6

Nomination d’un membre d’une commission

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que le groupe socialiste a présenté la candidature de M. François Marc pour remplacer M. Jean-Claude Peyronnet, démissionnaire, au sein de la commission des affaires européennes.

La présidence n’a reçu aucune opposition. En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. François Marc membre de la commission des affaires européennes.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2010

Adoption des conclusions modifiées du rapport d’une commission mixe paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2010 (n° 160)

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Article 2

M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a procédé, dans un esprit de grande loyauté, à l’examen des 105 articles restant en discussion du projet de loi de finances initiale pour 2010.

Cette commission mixte paritaire a duré huit heures. Malgré la difficulté des sujets abordés, sa tenue a été facilitée par la volonté de travailler ensemble et, j’ose l’affirmer, par la communauté de démarche et d’inspiration animant les deux commissions des finances, notamment les deux rapporteurs généraux.

À l’issue des délibérations, 67 articles ont été adoptés dans le texte du Sénat, 16 l’ont été dans une rédaction spécifique issue de la CMP, 9 ont été supprimés. En outre, 13 suppressions d’article décidées par le Sénat ont été confirmées.

Je traiterai d’abord très rapidement des articles « classiques », c’est-à-dire ne concernant pas la taxe professionnelle. En effet, la réforme de cette dernière fait figure de véritable loi dans la loi, tant il est rare, dans l’histoire de la Ve République, qu’une réforme fiscale de cette ampleur soit réalisée en loi de finances.

Je n’évoquerai pas les demandes de rapports, sur lesquelles nous nous sommes très largement accordés.

Parmi les dispositions de nature spécifique, ou très juridique, adoptées notamment sur l’initiative de notre excellent collègue Alain Lambert, je mentionnerai l’article 12 nonies, qui relève à quatre-vingts ans l’âge du donateur conditionnant l’exonération des droits de mutation à titre gratuit pour les dons exceptionnels en argent consentis aux petits-enfants, arrière-petits-enfants, petits-neveux et petites-nièces.

Le thème de l’environnement a donné lieu à de multiples ajustements, qu’il s’agisse de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, de la transposition de la directive sur les énergies renouvelables ou de diverses autres dispositions.

Le domaine des collectivités locales a fait l’objet de mesures substantielles. Ainsi a été reconduit pour 2010 le dispositif de remboursement anticipé par le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, le FCTVA, décidé par le Sénat dans le cadre du plan de relance.

La mesure la plus emblématique sur le plan politique a certainement été, messieurs les ministres, l’acceptation par la CMP du signal donné à l’article 43 bis, à savoir l’abaissement du plafonnement global des niches fiscales à 20 000 euros et 8 % des revenus. Néanmoins, le processus de boursouflure des niches continue de produire ses effets dans certains domaines, notamment en matière d’urbanisme et de logement. Adopté dans la rédaction de la CMP, le « verdissement » graduel de la réduction d’impôts Scellier prévu à l’article 44 a ainsi été ralenti, faute pour nous d’avoir pu convaincre nos collègues députés.

Sur l’ensemble de ces dispositions fiscales, j’évoquerai enfin un double motif de satisfaction : l’adoption dans la version du Sénat, d’une part, de l’article 45 bis, relatif au régime fiscal des indemnités temporaires d’accident du travail, qui comporte un abattement de 50 %, et, d’autre part, de l’article 5, relatif à la taxe carbone, ainsi rebaptisée « contribution carbone ».

S’agissant des crédits, l’Assemblée nationale a, de manière générale, soutenu nos positions, et nous avons trouvé une cote mal taillée pour inciter la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, à renégocier son implantation immobilière.

J’en viens maintenant à la taxe professionnelle, sous la forme d’un commentaire général.

Le Gouvernement estime utile de présenter une série d’amendements ; la commission a pu les examiner pendant la suspension de séance. De manière générale, même si leur grand nombre peut nous choquer, même si certaines rédactions ne nous semblent pas incontestables, les choix du Sénat nous paraissent respectés, au moins pour l’essentiel. Je me permettrai de détailler l’avis de la commission une fois que le ministre nous aura expliqué pourquoi il juge ces dispositions, souvent fort longues, véritablement nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP -- M. le président de la commission des finances applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de finances pour 2010 n’est pas un budget comme les autres, car il s’inscrit dans un cadre très particulier.

Circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles, perspectives de sortie de crise incertaines : tel est le contexte budgétaire de l’année 2010, qui présente de grandes similitudes avec le contexte d’exécution du budget de l’année 2009. À bien des égards, la politique budgétaire constitue une arme de lutte contre la crise ; c’est la marque de fabrique du projet de loi de finances pour 2010, comme ce fut déjà celle du précédent.

Le premier apport important de ce projet de budget, c’est la volonté de prolonger le plan de relance, de ne pas en briser la dynamique. Même si nous le faisons dans des proportions moindres qu’en 2009, nous maintenons l’effort, notamment en confortant le rôle privilégié des collectivités dans la relance grâce au maintien en 2010 de la mesure de remboursement anticipé du FCTVA.

La deuxième contribution majeure, c’est l’adoption de mesures fiscales de grande ampleur. Je pense bien évidemment à la réforme de la taxe professionnelle, sur laquelle je reviendrai lors de la présentation des amendements, mais aussi à la création de la taxe carbone ainsi qu’à une série d’ajustements fiscaux destinés à encourager les comportements écologiques, c’est-à-dire ceux qui vont dans le sens d’un développement durable : c’est le cas, notamment, de l’amorce de « verdissement » du dispositif Scellier. En la matière, le texte issu de la CMP me semble avoir atteint un bon équilibre.

Enfin, le troisième apport, c’est le maintien du cap de la maîtrise des dépenses. Cela vaut en tout premier lieu pour les dépenses de l’État, avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et la conduite d’une politique active de gestion des ressources humaines. Par ailleurs, l’effort sur les dépenses de fonctionnement se poursuit : celles-ci affichent une diminution de l’ordre de 1 % en valeur entre 2009 et 2010, grâce aux réformes structurelles engagées dans tous les ministères. Cet objectif s’inscrit au cœur de notre budget pour 2010.

Les relations entre l’État et les collectivités locales ont elles aussi besoin d’être simplifiées et clarifiées au fil du temps. Il faut éviter tout ce qui peut fâcher dans ce rapport complexe. Je me réjouis que nous ayons pu en débattre dans de bonnes conditions, et je souhaite que ce dialogue se poursuive.

J’en viens à la réforme de la taxe professionnelle.

L’objectif est de mettre pleinement en œuvre l’engagement du Président de la République de supprimer les impôts qui nuisent à la compétitivité économique nationale, dont la taxe professionnelle faisait partie. À compter du 1er janvier 2010, celle-ci sera en conséquence remplacée par un nouveau dispositif élaboré au cours de nos débats, qui furent particulièrement denses. Je souhaiterais à cette occasion saluer le travail colossal du Sénat sur la question.

En fin de compte, le texte que, je l’espère, vous allez adopter est largement issu des travaux de votre assemblée, même si certaines mesures d’ajustement demeurent nécessaires. Toutefois, n’oublions pas l’essentiel : il est le fruit d’un dialogue éminemment constructif entre l’Assemblée nationale, le Sénat et le Gouvernement. Une telle coopération est une première ! La collaboration entre l’exécutif et le pouvoir législatif a été parfaitement exemplaire. Le Gouvernement – je le reconnais, monsieur le rapporteur général – propose un grand nombre d’amendements. Toutefois, l’effet est avant tout optique : bien qu’ils aient dû être présentés individuellement pour des raisons de procédure, ces amendements peuvent être regroupés autour de quelques mesures, certes significatives, mais peu nombreuses.

Sur le volet de la réforme concernant les entreprises, le Gouvernement est totalement en phase avec le texte voté par la CMP, et les aménagements qu’il vous demande sont très limités.

Sur le volet concernant les finances locales, les modifications proposées par le Gouvernement sont un peu plus substantielles, j’en conviens, monsieur le rapporteur général. Pour autant, elles sont inspirées du même souci d’équilibre qui a guidé l’ensemble de vos travaux et ne remettent aucunement en cause l’architecture générale du texte voté par la CMP.

