 % des maires ont plus de soixante ans ou que les seniors ayant cessé leur activité professionnelle prennent une part souvent importante dans la vie de proximité ou au sein des associations et des syndicats ?
Dans une société où le temps fait souvent défaut aux actifs, les jeunes retraités soutiennent fréquemment leurs parents, notamment lorsque ces derniers sont confrontés au handicap, ainsi que, sur le plan financier, leurs enfants et leurs petits-enfants.
La fin de l’activité professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et sociale.
Renverser l’attitude à l’égard des fins de carrière afin de faire mieux coïncider cette interruption avec la durée allongée des cotisations nécessite une évolution des comportements des entreprises et des salariés, mais aussi une adaptation des dispositifs existants.
La cessation brutale et anticipée de l’activité constitue un gaspillage d’expérience et de savoir. Elle se traduit souvent par des problèmes de santé liés à la rupture des rythmes de vie acquis et à un sentiment d’inutilité sociale.
Il conviendrait de mettre en œuvre au sein des entreprises une politique nouvelle concertée et négociée de gestion des âges, notamment lors des deuxièmes parties de carrières professionnelles, lorsque les métiers sont éprouvants et ne peuvent être poursuivis au-delà de soixante ans.
Le problème des retraites et de leur avenir est un problème dont les enjeux sociaux et économiques sont considérables. Le choix fait il y a soixante ans d’un système fondé sur la répartition, nous le disons avec force, n’est pas négociable, car il a permis au plus grand nombre d’accéder, par une retraite décente, à la dignité dans cette troisième partie de la vie.
Quelles que soient les évolutions démographiques, dont personne ne néglige l’impact, ce sont l’emploi, la croissance, la répartition des richesses et, en fin de compte, la notion de politique économique et sociale qui déterminent la capacité de nos systèmes de retraite à tenir les engagements de ce contrat de solidarité entre les générations et qui permettent de maintenir, mes chers collègues, la cohésion de notre société. Il s’agit de facteurs importants à respecter si nous ne voulons pas, après la lutte des classes, connaître la lutte des générations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon collègue René Teulade vient d’intervenir sur les retraites. Je centrerai donc mon intervention sur l’emploi des seniors et sur la pénibilité.
Les statistiques du ministère du travail montrent que la situation de l’emploi des seniors est très dégradée dans notre pays. Le taux d’emploi des 55-64 ans avoisine 38 %, M. le rapporteur l’a rappelé, contre 45 % en moyenne européenne. Nous sommes donc loin de l’objectif de Lisbonne fixant à 50 % le taux d’emploi des seniors dès l’année 2010.
Avec la crise et ses conséquences sur l’emploi, la situation s’est encore dégradée. Or la France offre la particularité, dont nous n’avons pas à être fiers, de présenter un taux d’activité très bas des seniors et des jeunes.
Depuis le 1er janvier les entreprises d’au moins cinquante salariés non couvertes par un accord ou un plan d’action pour l’emploi des seniors se verront infliger une amende égale à 1 % de leur masse salariale.
M. Guy Fischer. Cela a été reporté !
Mme Christiane Demontès. Tout à fait, mais, quoi qu’il en soit, permettez-nous de douter de l’efficacité d’une telle disposition !
Quel sera l’effet de cette amende sur des entreprises qui dégagent des bénéfices énormes ?
Le sujet de l’emploi des seniors est lié explicitement à celui de la pénibilité, lequel avait conditionné l’adoption de la réforme de 2003. Six ans après, le constat est amer. Malgré de nombreuses séances de travail entre les partenaires sociaux, le dispositif de prise en compte n’a jamais vu le jour en raison de l’opposition du patronat à toute participation pour financer la compensation de la pénibilité.
Apporter une réponse à la question de la pénibilité s’inscrit dans une démarche de recherche de justice sociale. Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer au rapport de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, qui traite de la double peine des ouvriers.
Il y est observé qu’à trente-cinq ans les hommes cadres supérieurs ont une espérance de vie moyenne dépassant de six ans celle d’un ouvrier et que le différentiel est de deux ans pour les femmes.
En ce qui concerne « l’espérance de vie en santé », qui renvoie à une situation dénuée d’incapacité ou de handicap, il est noté que les cadres supérieurs âgés de trente-cinq ans vivront trente-quatre des quarante-sept années d’espérance de vie sans handicap ou incapacité de type 1, laquelle concerne les problèmes de vue, de mobilité, soit dix ans de plus qu’un ouvrier. Pour les femmes, l’écart est de huit années.
Malgré cette réalité, les acceptions concernant la pénibilité demeurent fragmentaires et ne renvoient à aucune disposition du code du travail.
Un emploi peut être considéré comme dangereux, même s’il n’est pas nécessairement pénible. C’est ce qui ressort du jugement prononcé par la cour d’appel de Paris le 9 juin 2004 aux termes duquel « le risque grave ne saurait être constitué par la seule pénibilité du travail ».
Le code du travail ne fait pas d’amalgame entre la pénibilité liée à l’exercice d’une fonction et les mauvaises conditions de travail, notion qui renvoie à une organisation et à un climat défectueux.
De fait, la prise en compte de la pénibilité reste posée. Or l’observation des dispositifs de départs anticipés, souvent instaurés en guise de traitement social du chômage, laisse apparaître que certains départs sont en lien avec cette prise en compte. Je pense, notamment, à la préretraite des travailleurs de l’amiante et à la cessation anticipée d’activité de certains travailleurs salariés.
Force est de constater que le patronat, comme l’actuelle majorité, cherche à limiter le champ d’application de ce dispositif en voulant restreindre son périmètre aux seuls salariés ayant développé une maladie ou en rendant strictement individuelle l’accessibilité à la préretraite.
Si tel était le cas, nous ne serions plus dans une logique de compensation, mais dans une logique de réparation, ce qui est tout à fait différent ! Voilà ce qui est au cœur de l’échec des négociations interprofessionnelles sur la pénibilité du travail.
À la logique de compensation prônée par les syndicats de salariés s’oppose celle de la réparation de l’usure.
Le MEDEF a proposé que, en fonction de facteurs de pénibilité préalablement déterminés, le salarié qui satisferait aux critères d’éligibilité pourrait, deux ans avant son départ en retraite, accéder à un mi-temps, le mi- temps non travaillé étant financé par la solidarité nationale.
Ainsi, les employeurs, même responsables, ne seraient pas mis à contribution. C’est le salarié qui financerait les conséquences de sa dégradation physique.
Nous sommes inquiets à la lecture du rapport du député Jean-Frédéric Poisson, qui reprend les positions du MEDEF. La philosophie de ce rapport, adopté par la majorité, transparaît très clairement lorsque le rapporteur affirme qu’il « n’est pas favorable à une mise en place de retraites anticipées ou cessations anticipées d’activité ou à une augmentation des droits à pension de retraite pour les travailleurs ayant été exposés à la pénibilité ».
Pire, il déclare : « S’il est indubitable que des différences réelles en matière d’espérance de vie sont constatées entre les ouvriers et les cadres, il demeure impossible de considérer que la seule cause de cet écart provient des conditions de travail. La santé est une réalité suffisamment personnelle pour que soient également évoquées des considérations qui touchent au mode de vie des personnes, et en particulier à la qualité de leur accès aux soins non moins qu’à leurs habitudes. » Cela laisse sans voix !
En conclusion, nous considérons que prendre ce rapport comme base de travail des futures négociations ne répondrait pas, selon nous, aux attentes des partenaires sociaux.
Des différences subsistent entre les organisations de salariés et d’employeurs, mais ces dernières se sont toutes accordées sur trois facteurs principaux de pénibilité : les contraintes physiques, l’environnement de travail agressif et les rythmes de travail. C’est sur cette base que nous devons travailler.
À nos yeux, les écarts d’espérance de vie entre nos concitoyens justifient d’accorder des avantages spécifiques aux salariés qui ont subi des conditions de travail pénibles.
Ces avantages ne doivent pas être uniquement pris en charge par la collectivité.
Les employeurs ne sauraient prétexter le coût du travail dans la compétition internationale pour s’exonérer de leurs responsabilités. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Dériot.
M. Gérard Dériot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre collègue Alain Milon devait intervenir dans ce débat aujourd'hui. Mais ayant un empêchement, il m’a demandé de le suppléer, ce que je fais avec plaisir.
Sur l’initiative de la commission des affaires sociales, un débat thématique est organisé afin de mettre en perspective les futures réformes qui concernent directement les comptes sociaux.
L’occasion nous est donc donnée d’affirmer notre volonté de faire évoluer le système de retraites pour lequel les réformes sont plus que jamais nécessaires. Il y a obligation d’agir au vu des déficits de plus en plus exponentiels.
Pour l’ensemble des régimes obligatoires de base, M. le rapporteur, Dominique Leclerc, l’a noté dès la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, le déficit devrait être de 9,5 milliards d’euros en 2009, contre 7,2 milliards d’euros prévus initialement. Il atteindrait, à législation constante, près de 15,7 milliards d’euros en 2013. À cela, il faut ajouter le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, qui sera de 3 milliards d’euros en 2009.
Cette dégradation est importante, mais elle a des causes qui ne sont pas toujours maîtrisables.
Tout d’abord, la crise économique sans précédent que nous avons connue et que nous connaissons encore a provoqué la montée du chômage et la baisse des recettes fiscales.
Ainsi, la branche vieillesse est durement touchée par une forte baisse de ses rentrées de cotisations salariales et le Fonds de solidarité vieillesse, quant à lui, souffre d’une diminution de ses rentrées de CSG.
Cependant, nous devons reconnaître que, face à la crise, notre système de retraite par répartition a fait la preuve de sa solidité. En France, contrairement à certains pays de l’OCDE, les pensions de retraite n’ont pas diminué et l’épargne retraite n’a pas souffert de la crise boursière.
Par ailleurs, à ce déficit conjoncturel s’ajoute un déficit structurel qui va aller en s’aggravant avec la progression continue de la masse des pensions due aux facteurs démographiques et à l’augmentation de l’espérance de vie.
Il est donc essentiel d’apporter des réponses structurelles afin d’assurer la viabilité financière et sociale de notre système de retraites.
L’année dernière, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, nous avons voté des mesures fortes pour inciter nos compatriotes à travailler plus longtemps.
J’illustrerai mon propos en me fondant sur la récente étude de la caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV. Depuis son instauration en 2003, la surcote, qui bonifie la retraite des personnes qui décident de poursuivre leur carrière au-delà de l’âge limite et de la durée de cotisation, a montré ses premiers résultats. Ainsi, la CNAV a constaté, au premier trimestre de 2009, une augmentation de 12,5 % du nombre des nouveaux retraités bénéficiaires de ce bonus, contre 9 % en 2008, 7 % en 2007 et 5 % en 2005 et 2006. La revalorisation du taux de surcote, passé le 1er janvier 2009 de 3 % à 5% par année supplémentaire travaillée, n’est sans doute pas étrangère au succès du dispositif.
Par ailleurs, cette étude a montré la bonne connaissance du dispositif de cumul emploi-retraite par les personnes pouvant en bénéficier. L’objectif prioritaire de permettre à des travailleurs âgés d’arbitrer librement entre un départ à la retraite choisi et la poursuite d’une activité professionnelle doit être poursuivi.
Cela dit, d’autres sujets devront être abordés. Dans son discours du 22 juin 2009 devant le Congrès, le Président de la République a tracé les grandes lignes de la réforme qu’il souhaite pour notre système de retraite : « Il faudra que tout soit mis sur la table : l’âge de la retraite, la durée de cotisation et, bien sûr, la pénibilité. Toutes les options seront examinées. »
Nous partageons bien sûr ces ambitions : l’année 2010 doit nous donner l’occasion de remettre à plat notre système de retraite avec pour fil conducteur, d’une part, la solidarité intergénérationnelle, condition de la pérennité financière de notre système – car les générations futures ne sauraient être pénalisées par notre immobilisme – et, d’autre part, la simplification du système existant. En effet, la multiplication des régimes rend le système incompréhensible pour les Français et entretient la défiance de nos concitoyens à l’égard de notre système de retraite.
Une réforme en profondeur est donc nécessaire pour assurer la viabilité de notre système de retraite par répartition. À cette fin, elle doit s’accompagner d’un changement dans les comportements et les attitudes de tous les acteurs, afin de promouvoir et d’encourager l’allongement de la vie professionnelle.
Aucun sujet ne doit être tabou : par exemple, pourquoi ne pas réfléchir à la prolongation de l’activité professionnelle ? En effet, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans s’élève, en moyenne, à 48 % dans les pays de l’OCDE et seulement à 25 % en France. Or, du fait du vieillissement des populations, de moins en moins de personnes en âge de travailler devront supporter les retraites de personnes âgées de plus en plus nombreuses. Un document de l’OCDE sur la crise des systèmes de pension donne le ratio de dépendance des personnes âgées. Ce ratio, qui mesure le poids des plus de 65 ans par rapport à celui des personnes de 20 à 64 ans, passera de 22 % actuellement à 46 % en 2050.
Face à une telle évolution, il est essentiel de favoriser l’emploi du plus grand nombre de travailleurs et plus particulièrement des seniors. Les mesures prises, comme la suppression de la contribution due par les entreprises licenciant des travailleurs de plus de 50 ans, l’augmentation de la surcote, la mise en place du droit individuel à la formation, vont dans le bon sens.
Il est donc impératif de supprimer tout dispositif qui subventionne le retrait anticipé de la vie active, en premier lieu, les préretraites. Or, souvent, l’âge effectif de départ à la retraite demeure de deux à trois ans inférieur à l’âge légal : ce phénomène s’explique par le fait que d’autres dispositifs continuent d’encourager le retrait anticipé du marché du travail. Comme c’est le cas dans notre pays, les critères d’admissibilité aux allocations chômage sans recherche active d’emploi permettent aux chômeurs âgés de passer directement du chômage à la retraite.
Pour relever l’âge effectif moyen de cessation d’activité, il faudra également s’assurer que les travailleurs âgés aient de réelles perspectives d’emploi et que la qualité de ces emplois soit telle qu’ils puissent effectivement rester plus longtemps sur le marché du travail.
Un véritable changement de comportement s’impose donc de la part de tous les acteurs.
Les entreprises doivent comprendre que les travailleurs âgés représentent une réelle richesse ; elles doivent, notamment, éviter toute discrimination à leur égard, investir dans leur formation ainsi qu’aménager les horaires et les conditions de travail.
Les gouvernements doivent adapter les politiques de l’emploi. Plus particulièrement, les services publics de l’emploi doivent répondre aux besoins spécifiques des travailleurs âgés et favoriser leur insertion sur le marché du travail.
Enfin, nos concitoyens doivent se préparer à l’idée de travailler plus longtemps, ce qui n’empêche pas, bien évidemment, de prendre en compte la question de la pénibilité ni celle des carrières longues.
Il s’agit du respect de l’équité sociale, pas seulement entre actifs et retraités, mais également entre générations. Sans réforme, sans changements des comportements, nos enfants et nos petits-enfants seront pénalisés. Nous devons donc lancer ce débat et nous vous soutenons, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, dans votre volonté d’agir sur cette question fondamentale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Pénibilité, emploi des seniors, âge de la retraite » : un tel débat, penseront certains, est taillé sur mesure pour la Haute assemblée ! (Sourires.) Mais, sur ces sujets, la gravité s’impose évidemment.
En filigrane de l’intitulé du débat, sans qu’on veuille la nommer, presque par pudeur, la question des retraites se profile, chacun l’a bien compris !
La situation des régimes de retraites est extrêmement préoccupante : leur déficit s’est élevé à 8 milliards d’euros en 2009, il atteindra 11 milliards d’euros en 2010 et 13 milliards d’euros en 2012. Dès 2007, nous avons atteint le niveau que prévoyaient les projections du Conseil d’orientation des retraites, le COR, pour 2020 !
Évidemment, le retournement conjoncturel a puissamment pesé sur ces résultats. Mais, comme cela a été rappelé, en aucun cas le retour à une conjoncture économique favorable ne permettrait de rééquilibrer le solde financier de la branche, parce que le déséquilibre, avec la dégradation des rapports démographiques, est évidemment structurel.
En 1970, on recensait 3,80 actifs pour un retraité : ce chiffre est aujourd’hui tombé à 1,43. Cette dynamique défavorable a conduit à une dégradation continue des soldes financiers du système de retraites depuis cinq ans, au point qu’en 2008 la branche vieillesse a été la plus déficitaire des quatre, et ce en dépit des réformes déjà engagées. Cette situation était, hélas, prévisible.
En son temps, la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait été présentée comme une réforme décisive. Loin de moi l’idée de minimiser l’importance de cette réforme courageuse et attendue : l’allongement de la durée de cotisation et l’alignement partiel de la fonction publique sur le régime général ont été effectivement des mesures clefs. Mais nous savions, dès cette époque, que ces mesures ne permettraient de couvrir que la moitié des besoins de financement. Il faut maintenant assurer le financement de l’autre moitié. Et, s’il faut agir, il importe également de le faire vite !
C’est pourquoi les membres du groupe de l’Union centriste ne peuvent que saluer le volontarisme politique dont le Président de la République fait preuve en avançant de deux ans par rapport au calendrier initialement prévu « la remise à plat » du dossier et en en faisant le « grand chantier de 2010 », le « marqueur » de sa volonté de réforme, pour reprendre l’expression consacrée.
Cette réforme annoncée est attendue. L’opinion est mûre pour l’accueillir. Les premiers intéressés, les travailleurs, ont pleinement conscience que le statu quo n’est plus une option et ils sont prêts à faire des efforts. Je ne m’étendrai pas sur le sondage publié par le Journal du dimanche, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais force est de constater que ses enseignements sont rassurants.
Pour réformer, fait sans précédent par rapport aux rendez-vous passés, nous pourrons donc nous appuyer sur un consensus quant à la nécessité d’une réforme. En revanche, le consensus s’arrête là : les modalités de cette réforme sont encore inconnues.
Aussi, le débat d’aujourd’hui est-il paradoxal : il est fondamental, mais intervient alors que seules des pistes très générales sont esquissées et que même le calendrier demeure un mystère. Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous en tenir à énoncer les principes et options que nous défendrons. Ils s’articuleront autour de trois axes : globalité, « systémicité » et équité.
Premièrement, nous souscrivons à l’approche globale du dossier dont l’esquisse est déjà donnée par l’intitulé du présent débat. La question de la pénibilité et celle de l’emploi des seniors pourraient être traitées séparément de celle de l’âge de la retraite. Cependant, une telle approche serait quelque peu artificielle. Il n’est qu’à voir par quelles mesures le Gouvernement a avancé en matière d’emploi des seniors pour constater à quel point les problématiques sont liées : augmentation du taux de la surcote, libéralisation totale du cumul emploi-retraite, suppression des « clauses-couperet » de mise à la retraite d’office ou extinction des préretraites.
Il faut jouer « gagnant-gagnant » entre la problématique de la retraite proprement dite et les problématiques connexes de la pénibilité et de l’emploi des seniors. La remise à plat du système de retraites doit nous donner l’occasion d’avancer dans le règlement du dossier de la pénibilité, sur lequel tout reste à faire, car les partenaires sociaux ont échoué, et dans le domaine de l’emploi des seniors, domaine dans lequel notre pays reste grandement à la traîne. Inversement, une telle approche globale permettra d’offrir des contreparties réelles aux nouveaux efforts qui seront consentis dans le cadre des retraites.
Deuxièmement, le groupe de l’Union centriste défendra une réforme systémique, et non seulement paramétrique.
En effet, la réforme à venir pourrait, comme toutes les précédentes, seulement jouer sur les quatre paramètres que sont le montant des cotisations, la durée de cotisation, le montant de la pension ou le recul de l’âge légal. J’en profite pour signaler que nous ne serions pas, a priori, favorables à une remise en cause de ce dernier paramètre : la retraite à 60 ans est un symbole fort auquel les Français restent très attachés. De plus, le gain escompté ne serait pas à la hauteur du symbole : passer à un âge légal de 62 ans ne comblerait que 10 % des besoins de financement. Enfin, poser la réforme en ces termes nous semble vraiment le meilleur moyen d’accentuer les crispations, tout en prenant le problème par « le petit bout de la lorgnette ».
En effet, nous sommes depuis toujours favorables à une réforme systémique, et non seulement paramétrique. À l’instar de notre collègue Dominique Leclerc, nous défendons depuis 2003 le remplacement de l’annuité par le point. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir que, depuis, l’idée a fait son chemin. Aussi attendons-nous avec impatience le rapport que le COR devrait rendre à la fin du mois de janvier sur les modalités du basculement vers un régime par points ou « comptes notionnels ». L’adoption de l’une de ces deux solutions nous semblerait à la mesure de l’enjeu. Nous vous interrogerons sur ce point tout à l’heure, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État.
Troisièmement, évidemment, cette réforme ne sera acceptable que si elle est équitable. Nous ne pouvons que saluer l’effort de solidarité déjà engagé, avec la revalorisation de 7 % du minimum vieillesse cette année, ainsi que la majoration de 11 % des petites pensions de réversion. Cet effort de solidarité doit être poursuivi à l’occasion de la réforme à venir. Telles sont les propositions de notre groupe. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité débattre aujourd’hui de la question des retraites, qui est au croisement de trois enjeux fondamentaux pour notre société : le vieillissement de la population – c’est une chance pour chacun d’entre nous, mais aussi un véritable défi pour la pérennité financière de nos régimes ; le travail bien sûr, notamment la question de l’emploi des seniors ; enfin la solidarité et la justice, qui ont justifié notre effort en faveur des retraités les plus modestes et devront trouver un prolongement dans une meilleure prise en compte de la pénibilité.
J’ai conscience de l’ampleur du sujet, de son urgence et de son importance aux yeux des Français. Ce débat n’est d’ailleurs pas franco-français : tous nos voisins européens sont confrontés à cette question ; il s’agit même d’un enjeu mondial, le vieillissement de la population étant une réalité que chaque société a désormais l’obligation d’accompagner.
J’ai parlé d’urgence car la question du financement des retraites concerne directement la génération qui vient d’entrer dans la vie active et qui verra, année après année, s’accroître le poids de la charge qui pèse sur elle. Nous avons, à l’égard de cette génération, une lourde responsabilité, à laquelle nous nous sommes peut-être trop souvent dérobés. Il nous faut à présent y faire face en agissant, certes sur le déficit annuel, mais également sur la capacité du système à tenir ses engagements à long terme.
Vous connaissez les chiffres du Conseil d’orientation des retraites. Ils ont été rappelés par les différents orateurs et, il y a encore un instant, M. Nicolas About les mentionnait. Nous comptons aujourd’hui 1,8 cotisant pour un retraité. Dans une dizaine d’années, nous passerons à 1,5 cotisant pour un retraité et, en 2050, à 1,2 cotisant pour un retraité. Or, dès aujourd’hui, avec un rapport de 1,8 cotisant pour un retraité, une retraite sur dix n’est pas financée.
C’est conscient de cette urgence que le Président de la République a souhaité que nous engagions cette réforme dès 2010. En qualité de ministre du travail, des relations sociales, de la solidarité et de la ville, je suis chargé de préparer ce rendez-vous capital. J’attache naturellement une grande importance à cette mission, ainsi qu’à la réflexion que nous pourrons conduire ensemble.
Je m’y engage avec deux objectifs : sauvegarder notre système par répartition, la crise ayant montré à la fois son caractère irremplaçable pour nos concitoyens et la nécessité d’agir pour assurer sa pérennité ; veiller à l’équité, ce qui nous conduira à aborder sans faux-semblants la question, si souvent écartée, de la fonction publique. Le Président de la République l’a dit en juin dernier devant le Congrès, toutes les questions seront mises sur la table.
Cela est d’autant plus nécessaire que le régime des fonctionnaires connaît lui aussi une situation financière délicate, situation masquée par le mécanisme d’équilibrage automatique du compte d’affectation spéciale « Pensions ». En effet, le taux de cotisation de l’État-employeur est fixé de façon à en équilibrer toujours le solde : il est passé de 44 % en 2000 à 62 % aujourd’hui, chiffres qu’il faut comparer aux 16 % environ que paient les employeurs privés. Cette augmentation enregistrée depuis l’année 2000 représente un déficit « furtif » de près de 10 milliards d’euros, soit autant que celui du régime général.
Si nous n’agissons pas, c’est donc l’ensemble des contribuables qui continueront de supporter la dérive financière du régime de retraite des fonctionnaires.
La réforme des retraites doit nécessairement être une réforme globale, car on ne pourra demander des efforts seulement à certains et toujours aux mêmes. En se saisissant de cet enjeu national, le Gouvernement veut se montrer à la hauteur des efforts que certaines majorités, avant celle-ci, ont eu le courage d’entreprendre. Je pense naturellement au travail mené par le gouvernement d’Édouard Balladur en 1993, mais aussi à la réforme courageuse que François Fillon a portée en 2003 et aux avancées décisives réalisées par mon prédécesseur Xavier Bertrand sur la question des régimes spéciaux. Tous ont cherché à concilier deux logiques qui sont, aujourd’hui encore, les mots d’ordre : la responsabilité et l’équité.
Je regrette d’ailleurs que le bon sens et le courage n’aient été par le passé que d’un seul côté. Il faut bien constater que sur un sujet qui devrait faire consensus, le bilan de l’actuelle opposition est inexistant.
J’ai parlé de bon sens, car personne n’échappera à cette évidence : si nous voulons sauvegarder le système des retraites par répartition, nous serons confrontés au choix de devoir allonger la durée de cotisation, diminuer le montant des pensions ou augmenter celui des cotisations.
Diminuer le montant des pensions – je le dis clairement, à l’instar de tous les orateurs – serait inacceptable. Quant à l’augmentation des cotisations, j’observe que nous avons déjà le niveau de cotisation le plus élevé d’Europe. Accroître la pression qui pèse sur les salariés serait le moyen le plus sûr de nuire à la compétitivité de notre économie, ainsi qu’au pouvoir d’achat des salariés.
Je le dis donc sans ambages : dans un pays dont l’espérance de vie s’accroît d’un trimestre chaque année, nous n’avons d’autre solution que de travailler plus longtemps.
Un principe fort a été posé lors de l’adoption de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, dite loi Fillon, celui d’un rapport de deux tiers pour un tiers entre la durée d’activité et la durée de retraite. C’est un équilibre sain qui peut guider notre réflexion.
Ce principe a déjà trouvé à s’appliquer avec le passage progressif à 41 annuités de cotisation à l’échéance de 2012.
Mais travailler plus longtemps, c’est aussi augmenter l’emploi des seniors. Les deux sujets sont bien liés, comme en témoigne, mesdames, messieurs les sénateurs, l’intitulé du débat que vous avez souhaité engager.
Je veux en finir avec cette exception française qui fait de nous le plus mauvais élève des pays européens en la matière, avec 39 % seulement de seniors en emploi, quand la moyenne de l’Union européenne est de 44,7 % et quand l’objectif fixé par la stratégie de Lisbonne était d’atteindre 50 % en 2010. Ce n’est pas seulement un véritable gâchis humain ; c’est aussi une charge absurde pour nos finances publiques.
Je veux donc mettre un terme à cette injustice, qui conduit à évincer des salariés en raison de leur âge, alors que l’espérance de vie à 60 ans est de 22 ans pour les hommes et de 27 ans pour les femmes. Au lieu de chercher par tous les moyens à diminuer le temps consacré à la vie active, je voudrais que nous misions sur les valeurs qui sont les nôtres, en particulier sur l’idée d’un travail qui crée de la richesse collective grâce à la mobilisation de toutes les compétences, celles des plus jeunes comme celles des plus âgés.
C’est la raison pour laquelle je poursuis, avec Laurent Wauquiez, le secrétaire d’État chargé de l’emploi, la politique volontariste du Gouvernement pour augmenter l’emploi des seniors, politique qui a déjà fait ses preuves.
Ainsi, le taux de la surcote a été porté à 5 % pour les années accomplies au-delà de 60 ans et du taux plein. Au premier trimestre de 2009, le taux de recours à la surcote a atteint 12,5 %, soit une hausse de près de 50 % par rapport à l’année précédente.
Citons également la libéralisation totale du cumul emploi-retraite pour les salariés âgés de plus de 60 ans et bénéficiant du taux plein ou pour les salariés âgés de plus de 65 ans ; le report à 70 ans de l’âge limite des mises à la retraite d’office ; la suppression programmée de la dispense de recherche d’emploi, véritable trappe à inactivité pour les salariés les plus âgés, comme l’a signalé M. Dominique Leclerc.
Enfin, les entreprises de plus de 50 salariés sont tenues, à partir de cette année, d’être couvertes par un accord de branche ou d’entreprise relatif à l’emploi des seniors, faute de quoi une pénalité de 1 % de la masse salariale leur sera appliquée.
Cette obligation est entrée en vigueur et le succès de la démarche est d’ores et déjà au rendez-vous. Plus de 80 branches, représentant 12 millions de salariés, ont conclu ou sont sur le point de conclure un accord en faveur de l’emploi des seniors, alors que seules 4 branches avaient décliné le précédent accord national interprofessionnel relatif à l’emploi des seniors, datant du 9 mars 2006.
Plus important encore, le contenu de ces accords ne se borne pas à un respect formel des obligations posées par la loi, mais fait apparaître un certain nombre d’innovations, telles que l’augmentation de l’offre de formation dans les industries chimiques, la prévention de la pénibilité dans la grande distribution, le développement du tutorat dans la métallurgie ou la création d’un droit au temps partiel dans de nombreuses branches.
Pour travailler plus, il faut travailler mieux et travailler équitablement. C’est pourquoi, monsieur Fischer, il faut aussi poser, sans tabou, la question de la pénibilité.
Cette question doit être abordée avec précision et en distinguant deux éléments. S’agissant, d’une part, de ce qui relève de la prévention, c’est-à-dire de l’amélioration des conditions de travail, une action spécifique est menée par mon ministère, notamment dans le cadre du deuxième plan de santé au travail que je présenterai, vendredi matin, au Conseil d’orientation sur les conditions de travail. D’autre part, la question de la compensation suppose que l’on tienne compte de la pénibilité propre à certains secteurs particulièrement éprouvants. Il ne faut pas se tromper de combat.
Nos longues discussions avec les partenaires sociaux ont déjà permis des avancées sur cette question difficile et je suis déterminé à aller plus loin pour réfléchir, avec eux, aux meilleures réponses à apporter. Par ailleurs, comme l’a rappelé M. Gilbert Barbier, la cessation anticipée d’activité n’est pas nécessairement toujours la meilleure réponse possible.
Enfin, d’autres sujets seront évidemment abordés. Je pense notamment à la prise en charge de la dépendance, puisque, comme l’a souligné Mme la présidente de la commission, les questions du vieillissement et de la retraite sont liées.
Le Président de la République l’a dit lors de ses vœux du 31 décembre, le défi de la dépendance sera, dans les décennies à venir, l’un des problèmes les plus douloureux auxquels nos familles seront confrontées. Je salue à cet égard le travail très utile qui a déjà été réalisé par la mission d’information conjointe des commissions des affaires sociales et des finances de votre assemblée, conduite par les sénateurs Philippe Marini et Alain Vasselle.
L’objectif de la réforme que nous mettrons en œuvre sera de rendre effectif le principe du libre choix entre le maintien à domicile et le départ en maison de retraite, et nous devons, dans cette perspective, envisager toutes les réponses et toutes les pistes de financement possibles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat que nous avons sur ces sujets est au cœur de la réflexion sur l’avenir de notre démocratie sociale. Le Gouvernement ne négligera aucune piste afin de concilier la diversité des situations avec les impératifs de l’intérêt général. Naturellement, il sera aussi attentif à vos remarques et à vos propositions. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais tout d’abord remercier la commission des affaires sociales du Sénat d’avoir organisé ce débat, qui – M. Nicolas About l’a souligné – intervient, pour une partie, très en amont des décisions et, pour l’autre, en aval de certaines mesures déjà prises en termes d’emploi des seniors. Je tiens aussi à remercier M. Dominique Leclerc, dont l’expertise en matière de retraite et d’emploi des seniors est plus que reconnue.
Nous travaillons sur le sujet de l’emploi des seniors depuis maintenant plusieurs années. Après l’impulsion donnée par le président Gérard Larcher, nous nous sommes appuyés sur les travaux de Xavier Bertrand et de Brice Hortefeux, avec qui nous avons collaboré. Nous comptons désormais sur Xavier Darcos, qui apporte toute son énergie pour que nous puissions assurer une mobilisation conjointe sur le dossier. Il s’agit effectivement d’une priorité majeure, à la fois pour le pays et pour les sénateurs, comme l’a rappelé M. Nicolas About, non sans humour.
S’agissant d’emploi des seniors, la France est enfermée depuis trente ans, toutes tendances politiques confondues, dans une spirale infernale, qui a consisté à acheter un allègement à court terme de la situation de l’emploi au mépris de l’emploi des seniors. J’ai souvent l’habitude de faire cette comparaison : l’utilisation en tous sens des préretraites s’est finalement apparentée à l’utilisation de la morphine, soulageant à court terme, mais se révélant extrêmement pénalisante pour les seniors et pour la compétitivité de notre pays à long terme.
Ainsi, en France, seuls 37 % des seniors disposent aujourd’hui d’un accès à l’emploi, alors que ce taux atteint 70 % en Suède et que la moyenne européenne avoisine 50 %. Notre pays fait donc totalement figure d’exception !
Cette situation est le fruit d’une responsabilité conjointe. Sur le plan politique, les ministres de l’emploi successifs ont acheté un camouflage des statistiques par le biais des préretraites.
La responsabilité en revient ensuite aux employeurs et à leur gestion des ressources humaines, notamment en période difficile, par le biais des départs en préretraite. La responsabilité est enfin partagée par les syndicats, les préretraites étant considérées comme « du grain à moudre » pour gérer les conflits sociaux.
Ainsi, année après année, le nombre de préretraites a grimpé de façon vertigineuse. Je me permets de rappeler les chiffres, pour mettre fin à certaines polémiques qui m’ont choqué sur ce sujet. En 1997 et en 1998, années record en la matière, plus de 100 000 départs en préretraite ont ainsi camouflé l’impossibilité d’apporter un emploi à nos seniors.
C’est pour cette raison que, depuis deux ans maintenant, nous avons choisi d’inverser les choses et de mener une politique active en faveur de l’emploi des seniors. Comme MM. Dériot et Barbier l’ont rappelé, de nombreuses mesures ont été prises en la matière : la fin de la mise à la retraite d’office, la libéralisation du cumul emploi-retraite, le relèvement de la surcote et l’impossibilité de mettre d’office un certain nombre de personnes à la retraite, y compris dans la fonction publique.
Les résultats sont là : alors qu’en 1997 et en 1998 100 000 personnes étaient mises en préretraite, elles ne sont plus que 8 000 cette année, uniquement des victimes de l’amiante.
Le deuxième volet de notre politique, qui a été programmé, vise à aboutir à un meilleur accompagnement des demandeurs d’emploi seniors, qui ne seront plus dispensés de rechercher un emploi. De ce point de vue, la situation était scandaleuse : un senior qui perdait son emploi recevait, en guise d’accompagnement, un courrier lui enjoignant de ne pas encombrer le service public de l’emploi et de rester chez lui, ce qui était particulièrement choquant en termes de considération pour les seniors et d’accès à l’emploi.
Le dernier volet de notre action, dont la deuxième étape s’engage aujourd’hui, est le changement en profondeur de la gestion des âges dans les entreprises.
Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, sur laquelle nous avons été amenés à travailler avec plusieurs d’entre vous dans l’enceinte du Sénat, les branches et les entreprises de plus de 50 salariés ont dû signer avant le 1er janvier 2010 des accords ou des plans d’action pour recruter ou maintenir les seniors dans l’emploi, avec des objectifs et des moyens précisément chiffrés. M. Dériot l’a relevé, la part des seniors a ainsi pu progressivement augmenter.
Que n’avons-nous entendu, avec Xavier Darcos, à ce sujet ! Avec la crise, on nous a conseillé de ne pas nous occuper de l’emploi des seniors, qui n’était pas une priorité, et de laisser perdurer le système actuel de préretraites, car ce n’était pas le moment de le modifier. Nous avons refusé de céder à la facilité et nous avons, au contraire, enclenché cette dynamique de gestion en faveur de l’emploi des seniors.
Or, les résultats sont là. Pour la première fois depuis trente ans, en période de crise, le taux d’emploi des seniors s’est amélioré de près de 1,5 point pour atteindre 39,2 %. Pour autant, le chemin est encore long pour inverser les mentalités culturelles dans lesquelles nous nous étions enfermés.
J’en viens aux accords de branches, sur lesquels des questions m’ont été posées, notamment par M. Barbier. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
La dynamique est bonne : quatre-vingt-deux branches, qui représentent les trois quarts des salariés du privé, ont ouvert – et, pour la plupart, conclu – des négociations au cours des derniers mois. Pour ne citer que certaines d’entre elles, l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, l’UIMM, la Fédération française du bâtiment, l’Union des fédérations de transports, les industries alimentaires, les industries chimiques, la Fédération des entreprises de propreté et services associés ont déjà déposé des accords à leur niveau.
Avec Xavier Darcos, nous avons souhaité faire preuve de souplesse pour les entreprises de 50 à 300 salariés qui pensaient, en toute bonne foi, être couvertes par un accord de branche qui n’aurait finalement pas été engagé.
À partir des remontées de terrain dont nous bénéficions, nous pouvons d’ores et déjà vous communiquer un certain nombre d’éléments qualitatifs.
Tout d’abord, nous constatons que le contenu des accords est de qualité – je sais que Mme Demontès y sera sensible. Ainsi, 80 % des branches ont affiché comme une priorité le développement des compétences et des qualifications, l’accès à la formation et le tutorat. Les trois quarts ont choisi d’anticiper l’évolution des carrières professionnelles et plus de la moitié d’aménager les fins de carrière, notamment pour les seniors.
Certaines d’entre elles travaillent également sur l’amélioration des conditions de travail, ce qui renvoie aux situations de pénibilité, sujet dont Xavier Darcos a la responsabilité.
Il s’agit bien sûr d’outils, et les outils ne valent que s’ils sont utilisés et s’ils sont opérationnels sur le terrain, je vous le concède volontiers, monsieur Fischer. Un certain nombre d’initiatives très concrètes sont, de ce point de vue, assez porteuses ; je sais que M. About y sera sensible.
M. Nicolas About. Certainement !
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je veux citer l’amélioration des conditions de travail par des accords passés avec les partenaires sociaux, la limitation du travail de nuit à partir de cinquante-cinq ans – le travail parlementaire pourrait s’en inspirer… (Sourires) –, la valorisation du tutorat en faisant entrer dans le processus de validation des acquis de l’expérience les seniors, notamment à partir de quarante-cinq ans, le développement du tutorat permettant d’accompagner des jeunes dans l’entreprise avec des seniors plus expérimentés, la formation des recruteurs pour éviter toute pratique de discrimination en fonction des âges.
Ce sont des mesures simples et concrètes, qui permettent d’atteindre des objectifs chiffrés intéressants. À cet égard, je citerai simplement deux exemples.
La Société Générale a décidé, à la suite de la loi que vous avez votée, d’augmenter de 30 % la part des seniors ayant accès à la formation et de mettre en place un dispositif de lutte contre les discriminations à l’embauche.
Le groupe Carrefour s’est engagé à ce que tous les seniors puissent désormais choisir de passer d’un poste de nuit à un poste de jour et bénéficier d’un temps partiel progressif sans diminuer d’autant leur salaire.
Ces exemples concrets témoignent qu’une dynamique nouvelle est en train de s’enclencher.
Nous serons très vigilants sur la question de la mise en œuvre concrète de ces accords. Il est hors de question de se contenter d’accords de façade, jolis et sympathiques sur le papier mais qui ne se traduiraient pas par des évolutions sur le terrain.
La feuille de route est clairement définie. Nous bénéficions d’ores et déjà d’un outil de suivi statistique et d’évaluation des accords.
En février, nous réunirons les branches professionnelles et les entreprises pour refaire le point et parler de la mise en œuvre des accords. À la fin du mois d’avril, nous dresserons un premier bilan, qui pourra bien entendu vous être transmis si vous le souhaitez.
En tout état de cause, une nouvelle dynamique est en train de s’instaurer progressivement dans notre pays. Avant, les négociations portaient sur la mise à la retraite d’office des seniors. Aujourd’hui, elles portent sur des mesures concrètes destinées à faire en sorte que les seniors puissent continuer à avoir accès au marché de l’emploi.
Certes, la bataille est loin d’être gagnée ; c’est une bataille au long cours qui nécessitera de l’opiniâtreté et un travail sur la durée, mais c’est un enjeu de fond, je remercie M. Teulade de l’avoir souligné. Au-delà de l’emploi, c’est bien de la vision et de la conception de notre société qu’il est question. Il était criminel de culpabiliser les seniors en prétendant qu’ils prenaient l’emploi d’un jeune.
