M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, réformer les retraites est un sacré travail, « la mère des batailles », comme vous le dites justement, monsieur le ministre.
Normalement, la réforme dite « Fillon » de 2003 avait réglé les choses jusqu’en 2012. Le Président de la République a décidé de s'attaquer à la question dès cette année, et ce avec raison. Plus le temps passe, plus les responsables de la Caisse nationale d'assurance vieillesse s’inquiètent de l’évolution du déficit : ce dernier, après avoir atteint 8,2 milliards d'euros en 2009, s’élèvera à 10,7 milliards cette année !
À ces montants records, il faut ajouter les pertes des régimes de retraites complémentaires des salariés du privé – AGIRC, Association générale des institutions de retraites des cadres, et ARRCO, Association des régimes de retraites complémentaires – qui seront dans le rouge en 2010, et celles du fonds de solidarité vieillesse.
Certes, l'incidence de la crise n'est à ce sujet pas négligeable. Quand les salaires stagnent et que le nombre de chômeurs s'accroît, les cotisations se réduisent mécaniquement. Mais le problème est aussi structurel.
Comme l’a très bien montré M. le rapporteur, les données sont connues : un déséquilibre grandissant entre le nombre d'actifs et de retraités, un allongement de l'espérance de vie et, en conséquence, de la période de la retraite.
À l'évidence, les mesures prises en 2003 seront insuffisantes pour faire face au papy-boom. Nous le savons, le rythme des départs reste élevé et, même si les pensions ne sont revalorisées qu’en fonction de l'inflation, la facture continuera de s'alourdir.
La France ne peut donc faire l'économie de nouvelles mesures pour équilibrer son système de retraites. Le rendez-vous de cette année est capital et ne doit pas se limiter à quelques aménagements des dispositions existantes.
Sauf à remettre complètement le système à plat, et à changer radicalement de logique – la capitalisation plutôt que la répartition –, la réforme ne peut jouer que sur quelques leviers : la durée de cotisation, l'âge de départ à la retraite, le montant des cotisations et celui des pensions. Les réformes de 1993 et de 2003 ont surtout joué sur le premier élément. Rien n’interdirait d’ailleurs de les combiner.
La conjoncture actuelle limite les marges de manœuvre, cela ne fait aucun doute. Il est néanmoins permis de réfléchir et d'espérer.
Une baisse du niveau des pensions, nous l’avons vu, n'est guère envisageable. Elle affaiblirait le pouvoir d'achat des retraités et bloquerait la machine économique. Elle se révélerait contre-productive à tous points de vue. Déjà, nous le constatons, les retraités sont nombreux à fréquenter les Restos du cœur, le Secours populaire ou le Secours catholique...
L'augmentation des cotisations serait sans doute un scénario efficace. Toutefois, une telle décision est délicate, dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà anormalement élevés et alors que la crise rogne le pouvoir d'achat des salariés.
Reste la solution de repousser l’âge de départ à la retraite. Jusqu'à présent, nous avons choisi d'allonger la durée minimale de cotisation nécessaire à la perception d’une pension à taux plein. En réalité, le rapporteur l’a également souligné, pour beaucoup de Français, une telle évolution repousse mécaniquement l'âge de départ à la retraite. L’entrée dans la vie active se faisant de plus en plus tard, il est en effet toujours plus difficile d'obtenir ses annuités à soixante ans.
Dès lors, allons au bout de la logique et reculons l'âge légal de la retraite. Nous touchons là, j’en suis conscient, à un symbole fort, objet de vives divergences entre les partenaires sociaux. Mais discutons-en sans tabou !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Ah !
M. Gilbert Barbier. Il ne s'agit pas de remettre en cause le droit de chacun à profiter de quelques années paisibles après une vie de labeur. Il convient d’être réaliste et cohérent devant l'écart grandissant entre la durée de la vie et la durée de l'activité professionnelle.
Certains de nos voisins européens ont fixé à soixante-cinq ans, voire à soixante-sept ans l'âge de départ à la retraite. La France se distingue déjà par la durée hebdomadaire de travail la plus courte. Aura-t-elle longtemps aussi la durée de la retraite la plus longue ? Les Français seraient-ils moins endurants, vivraient-ils moins vieux que les Allemands ou les Scandinaves ? J'en doute !