J’aurai l’occasion de revenir en détail sur les amendements. Je souhaitais cependant replacer dans son contexte le projet de budget pour 2010, car il ne se réduit pas à la suppression de la taxe professionnelle : il encadre surtout l’accompagnement de la reprise de l’économie française, dont la suppression de la taxe professionnelle est un élément.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie une fois encore du travail monumental que vous avez accompli à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2010. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de la discussion du projet de loi de finances pour 2010. Ce texte, adopté en commission mixte paritaire, présente finalement assez peu de différences avec la rédaction initiale et traduit bien les intentions affichées par le Gouvernement.

Les deux principales mesures prévues dans la rédaction d’origine ont en effet été validées. D’une part, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par une « contribution économique territoriale » consacrent le déclin de la participation des entreprises au financement des collectivités locales. Je précise que cette nouvelle contribution risque d’être aussi rapidement attaquée par le MEDEF que le fut la taxe professionnelle, dans la mesure où elle repose également sur la valeur ajoutée. D’autre part, la contribution carbone instaurée au motif de préserver l’environnement consiste en réalité à imposer aux ménages les plus modestes une nouvelle charge fiscale s’ajoutant aux nombreux droits indirects et taxes diverses qu’ils acquittent déjà à l’occasion de leur consommation quotidienne.

J’étudierai d’abord la question de la taxe professionnelle.

Cette réforme, appelons-la ainsi, a été voulue par le Président de la République. Comme nous l’avons déjà indiqué, elle permet aux sociétés de bénéficier d’un allégement d’impôts d’un montant de 11,7 milliards d’euros en 2010, et d’un peu plus de 7 milliards d’euros à compter de 2011.

La situation des entreprises de notre pays ne s’en trouvera pas fondamentalement changée. En effet, 11,7 milliards d’euros représentent moins d’un demi-point de produit intérieur brut marchand et à peine 3% des sommes qu’elles appellent chaque année auprès des banques. Nous a donc été présentée comme « réforme » une simple mesure de trésorerie qui ne permettra certainement pas de modifier durablement le comportement des entreprises à l’égard de la création d’emplois, de l’investissement ou du développement économique local. Mais nous le savons tous, puisque les allégements de la taxe professionnelle auxquels il fut procédé voilà quelques années – l’abattement de 16% des bases et la suppression de la part salaires – n’ont pas eu d’effets significatifs sur la vie économique. En revanche, la mesure augmentera le déficit de l’État de 11 milliards d’euros en 2010. Ce déficit est pourtant déjà particulièrement important puisqu’il s’élève à 117 milliards d’euros.

Par ailleurs, cette réforme prive les collectivités territoriales d’une ressource fiscale essentielle pour leurs politiques locales ainsi que pour leurs efforts d’investissement. Les entreprises avec lesquelles elles travaillent en pâtiront, en premier lieu dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Surtout, elle met à mal l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales, car elle place un certain nombre de départements ou de communes dans l’incapacité de répondre efficacement aux simples dépenses imposées par la loi.

Quant à la taxe carbone – devenue « contribution », puisque ce terme semble plus présentable que celui de « taxe » –, il s’agit bien, comme cela a été pointé au cours de la discussion, d’une TVA sociale repeinte en vert.

Qui, en effet, sera soumis à la contribution carbone ? D’abord, les ménages, pour leur consommation de chauffage et de carburant, c’est-à-dire pour deux aspects importants de la vie quotidienne de millions de familles dans notre pays. Ensuite, les collectivités locales, qui doivent chauffer les équipements tels que les piscines, les gymnases ou les écoles, ou simplement procéder à l’entretien des voies publiques.

En revanche, les entreprises échapperont au paiement de la contribution carbone au motif qu’elles sont pour la plupart redevables d’une taxe sur les quotas d’émission de dioxyde de carbone – dont elles sont pourtant exonérées jusqu’en 2013 ! Il est vrai toutefois que quelques efforts ont été accomplis pour que la contribution carbone ne grève pas trop le résultat comptable des entreprises agricoles, des marins-pêcheurs ou des transporteurs routiers.