Dans une société qui a devant elle le défi de la solidarité entre les générations, on ne peut pas continuer à accepter un tel discours. Nous préparons au contraire l’avenir de notre société en montrant que l’on peut à la fois garder l’emploi d’un senior et préparer l’embauche d’un jeune ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
questions-réponses-répliques
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder aux questions-réponses-répliques.
La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en matière d’emploi des seniors, la France fait figure de lanterne rouge en Europe, ce dont nous nous passerions volontiers.
Depuis plusieurs années, des mesures ont certes été prises, en tout cas annoncées par le Gouvernement, mais force est de constater qu’elles ne sont pas toujours suivies d’effet et que de nombreuses entreprises – on peut le dire – ne jouent pas le jeu.
Encore trop souvent, les entreprises françaises se séparent de leurs seniors et rechignent à recruter des salariés qui, selon elles, coûtent plus cher et surtout sont beaucoup moins malléables que les jeunes. Elles se privent ainsi de ressources inestimables, notamment en matière d’expérience et de savoir-faire.
En réalité, c’est un véritable changement de mentalité qu’il importe d’opérer. Certes, plus de 8 000 entreprises de 80 branches ont signé des accords pour embaucher des salariés de plus de cinquante-cinq ans, mais l’obligation de résultat est-elle suffisamment contraignante ? Nous ne le pensons pas.
Pour encourager l’emploi des seniors, le changement de mentalité doit être très significatif. Surtout, la notion de pénibilité, qui est relative, doit évoluer pour certains métiers. Je pense en particulier aux métiers d’infirmier, de professeur d’éducation physique, qui demandent incontestablement des adaptations au-delà de quarante, quarante-cinq ou cinquante ans.
La recherche de la rentabilité maximale ne doit pas être le seul objectif des entreprises, car il en découle un stress considérable. Or le stress n’a jamais été un moteur d’efficacité et ne saurait donc être un outil de management. Mieux vaut gérer le personnel avec un souci d’humanisme si l’on veut éviter des conséquences désastreuses.
Monsieur ministre, que comptez-vous faire concrètement pour redonner dignité aux seniors et faire aboutir une juste reconnaissance de la pénibilité du travail ? Mais aussi, comment comptez-vous promouvoir l’emploi des seniors sans pénaliser la lutte contre le chômage des jeunes ? Parviendrez-vous à éviter cet écueil ? En conséquence, comment comptez-vous faire pour qu’un véritable changement de mentalité se produise dans notre pays ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre. En matière d’emploi des seniors, monsieur Fortassin, comme vous l’avez dit, la situation progresse puisque le taux d’emploi des personnes âgées de cinquante-quatre à soixante-quatre ans a connu une progression de 2,6 points depuis 2002. Nous sommes passés de 35,6 % à 38,2 %.
Je me réjouis que l’on observe un changement de mentalité dans notre pays. On a cru longtemps au dogme du partage du travail, dont nous avons vu les traductions dévastatrices, qu’il s’agisse des trente-cinq heures ou de la religion des préretraites. Mais, peu à peu, notre pays est sorti de cette vision des choses et a délaissé ses démons. Il faut continuer à progresser.
Qu’avons-nous fait ? D’abord, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a permis l’adoption de mesures permettant d’inciter les travailleurs âgés à prolonger leur activité par l’amélioration du taux de la surcote, la libéralisation totale du cumul emploi-retraite et le report de l’âge de mise à la retraite d’office à soixante-dix ans – il existe des exceptions dans certaines branches, vous en avez d’ailleurs cité quelques-unes.
Sur ce dernier sujet, j’ai souhaité tenir bon, car il ne s’agit pas de reporter la date d’effet du dispositif. Je m’étonne d’ailleurs d’entendre défendre à contre-emploi un système dans lequel, à soixante-cinq ans, des salariés pouvaient être mis à la porte des entreprises simplement en raison de leur âge. Je n’imagine pas qu’un homme engagé comme vous, monsieur Fortassin, puisse approuver de tels systèmes !
Enfin, nous avons incité les branches et les entreprises à conclure des accords en faveur de l’emploi des seniors.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour la réplique.
M. François Fortassin. Monsieur le ministre, le Gouvernement fait incontestablement preuve de bonne volonté, mais nous doutons que les mesures prises soient à la hauteur des attentes.
Nos entreprises sont en proie à un « syndrome de jeunisme » évident. Prend-on les bonnes mesures pour qu’un véritable changement de mentalité se produise ou considère-t-on que ce changement se réalisera avec le temps ? Pour notre part, nous ne le pensons pas. Il faut certainement prendre des mesures assez draconiennes en la matière.
M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier.
Mme Janine Rozier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme il en a déjà été largement question depuis le début de notre débat, deux problèmes majeurs se posent à la fois en matière d’accès à l’emploi et de maintien dans l’emploi des seniors.
D’une part, les seniors rencontrent des difficultés à trouver un nouvel emploi, et ce en dépit de l’expérience acquise au cours de leur parcours professionnel.
D’autre part, certains d’entre eux subissent des pressions pour prendre la voie d’un départ anticipé. En particulier dans le contexte de crise économique que nous connaissons, les entreprises tentent de résoudre leurs difficultés économiques en proposant en priorité aux seniors une cessation d’activité progressive.
Actuellement, je le rappelle, la France se distingue comme un bien mauvais élève avec un taux d’emploi des plus de cinquante-cinq ans de 38 %, contre 46 % pour l’ensemble de l’Europe.
Nous devons cesser de considérer l’inactivité des plus de 55 ans comme une solution pour lutter contre le chômage, puisque c’est faux.
Cependant, je me réjouis, monsieur le ministre, des résultats des premières mesures en faveur de l’emploi des seniors prises par le Gouvernement à l’occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, notamment la surcote de 5 % ou le cumul emploi-retraite.
Par ailleurs, dans cette même loi, il est prévu que les entreprises de plus de 50 salariés doivent être couvertes, à compter du 1er janvier 2010, par un accord de branche ou d’entreprise, ou à défaut par un plan d’action relatif à l’emploi des seniors.
En l’absence d’accord, les entreprises s’exposeront à payer une pénalité de 1 % de la masse salariale applicable au 1er janvier 2010.
S’il est de notre responsabilité de faire de l’emploi des seniors une priorité, notre volonté ne peut être mise en œuvre que si les entreprises et les partenaires sociaux prennent ce sujet à bras-le-corps, comme cela a également été souligné. Surtout, un changement de mentalité doit se produire dans les entreprises pour que les seniors se voient accorder la véritable place qu’ils méritent dans notre société : leurs connaissances et leur savoir-faire, notamment dans les professions manuelles, sont une école de premier choix pour les jeunes.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de nous avoir déjà longuement fait part des solutions envisagées, mais peut-être puis-je espérer davantage de précisions.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Madame Rozier, vous avez très précisément pointé la spirale infernale dans laquelle nous nous étions enfermés en matière d’emploi des seniors. Pour en sortir, il est bien évident que tout dépend de la réaction des entreprises.
L’action du Gouvernement s’appuie sur des plans d’action très précis.
D’abord, nous avons demandé des objectifs chiffrés. Notre obsession était d’éviter que soient fixés de vagues principes sans déclinaison quantitative.
Ensuite, nous avons identifié, avec l’aide de Vigeo, le groupe dirigé par Nicole Notat, six domaines d’actions prioritaires : le recrutement – pour supprimer les discriminations –, l’évolution des carrières professionnelles – pour casser le couperet des 50 ans –, l’amélioration des conditions de travail – ce qui renvoie à la pénibilité –, l’accès à la formation – après 50 ans, un travailleur a, je le rappelle, deux fois moins de chances d’y avoir accès, nous en avions d’ailleurs débattu lors de la discussion de la loi portant réforme de la formation professionnelle –, l’aménagement de la fin de carrière et la transmission des savoirs, notamment en direction des plus jeunes.
Sur le plan quantitatif, les accords sont satisfaisants puisque, aujourd'hui, 12 millions de salariés sont couverts. Ce résultat constitue une véritable performance dans la mesure où nous sommes partis de rien ! Le travail mené conjointement par mes services et ceux de Xavier Darcos nous a permis d’avancer rapidement.
Sur un plan qualitatif, je peux vous citer plusieurs exemples d’accords : dans le secteur du commerce de gros, la rémunération doit être maintenue en cas d’inaptitude professionnelle chez les plus de 55 ans ; dans la métallurgie, la part des salariés de plus de 58 ans doit passer de 3 % à 5 % ; dans l’industrie textile, l’accès des seniors expérimentés à la validation des acquis de l’expérience doit être développé ; dans les entreprises de propreté, l’accent a été mis sur la formation.
Comme vous l’avez indiqué, madame Rozier, nous ne sommes qu’au début d’un chemin que nous devons suivre durablement et conjointement.
M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier, pour la réplique.
Mme Janine Rozier. Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi d’insister sur la nécessité que soit transmis aux jeunes le savoir-faire exceptionnel des seniors, notamment dans le bâtiment et les métiers d’art. Nos châteaux du Val-de-Loire et nos cathédrales en ont besoin !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de l’emploi des seniors intéresse décidément beaucoup les sénateurs puisque je vais à mon tour y revenir, plus précisément sur le bilan, pour le moins contrasté, de l’obligation faite aux entreprises de conclure un accord sur l’emploi des seniors avant le 1er janvier 2010 pour éviter de subir une sanction pécuniaire égale à 1 % de leur masse salariale.
La perspective de s’exposer à une telle sanction a certes déclenché un mouvement de négociation, mais, à y regarder de plus près, nous ne pouvons que déplorer des résultats très insuffisants, qui ne permettent pas de promouvoir suffisamment le travail des seniors. Si l’objectif des entreprises était d’éviter une sanction, la mission semble accomplie, mais s’il s’agissait de contraindre véritablement les entreprises à changer leurs pratiques et leurs comportements, il s’agit d’un échec, qui ne devrait pas susciter chez vous, monsieur le secrétaire d’État, l’enthousiasme que vous semblez afficher. Ici encore, il y a, d’un côté, la communication gouvernementale et, de l’autre, la réalité.
En effet, dans les entreprises de plus de 300 salariés, sauf exception, les accords ne contiennent que des plans d’action et rarement des mesures concrètes. Les entreprises de 50 à 300 salariés viennent, quant à elles, d’obtenir un nouveau report de trois mois pour satisfaire à cette obligation. Quant aux entreprises de moins de 50 salariés, elles en sont totalement exemptées.
Les contenus des accords passés brillent par leur manque flagrant d’ambition, y compris celui de la métallurgie, que vous présentez pourtant comme exemplaire, alors qu’il prévoit de porter, en trois ans, de 11 % à 12 %, le taux de salariés de plus de 55 ans. Par ailleurs, il est fortement à craindre que les accords passés au niveau des branches, lesquels sont souvent de meilleure qualité, ne soient pas déclinés concrètement dans chaque entreprise du secteur concerné.
Monsieur le secrétaire d'État, face à ce constat, ne pensez-vous pas qu’il est vraiment nécessaire de prendre d’autres mesures plus contraignantes, notamment de passer d’une obligation de moyen à une obligation de résultat en matière d’emploi des seniors dans les entreprises, comme vous l’avez vous-même évoqué dans la presse ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, à quoi nous attaquons-nous ? À un sujet qui, depuis trente ans, n’a jamais été abordé, quelle qu’ait été la majorité au pouvoir ! Absolument rien n’a été fait dans ce pays en matière d’emploi des seniors depuis lors, ce qui doit d’ailleurs tous nous inciter à une certaine modestie. Tous les gouvernements, y compris ceux auxquels vos amis ont participé, n’ont, je le répète, rien fait : ce sujet était purement et simplement tabou.
Nous avons déjà débattu ici même de la nécessité d’instaurer des quotas. Nous n’y sommes pas favorables, car un tel système aboutirait à imposer de façon automatique à des entreprises ayant des structures d’âge totalement différentes des embauches qui seraient irréalistes. Nous le savons bien, nous nous serions retrouvés dans la situation suivante : les entreprises auraient préféré payer plutôt que de prévoir des mesures en faveur des seniors.
Nous avons donc préféré instaurer une sanction très forte – à hauteur de 1 % de la masse salariale – avec des objectifs atteignables pour obliger les entreprises à évoluer.
Madame Pasquet, vous avez cité l’exemple de l’accord dans le secteur de la métallurgie, que vous trouvez insignifiant. Il prévoit pourtant un doublement du pourcentage d’emplois des plus de 58 ans, ce qui n’est pas rien ! Cet accord a été signé par les partenaires sociaux. Des délégués syndicaux se sont engagés pour obtenir ces avancées, qui ne résultent pas du travail du Gouvernement, mais bien de celui des acteurs de terrain. L’emploi des seniors mérite mieux que le pessimisme ou l’inaction !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le secrétaire d'État, il n’y a aucun pessimisme dans mes propos. J’ai bien entendu vos arguments, mais, même si l’on peut effectivement regretter que rien n’ait été fait par le passé, je considère que le gouvernement auquel vous appartenez ne prend pas suffisamment à bras-le-corps le problème de l’emploi des seniors.
Comme vous le savez, en 2006, l’Union européenne avait fixé l’objectif de parvenir à un taux d’emploi des seniors de 50 % en 2010. Nous y sommes, et ce taux reste aux alentours de 38 %.
Parallèlement, de nombreux salariés attendent un dispositif de reconnaissance de la pénibilité parce qu’ils sont usés prématurément par les mauvaises conditions de travail qu’ils ont subies, je pense par exemple aux infirmières dont le cas a été évoqué tout à l’heure par mon collègue Guy Fischer.
Il est donc vraiment temps que ce gouvernement prenne des mesures plus contraignantes et adaptées pour changer les pratiques et les mentalités.
Comme vous le déclariez vous-même au journal Les Échos en novembre 2009, « sans perspective de sanction, rien n’aurait bougé ». Mais, malheureusement, rien n’a changé – ou si peu –, alors que ce changement est le préalable à toute modification du régime des retraites.
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le ministre, comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, nous défendons depuis 2003 un remplacement de l’annuité par le point. Une solution comparable consisterait à faire basculer le système de l’annuité vers un système en « compte notionnel ».
L’une ou l’autre de ces solutions apporterait une réponse efficace au problème du financement.
Dans le premier cas, la pension ne serait pas calculée en fonction des années validées, mais du nombre de points comptabilisés au cours de la carrière.
Dans le second, la pension dépendrait d’un capital virtuel accumulé par le salarié pendant sa carrière, auquel serait appliqué un coefficient de conversion qui dépendrait de l’âge effectif de départ à la retraite et de l’espérance de vie.
Une telle réforme systémique permettrait d’aborder le problème avec une hauteur nouvelle, de dépasser le point de crispation qu’est l’âge légal de départ à la retraite et, in fine, de permettre réellement à chaque assuré de pouvoir effectuer un arbitrage entre arrêt de l’activité et montant de la pension. Pour nous, elle seule permettrait de concilier retraite à la carte et maintien d’un haut niveau de pension.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, ma question est simple : le Gouvernement est-il favorable à ce dispositif ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre. Monsieur About, je rappelle que le COR doit remettre un rapport sur le modèle suédois, dont le Parlement lui a passé commande dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.
Nous avons demandé au Conseil d’orientation des retraites de réfléchir aux évolutions possibles de notre mode de calcul des pensions de retraite, avec trois objectifs : simplification, laquelle n’est pas superflue aujourd’hui, puisqu’il existe trente-huit régimes obligatoires ayant chacun leurs règles différentes ; équité entre les régimes car, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, il existe de trop grandes disparités entre le public et le privé ; lisibilité pour les assurés, afin que chacun sache à tout moment de sa carrière les droits à retraite qu’il a acquis.
Le Gouvernement n’a pas commandité ce rapport, dont nous disposerons dans les semaines à venir, il en est simplement destinataire. Élaboré par une instance indépendante, où sont représentés les partenaires sociaux, il permettra d’alimenter notre réflexion en vue du rendez-vous de 2010.
Monsieur About, nous devons nous méfier des solutions miracles. Nous ne pouvons laisser croire que le changement du mode de calcul des droits permettra d’éviter de travailler plus longtemps. En revanche, ce changement permettra peut-être de clarifier et d’uniformiser les règles du jeu pour atteindre l’objectif visé.
Même si l’on peut souhaiter une réforme d’une telle ampleur, nous devons commencer par procéder aux ajustements nécessaires du régime actuel pour rendre soutenables nos dépenses de retraite dans les dix à quinze prochaines années. Même si nos décisions d’aujourd'hui ne porteront d’effet qu’à ce terme, nous ne sommes pas pour autant dispensés d’agir immédiatement.
M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour la réplique.
M. Nicolas About. Monsieur le ministre, je partage tout à fait votre analyse !
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, monsieur le ministre, la loi portant réforme des retraites du 21 août 2003 a été votée avec le soutien remarqué d’une grande organisation syndicale, sous réserve de la création – qui lui était promise – d’un dispositif de compensation de la pénibilité de certains métiers.
En 2010, que constatons-nous ?
Premièrement, le dispositif de compensation espéré pour les travailleurs qui, du fait de la pénibilité de leur emploi, ont une espérance de vie réduite, n’a toujours pas vu le jour, le patronat se montrant opposé à toute participation au financement d’un tel dispositif.
Deuxièmement, il n’existe toujours aucune définition juridique claire de la pénibilité dans le code du travail.
Troisièmement, depuis 2003 la proportion de salariés cumulant trois types de contraintes physiques a encore progressé.
Quatrièmement, s’agissant des contraintes mentales, elles ne cessent de s’accroître. Les contraintes organisationnelles se généralisent ; les temps sont de plus en plus éclatés – pour certaines professions on parle même d’ « horaires hachés » ; le travail de nuit se développe ; les horaires atypiques ou imprévisibles deviennent la norme, induisant des difficultés insurmontables entre vie privée et vie professionnelle, notamment pour les femmes.
Cinquièmement, tout cela s’inscrit dans le cadre d’une menace constante, pour ne pas dire un chantage au licenciement, de la part d’une majorité d’entreprises parmi les plus grandes, y compris les entreprises publiques. Cette situation accroît la souffrance mentale des salariés, qui savent pertinemment que licenciement rime avec chômage de longue durée et est, pour les plus de cinquante ans, la plupart du temps, synonyme de perte définitive d’un emploi salarié.
La question de la pénibilité, de l’emploi des seniors et de leur départ à la retraite n’est donc pas réglée.
Dans ces conditions, mon questionnement est le suivant : monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que compte faire le Gouvernement pour contraindre le patronat à participer d’une manière responsable au dispositif de compensation de la pénibilité du travail dans le cadre des départs à la retraite ? Quelles mesures entend-il prendre pour mettre un terme au paradoxe généré par son discours récurrent demandant que nos concitoyens travaillent plus longtemps, alors qu’il laisse les entreprises, y compris les plus prospères, licencier sans vergogne ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre. Vous le savez, la question de la pénibilité a été clairement évoquée par le Président de la République dans son discours devant le Congrès. Il a nettement indiqué qu’il souhaitait que celle-ci soit prise en compte lorsque nous discuterons des retraites. Nous ne voulons évidemment pas esquiver ce sujet.
Cela dit, la sauvegarde du régime de retraites exigera des efforts de notre part à tous, ce qui ne veut pas dire que les mêmes efforts seront demandés à tout le monde : c’est tout l’enjeu de la pénibilité.
Je ne me résous pas au constat d’échec dressé par les partenaires sociaux sur ce dossier en juillet 2008 après trois ans de négociation. L’État prendra donc ses responsabilités.
Trois idées clés peuvent être avancées à ce sujet.
La première idée revient à dire que la pénibilité ne doit pas seulement être compensée, il faut évidemment agir en amont. Il faut prévenir la pénibilité, c’est une dimension essentielle.
Voilà pourquoi j’ai réuni cette semaine même le conseil d’orientation sur les conditions de travail, le COCT, pour présenter le deuxième plan santé au travail, qui permettra de faire le point sur l’élaboration d’un plan de prévention. C’est aussi un élément qui se trouvera dans l’accord que nous aurons à prendre en faveur de l’emploi des seniors.
La deuxième idée consiste à ne pas inclure trop d’éléments dans la définition de la pénibilité. Il ne faut pas qu’elle soit une notion attrape-tout.
La troisième idée, enfin, pose que la cessation d’activité ne constitue pas la seule réponse possible au problème de la pénibilité au travail. Des aménagements de poste, le passage au temps partiel peuvent être envisagés. L’exploitation de compétences acquises par les seniors sous forme de tutorat peut également être utilisée. Nous avons toutes sortes de pistes à explorer.
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour la réplique.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le ministre, je mentirais si je disais que vous m’avez complètement convaincu.
Je tiens à insister sur la nécessité de voir défini juridiquement, dans le code du travail, d’une manière précise et sans ambiguïté, le concept de pénibilité. Cela permettrait peut-être de faire progresser la réflexion sur la liaison entre métiers pénibles, exercés pendant une longue période de vie active, et âge de départ à la retraite avec attribution d’une pension à taux plein d’un niveau décent.
En outre, je souhaite affirmer mon opposition à une logique de réparation en matière de pénibilité et mon soutien à une logique de compensation, plus juste pour l’ensemble des personnes ayant exécuté la même activité pénible pendant la plus grande partie de leur vie active. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question regarde également la pénibilité du travail et la manière dont celle-ci peut ou doit être prise en compte dans la réforme des régimes de retraite, sujet qui a été réellement débattu.
En effet, il paraît juste d’accorder certains avantages en matière de retraite à des personnes qui, leur vie durant, ont exercé des métiers pénibles.
À ce titre, il est important de se mettre d’accord sur ce que nous entendons par la notion de pénibilité.
Plusieurs critères font consensus parmi les experts qui ont été interrogés dans le cadre du rapport d’information de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale. Il s’agit notamment du travail de nuit, du travail à la chaîne, du déplacement de charges lourdes ainsi que de l’exposition à des produits toxiques tels que l’amiante.
Le risque inhérent à certains métiers tels que ceux de militaire, de policier, de gendarme, de pompier, de convoyeur de fonds ou encore de surveillant de prison doit également être pris en compte, sans oublier les professions médicales, notamment les infirmières.
Ainsi, le Gouvernement pourrait choisir de se fonder uniquement sur des critères mesurables médicalement pour déterminer la pénibilité de telle ou telle profession.
Cependant, une telle approche paraît réductrice. En effet, les conséquences de la pénibilité du travail ne se mesurent pas toutes facilement. Ainsi, la pression et le stress, qui peuvent engendrer des troubles graves, sont difficilement mesurables.
De plus, la pénibilité des professions a évolué : une profession qui pouvait être considérée comme pénible il y a cinquante ans n’a plus lieu de l’être aujourd’hui grâce aux évolutions technologiques. De manière paradoxale, c’est ce même progrès technologique qui est à présent à l’origine de nouvelles pathologies professionnelles telles que les troubles musculo-squelettiques engendrés notamment par le travail sur ordinateur.
Nous devons donc, d’une part, tenter d’amoindrir la pénibilité de certaines professions, mais également – et c’est l’objet de ma question – tenter de compenser certaines pénibilités inévitables par des mesures à la fois acceptables pour les comptes publics et justes pour les personnes concernées.
Par conséquent, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer sur la définition de la pénibilité que le Gouvernement retiendra dans ses propositions ainsi que sur les différentes mesures envisagées pour tenir compte de la pénibilité dans la réforme des régimes de retraite ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre. Monsieur Laménie, votre question sur les critères va me permettre de compléter la réponse que j’ai déjà donnée à Jacky Le Menn.
La pénibilité, je l’ai dit, n’est pas et ne peut pas être une notion attrape-tout. Des facteurs de pénibilité doivent être définis. C’était d’ailleurs l’objet de la discussion entre les partenaires sociaux qui n’a pas abouti.
Nous pouvons cependant partir des travaux qui ont été menés à l’occasion de cette négociation pour distinguer clairement ce qui relève de la compensation de la pénibilité, c’est-à-dire ce qui a eu un impact visible, objectif sur l’espérance de vie – c’est évidemment le critère que nous retiendrons principalement, c’est le critère qui s’impose – et ce qui relève d’autres dimensions, par exemple l’invalidité, l’incapacité, l’inaptitude, la dangerosité, etc.
Ce n’est pas en faisant entrer sous le vocable de pénibilité l’ensemble de ces gênes, nuisances et fatigues ressenties au travail que nous faciliterons la résolution du problème, tout simplement parce que ce n’est pas aux régimes de retraite de compenser l’ensemble de ces risques.
Si nous retenions une définition insuffisamment précise, ce serait au détriment des salariés méritants qui ont eu des métiers durs mais qui ont continué à travailler ; ce serait donc tout à fait contraire à l’intérêt de tous.
Il est par conséquent légitime que le dispositif soit centré sur une pénibilité clairement définie, ayant un impact visible, objectif, sur l’espérance de vie ; c’est là le critère principal que nous retiendrons.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.
M. Marc Laménie. Monsieur le ministre, merci de ces différentes informations. Comme l’ont souligné nombre de nos collègues, ce sujet est vraiment important. La tâche reste d’envergure, et nécessitera un véritable travail collectif, la mobilisation de tous.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2003, le Gouvernement a choisi de laisser aux partenaires sociaux la charge de définir les critères et le champ d’application de la pénibilité au travail.
Nous sommes en 2010 et rien ou presque n’a bougé !
La voie conventionnelle a bon dos dès lors qu’il est patent que la volonté des représentants des employeurs d’assumer leur responsabilité à l’égard de leurs salariés fait défaut. Preuves en sont ces sept années de discussions et la question du financement toujours en suspens.
Nous attendons que les engagements et les déclarations solennels se concrétisent enfin pour assurer la compensation des inégalités d’espérance de vie qui résultent, notamment mais certainement, de l’exercice de métiers pénibles.
Mais, s’il faut « que tout soit mis sur la table » – je cite les propos du Président de la République – les Françaises et les Français ne comprendraient pas que cette compensation se fasse au prix d’un recul de l’âge de la retraite alors que s’amplifient les contraintes physiques et organisationnelles, les astreintes, le travail de nuit – passé de 6 % en 1991 à 15 % en 2005 – et les horaires décalés.
Alors qu’augmentent le nombre de maladies musculo-squelettiques et les handicaps liés aux accidents du travail, il serait pour le moins paradoxal, sous couvert d’améliorer l’emploi des seniors, d’imposer à ceux qui subissent déjà les conséquences de cette pénibilité de travailler plus longtemps encore !
En amont, nul n’ignore que les mesures de prévention de la pénibilité sont essentielles. À cet égard, il a notamment été suggéré, à juste titre, d’étendre le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, aux entreprises de moins de cinquante salariés.
L’accent est également mis sur la nécessité de renforcer les moyens et les pouvoirs de la médecine du travail. Or le Gouvernement aurait le projet d’en transférer la responsabilité aux directeurs des services de santé au travail, c’est-à-dire aux employeurs, ce qui mettrait à mal tout contrôle indépendant de la santé des salariés. La surveillance médicale serait également rendue facultative.
Il est vrai que la visite de contrôle, auparavant annuelle, n’aura désormais lieu que tous les deux ans !
Monsieur le ministre, alors que la santé au travail est une question de santé publique, confirmez-vous ces projets qui aboutiraient certainement à étouffer définitivement la médecine du travail ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre. Monsieur Daudigny, vous pouvez difficilement reprocher au Gouvernement d’avoir souhaité que les partenaires sociaux trouvent un accord. Vous auriez pu me faire le reproche inverse si cela n’avait pas été le cas.
Il y a eu des négociations très longues – trois ans –, dix-huit réunions, et nous n’avons pas abouti à un accord complet.
Depuis, le Gouvernement a de fait pris ses responsabilités puisque j’ai réuni le COCT vendredi matin et que nous allons essayer de prendre des dispositions, notamment en matière de médecine du travail, qui devraient permettre de travailler sur la prévention.
Je souhaite faire observer que la question de la pénibilité ne relève pas seulement de la médecine du travail, domaine dans lequel nous voulons évidemment progresser. Le projet que vous décrivez à ce sujet n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour, monsieur Daudigny, je tiens à vous rassurer.
En outre, cela n’empêche pas de se demander comment travailler plus longtemps.
Monsieur Daudigny, permettez-moi de vous dire que les leçons que nous recevons de l’opposition sur cette question sont un peu difficiles à entendre, parce que je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu beaucoup de propositions de réformes courageuses de la part de la gauche en dehors de déclarations d’intention et de pétitions de principe. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Alain Gournac. C’est vrai !
M. Xavier Darcos, ministre. Ne reprochez pas au Gouvernement ce que le parti socialiste n’a jamais été capable de faire ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées. – Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour la réplique.
M. Yves Daudigny. Monsieur le ministre, merci de nous rassurer sur la médecine du travail.
Pour le reste, nous ne sommes pas ici pour juger la politique passée du parti socialiste, mais la politique présente du Gouvernement.
Concernant la question que j’ai posée, je voudrais rappeler un récent rapport de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, qui met en lumière l’impact de la précarité des parcours professionnels sur la préservation ou l’altération de la santé des salariés.
Ne serait-il pas, en conséquence, d’excellente politique humaine et économique d’étendre le rôle et le périmètre de compétence de la médecine du travail ? Ne serait-il pas opportun de mesurer le coût social et sanitaire que génèrent les politiques de flexibilité d’emploi des entreprises pour la collectivité et les salariés ?
Voilà des pistes de travail pour le Gouvernement actuellement aux affaires dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat d’initiative sénatoriale.
Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de M. le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Évaluation de la loi de modernisation de l’économie
Débat d’initiative sénatoriale
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat d’initiative sénatoriale sur l’évaluation de la loi de modernisation de l’économie (LME).
La parole est à Mme Nicole Bricq, pour le groupe socialiste, auteur de la demande d’inscription à l’ordre du jour.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, le groupe socialiste souhaitait depuis plusieurs mois que le Sénat procède à une première évaluation de la loi de modernisation de l’économie, et il m’a confié la charge, qui, je dois le dire, est aussi un honneur, d’ouvrir ce débat devant vous.
Pourquoi cette volonté d’évaluation ? Pour deux raisons.
Tout d’abord, la loi de modernisation de l’économie devait répondre, selon les termes de la lettre de mission adressée par le Premier ministre à Mme Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, au double objectif de « créer des emplois » et de « faire baisser les prix », ce qui n’est pas rien !
Ensuite, le Sénat s’était particulièrement investi, en amont du débat en séance, en créant une commission spéciale qui, sous l’autorité de son président et de ses trois rapporteurs, s’est beaucoup impliquée dans ce travail.
Du reste, je veux remercier M. Jean-Paul Emorine, à qui j’avais fait part dès l’été dernier de mon souci de pratiquer une telle évaluation, d’avoir mis en place un groupe de travail au sein de la commission de l’économie qu’il préside. Cette démarche a abouti au rapport d’information de Mme Élisabeth Lamure ; celle-ci dresse « un premier bilan contrasté », comme l’indique le titre de ce document fort utile, et relativise les conclusions avancées, l’été dernier, par le Gouvernement.
Ce groupe de travail a circonscrit son investigation à quatre sujets : les relations commerciales, l’urbanisme commercial, les délais de paiement et le régime de l’auto-entrepreneur.
En tant que membre de la commission des finances, je puis comprendre que l’ordre du jour de celle-ci, exceptionnellement chargé en 2009, ne lui ait pas laissé le temps de réaliser une évaluation des points qui sont plus particulièrement de son ressort. J’y reviendrai donc s’agissant de la banalisation du livret A et de la réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations. Nos collègues Daniel Raoul et Bariza Khiari, membres du groupe de travail, interviendront sur le champ choisi par la commission de l’économie. Enfin, notre collègue Christiane Demontès, membre de la commission des affaires sociales, reviendra plus particulièrement sur le régime de l’auto-entrepreneur.
Il n’est pas question de refaire le débat de l’été 2008, mais il m’apparaît utile d’en retracer le contexte.
En effet, la lecture du compte rendu de nos débats au Sénat est cruelle pour le Gouvernement, qui présentait ce texte comme emblématique de sa stratégie économique, …
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. C’était le cas !
Mme Nicole Bricq. … et soulignait qu’il devait venir à l’appui de la loi TEPA, c'est-à-dire en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, votée un an auparavant et qui constituait le volet fiscal de cette stratégie.
Mme Nicole Bricq. Ces deux textes satisfaisaient aux « éléments de langage », comme on dit chez les communicants : il s’agissait de « lever les contraintes » et de « libérer les énergies » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la ministre, dont l’optimisme n’avait d’égal que la confiance en la faculté d’autorégulation du marché, voyait du vert partout (Nouveaux sourires sur les mêmes travées) : création d’emplois dans le secteur marchand, augmentation de la consommation, crédits aux entreprises dynamiques, bref, le Gouvernement baignait dans l’euphorie de sa victoire électorale de 2007, alors même que la bulle financière gonflée au-dessus de nos têtes avait éclaté aux États-Unis depuis juillet 2007 et que le système bancaire diffusait ses pilules toxiques dans le monde entier !
Or, aujourd'hui, nous sommes obligés de le constater, la consommation marque le pas, plus de 346 000 emplois ont été perdus au cours des neuf premiers mois de 2009, nous allons malheureusement atteindre cette année la barre des 10 % de chômeurs, et la croissance, même révisée à 1 %, ne nous permet pas d’espérer une reprise solide et n’arrêtera pas les licenciements.
Enfin, les banques ne remplissent pas leur engagement, pris en octobre 2008 en contrepartie de l’aide de la Nation, d’assurer une augmentation de l’encours de crédit aux entreprises et aux ménages de l’ordre de 3 % à 4 %, puisque le dernier bilan en la matière, réalisé en novembre 2009, laisse apparaître que cet accroissement est de 1 % seulement.
S’il est vrai que la crise financière et ses conséquences ont pris à revers le Gouvernement, elles n’expliquent pas tout.
Quant au pouvoir d’achat, il devait mécaniquement augmenter sous l’effet de la concurrence, censée entraîner inévitablement une baisse des prix, ce qui devait constituer un résultat concret de la LME.
Or, nous pouvons nous interroger sur cette course au prix bas, à une économie low cost – pardonnez-moi, mes chers collègues, d’utiliser une expression anglo-saxonne –, qui constitue en fait un moyen commode de contourner la question salariale, d’occulter le phénomène persistant de la précarisation de la population active et, plus largement, d’éviter d’affronter le débat essentiel, à savoir celui de la juste rémunération du travail.
Cette course au prix le plus bas comporte sa part d’illusions. Dans les budgets des personnes modestes, le poids des dépenses contraintes, c'est-à-dire de celles qui sont liées au logement, à l’énergie et aux déplacements, ne fait qu’augmenter d’année en année, jusqu’à en représenter près de la moitié.
Quand je constate que de grands distributeurs, pour lancer leur propre marque discount, s’inspirent de ce qui existe en Russie – caisses automatisées, chambres froides où circulent les consommateurs afin d’économiser des meubles réfrigérés ! –, quand j’entends des exploitants de hard discount qui voient leurs ventes reculer sous l’effet de la crise et qui comptent – sans aucun cynisme, faut-il le préciser ! – sur les nouveaux clients amenés par la montée du chômage, je me demande si c’est bien cette société que veulent les gens !
En ce qui concerne l’effet de la LME sur les prix, je m’en remets à l’analyse de Mme le rapporteur : « L’impact reste difficile à analyser », note-t-elle, et les auditions ont fait apparaître des contradictions : pour les distributeurs, les prix baissent ; pour les consommateurs, il n’en est rien.
Aux termes de ce rapport, la LME se révèle peu efficace pour rétablir l’équilibre entre les producteurs et les distributeurs, quand elle ne joue pas en sens contraire, et les pratiques abusives persistent.
À cet égard, notre collègue Élisabeth Lamure souligne à plusieurs reprises dans son rapport le rôle essentiel qu’ont joué les services et les agents de la DGCCRF, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ainsi que l’efficacité de leur contrôle.
Cet hommage mérite toute notre attention au moment où l’effet conjugué de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et de la réorganisation de l’administration territoriale, la REAT, aboutit, à partir du 1er janvier, à leur démantèlement sous couvert de rationalisation.
Regroupés au sein de la nouvelle DIRECCTE, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les agents seront déconnectés du terrain. Dans les directions départementales, ne subsistera que l’activité « commande publique et consommation », strictement comprise, c'est-à-dire les soldes, la publicité des prix et le contrôle des produits alimentaires, rompant ainsi avec la polyvalence traditionnelle des agents.
Les impacts de la LME seront traités au niveau régional ; il n’y aura donc plus de régulation économique au plus près du marché.
Les brigades dites « LME », mentionnées dans le rapport, qui au demeurant existaient avant la loi sous le label « pratiques concurrentielles restrictives », c'est-à-dire « PCR », loin d’être renforcées, perdent des personnels.
Quant aux brigades interrégionales d’enquêtes anti-concurrence, privées d’agents de terrain, quelle sera leur efficacité ?
Nous nous étions déjà interrogés en 2008 sur l’efficacité de l’Autorité de la concurrence et sa capacité à traiter les dossiers transmis depuis le terrain.
Je citerai le cas de la région Aquitaine, que je choisis au hasard, car je n’en suis pas l’élue : cinquante-quatre dossiers ont été transmis depuis le terrain en 2009 et deux seulement ont été retenus par l’Autorité de la concurrence, contrairement aux objectifs affichés. S’agit-il d’une volonté consciente d’éloigner les agents du terrain, pour laisser faire le marché ? Ce serait très curieux en pleine période de crise économique, quand, au moins dans les discours, l’idée de régulation revient à la mode…
J’en viens à mon deuxième point. Le Gouvernement, en particulier M. le secrétaire d'État, a beaucoup communiqué sur le succès quantitatif du régime de l’auto-entrepreneur.
Mme Nicole Bricq. C’est pourquoi j’évoque cette question, monsieur le secrétaire d'État !
À l’évidence, ce régime participe de la même vision d’une société low cost, qui se renforce dans une période où les licenciements se multiplient.
Il a été sanctuarisé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, puisqu’il est désormais possible d’en relever non plus pour une année, mais pour trois ans. Cette disposition laisse Mme le rapporteur « perplexe » et irrite légitimement la CAPEB, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment. Les responsables de cette organisation relèvent fort justement que ce régime crée une concurrence peu loyale ; ils estiment également que la mesure inscrite dans le collectif budgétaire de 2009, à savoir l’obligation corrélative d’attester d’une qualification minimale, est très insuffisante.
Tout aussi justement, Mme Lamure pointe dans son rapport « l’effet substitution » et « l’effet crise » qui sont à la base de ce pseudo-succès. Elle relève qu’un auto-entrepreneur sur deux cherche un revenu complémentaire, ce qui montre que ce statut permet de contourner la question salariale, comme je le soulignais au début de mon intervention, et contribue finalement à externaliser les coûts de l’entreprise vers les individus.
Pour terminer, j’en viens aux dispositions financières les plus significatives de la loi, à savoir la banalisation du livret A et la réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts.
J’évoquerai tout d'abord le livret A. L’effet sur l’augmentation des dépôts, en pleine tourmente financière, alors que cette épargne administrée bénéficiait d’un taux élevé de rémunération, était attendu. Ainsi, la collecte a atteint en 2008 un niveau historique de presque 19 milliards d'euros, et 6,2 millions de livrets A ont été ouverts par les banques nouvellement habilitées à les commercialiser, à côté des réseaux historiques.
Dès lors, sous le double effet de la baisse des taux et de la concurrence d’autres produits d’épargne plus attractifs, on observe, de mois en mois, une collecte nette négative.
Certes, la crise participe aussi à cette baisse tendancielle de la collecte, les ménages ayant tendance à « tirer » sur leur épargne. Toutefois, et c’est plus ennuyeux pour l’avenir, comme le révèle une étude de la SOFRES réalisée pour le compte de la Caisse des dépôts et consignations, les épargnants éprouvent un moindre attachement pour l’épargne administrée, dont la finalité est le financement du logement social, depuis qu’elle a été libéralisée.
Je voudrais relever trois motifs d’inquiétude.
Il s'agit, en premier lieu, du niveau de centralisation acté dans la LME. Celle-ci a prévu un ratio minimal de 125 % entre les dépôts et les prêts. Or, compte tenu de l’évolution dynamique de l’encours des crédits, ce ratio ne serait plus respecté dès 2014, ce qui obligerait donc à le relever. Cette situation doit nous conduire à être très vigilants en ce qui concerne les modalités de la centralisation, qui seront définies en 2011 et entreront en vigueur à l’issue de la période transitoire prévue dans la loi et s’étendant jusqu’au 31 décembre 2011. Dans la mesure où une clause de revoyure est fixée, il est souhaitable que le Parlement s’intéresse à cette question et donne son avis.