Cela dit, un tel choix suppose évidemment d’avancer préalablement sur l'emploi des seniors et la pénibilité au travail, objet de la présente discussion. En effet, toutes ces problématiques sont liées.
Or, avec un taux d'emploi des seniors de 39 %, contre 46 % en moyenne dans l'Union européenne, la France est à la traîne, et se situe en deçà des objectifs assignés par la stratégie de Lisbonne.
Durant des décennies, notre pays a exclu de l'emploi les salariés les plus âgés pour, soi-disant, laisser la place aux jeunes. Cette politique de partage du travail pouvait éventuellement se justifier il y a trente ans, compte tenu du contexte démographique et économique de l’époque, mais elle a laissé une culture délétère encore bien présente.
Le licenciement d'un senior est en effet trop souvent utilisé comme une préretraite déguisée, payée par l'assurance chômage. Il en résulte un échec sur tous les tableaux. Notre système de protection sociale est menacé, les entreprises se sont privées de salariés à l'expérience et aux compétences précieuses, le chômage des jeunes a continué de croître et les seniors n'ont souvent d'autre horizon qu'une retraite au rabais...
Le Gouvernement n'est certes pas resté inactif. Surcote plus incitative, assouplissement du cumul emploi-retraite, suppression des clauses « couperet » et des mises à la retraite d'office, ce sont là des mesures concrètes. De plus, vous avez souhaité mobiliser les entreprises afin qu’elles prennent leurs responsabilités. Ainsi, plus de 8 000 d’entre elles et quatre-vingts branches ont finalisé un accord ou un plan d'action en faveur du travail des plus de cinquante-cinq ans.
Soyons francs, nombre de ces systèmes ont été bâtis en urgence pour permettre aux entreprises d'échapper à la sanction financière applicable au 1er janvier. Il reste à démontrer qu'ils ne se limiteront pas à des déclarations d'intention mais auront, malgré un contexte défavorable, une réelle capacité à produire des résultats. Avez-vous, monsieur le ministre, des retours de l'enquête qualitative que vous avez lancée sur ce sujet ?
Quoi qu'il en soit, gardons-nous d'instaurer des quotas de seniors et de pénaliser les PME. D’ailleurs, le délai de trois mois accordé me paraît insuffisant pour leur permettre de régler ce problème.
Enfin, cette évolution attendue sur l'emploi des seniors ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la pénibilité au travail. Comment, en effet, maintenir un salarié âgé sur un poste de maintenance en chaudronnerie, un poste exposé aux intempéries ou supposant un port journalier de charges lourdes, comme dans le bâtiment et les travaux publics ?
La négociation interprofessionnelle sur la pénibilité, prévue par la réforme de 2003, s'est soldée par un échec. À vrai dire, cela ne m'étonne guère, car cette notion est difficile à appréhender tant les acceptions sont nombreuses et fragmentaires.
Qu’en est-il exactement ? S'agit-il d'un travail dangereux qui induit un risque professionnel particulier, d’un travail non dangereux source d’une fatigue préjudiciable à la santé ? S'agit-il d'une situation de travail dans laquelle l'intégrité physique ou mentale du travailleur serait altérée à plus ou moins longue échéance ?
Du fait de l'intensification des tâches, due notamment aux 35 heures, il faut bien le dire, mais aussi d'un management défaillant ou d'une organisation du travail inefficace, de nombreux salariés souffrent au travail. Le stress, le mal-être au travail seront-ils, demain, des critères de pénibilité ?
Le premier enjeu est donc bien de définir cette notion. C’est une tâche complexe, car la pénibilité met en jeu la perception par l’individu de son emploi. Le stress lié à de fortes contraintes de temps peut être bien vécu. De même, le travail de nuit peut être choisi. Il n'y a pas de correspondance évidente entre la pénibilité ressentie et la pénibilité effective.
En réalité, la définition de la pénibilité dépend de l'objectif visé. Si l’objectif est la prévention, tous les facteurs de risque ayant une incidence sur la santé des salariés doivent être pris en compte. Si l’objectif est la compensation, c’est le caractère durable, identifiable et irréversible des dégâts physiques ou psychiques qui ont pu intervenir pendant la durée du travail qu’il faut retenir. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que ce point a été abordé lors des négociations ? Quels ont été les facteurs de pénibilité retenus pour ouvrir le débat sur la compensation ?
Il s’agit là du deuxième enjeu et c’est sans doute celui qui cristallise les divergences.