En vérité, ce sont les ménages, qui sont pourtant loin d’être les premiers producteurs de gaz à effet de serre, qui régleront la plus grande partie de la nouvelle contribution.

Par ailleurs, si cette fiscalité, dite « écologique », est censée faire œuvre de pédagogie et encourager les changements de comportement, ses effets en ce domaine seront rapidement limités par la prise en compte des intérêts particuliers et par la volonté présidentielle de réduire coûte que coûte toute imposition, de quelque nature qu’elle soit, due par les entreprises.

Dans la France que nous propose le Président de la République, ce sont les plus modestes et les familles qui paient, au seul motif qu’ils sont les plus nombreux.

Dans cette France, ceux qui disposent des moyens financiers les plus importants ou des plus gros patrimoines, ou qui dirigent les entreprises les plus profitables, bénéficient de la mansuétude du Gouvernement. S’il fallait s’en convaincre, il suffirait de jeter un œil sur les quelques mesures ajoutées au texte du projet de loi initial lors de la discussion parlementaire !

Ainsi, il s’est trouvé une majorité de sénateurs pour voter l’assouplissement du régime des donations en numéraire pour les ménages les plus fortunés – désormais, permettez-moi de le rappeler, le montant non imposable des donations s’élève à 31 272 euros – et, dans le même temps, entériner la fiscalisation des indemnités journalières versées en cas d’accident du travail. D’un côté, un nouveau cadeau fiscal pour les fortunés, de l’autre, une nouvelle pilule amère pour les moins favorisés !

Ces quelques mesures pourraient évidemment suffire à justifier notre refus de voter le texte du projet de loi de finances pour 2010 élaboré par la commission mixte paritaire. Mais, au-delà, cette loi de finances consacre également la suppression de 36 000 emplois de fonctionnaires. Les choix sont clairs : il s’agit de réduire les services publics. Ainsi, nous avons pu constater hier que, à vos yeux, la prévention de la délinquance passe par le développement de la vidéo-surveillance et la réduction de la présence humaine au plus près des territoires, alors qu’il faudrait mobiliser toutes les forces éducatives. Cette réduction des moyens est durement ressentie sur le terrain, et la disparition de 16 000 emplois dans l’éducation nationale, au moment même où vous voulez créer des jardins d’éveil, traduit bien des choix de société que nous ne pouvons partager.

Remettre en cause l’intervention publique et l’accès du plus grand nombre, sur l’ensemble du territoire, aux services publics, c’est construire une France à deux vitesses.

Vous l’avez affirmé, la crise a été moins sensible en France qu’ailleurs en Europe. Pour autant, vous faites tout pour démanteler ce qui a permis ce résultat et conduit à ce constat : l’amortissement de la crise est dû non pas au plan de relance, mais, vous le savez bien, au modèle social issu de la Libération !

Le solde budgétaire global indique que, après avoir atteint 141 milliards d’euros en 2009, le déficit devrait normalement s’élever à 117 milliards d’euros en 2010. La rupture que nous avait annoncée le Président de la République, ce sont donc l’accroissement des inégalités sociales et l’explosion des déficits publics !

Nous estimons que la France doit renouer avec les principes fondateurs de notre République. La Constitution énonce très clairement que chacun doit contribuer à la charge publique selon ses capacités. Il convient donc de mener une profonde réforme fiscale, reposant sur le principe de l’égalité devant l’impôt. Cela suppose une véritable progressivité de l’impôt sur le revenu et la fin des privilèges et des systèmes dérogatoires ainsi que des cadeaux sans justification ni efficacité économiques. Tout cela est à réaliser au plus tôt, pour le bien même de notre pays. Les sénateurs du groupe CRC-SPG, à l’occasion de la discussion du projet de budget pour 2010, ont esquissé de nouvelles pistes pour définir cette nécessaire réforme fiscale.