En second lieu, nous avons attiré l’attention du Gouvernement sur le contrôle de la multi-détention de livrets A, qui est pourtant explicitement interdite dans la loi.
Le Gouvernement a brandi à plusieurs reprises le risque de sanctions contre les multi-détenteurs. Il leur a donné jusqu’au mois de décembre de l’année 2009 pour se mettre en règle. Il a déclaré avoir envoyé aux banques la liste des livrets A en doublon et a annoncé des contrôles sur ceux qui ont été ouverts en janvier 2009.
Toutefois, ces déclarations ont été peu efficaces : à la fin du mois de novembre dernier, il y avait en France 58,8 millions de livrets A en circulation, pour 64,3 millions d’habitants, et l’on estimait qu’un livret A sur cinq était illégal ! Nous avons donc eu raison d’être méfiants quant aux promesses du Gouvernement relatives au contrôle de cette multi-détention.
En troisième lieu, et ce point est important, monsieur le secrétaire d'État, j’évoquerai le fléchage des fonds collectés par les banques et non centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations.
Bien que les parlementaires que nous sommes, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, soient revenus à la charge, notamment à l'occasion de la discussion de la proposition de loi sur le financement des PME de notre collègue députée de Seine-et-Marne Chantal Brunel, l’opacité est toujours de mise en ce qui concerne l’utilisation de ces fonds, et il n’est pas possible de vérifier que la volonté du législateur de financer l’économie réelle est bien prise en compte.
Alors que les banques ont bénéficié d’importantes liquidités de la Banque centrale européenne, de l’aide de l’État et de l’apport de cette nouvelle épargne, elles ne respectent pas l’engagement qu’elles ont pris au mois d’octobre 2008 d’augmenter l’encours de leurs crédits dans une proportion comprise entre 3 % et 4 %. Elles se réfugient derrière l’explication selon laquelle la demande serait moins forte. Or les entreprises, sur tous les territoires, affirment ne pas avoir accès, notamment, au crédit de trésorerie. Est-ce l’offre ou la demande qui est en cause ? C’est la poule et l’œuf !
Tout récemment, Mme la ministre a convoqué les banques pour leur demander de satisfaire à leurs obligations. Malheureusement, ce n’est pas la première fois qu’on voit se dérouler un tel scénario : on convoque les fautifs, on organise une conférence de presse mais, six mois plus tard, on constate que les résultats ne sont pas au rendez-vous !
M. Trichet, gouverneur de la Banque centrale européenne, a, lui aussi, sommé les banques de faire leur travail, mais elles préfèrent manifestement se tourner de plus belle vers les produits financiers purement spéculatifs, ceux-là mêmes qui nous ont entraînés dans la crise financière en 2007.
Monsieur le secrétaire d'État, vous savez que, pour les PME qui n’ont pas accès aux marchés financiers, le soutien bancaire est indispensable, notamment pour faciliter leur trésorerie. Si elles en sont privées, la part qu’elles pourraient prendre à la reprise économique s’en trouve réduite d’autant.
Il est nécessaire que le Parlement fasse la clarté sur cette question. Je demanderai à la commission des finances d’exercer formellement son contrôle sur la mise en œuvre de la volonté du législateur de voir les banques financer l’économie réelle à partir des fonds collectés et non centralisés à la Caisse des dépôts et consignations.
J’en viens à la réforme de cette dernière et insisterai sur deux innovations contenues dans la loi.
D’une part, un comité des investissements a été mis en place au sein de la commission de surveillance. Il est obligatoirement consulté pour toute cession ou acquisition d’actifs. Pour en être membre, je peux attester qu’il fonctionne régulièrement. Ce fut notamment le cas lors de la constitution du Fonds stratégique d’investissement, le FSI, que le Sénat a évoqué à la fin de l’année dernière, du rachat par ICADE de la société foncière Compagnie La Lucette, du rapprochement de Transdev et de Veolia Transport.
D’autre part, est désormais prévu l’appui de la Commission bancaire à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, notamment quant aux règles prudentielles. Un premier décret est paru l’année dernière, malgré l’avis négatif de la commission de surveillance ; un second décret a été transmis au Conseil d’État à la fin de l’année dernière.
Je crois pouvoir affirmer que la loi est respectée dans sa lettre et dans son esprit : la Caisse des dépôts et consignations, consacrée investisseur de long terme par la LME, est sous le contrôle effectif du Parlement. Nous savons tous que, du fait de la crise, elle a été très fortement sollicitée depuis l’adoption de la loi et qu’elle apporte un soutien sans faille à l’économie, soit directement soit par le biais de ses filiales.
En conclusion, ce premier exercice d’évaluation, qui mérite d’être complété, car la LME est en vérité un vaste fourre-tout, est un rendez-vous utile, et j’ai cru comprendre que, dans l’esprit de nos collègues de la commission de l'économie, il devra se renouveler.
En tout cas, il a la vertu de faire une plus juste appréciation d’une loi qui avait été annoncée à grands renforts de communication.
Conçue à partir d’a priori idéologiques...
Mme Nicole Bricq. ... et d’une stratégie économique n’offrant que la perspective d’une société où l’appauvrissement se banalise, la LME ne peut aboutir ni au bien-être social ni à l’efficacité économique. Nombre des remarques que nous avions formulées au moment de son examen se trouvent malheureusement déjà vérifiées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur du groupe de travail constitué par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans la perspective du débat organisé aujourd’hui à la demande de nos collègues du groupe socialiste, le bureau de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a créé, le 23 septembre 2009, un groupe de travail chargé de faire le point sur l’application de la loi de modernisation de l’économie. C’est en tant que rapporteur des travaux de ce groupe que j’ai l’honneur de m’adresser à vous.
Je tiens tout d’abord à remercier M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie, de son initiative. En effet, faire précéder un débat organisé dans le cadre de la semaine sénatoriale de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques de la mise en place d’un groupe de travail spécifique constitue, à mon sens, une innovation fructueuse. Cela permet de rassembler de nombreux éléments d’analyse pour alimenter le débat. Cette démarche, qui s’inscrit pleinement dans l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008, donne donc plus de force et de portée au travail de contrôle parlementaire et mériterait d’être reconduite à l’avenir.
Je précise que le groupe de travail de la commission n’a évidemment pas évalué l’application des 175 articles de la LME, ce qui aurait été une tâche irréaliste compte tenu du peu de temps dont il a disposé. Dans un souci d’efficacité, il a préféré concentrer son attention sur quatre thèmes relevant du champ de compétence propre de la commission de l’économie : la réduction des délais de paiement, la réforme des relations commerciales, la mise en place du régime de l’auto-entrepreneur et la réforme de l’urbanisme commercial.
Sur l’application de ces quatre réformes clefs introduites par la LME, j’ai souhaité, en tant que rapporteur, dresser un bilan réaliste et objectif, fidèle au contenu des auditions conduites. Je reconnais volontiers que ce bilan survient peut-être un peu tôt, car nous ne disposons pas encore de retours d’information exhaustifs. Néanmoins, les données disponibles permettent déjà d’établir un certain nombre de constats intéressants, laissant apparaître, d’un thème à l’autre, un bilan contrasté de l’application de la LME.
J’aborderai tout d’abord la question des délais de paiement. Je rappelle que l’article 21 de la LME plafonne à quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours calendaires, à compter de la date d’émission de la facture, le délai de paiement convenu entre les parties.
Aussi incomplet soit-il, le bilan de l’application de cette disposition est particulièrement encourageant. Les premières études montrent une évolution très positive des délais de paiement. Selon l’étude lancée en 2009 par la Fédération des industries mécaniques, la FIM, les délais client ont été réduits en moyenne de dix-sept jours.
Trente-neuf accords dérogatoires ont été signés, portant sur environ 20 % de l’économie française. Ces accords permettent une transition en douceur pour certains secteurs dans lesquels les délais sont traditionnellement longs, à l’exemple du BTP. Une difficulté se pose cependant dans le secteur du livre, dont les spécificités justifient une exception permanente. L’Assemblée nationale a adopté en ce sens, le 1er décembre dernier, une proposition de loi que le Sénat examinera jeudi prochain.
Au-delà de ce bilan très positif, il est nécessaire d’assurer l’application de la loi et de clarifier l’interprétation de divers points. Ainsi, certaines pratiques doivent être surveillées : plusieurs personnalités rencontrées par le groupe de travail ont évoqué des demandes d’avantages financiers sous forme de remises ou encore l’application extensive ou erronée d’accords dérogatoires. Une clarification apparaît également nécessaire sur l’application de la loi à l’international. Tant en matière de contrôle que d’interprétation, la DGCCRF et la Commission d’examen des pratiques commerciales, la CEPC, ont un rôle essentiel à jouer.
J’en viens à la réforme des relations commerciales, objet des articles 92 et 93 de la LME.
Si les conditions générales de vente demeurent le socle de la négociation commerciale, les conditions particulières de vente sont désormais autorisées sans justification. Le fournisseur et le distributeur doivent signer une convention unique indiquant leurs obligations respectives, les marges arrière entrant dans ce cadre. S’agissant des sanctions, tout « déséquilibre significatif » dans la convention unique est assimilé à un abus.
Alors que le bilan en ce qui concerne les délais de paiement est très positif, il est beaucoup plus nuancé pour ce qui est des relations commerciales. J’aurais même tendance à dire que les relations commerciales ne se sont pas du tout améliorées.
M. Daniel Raoul. Exactement !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Les résultats en la matière restent assez difficiles à apprécier. Les marges arrière ont été effectivement réduites : elles sont passées de 32 % à 11 % des prix entre 2008 et 2009, selon les données communiquées par le Gouvernement et confirmées tant par les distributeurs que par la FIM.
L’impact de la LME sur les prix reste cependant difficile à appréhender. Si la baisse des prix des produits de grande consommation a atteint 0,65 % au premier semestre de 2009, l’effet propre de la LME est difficile à mesurer.
Au-delà de ces quelques éléments, les auditions menées par le groupe de travail ont montré que les relations commerciales n’ont pas été réellement améliorées.
Ainsi, les relations entre fournisseurs et distributeurs restent fortement déséquilibrées. Fournisseurs et distributeurs divergent quant à l’interprétation de la loi et des règles en matière de négociabilité des tarifs,...
M. Daniel Raoul. Oui !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. ... de nombreux abus ont été constatés, comme l’exclusion a priori des conditions générales de vente, la demande de financement de missions relevant des distributeurs, la demande de remises pour compenser la fin des marges arrière.
Une réelle difficulté porte sur l’application de la date du 1er mars prochain pour la conclusion de la convention unique. Nombre de distributeurs ont en effet engagé des renégociations de cette convention.
Face à cette situation, seuls les contrôles et une interprétation unique de la loi doivent permettre d’assurer le respect de la LME et un rééquilibrage des relations commerciales.
Devant les abus, les pouvoirs publics ont d’ailleurs pris leurs responsabilités : la DGCCRF a mené de nombreux contrôles en 2009 sur les conventions uniques. Sur 400 conventions contrôlées, la quasi-totalité comprenait au moins une disposition significativement déséquilibrée. Cela a abouti à l’assignation devant les tribunaux de commerce de neuf enseignes de la grande distribution.
En tant qu’exégète de la loi et observateur des relations commerciales, la CEPC a également un rôle essentiel à jouer afin d’améliorer l’application de la LME.
En matière de relations commerciales, je réaffirme donc que le bilan est nuancé, pour ne pas dire qu’il n’est guère positif, et que le contrôle effectif des pratiques ainsi que, hélas, la répression doivent permettre d’améliorer la situation et de rééquilibrer les relations entre fournisseurs et distributeurs.
Sur la mise en œuvre du régime de l’auto-entreprise, je ferai quatre constats.
Premièrement, le calendrier prévu a été tenu. La réforme est entrée en vigueur au 1er janvier 2009, avant de s’étendre progressivement à une gamme de plus en plus large de publics. Ce succès s’explique par l’adoption rapide des textes d’application. Il s’explique aussi par la forte mobilisation des institutions chargées d’accompagner les auto-entrepreneurs, qu’il s’agisse de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, du régime social des indépendants, le RSI, de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, la CIPAV, ou de l’Agence pour la création d’entreprise. Il faut saluer le travail réalisé, car, si le régime micro-social facilite grandement la vie des créateurs d’entreprise, il crée en contrepartie une charge de gestion assez lourde pour tous ces organismes.
Deuxièmement, ce nouveau régime a exercé un effet positif sur la création d’entreprise. Les chiffres ont été largement médiatisés : 528 000 entreprises ont été créées au cours des onze premiers mois de l’année 2009, contre 327 000 en 2008. Sans remettre en cause le dynamisme de la réforme, je souligne cependant que les chiffres annoncés doivent être interprétés avec nuance et trois bémols me semblent mériter d’être apportés.
Tout d’abord, il existe une majorité d’auto-entreprises dormantes puisque les deux tiers d’entre elles n’avaient toujours pas déclaré de chiffre d’affaires au troisième trimestre de 2009. Sans doute aurez-vous des précisions à nous fournir sur ce point, monsieur le secrétaire d'État.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Ensuite, pour des raisons liées au circuit de recueil des statistiques, les chiffres des créations d’auto-entreprises sont certainement légèrement surestimés. Il faudra attendre que l’INSEE et l’ACOSS consolident leurs données pour connaître exactement l’ampleur de cette surestimation, ce qui prendra probablement quelques mois.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Enfin, les auto-entreprises se substituent en partie aux entreprises individuelles classiques, dont les créations ont fortement baissé en 2009. Il faut tenir compte d’un effet de vases communicants entre les différents régimes de l’entreprise individuelle au profit de l’auto-entreprise.
Troisièmement, le succès de l’auto-entreprise s’appuie sur une véritable demande sociale. Les auto-entrepreneurs plébiscitent ainsi le fait que l’auto-entreprise permet de compléter les revenus grâce aux possibilités de cumul entre salariat, retraite et activité indépendante. D’après les sondages à notre disposition, environ une auto-entreprise sur deux aurait été créée pour exploiter ces possibilités de cumul.
L’auto-entreprise est également plébiscitée parce qu’elle permet de tester un projet sans risque financier. C’est ce qu’affirment les deux tiers des auto-entrepreneurs. La moitié d’entre eux reconnaissent même qu’ils n’auraient pas créé leur entreprise sans ce régime.
En outre, au-delà de son caractère rassurant et simple, le régime de l’auto-entreprise est bien accueilli pour une raison quasiment sociétale, à savoir qu’il institue concrètement un « droit à entreprendre ». L’auto-entreprise est en effet le symbole et le moyen d’une certaine autonomie individuelle dans la vie professionnelle. Elle ouvre réellement à tous la liberté d’entreprendre.
Quatrièmement, enfin, un an après ses débuts, l’auto-entreprise suscite encore un certain nombre de questions, sinon d’inquiétudes. Il ne faut ni les nier ni les exagérer, mais il convient de rester attentif pour effectuer les corrections qui pourraient s’avérer utiles.
Ces questions portent principalement sur deux points. Le premier concerne les accusations portées par les organisations représentant les entreprises de l’artisanat sur le thème de la concurrence déloyale. Le second a trait à la concurrence qui pourrait se développer entre le salariat et la sous-traitance auto-entrepreneuriale, des salariés étant de plus en plus remplacés par des sous-traitants auto-entrepreneurs ; une telle substitution est illégale dans un certain nombre de cas et il convient de rappeler que la forme juridique normale d’une relation de subordination est le contrat de travail.
Au-delà des craintes relatives à ces abus, la sous-traitance est une pratique tout à fait licite et l’on peut très bien envisager que les entreprises utilisent en toute légalité le régime de l’auto-entreprise pour externaliser vers des sous-traitants des tâches jusqu’alors réalisées en interne.
Pour l’instant, il n’y a pas de données claires montrant qu’un tel processus soit massivement en cours, mais c’est une question qu’il faut suivre de près.
Pour terminer sur l’auto-entreprise, je me permettrai de formuler trois recommandations.
D’abord, le Gouvernement doit fournir très vite un rapport économique et social sur les auto-entrepreneurs afin que l’on sache vraiment qui ils sont, ce qu’ils font, combien d’emplois et quelle valeur ajoutée sont réellement créés, quel est l’impact sur le monde de l’artisanat, sur les comptes sociaux et sur les pratiques de gestion de la main-d’œuvre des entreprises.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Ensuite, il faut renforcer l’information sur le caractère illégal et les risques des pratiques visant à donner de manière abusive à une relation salariale la forme d’une relation commerciale de sous-traitance.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Enfin, il faut développer un accompagnement et une formation des auto-entrepreneurs. À cet égard, je me réjouis qu’une des préconisations de mon rapport soit déjà devenue une réalité.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Grâce à votre initiative, monsieur le secrétaire d’État, deux mesures doivent entrer en vigueur dès le 1er avril prochain : d’une part, l’attestation de qualification professionnelle avant toute création d’entreprise dans le domaine artisanal ; d’autre part, l’obligation d’inscription au répertoire des métiers pour les auto-entrepreneurs ayant une activité artisanale à titre principal. Ces mesures permettront aux auto-entrepreneurs les plus dynamiques de passer à un statut à la fois plus favorable au développement économique et plus égalitaire.
En outre, je tiens à saluer l’annonce de la création cette année, en toute cohérence avec le régime de l’auto-entrepreneur, de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, qui permettra de protéger le patrimoine personnel des artisans en cas de faillite. Cette réforme est attendue depuis plus de vingt ans par l’artisanat et je me félicite, monsieur le secrétaire d’État, que vous ayez su entendre cette demande.
J’en viens, enfin, à la question de l’urbanisme commercial.
Mon premier constat porte sur le rôle des commissions départementales d’aménagement commercial, les CDAC : leur mission n’est pas claire. Quatre points cristallisent les critiques.
Premièrement, leur composition et leurs règles de décision. La présence d’une personnalité qualifiée en matière de consommation ne va pas de soi dès lors que l’impact économique du projet n’a pas à entrer en ligne de compte. De même, placer la voix des personnalités qualifiées, qui sont nommées, sur le même pied que celle des élus locaux est discutable.
Deuxièmement, le rôle et les critères de décision des CDAC ne sont pas aussi bien définis que ceux des anciennes commissions départementales d’équipement commercial, les CDEC. Il n’y a pas de critères ni de normes partagés pour définir les exigences minimales à respecter en matière de développement durable et d’aménagement du territoire. Les CDAC risquent ainsi de ne plus se prononcer que pour dire « oui ».
Troisièmement, la notion de seuil de saisine perdure alors que ce n’est peut-être pas l’outil adéquat pour appréhender l’impact du commerce sur les territoires. Notre regretté collègue député Jean-Paul Charié proposait de remplacer le critère de la surface par celui de l’envergure des commerces. C’est une idée qui mérite d’être creusée.
Quatrièmement, les équipements commerciaux effectivement construits ne sont pas tenus d’être conformes aux projets qui ont été préalablement présentés et validés par les CDAC, de sorte que les décisions des CDAC risquent de rester lettre morte.
Mon deuxième constat relatif à la réforme de l’urbanisme commercial porte sur l’absence d’outil statistique permettant d’évaluer l’impact de la libéralisation des implantations commerciales. On ne sait pas comment évolue la carte commerciale, ce qui donne lieu à des rumeurs alarmistes évoquant une multiplication des installations d’équipements dont il est impossible de vérifier la réalité. On ne sait pas non plus quel est l’impact sur la concurrence et sur les prix. Nous avons donc besoin d’un outil de mesure adapté pour appréhender les effets de la réforme.
Je précise toutefois que la réforme de l’urbanisme commercial est une réforme structurelle et qu’il ne faut sans doute pas s’attendre à ce qu’elle produise des effets significatifs en peu de temps ; plusieurs années seront nécessaires pour qu’on observe une évolution notable de la cartographie commerciale.
Enfin, et c’est mon troisième constat, l’intégration de l’urbanisme commercial à l’urbanisme reste inachevée. En effet, la réforme de l’urbanisme commercial par la LME était transitoire : un texte sur ce thème devait être adopté très promptement. Les outils créés par la LME ne sont donc pas opérationnels et beaucoup de questions restent en suspens : que peut comporter exactement le document d’aménagement commercial d’un SCOT ? Les prescriptions et le zonage du volet commercial d’un SCOT s’imposent-ils aux PLU et, au-delà, aux autorisations d’urbanisme ? Quels sont les liens entre le volet commercial d’un SCOT et les CDAC ? Le Grenelle II comporte une avancée importante dans ce domaine mais ne peut remplacer une réforme d’ensemble cohérente.
Dans ces conditions, je formulerai deux recommandations.
D’une part, il faut mettre en place dans les plus brefs délais un outil d’observation des équipements commerciaux permettant d’établir un bilan objectif de la LME.
D’autre part, il faut élaborer rapidement un texte sur l’urbanisme commercial, c’est-à-dire non pas un texte sur le commerce, mais un texte sur l’urbanisme. En effet, si l’urbanisme commercial était jusqu’à présent avant tout affaire de commerce, il devra à l’avenir être avant tout affaire d’urbanisme.
À ce sujet, je me réfère aux éléments extrêmement intéressants contenus dans les travaux de Jean-Paul Charié ou dans la contribution du Club des SCOT, dont je retiens trois suggestions très simples.
Selon la première, il conviendrait de préciser et de renforcer le pouvoir d’encadrement de l’activité commerciale par le SCOT et le PLU.
La deuxième suggestion est de donner aux élus locaux la capacité de contrôler les changements d’activité commerciale.
La troisième consiste à faire du permis de construire le seul instrument d’autorisation de construction de nouveaux commerces. Il serait délivré, bien sûr, après conformité aux règles d’urbanisme des PLU, eux-mêmes conformes aux SCOT, qui intègrent les fameux DAC, les documents d’aménagement commercial.
Il s’agit là, sinon de propositions, du moins de pistes à étudier, qui préfigurent en quelque sorte une réforme de l’urbanisme
Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les principales conclusions du groupe de travail sur l’application de la LME, ainsi que quelques conclusions personnelles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le bilan sur quelques thèmes de la loi de modernisation de l’économie montre encore une fois que la relance de la concurrence comme levier de la croissance, la déréglementation des activités économiques, les exonérations fiscales et sociales, pourtant chères à ce gouvernement, sont inopérantes pour garantir la vitalité économique de notre pays et créer des emplois.
La LME n’a pas su enrayer la flambée du chômage ni l’apathie de l’activité économique, notamment celle du secteur industriel. Ce bilan négatif est le résultat plus global des politiques conduites par les gouvernements de droite depuis de trop nombreuses années.
Les mauvais résultats de l’économie française et les conséquences sociales dramatiques qui en découlent ne s’expliquent pas seulement par la loi de modernisation de l’économie ; celle-ci constitue un exemple parmi d’autres de l’incapacité des politiques gouvernementales à éviter les crises sociales et économiques que traverse notre pays et à les gérer.
L’organisation d’un débat parlementaire sur le bilan, même partiel, de la LME est donc une bonne chose s’il permet au Gouvernement de tirer les conséquences de cet échec.
Le champ des thèmes retenus est assez restreint au regard de celui de la loi, qui est immense, il est vrai. Quoi qu'il en soit, je regrette que l’on n’ait pas choisi d’évoquer la question du crédit à la consommation, crédit nécessaire à nos concitoyens aux revenus les plus modestes, d’autant plus que, dans cette période de crise, le Gouvernement n’a pas su tenir ses promesses d’augmentation du pouvoir d’achat.
Ici, se pose la question des crédits permanents, dits revolving, dont il semble si difficile de s’extraire et qui aggravent encore la situation de personnes en grande précarité. Selon la Banque de France, « dans 70 % des dossiers, […] la part des personnes en situation de surendettement dont les revenus sont inférieurs ou égaux au SMIC est en augmentation ». Cette question aurait mérité toute notre attention.
J’en viens maintenant à l’analyse des domaines soumis au bilan.
Le titre de la première partie du rapport est prometteur puisqu’il évoque « un premier bilan très positif de la réforme des délais de paiement ». Cependant, le ton optimiste de notre rapporteur ne résiste pas au contenu même de l’examen au fond, ainsi que Mme Lamure vient de l’expliquer.
Ainsi, on peut s’interroger sur la nécessité d’une telle réforme puisque, sans y être encore soumis, un grand nombre d’acteurs économiques l’auraient anticipée.
Au regard des données disponibles, notamment de celles délivrées par l’Observatoire des délais de paiement, on constate une baisse relative des délais de paiement. De plus, on a assisté à la signature d’un grand nombre d’accords dérogatoires.
Or la LME se dispense totalement de régler la question de l’après-dérogation. Le législateur a posé une règle, assortie d’une limite temporelle – le 1er janvier 2012 – en ce qui concerne la possibilité de dérogation au plafond, en reportant à plus tard les problèmes posés par la spécificité de certains secteurs.
La proposition de loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre, par exemple, qui sera examinée cette semaine par le Sénat, montre à quel point les problématiques sont pointues. Il reste que cette tendance à légiférer en faisant de la règle l’exception pose un problème tant elle porte atteinte à la clarté du régime juridique applicable aux différents contrats.
Je reviendrai plus particulièrement sur deux questions abordées par le rapport.
En premier lieu, la réduction des délais de paiement avait été initialement prévue pour améliorer les conditions de trésoreries des entreprises. Cet objectif n’a été que partiellement atteint. Cela s’explique notamment par l’impact différent de la loi sur la réduction des délais de paiement des fournisseurs et des délais de paiement des clients.
Cet échec de la réforme est d’autant plus regrettable que la question de la trésorerie des entreprises est un élément fondamental de leur vitalité et que les politiques gouvernementales n’ont pas su régler les difficultés récurrentes rencontrées par les petites et moyennes entreprises dans leurs relations avec les établissements bancaires.
Or, pour un tiers environ des chefs d’entreprise, c’est encore et toujours l’accès au crédit bancaire qui est source de difficultés et menace le développement de l’activité ainsi que, souvent, le maintien des emplois et la survie même de l’entreprise.
En second lieu, le rapport pose la question de « la compatibilité de certains avis avec l’esprit de la LME ». En effet, la CEPC indique, tout comme la DGCCRF, que, « si l’obligation légale d’ordre public n’a pas à donner mécaniquement lieu à une compensation au premier euro, elle ne l’interdit pas », ajoutant que « la question des délais de paiement peut toujours être prise en compte dans les négociations commerciales ».
Votre critique, madame le rapporteur, est selon nous injustifiée. Les instances visées font une juste interprétation de la législation telle qu’elle a été voulue par la majorité. Nous avions, nous, dénoncé les pratiques abusives qui pouvaient naître de la réglementation sur les délais de paiement, quand la même loi étendait la libre négociabilité des conditions générales de vente et instaurait la discrimination tarifaire.
S’ils étaient prévisibles, les comportements abusifs dont le rapport fait état sont néanmoins inquiétants de par leur contenu même et de par leur ampleur. Cela pose évidemment la question des moyens de contrôle en termes de personnels, mais également en termes d’effectivité du contrôle, tant les pressions peuvent être grandes sur les acteurs économiques les plus faibles.
Cela nous amène tout naturellement à la deuxième partie du rapport relative à « l’impact limité de la loi LME sur les relations commerciales ». Dans ce domaine, l’échec est patent.
Nous avions pointé du doigt les dangers de la réglementation prévue par le projet de loi de modernisation de l’économie. En effet, la législation a fait table rase des quelques garde-fous qui subsistaient encore dans le code de commerce, notamment dans son article L. 441-6, pour tenter d’encadrer le grave déséquilibre de la relation commerciale entre fournisseur, centrale d’achat ou distributeur.
Il aurait été illusoire de croire que la loi de modernisation de l’économie pouvait encadrer les marges arrière, tout en prônant la libre négociation des conditions générales de vente et en autorisant la revente à perte.
En consacrant, dans les relations commerciales, l’opacité ou la discrimination tarifaire, la législation n’avait pas su lever l’inquiétude chez les professionnels, sauf chez les grands distributeurs, qui se félicitaient d’un dispositif taillé sur mesure pour eux.
Aujourd’hui, le bilan de ces dispositions n’a rien d’étonnant. Selon les informations fournies par le ministère, les marges arrière auraient très fortement diminué. Si cela se vérifie, comment expliquer que la baisse des prix n’ait pas été au rendez-vous et que les fournisseurs ou producteurs n’aient pas vu leurs rémunérations augmenter ?
La crise traversée par le secteur laitier en particulier et par le monde agricole en général montre à quel point les relations entre producteurs, fournisseurs et distributeurs sont opaques et déséquilibrées.
M. Gérard Le Cam. C’est vrai !
Mme Odette Terrade. Pour un lait de grande marque, entre le prix de vente obtenu par le producteur et le prix d’achat acquitté par le consommateur dans les rayons, l’écart va en moyenne de 1 à 3 !
Alors que l’écart entre les prix agricoles et les prix en rayon ne cesse de se creuser depuis deux décennies, une lettre commune des consommateurs et des représentants des agriculteurs a été adressée voilà presque un an au ministre des finances et au ministre de l’agriculture, à qui revient la tutelle conjointe de l’Observatoire des prix et des marges, pour que toute la lumière soit enfin faite sur le processus de formation des prix alimentaires.
Force est de constater que l’opacité est toujours de mise ! Les prix alimentaires continuent d’augmenter, et le revenu agricole de diminuer.
La Commission des comptes de l’agriculture de la nation s’est réunie le 14 décembre pour examiner les comptes prévisionnels de l’agriculture française pour l’année 2009. Le revenu agricole moyen par actif connaît, déduction faite de l’inflation, une baisse de 34 % pour l’ensemble de la branche et de 32 % pour les exploitations professionnelles.
Face à cette situation, les consommateurs ne voient pas leur pouvoir d’achat augmenter, bien au contraire.
Un constat tout aussi négatif peut être dressé chez les autres fournisseurs : la loi de modernisation de l’économie a produit, sans surprise, les effets pervers que l’opposition avait vivement dénoncés lors de son examen. Pour la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, avec cette déréglementation des relations commerciales, les « PME fournisseurs de la grande distribution sont donc plus que jamais victimes d’un rapport de force défavorable que la crise actuelle accentue ».
Les abus entraînés par une réglementation permissive en faveur des acteurs économiques les plus forts sont graves. Face à ces pratiques condamnables, Mme le rapporteur se veut rassurante, expliquant dans son rapport d’information que les « pouvoirs publics ont pris leurs responsabilités afin de faire respecter la LME » et que « les brigades LME mises en place au sein de la DGCCRF ont ainsi effectué de nombreux contrôles sur le terrain ».
Or ces contrôles sont mis à mal par celui-là même qui a donné la lourde mission de garantir un certain équilibre dans les relations commerciales : le Gouvernement. En effet, la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques met en péril les capacités d’intervention de cette administration de contrôle. La nouvelle localisation des services d’enquête dans les DIRECCTE – directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi –, qui sont en train d’être créées, induira à l’évidence une réduction de la proximité des enquêteurs vis-à-vis des opérateurs économiques et un tel éloignement sera préjudiciable à la bonne exécution de leurs missions.
Par ailleurs, la DGCCRF voit ses possibilités d’intervention limitées encore davantage du fait de la baisse massive de ses effectifs. Le plan de réduction des emplois touche plus particulièrement les petits départements, laissant le champ libre aux pratiques illicites des grandes enseignes. Les personnels de la DGCCRF nous ont écrit pour dénoncer cette remise en cause de l’exercice de l’ensemble de leurs missions, notamment des enquêtes utiles à la vérification du respect de la LME. Monsieur le secrétaire d'État, vous qui comptez sur eux pour agir en ce sens, quelle réponse allez-vous leur apporter ?
J’en viens maintenant à la question de la mise en œuvre du régime de l’auto-entrepreneur.
Il semblerait que l’on ait assisté à une création importante d’auto-entreprises sur le papier, des entités virtuelles en quelque sorte. Mais, en réalité, le chiffre serait gonflé artificiellement,…
Mme Odette Terrade. … du fait des méandres administratifs. En effet, une large majorité d’entre elles n’auraient aucune activité. Selon Mme le rapporteur, « une partie des auto-entreprises n’a fait que se substituer à des créations d’entreprises individuelles qui auraient de toute façon eu lieu ».
La LME se heurte donc aux difficultés économiques que les politiques gouvernementales n’ont pas résolues par ailleurs. Elle n’a su produire que des acteurs économiques de papier, sans activité, a mis à mal le principe d’égalité devant l’impôt et a encouragé le développement de très petites entreprises d’opportunité, sans résoudre aucunement le problème de la création d’entreprise.
Nous avions dénoncé les effets pervers du statut d’auto-entrepreneur, qui risque d’encourager le travail au noir et de fausser la réalité en cachant certains salariés sous le masque de travailleurs indépendants. Le Gouvernement avalise ici les situations difficiles, de plus en plus courantes, dans lesquelles les salariés mal payés se trouvent contraints d’exercer une deuxième activité.
Outre ce bilan économique et social négatif, le régime de l’auto-entreprise suscite des inquiétudes légitimes parmi les professionnels du secteur artisanal.
Toutes ces critiques se font également entendre jusque dans les rangs de la majorité. Lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2009, le président de la commission des finances du Sénat a ainsi souligné le risque de voir, d’un côté, progresser l’économie clandestine et, de l’autre, des auto-entrepreneurs renoncer à leur activité. Sur le terrain, expliquait-il, les artisans, qui sont soumis, eux, à des contraintes particulières, peuvent légitimement s’inquiéter d’une concurrence peu loyale. La critique générale du statut instauré par la loi LME et son bilan négatif devraient inciter le Gouvernement à en tirer les conséquences et à revenir sur les dispositions votées.
Le dernier thème examiné par le groupe de travail sur l’application de la LME est l’urbanisme commercial.
Nous avons, il y a peu de temps, évoqué cette question à propos de la situation urbanistique déplorable des entrées de villes. Disons-le clairement : la majorité a voté un texte instaurant une véritable déréglementation des implantations commerciales. En particulier, le plus grand flou règne sur la situation des équipements dont la surface est inférieure à mille mètres carrés. il ne faut pas s’en étonner, car ce risque était en germe dans la loi.
Nous souhaitons donc, comme Mme le rapporteur, que le Gouvernement mette en place un outil d’observation des équipements commerciaux.
Nous restons, quant à nous, très circonspects sur cette réforme de l’urbanisme commercial, en raison notamment de son effet néfaste sur l’organisation de nos villes et sur la pérennité du petit commerce de proximité.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, aucun des quatre domaines retenus pour faire l’objet de ce débat ne présente un bilan positif. On aurait pu en sélectionner d’autres et arriver, sans grand suspense, à la même conclusion : il n’est qu’à voir la colère des salariés de l’INSEE et de RFI, ou la situation du logement social après la banalisation du livret A.
Les différentes politiques menées par le Gouvernement, les multiples lois qu’il a fait voter pour les promouvoir, que ce soient la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi pour le développement de la concurrence au service du consommateur ou la loi de modernisation de l’économie, ont été génératrices de plus d’inégalité, de pauvreté et de précarité.
Aujourd’hui, au travers de ce débat, nous faisons le constat d’un double échec, non seulement de ce qui nous était annoncé comme une grande réforme, mais aussi, plus globalement, de la politique économique engagée par le Gouvernement. Pour notre part, nous le regrettons vivement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en ce temps de morosité économique, la France a besoin de créer des emplois, donc d’encourager la création d’entreprises. Les Français attendent – peut-être à tort, d’ailleurs – que l’État défende leur pouvoir de consommer moins cher et qu’il cherche à concilier, dans le secteur de la distribution, un certain équilibre entre fournisseurs et distributeurs. La loi de modernisation de l’économie avait pour objectif d’apporter des réponses sur ces sujets. Je formulerai à son propos une appréciation en demi-teinte.
La réduction des délais de paiement était assurément nécessaire. Elle aura permis de donner un peu de souplesse aux entreprises en termes de trésorerie. Il faut souhaiter que le nombre d’accords dérogatoires, qui couvrent 20 % de l’économie française, diminue significativement, sans quoi la portée de la règle serait anéantie par le poids des exceptions. En outre, il semble indispensable que les pratiques de « commercialisation » de la réduction des délais sous la forme de ristournes soient fermement sanctionnées. Nul ne doit pouvoir régulièrement bénéficier d’un avantage financier au seul motif qu’il se conforme à la loi.
Le régime de l’auto-entrepreneur constitue par ailleurs un apport majeur, sur lequel je souhaiterais insister aujourd’hui.
D’un point de vue purement quantitatif, son succès est indéniable, sans doute parce qu’il apporte des réponses adéquates à des problèmes identifiés. Outre la réduction du « travail au noir », la simplicité des déclarations et du régime applicable à ce nouveau statut est un progrès substantiel : le créateur d’entreprise n’aura peut-être plus à emprunter ce labyrinthe administratif, institutionnel, juridique et fiscal, dans lequel s’égarent tant de porteurs de projet.
Je souhaite donc que le succès quantitatif du nouveau régime soit l’occasion de soulever une réflexion de fond sur la simplification des démarches des entreprises, notamment au moment de leur création, afin de les rendre plus en phase avec le rythme des entrepreneurs.
Je note dans le très bon rapport de Mme Lamure que les chambres consulaires voient ce nouveau statut d’un mauvais œil. Il a en effet engendré une baisse importante – de 30 % – des inscriptions au répertoire des métiers et, parallèlement, du nombre des participants aux prestations qu’elles proposent.
Cependant, il ne faut pas, me semble-t-il, se focaliser sur les accusations de « concurrence déloyale » portées contre les auto-entrepreneurs. Les chambres consulaires, plutôt que de céder à la défiance, devraient plutôt prendre ce nouveau statut comme une opportunité pour elles de s’ouvrir et de coopérer. Ainsi, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat pourraient proposer leurs prestations – quitte à les adapter – à ce nouveau type d’entrepreneurs, en vue de les accompagner dans la professionnalisation.
En ce sens, il serait souhaitable que le statut soit éventuellement limité au temps de la création d’entreprise et du démarrage de l’activité, c'est-à-dire environ deux ans après l’inscription. C’est d’ailleurs ce que j’avais proposé dans un amendement lors de l'examen du texte.
Les premiers mois d’application de la LME ont au moins ce mérite de soulever, de manière générale, l’appétit des entrepreneurs pour des régimes et des démarches simples, pour une liberté accrue.
Il est primordial d’accorder une importance majeure à cette préoccupation : aujourd’hui, la tendance aux « parcours fléchés » de la création d’entreprise comme les délais d’instruction extrêmement longs pour les demandes d’aide publique en la matière, du type FISAC, par exemple, alourdissent la marche de notre économie et déroutent nombre d’entrepreneurs. Peut-être devrait-on envisager un relèvement du plafond de chiffre d’affaires pour l’obtention du statut d’auto-entrepreneur ?
En ce qui concerne l’urbanisme commercial, l’objectif du Gouvernement était clair : mettre en place de nouvelles règles du jeu dans la grande distribution pour augmenter la concurrence et défendre le pouvoir d’achat ; en d’autres termes, favoriser l’implantation du hard discount afin de concurrencer les grandes surfaces déjà implantées.
Les dispositions relatives au rôle des commissions départementales d’aménagement commercial ne semblent pas suffisantes, mais les instruments d’évaluation à cet égard n’existent toujours pas.
Quant à l’absence d’un urbanisme commercial réellement cohérent, elle relève d’une problématique à part entière. De ce point de vue, la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes, votée récemment par le Sénat, constitue l’ébauche d’une première réponse.
J’en viens à présent à la disposition qui concerne les relations commerciales, l’une des plus importantes de la LME dans la mesure où elle avait pour objectif de favoriser un environnement plus concurrentiel propre à redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs.
Ma conviction n’a pas changé par rapport à ce que j’avais déclaré lors de la discussion générale du texte : quelle que soit la sophistication des dispositions législatives – conditions générales ou particulières de vente, sanction des abus dans les relations commerciales –, à partir du moment où les fournisseurs négocient avec cinq centrales d’achat hyperpuissantes, les relations sont structurellement déséquilibrées. Comme je l’avais souligné, « certaines dérives, bien connues, risquent de se poursuivre, le cas échéant, d’ailleurs, sous d’autres formes ».
Le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a lui-même reconnu récemment que la LME était contournée par des méthodes inacceptables, appliquées dans les relations entre distributeurs et agriculteurs. En ce sens, la portée de cette loi ne me semble pas de nature aujourd’hui à régler la question sur le fond.
Certes, l’assignation devant les tribunaux de neuf enseignes de la grande distribution pour des pratiques abusives est une action forte de l’État. Les griefs ne manquant pas, espérons que le zèle des pouvoirs publics en la matière perdurera.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’action de la Commission d’examen des pratiques commerciales et la mise en place, au sien de la DGCCRF, des « brigades LME ». Je suis même favorable à la création d’une commission d’enquête parlementaire qui pourrait œuvrer aux côtés de ces instances pour faire toute la lumière sur les pratiques au sein du secteur. Disant cela, je ne fais que rappeler l’objet d’une proposition de loi que j’avais déjà déposée en 2004.