Personnellement, je ne suis pas sûr de vouloir partager ces conceptions. La retraite anticipée peut se justifier pour certains cas, mais elle n'est pas la solution pour beaucoup d'autres. De surcroît, elle ne concerne pas les travailleurs non salariés, également susceptibles d’exercer des métiers pénibles : je pense en particulier aux agriculteurs.
Les personnes ayant acquis une certaine expérience peuvent travailler autrement. Il convient de ne pas négliger d'autres pistes, comme le reclassement, s'il est mis en œuvre avant que les effets sur la santé ne se manifestent ; le temps partiel peut également être une solution en fin de carrière.
Il faut aider les entreprises, notamment les PME, à mieux gérer les aspects les plus délétères du travail et à accompagner les carrières.
Ainsi, dans certains secteurs, les salariés pourraient être mis sur des postes « plus doux » dès l’âge de cinquante ans, comme cela se pratique en Europe du Nord. Il faut réfléchir aux incitations de carrière et cibler la formation professionnelle sur les transitions de carrière.
Oui, du point de vue de l’équité, on peut envisager des départs anticipés ou des retraites bonifiées pour ceux dont on sait qu’ils sont aujourd’hui prématurément usés. Mais cela ne doit pas devenir la règle. Pour l’avenir, l’accent doit être mis avant tout sur la prévention, par l’amélioration des contraintes techniques et des organisations du travail et sur la formation tout au long de la vie, qui est un élément capital pour envisager une seconde carrière ou un reclassement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Claude Jeannerot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2010 devrait constituer une nouvelle étape de régression pour l’avenir des retraites (M. le rapporteur s’exclame.), ce qui inquiète à juste titre les salariés de notre pays. En effet, ils connaissent la manière de procéder de la majorité : par touches successives, ça passe mieux !
Permettez-moi de faire un bref rappel.
Pour les salariés du privé, l’année 1993 fut celle du passage aux quarante annuités de cotisations, avec la prise en compte des vingt-cinq meilleures années et l’indexation des retraites sur les prix. Il en est résulté une baisse de 10 % à 15 % des pensions pour les carrières complètes et de 20 % à 25 % pour les carrières incomplètes.
D’ailleurs, un rapport du COR a mis en évidence le fait que les principales mesures d’économies provenaient pour 80 % de l’indexation des retraites sur les prix, le passage aux vingt-cinq meilleures années pesant pour 16 % et le passage aux quarante annuités pour 4 % seulement !
À l’époque déjà, l’allongement de la durée de cotisation n’était pas la mesure économiquement déterminante. Mais elle était emblématique et avait pour objet de faire croire à nos concitoyens qu’il n’y avait pas d’autre solution que de travailler encore plus longtemps pour sauver notre système de retraites par répartition.
En 2003, vous avez porté la durée de cotisation pour les fonctionnaires à quarante annuités, sous prétexte d’équité, en instaurant un mécanisme de décote et de surcote. Quant aux deux autres mesures présentées par le Gouvernement de l’époque comme mesures phare, le dispositif « longues carrières » et le rachat des années d’études, elles sont – force est de le constater – d’autant plus insuffisantes qu’elles ont été progressivement vidées de leur substance.
Aujourd’hui, malgré les réformes Balladur, Fillon et celle, plus récente, des régimes dits spéciaux, les comptes sociaux connaissent d’importantes difficultés financières.
En 2009, le déficit de la branche vieillesse a atteint 8,1 milliards d’euros, et il devrait atteindre 11,3 milliards d’euros en 2010. Et vous prenez prétexte de cette situation pour tenter d’imposer de nouvelles mesures sur les retraites et pour porter de nouveaux coups à notre système par répartition !
Les déclarations sur le sujet se multiplient, à commencer par celles du Président de la République ou celles du Premier ministre. Vos regards, comme ceux du patronat, convergent en direction de l’Allemagne, qui vient de porter l’âge légal de départ à la retraite à soixante-sept ans à partir de 2012. (M. le rapporteur s’exclame.)
Mais, dans le contexte économique actuel, marqué par l’explosion sans précédent du chômage, de la précarité, du temps partiel subi, avec ou sans revenu de solidarité active, le RSA, décider d’allonger la durée de cotisations ou de reculer l’âge de départ à la retraite est un non-sens, d’autant que les deux questions fondamentales que sont l’emploi des seniors et la pénibilité n’ont pas été résolues.