À l’avenir, l’impôt devra être pensé comme un outil d’incitation et de développement économique. Ainsi, au lieu d’alléger, pour mieux la détruire, la contribution des entreprises à la vie locale, il aurait été plus efficace de réfléchir à son rééquilibrage. Le secteur bancaire, celui des assurances ou de la grande distribution, faiblement contributeurs comparés au secteur industriel, auraient également pu être sollicités. Taxer leurs actifs financiers, même modestement, aurait été un moyen d’exprimer notre refus de l’utilisation destructrice qu’ils font de la richesse financière, utilisation que la crise a mise au jour. Cela aurait également permis d’alléger le poids de la réforme sur le budget général de l’État et de rendre possible une véritable péréquation, alors qu’il n’y en a pas trace dans le projet de loi de finances.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous ne voterons pas le texte du projet de loi de finances pour 2010 tel qu’il est issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a consacré les inégalités que nous avions dénoncées lors de l’explication de vote sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2010, notamment la fiscalisation des indemnités des accidents du travail, et n’est pas revenue sur les choix fiscaux désastreux du quinquennat à mi-parcours.

Elle a néanmoins avalisé l’abaissement du plafond global des dépenses fiscales adopté par le Sénat sur l’initiative de la commission des finances. Cette mesure est symbolique et insuffisante, mais elle va dans le bon sens. Nous y reviendrons l’année prochaine !

M’exprimant au nom du groupe socialiste, je consacrerai mon intervention au sujet qui nous occupe principalement depuis trois mois : la suppression de la taxe professionnelle et ses conséquences.

Permettez-moi tout d’abord un simple constat : le Gouvernement est parvenu à ses fins, à savoir un allégement général de la fiscalité des entreprises financé pour partie, voire totalement, par le déficit. Alors que la commission mixte paritaire s’est réunie pendant plus de huit heures, le Gouvernement propose aujourd’hui une trentaine d’amendements concernant la suppression de la taxe professionnelle. Certes, nombre d’entre eux sont rédactionnels, même si, compte tenu de notre rythme de travail, il nous est difficile de les différencier d’amendements de coordination. Toutefois, plusieurs modifient fortement le dispositif adopté par la commission mixte paritaire.

Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ?

Premièrement, contrairement à ce que prévoyait le texte adopté par le Sénat, la commission mixte paritaire a choisi de plafonner la valeur ajoutée à 80 % du chiffre d’affaires des entreprises lorsque celui-ci est inférieur à 7,6 millions d’euros. Aujourd’hui, le Gouvernement nous soumet un amendement visant à plafonner également la valeur ajoutée des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 7,6 millions d’euros. Il revient ainsi sur une disposition adoptée par la commission mixte paritaire, et ce n’est pas anodin.

Autant le plafonnement peut se justifier pour les petites et moyennes entreprises – nous y étions d’ailleurs favorables –, autant il est difficilement défendable quand il s’agit des plus grandes. Le Gouvernement démontre ainsi l’efficacité du lobbying mené par le MEDEF, qui a su obtenir la réduction des charges fiscales qui pèsent sur les grandes entreprises. On voudrait faire de la France un paradis fiscal que l’on ne s’y prendrait pas autrement et, si j’en crois ce que j’ai pu lire ici ou là, les entreprises du CAC 40 ne se portent pas trop mal chez nous !

Deuxièmement, la commission mixte paritaire avait trouvé un compromis sur le taux de la taxe professionnelle pris en compte pour le calcul de la dotation de compensation en 2010 et l’avait fixé au taux de 2008 majoré de 1,2 %.

Le Gouvernement souhaite aujourd’hui revenir à une majoration de 1 %, seuil fixé par la majorité sénatoriale, confirmant ainsi sa volonté de sanctionner les collectivités qui ont dû augmenter leur taux d’imposition en 2009. L’adoption de son amendement entraînera pour celles-ci une perte de 50 millions d’euros et, plus grave encore, la compensation versée en 2010 ne sera pas totale : les collectivités perdront donc des recettes dès l’année prochaine. Qui plus est, cette année devant servir de référence pour les compensations futures, ainsi que Mme Lagarde nous l’a abondamment rappelé, la perte sera pérenne. Ce sera source de graves difficultés pour les collectivités territoriales.