L’essai n’a pas été transformé, mais je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour apporter, dans le domaine de la création d’entreprise, un peu d’air au fonctionnement de notre économie. Comprenez mon scepticisme sur le sujet des relations commerciales : peut-on promettre aux Français de consommer plus et moins cher sans détériorer l’équilibre de la chaîne commerciale ? Le coût de la politique du pouvoir d’achat ne saurait en effet être supporté par les seuls fournisseurs de base, à savoir les agriculteurs, artisans ou industriels, au risque de fragiliser les deux grands secteurs de notre économie. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi de modernisation de l’économie avait été une véritable épreuve parlementaire pour tous les groupes politiques. Nous avions travaillé sérieusement, procédant à plus d’une centaine d’auditions sur plusieurs mois, sous la houlette du président de la commission spéciale, Gérard Larcher. Mais le texte a été débattu dans l’urgence, et dans des conditions difficiles. Alors que le projet de loi comptait, au départ, une trentaine d’articles, nous en avions, à l’arrivée, plus de cent vingt, de nature fort disparate.
Dix-huit mois nous séparent de ce vote et de l’entrée en vigueur des plus importantes dispositions de ce texte. Un premier bilan était indispensable. À cet égard, les travaux du groupe de travail d’évaluation de la LME ont été conduits, sous la direction de Mme Élisabeth Lamure, dans la sérénité nécessaire au contrôle parlementaire ; soyez-en, madame le rapporteur, très sincèrement et très chaleureusement remerciée.
Le rapport délivré est fidèle aux auditions qui ont été menées. Des recommandations importantes ont été faites, et c’est avec honnêteté que les dysfonctionnements de la LME y ont été consignés.
Ce travail d’évaluation, fait à la demande du groupe socialiste par notre collègue Nicole Bricq, est d’autant plus nécessaire que le premier bilan gouvernemental de la loi, datant de juillet dernier, manquait sérieusement de nuances.
Toutefois, le groupe socialiste n’a pas souhaité voter en faveur du rapport tant les objectifs initiaux de la loi, « créer des emplois et faire baisser les prix », ont manqué au rendez-vous.
Je tenais, quoi qu’il en soit, à remercier Mme Lamure de la manière dont elle a dirigé ce groupe de travail et à saluer le rapport qui en est résulté.
Les principaux objectifs de cette loi, générer de la croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat, n’ont donc pas été atteints. Cela ne constitue en rien une surprise pour nous : nous l’avions dit, répété, martelé !
En revanche, lors des débats, le groupe socialiste avait soutenu l’objectif de réduction des délais de paiement. C’est le point positif relevé à juste titre par notre rapporteur. Des difficultés liées à la compétitivité de nos entreprises demeurent en matière d’application des délais de paiement à l’international. Par ailleurs, l’application des accords dérogatoires temporaires peut parfois être fastidieuse. Il n’en demeure pas moins que, dans sa globalité, cette mesure était attendue et bien venue.
J’avais, à l’occasion de nos débats, évoqué la situation particulière des librairies et souligné l’inadaptation de cette mesure au monde de l’édition, en particulier, mais aussi à certains autres secteurs de l’économie. Le secteur du livre devrait prochainement bénéficier d’une mesure dérogatoire permanente, fidèle à l’esprit de l’exception culturelle française, et je m’en réjouis. Je m’interroge toutefois sur le sort des trente-sept autres branches professionnelles dont le régime dérogatoire est temporaire.
La dérogation permanente prévue pour le livre par la proposition de loi de M. Hervé Gaymard doit-elle relever de l’exception ? Pour Mme le rapporteur, « afin de ne pas nuire à la portée de la LME, aucune autre dérogation à la loi ne doit être accordée ». Je pense, au contraire, qu’il est important que la réglementation s’adapte aux spécificités des secteurs économiques, qui ne sont pas uniformes et nous examinerons avec attention l’analyse de la DGCCRF consacrée aux délais de paiement dans les secteurs concernés par l’accord dérogatoire.
Si, au regard de ce bilan d’étape, d’autres dérogations doivent être prolongées, il me semble qu’il serait néfaste de les écarter d’emblée, par pur esprit de système.
Le crédit interentreprises s’était fortement développé, se substituant pratiquement au crédit bancaire. Les sommes en jeu étaient considérables. Au moment de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, l’Observatoire des délais de paiement les chiffrait à 600 milliards d’euros, ce qui représentait un « mode de financement privé » à intérêt zéro dont le montant est égal à quatre fois celui qui est prodigué par les institutions bancaires.
Ces chiffres nous permettent de mesurer l’ampleur du problème, car la longueur des délais de paiement révèle un déséquilibre du rapport de force entre parties prenantes ou, pour le dire autrement, des comportements abusifs. Il faut donc continuer dans cette voie et se féliciter qu’un tel effort ait été engagé, même si les obstacles et résistances demeurent nombreux.
Il me semble également urgent de s’attaquer aux contreparties abusives exigées lors des accords de réduction des délais de paiement. Ces pratiques risquent d’être, au final, contre-productives si elles conduisent à faire peser de nouvelles contraintes sur ceux qui bénéficient de la réduction des délais de paiement.
En effet, certains distributeurs demandent, contournant ainsi l’esprit de la loi et ses objectifs, des remises en échange de l’application des dispositions relatives aux délais de paiement. Le rapport, bien qu’il fasse état de ces pratiques, a néanmoins tendance à les nuancer.
D’après une enquête de la Fédération des industries mécaniques, 70 % des entreprises du secteur ont fait l’objet de pratiques abusives. La proportion n’est pas anecdotique. Ces pratiques abusives ont été recensées par l’Observatoire des délais de paiement et, en la matière, l’action des brigades LME de la DGCCRF est essentielle, mais les capacités d’intervention de celle-ci sont sapées par la mise en œuvre de la RGPP : la réorganisation des services de l’État, couplée à la réduction des effectifs, aboutit, dans cette administration comme dans toutes les autres, à une limitation de l’action de contrôle de l’État, laissant le champ libre aux pratiques illicites, au détriment des TPE-PME et des consommateurs.
L’action de la DGCCRF, qui a assigné plusieurs enseignes dernièrement, est à saluer. Toutefois, pour que cette mise en garde ne se résume pas à un coup d’épée dans l’eau, il est primordial que ce service de l’État bénéficie des ressources nécessaires et que la moulinette de la RGPP ne réduise pas à néant le nécessaire rééquilibrage des relations commerciales.
En effet, les articles 92 et 93 de la LME visaient à accorder plus de liberté aux partenaires pour négocier, en contrepartie d’un renforcement du contrôle et des comportements abusifs. Or il apparaît que, dix-huit mois après l’application de la loi, cette réforme des relations commerciales se révèle être un marché de dupes pour le consommateur : certes, la pratique des fameuses marges arrière a diminué, mais, en rayon, le prix des produits suit encore une tendance haussière.
La crise du lait est une parfaite illustration d’un mécanisme défaillant : entre septembre 2007 et septembre 2009, le prix du lait payé à l’éleveur a diminué de manière significative, tandis que le consommateur achète sa bouteille de lait plus cher. Pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, le lien entre le prix agricole et le prix en rayon ne jouerait-il jamais à la baisse ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Évidemment, les grandes enseignes se félicitent d’une prétendue baisse moyenne de 2 % à 3 % de leurs prix. Cependant, les résultats des enquêtes statistiques et de celles qui ont été menées par les associations de consommateurs aboutissent à des conclusions bien plus nuancées et même divergentes : de l’avis même de vos services, la très faible baisse des prix constatés, de l’ordre de 0,65 %, n’est pas assez significative et ne saurait être imputable à la LME dans une période de crise.
Par ailleurs, dans leur grande majorité, les personnes auditionnées par le groupe de travail ont regretté la persistance du rapport de force entre les acteurs économiques et l’absence d’améliorations dans les relations commerciales ; cela a été justement évoqué par notre rapporteur. Autrement dit, les relations commerciales sont encore, dans moult secteurs de l’économie, une épreuve pour de nombreux fournisseurs, contraints, sous la pression des distributeurs, de compresser leurs marges, et ce au détriment de leurs salariés.
En la matière, la DGCCRF n’a pas pour mission de contrôler les marges et ne peut intervenir à ce niveau-là. Mais ses pouvoirs de contrôle et d’instruction des plaintes et les missions de la Commission d’examen des pratiques commerciales, la CEPC, sont essentiels. Le rôle de l’État régulateur est la pierre angulaire de la qualité des relations entre les différents partenaires économiques.
Pour le moment, force est de constater que le rééquilibrage entre fournisseurs et distributeurs – soit l’un des objectifs majeurs de la LME – n’a pas été atteint et que la moralisation des pratiques, si fortement annoncée, n’a pas encore eu lieu. À ce titre, la réduction des effectifs de la DGCCRF est de très mauvais augure.
Pour ce qui est de l’urbanisme commercial, cette réforme devait permettre « la mise en place de nouvelles règles du jeu dans la grande distribution pour augmenter la concurrence et défendre le pouvoir d’achat ». Là encore, le lien que vous établissez entre concurrence, dérégulation et pouvoir d’achat se révèle inopérant. Certes, l’urbanisme commercial n’est plus régi par des considérations strictement commerciales, incompatibles avec le droit européen. À cette heure, et en l’absence d’outils statistiques fiables, il apparaît seulement que l’assouplissement des règles d’autorisation d’installation n’a pas modifié – mais sans doute est-il encore trop tôt pour le mesurer – la structure oligopolistique de la grande distribution. On note surtout qu’elle n’a pas eu d’incidence prouvée, tangible et notable sur les prix.
Quant à l’inscription de l’urbanisme commercial dans le cadre du droit commun de l’urbanisme, il s’agit d’une réforme qui est « au milieu du gué », selon l’expression de notre rapporteur. La possibilité pour les SCOT de définir des zones d’aménagement commercial est encore balbutiante. Le rôle, la composition et les règles d’intervention et de décision des CDAC ne sont clairs pour personne. Ils ne sont, de toute évidence, pas adaptés à leurs missions.
À cet égard, je regrette le sort qui a été réservé à la proposition de loi de notre collègue Sueur sur les entrées de villes. Ce texte, vidé de son contenu lors de son examen en commission, prévoyait notamment, à l’origine, que les entrées de ville ne devaient pas être défigurées par l’implantation de bâtiments commerciaux uniformes et à l’architecture parfois tapageuse, sans respect pour le paysage urbain et la tradition architecturale locale. C’est pourquoi le groupe socialiste soutient les recommandations du rapport concernant la mise en place d’un outil d’observation des équipements commerciaux et l’élaboration d’un texte spécifique sur l’urbanisme commercial.
Pour conclure, j’aimerais évoquer, monsieur le secrétaire d’État, deux aspects de la LME qui, à défaut d’avoir fait l’objet d’une évaluation de notre groupe de travail, intéressent de près l’élue parisienne que je suis : les soldes flottants et l’indice des loyers commerciaux, l’ILC
La LME a ouvert le droit, pour les commerces, d’ajouter deux autres périodes de soldes. Ce dispositif, davantage taillé sur mesure pour les grandes enseignes, porte un préjudice important au commerce indépendant et contribue à jeter un doute sur la sincérité des prix. De soldes privés en soldes officiels, de promotions en ristournes, d’affaires à faire en démarques, les consommateurs ne connaissent plus le juste prix des produits. Les commerçants indépendants, qui n’ont pas les mêmes marges et volumes de vente que les grandes enseignes, ne peuvent plus suivre cette course aux rabais permanents. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Le second aspect est relatif aux loyers des baux commerciaux. Il suffit de se promener dans certaines rues pour constater la fermeture, parfois sans reprise, de nombreux commerces, acteurs de la vitalité économique, mais aussi de la sociabilité de nos villes. Effet de la crise ? Peut-être… Résultat de la hausse démentielle des loyers commerciaux ? À coup sûr ! (Très bien ! sur les mêmes travées.) Pour résister à la pression locative dans le parc immobilier, le Parlement avait, en 2006, modifié l’indexation des loyers, mais cette mesure n’est pas obligatoire. Pour l’heure, son application relève de la bonne volonté des bailleurs.
D’après les informations de la fédération Procos, organisme chargé d’évaluer l’application de l’ILC, près de 90 % des commerçants indépendants de nos centres-villes ont encore des baux indexés sur l’indice du coût de la construction. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais connaître votre position concernant cette mesure. Il semblerait souhaitable, d’après plusieurs fédérations professionnelles que nous avons interrogées, de remplacer cet indice, dont l’évolution est trop aléatoire, par l’indice des loyers commerciaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe socialiste a souhaité l’organisation d’un débat sur l’application de la loi de modernisation de l’économie un an et demi après son adoption. Cette initiative est, à l’évidence, bienvenue. Je crois savoir, en effet, que nous sommes nombreux à avoir été saisis sur les conséquences de certaines des dispositions de cette loi.
Parmi les innovations que comportait la LME, le statut de l’auto-entrepreneur a rencontré un certain succès avec la création de 263 000 auto-entreprises déclarées. On constate cependant que seulement 47 500 d’entre elles ont réalisé un chiffre d’affaires. La durée pendant laquelle une entreprise peut rester dormante étant de trente-six mois, il serait intéressant de faire un nouveau bilan dans plusieurs mois, afin de mesurer la vraie pertinence du dispositif.
En attendant, il semblerait, d’après les acteurs de terrain, que l’auto-entreprise pose un problème de distorsion de concurrence en défaveur de l’artisanat. Les conclusions du groupe de travail mis en place au mois de mai 2009 par le Gouvernement pour éclaircir ce point n’ont pas convaincu les organisations professionnelles, s’agissant, en particulier, du problème de l’équité des cotisations sociales acquittées par les petites structures économiques. En effet, les auto-entrepreneurs retirent un avantage fiscal de leur régime par rapport aux artisans soumis à un autre cadre juridique.
Cette question, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mériterait sans doute une expertise indépendante.
Je souhaiterais également revenir sur un autre grand volet de la loi du 4 août 2008, celui qui concerne l’encadrement des marges arrière.
Comme l’indique très justement notre collègue Élisabeth Lamure dans son précieux rapport d’information, la LME a, pour le moment, un impact très limité en matière de relations commerciales, ce qui est d’autant plus décevant que le texte avait suscité quelques espoirs. Je pense en particulier à ses dispositions, inscrites dans le code de commerce, relatives à la convention écrite précisant les obligations du distributeur en contrepartie des ristournes et remises consenties par le fournisseur par rapport aux conditions générales de vente ainsi qu’à l’indication, sur la facture des fournisseurs, des prix des « services distincts » proposés par le distributeur.
N’oublions pas qu’en contrepartie l’article 93 de la LME a renforcé les sanctions à l’encontre des comportements abusifs.
Le groupe de travail mis en place par la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat n’a pas conclu avec certitude, dans son rapport, à un impact favorable de la LME sur les prix.
Toutefois, s’il est difficile d’apprécier l’évolution des relations commerciales depuis l’entrée en application de la loi, il faut noter qu’un recul des marges arrière, de 32 % à 11 %, entre 2008 et 2009 ainsi qu’une baisse des prix de 0,65% des produits de grande consommation au premier semestre de l’année 2009 ont été observés.
Cependant, ces quelques progrès ne suffisent pas à occulter la persistance du problème des relations commerciales entre les distributeurs et les fournisseurs, qui sont loin d’être complètement assainies. Le rapport de notre collègue fait même état d’un sentiment d’aggravation du déséquilibre des relations en défaveur des fournisseurs, en raison de la liberté de négociation qui a été introduite par la loi.
Un certain nombre de pratiques abusives ont ainsi été répertoriées et même sanctionnées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. La condamnation de neuf des principales enseignes devant les tribunaux de commerce est d’ailleurs bien le signe d’une mauvaise volonté de certains gros acheteurs à considérer, par exemple, les conditions générales de vente comme le point de départ de la négociation commerciale.
Que les services de l’État soient vigilants est une bonne chose, mais il faudra sans doute réfléchir une nouvelle fois à la façon de résoudre la question du rapport de force entre de puissantes centrales d’achat et les fournisseurs, notamment les plus petits d’entre eux. Je pense en particulier aux petits producteurs du secteur agricole, qui, dans de nombreuses filières, sont très pénalisés au stade des relations commerciales.
Au cours de l’été dernier, plusieurs syndicats ont exprimé leurs inquiétudes en bloquant des plateformes de supermarchés. Les agriculteurs ont ainsi manifesté leur « ras-le-bol », car ils ont le sentiment que les profits qu’ils pourraient tirer de leurs efforts de compétitivité sont, en réalité, transférés vers la grande distribution.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Yvon Collin. Les grandes enseignes, qui se contentaient hier de marge de 15 %, demandent aujourd’hui au minimum 25 %.
En outre, elles profitent de la complexité du système de formation des prix ; elles contribuent d’ailleurs elles-mêmes à brouiller les règles en maintenant – volontairement, sans doute ! – une certaine opacité sur la formation des marges.
On a toutefois bien compris que le niveau des prix dépendait davantage du nombre d’intermédiaires et du degré de concurrence que, par exemple, du niveau des cours agricole, et c’est d’ailleurs ce qui explique l’exaspération bien légitime des agriculteurs, qui n’ont pas toujours les moyens de se regrouper pour affronter les puissantes centrales d’achat.
La loi de modernisation de l’économie a vu le jour en pleine récession et il est donc un peu difficile, monsieur le secrétaire d'État, de dresser un bilan des différents dispositifs adoptés à l’époque. Nous étions toutefois nombreux dans cet hémicycle à douter, dès le départ, de son opportunité et de son efficacité. S’agissant du volet des relations commerciales, on ne peut que regretter aujourd'hui que la situation n’ait guère évolué et que les objectifs n’aient pas encore été atteints.
Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d'État, que le travail sur tous ces sujets fondamentaux pour la croissance et pour l’emploi en France soit poursuivi et j’estime que l’inscription de ce débat à l’ordre du jour est une excellente initiative. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà bien un débat dont nous aurions voulu qu’il ne fût pas nécessaire !
Force est cependant de constater, avec notre excellente collègue Élisabeth Lamure, que, si la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 donne globalement satisfaction en ce qui concerne les délais de paiement, comme le souligne dans son rapport annuel publié ce 7 janvier l’Observatoire des délais de paiement, elle n’a pas encore pleinement atteint son objectif, en particulier pour le secteur productif agricole. Elle aurait même conforté certaines des dérives auparavant constatées entre fournisseurs et distributeurs.
Représentant un département fortement agricole, producteur tant de lait que de fruits et légumes ou encore de céréales, je ne peux que déplorer les écarts inexplicables, récemment dénoncés à juste titre par les consommateurs, entre les évolutions des prix agricoles et celles des prix alimentaires.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Antoine Lefèvre. En quarante ans, la grande distribution a créé en France un secteur à la puissance économique considérable ; un véritable rapport de force s’est établi entre producteurs et distributeurs.
Or, si toutes les centrales d’achat acceptaient la légitime augmentation de certains tarifs due à la hausse incontournable de plusieurs produits agricoles, si tous les acteurs respectaient le bon sens économique inscrit dans la LME, nous n’aurions pas connu ces situations funestes qu’a vécues le monde agricole, dont de très nombreuses filières ont enregistré une chute de revenu sans précédent.
Plus on est proche du consommateur dans la chaîne alimentaire, plus on a de pouvoir ! Parallèlement, la variable prix est prépondérante dans le choix du consommateur.
Comment comprendre que, pour certaines filières, sur les prix d’aliments pas ou peu transformés et dont la matière première agricole constitue une part majeure, la marge pratiquée par les distributeurs atteigne jusqu’à 60 % ? Ces différentiels importants restent inexpliqués faute de transparence et de données publiques.
Ainsi, cette loi de modernisation de l’économie votée dans le but d’améliorer le pouvoir d’achat aurait, semble-t-il, hélas, en partie conforté la position dominante de la grande distribution.
Les centrales d’achat ont effectivement supprimé les notions de ristournes et de rabais, mais, dans les faits, elles retiennent en général, dans le cadre de partenariats, un pourcentage sur les prix des producteurs pour participation à leurs frais, pourcentage qui est variable suivant les enseignes. On constate ainsi que certaines sont plus vertueuses que d’autres : si cette participation aux frais des centrales d’achat est de 0 % pour Leclerc, Lidl et ED, elle est en revanche de 2,5 % pour Carrefour et Carrefour Market, Casino et Monoprix, de 3,5 % pour Auchan, de 4 % pour Pomona ou pour Intermarché…
Les pourcentages que les fournisseurs trouvent en pied de facture peuvent représenter de 3 % à 5 % de leur chiffre d’affaires, soit quasiment la marge de certains d’entre eux, et cela sans service en contrepartie.
Et que dire quand est décrétée une promotion et qu’un grand volume est alors commandé à un prix imposé, mais qu’une seule partie de ce volume est vendue à prix promotionnel, le reste l’étant au prix fort, sans répercussion pour le producteur ? La ponction de ces ristournes sur les producteurs de légumes atteindrait, par exemple, 200 millions d’euros par an.
Finalement, rien, ou presque, n’a changé, si ce ne sont les termes. Toujours est-il que les producteurs vendent en dessous de leurs prix de revient.
Ainsi, pour la pomme, les prix au kilogramme ont perdu 10 centimes depuis la campagne 2007-2008. Depuis le début de la présente campagne, le prix moyen au kilogramme logé départ ressort à 65 centimes, ce qui laisse entre 20 et 25 centimes au producteur. Pour que ce dernier « rentre » dans ses frais, le prix logé départ devrait être de 80 centimes.
Il est donc impératif de mettre de la transparence dans la transmission des prix tout au long des filières pour garantir un juste retour de la valeur ajoutée aux producteurs et un prix final plus équitable aux consommateurs.
Il nous faut cependant souligner le rôle essentiel joué par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que par la Commission d’examen des pratiques commerciales en matière de contrôles et d’interprétation unique de la loi. Leurs préconisations publiques participent de la promotion des bonnes pratiques voulues dans la LME.
À cet égard, pourriez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous renseigner plus avant sur le groupe de travail, intitulé « pacte nouvelles donnes LME », chargé de préparer les bases des relations commerciales et les clauses du contrat de plan d’affaires pour les négociations commerciales de 2010 ?
Je sais les pouvoirs publics conscients de la nécessité du contrôle et de la répression des abus.
J’ai bien sûr noté la remarque, en commission de l’économie, de notre collègue Gérard César, rapporteur du projet de loi de modernisation de l’agriculture, qui a indiqué qu’il existait des correspondances entre la LME et ce texte, dont l’examen sera l’occasion de réfléchir aux moyens d’améliorer les dispositions relatives aux relations commerciales et à la formation des marges dans la filière agricole.
Je forme donc des vœux – c’est de circonstance, en ce début d’année ! – pour que, conjuguées aux efforts des brigades régionalisées de contrôle de la LME et de l’Observatoire des prix et des marges, les dispositions que le Parlement adoptera dans le cadre de la future LMA permettront d’assainir définitivement les relations commerciales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le secrétaire d'État, alors que cette semaine sénatoriale de contrôle nous offre la possibilité d’évaluer l’état d’application de la loi de modernisation de l’économie, j’interviendrai quant à moi sur deux points.
Tout d’abord, j’évoquerai le titre III, dont l’objet était de renforcer l’attractivité économique du pays en anticipant et en facilitant l’installation du très haut débit par la fibre optique.
Mme Nathalie Goulet. Aïe !
M. Pierre Hérisson. Malheureusement, on constate dans les faits un réel blocage s’agissant de l’utilisation des réseaux existants en fibre optique et en cuivre, qui sont complémentaires.
En effet, il semble que, sous prétexte de lutter contre une éventuelle distorsion de concurrence du fait de l’opérateur historique, nous nous éloignions de l’intérêt général par une opposition des instances concernées au dégroupage en sous-répartition pour permettre l’accès au numérique. Cette solution est pourtant la moins coûteuse pour la collectivité et pour le client, car elle s’appuie sur la sous-boucle locale en cuivre, présente sur la totalité de notre territoire.
Dans un souci légitime d’équité, les autorités paraissent s’appuyer sur le constat de la frilosité des concurrents de l’opérateur historique, lesquels n’ont fait aucune demande de dégroupage en sous-répartition, pour conclure que celui-ci met en péril l’équité du marché entre opérateurs, compte tenu de cette latence d’activité des opérateurs alternatifs dans le domaine, ainsi que de la distorsion des connaissances techniques entre ces opérateurs et l’opérateur historique.
Je crois, monsieur le secrétaire d'État, que c’est une erreur et que cette orientation va à l’encontre des intérêts de l’ensemble des utilisateurs, donc des consommateurs.
Il me semble qu’il faudrait au contraire réfléchir, dans ce cas précis, à la possibilité de passer une convention nationale avec l’opérateur historique afin que celui-ci offre le service public attendu par les clients éloignés et isolés selon le principe du prix de revient.
J’attends avec d’autant plus d’intérêt votre réaction à cette proposition que je reste persuadé que nous aurions réglé bien des problèmes avec la mise en œuvre du service universel du haut débit que nous sommes plusieurs ici à réclamer depuis un certain nombre d’années, réclamation qui témoigne peut-être tout simplement du bon sens et de la sagesse de notre assemblée…
Dans un second temps, qu’il me soit permis de revenir, quitte à m’éloigner quelque peu du sujet strict de ce débat, sur la baisse de la TVA appliquée à la restauration.
Soit dit entre nous, une telle baisse n’est pas vraiment une première puisqu’elle s’est déjà appliquée aux fleuristes et aux chocolatiers, mais sans que cela fasse autant de vagues ni ne donne lieu à autant de polémiques.
M. Paul Raoult. Le coût n’était pas le même !
Mme Nicole Bricq. Il était bien moindre !
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Pierre Hérisson. Il est vrai que les conséquences sur les deniers de l’État étaient moindres. En tout cas, je n’ai pas le souvenir que le changement de taux ait fait baisser les prix...
Comme vous le savez, cette disposition,…
M. Paul Raoult. Il ne fallait pas la prendre !
M. Pierre Hérisson. … fondée sur de larges négociations avec l’ensemble des représentants de la profession et sur la base du volontariat, a permis d’intervenir en faveur de l’embauche et des salaires ainsi que du soutien à l’investissement et à la mise aux normes des établissements.
M. Paul Raoult. On attend la démonstration !
M. Pierre Hérisson. Bien que je partage les avis de ceux qui invitent le Gouvernement à faire des analyses plus précises pour déterminer l’efficacité de la mesure et vérifier en quoi les engagements ont été respectés, je souhaite apporter une note de modération dans cette polémique, qui me paraît totalement inutile en période de crise.
Je qualifierai volontiers de « vertueuse », quoi qu’on en dise, cette baisse de TVA appliquée aux activités de restauration indépendante et de restauration familiale. J’ai écouté les propos que vous avez tenus à ce sujet au cours des dernières semaines, monsieur le secrétaire d'État, et j’estime – je tenais à le dire à cette tribune – que votre analyse est absolument juste.
M. Pierre Hérisson. Au-delà des dispositions prises de manière volontariste et dans le cadre de négociations, il s’agit d’une mesure qui me paraît de bon sens et je la soutiens pleinement, même si sa mise en œuvre ne s’est pas engagée dans les conditions qui avaient été acceptées et adoptées.
Il reste que cette décision était vitale pour un certain nombre d’entreprises de restauration familiales et indépendantes, auxquelles elle a permis d’assurer l’équilibre de leur compte d’exploitation ; elle a ainsi évité la disparition de plusieurs centaines d’entreprises au cours des semaines et des mois à venir.
Il était normal que cette profession reçoive une aide de l’État pour traverser cette période de crise, car elle l’a subie autant que d’autres.
Je tenais à faire ces quelques remarques, car je crois que toute polémique sur ce sujet est définitivement vaine. Si cette mesure a permis de sauver un secteur entier de notre économie, vous avez bien fait, monsieur le secrétaire d’État, de tenir bon ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi de modernisation de l’économie comportait de multiples aspects, dont le changement de statut de Radio France Internationale, RFI. Varions donc un peu les plaisirs !
Certains d’entre nous s’étaient inquiétés, lors de la discussion de ce texte, des menaces qu’ils sentaient peser sur cet outil incomparable du rayonnement de la France.
RFI est un peu plus qu’une simple société nationale de programmes ; c’est un organe de souveraineté qui fut longtemps le seul à remplir une double mission : une mission d’influence, la France devant rivaliser avec les grands médias internationaux, et une mission culturelle, la France devant promouvoir ses valeurs.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. RFI est non seulement la voix de la France, mais aussi celle des Français de l’étranger, ainsi que de tous les francophones et francophiles. Et cette voix est en danger d’étranglement !
La Fédération des Français de l’étranger s’est d’ailleurs inquiétée à de multiples reprises des effets du plan de restructuration interne de RFI. Elle condamne le ralentissement de ses activités et le processus de réduction de sa diffusion, qui semble préjudiciable à l’équilibre global du fonctionnement de cette radio, alors que le désengagement total des filières de RFI à l’étranger est programmé.
Amputer RFI de ses diffusions en langues étrangères, c’est amputer la France d’un formidable outil de communication, notamment dans les contrées où elle manque de représentations. Quelle image veut-on donner de la France à l’étranger en supprimant les langues étrangères de sa radio sinon celle d’un pays qui n’a pas les moyens financiers de créer une information internationale digne de ce nom ?
À la fin du mois de janvier 2009, Nicolas Sarkozy annonçait une aide de 600 millions d’euros accordée à la presse écrite. Peut-être celle-ci ne mérite-t-elle d’ailleurs pas tant d’égards, sauf lorsqu’elle vous fait des compliments, monsieur le secrétaire d’État...
Mme Nathalie Goulet. Je pourrais en dire autant !
En tout cas, au même moment, était également annoncé un plan de licenciement massif à RFI sous prétexte que ses comptes n’étaient pas équilibrés. À ce jour, c’est l’unique plan social en cours dans une société publique ! M. Alain de Pouzilhac avait pourtant déclaré, en prenant ses fonctions au sein de RFI, qu’il n’y aurait aucun plan de licenciement. Et dans le même temps, l’État a permis à la direction de France 24 de procéder à de multiples embauches.
Le mardi 8 décembre, à l’issue de l’expiration de la période de rétractation, 271 salariés de RFI étaient candidats au départ volontaire, soit un nombre bien supérieur à celui des suppressions de postes prévues par le plan social. Cinq chefs de service sur sept et 80 % des personnels d’encadrement intermédiaire sont, au sein de la rédaction en français, prêts à partir : fuite des cerveaux, fuite des talents, fuite des compétences !
L’argument du déficit structurel ne résiste pas à l’analyse, les autorités de tutelle et la direction ayant validé le budget « voté ». Surtout lorsqu’on met ce déficit en perspective avec les salaires de ses dirigeants, nommés directement par le Président de la République ! En effet, le président de RFI, Alain de Pouzilhac, et la directrice générale, Christine Ockrent, perçoivent chacun un salaire de 310 000 euros annuels : mieux que Barack Obama, qu’Angela Merkel ou que Nicolas Sarkozy ! Ces 310 000 euros peuvent également être comparés aux 130 000 euros que percevait le précédent PDG…
Le 18 décembre, le glas a sonné pour six des dix-sept rédactions en langues étrangères qui existaient jusqu’à présent à RFI. Le « silence radio » s’est fait définitivement en polonais, en albanais, en laotien et en allemand, et ce à la veille du soixante-cinquième anniversaire des émissions en langue allemande. Proprement incroyable ! Quant au turc, voilà déjà longtemps qu’il a disparu de RFI !
Pour la première fois de son histoire, RFI subit un processus de strangulation intempestif et intensif.
Le cas du persan, langue qui m’est chère, est encore plus incohérent eu égard à la situation explosive de l’Iran et de ses conséquences dans l’ensemble de la région. Au lieu de renforcer cette langue sur tous les supports, comme le font les Britanniques et les Américains, nous supprimons des postes de salariés parlant le persan et des émissions émises dans cette langue. C’est complètement aberrant ! L’arrêt de la diffusion en persan sur les ondes moyennes le 5 mars 2009 et le non-remplacement de cette diffusion sur la bande FM est une erreur stratégique majeure, dont je reparlerai ce soir lors du débat sur le Moyen-Orient.
Quant aux auditeurs sinophones sur ondes moyennes, ils sont désormais livrés à une radio commerciale, sans doute intéressante, mais qui n’est pas la voix de la France !
Le sabotage de RFI s’accompagne en outre de la vente des filiales à l’étranger. On brade à tout va en Bulgarie, à Lisbonne, à Budapest. C’est tout de même incompréhensible !
On est bien loin des promesses et des discours rassurants du 3 juillet 2008 ! Je n’aurai pas la cruauté, monsieur le secrétaire d’État, de rappeler les propos tenus alors par Mme Lagarde et par le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini. Notre assemblée avait même eu la faiblesse de voter un amendement que j’avais eu l’honneur de présenter – mais peut-être était-ce en fait de la naïveté – et qui visait à assurer à RFI les moyens de son rayonnement international. Hélas, cet amendement a été « retoqué » en commission mixte paritaire ; au vu du sabordage actuel de RFI, on comprend pourquoi !
Je regrette, pour ma part, le sabotage organisé d’une radio aussi importante pour le rayonnement de la France. Comme disent nos amis italiens, entre le dire et le faire, il y a la moitié de la mer ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ferai deux remarques positives, ne serait-ce que pour bien commencer l’année…
Je salue tout d’abord votre initiative, monsieur le président de la commission de l’économie, de créer un groupe de travail en amont du débat. C’est une expérience qu’il faudra renouveler, et j’espère que l’exemple en sera repris par les autres présidents de commission.
M. Paul Raoult. Il a raison !
M. Daniel Raoul. Je souhaite également saluer, le travail effectué par Mme Élisabeth Lamure, qui est tout à fait objectif et fidèle aux auditions menées par le groupe de travail. Il reste que, si les problèmes sont bien posés dans son rapport, nous divergeons sur certaines de ses propositions.
Permettez-moi de regretter que nous n’ayons pu reconstituer la composition de la commission spéciale formée à l’occasion de l’élaboration de la LME. Je rappelle que le nombre d’articles a été multiplié par quatre au cours de l’examen du projet de loi : il n’aurait pas été inutile, par conséquent, de bénéficier de l’expertise de nos collègues de la commission des affaires sociales et de la commission des finances. La commission a fait le choix de s’en tenir à quatre thèmes. Il y aurait eu, pourtant, beaucoup à dire sur cette loi, qui ressemble fort à un fourre-tout touchant à différents domaines.
Nous aurions pu aborder, comme Mme Goulet, la situation de RFI, qui est aujourd’hui particulièrement d’actualité – toutes les radios en parlaient encore ce matin ! –, ou la question du haut débit, évoquée par Pierre Hérisson, ou bien celle du travail dominical, ou plutôt de « l’ouverture des magasins d’ameublement le dimanche », chère à Isabelle Debré.
Pour ma part, je reviendrai tout à l'heure sur la question de l’urbanisme commercial, mais je tiens à dire d’emblée combien je regrette la disparition de notre collègue député Jean-Paul Charié qui en était spécialiste reconnu et dont les compétences vont nous manquer.
M. Gérard César. Hélas !
M. Daniel Raoul. Il avait constaté, au travers des auditions qu’il avait menées, combien les élus étaient désemparés face au développement anarchique, en particulier, de certains établissements de restauration exotique dans les centres-villes, sans que puisse être exercé le moindre contrôle.
L’objet du présent débat est donc de faire un point d’étape après seulement dix-huit mois d’application de cette loi de modernisation de l’économie. Mais le champ couvert par ce texte étant très vaste, comme l’a fait remarquer Nicole Bricq, je ne suis pas certain que nous disposions aujourd'hui du recul suffisant pour juger de l’ensemble de ses effets induits.
L’ambition principale de la LME, que l’on aurait également pu appeler, faisant allusion aux initiales du patron d’une chaîne bien connue de grandes surfaces, la « loi MEL », tant la pression de la grande distribution a pesé sur son élaboration et sur la rédaction de nombre d’articles,...
M. Daniel Raoul. ... était, selon vos propres termes, monsieur le secrétaire d’État, « de lever les contraintes qui empêchent certains secteurs de se développer, de créer des emplois et de faire baisser les prix ».
Reprenons donc chacun de ces thèmes.
Plusieurs orateurs ont déjà abordé la question des relations commerciales entre les distributeurs et les producteurs et ont dit ce qu’il fallait penser de la baisse des prix que leur évolution était censée entraîner. Quant aux créations d’emplois, Christiane Demontès y reviendra à propos du statut de l’auto-entrepreneur et de la diminution corrélative du nombre d’entreprises individuelles.
Vous posez un acte de foi dans le libre fonctionnement du marché, supposé mener l’économie sur la voie de la croissance et de l’emploi. C’est pour vous quasiment un dogme, que vous invoquez de façon permanente.
J’avais dit à Mme Lagarde, à l’époque, qu’elle semblait affectée du même trouble obsessionnel compulsif que la commissaire européenne à la concurrence, car elle répétait à l’envi cet acte de foi inconsidérée envers les bienfaits de la concurrence. Nous avons pu les constater sur le marché de l’énergie, où l’ouverture à la concurrence a clairement précédé l’augmentation des prix !
Autrement dit, la concurrence n’a jamais fait baisser les prix,...
M. Daniel Raoul. ... en tout cas pas dans ce domaine particulier, que je connais un peu.
Si notre économie a été moins touchée par la crise que celle des pays voisins, c’est en raison du modèle social français. Le Président de la République lui-même a reconnu que ce modèle avait servi d’amortisseur face aux effets de la crise. Cette explication me semble tout à fait juste. Comment expliquer, alors, que vous ne cessiez de le détricoter à coups de lois en ne vous fiant qu’au seul marché ?
Comme l’a souligné Mme le rapporteur, sur les quatre points retenus par la commission, le bilan est très contrasté. Il est en tout cas négatif sur les deux points principaux évoqués dans le préambule de la loi : l’emploi et les prix.
La création du statut de l’auto-entrepreneur a entraîné une baisse du nombre de créations d’entreprises individuelles. Par ailleurs, comme l’a rappelé Mme le rapporteur, plus des deux tiers des auto-entrepreneurs n’ont réalisé aucun chiffre d’affaires. Que se cache-t-il donc derrière ce statut, et à quoi sert-il ?
Je ne reprendrai pas l’ensemble des arguments que nous avons pu entendre, en particulier ceux de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment,…
M. Daniel Raoul. … d’autant que vous les connaissez par cœur, monsieur le secrétaire d’État. S’il arrive que ces arguments soient quelque peu excessifs, ils n’en soulèvent pas moins de vraies questions, qui touchent le consommateur, qu’il s’agisse de la réalisation réelle des travaux, de la responsabilité des travaux effectués, etc.
Monsieur le secrétaire d’État, il ne faut pas confondre création d’entreprise et création d’activité, et les chiffres cités dans le rapport le montrent très bien.
Le statut d’auto-entrepreneur conduit à des pratiques perverses, comme l’a démontré l’un de nos collègues, et je ne doute pas que Christiane Demontès l’évoquera tout à l’heure. Ainsi, des activités ont fait l’objet de contrats de sous-traitance externalisés, afin d’éviter le paiement des charges, sans que la rémunération des personnes concernées soit pour autant modifiée. Il en est ainsi, à titre d’exemple, de la correction dans les maisons d’édition.
S’agissant des pratiques commerciales, la date imposée du 1er mars a certes été respectée, mais des dérives ont été relevées par la DGCCRF lors du contrôle de quelque mille contrats : certaines conventions comportent des clauses léonines.
Les conventions ont été renégociées immédiatement entre les mois de mai et de juin. Une partie des relations entre distributeurs et producteurs a été réglementée par la légalisation du racket, avec la suppression théorique des marges arrière – dans quelles proportions ? on pourrait en discuter à l’infini ! –, mais nous n’avons pas voté ces articles, car ils instauraient un rapport de force inégal, sinon la loi de la jungle.
Demeure le problème de l’élaboration du prix de vente au consommateur. Les crises qui ont touché les secteurs du lait et des fruits et légumes, évoquées à plusieurs reprises dans cet hémicycle par nos collègues Yannick Botrel, des Côtes-d’Armor, et Didier Guillaume, de la Drôme, ont démontré que le législateur devrait bien un jour remettre l’ouvrage sur le métier. En effet, malgré l’adoption de la LME et quelles que soient les affirmations des distributeurs, la transparence n’est toujours pas au rendez-vous. Dans le commerce – mot que la sémantique permet pourtant de rapprocher de la communication –, la confiance entre les partenaires n’est pas la donnée la plus constante des négociations. L’opacité est de mise pour ce qui concerne la formation des prix au détriment des deux bouts de la chaîne, à savoir le producteur en amont et le consommateur en aval.