Il faudrait également évoquer, même si ce n’est pas l’objet de notre débat d’aujourd’hui, l’accès à l’emploi des jeunes. En effet, tout est lié.
En matière d’emploi des salariés âgés de cinquante-cinq ans à soixante-quatre ans, la France fait figure de dernière de la classe de l’Union européenne, avec seulement 38,2 % de salariés de cette tranche d’âge en activité.
Nous doutons fortement que le mécanisme instauré à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, prévoyant une sanction financière égale à 1 % de la masse salariale pour les entreprises n’ayant pas conclu d’accord sur l’emploi des seniors ou n’ayant pas mis en œuvre un plan d’action sur le sujet si les négociations ont échoué, soit de nature à apporter une réponse durable sur le sujet.
Aujourd’hui, selon le ministère du travail, 8 000 entreprises ont finalisé un tel dispositif. Mais, à y regarder de près, les accords sont rares. Dans les deux tiers des cas, ce sont des plans d’actions qui sont mis en œuvre. La loi, en ne modulant pas la sanction, constitue pour les employeurs une véritable invite à contourner les partenaires sociaux ! Et quand bien même les employeurs mettraient en œuvre leurs plans d’action, les conséquences sur l’emploi des seniors risqueraient d’être modestes.
Une enquête menée par le cabinet de conseil Mercuri Urval atteste que 80 % des employeurs sondés envisagent d’organiser la transmission des savoirs et le tutorat, alors qu’ils ne seraient que 20 % à avoir l’intention de mettre en place des mesures pour favoriser l’emploi immédiat de seniors.
Dans un tel contexte, envisager l’allongement de la durée de cotisations ou le recul de l’âge légal de départ apparaît comme une véritable provocation. Cela pénaliserait immanquablement les salariés qui ont commencé à travailler tôt, d’autant que le Gouvernement a encore durci les conditions d’accès au dispositif carrières longues, y compris à l’occasion des modifications apportées à la majoration de durée d’assurance.
De la même manière, nous ne pouvons que dénoncer la suppression progressive de la dispense de recherche d’emploi pour les salariés privés d’emploi approchant les soixante ans. C’est en fait tout un modèle économique, tourné vers la performance et le moindre coût du travail, qui incite les employeurs à se séparer des salariés supposés être moins productifs et coûter plus cher, à partir de cinquante-huit ans et huit mois, comme l’a souligné Dominique Leclerc.
Par ailleurs, au groupe CRC-SPG, nous considérons que le Gouvernement doit faire de la prise en compte de la pénibilité sa priorité pour 2010. Il est nécessaire de déconnecter les deux débats : il faut évoquer la pénibilité avant de parler de la réforme des retraites.
Les négociations sur la pénibilité au travail sont gelées depuis le 16 juillet dernier. Patronat et Gouvernement portent une lourde responsabilité dans cet échec. D’abord, le patronat a refusé pendant longtemps de reconnaître que le travail pouvait être nocif pour la santé des salariés, puis a refusé d’aborder les questions de l’accès à un dispositif de retraite anticipée, de la réparation et du financement. Et le Gouvernement a laissé s’enliser les négociations.
Si celles-ci n’ont pas débouché sur un accord, elles ont néanmoins permis la reconnaissance progressive d’une réalité : les conséquences potentiellement nocives du travail sur la santé des salariés. Aujourd’hui, nul ne peut plus nier cette réalité constatée scientifiquement : l’espérance de vie d’un ouvrier est en moyenne inférieure de sept ans à celle d’un cadre.
La pénibilité peut se classer en trois catégories.
La première catégorie correspond globalement aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Cela requiert un effort important de la part des employeurs pour adapter les conditions de travail et de la part des pouvoirs publics pour adapter les règles et les outils de prévention.
La deuxième catégorie est liée aux conditions mentales ou psychiques de réalisation de l’activité professionnelle, autrement dit le « stress ». La solution passe par une modification des conditions et des rythmes de travail. Je pense notamment aux cas de suicides.
La troisième catégorie, qui est malheureusement irréversible, est celle qui résulte de l’exposition du salarié pendant un temps et selon une intensité certaine à un facteur nocif pour sa santé. Le salarié dont l’espérance de vie est ainsi réduite doit pouvoir bénéficier d’une retraite anticipée. C’est sur cette véritable mesure de justice sociale que les négociations achoppent.