Pourquoi ne pas expérimenter le coefficient multiplicateur maximal pour les produits bruts, peu transformés ou succinctement conditionnés ? Ce dispositif, qui ne pourra peut-être pas être généralisé, a été introduit en 2005 dans la loi relative au développement des territoires ruraux. Même s’il n’a jamais été appliqué, il a incité les partenaires, en particulier les distributeurs, à contenir les marges dans un premier temps. Mais on a vu ce qu’il en est advenu…
Pour quelle raison n’existe-t-il aucune corrélation simple entre les prix alimentaires et les prix agricoles, alors que le budget alimentaire est incompressible, comme d’autres dépenses contraintes, et que sa part continue à augmenter pour les ménages les plus modestes ? Il peut atteindre 20 % du budget des ménages touchés à la fois par la crise et par le chômage !
Mme le rapporteur a souligné à plusieurs reprises l’importance des contrôles des agents de la DGCCRF. Ils ont eu un effet très positif et ont conduit à porter devant des juridictions des cas de dérives par rapport aux conventions initiales. Mais quid de l’avenir de cette direction, évoqué par Nicole Bricq, alors que la RGPP tend à déconnecter ses agents du terrain ? Dès lors que les contrôles effectués ont sans doute limité les dégâts résultant de la LME, un certain nombre de problèmes ne manqueront pas de surgir à terme du fait de la poursuite de la RGPP.
M. Daniel Raoul. Moi, monsieur le secrétaire d’État, je suis persuadé que nous allons perdre ces moyens de contrôle.
M. Daniel Raoul. Nous en reparlerons !
Pour ce qui concerne les délais de paiement, certes, je constate avec satisfaction que des progrès ont été réalisés, mais je dois souligner, dans le même temps, le nombre exorbitant de dérogations. Qu’adviendra-t-il à la fin du délai prévu par le législateur ? Le réveil risque d’être très douloureux – la hauteur de la marche à franchir est impressionnante –, alors que l’on aurait pu ou dû imposer une extinction progressive de la dérogation.
Pour ce qui est de l’urbanisme commercial, il faut trouver de toute urgence une solution afin que les élus de terrain puissent imposer dans les SCOT et dans les PLU un réel contrôle de l’offre commerciale, leur permettant d’organiser des pôles de proximité tenant compte, en particulier, de l’allongement de l’espérance de vie et des services qui doivent être offerts à nos concitoyens les plus âgés, lesquels peuvent être confrontés à des difficultés de déplacement. Dans les villes de plus de 20 000 habitants, les élus n’ont plus aucun contrôle sur les créations de commerce de moins de 1 000 mètres carrés, ceux-là mêmes qui déstructurent les quartiers.
Il faudrait sans doute revoir également le droit de préemption urbain, qui impose trop de contraintes aux municipalités. Au début de mon intervention, j’ai évoqué les restaurants exotiques que l’on voit fleurir dans la plupart de nos villes. Certes, ces commerces peuvent nous faire rêver d’horizons lointains, mais ils ne correspondent pas au maillage de proximité souhaité par nos concitoyens.
En cette période, comment ne pas évoquer les soldes flottants, qui, après expérimentation, sont rejetés à la fois par les consommateurs et par les commerçants indépendants ?
M. Daniel Raoul. N’étant pas moi-même commerçant, je me contente de relayer les remarques qui me sont faites !
Entre les soldes flottants et les promotions, on ne sait plus le juste prix des choses ni à quel moment il faut acheter ! On peut également se demander comment les commerces sont approvisionnés pour pouvoir organiser ces soldes flottants.
Sur les quatre thèmes retenus par la commission, le bilan que je dresse est plus que mitigé, même si je reconnais que les délais de paiement représentent un point positif, en dépit de trop nombreuses dérogations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat, organisé sur l’initiative de nos collègues du groupe socialiste, est l’occasion pour notre assemblée de dresser un bilan de la LME et de formuler des propositions. Mes propos porteront essentiellement sur deux points : le statut de l’auto-entrepreneur et les délais de paiement.
La LME a suscité de grands espoirs : elle affichait l’ambition de « lever les contraintes qui empêchent certains secteurs de se développer, de créer des emplois et de faire baisser les prix », formule que je trouve magnifique tant il est vrai qu’on ne peut qu’applaudir à un tel programme ! On est néanmoins en droit de se demander si les résultats sont bien au rendez-vous.
Sur un plan intellectuel, le statut de l’auto-entrepreneur est remarquable.
M. François Fortassin. D’aucuns ont même employé des termes d’une grande poésie, et vous savez que j’apprécie cet art : ils ont évoqué des « entreprises dormantes », ce qui est évidemment moins cru que de parler d’entreprises qui se sont « cassé la gueule »…
Mme Christiane Demontès. D’autant qu’elles n’ont en fait jamais décollé !
M. Daniel Raoul. Et qu’elles ne peuvent donc pas « se casser la gueule » ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Dans notre pays, les diplômes et le savoir-faire sont reconnus. Or, en l’espèce, aucun savoir-faire n’est exigé. Seul suffit un certain appât du gain, accompagné, le cas échéant, de bonne volonté.
Dans le secteur du bâtiment, des consommateurs sont abandonnés à leur sort. Si la qualité des travaux réalisés par tel ou tel entrepreneur ne correspond pas à leurs attentes alors qu’ils ont payé la prestation, leur seul recours est de contacter un autre entrepreneur plus consciencieux et plus professionnel…
Donc, si, en théorie, la création du statut de l’auto-entrepreneur était incontestablement une très bonne idée,...
Mme Nicole Bricq. Non, elle était d’emblée effrayante !
M. François Fortassin. … elle a engendré des effets pervers, quand elle n’a pas eu des conséquences franchement catastrophiques.
Il en est de même des délais de paiement. Monsieur le secrétaire d’État, c’est faire preuve d’une certaine naïveté – une naïveté que j’admire, au demeurant (Sourires.) – que de croire que les acteurs jouent le jeu. Lorsqu’un grand distributeur ne paie pas un petit producteur ou un industriel dont la structure est modeste, ce fournisseur ne peut qu’attendre !
M. Yvon Collin. Il n’a pas le choix !
M. François Fortassin. S’il saisit les autorités de contrôle, il est systématiquement « déréférencé » et banni. Ne nous voilons pas la face : la grande distribution a des moyens de coercition très importants et peut même s’appuyer sur certaines solidarités – pas forcément dans le bon sens du terme – terriblement efficaces.
Le double étiquetage serait, nous dit-on, difficile à mettre en œuvre, mais il aurait au moins le mérite d’une certaine transparence en informant le consommateur sur le prix payé au producteur. D’aucuns me rétorqueront que ce double étiquetage, réalisable pour les mandarines ou le raisin, est impossible pour une boîte de cassoulet, car il est difficile de distinguer le prix de la saucisse, celui des haricots, celui du confit, etc. ; bien entendu, j’aurais également pu évoquer une boîte de choucroute ! (Sourires.) Mais, monsieur le secrétaire d’État, personne ne vous demande de mettre en place ce double étiquetage systématiquement : seulement lorsque cela est envisageable.
Par ailleurs, comment accepter qu’il soit impossible de connaître la date d’abattage des animaux dont la viande nous est vendue prétendument « fraîche » ? Lorsque notre collègue Gérard Bailly et moi-même avons établi un rapport sur l’élevage ovin, nous avons appris qu’on vendait pour de la viande fraîche celle d’animaux abattus trois mois auparavant ! Pour ma part, lorsque je laisse pendant trois semaines un morceau de rumsteck ou des côtes d’agneau dans mon réfrigérateur, ils n’ont pas un très bel aspect… La viande en question avait donc dû être traitée avec certains produits, mais nous n’avons pas réussi à en connaître la nature. Une telle situation est anormale.
En conclusion, monsieur le secrétaire d’État, je dirai que, malgré votre bonne volonté, la LME a sur l’économie l’efficacité d’un sinapisme sur une jambe de bois ! (Sourires et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, près de deux ans après le vote de la loi de modernisation de l’économie, je me réjouis que nous puissions en faire un premier bilan.
Afin de ne pas disperser mon propos, je ne le consacrerai qu’à deux points précis.
Le premier concerne les délais de paiement. Ramenés à quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours calendaires à compter de la date d’émission de la facture, ces délais sont globalement respectés. Nous ne pouvons que nous en féliciter et saluer le fait qu’une plus grande équité ait pu être ainsi imposée aux différents partenaires. Cependant, selon le rapport d’Élisabeth Lamure, 20 % de l’économie y dérogent au travers d’accords spécifiques permettant d’opérer une transition en douceur vers cette procédure.
Ces jours gagnés sur les délais de paiement moyens s’avèrent un atout pour le fonctionnement de l’ensemble des PME fournisseurs de la grande distribution. Sur ce point précis, la LME a atteint son but et il convient de le souligner clairement.
Il en va tout autrement pour les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs. Si les marges arrière ont été effectivement réduites, passant de 32 % à 11 % des prix entre 2008 et 2009, cette loi est loin d’avoir atteint son objectif à cet égard. Ces relations restent fortement déséquilibrées au profit des trois à quatre grandes enseignes qui monopolisent les échanges commerciaux nationaux.
Fournisseurs et distributeurs divergent quant à l’interprétation de la loi. Un certain nombre de conventions ont été contrôlées et toutes, je dis bien toutes, contenaient au moins une disposition significativement déséquilibrée, pour reprendre, là encore, les termes du rapport d’Élisabeth Lamure. Cela est inacceptable !
L’État n’est pas resté inactif face à une telle dérive puisque, par l’intermédiaire de la DGCCRF, il a assigné devant les tribunaux de commerce neuf enseignes. C’est une première ! Ces mêmes enseignes ont fait part bruyamment de leur incompréhension, imaginant sans doute que « les choses pouvaient continuer comme par le passé ». Eh bien, non ! Le législateur tout comme les fournisseurs ne peuvent être ainsi mis devant le fait accompli. Une loi est élaborée et votée pour être respectée.
Monsieur le secrétaire d’État, ma première série de questions concerne précisément le contentieux entre l’État et ces enseignes. Où en sommes-nous ? Quand peut-on imaginer obtenir, éventuellement par le biais des jugements des tribunaux de commerce saisis qui feront ainsi jurisprudence, une interprétation unique et non ambiguë de la LME ? Les effectifs de la DGCCRF sont-ils suffisants pour diligenter autant de contrôles nécessaires à une moralisation de ces rapports ?
Le second point, qui a été évoqué par plusieurs intervenants, a trait au partage de la valeur ajoutée, de l’amont à l’aval, de certaines filières agricoles.
L’année 2009, au travers de la filière laitière, a fait clairement apparaître un profond déséquilibre. Si l’on se reporte au document élaboré par Christiane Lambert, membre du Conseil économique social et environnemental, on ne peut qu’être choqué de constater que, au début de 2008, lorsque le lait était payé 0,32 euro le litre au producteur, la marge brute du distributeur s’élevait à 0,40 euro pour un lait de grande marque. Au passage, le transformateur, quant à lui, prélevait 0,18 euro. En Grande Bretagne, toujours en 2008, lorsque le litre de lait était payé 25,82 pence le litre, la marge brute du distributeur s’élevait à 13,16 pence…
Entre producteurs, transformateurs et distributeurs, le partage de la valeur ajoutée est fortement déséquilibré au profit de ces derniers.
Même si, au travers des négociations au sein du CNIEL, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, les producteurs de lait parviennent à trouver bon an, mal an des accords de prix, les transformateurs font régulièrement état des pressions exercées par la grande distribution pour fixer un prix du lait, qui, à certaines périodes, est en deçà du prix de revient du producteur. Là encore, c’est difficilement acceptable.
La filière laitière française est fragile. Soyons objectifs : elle devra faire l’objet d’une restructuration si elle veut rester compétitive, c’est-à-dire tout simplement, si elle veut rester sur les marchés.
Nos voisins allemands et ceux d’Europe du Nord ont conduit d’importantes réformes que, en France, nous avons toujours repoussées, car particulièrement délicates, en raison de notre politique d’aménagement du territoire, un territoire riche de sa diversité, mais également de sa complexité.
Si j’aborde cet aspect de la question ici, c’est pour souligner que nous connaîtrons, sur cette filière agricole comme sur d’autres, des périodes de forte volatilité des cours dans les années à venir, car nous sommes très clairement dans une internationalisation des marchés.
Dès lors que l’on est conscient de cette évolution des marchés, il convient de réagir et d’anticiper. Au-delà des observatoires des prix et des marges, qui sont autant d’outils d’analyse, mais d’analyse seulement, et sans revenir à un encadrement total des prix – pratique d’un autre âge –, il me semblerait judicieux, voire moral, que certaines fluctuations brutales puissent être encadrées.
Au-delà de certains seuils, les pouvoirs publics doivent pouvoir interpeller les partenaires concernés. En clair, l’État doit pouvoir clairement inviter ces mêmes partenaires à établir rapidement un dialogue sans pour autant « glisser » vers l’entente, qui serait, elle, illégale et contraire au traité de Rome. Ce dialogue permettra d’éviter tout mouvement de réaction, voire des dégradations et des manifestations violentes des producteurs, telles celles que nous avons récemment connues et que nous regrettons tous.
Cela étant, vous en conviendrez, monsieur le secrétaire d’État, nous ne pouvons que comprendre ces mêmes producteurs quand on constate qu’ils ne pourront survivre longtemps en vendant en dessous de leur prix de revient.
J’aimerais donc connaître votre analyse et entendre une réponse sur ces différents points précis, en particulier sur celui concernant le partage de la valeur ajoutée au sein des filières agricoles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’axerai mon intervention sur l’auto-entrepreneur, qui est l’une des innovations marquantes de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
L’engouement pour ce nouveau statut est réel. Les chiffres que vous communiquez, monsieur le secrétaire d’État, de l’ordre de 300 000 nouveaux auto-entrepreneurs en 2009, le montrent bien.
Il est vrai que le statut de l’auto-entrepreneur offre de multiples avantages, au nombre desquels un régime micro-social simplifié. Ce régime consiste en un versement libératoire des cotisations sociales, calculé proportionnellement aux revenus d’activité effectivement encaissés. Pour les périodes sans revenus d’activité, aucune cotisation n’est due. Ce régime micro-social simplifié ouvre notamment droit à une couverture sociale en termes d’avantages maladie, maternité, vieillesse et invalidité-décès.
Les caisses de protection sociale, surtout les caisses de retraite, s’inquiètent et tirent la sonnette d’alarme.
La Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales, la CNAVPL, et la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, la CIPAV, se montrent préoccupées par les conséquences financières de ce régime. L’ouverture de droits sociaux à des actifs ayant des chiffres d’affaires très faibles pose en effet de sérieux problèmes.
Les déclarations effectuées auprès des deux caisses précitées pour le premier semestre de 2009 laissent présager un chiffre d’affaires annuel moyen de 2 000 euros. La majorité des auto-entrepreneurs qui y sont affiliés n’ont d’ailleurs pas déclaré de chiffre d’affaires du tout.
À la CIPAV, un adhérent qui réalise un chiffre d’affaires de 4 000 euros par an doit 550 euros de cotisations. Il en paie la moitié, l’autre moitié étant prise en charge par l’État.
La situation est la même pour un auto-entrepreneur commerçant. Ainsi, dans une circulaire en date du 9 avril 2009, la direction des retraites du régime social des indépendants prend l’exemple d’un commerçant auto-entrepreneur déclarant un chiffre d’affaires annuel de 20 000 euros. La retraite de base payée par l’assuré à hauteur de 606 euros, au lieu de 966 euros, est compensée par l’État à hauteur de la différence, soit 360 euros. Mais les droits sont validés sur la base de 966 euros. La retraite complémentaire est payée à hauteur de 237 euros, mais les points sont calculés sur la base de 377 euros.
Sur la base de 100 000 bénéficiaires en fin d’année, l’État devra compenser à la CIPAV près de 30 millions d’euros en 2009 et plus de 40 millions en 2010. C’est une échelle de chiffres que nous retrouvons dans le dernier rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale.
Ces évolutions posent la question du financement des régimes des professionnels indépendants ainsi liée à la capacité de l’État à faire face à ses obligations de compenser le manque à gagner en termes de cotisations.
Ces évolutions pèsent également sur la charge de compensation démographique qui pèsera sur la CNAVPL si les règles actuelles ne sont pas changées. L’afflux d’adhérents accroît la charge de compensation de la CNAVPL aux autres régimes de base de 1 700 euros pour chaque actif supplémentaire, montant sans commune mesure avec les cotisations des auto-entrepreneurs : 550 euros pour un chiffre d’affaires de 4 000 euros et 606 euros pour un chiffre d’affaires de 20 000 euros.
L’article 71 du PLFSS pour 2010 prévoit que la compensation assurée par l’État aux organismes de sécurité sociale concerne désormais les auto-entrepreneurs ayant un revenu inférieur à un seuil fixé par décret. Ce seuil doit être significatif. Or il n’a pas encore été indiqué, monsieur le secrétaire d’État.
Toutefois, il est important d’aller plus loin. Il faut que les droits ouverts aux auto-entrepreneurs soient proportionnels au montant de leurs cotisations. Cette solution n’est pas très pénalisante compte tenu du fait que, d’après les termes du rapport de notre collègue Élisabeth Lamure, on trouverait, parmi les auto-entrepreneurs, 33 % de salariés et 6 % de retraités. Ce sont donc près de 40 % des auto-entrepreneurs qui bénéficient déjà d’une couverture sociale et, de fait, trouvent dans leur auto-entreprise un complément de revenu. Ils n’ont donc pas absolument besoin de retraite supplémentaire.
Monsieur le secrétaire d’État, je sais que vous avez déjà été sensibilisé à ce problème. Je souhaite réellement que l’on trouve des dispositions qui restent intéressantes pour l’auto-entrepreneur, mais qui ne pénalisent pas les finances des caisses de protection sociale. (Applaudissements au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar des orateurs précédents, je vais intervenir sur le statut de l’auto-entrepreneur, premier article de la loi de modernisation de l’économie que nous évaluons aujourd’hui.
Face à une situation économique et sociale profondément dégradée et à un chômage qui oscille autour de 10 %, toute mesure créant de l’activité est une avancée. Elle le demeure si, et uniquement si elle ne génère pas des effets pervers, contraires à l’objectif déclaré. Or, ainsi que le rappelait notre collègue Nicole Bricq durant l’examen de la dernière loi des finances rectificative, « lorsque le statut d’auto-entrepreneur a été intégré à la loi de modernisation de l’économie, en 2008, le groupe socialiste s’est exprimé contre, pour des raisons générales, mais aussi au nom du risque de concurrence déloyale que ce régime suscite au regard de l’artisanat et du commerce ».
Aussi, après une année de mise en œuvre et conjointement à la tenue d’un comité d’évaluation convoqué par le M. le ministre du budget, il nous est apparu essentiel de dresser un bilan de la mise en application de l’un des articles phares de la loi de modernisation de l’économie.
Le statut d’auto-entrepreneur est porté tel un étendard par la majorité et le Gouvernement. Prototype de décision qui fait la fierté des thuriféraires du libéralisme économique, il devait permettre à nos concitoyens de découvrir la création d’entreprise sans entrave administrative. C’est dans cet esprit que, à l’occasion de l’examen de la dernière loi de finances rectificative, M. le ministre du budget déclarait : « Je veux dire au Sénat que le succès du régime de l’auto-entreprise est incontestable. »
Les données fournies par l’ACOSS au mois de novembre dernier, correspondant aux comptes d’auto-entrepreneurs créés auprès de l’URSSAF au 31 octobre 2009 et aux échéances acquittées au titre des trois premiers trimestres, nous permettent de dresser un portrait-robot de l’auto-entrepreneur : il s’agit d’un demandeur d’emploi âgé de quarante-quatre ans et qui facture peu.
Quantitativement, sur les 240 000 auto-entrepreneurs susceptibles d’acquitter des montants au titre de leur chiffre d’affaires réalisé au cours du troisième trimestre – soit les cotisants immatriculés avant le 1er avril – ou du deuxième et du troisième trimestre de 2009 – soit les cotisants immatriculés au deuxième trimestre –, 47 500 ont déclaré, selon le rapport de Mme Lamure, avoir réalisé un chiffre d’affaires, après 35 800 à l’échéance précédente, soit une fraction équivalente à un peu moins de 20 % du total de l’existant.
Le total des chiffres d’affaires des auto-entrepreneurs au cours des neufs premiers mois de 2009 a progressé, comme Mme Dini vient de le rappeler, pour atteindre 383 millions d’euros. Le chiffre d’affaires moyen par auto-entrepreneur ayant déclaré aux URSSAFF avoir réalisé un chiffre d’affaires s’élève à près de 4 000 euros par trimestre, soit un revenu mensuel de 1 330 euros, à peine supérieur au montant du RSA. Chapeau pour ceux qui ont une activité professionnelle !
Dès lors, comment qualifier de « réussite » un dispositif qui se caractérise par 68 % d’activités dormantes, ainsi que le met en exergue Élisabeth Lamure dans son rapport ? Comme elle, nous nous interrogeons quant aux chances de développement de plus des deux tiers des auto-entreprises créées avant le 30 juin qui n’avaient réalisé aucune opération quatre mois plus tard.
Nous nous interrogeons également sur la pertinence de l’extension de douze mois à trente-six mois de la durée pendant laquelle une auto-entreprise peut rester dormante, c’est-à-dire ne réaliser aucun chiffre d’affaires, sans être contrainte de renoncer au régime de l’auto-entreprise. N’y a-t-il pas là un véritable risque d’inciter à l’exercice d’activité illégale ? Pour notre part, nous le pensons.
Au-delà des statistiques, deux problèmes majeurs se posent.
Le premier, qui a déjà été évoqué, a trait à la concurrence déloyale instaurée sciemment par le Gouvernement. Il suffit de se rendre dans les régions et de lire la presse quotidienne régionale pour le constater : partout, les fédérations professionnelles d’artisans protestent contre la concurrence nouvelle qu’ils subissent de la part des auto-entrepreneurs.
Le rapport de notre collègue précise que le « Gouvernement a fait réaliser des simulations [....] qui ne feraient pas apparaître un avantage systématique au profit des auto-entrepreneurs ». Dans les faits, les présidents des Unions professionnelles artisanales territoriales ont déjà interpellé M. le secrétaire d’État au mois de juillet et, dernièrement, à l’occasion de l’assemblée générale de l’Assemblée permanente des chambres de métiers, l’APCM. Comment pourrait-il en être autrement face à une telle distorsion de concurrence ?
Très concrètement, c’est dans le secteur du bâtiment, qui rassemble 12 % du nombre total des auto-entrepreneurs, que le problème est le plus crucial. Un peu partout, des artisans à la retraite ou de simples bricoleurs proposent aux particuliers de refaire leur salle de bain ou de repeindre leur cuisine à des tarifs inespérés. En raison du niveau des cotisations sociales et des impôts, limités à 20 % pour un auto-entrepreneur, et des charges fixes, les devis des auto-entrepreneurs sont inférieurs de 20 % à 50 % à ceux des entreprises du secteur du bâtiment. Cette situation est identique, à des degrés divers, dans tous les secteurs du commerce et de l’artisanat, aussi bien dans les domaines de la coiffure, de la plomberie, les métiers liés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, que dans l’édition, comme le rappelait Daniel Raoul tout à l’heure.
J’en viens à une autre illustration des effets pervers qui se font jour, et que Mme le rapporteur a relevés : « Un certain nombre d’employeurs peuvent […] être incités à substituer des auto-entrepreneurs à des salariés ». La réalité démontre que tel est bien le cas. Ainsi, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, la CAPEB, a observé que certaines entreprises ont tendance à fortement inciter leurs propres salariés à s’installer comme auto-entrepreneurs pour effectuer des tâches qu’ils réalisaient en tant que salariés de l’entreprise.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Dans le contexte de crise que nous connaissons, comment ne pas penser que ce type de sous-traitance est appelé à se multiplier dans tous les secteurs ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Christiane Demontès. Les conséquences directes sur l’emploi – de nombreux emplois sont perdus – sont indéniables. Pour le moment, nous ne disposons pas de données précises. Le comité d’évaluation sera sans doute en mesure de nous en fournir. Ces conséquences sont d’autant plus regrettables que le rapport de Mme Lamure révèle que seuls 17 % des auto-entrepreneurs auraient été prêts, le cas échéant, à lancer leur projet, même dans un autre cadre juridique.
Le second problème tient aux conséquences de ce dispositif s’agissant de notre régime de protection sociale – Mme Dini vient d’y faire allusion –, qui affiche un déficit prévisionnel de 30 milliards d’euros pour l’année 2010.
Ce statut au régime fiscal extrêmement favorable constitue une nouvelle source de moins-perçu pour les finances sociales. Si le chiffre d’affaires total de 1 milliard d’euros attendu par M. le secrétaire d’État chargé des petites et moyennes entreprises avait été atteint, le déficit de cotisations sociales se serait creusé de près de 300 millions d’euros. Il n’atteindra que le tiers de ce montant pour les raisons que nous avons déjà évoquées ; mais qu’en sera-t-il l’année prochaine et au-delà ?
Ne nous y trompons pas : ce statut participe bel et bien d’une philosophie économique et sociale qui, si elle n’est pas nouvelle, demeure extrêmement néfaste. L’objectif est de faire glisser du statut de demandeur d’emploi à celui d’auto-entrepreneur nombre de nos concitoyens. Par ce biais, les dépenses d’assurance chômage se trouveraient mécaniquement minorées. En revanche, le nombre de travailleurs pauvres, déjà très élevé puisqu’il s’élève à 3,7 millions, risque de connaître une nouvelle progression.
Mme Nicole Bricq. C’est clair !
Mme Christiane Demontès. Enfin, l’année 2010 sera marquée par une nouvelle réforme des retraites. Dans un contexte budgétaire très difficile, comment ne pas penser que les tenants de la politique économique actuelle ne présenteront pas le recours au statut d’auto-entrepreneur comme une solution pour nos concitoyens disposant de faibles pensions ?
Voilà un peu plus d’un an, nous avions formulé une série d’observations sur les risques liés à ce nouveau statut. Aujourd'hui, force est de constater que nos craintes étaient malheureusement fondées.
Surtout, et je terminerai sur ce point, l’auto-entrepreneuriat met dans une situation ô combien précaire ceux qui n’ont d’autre solution que de choisir ce statut pour ne pas rester sans emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. François Fortassin applaudit également.)
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais à mon tour vous parler de l’auto-entrepreneur. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Le succès du régime de l’auto-entreprise est incontestable.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Charles Revet. Des statistiques viennent d’être publiées à ce sujet. Selon l’INSEE, 291 000 entreprises ont été créées sous ce régime au 1er décembre dernier. L’objectif de 200 000 entreprises fixé pour l’année 2009 a donc été largement dépassé. On peut se réjouir de ces statistiques, et l’on voit concrètement la simplification que le statut de l’auto-entrepreneur apporte à celles et ceux qui s’établissent sous ce régime. (Mme Odette Terrade s’exclame.)
Toutefois, ces données statistiques doivent être relativisées. C’est le constat qui ressort, me semble-t-il, du rapport excellent et objectif de notre collègue Élisabeth Lamure. En effet, des auto-entreprises demeurent inactives, et certaines n’ont fait que se substituer à des créations d’entreprise individuelle qui auraient de toute façon eu lieu, mais sous un autre régime.
Si le statut d’auto-entrepreneur encourage les bonnes volontés et est à l’origine d’une véritable floraison d’initiatives, l’ampleur de son succès inquiète, en particulier les instances représentatives de l’artisanat.
En effet, les chambres de métiers craignent une hémorragie de leurs membres. Elles se demandent désormais si le statut d’artisan ou d’entrepreneur habituel pourra continuer de financer les charges et les cotisations et s’inscrire dans la pérennité.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez rencontré les représentants des artisans. Les engagements que vous avez pris en juin dernier ont été tenus puisque, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a déposé un amendement visant à prévoir qu’une personne exerçant une activité à titre principal sous le régime de l’auto-entrepreneur doit s’inscrire au répertoire des métiers.
Néanmoins, des problèmes subsistent. C’est la raison pour laquelle un certain nombre de mes collègues et moi-même avions déposé un amendement complémentaire, le 18 décembre dernier, prévoyant l’inscription au répertoire des métiers des auto-entrepreneurs exerçant une activité artisanale à titre principal et à titre complémentaire. En effet, qu’elle s’exerce à titre principal ou secondaire, l’activité réglementée au sens de l’article 16 de la loi du 5 juillet 1996 peut présenter les mêmes risques pour les consommateurs. Il serait donc logique que l’exercice de cette activité fasse l’objet d’une immatriculation au répertoire des métiers, indépendamment de son caractère principal ou complémentaire, ladite immatriculation faisant obligation au créateur d’entreprise d’attester d’une qualification minimale – j’insiste sur ce point.
Il faut également poser la question des limites du statut d’auto-entrepreneur et des conditions de sortie de ce statut, car on ne peut être indéfiniment auto-entrepreneur.
Une véritable réflexion doit être menée sur ce sujet et un vrai texte législatif est aujourd’hui nécessaire.
Le 18 décembre dernier, au Sénat, M. Éric Woerth, ministre du budget, a dit qu’il n’était pas très favorable à l’extension de cette obligation à ceux qui exercent sous le statut d’auto-entrepreneur à titre complémentaire.
Il faut pourtant revoir cette question de près afin de ne pas fragiliser les chambres de métiers et de l’artisanat, ainsi que les autres structures représentatives de ces différents métiers, réseau formidable d’artisans de toutes professions à qui il convient de rendre hommage.
Il semble qu’une évaluation de l’auto-entrepreneuriat s’impose, et ce de façon assez urgente.
En l’absence de contraintes et de charges, tout dispositif est forcément d’une plus grande efficacité. Comment pourrait-il en être autrement ? Les auto-entrepreneurs, parce qu’ils sont exonérés d’un certain nombre d’obligations, échappent aux conditions d’une concurrence loyale aux yeux des artisans, qui sont, eux, sur le terrain, soumis à toutes les contraintes afférentes à l’exercice de leur activité. Une telle situation ne saurait durer indéfiniment, sauf à voir bientôt l’auto-entrepreneuriat se substituer progressivement à des pans entiers de l’économie de proximité. On voit de plus en plus de personnes, notamment des retraités, développer une activité parallèle sous le statut d’auto-entrepreneur.
Passe encore le cas de l’auto-entrepreneur qui effectue quelques heures de jardinage chez ses voisins. Mais quid de celui qui réalise une installation électrique ou de plomberie s’il n’est pas en mesure de fournir la garantie décennale pourtant indispensable ?
Il faut donc absolument reprendre à la base un régime qui concerne un éventail de nouvelles activités et élaborer une véritable loi afin de gérer le succès du statut d’auto-entrepreneur. Si ce statut peut être la meilleure des choses, les abus doivent être évités.
À cela s’ajoute aujourd’hui le problème de la sous-traitance auto-entrepreneuriale, qu’il ne faut surtout pas négliger.
Pour éviter un certain nombre de dérives, qui ne seraient pas conformes à l’idée que nous nous faisons d’une croissance saine et équilibrée, vous allez devoir, monsieur le secrétaire d’État, mettre bon ordre à tout cela. À l’évidence, nous avons besoin, je le répète, d’une loi en la matière.
Mes collègues et moi-même serons attentifs aux conclusions du comité d’évaluation que vous avez convoqué pour ce début d’année, en présence des organisations professionnelles,
De même, nous serons attentifs aux dispositions du décret, actuellement soumis au Conseil d’État, instituant une vérification des qualifications professionnelles pour les artisans, comme pour les auto-entrepreneurs, car l’auto-entrepreneur doit avoir les mêmes compétences que celui qui décide d’exercer un métier sous un autre statut.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des précisions que vous ne manquerez pas de nous apporter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à remercier l’ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions, quels que soient les points de vue qui ont été défendus, sur le bilan de la loi de modernisation de l’économie.
Je veux également saluer le travail réalisé par la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, en particulier par son rapporteur Elisabeth Lamure, dans le cadre de la préparation de ce débat. La constitution d’un groupe d’études spécifique, en amont de ce débat, a contribué à enrichir et à densifier nos échanges, d’autant que ce groupe est largement représenté aujourd’hui avec la présence dans cet hémicycle, notamment, de Claude Biwer, François Fortassin, Bariza Khiari, Daniel Raoul et Odette Terrade. Je salue également Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie, qui a assisté à l’ensemble de nos débats.
La loi de modernisation de l’économie a suscité un certain nombre de commentaires et de débats,…
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. … comme le montre la palette des interventions de ce soir, lesquelles témoignent de la richesse de ce texte et de ses conséquences sur l’économie française.
Le vote de cette loi est intervenu, rappelons-nous, deux mois avant le déclenchement de la crise financière, dont nous continuons aujourd’hui à subir les effets.
Mme Nicole Bricq. C’était en juillet 2007 !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Bien que nul ne puisse se prévaloir d’avoir anticipé la survenue de cette crise et son ampleur, la loi de modernisation de l’économie a aidé très concrètement notre économie à mieux passer l’orage.
Qu’il s’agisse de la réduction des délais de paiement, salutaire pour la trésorerie de nos petites entreprises, ou de la création du statut d’auto-entrepreneur, qui a été un moyen de rebondir ou d’obtenir des revenus complémentaires – j’y reviendrai dans quelques instants –, ou encore de l’instauration de la négociabilité, à l’origine d’une baisse des prix en grandes surfaces, la loi de modernisation de l’économie, loin de son objet premier, s’est révélée être une redoutable et efficace arme anti-crise.
Pour autant, je ne voudrais pas circonscrire cette loi à sa seule dimension conjoncturelle. En effet, la loi de modernisation de l’économie avait pour objet, vous vous en souvenez tous, de réformer en profondeur notre économie dans une perspective résolument structurelle. Ce caractère structurel explique la nécessité d’apprécier les résultats de la loi dans la durée. Pour autant, et c’est l’enjeu de ce débat, nous pouvons d’ores-et-déjà dresser un premier bilan.
Concernant les délais de paiement, si j’en crois les différentes interventions, notamment celles de Mme le rapporteur ou de M. Bizet, le bilan est, à de très rares exceptions près, tout à fait positif, et ce contrairement aux propos de Mme Terrade.
Comme l’a rappelé notamment Jean Bizet, j’ai eu l’occasion de recevoir la semaine dernière le rapport de l’Observatoire des délais de paiement, des mains du président de cette instance, Jean-Paul Betbèze.
Les résultats ne portent que sur l’année 2008, mais ils donnent déjà des indications très précieuses. Ainsi, nous constatons, dès 2008, une réduction de 2,2 jours des délais clients et de 3,5 jours des délais fournisseurs pour l’ensemble des entreprises françaises. Les acteurs ont donc anticipé l’arrivée de la LME.
Quant à 2009, je vous livre les résultats de trois enquêtes concordantes.
Selon la première, menée par l’Association Française des Credit Managers et Conseils, la moitié des entreprises de leur échantillon ont vu leurs délais de paiement baisser de plus de dix jours.
La deuxième enquête, conduite par les services de mon ministère et fondée sur un panel de 1 200 entreprises, conclut à une réduction des délais de paiement de onze jours.
La dernière étude en date, menée par Euler Hermes SFAC et représentant le point de vue des assureurs-crédit, évalue la réduction des délais de paiement entre huit et dix jours.
Comme vous le voyez, ces études convergent vers le même résultat : en 2009, les délais de paiement se sont réduits significativement en France, d'une dizaine de jours environ. Je rappelle que, à l’époque, nous avions justifié la réduction par la loi de ces délais par le fait que nous avions un retard de dix jours par rapport à la moyenne européenne, soit 67 jours de délai en France contre 57 jours chez nos voisins. Si l’on en croit les trois études précitées, nous sommes revenus dans la moyenne européenne, ce dont nous pouvons nous féliciter.
La loi de modernisation de l’économie prévoyait également les fameuses dérogations.
M. Daniel Raoul. Et oui !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. L’objectif était de tenir compte de cycles économiques différents dans certains secteurs, l’harmonisation étant toutefois prévue au plus tard au 1er janvier 2012 pour l’ensemble des entreprises françaises.
Quel est le bilan de ces accords dérogatoires ? Ils sont aujourd'hui au nombre de trente-neuf et couvrent 20 % seulement de l’économie française. Autrement dit, 80 % de l’économie nationale est actuellement soumise à l’application de la réduction des délais de paiement telle qu’inscrite dans la loi.
Madame Khiari, je vous indique que je ne suis pas favorable à des dérogations législatives en matière de réduction des délais de paiement.
La proposition de loi d’Hervé Gaymard, que plusieurs d’entre vous ont citée et dont le Sénat débattra cette semaine, concerne le secteur du livre et est motivée par la régulation très particulière de ce secteur culturel. Le Gouvernement y est favorable, étant entendu qu’elle a vocation à demeurer une exception.
En réponse à une question de votre rapporteur, je suis convaincu que la réduction des délais de paiement est une bonne chose également pour le secteur agricole.
Pour faciliter la transition, et conformément à l’avis de l’Autorité de la concurrence, la durée de l’accord dérogatoire correspondant s’étend sur la plus longue période possible, c’est-à-dire jusqu’au 1er janvier 2012. Les paliers ont été multipliés pour rendre la transition plus facile pour l'ensemble du secteur, par exemple en différenciant les délais de paiement des productions végétales de ceux des productions animales.
Pour cette raison, mon collègue Bruno Le Maire et moi-même demeurons vigilants sur l’application de la loi de modernisation de l’économie au secteur agricole.
M. Gérard César. Voilà !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ce secteur a connu une période difficile. Nous prendrons des mesures si elles se révèlent nécessaires pour accompagner la réforme des délais de paiement.
M. Gérard César. Très bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. J’ai souhaité que, dès 2009, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes vérifie, dans les entreprises, le respect des délais de paiement. En 2009, la DGCCRF a ainsi effectué près d’un millier de contrôles sur l’application de la loi à ce sujet. Le bilan de ces contrôles est très satisfaisant.
Mme Nicole Bricq. Ne supprimez pas ses effectifs si elle travaille si bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Selon la DGCCRF, près de 90 % des entreprises contrôlées respectaient les délais de paiement prévus par la LME. En 2010, nous poursuivrons ces vérifications, madame Bricq.
J’en profite pour vous rassurer, ainsi que Mme Khiari et Mme Terrade qui se sont également inquiétées de l’avenir de la DGCCRF. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Le regroupement des services de l’État, à l’échelon régional, dans un nouvel ensemble, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, ou DIRRECTE, et, à l’échelon départemental, au sein des directions départementales de protection des populations n’affaiblira en rien l’action des agents de terrain.
Mme Nicole Bricq. On en reparlera !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ce seront les mêmes agents, avec les mêmes compétences, qui effectueront les mêmes contrôles.
Mme Nicole Bricq. Mais comment ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ils recevront toujours, madame Bricq, leurs instructions du ministre chargé de la consommation par le biais des préfets. En réponse à votre question, leur action à l’échelon national continuera donc à être coordonnée.
Mme Nicole Bricq. On en reparlera !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Dans son rapport, Mme Lamure soulève la question de la différence de sanction applicable pour les délais de paiement LME et les délais de paiement de caractère supplétif, en l’absence de contrat. Le dépassement du délai prévu par la LME est de caractère civil, alors que celui du délai supplétif prévu en l'absence de disposition contractuelle relève de sanctions pénales.
Je suis favorable à une modification législative pour requalifier en sanction civile le non-respect du délai supplétif, comme le propose Mme le rapporteur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, la LME a eu un impact décisif sur la trésorerie des fournisseurs, et donc sur la santé de nos entreprises, en premier lieu des petites et moyennes entreprises.
J’en viens à un sujet que vous avez été nombreux à évoquer : la création du régime de l’auto-entrepreneur.
M. Daniel Raoul. Ah !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Comme l’a parfaitement souligné Mme Lamure, le régime de l’auto-entrepreneur répond à une véritable attente sociétale. Si tel n’était pas le cas, pour quelles raisons plus de 300 000 personnes auraient à ce jour déclaré leur qualité d’auto-entrepreneur ? Nous avons largement dépassé l’objectif de 200 000 auto-entrepreneurs fixé par le Gouvernement pour l’ensemble de l’année 2009.
Quelles sont les raisons de ce succès ? Cette création permet de faire sauter un grand nombre de verrous qui bloquaient la création d’entreprises et que l’on croyait éternels dans notre pays.
Madame Bricq, messieurs Raoul et Revet, vous avez longuement évoqué la problématique de l’artisanat et vous avez fait référence au groupe de travail mis en place avec les organisations professionnelles. J’ai décidé de donner suite aux propositions issues de ce groupe sur deux points : la qualification professionnelle et l’accompagnement de ces nouveaux créateurs d'entreprise par les chambres de métiers et de l’artisanat au travers de leur immatriculation.
M. Charles Revet. C’est très important !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Dès le 1er avril, la qualification professionnelle des artisans comme des auto-entrepreneurs sera contrôlée avant la création de leur entreprise, comme vous le souhaitiez, monsieur Revet.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Ce n’était pas le cas, je vous le rappelle, pour les artisans eux-mêmes. Le décret prévu par la loi initiée par Jean-Pierre Raffarin en 1996 n’avait jamais été pris.
C'est une avancée notable, attendue depuis longtemps par les organisations artisanales. Les auto-entrepreneurs exerçant une activité artisanale à titre principal seront affiliés à la chambre des métiers pour bénéficier de mesures d’accompagnement.
À mes yeux, il s’agit de deux garanties majeures. Le Gouvernement ne souhaite pas aller au-delà, car il faut conserver au régime de l’auto-entrepreneur sa souplesse et sa simplicité, qui sont les gages de son succès.
Au demeurant, madame Demontès, monsieur Collin, il n’y a pas de concurrence déloyale. Je vous rappelle que, en moyenne, l’auto-entrepreneur ne paie pas moins de charges sociales et fiscales que les autres entrepreneurs. Il s’en acquitte simplement dans un cadre simplifié.
Par ailleurs, certains d’entre vous ont relevé, avec une certaine délectation, dirais-je, que nombre d’auto-entrepreneurs ne réalisaient pas de chiffre d’affaires. Dans le même temps, sans craindre la contradiction, ces mêmes intervenants nous ont indiqué les risques de concurrence déloyale de l’auto-entreprise et le tort que portaient ainsi les auto-entrepreneurs aux autres entrepreneurs. Or de deux choses l’une : en l’absence de chiffre d’affaires, il ne peut y avoir de concurrence déloyale.
Mme Nicole Bricq. Ce ne sont pas les mêmes !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. En revanche, si celle-ci existe, il ne faut pas stigmatiser l’ensemble des 300 000 auto-entrepreneurs qui ont décidé de se retrousser les manches et de tenter leur chance !
Par ailleurs, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est attentif à la préservation et au renforcement de ce tissu économique de proximité que représente le monde de l’artisanat. Nul ne fera de moi un agresseur de ce secteur.
Pour cette raison, je présenterai en conseil des ministres, le 27 janvier prochain, un projet de loi portant sur la création de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, ou EIRL, connue jusqu’à présent sous le nom d’entreprise à patrimoine affecté. Cette révolution dans notre droit des entreprises était attendue depuis des dizaines d’années par le monde des entrepreneurs individuels, en particulier par les artisans et les commerçants.
Mme Nicole Bricq. C’est une séance de rattrapage !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. En quelques mots, ce nouveau statut permet de distinguer les actifs personnels de l’entrepreneur, d’une part, et ceux qui sont spécialement affectés à l’exercice de son activité professionnelle, d’autre part.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. En cas de faillite, le patrimoine professionnel, et lui seul, sera donc saisi. Une nouvelle barrière à l'envie d'entreprendre disparaîtra. Ceux qui souhaitent entreprendre n’auront plus à craindre pour leurs biens personnels.
J’avoue être très fier de porter cette réforme.
Mme Nicole Bricq. C’est toujours ça !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Vous avez évoqué, madame Bricq – encore vous, ce qui prouve votre contribution éminente au débat –, le risque d’abus et de dérives qui découlent du succès du statut de l’auto-entrepreneur. Ce régime, il est vrai, est à ce jour en cours d'appropriation par la société française. Comme toute novation forte, l’usage de cette nouvelle possibilité d'entreprendre se stabilisera progressivement.
À cet égard, je souhaite insister sur un point particulier : la spécificité du régime de l'auto-entrepreneur n’en fait nullement un régime dérogatoire au droit du travail, madame Demontès.
Vous avez longuement évoqué, madame Lamure, la nécessaire amélioration de l’outil statistique sur les auto-entrepreneurs. J’en prends bien évidemment acte. Ce nouveau régime nécessite de nouveaux instruments d'analyse.
En réponse à votre question, monsieur Collin, je réunirai au début du mois de févier un groupe de travail d'évaluation du régime, où les organisations professionnelles seront représentées. Comme l’ont demandé la commission et son rapporteur, le Gouvernement remettra à la fin de ce semestre un rapport statistique précis sur le régime de l’auto-entrepreneur. Nous disposerons à cette date des chiffres concernant la première année d’application.
Madame le rapporteur, monsieur Raoul, monsieur Fortassin, vous vous êtes également interrogés sur les auto-entrepreneurs n’ayant pas déclaré de chiffre d’affaires. J’ai déjà livré mon sentiment à ce sujet. Toutefois, j’attire votre attention sur le fait que nombre d’entre eux se déclarent au moment où ils débutent leur activité. En effet, ils ne sont tenus de déclarer leur chiffre d’affaires qu’après avoir prospecté leurs clients, livré leurs prestations et effectivement encaissé leur rémunération, ce qui suppose toujours un certain délai.
De plus, le régime de l’auto-entrepreneur est d’une grande souplesse, puisque, en l’absence de chiffre d’affaires, aucune pénalité n’apparaît. L’auto-entrepreneur ne paie de charges que s’il encaisse un chiffre d'affaires. En d’autres termes, les salariés, ou les travailleurs saisonniers, peuvent choisir, certains trimestres, de ne pas mener d’activité complémentaire en tant qu’auto-entrepreneur.
C’est tout l’objet de ce nouveau régime. En réalité, c’est un « droit à entreprendre » qui est ainsi créé, et chacun pourra activer ou non chaque trimestre, selon ses souhaits. De même que le fait d’être titulaire d’un permis de chasse n’oblige pas à chasser tous les jours, le statut d’auto-entrepreneur n’obligera pas à entreprendre ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Comparaison n’est pas raison !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il s’agit d’une simple faculté d’entreprendre, et c’est très bien ainsi. La société française doit s’ouvrir à l’activité et libérer les énergies,…
Mme Nicole Bricq. Ah ! Cela faisait longtemps !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. … qui sont souvent bridées par un certain nombre de contraintes.
À la fin du mois d’avril, nous aurons une vision claire des résultats des chiffres d’affaires des auto-entrepreneurs pour l’année 2009. Nous estimons que, à cette date, nous serons proches d’un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros, ce qui – on en conviendra – constituerait un réel succès pour une première année d’existence. En effet, 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, cela représente près de 200 millions d’euros de rentrées fiscales et sociales ; il faut également en tenir compte.
Madame Dini, vous avez évoqué à juste titre les préoccupations du régime de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, la CIPAV, concernant l’auto-entrepreneur. Je vous rappelle que, dans le cadre de la loi du 24 décembre 2009 de financement de la sécurité sociale pour 2010, nous avons subordonné, par le biais d’un amendement, l’octroi d’un trimestre de retraite pour les auto-entrepreneurs réalisant un chiffre d’affaires minimal. En d’autres termes, le trimestre de retraite ne sera pas versé si ce seuil n’est pas atteint. Cela limitera très fortement le problème de compensation que vous avez soulevé.
Du reste, nombre d’auto-entrepreneurs ont signalé des difficultés de gestion, qui sont liées non pas à leur statut, mais à des problèmes de gestion téléphonique et de délai de réponse de la CIPAV. Je souhaite que les dirigeants s’efforcent d’améliorer cette situation.
Comme vous avez été nombreux à le souligner, la LME a effectivement réformé en profondeur les relations et négociations commerciales. Sur ce point, mon évaluation de la situation est beaucoup moins noire que celle qui a été dépeinte, par exemple, par Mme Bricq.
Certes, nul ne conteste qu’il existe encore des abus et des déséquilibres dans les relations commerciales. J’ai été le premier à en prendre acte en décidant d’assigner devant le juge civil neuf enseignes de la grande distribution en octobre dernier.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. C’est une première historique dans notre pays ! Vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur Bizet.
Mais ces assignations ne témoignent pas de l’échec de la LME, bien au contraire. C’est bien parce que cette loi nous permet de disposer d’un arsenal de contrôle et de sanctions que j’ai pu prendre une telle initiative.
En ce domaine, la LME a apporté des progrès décisifs. En effet, les marges arrière ont été largement dégonflées, passant de 32 % en moyenne à 11 %, pour retrouver un niveau comparable à celui qui est enregistré dans les pays voisins, avec une baisse des prix de la grande consommation.
En outre, de nouveaux outils de contrôle et de sanctions ont été créés. Une nouvelle donne a été proposée aux producteurs, fournisseurs et distributeurs par la LME. À la liberté de négociation répond la responsabilité dans la contractualisation des relations commerciales. Et comme je considère justement qu’une plus grande liberté implique une plus grande responsabilité, je serai très attentif à ce qu’il n’y ait pas de clauses déséquilibrées dans les contrats qui sont actuellement en cours de négociation. À présent que les tarifs peuvent être négociés, les pratiques feront systématiquement l’objet d’enquêtes approfondies pouvant donner lieu à poursuites par l’État.
Comme cela a été souligné, nous avons créé une brigade de contrôle dédiée à la LME. Contrairement à ce qui a été affirmé, nous avons augmenté de 50 % les moyens d’enquête consacrés à cette mission. En effet, quarante agents supplémentaires sont venus renforcer les quatre-vingts agents déjà en poste.
Mme Nicole Bricq. Pas sur les mêmes postes !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. J’évoquais à l’instant les assignations des neuf distributeurs. Monsieur Bizet, vous m’avez interrogé sur le sort qui leur sera réservé. Je peux d’ores et déjà vous annoncer que l’une de ces assignations, pour laquelle j’avais demandé au juge, qui l’a accepté, une procédure de jugement accélérée, a déjà donné lieu la semaine dernière à une première sanction de 300 000 euros prononcée par le tribunal de Lille. Cela prouve que les nouveaux moyens juridiques donnés à l’État par la LME fonctionnent effectivement. Les autres jugements interviendront dans les mois à venir.
Madame Khiari, les soldes flottants ont, me semble-t-il, joué un rôle positif d’animation commerciale durant l’année 2009. Cela étant, je suis prêt à en tirer un bilan plus précis et je vous annonce qu’une évaluation sera menée sur le sujet, avec un rapport à la fin de ce semestre.
Un certain nombre de sénateurs se sont préoccupés, et c’est bien naturel au sein de cette Haute Assemblée, des négociations commerciales dans le secteur de l’agriculture.
Je passe rapidement sur le plan de soutien annoncé par le Président de la République en matière agricole pour centrer mon propos sur les relations commerciales avec les distributeurs, qui relèvent directement de ma mission.
Monsieur Lefèvre, vous avez souligné la nécessité de mieux apprécier et évaluer l’évolution des prix et des marges dans la filière agricole. C’est précisément l’un des objectifs ayant présidé à la création de l’Observatoire des prix et des marges qui a été mis en place au mois de mars 2008. Des chiffres détaillés sur les prix et les marges du porc frais et du jambon cuit, des produits laitiers et des fruits et légumes ont déjà été publiés. Toutes ces données sont accessibles sur le site internet de la DGCCRF.
Contrairement à ce qui a été affirmé par Mme Terrade, la transparence donnée par cet observatoire apporte à chaque publication un peu plus de sérénité, donc de chances de succès, dans le dialogue entre producteurs, transformateurs et distributeurs.
Je suis partisan de la recherche non pas de boucs émissaires, mais de la justice et de l’équité. Par conséquent, à chaque fois qu’il le faudra, nous interviendrons pour rétablir l’équilibre dans les contrats. Mais il ne faut pas stigmatiser telle ou telle branche de notre économie nationale.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, présentera dans quelques jours le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche pour améliorer les relations commerciales dans la filière. Nous avons travaillé ensemble plus précisément sur la formalisation obligatoire des annonces de prix hors des lieux de vente, l’amélioration de l’encadrement du prix après-vente, l’interdiction – je vous l’annonce – des remises, rabais et ristournes en période de crise conjoncturelle, ainsi que la pérennisation de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires.
Madame Khiari, vous avez souligné l’apport de l’indice des loyers commerciaux. Je vous indique au demeurant que cet indice a été créé non pas en 2006, mais bien en 2008, car c’est l’une des mesures de la LME. Il repose sur une base contractuelle. Le Gouvernement, je le précise, n’est pas favorable à l’idée de rendre cet indice obligatoire, car cela induirait une réelle rigidité des baux commerciaux. Mais l’indice délivre aujourd’hui un message clair aux investisseurs institutionnels, et plus particulièrement à certaines banques et assurances. Les institutionnels doivent jouer le jeu et accepter l’application de l’indice à la demande de leurs locataires. Le Gouvernement sera très vigilant à cet égard. Avant la fin de ce semestre, je ferai le point avec leurs organisations professionnelles.
La question de l’urbanisme commercial est majeure. Comme l’a rappelé Mme le rapporteur, la LME a vocation à développer la concurrence. Il s’agit de favoriser non pas la « concurrence pour la concurrence », mais bien la création d’emplois et de richesses, ainsi que la baisse des prix. Ce sont autant de résultats qui peuvent être atteints seulement par un renforcement de la concurrence dans les zones de chalandises locales.
Vous le savez, les règles ont été modifiées en profondeur, avec la création des nouvelles commissions départementales d’aménagement commercial, qui examinent les conséquences des projets sur l’activité commerciale, les flux de transport ou l’environnement.
Les instances locales de décision ont été réformées, et les procédures, simplifiées. Je vous livre des chiffres intéressants : les demandes de plus de 1 000 mètres carrés ont abouti à la création de 2 239 240 mètres carrés au cours des neuf premiers mois de 2009, contre 2 173 257 mètres carrés durant la même période en 2008 et 2 198 651 mètres carrés en 2007. Ainsi, contrairement à ce que certains prétendent, il n’y a pas eu d’explosion des grandes surfaces au-delà de 1 000 mètres carrés.
Vous vous en souvenez, le Gouvernement s’était engagé, au cours du débat parlementaire, à poursuivre la réforme dans le sens d’une intégration totale du droit de l’équipement commercial dans le droit commun de l’urbanisme. À cette fin, une mission d’expertise en septembre 2008 avait été confiée au regretté Jean-Paul Charié, rapporteur de la LME à l’Assemblée nationale, qui avait remis son rapport au mois de mars dernier. Les députés lui ont rendu tout à l'heure un hommage émouvant, auquel j’ai participé, avant de rejoindre le Sénat.
M. Jean-Paul Charié poursuivait ses consultations avec les professionnels et souhaitait présenter une proposition de loi, mais la maladie l’a atteint avant qu’il puisse mener ce projet à terme. Nous allons poursuivre ses travaux avec Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme, et en concertation avec les commissions des affaires économiques des deux assemblées.
Je vous indique que la prochaine réforme de l’aménagement commercial devra respecter certaines options fondamentales. Il nous faudra en particulier tenir compte de la réalité actuelle des documents d’urbanisme, qu’il s’agisse des plans locaux d’urbanisme, les PLU, ou des schémas de cohérence territoriale, les SCOT, dans leurs volets commerciaux. Bien entendu, un basculement du droit de l’aménagement commercial sur le droit commun de l’urbanisme n’est envisageable que si ces documents sont adaptés à une telle tâche.
Il nous faudra également tenir compte des tendances actuelles de l’équipement commercial, c'est-à-dire, d’une part, du développement des petits formats de proximité – les formats de moins de 1 000 mètres carrés sont ceux qui ont le plus augmenté depuis l’adoption de la LME – et, d’autre part, du besoin d’agrandissement et de rénovation des anciens équipements.
Comme Mme le rapporteur le recommande, nous devrons aussi trouver les conditions d’amélioration de notre outil d’observation statistique des équipements commerciaux – c’est pourquoi j’ai souhaité vous faire part de ces quelques chiffres – pour compenser la perte d’information provoquée par l’augmentation du seuil des autorisations à 1 000 mètres carrés.
Lors de son intervention très intéressante sur l’accès au très haut débit, M. Pierre Hérisson a rappelé son attachement à une politique volontariste en matière de couverture du territoire. J’y suis tout à fait favorable.
Il a également évoqué l’extension du service universel au haut débit. C’est effectivement l’une des options offertes. Nous devrons réfléchir à cette question dans le cadre de la transposition du « paquet Télécom » qui a été adopté à la fin du mois de novembre par l’Union européenne.
En outre, j’ai été sensible, à titre personnel, aux propos de M. Pierre Hérisson sur les effets bénéfiques de la baisse du taux de TVA dans la restauration.
Mme Nicole Bricq. C’est bien le seul !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Il n’est pas le seul à le reconnaître ! Les restaurateurs seront sensibles à vos propos, madame Bricq !
Madame Goulet, vous m’avez interrogé sur le changement de statut de RFI et ses conséquences. Vous savez que la réforme de l’audiovisuel public extérieur, décidée par le Président de la République, vise à moderniser et à mieux coordonner les entités qui composent cet audiovisuel.
Il est vrai que les conséquences de cette réforme sont importantes, mais la situation est critique. Malgré la qualité de ses journalistes, RFI a perdu beaucoup d’auditeurs ces quatre dernières années. La société a été déficitaire à six reprises au cours de la période 2000-2008. Une restructuration en profondeur est indispensable à sa survie. Tel est le sens du plan global de modernisation de RFI.
Enfin, je ne voudrais pas achever cette intervention sans vous avoir répondu, madame Bricq, sur la banalisation du livret A.
Je souligne que, durant les onze premiers mois de 2009, selon les chiffres disponibles à ce jour, la collecte nette reste fortement positive, puisqu’elle s’élève à 17 milliards d’euros.
Vous avez fait état de deux sujets d’inquiétude.
Tout d’abord, s’agissant du niveau de centralisation, le Gouvernement est très attentif au fait que les sommes centralisées au fonds d’épargne restent en permanence suffisantes pour répondre aux besoins de financement du logement social, conformément à la disposition figurant expressément dans la loi de modernisation de l’économie. L’Observatoire de l’épargne réglementée, créé pour accompagner la réforme, pourra utilement participer au débat sur le niveau nécessaire de centralisation à compter de 2012. La Caisse des dépôts et consignations est représentée au sein de cet observatoire, ainsi que le mouvement HLM en la personne de son président, votre collègue Thierry Repentin, comme vous l’aurez noté, madame le sénateur.
Ensuite, s’agissant du contrôle de la multidétention, l’administration fiscale adresse mensuellement, depuis août 2009, une liste des cas concernés aux banques afin de permettre à ces dernières d’inviter leurs clients à régulariser leur situation. S’il est trop tôt pour évaluer les effets de cette démarche, cette dernière constitue néanmoins un progrès considérable par rapport à la situation antérieure à la LME.
Pour conclure, vous l’avez d’ailleurs tous souligné, un an et demi après le vote du texte, l’impact de la loi de modernisation de l’économie est indéniable, même s’il est jugé de manière plus ou moins positive par les uns et les autres.
Cette loi a une dimension structurante incontestable. Elle a contribué à bousculer de nombreux conservatismes, dont certains continuent d’entraver notre économie.
Qu’il s’agisse des marges arrière, de la longueur des délais de paiement ou bien de la difficulté à entreprendre, chacun s’accordait voilà encore deux ans à les définir comme des maux spécifiquement français. Nous en étions venus à croire qu’ils faisaient partie du patrimoine national.
La loi de modernisation de l’économie, et j’en suis très fier, a commencé à lever ces obstacles, résolument, mais graduellement, sans brutalité, en établissant les contreparties nécessaires aux libertés nouvellement créées et en prévoyant les modalités pour opérer des transitions en douceur lorsque cela était nécessaire.
Nous pouvons l’affirmer dès aujourd'hui, le résultat de la loi de modernisation de l’économie est extrêmement positif. À l’évidence, cette appréciation ne remet nullement en cause la nécessité d’adapter les dispositifs chaque fois que la réalité nous l’impose.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. La loi de modernisation de l’économie se voulait une loi pragmatique et non dogmatique.
Mme Nicole Bricq. Oh !
M. Charles Revet. Très bien !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. … au moment d’évaluer les impacts et les ajustements qui pourraient se révéler nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat d’initiative sénatoriale.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quinze, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Moyen-Orient
Débat d’initiative sénatoriale
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat d’initiative sénatoriale sur le Moyen-Orient.
La parole est à M. Jean François-Poncet, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Jean François-Poncet, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, à la fin de 2008, la commission des affaires étrangères a confié à ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga et à moi-même une mission d’information sur le Moyen-Orient, qui nous a amenés à faire le tour d’une douzaine de pays de cette région.
Je tiens tout d’abord à remercier le président de la commission des affaires étrangères, M. Josselin de Rohan, de nous avoir fait l’honneur de nous confier cette mission, dont je vais vous résumer, aussi brièvement que possible, les conclusions. J’interrogerai ensuite M. le ministre des affaires étrangères sur la politique que notre pays conduit au Moyen-Orient, sur les résultats obtenus et sur ceux qui sont escomptés.
Mes chers collègues, vous êtes tous conscients que, de toutes les régions du monde, le Moyen-Orient est celle dont l’Europe est la plus proche. Elle en importe une grande partie de son énergie et elle y écoule une fraction substantielle de ses exportations. Le terrorisme y trouve son origine directe ou indirecte. Enfin, une communauté de destin lie l’Europe au Moyen-Orient, du fait de l’installation en Europe de plusieurs millions de musulmans et de juifs.
Les relations que les États européens entretiennent avec les États du Moyen-Orient varient, bien entendu, d’un pays à l’autre. Elles sont parfois bonnes, souvent tendues, toujours difficiles, et ce pour trois raisons.
En premier lieu, le souvenir du colonialisme, qui n’a duré que quelques décennies, de la fin de l’empire ottoman à l’indépendance, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, reste gravé dans les esprits.
En deuxième lieu, le retour de la religion se traduit moins par une grande passion religieuse que par une pratique plus ostentatoire de la prière, par le respect du jeûne et le retour en force du voile islamique. À cet égard, il me paraît important d’éviter les contresens : la religion ne débouche pas forcément sur l’intolérance ; elle offre à ses adeptes, pour l’essentiel, un ancrage identitaire ; elle apporte une réponse aux générations humiliées par les défaites du monde arabe face à Israël. De ce fait, l’Islam s’est progressivement imposé comme le territoire de la dignité retrouvée.
Le retour en force du port du voile, maintes fois évoqué, n’est pas, contrairement à ce que l’on entend souvent, le signe d’une régression sociale. En réalité, le voile permet aux femmes, surtout lorsqu’elles sont issues de milieux conservateurs, d’exercer des activités professionnelles. Ce constat vaut même pour l’Arabie saoudite, où nous avons pu rencontrer un certain nombre de femmes d’affaires qui jouent un rôle important.
En troisième lieu, la rapidité et la profondeur des évolutions sociales contrastent avec l’immobilisme des régimes politiques avec lesquels l’Occident a partie liée. Ce décalage est à l’origine de nombreuses tensions.
Ces évolutions tiennent tout d’abord au choc démographique.
Ce choc est avant tout quantitatif : la population du Moyen-Orient a doublé depuis l’indépendance et elle devrait encore augmenter de 40 % au cours des deux prochaines décennies, entraînant un accroissement de près de 150 millions d’habitants.
Ce choc a également une dimension qualitative, révélée notamment par la concentration urbaine. La population du Caire est passée de 9 millions à 18 millions d’habitants entre 1976 et 2006, c’est-à-dire sur une période très brève. La ville de Ryad, qui n’existait presque pas au début du XXe siècle, compte aujourd’hui 5 millions d’habitants.
La transition démographique est en cours : le taux de natalité a rejoint à peu près celui des pays européens, en tout cas celui de la France. Malheureusement, mais c’est la force des choses, les effets de ce ralentissement ne se font sentir que progressivement.
Ensuite, un second changement mérite d’être souligné : l’évolution rapide du statut des femmes, qui exercent désormais, dans tous les pays, un rôle économique important.
Naturellement, leur ascension ne va pas sans susciter résistances et retours en arrière, mais la progression est inexorable, alimentée d’ailleurs par la scolarisation qui atteint 50 % des femmes en moyenne. L’Iran compte plus de femmes que d’hommes dans ses universités.
Face à ces évolutions, que l’on pourrait détailler, on est frappé par l’extrême immobilisme politique. Moubarak est Président de l’Égypte depuis vingt-huit ans. En Tunisie, le Président Ben Ali gouverne depuis vingt-deux ans. En Lybie, Kadhafi a pris le pouvoir en 1969 et son fils s’apprête, semble-t-il, à lui succéder. Il en va de même en Syrie avec les el-Assad, père et fils. En Jordanie, en Arabie Saoudite, dans les Émirats du Golfe, au Koweït, au Maroc, des dynasties sont en place depuis l’indépendance.
Nulle part dans ces pays la démocratie ne s’est implantée, malgré la pression exercée, en son temps, par le Président Bush. Des élections ont bien lieu, mais elles ne sont jamais pluralistes ni concurrentielles. Elles sont administrées par des régimes résolus à en contrôler les résultats, par le biais de la manipulation des lois électorales et l’interdiction des partis des candidats d’opposition.
Le résultat coule de source : peu de régimes ont une authentique légitimité. Les peuples se soumettent, mais n’accordent le plus souvent à leur gouvernement que peu ou pas de confiance.
Les ressources énergétiques constituent, il est vrai, pour les régimes qui en bénéficient, un atout et un facteur de stabilité. Ne l’oublions pas, les cinq pays du pourtour du golfe Persique détiennent les deux tiers des réserves mondiales de pétrole et de gaz et fournissent actuellement 30 % du pétrole consommé.
Les achats croissants de la Chine font désormais de ce pays l’un des principaux débouchés du pétrole moyen-oriental, ce qui amène la région à regarder vers l’Asie autant que vers l’Europe. Cette évolution est d’autant plus aisée que la Chine ne pose jamais aucune condition politique et s’abstient de toute intervention, un luxe que l’Europe peut très difficilement se permettre.
En effet, l’Europe est attendue sur au moins trois dossiers essentiels : le conflit israélo-arabe, le programme nucléaire iranien, ainsi que la lente et dangereuse désintégration du Yémen.
Permettez-moi, mes chers collègues, de formuler un bref commentaire sur ces trois dossiers.
S’agissant du conflit israélo-arabe, son importance centrale et la menace qu’il fait peser sur le destin du peuple palestinien sont au cœur des relations entre l’Occident et le monde arabe.
Ce dernier reproche aux États-Unis et à l’Europe de faire constamment deux poids et deux mesures, de tout accepter d’Israël, notamment de fouler aux pieds les résolutions du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, mais de faire preuve d’intransigeance à l’égard des Arabes. Pour ne prendre qu’un exemple, l’Occident condamne les tirs de roquettes du Hamas contre Israël, mais ne dit rien, ou bien peu de chose, du blocus de Gaza qui en est la cause.
Le paradoxe du conflit israélo-palestinien est que les paramètres d’une solution sont connus. Ils ont été définis en 2000, à la suite de longues tractations conduites sous la présidence de Clinton.
Il s’agit, d’abord, de l’existence de deux États vivant côte à côte, de part et d’autre de la frontière établie en 1967, à l’issue de la dernière guerre israélo-arabe.
Ce tracé devra être corrigé, le moment venu, pour tenir compte des colonies établies par les Israéliens en territoire palestinien, rendant nécessaire une compensation territoriale par des cessions israéliennes aux Palestiniens.
Il s’agit également du partage de la capitale, Jérusalem, entre les deux États.
Il s’agit, enfin, de l’obtention par les réfugiés palestiniens de la reconnaissance d’un « droit au retour » dans les territoires affectés par les guerres israélo-palestiniennes, ce droit au retour étant conditionné par l’accord d’Israël. Or on sait très bien qu’Israël n’est aucunement prêt à accueillir des réfugiés palestiniens, si ce n’est à doses homéopathiques.
Ces paramètres, qui sont connus et sont les seuls sur lesquels on puisse fonder une paix – et à ce titre, ils ne sont pas vraiment discutés – n’ont jamais été mis en œuvre.
Plusieurs raisons expliquent une telle situation.
Tout d’abord, si l’Autorité palestinienne et le Fatah qui l’anime ont, depuis Yasser Arafat, reconnu Israël, il n’en va pas de même du Hamas, qui ne propose qu’une trêve, une oudna, d’une période de dix ans renouvelable.
On sait peut-être moins, et c’est là mon interprétation personnelle, que l’État d’Israël est incapable d’accepter officiellement les concessions minimales qui sont exigées de lui. Celles-ci impliqueraient des décisions que son système politique ne lui permet pas de prendre. En effet, les élections israéliennes ont lieu à la représentation proportionnelle intégrale, système dont on connaît bien les conséquences : des gouvernements de coalition et une paralysie de l’exécutif.
Par conséquent, les colonies connaissent une expansion ininterrompue et, lorsque l’on examine certaines cartes des territoires palestiniens, on voit apparaître une sorte de peau de léopard dont il semble difficile de faire un territoire cohérent et viable.
La position d’Israël constitue donc, au même titre que celle du Hamas, un obstacle. Pour la résumer en une formule, on peut dire que l’État d’Israël est politiquement trop faible pour faire la paix et militairement trop fort pour en avoir réellement besoin.
Ensuite, une autre cause du blocage tient, à mon sens, aux États-Unis, tout simplement parce qu’ils sont les seuls à pouvoir imposer l’ouverture de vraies négociations et qu’ils font preuve d’une retenue décevante. Contrairement à George Bush, le Président Barack Obama a pris des positions qui rejoignent celles de Bill Clinton, mais il n’a pas réussi, jusqu’ici, à persuader le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, ou à lui imposer, de prendre en compte ces concessions.
C’est pourquoi, à l’heure où nous nous réunissons, il est difficile d’apercevoir beaucoup de lumière au bout du tunnel sans fin du conflit israélo-palestinien.
Monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si cette analyse pessimiste rejoint la vôtre. Si tel est le cas, qu’envisage le Gouvernement pour tenter de sortir de l’impasse ?
L’accession de l’Iran à l’arme atomique constitue un problème beaucoup plus récent, mais non moins crucial. La menace qu’il représente pour la région est grave.
Ainsi, il est difficile d’imaginer que l’Arabie Saoudite et l’Égypte assisteraient sans réagir à l’accession de l’Iran à l’arme nucléaire. Ces pays seraient alors susceptibles soit de développer leur propre programme, soit de s’adresser au Pakistan. Or il tombe sous le sens que la nucléarisation du Moyen-Orient constituerait une nouvelle désastreuse.
Téhéran affirme évidemment que son programme nucléaire est destiné à des fins exclusivement civiles. Mais l’essentiel de la communauté internationale n’en croit rien, et ce pour trois raisons. La première tient au secret dont l’Iran tente ou a tenté d’entourer son programme. Ensuite, l’Iran ne dispose d’aucune installation électronucléaire qui lui permettrait d’utiliser l’uranium enrichi à des fins civiles. Enfin, le pays se dote d’un arsenal de missiles balistiques, qui aurait peu de sens s’il ne s’agissait que de véhiculer des explosifs conventionnels.
Les États-Unis ont opté pour la voie diplomatique, mais n’ont obtenu à ce jour aucun résultat positif. Or Israël estime que la nucléarisation de l’Iran constituerait pour lui une menace existentielle.
(L’orateur est victime d’un bref malaise. Ayant repris connaissance, il tient à poursuivre son intervention.)
C’est pourquoi la nucléarisation de l’Iran, envisageable à l’échéance de 2015, est entre les mains des États-Unis, sauf à imaginer que les failles qui apparaissent dans le régime théocratique de Téhéran n’entraînent, à un moment ou à un autre, son effondrement, ce qui ne paraît pas immédiat.
Reste le problème posé par la désintégration inexorable du Yémen.
(L’orateur ne peut poursuivre son intervention et doit descendre de la tribune. Il quitte l’hémicycle, salué par Mmes et MM. les sénateurs et M. le ministre, qui l’applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je propose que Mme Cerisier-ben Guiga lise la fin de l’intervention de M. Jean François-Poncet. (Assentiment.)
La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Avant de lire la fin de l’intervention de M. Jean François-Poncet, je veux rendre hommage à notre collègue. Tout au long de l’année dernière, nous avons fait ensemble des voyages éreintants, au cours desquels j’ai pu admirer la lucidité avec laquelle, en dépit de son âge, il menait notre recherche.
Ce soir, je vais donc vous donner lecture de la fin du texte de son intervention en le reprenant au point concernant le Yémen, qui était le premier thème abordé lors de notre voyage.
« La désintégration inexorable du Yémen porte en elle d’autres dangers.
« Le gouvernement yéménite ne contrôle plus guère que sa capitale, Sanaa. Il ne parvient pas à mâter la rébellion houtiste qui contrôle le nord du pays ni à écarter la menace d’une sécession au sud.
« Quant au centre du pays, dont le relief est presque aussi tourmenté que celui de l’Afghanistan, il permet aux tribus qui y vivent d’ignorer le gouvernement central.
« Du coup, Al-Qaïda y a développé des camps d’entraînement et y a replié une partie des jihadistes contraints de quitter l’Irak.
« Le Yémen est le pays le plus déshérité du Moyen-Orient. Mais avec vingt-quatre millions d’habitants, il en est le plus peuplé. Il constitue une menace pour la tranquillité de l’ensemble de la péninsule arabique. L’Arabie Saoudite en est fort inquiète et construit, pour tenter d’isoler son territoire du Yémen, une barrière électronique, dont l’efficacité future demeure toutefois à démontrer.
« Monsieur le ministre, j’arrête ici mon propos en vous demandant si cette analyse, qui a volontairement mis l’accent sur l’instabilité du Moyen-Orient et les menaces que celle-ci comporte pour l’Occident, rejoint dans ses grandes lignes la vôtre. Le Sénat souhaiterait surtout être éclairé sur les initiatives que la France prend et envisage de prendre pour parer à ces diverses menaces. »
M. le président. Merci, ma chère collègue, d’avoir lu la fin du discours de M. Jean François-Poncet.
Vous avez maintenant la parole pour intervenir au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviendrai à la fois au nom de la commission des affaires étrangères et en tant que membre du groupe socialiste, afin de ne pas allonger le débat.
Je tiens tout d’abord à remercier à mon tour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et particulièrement son président, de l’honneur qu’ils nous ont fait en nous confiant cette mission.
Celle-ci a pu être consensuelle parce que nous recherchions ensemble les faits. Nous espérions présenter un rapport transversal, mais la diversité des situations nous en a empêchés.
Je suis néanmoins heureuse que M. Jean François-Poncet ait repris dans son exposé l’essentiel des grands thèmes qui expliquent les convulsions du Moyen-Orient et les raisons pour lesquelles l’opposition à l’Occident – l’Europe et les États-Unis – y est si forte.
Le seul point sur lequel nous divergeons encore porte sur l’opportunité de sanctions nouvelles à l’encontre de l’Iran.
Alors qu’une grande part du peuple iranien lutte héroïquement pour l’établissement de l’état de droit, serait-il juste et efficace de le sanctionner ?
Le gouvernement iranien exerce une dictature. Il se sert de la menace internationale pour justifier la répression interne. En renforçant les sanctions aujourd’hui, ne renforcerions-nous pas la dictature plutôt que de l’affaiblir ? Il est difficile de se faire une idée, mais le moindre mal serait certainement le mieux.
Si les sanctions échouent et si l’Iran développe vraiment, sans ambiguïté, un programme nucléaire militaire, que ferons-nous ? Irons-nous le bombarder ? Aiderons-nous Israël à le faire, ou le laisserons-nous faire ? Sommes-nous prêts à une quatrième « guerre du Golfe » ? Aucune de ces hypothèses n’est acceptable.
Le réalisme commanderait probablement de s’attaquer au problème général de la nucléarisation du Moyen-Orient. C’est une utopie qui est peut-être plus réaliste que les perspectives de guerre. La miniaturisation des bombes rend la menace plus immédiate pour les peuples désarmés sur lesquels elle pèse. Nous ne serons crédibles qu’en promouvant un traité régional incluant Israël, qui fasse du Moyen-Orient une zone exempte d’armes nucléaires, comme l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est. C’est utopique, je vous le concède, mais l’utopie se révèle quelquefois plus sûre que les roulements de tambours !
Monsieur le ministre, vous avez rencontré M. George Mitchell à Bruxelles, et nous sommes heureux que, en dépit de cette journée chargée, vous ayez pu venir ce soir au Sénat pour réagir à nos propos en fonction des toutes dernières évolutions de la situation israélo-palestinienne.
Je m’attarderai sur ce sujet, qui me préoccupe particulièrement en tant que présidente du groupe d’information internationale France-Territoires palestiniens du Sénat.
Voilà un an, presque jour pour jour, le Sénat débattait des conséquences de l’opération punitive de l’État d’Israël contre Gaza, dont mon collègue Jean François-Poncet, moi-même et notre ambassadeur pour les droits de l’homme avons pu constater l’ampleur le 29 janvier 2009.
Cet événement ramenait sous les feux de l’actualité et de l’émotion un conflit occulté par les médias et que beaucoup croyaient gelé.
Après cette année 2009 qui a vu, du fait de l’armée israélienne, la mort de 29 Palestiniens en Cisjordanie, s’ajoutant aux 1 400 tués de Gaza, l’arrestation de 3 456 Cisjordaniens, la destruction de 299 maisons, il n’y a plus ni partenaires pour des négociations ni arbitre. La négociation paraît donc impossible.
Peut-être avez-vous d’autres nouvelles, monsieur le ministre ?
Aujourd'hui, nous assistons à la séparation entre la Cisjordanie occupée et Gaza assiégée, à la division entre le Fatah et le Hamas. Il n’y a donc plus de négociateur palestinien.
Quant aux Israéliens, ils veulent la sécurité plutôt que la paix. Leur majorité gouvernementale est fragile. Jean François-Poncet a bien expliqué pourquoi Israël n’était pas en état de vouloir la paix au point d’en payer le prix : militairement trop fort et politiquement trop faible, il ne peut pas payer le prix de la paix actuellement.
L’absence d’arbitre est l’un des éléments qui font que le conflit dure depuis soixante ans. Actuellement, l’arbitre américain n’est ni neutre ni fort. En outre, Israéliens et Américains excluent tout autre arbitre du conflit, en particulier l’Union européenne. Si je me trompe, dites-le moi, monsieur le ministre !
Par ailleurs, l’Europe, divisée, liée à Israël par un complexe de culpabilité et des relations économiques qui passent avant tout autre considération, n’use pas des moyens de persuasion et de pression dont elle dispose. Pourtant, sa responsabilité est lourde, aux origines historiques de la création d’Israël.
Quand l’Europe défendra-t-elle réellement les droits des Palestiniens qui paient aujourd'hui pour ses crimes passés ?
Pourquoi la France n’utilise-t-elle pas les moyens qui lui sont donnés par l’accord d’association conclu entre l’Union européenne et Israël en 1995 ? Pourquoi ne pousse-t-elle pas l’Union européenne à prendre des dispositions, en application de l’article 2 de cet accord, qui permettraient de faire comprendre au gouvernement israélien qu’il ne peut pas impunément bafouer les droits de l’homme et la légalité internationale ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. La question palestinienne reste centrale au Moyen-Orient. On nous en a parlé partout. Elle est l’abcès de fixation du ressentiment et des frustrations de toute la région. Si elle était résolue, les autres questions seraient sans doute moins difficiles à régler.
Or la situation dans les territoires palestiniens, en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza, se dégrade.
En Cisjordanie, je citerai les récentes exécutions extrajudiciaires en zone de souveraineté palestinienne, à Naplouse, à la suite de l’assassinat d’un colon ; les arrestations de Abdallah Abu Rahma, coordinateur du mouvement non-violent de Bil’in, de Jamal Juma, coordinateur de la campagne Stop the Wall, et de bien d’autres militants pacifiques ; la détention arbitraire de centaines de Palestiniens, dont les deux tiers depuis plus d’un an, dénoncée par l’ONG Hamoked dans un rapport récent ; enfin, le maintien en détention de notre compatriote Salah Hamouri, illégalement et injustement condamné, dont le Président de la République n’a jamais prononcé le nom. (Mme Dominique Voynet applaudit.)
Nous aimerions qu’il fasse autant d’efforts pour tous les Français injustement privés de leur liberté à l’étranger que pour Gilad Shalit et pour la jeune Clotilde Reiss. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.–Mme Dominique Voynet applaudit également.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Le récent rapport des diplomates européens en poste à Jérusalem confirme nos observations au cours de notre voyage : toute la politique du gouvernement israélien est orientée vers « l’israélisation » de Jérusalem-Est, en violation de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies.
M. Philippe Marini. Très juste !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Le gouvernement israélien expulse les habitants arabes ; il détruit les maisons. La colonisation se poursuit pour couper complètement Jérusalem de son environnement arabe par deux lignes de colonies.