En effet, le patronat considère qu’il n’a pas à financer ce mécanisme, ce que nous contestons vivement, et entend conditionner ce départ anticipé à la retraite à l’approbation d’une commission médicale. Cette proposition aurait pour effet d’instaurer, selon l’expression de la CGT, « un mécanisme d’invalidité bis ».
Avec les organisations syndicales, nous refusons cette logique médicale. Nous considérons que la pénibilité et son appréciation doivent reposer sur la reconstitution de la carrière du salarié et sur la prise en compte de son exposition à des facteurs pouvant diminuer son espérance de vie. L’analyse de la commission médicale, qui est préconisée par le MEDEF, reviendrait à avancer de quelques mois à peine la retraite des salariés malades du travail. Ce serait rendre quasi inopérant ce dispositif.
Enfin, monsieur le ministre, le 10 juillet dernier, vous déclariez sur France Inter : « Plusieurs solutions sont envisageables. […] On peut envisager une capitalisation plus grande. » Le mot est lâché !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Et alors ?
M. Guy Fischer. Les salariés de notre pays savent que vous ferez tout pour substituer ce système individualiste et inégalitaire à notre système actuel, fondé au contraire sur la répartition et la solidarité entre les générations.
Cette annonce nous inquiète. Nous nous étions pris à espérer que votre majorité était enfin échaudée par la crise économique que nous venons de traverser. En effet, souvenons-nous, ce sont presque 2 000 milliards de dollars placés dans des fonds de pensions qui ont disparu en quelques mois !
Enfin, nous entendons rappeler notre opposition au remplacement de tous les régimes de base par un régime unique par points ou en « comptes notionnels ». Cela ferait basculer notre régime dit « à prestation définie » vers un régime « à cotisations définies », ce qui aboutirait inéluctablement, à plus ou moins brève échéance, à un véritable effondrement des retraites par répartition. C’est à cela que visent toutes vos hypothèses de réformes.
Pour notre part, nous considérons qu’une réorientation radicale des finances sociales permettrait le maintien de l’âge légal de départ à la retraite à soixante ans.
Comme nous en avons fait la démonstration à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, votre majorité organise chaque année un peu plus l’appauvrissement de notre système en refusant de taxer les revenus du capital, en refusant d’élargir l’assiette de cotisations et en favorisant les emplois précaires, véritables trappes à bas salaires pesant sur les salariés comme sur les comptes sociaux, alors même que la part de richesses produites dans les entreprises et consacrée aux dépenses salariales est passée de 72,8 % en 1970 à 66,2 % en 2000. Et vous continuez à autoriser les employeurs à s’exonérer des parts patronales de cotisations sociales : 30,7 milliards d’euros en 2008, selon les chiffres que vient de publier l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS.
La véritable cause du déficit est là, et la solution pour les retraites en dépend en grande partie.
Je voudrais vous rappeler nos quatre propositions : réformer l’assiette des cotisations sociales, créer une cotisation nouvelle sur les revenus financiers des entreprises et des institutions non financières, mobiliser tous les moyens en faveur de l’emploi des jeunes générations comme des seniors et, enfin, supprimer les exonérations de cotisations sociales, qui – nous venons de l’apprendre – ont progressé de 13,1 % en 2008.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, croyez-moi, la manière dont Mme la ministre de la santé et des sports traite le volet pénibilité du travail infirmier met un singulier coup de projecteur sur le rendez-vous de 2010 sur les retraites ! On accorde un avantage, mais, en contrepartie, l’âge de départ en retraite passe de cinquante-cinq à soixante ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quelle réforme sera décidée en 2010 ?
Au cours de la décennie qui vient de s’écouler, tous les responsables politiques, y compris au plus haut niveau, ont affirmé la nécessité de procéder à des réformes pour garantir l’avenir des retraites par répartition, qui est, selon leurs propres termes, l’expression de la solidarité entre les générations et, de ce fait, un facteur de cohésion sociale. Tous ont souligné que, pour être comprises et acceptées par les Français, ces réformes devaient faire l’objet d’une véritable concertation et qu’elles ne devaient pas opposer retraités et cotisants, secteur privé et secteur public et, au sein de celui-ci, les différents régimes. La Haute Assemblée est naturellement convaincue de cette nécessité.