Le statut de résident a été retiré en 2009 à 4 577 Palestiniens de Jérusalem et une loi actuellement en préparation en privera tous ceux qui ont la chance d’avoir une nationalité. Même la déléguée générale de Palestine en France risque d’être menacée par ces dispositions.
Quel est, monsieur le ministre, le statut du rapport de nos diplomates européens à Jérusalem ? Nous demandons qu’il soit rendu public et que ses conclusions inspirent la politique de la France et de l’Union européenne.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Par ailleurs, qu’allez-vous faire du projet que l’ONG israélienne Hamoked a présenté à la France pour la défense des droits des Palestiniens de Jérusalem ?
Sur Gaza, tous les rapports convergent : on y organise le « dé-développement ». Les usines ont été rasées ; les industriels ont fait faillite ; l’agriculture périclite faute d’intrants et de semences ; l’eau potable, les eaux usées, l’électricité, tout pose problème. Le blocus, qui n’a cessé de se durcir depuis 2005, ne permet aucune reconstruction. Ne peuvent y entrer qu’une trentaine de produits sur les 9 000 recensés par l’accord de Paris. Aujourd'hui, 5 000 familles restent sans abri. Faute de ciment, l’UNRWA en arrive à construire des maisons en terre.
La vie quotidienne est sous perfusion grâce aux tunnels. Et voilà que l’Égypte les ferme par le mur d’acier de 18 mètres de profondeur qu’elle installe à sa frontière avec Gaza. Mieux vaut une économie souterraine, même mafieuse, qui permet aux Gazaouis de survivre, que pas d’économie du tout. Et si ce blocus et les tunnels renforcent le Hamas, c’est que la France, l’Union européenne et les États-Unis mènent, à son égard, une politique absurde depuis 2006, qui, loin de l’affaiblir, ne fait que le renforcer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Monsieur le ministre, la France va-t-elle continuer de laisser tuer à petit feu 1,5 million de Gazaouis ?
J’en viens à l’État palestinien, sur lequel j’aimerais obtenir votre éclairage. Depuis quelque temps, il en est beaucoup question, mais il faut se demander si c’est pour de bonnes raisons.
L’État palestinien est la pièce manquante de la stabilité du Proche-Orient et de l’Union pour la Méditerranée.
Est-il dans l’intérêt des Palestiniens aujourd’hui que cet État soit de nouveau proclamé, alors qu’il l’a déjà été en 1988 ? Quelles garanties internationales lui seraient données ?
En Palestine, les conditions constitutives d’un État sont parfaitement remplies : un peuple animé par la volonté de vivre ensemble, un territoire historique, une culture et des frontières définies par la ligne de 1967.
Autant peut être évoqué le « dé-développement » de Gaza, autant nous assistons depuis la mort d’Itzhak Rabin à un processus de déconstruction de l’État palestinien.
Que reste-t-il des frontières potentielles du fait de l’annexion unilatérale de Jérusalem-Est et l’érection du mur de séparation ? Que reste-t-il du territoire de la Cisjordanie sinon un archipel morcelé, fragmenté par les routes de contournement et les checkpoints, par une colonisation qui progresse chaque jour, par l’israélisation de Jérusalem-Est ? Que reste-t-il de ce peuple dont la division a été savamment orchestrée, le chaos étant programmé à Gaza dès le retrait de 2005 ? Avant même de penser à un État, il faut absolument restaurer l’unité des Palestiniens.
Monsieur le ministre, peut-on concevoir un État sans souveraineté, un État purement rhétorique ? Que pensez-vous de tous ces plans qui visent, semble-t-il, à remplacer une Autorité palestinienne dont les bases juridiques disparaissent et qui est en permanence bafouée par l’occupation, ce dont elle semble être complice aux yeux d’une partie de la population, par un État qui, dans les conditions actuelles, serait fictif ? N’est-ce pas un subterfuge pour éviter le recours aux élections ?
Nos protestations auprès d’Israël ne sont ni audibles ni crédibles ; elles dissimulent bien mal notre incapacité à agir, voire notre absence de volonté.
Alors que l’Union européenne s’apprêtait, dix ans après la Déclaration de Berlin, plus de vingt ans après la Déclaration de Venise – dont je rappelle que M. Jean François-Poncet, alors ministre des affaires étrangères, était le rédacteur – à faire enfin entendre sa voix, la France a été l’artisan de la suppression de la référence à Jérusalem-Est comme capitale du futur État palestinien dans le texte proposé en décembre par la présidence suédoise. Comment pouvez-vous justifier cela, monsieur le ministre ?
Le traitement du rapport Goldstone avait déjà illustré le caractère velléitaire de la communauté internationale, et des Occidentaux en particulier.
La France accorde – à juste titre – du crédit au rapport de l’ONU sur les crimes commis en Guinée. Pourquoi rejette-t-elle alors d’entrée de jeu celui sur les crimes perpétrés à Gaza, bien qu’il ait été recoupé par les témoignages des soldats israéliens, par différentes ONG, notamment des plus sérieuses, et par des témoins étrangers dont M. Zimeray, M. François-Poncet et moi-même ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Notre diplomatie s’épuise aujourd’hui dans la gestion de menus détails, dans l’obtention de concessions infimes sur fond de brimades et de camouflets régulièrement infligés à nos diplomates, que nous n’accepterions d’aucun autre État. La seule entrée à Gaza des tuyaux pour la station d’épuration de Beit Lahia nécessite des rencontres au sommet. Je pourrais également évoquer les difficultés rencontrées pour obtenir les visas de nos coopérants ou pour faire circuler le bus scolaire du lycée français de Jérusalem, systématiquement entravé sur sa route vers Bethléem. Et vous-même, ministre de la République Française, vous êtes vu infliger le camouflet de Gaza ! Nous attendons votre réaction.
M. Guy Fischer. C’était scandaleux !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Quant aux États-Unis, ils viennent d’opérer une grande reculade. Pouvez-vous nous dire si, après l’adoption du texte sur la santé, le président Obama retrouvera des capacités d’action au Moyen-Orient ?
Nous demandons que la France contribue à faire respecter la légalité internationale. Nous ne pouvons accepter que notre pays se serve de cette légalité internationale pour lancer des négociations destinées à la contourner, dès lors qu’il s’agit de la Palestine.
Monsieur le ministre, naguère la France disait le droit et prenait des initiatives en faveur d’une résolution juste du conflit israélo-palestinien. Or, depuis 2007, à l’exception du discours du Président de la République à la Knesset, nous avons le sentiment qu’elle cherche à faire taire les voix qui dénoncent les crimes, comme celle du juge Gosdstone, ou qui rappellent la légalité internationale, comme la présidence suédoise de l’Union européenne.
Nous sommes nombreux à juger que les initiatives françaises – du moins celles que nous connaissons, car nous ne sommes pas informés de toutes – se cantonnent au plan économique et humanitaire, ce qui ne gêne en rien les offensives politiques et les velléités de conquête de l’État israélien. En conséquence, le discours de la France n’est pas assez audible et nous regrettons de ne plus y percevoir de réelle cohérence avec ses actes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. On m’a fait savoir que l’état de santé de notre collègue Jean François-Poncet était satisfaisant.
Dans la suite du débat, la parole est M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un an, à la même époque, nous débattions de la guerre menée par Israël contre la population de la bande de Gaza.
Quelle est aujourd’hui l’évolution de la situation dans cette partie du monde qui, depuis soixante ans, a vu se succéder tant de conflits armés ?
Bien que ce débat porte sur le Moyen-Orient dans sa globalité, j’évoquerai ici, pendant les dix minutes dont je dispose, exclusivement le conflit israélo-palestinien, car il est la cause principale des tensions dans cette région. Parvenir à régler ce conflit d’une façon juste et durable permettrait précisément d’endiguer les autres sources d’instabilité dans la région.
Mettre fin à ce conflit pourrait ainsi contribuer à écarter la menace que constitue la tentative d’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran et le risque de prolifération à l’ensemble de la région, déjà mise en danger par l’arsenal nucléaire israélien.
De la même façon, trouver des solutions pour résoudre ce conflit aurait assurément des répercussions positives sur la situation du Liban, toujours au bord de l’éclatement, et sur la Syrie, dont l’hostilité envers Israël n’aurait plus de raison d’être.
Je suis donc satisfait de la tenue de ce débat, que j’avais demandé au mois de novembre, et je souhaite qu’il contribue à définir quelques étapes sur le chemin de la paix dans cette partie du monde. Je continue toutefois de regretter que M. le président de la commission des affaires étrangères refuse d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de résolution européenne de notre collègue Annie David et moi-même demandant le gel de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.
Mme Nathalie Goulet. Et la mienne !
M. Michel Billout. Cette proposition me paraît d’une extrême actualité, et j’y reviendrai dans quelques instants.
Je voudrais tout d’abord rappeler que l’offensive militaire israélienne était totalement disproportionnée par rapport aux tirs de roquettes en provenance de Gaza qui l’avait motivée : elle a fait plus de 1 400 victimes palestiniennes, dont 60 % de civils, parmi lesquels un grand nombre de femmes et d’enfants.
Les conditions mêmes de cette opération ont d’ailleurs suscité un rapport commandé par la commission des droits de l’homme de l’ONU, qui, bien qu’il mette aussi en accusation le mouvement Hamas, est accablant pour les autorités militaires israéliennes : il leur impute très précisément des crimes de guerre.
Depuis un an, la population de la bande de Gaza, qui a subi cette guerre, souffre d’un nouveau blocus total. Il prolonge celui qui avait été instauré par Israël à la suite de la prise du pouvoir par le Hamas sur ce territoire en juin 2007 au détriment de l’Autorité palestinienne.
Cette mesure s’apparente à une punition collective. Elle a de dramatiques conséquences humanitaires et sanitaires, car la population civile manque d’eau, d’électricité et a difficilement accès aux soins médicaux. Avec le blocus, la reconstruction des infrastructures et des habitations détruites est impossible, l’économie et l’agriculture sont asphyxiées.
Depuis un an, les divisions, qui se traduisent parfois par des affrontements armés entre les différentes factions palestiniennes, se sont malheureusement accentuées.
Faute d’un accord entre le Fatah et le Hamas, la direction de l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine, avait, en effet, été obligée de différer, le 16 décembre dernier, la date des élections présidentielle et législatives, et de prolonger les mandats de Mahmoud Abbas à la présidence de l’Autorité palestinienne et du Parlement.
Il semblerait toutefois ces jours derniers que la réconciliation entre les différents groupes, sous les auspices de l’Égypte et de l’Arabie saoudite, puisse revenir à l’ordre du jour. Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous apporter des précisions sur ce sujet.
Depuis un an également, un élément nouveau est intervenu avec le triple refus du gouvernement israélien de mettre un terme définitif à sa politique de colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, de reconnaître Jérusalem comme capitale des deux États et de lever le blocus de Gaza. C’est le principal obstacle à une reprise des négociations entre Israël, les Palestiniens et les États arabes.
Dans ce conflit, l’impression prévaut que ce qu’il est convenu d’appeler « la communauté internationale » a laissé Israël agir en toute impunité et ignorer toutes les résolutions de l’ONU qui condamnaient sa politique. Nous devons réagir face à cette passivité de la communauté internationale qui, depuis un an, n’a pratiquement pris aucune initiative de nature à régler ce conflit.
Le Président Obama, tant dans son discours du Caire que par l’envoi du négociateur George Mitchell dans la région, avait suscité de grands espoirs. À la différence de l’administration précédente, il s’était clairement prononcé pour une solution à deux États et a demandé l’arrêt complet de la colonisation. Il a malheureusement déçu en acceptant par la suite le moratoire israélien sur cette question décisive pour la création d’un État palestinien viable.
L’Union européenne, qui a des atouts en tant que premier partenaire économique d’Israël et principal contributeur en matière d’aide aux territoires palestiniens, s’est pour sa part toujours refusée à prendre une position qui lui soit propre.
Elle se contente de suivre la stratégie de l’administration américaine.
C’est la raison pour laquelle les pays européens, bien qu’ils dénoncent la poursuite de la colonisation et se prononcent eux aussi pour une solution à deux États, se satisfont d’un moratoire de dix mois sur la colonisation en Cisjordanie excluant Jérusalem-Est.
La semaine dernière, l’émissaire spécial pour le Proche-Orient, George Mitchell, a évoqué la possibilité pour les États-Unis de retirer leur soutien aux garanties de prêt à Israël – système grâce auquel l’État hébreu a bénéficié de milliards de dollars de prêts à des taux préférentiels – afin de faire pression sur le gouvernement israélien. Aussi, une pression de l’Union Européenne concernant les conditions d’application de l’accord d’association serait pertinente. C’est encore l’objet de la proposition de résolution déposée par le groupe CRC-SPG.
Quant à la France, sa position est extrêmement ambiguë.
Après s’être abstenu de participer au vote ayant abouti à l’adoption du rapport Goldstone à l’Assemblée générale de l’ONU, notre pays a également considérablement affaibli la portée de la résolution proposée lors du Conseil Affaires étrangères le 8 décembre dernier par la présidence suédoise et prévoyant la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale d’un futur État palestinien en refusant que cette mention y figure. Et je préfère ne pas évoquer les déclarations consternantes de notre ambassadeur à Tel-Aviv qui s’interroge sur la crédibilité des crimes de guerre, la réalité du blocus de Gaza ou même, selon Le Canard enchaîné, sur la pertinence de vouloir stopper la colonisation.
M. Guy Fischer. Scandaleux !
M. Michel Billout. Il faut enfin relever les divisions des pays arabes et leur impuissance à opposer à Israël une stratégie cohérente commune.
Après l’intervention militaire israélienne à Gaza, ils ne sont pas parvenus à se réunir au complet, pas plus qu’ils n’ont réussi à se mettre d’accord lors du sommet sur la reconstruction de ce territoire qui s’est tenu au Qatar à la fin du mois de mars.
Il n’est donc pas acceptable de se résigner et d’assister passivement, d’année en année, à la lente dégradation d’une situation dont les implications dépassent largement les frontières du seul Moyen-Orient.
Certes, notre débat de ce soir n’apportera pas de solution miracle.
Mais il n’est pas inutile que dans un pays démocratique comme le nôtre les diverses sensibilités politiques représentatives de la nation puissent s’exprimer au sein des assemblées parlementaires afin de soumettre des propositions sur l’élaboration de solutions politiques et pacifiques.
Pour sa part, notre groupe veut y contribuer et considère qu’au vu de l’urgence et de la gravité de la situation il est impératif, et encore possible, d’influer sur le cours des événements.
Comment agir pour que les différents protagonistes de ce conflit sortent de l’impasse dans laquelle ils se trouvent ?
Que faire pour ne pas perdre l’espoir d’une solution politique négociée, fondée sur deux États dans le cadre des résolutions de l’ONU ?
Comment contraindre efficacement le gouvernement israélien à s’engager dans cette voie ?
Telles sont les questions auxquelles notre pays et l’Union européenne doivent impérativement apporter des réponses.
L’excellent rapport d’information sur la situation au Moyen-Orient de nos collègues Monique Cerisier-ben Guiga et Jean François-Poncet dégage à propos du conflit israélo-palestinien quelques pistes que je soutiens en grande partie et dont le Gouvernement devrait s’inspirer.
Comme le constate le rapport, nous devons effectivement être réalistes et lucides et avoir conscience que le gouvernement israélien n’acceptera vraiment de changer de politique que sous la pression des États-Unis et de la communauté internationale.
C’est dans cette perspective que l’Union européenne et la France devraient jouer un rôle plus dynamique, faire preuve d’une plus grande autonomie et manifester leur spécificité en exerçant de fortes pressions sur les dirigeants israéliens.
Celles-ci doivent se concentrer sur deux points essentiels : le premier, et le plus urgent, concerne la levée du blocus de Gaza ; le second doit porter sur l’exigence d’un arrêt total de la colonisation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, car la poursuite de celle-ci morcèle ces territoires et rend de facto impossible la création d’un État palestinien.
Ce sont deux conditions préalables à une reprise des négociations entre toutes les parties prenantes de ce conflit, je dis bien « toutes » car, comme le préconise le rapport, il faudra bien un jour ou l’autre prendre contact et négocier officiellement avec le Hamas, qui est l’une des composantes du peuple palestinien.
Sur ces deux questions, la France doit retrouver sa liberté de parole et d’action, jouer l’important rôle de médiation que lui confèrent l’image et l’influence dont elle dispose dans cette partie du monde.
Notre pays doit agir sans attendre les nouvelles propositions du plan de paix que les États-Unis doivent présenter prochainement.
Telles sont les conditions pour permettre une reprise des négociations débouchant enfin sur la création d’un État palestinien libre, indépendant, souverain dans les frontières établies en 1967.
Notre pays peut aussi jouer un rôle déterminant dans une phase très délicate de la reprise du processus de paix : celle de la libération de prisonniers.
D’une part, deux de nos compatriotes sont détenus dans l’un et l’autre camp de façon totalement inacceptable. Je veux parler du soldat Shalit retenu captif par le Hamas et de Salah Hamouri détenu dans une prison israélienne. Cela nous concerne donc directement et nous donne une responsabilité particulière.
C’est pourquoi je regrette profondément que le gouvernement français n’agisse pas de façon équitable pour la libération de nos deux compatriotes. Les parents de Salah Hamouri attendent toujours d’être reçus par le Président de la République.
D’autre part, la libération de Marwan Barghouti pourrait constituer une chance de réconciliation des parties palestiniennes et donc permettre à Israël de trouver un interlocuteur fiable.
Au total, monsieur le ministre, le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche souhaite vivement que le gouvernement auquel vous appartenez affirme plus clairement ses positions sur l’ensemble de ces questions et qu’il manifeste enfin fermement sa volonté d’aboutir à un règlement juste et durable du conflit entre Israël, les Palestiniens et les États arabes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais moi aussi concentrer mon propos sur la question palestinienne. J’ai sur ce sujet une assez longue et lourde hérédité.
Ce débat me fait penser à cette chanson de Barbara :
« À chaque fois, à chaque fois […],
« On refait le même chemin
« En ne se souvenant de rien
« Et l’on recommence, soumise,
« Florence et Naples
« Naples et Venise ».
Cette fois c’est Jérusalem, Naplouse. La chanson se poursuit ainsi :
« On se le dit et on y croit
« Que c’est pour la première fois ».
Monsieur le ministre, nous n’avons pas du tout envie de sourire ni même de parler d’amour, mais de haine et de violence, de menaces et d’injustice ; et nous ne faisons même plus semblant d’y croire : Ramallah, Gaza, Naplouse, Hebron, Birzeit, Jérusalem…
L’histoire bégaye mais la haine avance, se dotant de moyens nouveaux de plus en plus effrayants : Al-Qaïda, le terrorisme aveugle qui n’est que le miroir de notre inertie et de la lâcheté de la communauté internationale à imposer une solution juste et durable au conflit israélo-palestinien ; il y a un an à peine, la guerre effroyable de Gaza.
Mme la déléguée générale de la Palestine, qui nous honore de sa présence, est témoin de ce débat. Monique Cerisier-ben Guiga l’a mentionné tout à l’heure : il est vrai que l’on attend quelque chose de ce Parlement, on attend quelque chose de ce Sénat.
Et combien de temps, monsieur le ministre, allons-nous nous indigner à ce pupitre sans agir, laisser nos diplomates se faire bousculer, laisser s’instaurer une sorte d’impunité dans les faits qui est ressentie comme une injustice et crée tant de soif de vengeance ?
J’ai tenté de compter les colloques, les interventions, les questions orales et écrites de ces vingt dernières années, et dans mes archives j’ai retrouvé un article de mon mari Daniel Goulet, qui présidait le groupe France-Palestine. (L’orateur montre le document.) Cet article est un peu jauni, il date du 8 mars 1979. Daniel Goulet, qui avait rencontré à Damas Yasser Arafat, expliquait alors que la France avait un rôle à jouer sur le devenir des Palestiniens.
Monsieur le ministre, je crains de pouvoir reprendre mot pour mot l’article qui figure dans ce journal tant les choses n’ont pas évolué. J’ai même peur qu’elles n’aient régressé.
Quand va-t-on enfin réaliser le coût de l’humiliation et de l’injustice ? Du tramway de la honte au mur du même nom, des checkpoints à la judaïsation de Jérusalem, cette politique du fait accompli, ce « fait du prince » n’est vraiment pas acceptable.
Cela a déjà été dit, il est facile de sanctionner l’Iran. Le double standard a lui aussi déjà été évoqué. L’État d’Israël viole depuis des années des résolutions internationales. Il n’a absolument pas l’intention de respecter ce droit international et ne donne aucun signe tangible en ce sens ; ni les résolutions de l’ONU, ni les engagements pris divers et variés.
Pire, cet État use de ses relais et encourage et stimule une politique agressive à l’égard de l’Iran à l’heure où la nouvelle administration américaine tente de reprendre un indispensable dialogue rompu depuis trop longtemps.
Faut-il rappeler que l’OTAN a elle aussi instauré une politique d’approche de la méditerranée afin de pouvoir y associer Israël dont le Parlement est observateur à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN !
Dans ce cadre, les ministres européens des affaires étrangères doivent aujourd’hui tirer les conséquences en gelant tout processus de rehaussement des relations bilatérales entre l’Union européenne et l’État d’Israël, et suspendre l’accord de partenariat en raison du non-respect de son article 2.
L’Europe doit ou devrait parler d’une voix, et mettre un terme à cette humiliation institutionnalisée des populations palestiniennes et de son corollaire, l’immunité tout aussi institutionnalisée de l’État d’Israël qui entraîne des populations entières vers le désespoir et le terrorisme.
Comme mes autres collègues, monsieur le ministre, et sans beaucoup plus d’espoir, je vous pose les mêmes questions : quelle est la politique de la France seule, quelle est la politique de l’Europe ? Quelles sont les mesures tangibles que vous pourriez prendre pour donner de l’espoir à cette population et faire en sorte que nos interventions à cette tribune aient des effets un peu plus concrets sur une situation qui, malheureusement, est de plus en plus désespérante ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en début d’année, il est de coutume de prononcer des vœux. À l’échelle globale, nous souhaiterions que la paix s’installe davantage dans le monde.
Malheureusement, au regard des dernières évolutions géopolitiques, l’idéal de liberté et de démocratie est loin de gagner du terrain. La commission des affaires étrangères et de la défense a donc souhaité organiser ce débat sur le Moyen-Orient.
Parce qu’elle est l’épicentre des grandes turbulences politiques de la planète, cette région mérite en effet une attention particulière.
La question est assez simple : quels progrès peut-on espérer en 2010 dans cette zone ?
Pour ma part, j’hésite entre espoir et déception. Dans chacun des pays en proie à un conflit, les avancées paraissent souvent faibles face aux difficultés anciennes ou, parfois, nouvelles.
Abordons d’abord la question israélo-palestinienne, qui s’éternise depuis un demi-siècle, et qui semble, à bien des égards, orienter le destin du secteur.
Si la paix n’est toujours pas à portée de main pour les Israéliens et les Palestiniens, le processus engagé sous Jimmy Carter à Camp David et repris en 2000 par Bill Clinton a au moins progressé dans les esprits. L’idée « deux terres, deux peuples » s’est peu à peu imposée et certains des points les plus épineux font heureusement, même si c’est encore insuffisant, l’objet de certaines avancées.
Pour autant, nous est-il permis d’espérer davantage pour cette année ? Je crains que non, tant que les deux camps opposés seront incapables de résister à la pression de leurs éléments extrêmes.
D’un côté, le Fatah, concurrencé politiquement par le Hamas, peine à s’imposer à la fois au sein de la population palestinienne et comme l’interlocuteur unique des négociations de paix, alors qu’il demeure le seul représentant vraiment reconnu pour Israël et pour la communauté internationale.
De l’autre côté, nous avons un premier ministre qui tourne régulièrement le dos à ses engagements. Récemment encore, Benyamin Netanyahou a autorisé la construction de neuf cents logements dans les territoires occupés à Jérusalem-Est, contrairement à ce qu’il avait promis quelques semaines plus tôt.
Dans ces conditions, le défi qui consiste à garantir l’avenir du peuple palestinien sans compromettre l’existence d’Israël reste entier et pour le moment sans issue.
En Irak, la situation évolue également de manière contrastée. On peut observer une relative stabilité du gouvernement Maliki qui a fait de la sécurité et de l’État de droit ses priorités. On peut même se réjouir d’un certain recul de la violence par rapport au plus fort de la guerre confessionnelle entre sunnites et chiites entre 2006 et 2007. Le sursaut américain a certes porté ses fruits grâce au déploiement de 30 000 soldats supplémentaires. Le ralliement des tribus sunnites, avec la création des « conseils de réveil », a par ailleurs contribué au retour d’une relative accalmie.
Mais le retrait des troupes américaines risque de changer la donne car elles ont fortement secondé les forces irakiennes dans leur lutte contre l’insurrection. Les « conseils de réveil » dépendent désormais d’un gouvernement dirigé par les chiites.
Par ailleurs, le problème kurde, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, et même mieux que quiconque, n’est toujours pas résolu. Les prochaines élections pourraient donc créer un facteur supplémentaire d’instabilité si la majorité de M. Maliki était trop mince.
Mes chers collègues, si l’Iran n’est pas un pays en guerre, il suscite bien d’autres tensions, tout aussi préoccupantes.
L’ancienne tentation de ce pays d’exporter la révolution islamique a longtemps inquiété à juste titre les Occidentaux. Aujourd’hui, ce panislamisme a été remplacé par un nationalisme teinté de paranoïa, ce qui n’est guère plus rassurant.
Dans cet esprit, l’Iran nourrit l’ambition même plus dissimulée de posséder la bombe atomique. En effet, en faisant obstacle au travail des agences de l’ONU, en refusant l’offre franco-russe d’enrichissement de son uranium et en déclarant tardivement l’existence du site de Qom, ce pays laisse entrevoir la finalité militaire de son programme nucléaire, quoiqu’en disent ses dirigeants.
En conséquence, il est essentiel que la communauté internationale reste vigilante et ferme sur ce dossier, d’autant que nous mesurons aujourd'hui la nature réelle du régime iranien, au vu des événements récents : après une élection présidentielle truquée, la brutalité avec laquelle les derniers rassemblements ont été réprimés dévoile – certes sans créer de surprise – son véritable visage, celui d’une dictature autoritaire et liberticide.
Pour la troisième fois depuis l’été dernier, l’opposition, d'ailleurs de moins en moins impressionnée par l’appareil sécuritaire, n’a pas hésité à braver les autorités pour dénoncer le régime. Son courage a été chèrement payé le 27 décembre dernier, puisque les affrontements avec les forces de sécurité et les milices ont fait au moins huit morts, dont le neveu d’Hussein Moussavi.
La multiplication des arrestations et des exécutions sommaires montre le mépris des dirigeants iraniens pour les droits de l’homme.
S’il est prématuré d’imaginer un véritable changement de régime à ce stade des événements, le réveil d’une jeunesse militante, laïque, courageuse, suscite des espoirs.
Mes chers collègues, ces trois zones d’instabilité demeurent très dangereuses pour les populations qui y vivent, mais aussi pour la sécurité du monde. En effet, le terrorisme s’y nourrit, au nom du djihad mué en haine. Si Al-Qaïda a été affaiblie par endroits, l’organisation sait renaître ailleurs. L’attentat manqué contre le vol Amsterdam-Detroit du 25 décembre dernier confirme l’émergence de nouvelles bases, en l’occurrence au Yémen.
Une fois de plus, les terroristes profitent de la faiblesse de l’État pour s’implanter. Nous le savons, le président du Yémen, bien qu’il soit au pouvoir depuis 1978, ne contrôle plus les provinces orientales de son pays.
La conférence internationale du 28 janvier prochain devrait évoquer le cas du Yémen. Si l’attentat manqué nécessite de poursuivre la lutte contre le terrorisme, il paraît toutefois difficilement envisageable de laisser naître un nouvel Afghanistan.
M. Philippe Marini. Certes !
M. Jean-Michel Baylet. Compte tenu des enjeux de sécurité, qui dépassent le seul Moyen-Orient, se pose toujours la même question : quelle politique étrangère mener dans ces régions ?
Beaucoup de voies ont déjà été explorées : les sanctions, l’interposition, l’intervention militaire, la médiation... De nombreux pays se sont impliqués, au premier rang desquels les États-Unis.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aurais pu évoquer encore d’autres pays de cette région et traiter de bien d’autres points de crispation. Toutefois, le sujet est tel, naturellement, qu’il est impossible d’évoquer l’ensemble des cas particuliers. La situation générale, en tout cas, demeure quant à elle incertaine et fragile.
Dans ce contexte, il est important, me semble-t-il, que la politique étrangère de la France s’inscrive dans la continuité, donc dans la recherche permanente des droits des peuples et de la paix.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ajouterai un dernier mot : si l’Union européenne pouvait se montrer plus active au Moyen-Orient, cette démarche serait utile, me semble-t-il, surtout compte tenu de nos responsabilités historiques dans cette région du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de rendre hommage au courage de M. Jean François-Poncet, qui a tenu à venir spécialement de Marrakech pour participer à ce débat et qui a certainement payé cet effort du malaise qu’il a subi. Nous lui souhaitons tous un prompt et total rétablissement.
Je voudrais aussi saisir l’occasion qui m’est accordée pour féliciter et remercier de leur remarquable rapport Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Jean François-Poncet, qui nous ont permis d’organiser ce débat. Nous avons puisé dans leur travail des informations de tout premier ordre. Leurs analyses sont parfaitement d’actualité et éclairent nos délibérations, en particulier celles d’aujourd’hui.
Quels sont les éléments que j’en retiens ? Il s'agit de trois constats et d’une conclusion.
Le premier constat est que le Moyen-Orient compte beaucoup pour l’Europe.
Cet intérêt trouve sa source dans la géographie, l’histoire et l’économie. Le Moyen-Orient est le berceau de notre civilisation. Nous y avons exercé une présence dès les origines de notre pays, et singulièrement au XXe siècle. Notre approvisionnement énergétique en dépend. Sa géographie en fait un carrefour stratégique entre trois continents, l’Europe, l’Afrique et l’Asie, et un lieu de confrontation entre les influences et les idéologies les plus diverses.
Toutefois, du Moyen-Orient dépendent aussi notre sécurité et celle de l’Europe dans son ensemble. Le meilleur moyen de lutter contre ce que nous appelons, dans un amalgame approximatif, le « terrorisme islamique » passe par une paix juste et durable au Moyen-Orient.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Des groupes, certes islamiques, mais avant tout fanatiques et terroristes, prennent prétexte pour menacer et tenter de frapper nos territoires d’une politique censée faire deux poids deux mesures entre Israël et les Arabes et qu’ils qualifient « d’injuste et d’inéquitable » ou de « double standard ».
C’est donc parce que notre propre sécurité dépend de la situation au Moyen-Orient que nous sommes fondés à exprimer notre opinion sur ce qui s’y passe. Il s’agit non pas de distribuer le blâme ou l’éloge, mais de nous prononcer sur la politique menée par les États de la région, à l’aune de notre propre sécurité.
La seconde raison justifiant l’intérêt de l’Europe est que les communautés d’origine moyen-orientales y sont particulièrement importantes. Entre quinze et vingt millions de musulmans vivent en Europe. En France, la communauté musulmane compte plus de cinq millions de personnes. C’est la plus importante d’Europe. Tel est aussi le cas de la communauté juive, estimée à 500 000 personnes.
Malgré la retenue dont font preuve leurs responsables, une radicalisation du conflit entre les Israéliens et les Arabes ne pourrait pas ne pas retentir sur les relations entre les communautés. Une telle situation n’est pas compatible avec la vision qui est la nôtre de l’harmonie sociale et de l’unité nationale. Veillons à ne pas importer dans notre pays les querelles du Moyen-Orient et à ne pas laisser à cette occasion se développer l’antisémitisme ou son pendant, l’anti-islamisme.
Mon deuxième constat est à l’inverse du précédent : l’Europe compte peu au Moyen-Orient.
Ceux qui voyagent en Orient ont peut-être eu le sentiment d’une véritable attente d’Europe. On y loue son soft power par contraste avec le hard power américain. On nous rappelle nos liens historiques. On marque de l’intérêt pour nos entreprises ou nos produits. Toutefois, soyons lucides ! Dès que les choses se compliquent, on se tourne vers les États-Unis. Cette situation n’a jamais été aussi vraie que depuis l’élection du Président Obama, qui a su tendre la main au monde musulman dans son discours du Caire.
Pourtant, l’Europe a été la première à reconnaître la solution des deux États, à travers la déclaration de Venise en juin 1980. Elle a joué un rôle important avec la conférence de Madrid et les accords d’Oslo en 1991.
Or, depuis lors, l’Europe s’est effacée. Elle n’a pesé pour rien pendant les années Bush. La création du Quartet a entériné une distribution des rôles dans laquelle les États-Unis coordonnent les efforts diplomatiques et sont garants de la sécurité, tandis que l’Europe paye.
La contribution des pays européens pour compenser les conséquences de l’occupation israélienne en Cisjordanie s’est élevée à plus de 1 milliard d’euros en 2009.
M. Didier Boulaud. Eh oui !
M. Josselin de Rohan. L’importance de cet engagement financier contraste avec l’effacement politique de l’Union européenne.
Pourquoi ? La réponse est malheureusement simple, et ce sera mon troisième constat : si l’Europe est impuissante, c’est parce qu’elle est divisée, incapable de parler d’une même voix sur la question centrale qui focalise l’attention du Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien.
Soyons clairs : pour des raisons qui tiennent à notre histoire et aux tragédies du siècle dernier, nous éprouvons des difficultés à affronter et à apprécier les faits en tant que tels, sans considération de l’identité de celui qui les commet. Les gouvernements d’Israël le savent et en tirent avantage.
Pourtant, l’amitié franco-israélienne ne fait aucun doute. Comme l’a rappelé le Président de la République dans son discours à la Knesset, cette amitié est due « à la manière dont le judaïsme a influencé, a nourri, a enrichi la culture française », et, en sens inverse, « à l’inspiration que les Pères fondateurs d’Israël ont puisée dans les valeurs de l’universalisme français ».
Le Président de la République a donné des gages de l’amitié de la France vis-à-vis de ce pays et des preuves de son amitié personnelle pour ses dirigeants. Comme lui, nous pouvons dire : « Oui, la France est l’amie d’Israël et la France sera toujours aux côtés d’Israël lorsque sa sécurité et son existence seront menacées ». Ces paroles engagent notre pays.
Présentement, la sécurité d’Israël semble solidement établie. Ni ses voisins, ni même les menaces insensées d’Ahmadinejad ne sauraient la remettre en cause.
Aussi le temps est-il venu, me semble-t-il, où Israël peut et doit s’employer à rechercher les moyens de mettre fin à un conflit sans issue, qui, de part et d’autre, n’a engendré que la haine, la destruction et le désespoir.
Comment, alors que l’Europe vient de célébrer l’anniversaire de la chute d’un mur qui consacrait sa séparation, croire qu’un mur qui coupe en deux le territoire palestinien, empêche toute circulation entre ses parties et multiplie les vexations et les tracasseries pour les Palestiniens puisse être autre chose qu’un instrument de ressentiment et de frustration ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Boulaud. Bravo !
M. Josselin de Rohan. Comment un peuple comme celui d’Israël, qui a tant souffert de sa dispersion, de honteuses et inhumaines discriminations, mais aussi des spoliations, peut-il imposer à un autre peuple la privation d’emploi, l’expropriation de ses biens, des restrictions drastiques du droit d’aller et de venir, la possibilité même de reconstruire les logements ou les équipements détruits lors de l’opération contre Gaza ?
Comment une authentique démocratie comme Israël peut-elle s’accommoder d’atteintes aux droits de l’homme, telles qu’elles ont été établies dans le rapport Goldstone par les Nations unies, ou se satisfaire de la déstabilisation de l’Autorité palestinienne ?
Les terribles images diffusées par les télévisions du monde entier lors de l’opération « Plomb durci » en 2008, le témoignage de nos deux collègues Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga, qui se sont rendus presque immédiatement sur les lieux, jettent une bien cruelle lumière sur la tragédie de Gaza.
Aucune cause ne peut justifier la destruction délibérée d’hôpitaux, d’écoles, ou les attaques contre les populations civiles !
MM. Michel Billout, Didier Boulaud et Philippe Marini. Très bien !
M. Josselin de Rohan. De tout temps, et c’est à l’honneur d’Israël, des voix se sont élevées pour condamner les excès de la répression. Israël a connu des dirigeants comme Menahem Begin ou Itzhak Rabin qui, un jour, ont décidé de franchir les lignes de leur propre camp et de tendre la main à l’adversaire. C’est ce processus que les États-Unis et l’Union européenne doivent encourager en joignant leurs efforts. Les pays arabes et même le Hamas ont admis que les frontières de 1967 pouvaient servir de base à un règlement.
En formulant la proposition d’un moratoire ou d’un gel de la colonisation en Cisjordanie, le gouvernement israélien a implicitement reconnu que l’implantation de communautés juives dans les territoires occupés constituait un obstacle à l’établissement de la paix.
Quel que soit le point de départ, il est urgent de reprendre les discussions, mais, dans cette perspective, il est indispensable que le gouvernement israélien dispose d’un interlocuteur crédible et représentatif de l’opinion palestinienne.
En déstabilisant l’autorité palestinienne, en lui faisant chaque fois ressentir son impuissance, en la privant de toute autonomie, on la condamne à l’inexistence, et, qui plus est, on fait apparaître le Hamas, que par ailleurs on stigmatise, comme la seule force incarnant la résistance !
Quant aux dirigeants du Fatah, ils doivent être conscients que les divisions intestines des Palestiniens s’exercent au détriment de leur cause. Elles servent d’alibi utile à la partie adverse.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Quel peut être l’effort de notre pays pour faciliter l’établissement d’une paix durable au Proche-Orient ?
La France doit agir comme aiguillon au sein de l’Union européenne, pour que celle-ci devienne à même d’élaborer des propositions concrètes permettant la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens.
Nos rapporteurs en ont énuméré quelques-unes : le gel total des colonies, la libération des prisonniers détenus dans chaque camp, celle de Marwan Barghouti comme celle de Gilad Shalit, la fin des expulsions des habitants palestiniens et la levée complète des barrages en Cisjordanie.
En revanche, l’engagement de cesser les attentats sur le territoire israélien doit être obtenu des diverses factions palestiniennes. Les aides financières de l’Union européenne pour la reconstruction à Gaza pourraient être conditionnées au respect de ces conditions.
L’avènement au pouvoir du Président Obama a fait naître un espoir au Proche-Orient, puisqu’il a marqué une plus grande attention des États-Unis à la condition des Palestiniens, une vision moins unilatérale du conflit israélo-palestinien, une prise de position claire contre l’extension de la colonisation à Jérusalem et en Cisjordanie. L’Union européenne doit être en mesure d’appuyer cette vision. Sa détermination sur ce point sera un test de sa crédibilité.
Ce qui se joue au Moyen-Orient au travers d’un conflit vieux de plus de soixante ans, ce n’est pas seulement l’avenir de la Palestine ou celui d’Israël, c’est celui de notre sécurité en Europe et de la paix dans le monde.
Nous n’osons imaginer les conséquences d’un raid israélien sur les installations nucléaires iraniennes et, inversement, d’une attaque iranienne contre Israël.
M. Didier Boulaud. Oui !
M. Jacky Le Menn. Ce serait joli !
M. Josselin de Rohan. Nous savons que, tant qu’Israéliens et Palestiniens s’opposeront, aucune paix n’est possible entre Israël et la Syrie ou le Liban.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Depuis l’intervention israélienne dans la bande de Gaza, l’Union pour la Méditerranée, qui pourrait être un trait d’union puissant entre l’Europe, l’Asie et le continent africain, est en panne.
En conclusion, il est de l’intérêt de tous les protagonistes de sortir du face-à-face stérile et meurtrier dans lequel ils se sont enfermés. Dans l’intérêt des Palestiniens, c’est évident, il faut en finir avec le blocus de Gaza ! Quel responsable palestinien soucieux des intérêts de son peuple peut souhaiter que cette situation perdure ? Dans l’intérêt des Israéliens, c’est également évident, car le temps ne joue pas en leur faveur.
Pour sortir du statu quo, c’est au plus fort de tendre la main. C’est à Israël de faire le premier pas. Or le gouvernement israélien ne le fera que s’il est convaincu qu’il y va de son intérêt. Pour des raisons tenant au système politique israélien qu’a rappelées Jean François-Poncet, en particulier au régime électoral, ce premier pas est difficile, voire impossible. Israël ne bougera que si les pressions internationales sont plus fortes que les pressions nationales.
Pas plus qu’aucun autre pays européen, la France n’est suffisamment écoutée du gouvernement d’Israël pour l’en persuader. Les États-Unis, oui. Le veulent-ils ? Tel semble être le cas. Mais le Président Obama n’y arrivera pas tout seul. Il a besoin d’aide. L’Europe peut l’aider ! Encore faut-il que les Européens soient unis.