De même, l’allongement de l’espérance de vie est la donnée fondamentale, permanente et structurante à partir de laquelle doit s’articuler toute notre réflexion. Contrairement à ce que l’on peut dire parfois, c’est un progrès considérable pour l’humanité.
Ainsi, loin de se limiter à un simple débat financier, la question des retraites relève d’un choix de société.
Par ailleurs, l’avenir des retraites constitue, comme l’ensemble des problèmes économiques et sociaux, une question vivante et mouvante pour laquelle il n’y a pas de solution définitive, et qui nécessite des adaptations progressives et successives en fonction des réalités du moment.
Si l’on veut éviter de privilégier les deux instruments immédiatement utilisables que sont la baisse du niveau des retraites et la hausse des prélèvements obligatoires, dans une réflexion qui ne peut dépasser dix ans, d’autres éléments doivent entrer en ligne de compte tels que l’emploi, l’augmentation des effectifs cotisants, la réduction du temps de travail, le taux de croissance et le partage de ses fruits, les politiques salariales, l’assiette des cotisations ou la place que notre société entend faire aux retraités.
En effet, après la période de formation et celle de l’activité professionnelle, vient de façon plus ou moins progressive, selon les situations individuelles, le temps de la « troisième vie ». Il permet aux aînés de jouer dans la société un rôle actif sur le plan social et économique.
Faut-il rappeler que 30 % des maires ont plus de soixante ans ou que les seniors ayant cessé leur activité professionnelle prennent une part souvent importante dans la vie de proximité ou au sein des associations et des syndicats ?
Dans une société où le temps fait souvent défaut aux actifs, les jeunes retraités soutiennent fréquemment leurs parents, notamment lorsque ces derniers sont confrontés au handicap, ainsi que, sur le plan financier, leurs enfants et leurs petits-enfants.
La fin de l’activité professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et sociale.
Renverser l’attitude à l’égard des fins de carrière afin de faire mieux coïncider cette interruption avec la durée allongée des cotisations nécessite une évolution des comportements des entreprises et des salariés, mais aussi une adaptation des dispositifs existants.
La cessation brutale et anticipée de l’activité constitue un gaspillage d’expérience et de savoir. Elle se traduit souvent par des problèmes de santé liés à la rupture des rythmes de vie acquis et à un sentiment d’inutilité sociale.
Il conviendrait de mettre en œuvre au sein des entreprises une politique nouvelle concertée et négociée de gestion des âges, notamment lors des deuxièmes parties de carrières professionnelles, lorsque les métiers sont éprouvants et ne peuvent être poursuivis au-delà de soixante ans.
Le problème des retraites et de leur avenir est un problème dont les enjeux sociaux et économiques sont considérables. Le choix fait il y a soixante ans d’un système fondé sur la répartition, nous le disons avec force, n’est pas négociable, car il a permis au plus grand nombre d’accéder, par une retraite décente, à la dignité dans cette troisième partie de la vie.
Quelles que soient les évolutions démographiques, dont personne ne néglige l’impact, ce sont l’emploi, la croissance, la répartition des richesses et, en fin de compte, la notion de politique économique et sociale qui déterminent la capacité de nos systèmes de retraite à tenir les engagements de ce contrat de solidarité entre les générations et qui permettent de maintenir, mes chers collègues, la cohésion de notre société. Il s’agit de facteurs importants à respecter si nous ne voulons pas, après la lutte des classes, connaître la lutte des générations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon collègue René Teulade vient d’intervenir sur les retraites. Je centrerai donc mon intervention sur l’emploi des seniors et sur la pénibilité.
Les statistiques du ministère du travail montrent que la situation de l’emploi des seniors est très dégradée dans notre pays. Le taux d’emploi des 55-64 ans avoisine 38 %, M. le rapporteur l’a rappelé, contre 45 % en moyenne européenne. Nous sommes donc loin de l’objectif de Lisbonne fixant à 50 % le taux d’emploi des seniors dès l’année 2010.
Avec la crise et ses conséquences sur l’emploi, la situation s’est encore dégradée. Or la France offre la particularité, dont nous n’avons pas à être fiers, de présenter un taux d’activité très bas des seniors et des jeunes.
Depuis le 1er janvier les entreprises d’au moins cinquante salariés non couvertes par un accord ou un plan d’action pour l’emploi des seniors se verront infliger une amende égale à 1 % de leur masse salariale.
M. Guy Fischer. Cela a été reporté !