C’est pourquoi il est urgent de travailler à l’émergence d’un consensus européen et d’une plus grande coopération transatlantique sur ce sujet. Puisse le colloque que nous organisons dans cette enceinte les 28 et 29 janvier prochains y contribuer ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au mois de décembre 2008, le Président de la République m’a confié une mission d’étude, d’analyse et de contacts sur le Proche-Orient. À ce titre, j’ai suivi nos rapporteurs presque à la trace (Sourires), car ma feuille de route était assez largement identique à la leur. Parcourant onze pays – un peu moins que vous, madame Cerisier-ben Guiga –, de capitale en capitale, nous nous sommes généralement succédé ou précédé à quelques jours près.
Paradoxalement, tout au long de l’année 2009, à la suite des événements dramatiques survenus à Gaza, de grands espoirs ont pu être nourris : plusieurs fois, les négociations entre les parties palestiniennes ont failli déboucher sur un accord, notamment grâce à la médiation égyptienne. Cependant, après la divulgation du rapport Goldstone, nous avons assisté à la rupture définitive des positions et à une profonde crise politique au sein de la partie palestinienne.
Par ailleurs, au cours de l’année 2009, la France a poursuivi dans la voie d’un rapprochement avec toutes les parties en présence. Dans tous les pays du Proche-Orient, l’attente à l’égard de la France est très grande. Quel chef d’État est en mesure de s’exprimer à Ryad, à Jérusalem, à Damas devant les interlocuteurs les plus divers, que des conflits extrêmement vifs opposent, et de susciter, par sa seule parole, une grande adhésion et une grande attente sur bien des points ?
La France, en particulier dans sa relation avec la Syrie et son président Bachar el-Assad, a ouvert des portes et utilisé les ressources de cet exceptionnel carrefour de l’Orient. Ainsi, depuis 2007, elle s’est replacée au cœur du jeu et a sans doute quelque chose de plus à apporter que ses partenaires. Bien sûr, les contradictions sont à l’œuvre. Nombreux sont les orateurs à l’avoir souligné, ces sujets sont parmi les plus difficiles du monde. La question palestinienne est certainement depuis soixante ans la question la plus symbolique, la plus aiguë à laquelle toutes les diplomaties du monde entier ont été confrontées. Dans ce contexte, notre pays a certainement un rôle important à jouer.
Nous assistons de nouveau à une montée des périls. Il convient de souligner l’extrême sensibilité de la zone. Les incidents survenus cet automne à Jérusalem ont bien montré que d’une étincelle pouvaient résulter de très grands désordres. Pour ma part, je crois que la communauté internationale sous-estime la situation. Plusieurs intervenants ont très justement mis l’accent sur cette politique insidieuse et tenace de transformation de Jérusalem. C’est bien là le cœur du sujet : pour des centaines de millions de personnes dans le monde, il s’agit de l’aspect le plus symbolique. Tout cela ne peut qu’inspirer de très grandes inquiétudes.
Ce problème est politique mais aussi religieux, miroir de nos différentes identités.
Comment espérer esquiver le principal et ne régler que l’accessoire ?
Cette remarque semble s’imposer à écouter les personnalités infiniment savantes, grands techniciens, voire technocrates des négociations internationales, dont l’approche a peut-être piégé la mission Mitchell. Je me pose très sérieusement la question. Monsieur le ministre, puisque vous avez rencontré Georges Mitchell – Monique Cerisier-ben Guiga l’a souligné –, sans doute pourrez-vous nous apporter des éclaircissements sur ce point.
Par la qualité de la personnalité désignée par le président des États-Unis, son antériorité, son ouverture d’esprit, son objectivité, cette espèce de correspondance et de similitude entre l’Irlande et la Palestine, la mission Mitchell a suscité un très grand espoir.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Oui !
M. Philippe Marini. Cependant, elle a travaillé très lentement et, quand les sujets ont commencé à être déblayés, l’état de grâce du Président Obama était terminé. Ce qui était possible au printemps, au début du mandat du président américain, ne l’était plus à l’automne.
Quelle est la situation actuelle ? Le patrimoine de la communauté internationale se réduit aux accords d’Oslo et au peu d’institutions palestiniennes qui existe. Il est le fruit de persévérantes et difficiles négociations et il a fallu résoudre de multiples contradictions pour en arriver là.
Or où en sont les institutions palestiniennes aujourd’hui ? Les mandats sont achevés et la situation commence à ressembler à celle du Parlement libanais pendant la guerre civile. Nous faisons semblant de ne pas avoir remarqué que le temps était révolu et qu’il faudrait une légitimité plus fraîche. La menace est réelle : si nous laissons se déliter ce patrimoine, que restera-t-il et que pourrons-nous opposer à la montée des périls ?
Quelle est l’autre solution à un schéma à deux États, autour duquel, en théorie, s’accorde la communauté internationale ? C’est le schéma à un État. Si Israël occupe tout l’espace entre la ligne de 1967 et le Jourdain, ce sera, à terme, un État avec une très puissante minorité qui, un jour, deviendra majorité.
M. Josselin de Rohan. Absolument !
M. Philippe Marini. Il s’agit là d’un profond levier de déstabilisation tant sur une rive du Jourdain que sur l’autre ! L’existence même de la Jordanie est en cause. Dès lors, l’onde de déstabilisation peut s’étendre à la péninsule arabique, à l’Égypte et à bien d’autres pays.
Nous avons peine à imaginer comment évoluerait la situation si le schéma de deux États sur le sol de la Palestine mandataire devait ne pas se concrétiser.
À mon sens, seule la perspective de deux négociations parallèles peut faire renaître l’espoir : l’une interétatique, l’autre interpalestinienne.
Il ne faut pas négliger que l’État d’Israël est toujours en guerre avec l’un de ses voisins, la Syrie, et que la position de cette dernière détermine celle du Liban. Si une paix peut intervenir sur la piste syrienne – ce que beaucoup d’Israéliens appellent le Syrian track –, un pas en avant considérable aura été franchi. Régler la question du plateau du Golan, c’est-à-dire rendre à un pays sa propre terre, et faire ainsi en sorte que la Syrie soit encore plus incitée à se réformer, à s’ouvrir vers l’Occident, à diversifier ses relations, à compter sur la France et sur l’Europe, voilà un enjeu de taille. Nous savons que nous pouvons y travailler de concert avec la Turquie.
Je tiens d’ailleurs à souligner que la vision et l’analyse de la France correspondent dans une très large mesure à celles de la Turquie. Pour des raisons historiques différentes, Turcs et Français connaissent la réalité complexe et multiforme de cette région et peuvent rassembler leurs efforts vers un but commun.
La négociation essentielle reste israélo-palestinienne. Mais pour négocier, il faut des interlocuteurs légitimes et, à ce titre, l’unité palestinienne est un préalable catégorique.
Chacun en convient, la politique du cordon sanitaire autour du Hamas, si on peut en comprendre l’origine et les motivations, s’est révélée dramatiquement inefficace.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Philippe Marini. Beaucoup ont rappelé à cette tribune que, paradoxalement, l’exclusive lancée contre le Hamas, dont il est d’ailleurs largement responsable, l’a renforcé et en a fait le pôle légitime de la résistance.
Le Hamas peut évoluer. Après tout, pourquoi serait-il si différent du Hezbollah ? La communauté internationale a admis, au sein du gouvernement libanais, une force militaire qui a joué le jeu des institutions, qui possède un groupe parlementaire et des ministres. Ce modèle est-il fatalement inapplicable au Hamas ?
Personne ne doit être naïf, monsieur le ministre, surtout pas les représentants de la France. Bien sûr, les efforts pour en arriver là doivent être partagés mais encore faut-il que les objectifs de ce mouvement soient compatibles avec les valeurs de la communauté internationale, avec l’existence et la sécurité de l’État d’Israël dans ses limites de 1967, à quelques ajustements ou échanges près.
Monsieur le ministre, tout cela peut redémarrer, j’en ai la conviction. Les deux pistes sont utiles et, selon les circonstances, l’une permettra d’avancer davantage, puis ce sera l’autre, puis peut-être, un jour, les deux.
Pour terminer, j’insisterai sur le rôle que la France peut jouer. Notre pays est crédible auprès de tous les interlocuteurs. Il est important qu’il le demeure vis-à-vis d’Israël. M. Josselin de Rohan a eu infiniment raison d’insister sur ce point. Si l’on veut jouer un rôle de médiation, que ce soit sur un terrain ou sur l’autre, d’un côté, avec la Turquie, de l’autre côté, avec l’Égypte ou l’Arabie Saoudite, il faut être agréé par les deux parties.
Cela suppose une analyse qui fasse preuve de réserve, même si, parfois, on aurait envie d’en dire plus et même si, comme l’a dit une très haute personnalité morale du XXe siècle, mieux vaut construire des ponts que construire des murs ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, mon propos sera, lui aussi, centré sur le conflit israélo-palestinien, et probablement plus sur la Palestine.
Je salue Mme la déléguée générale de la Palestine et celui qui nous accompagne à Ramallah régulièrement. Autrement dit, les Palestiniens sont présents dans nos tribunes pour écouter notre débat.
La situation est bloquée, monsieur le ministre. À qui profite ce statu quo ? Sûrement au Hamas à Gaza en ce moment, mais à Israël aussi probablement.
Au-delà du statu quo, l’enlisement est une réalité et le recul en est une autre. On évoque les deux États mais le principe même des deux États semble être aujourd’hui atteint : la question se pose à nouveau. C’est la réalité et l’existence des deux États qui est sans doute le problème majeur.
Nous l’avons tous dit et nous le répétons, car c’est essentiel, l’État palestinien est un État fantôme, il est occupé, colonisé et morcelé. Jérusalem-Est palestinienne est grignotée et Jérusalem-Est disparaît. Vous venez de le dire, monsieur Marini, actuellement, il n’y a plus de gouvernement ni de légitimité, et le président Abbas est simplement prolongé dans ses fonctions. La situation actuelle est particulière ; elle n’a jamais été aussi grave !
Bien sûr l’État d’Israël lui-même existe, est reconnu, et il doit l’être. Mais sans la création d’un État palestinien, son existence est-elle assurée dans la durée ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Josette Durrieu. Les Palestiniens sont divisés, nous l’avons également tous dit. Monsieur le ministre, nous avons une lourde responsabilité concernant les élections de 2006 remportées par le Hamas. C’est un déni de démocratie : on ne reconnaît pas le résultat d’élections que nous sommes allés observer et que nous avons pourtant validées ! Nous devons en assumer les conséquences : la guerre et le blocus de Gaza.
La réconciliation, on le sait, passera par de nouvelles élections. Mais nous ne sommes pas en mesure de faire que ces élections puissent se dérouler : elles sont sans cesse reportées. Quand auront-elles lieu ?
On a fondé beaucoup d’espoirs dans le nouveau président des États-Unis, Barack Obama. Il ne pouvait sûrement pas tout faire ; il a néanmoins essayé et il faudra pourtant bien qu’il parvienne à faire quelque chose !
L’intention était bonne : il a remis au centre du débat le problème israélo-palestinien. La centralisation de ce problème était indispensable, il l’a dit. La stratégie initiale était judicieuse. Le sénateur George Mitchell a fait une tournée, certes sans succès, mais le Président Obama avait probablement investi le meilleur des émissaires. Les discours étaient bons mais ils n’ont pas abouti. Ensuite, il y a eu ce que certains appellent la volte-face du Président, et les discours malheureux de Mme Clinton.
Où en sommes-nous maintenant ?
L’Union européenne, chacun d’entre nous le dit, est un nain politique, mais c’est aussi un bon payeur. Monsieur le ministre, nous avons accompagné et financé des projets en leur accordant des sommes importantes de plusieurs millions voire de plusieurs milliards d’euros.
Le projet ASYCUDA, mis en place en 2001, concerne le contrôle des douanes. Or on ne contrôle rien dans un pays qui n’a pas de frontières ! On pourrait au moins contrôler la frontière entre Gaza et l’Égypte mais ce fameux logiciel, qui est l’un des plus performants du monde, ne fonctionne pas à Rafah. C’est bien dommage !
Dans le cadre du projet Seyada de renforcement du système judiciaire palestinien, mis en place en 2009, on crée des structures, on forme des juges et on crée des réseaux entre les tribunaux de Cisjordanie. Est-ce vraiment la priorité aujourd’hui ?
La formation de la police était en revanche une excellente démarche. Les policiers ne pouvant être formés en Palestine, ils le sont à l’étranger. Mais à quoi servent-ils puisque 80 % du territoire est maîtrisé par Tsahal ? Cependant, ces policiers sont efficaces là où ils se trouvent, à Naplouse notamment.
Que penser de cette opération sur l’enregistrement foncier, le cadastre en Cisjordanie aujourd’hui ?
On se préparait sans doute à faire vivre un État le jour où il a été créé. Mais, monsieur le ministre, jusqu’à présent combien d’argent a été engagé par la Communauté européenne et par la France ? Jusqu’à quand va-t-on continuer dans ces conditions ?
Certes, cet état des lieux est rapide ; d’autres en ont proposé un plus complet et différent.
J’en viens aux raisons de cette situation et aux responsabilités de chacun. Bien sûr, il faut citer George Bush et Tony Blair – George Bush, surtout. Il faut évoquer aussi la faiblesse de l’Europe, on l’a dit et on ne cessera de le dire.
Mais pourquoi une telle obstination destructrice d’Israël ? Comme le dit toujours le diplomate et historien Elie Barnavi – que vous connaissez sans doute personnellement, monsieur le ministre –, si ça continue, il en sera fini du rêve israélien !
La politique menée par Israël est destructrice. Qui peut le faire comprendre aux gens sensés – et il y en a – de ce pays ?
Il faudrait connaître un peu plus le rapport Goldstone qui, au-delà des murs et des miradors, évoque ces pratiques et ces méthodes tout à fait condamnables.
Concernant la communauté internationale, c’est-à-dire nous, monsieur le ministre, je reviendrai sur un certain nombre de principes qui vous sont chers, j’en suis sûre.
On ne peut déposséder les Palestiniens à la fois de leur terre et de leurs droits !
À la suite des élections de 2006 a été commis un déni de démocratie. L’élection du Hamas était probablement prévisible ; elle a été consternante. Mais, vous avez raison, monsieur Marini, il fallait l’accepter, par la force des choses. On ne pouvait pas aboutir à un résultat pire que celui-ci ! Il fallait faire évoluer le Hamas. Pouvait-il évoluer ? Quoi qu’il en soit, il était un interlocuteur incontournable et il le reste : nous ne sommes pas plus avancés aujourd’hui.
Par ailleurs, nous, l’Europe et la France, surtout, comment pouvons-nous ne pas rappeler des droits qui sont également ceux des Palestiniens et des peuples du Moyen-Orient ?
Monsieur le ministre, au-delà du respect du droit au retour pour les réfugiés, il faudra maintenir ce principe, dont les modalités d’application seront bien sûr modulées, et on le sait très bien.
Comme Yasser Arafat me l’avait dit à la Mouqata’a, les Palestiniens installés au Chili ne reviendront évidemment pas, mais le droit au retour est un principe sacré.
Le droit à la résistance et à l’oppression existe : il est inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Nous, Français, oserons-nous un jour rendre leurs droits à ces hommes et à ces femmes ? En tant que fille de résistant, je n’ai pas envie que ce droit à la résistance soit identifié au terrorisme. On peut transformer des résistants en terroristes quand on ne les entend pas, et c’est évidemment ce qui se passe. Il faudrait de temps à autre parler du droit à la résistance et définir réellement ce qu’est le terrorisme.
Lors de vos déplacements, vous devez souvent entendre parler, monsieur le ministre, de cette politique de « deux poids deux mesures » à laquelle faisait référence Jean François-Poncet. Il ne s’agit pas seulement des résolutions de l’ONU, qui ne sont jamais respectées par les Israéliens. Il s’agit aussi de l’ambiguïté par rapport au problème du nucléaire.
On veut éviter la prolifération du nucléaire en le refusant à l’Iran, soit ! Mais comment peut-on accepter l’armement nucléaire de l’Inde et du Pakistan, qui ont signé le traité de non-prolifération,…
M. Didier Boulaud. Très bien !
Mme Josette Durrieu. … et laisser planer l’ambiguïté sur Israël, lequel détient la bombe sans le dire ? (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
Il faut remettre les choses à leur place. Monsieur le ministre, ce n’est pas sur l’injustice ni sur le cynisme que l’on pourra bâtir la paix. Nous devons remettre un peu de morale dans cette situation.
Soixante ans après, la paix est loin, comme le dit Bachar el-Assad, que j’ai eu la chance de rencontrer deux fois cette année. L’absence de guerre – ou le statu quo, pour certains, pas pour moi – est peut-être ce dont on peut se satisfaire.
Monsieur le ministre, comment peut-on assurer la sécurité et la paix des Israéliens et des Palestiniens de la région ? Quels sont les risques nucléaires et les risques de prolifération nucléaire au Moyen-Orient si la situation ne change pas ? Quelles solutions et avec quels acteurs sont possibles ? « Pouvons-nous vivre sans solution ? », disait Moshe Dayan. Certainement pas !
Dans l’immédiat, nous avons quelques objectifs qui sont des postulats premiers : arrêt de la colonisation et de l’occupation, levée du blocus à Gaza et libération des prisonniers.
D’ailleurs, pour moi, il n’y a pas un prisonnier de chaque côté. L’équation n’est pas si simple : d’un côté, le soldat franco-israélien Gilad Shalit est prisonnier mais de l’autre, 12 000 Palestiniens sont détenus ! Comment peut-on ramener la situation à un contre un ?
Les seuls qui ne pourront pas être les protagonistes directs de la paix, ce sont les Israéliens et les Palestiniens ! Ils en sont incapables pour des raisons différentes.
M. le président. Chère collègue, il va falloir conclure.
Mme Josette Durrieu. Je termine monsieur le président.
On demande aux États musulmans de s’impliquer davantage. Ils ont fait une grande partie du chemin, notamment avec le plan de paix du roi Fahd d’Arabie saoudite lancé à Beyrouth en 2002.
Il existe des États médiateurs, comme l’Égypte et la Turquie, que vous avez mentionnés, et auxquels j’ajoute la Syrie. Qu’il s’agisse du plateau du Golan, du Hezbollah, du Hamas ou du Liban, la Syrie est concernée. Elle veut normaliser sa situation et sans doute protéger la résistance palestinienne.
Monsieur le ministre, je partage la position exprimée par M. Solana juste avant de quitter ses fonctions : devant l’incapacité des uns et des autres, il faudra mettre une solution sur la table. Puisque vous avez rencontré des émissaires de haut rang, pouvez-nous nous dire si les États-Unis préparent réellement un plan de paix pour régler ce conflit dans les deux ans, comme l’affirme le journal Maariv ? Ce sera ma dernière question, tout autant qu’un vœu ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est-il utile ? Voilà une question qui, au fil du temps, aura fait couler beaucoup d’encre. Certains saluent sa prudence, sa sagesse, et s’en réjouissent. D’autres dénoncent son conformisme, et le déplorent.
Ce soir, en tout cas, cette question ne se pose pas, car le rapport qui sert de support à notre débat fournit, sur des sujets aussi sensibles et complexes que ceux qui sont relatifs à la situation au Moyen-Orient, un diagnostic minutieux, alliant précision et discernement, et ce sans exonérer quiconque de ses responsabilités dans les déséquilibres et les blocages constatés aujourd’hui, je tiens aussi à le souligner Il faut ici reconnaître et saluer comme il le mérite le travail considérable de Jean François-Poncet et Monique Cerisier-ben Guiga.
Seulement voilà : si ce rapport est remarquable, il est malheureusement presque certain qu’il n’aura guère d’impact sur ceux qui auraient tout intérêt à le lire. La raison en est toute simple : bon nombre de ses recommandations n’ont manifestement pas été portées à la connaissance de ceux qui, à l’Élysée, décident des orientations de la diplomatie française, de ceux qui, chaque fin de semaine, portent la bonne parole dans les capitales du Moyen-Orient.
Monsieur le ministre, il est permis de s’interroger : quelle est réellement la position de la France et comment nos interlocuteurs peuvent-ils s’y retrouver face aux signaux contradictoires envoyés par notre pays ?
Le temps qui nous est imparti pour ce débat ne permet pas de revenir en profondeur sur chacune des crises que connaît la région, mais leur simple évocation suffit à traduire l’ampleur des inquiétudes en la matière.
En Iran, les aspirations démocratiques exprimées par une large partie de la population, lors des fêtes religieuses de l’Achoura, ont été réprimées dans le sang par un régime dont on sait qu’il ambitionne de se doter de l’arme nucléaire.
L’Irak, dont il est à présent admis que l’invasion a été décidée sur la base d’arguments fallacieux, reste confronté au défi du maintien de son unité, les États-Unis ayant imposé, après la destitution de Saddam Hussein, une architecture institutionnelle ignorante de la donne locale et propice à un éclatement confessionnel, matérialisé, comme nous l’avons vu, par plusieurs années de chaos.
L’Afghanistan, déjà handicapé par l’affrontement des expansionnismes sur son territoire au xixe siècle, instrumentalisé durant la Guerre froide par la mobilisation des intégrismes pour des causes étrangères, connaît une nouvelle intervention de la communauté internationale. Si elle est juridiquement légitime, elle n’a pas évité les faux pas stratégiques. Manque de cohérence et de coordination entre les différents intervenants, insuffisante prise en compte du tissu multiethnique et religieux, nombreuses sont les raisons qui expliquent l’enlisement actuellement constaté.
« La France n’enverra pas un soldat de plus [en Afghanistan] », a annoncé le Président de la République en octobre dernier, alors que le Président Obama était encore dans sa phase de réflexion sur l’ajustement de la stratégie américaine. Aujourd’hui, c’est Nicolas Sarkozy qui semble encore en train de réfléchir, puisqu’il n’exclut plus d’envoyer également des troupes pour venir gonfler le contingent français sur place. Rien n’est décidé, bien sûr.
Après le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ici, et alors qu’il est patent que cette décision n’a pas contribué à renforcer l’autonomie décisionnelle de la France,…
M. Didier Boulaud. C’est même tout le contraire !
Mme Dominique Voynet. … nous sommes très préoccupés : au rayon politique, le maigre espoir de la communauté internationale de voir émerger dans ce pays une « bonne gouvernance » a fait long feu. C’est bien cette même communauté internationale qui a accepté en effet, après son arrivée, l’établissement en Afghanistan d’un système constitutionnel permettant, par définition, les fraudes électorales. C’est encore elle qui a validé le scrutin présidentiel truqué de 2009.
Quant au conflit israélo-palestinien, souvent qualifié de façon presque ironique de « conflit de faible intensité », il atteint aujourd’hui une tension maximale. Les risques d’explosion – et je ne parle pas là de l’arme nucléaire – sont bien réels. Devant le refus d’Israël de stopper la colonisation illégale des territoires palestiniens, dont on sait qu’elle rend chaque jour plus difficile la création d’un État palestinien digne de ce nom, le dialogue est au point mort. Les habitants de Gaza, étranglés par un blocus aux conséquences humanitaires lourdes, ont vu s’abattre sur eux une pluie de bombes meurtrière dans le cadre d’une opération militaire dont le nom, « Plomb durci », résume la somme des cynismes qui conduisent, comme le fait en ce moment même l’Égypte, à finir de clôturer, jusqu’à plusieurs mètres sous terre, la cage que constitue désormais Gaza.
Monsieur le ministre, après soixante ans de conflit, je conviens qu’il est hasardeux de prétendre résoudre une équation sur laquelle ont buté tant de dirigeants politiques. L’énoncé du problème est pourtant connu de tous. L’enchaînement argumentaire qui pourrait conduire à la constitution de deux États voisins, vivant en paix, est établi. Rien n’y fait. Il faut le dire, ici encore, la communauté internationale n’est pas avare de maladresses et de calculs coupables. Ainsi, après avoir poussé à un scrutin démocratique en 2006 dans la bande de Gaza, les Occidentaux ont refusé de reconnaître la victoire du Hamas et de considérer celui-ci comme un interlocuteur.
À cette époque, la France et ses partenaires se sont pliés à l’option des États-Unis, consistant à renier un processus qu’ils avaient pourtant soutenu. Certes, vous n’étiez pas alors en responsabilité, monsieur le ministre. Mais, aujourd’hui, alors que nos deux rapporteurs ont courageusement engagé le dialogue avec Khaled Mechaal à Damas, vous-même persistez à vous couper de l’un des principaux acteurs, quoi qu’on en dise, de ce conflit et, par la même occasion, à vous priver de la possibilité de travailler efficacement à la remise sur les rails du processus de paix.
Cette position contribue à radicaliser le Hamas et à décrédibiliser les prétentions démocratiques des Occidentaux. Cet état de fait est d’autant plus incohérent que vous avez envoyé relativement discrètement, en 2008, un diplomate Français, aujourd’hui retraité, pour établir tout de même un contact avec le Hamas. Vous le savez, ce diplomate ne cesse de clamer qu’il est temps que la France adopte une autre posture à ce sujet.
Alors, que faire ? Comment imaginer un exercice plus difficile que celui qui nous est demandé ce soir ? Que dire qui n’ait été dit mille fois ? Que suggérer qui n’ait déjà été tenté ?
J’ai évoqué le renoncement de la France à une posture singulière, qui lui a jusque-là permis de conserver une réelle crédibilité au Moyen-Orient. Je passerai rapidement sur la question européenne. L’Europe ne possède pas, à cette heure, une influence suffisante dans la résolution du conflit. L’entrée en vigueur récente du traité de Lisbonne contribuera peut-être, du moins peut-on l’espérer, au renforcement du rôle de l’Union européenne, à condition, bien entendu, que l’on s’émancipe à l’avenir des égoïsmes nationaux. Ces derniers amènent, aujourd’hui encore, à choisir une parfaite inconnue pour diriger la diplomatie européenne, comme pour mieux se prémunir de l’émergence possible d’une véritable direction politique de l’Union.
À l’heure où la crainte d’attaques terroristes de grande ampleur sur les sols américain et européen est à son paroxysme, à la suite de l’attentat manqué sur le vol Amsterdam-Detroit et de l’attentat suicide meurtrier contre la base américaine de Khost, en Afghanistan, à la fin du mois de décembre, il serait opportun, sans pour autant baisser la garde face aux terroristes, de repenser notre approche des relations internationales. Après huit ans de « guerre contre le terrorisme », si les théâtres d’opérations sont mouvants et les organisations changeantes, le constat est sans appel : la menace reste, plus que jamais, d’actualité. Et la démonstration est faite : cette guerre-là ne peut pas être gagnée, ne sera pas gagnée, par les moyens qui sont aujourd’hui déployés.
Entre-temps, la démocratie que l’on entendait exporter, imposer et voir triompher, s’est en effet égarée dans les méandres de la manipulation électorale, de la négociation des résultats, de la détention arbitraire et de la torture sous toutes ses formes.
Il s’agit non pas de renoncer à espérer voir fleurir la démocratie et se répandre les droits de l’homme dans le monde, mais plutôt de s’assurer que notre façon de mettre en œuvre et de faire vivre les principes et les règles que nous avons érigées en la matière puisse recueillir l’adhésion des autres États et de chacune des luttes et des résistances nationales.
Monsieur le ministre, je formule ainsi un vœu, qui sera aussi ma conclusion : c’est que mon pays renforce son engagement auprès de la société civile en mouvement, quand elle existe. Il fut un temps où nous sûmes le faire ; je pense notamment à l’engagement de la France auprès des démocraties de l’autre côté de ce qui était alors qualifié de « rideau de fer ». Nous étions fiers de soutenir Václav Havel et l’Assemblée européenne des citoyens.
Aujourd’hui, en Iran, en Jordanie, en Syrie, en Égypte, en Israël même, il est des hommes et des femmes qui n’attendent que notre soutien. Nous devons leur envoyer un message éclatant, renforcer nos relations avec eux, notamment sur le plan matériel. Notre pays peut et doit le faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord rendre hommage à M. Jean François-Poncet, qui a tenu à délivrer, à quelques phrases près – mais vous avez complété, madame Cerisier-ben Guiga –, son message. Je salue son talent et son courage.
Je tiens, madame, à vous féliciter du rapport passionnant, fruit d’une grande érudition et de beaucoup de travail, que vous avez commis tous les deux. En vous écoutant, je me disais : après tout, ce débat en est-il bien un ? Si j’étais à votre place, j’aurais sans doute tenu une grande part de vos propos. Et si vous étiez à la mienne, vous auriez vraisemblablement choisi quelques-unes des phrases que je vais prononcer.
Plutôt que de répondre point par point à chacune des interventions, je dresserai un tableau général de la situation, en m’efforçant de vous fournir le plus d’informations possible. Je reviendrai en particulier sur les événements d’aujourd'hui.
Monsieur Marini, je vous remercie d’avoir rappelé que personne plus que la France n’est en ce moment entendu, écouté, sollicité par les pays arabes et Israël, comme par les autres, sur le conflit du Moyen-Orient. Tout n’est pas parfait, mais qui le serait sur un problème aussi difficile, dont vous-même avez évoqué les racines ? Vous avez à juste titre souligné, mais peut-être faut-il le faire plus encore, que les raisons de l’existence même de l’État d’Israël sont aujourd’hui oubliées. Une très large part des générations actuelles ne sait plus que celui-ci est né d’une décision de l’ONU, après l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale, loin du théâtre du Moyen-Orient où se joue en ce moment ce jeu si cruel.
En outre, tous les intervenants l’ont signalé, il y aurait beaucoup à dire sur le rapport Goldstone, sur la façon dont certaines ONG israéliennes ont souligné les excès impardonnables commis lors de la guerre de Gaza.
Cela étant, mesdames, messieurs les sénateurs, qui a plus condamné que la France, avec une grande constance, l’entrée de l’armée israélienne à Gaza ? Le Président Sarkozy a condamné ce déchaînement de violence. Bien entendu, dans le même temps, nous avons eu la même attitude devant les tirs de roquette, qui, d’ailleurs, n’ont pas complètement cessé. De façon vraiment décisive, nous avons maintenu une telle condamnation, comme celle de la colonisation.
La publication du rapport Goldstone a entraîné, je le reconnais, un certain nombre d’incompréhensions : en la matière, on a assisté à une véritable escalade. Si, au dernier moment, nous avons refusé de prendre part au vote au Conseil des droits de l’homme avant de s’abstenir à l’ONU, ce n’est pas faute d’avoir travaillé dans le dialogue avec nos amis palestiniens sur la présentation du texte, qui, vous le savez, a entraîné une succession d’incompréhensions de leur part.
Par ailleurs, je l’ai dit, nous continuons de condamner ce qui se passe dans la bande de Gaza.
À la question de savoir ce que je fais quand on m’interdit d’aller à Gaza, je réponds que j’ai signé le jour même la convention sur la reconstruction de l’hôpital Al-Quds avec nos amis palestiniens. Et j’espère que c’est ce qui est en train de se faire, malgré les difficultés du passage. Pour avoir travaillé comme médecin à Gaza, je connais bien la situation. Elle a évolué. Maintenant, l’essentiel, c’est de maintenir la pression, d’être déterminés et d’avoir pris la décision de reconstruire cet hôpital.
Je voudrais attirer votre attention sur quelque chose que vous n’avez pas évoqué et dont on a pourtant beaucoup parlé dans les médias : je veux parler du fait que M. Mitchell s’est arrêté en France pour faire le point sur le processus politique et sur le suivi de la Conférence de Paris. Or l’intitulé de cette conférence est conférence internationale des donateurs « pour l’État palestinien », et non « pour la création d’un État palestinien ». Nous avons continué à assurer le suivi de cette conférence et ce fut un succès ; je parle non seulement en termes financiers, sous l’angle de la récolte des fonds, mais également sur le plan politique. M. George Mitchell est venu nous encourager à poursuivre cet effort rendant ainsi hommage par sa présence à ce suivi de la Conférence de Paris.
Il a été décidé de réunir les experts autour du comité ad hoc, dirigé par nos amis norvégiens. Peut-être une autre Conférence de Paris sera-t-elle organisée en 2011, où avant si un certain nombre d’éléments politiques sont proposés.
Les conditions seront-elles réunies ? Je vous remercie d’avoir souligné que, pour jouer un rôle au Moyen-Orient, il faut être écouté de tous les côtés. Certaines positions excessives, comme celles que j’ai prises par le passé, ne sont pas productives. C’est un peu l’impression que j’ai ressentie au sortir de ma conversation avec George Mitchell. L’administration Obama se rend compte que tout peut se débloquer et que des mouvements ont eu lieu. Ils ont été salués, en particulier, par les représentants égyptiens : le ministre des affaires étrangères, M. Aboul Gheit et le général Suleiman se sont rendus à Washington pour y rencontrer George Mitchell et Hillary Clinton. Nous restons étroitement en contact avec eux depuis leur retour des États-Unis.
Aujourd’hui, M. George Mitchell a remarqué que les choses avançaient. Je crois ne pas trahir sa pensée en disant qu’il a constaté que le Premier ministre israélien, M. Netanyahou, avait décidé un moratoire, certes insuffisant, de dix mois sur la colonisation pour les territoires occupés à l’exclusion de Jérusalem. Cette proposition est connue des Palestiniens, qui peuvent, à leur tour, faire un mouvement.
Les représentants de l’Union, c’est-à-dire Mme Ashton, Tony Blair, au nom du Quartet, Miguel Moratinos, qui assure, au nom de l’Espagne, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, et moi-même avons tous répondu à M. Mitchell qu’il nous semblait possible que les Palestiniens acceptent, sinon les négociations, du moins le principe de rencontres. Nous avons également constaté que la carte proposée sous le gouvernement Olmert, en fin des discussions, après le processus d’Annapolis, était relativement satisfaisante pour les deux parties en termes de frontières. Je salue le sérieux et l’intensité avec lesquels nos amis palestiniens ont rencontré M. Olmert et Mme Tzipi Livni. Or, par rapport à cette période, nous avons régressé.
Si je voulais m’exprimer en termes beaucoup plus brutaux, beaucoup plus sommaires, je dirais que M. Mitchell proposait que nous nous mettions tous ensemble pour que les pourparlers reprennent. Mais nous n’avons jamais arrêté de dialoguer, nous l’avons fait en permanence, nous le faisons presque tous les jours ! Y a-t-il un espoir ? Bien sûr ! Tout le monde sait qu’il y aura deux États. Quand et au prix de combien de victimes encore ? Nous n’en savons rien, mais tout le monde sait que c’est la solution !
N’oublions pas que s’agissant des territoires, c’est-à-dire de la Cisjordanie, des progrès considérables ont été accomplis par les Palestiniens, sous la direction du Premier ministre Salam Fayyad. Souvenons-nous que deux cents projets au moins ont été menés à bien et qu’une liste complémentaire d’un nombre équivalent nous sera présentée dans quelques jours. J’ajoute que 50 % de l’argent de la Conférence de Paris, d’un montant finalement plus élevé que ce qui avait été prévu, sera dépensé à Gaza. De ce point de vue, la Conférence a été un succès sur le plan politique comme sur le plan économique.
Peut-on continuer ? Oui ! Comment ? Franchement, la réponse ne nous appartient pas. Je vous ai écoutés, j’ai entendu vos exigences élevées s’agissant de l’attitude de la France. Mais aucun pays n’a une attitude plus équilibrée, obstinée et profondément intangible que la France ! Je dis bien : aucun !
Vous avez dénoncé ou souligné le fait que les Américains ont quelque peu changé de position. C’est vrai : face à la réalité, du moins à la réalité telle qu’ils l’ont ressentie, ils ont changé de position.
Avons-nous changé de position ? Non ! Le moratoire, nous avons tous considéré qu’il s’agissait d’une avancée.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, au nom de la commission des affaires étrangères. Quelle avancée ?
M. Bernard Kouchner, ministre. George Mitchell a dit aujourd’hui que M. Netanyahou se situe désormais au centre de l’arène politique israélienne. Selon lui, le Premier ministre est non plus à droite, mais au centre. N’oublions pas que, d’après les derniers sondages, 70 % des Israéliens se prononcent en faveur de la création de deux États et que 57 % acceptent que Jérusalem soit la capitale de ces deux États.
Ne me cherchez pas querelle à propos du manque de cohésion de l’Union européenne. J’ai sous les yeux le texte de la position de l’Union européenne. (M. le ministre brandit le document.) Cette position a été arrêtée par les Vingt-Sept le 8 décembre dernier. (M. le ministre brandit de nouveau le document.) Pour parvenir à cette position unanime des Vingt-Sept, il fallait trouver une formulation, celle que le Président Nicolas Sarkozy a prononcée à Jérusalem et à Ramallah : « Jérusalem […] capitale des deux États ». Cela veut dire : Israël et l’État palestinien. C’est ainsi que nous avons eu l’unanimité dont nous n’étions, certes, pas très loin.
La présidence suédoise avait, quant à elle, proposé « Jérusalem-Est capitale de l’État de Palestine ». Notre formulation est assez simple et recouvre la même chose. Finissons-en avec cette mauvaise querelle ! Si vous voulez une position commune, sur le fond comme sur le calendrier, je vous invite à lire ce texte des Vingt-Sept. C’est le texte le plus avancé qu’on n’ait jamais eu !
Les vingt-sept États membres de l’Union européenne sont-ils d’accord sur tous les points ? Non ! C’est bien ce qui fait à la fois la difficulté et la réussite de ce texte de la présidence suédoise, accepté par tout le monde.
Voilà ! Franchement, en dehors de ce que nous avons constaté hier comme aujourd’hui, je veux parler de la bonne volonté témoignée par M. George Mitchell et de la solidité de son engagement, il y a également un mouvement du côté des pays arabes.
Merci d’avoir souligné que la France, qui n’a jamais rompu les relations avec la Syrie, a engagé le dialogue diplomatique et politique avec cette dernière, malgré les réserves de certains de nos plus proches partenaires. C’est non seulement une avancée, mais peut-être l’un des éléments de la stratégie de demain.
Tout ce qui pourra soustraire la Syrie à une influence de l’Iran que nous n’acceptons pas sera bénéfique pour la paix au Moyen-Orient. Merci de l’avoir constaté et reconnu !
Quant à notre reconnaissance éventuelle du Hamas comme interlocuteur, ne soyons pas plus palestiniens que les Palestiniens, qui n’y sont pas favorables ! Je vous sais gré de m’avoir rappelé que l’on peut y penser. Mais, pour le moment, cela fausserait complètement le jeu qui revient à la France, un jeu d’avancées et de propositions.
Est-il possible de convaincre le Président Abbas que c’est à lui de s’engager, alors qu’il n’est pas dans une bonne position face à ses amis arabes ? Je rappelle qu’il y a eu du côté arabe une initiative que nous avons saluée et que nous continuons de saluer, qui s’appelle l’initiative arabe de paix. N’oublions pas que cela aussi, nous l’avons fait.
Est-il possible de lui demander maintenant un geste de générosité analogue à celui qu’avait accepté Anouar El-Sadate ? Peut-être est-ce à lui de le faire parce que lui seul en est capable. Il faut, pour cela, beaucoup de fermeté, d’engagements, peut-être même écrits. Ils pourraient prendre la forme d’assurances, en tout cas de certitudes qu’on pourrait lui offrir et qui iraient – pourquoi pas ? – jusqu’à la reconnaissance de l’État palestinien le moment venu.
C’était en tout cas le souhait commun autour de M. George Mitchell. Il ne nous a pas apporté d’élément autre que cette nécessité d’agir ensemble, les États-Unis et l’Europe, l’Europe et les États-Unis, car il ne conçoit pas d’avancée, de progrès sur ce dossier sans cette indispensable unité entre les deux rives de l’Atlantique.
Le débat de ce soir, à l’occasion duquel nos rôles respectifs étaient interchangeables, était-il utile ? Certainement ! Je vous remercie de l’avoir mené avec des talents aussi divers que nettement perceptibles. Les quelques accusations contre la politique de notre pays qui ont émaillé notre débat, on ne les entend qu’ici, pas là-bas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat d’initiative sénatoriale.
Avant de lever la séance, je tiens à m’associer aux propos qui ont été tenus sur le courage de notre collègue Jean François-Poncet. Je veux, en notre nom à tous, l’assurer de notre souhait de parfait et total rétablissement.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 13 janvier 2010 :
À quatorze heures trente :
1. Désignation d’un membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de Mme Esther Sittler.
2. Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie (n° 223 rectifié, 2008-2009).
Rapport de M. Gilbert Barbier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 172, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 173, 2009-2010).
À vingt et une heures :
3. Débat d’initiative sénatoriale sur l’évaluation de la loi sur le service minimum dans les transports.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 13 janvier 2010, à zéro heure trente.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
Françoise Wiart