Troisièmement, le Gouvernement revient également sur la décision du Sénat, actée par la commission mixte paritaire, de porter à 8 euros le tarif de l’imposition forfaitaire applicable aux éoliennes terrestres. Le tarif proposé, fixé à 2,913 euros, revient à diviser par cinq les recettes des collectivités territoriales et conforte, à l’inverse, le bénéfice attribué aux exploitants d’éoliennes, déjà largement avantagés grâce au tarif d’achat.

Monsieur le ministre, si la France souhaite réellement développer cette forme d’énergie et inciter les collectivités à accueillir ces installations en compensant les nuisances créées, il sera indispensable de revoir globalement la fiscalité pesant sur les éoliennes. C’est un travail auquel la commission pourrait s’atteler.

Quatrièmement, comme le Gouvernement l’avait annoncé – on ne peut pas lui reprocher d’avoir agi en traître ! –,…

M. Éric Woerth, ministre. Le Gouvernement n’agit jamais en traître !

Mme Nicole Bricq. … il propose de réintégrer à compter de 2013 le ticket modérateur à la charge des communes et des établissements publics de coopération intercommunale. Si la complexité du dispositif demeure, celui-ci ne marque pas moins la défiance de l’État envers la liberté de vote locale et confirme le bouclier économique érigé au profit des entreprises.

Cinquièmement, la commission mixte paritaire a réattribué aux communes le produit de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM. Pour autant, il ne s’agit pas d’un cadeau, puisque l’État se remboursera par un prélèvement sur la dotation de compensation ou sur la dotation globale de fonctionnement, la DGF. Par conséquent, le bénéfice de cette mesure est plus que limité.

Sixièmement, la commission mixte paritaire a retenu le principe de la territorialisation pour la répartition de la valeur ajoutée au profit des départements et des régions. C’est sans doute l’aspect le plus important du texte qu’elle a adopté, car il s’agit là d’un principe essentiel de la décentralisation.

Les parlementaires socialistes se sont prononcés en faveur de cette territorialisation, et j’en expliquerai brièvement les raisons.

La répartition macroéconomique, outre son risque d’inconstitutionnalité, contrevient au principe de décentralisation que nous défendons et, contrairement à ce qui a pu être affirmé, ne permet pas la péréquation telle que nous l’entendons, c’est-à-dire l’exercice de la solidarité dans le respect de la liberté locale. Or, dans l’esprit du Gouvernement, il s’agit de pallier par un « hold-up » sur l’impôt économique des collectivités territoriales la sous-compensation par l’État des compétences transférées lors de l’acte II de la décentralisation, que nous jugeons raté.

Telle que le Sénat l’avait définie, la répartition macroéconomique, loin de permettre une véritable péréquation, aggravait encore la situation de faiblesse et de dépendance des collectivités face à l’État puisque, c’est clairement ressorti de nos débats, les critères pris en compte dans le fameux « quatre-quarts » étaient contestés avant même d’être adoptés et auraient pu être modifiés tous les ans. En matière de stabilité et de lisibilité, les collectivités n’y trouvaient pas du tout leur compte !

Nous défendons une décentralisation aboutie, conjuguée à de véritables mécanismes de péréquation. Or, ce qu’il nous était proposé d’avaliser, c’était la transformation de l’impôt local en une dotation fiscale.

Un fort dispositif de péréquation entre collectivités doit être mis en œuvre. Il faut laisser aux élus locaux – c’est cela, la décentralisation ! – la liberté et la responsabilité de leurs choix économiques sur leur territoire et les intéresser au dynamisme qu’elles engendrent. Ce n’est qu’a posteriori, et parce que certains territoires sont confrontés à des charges particulières ou à une faible activité économique, qu’il faut prévoir un système de prélèvement sur les collectivités riches permettant d’aider celles qui sont en difficulté.

Le Gouvernement nous propose, par amendement, de réintégrer les deux fonds de péréquation de la cotisation de la valeur ajoutée au profit des régions et des départements, adoptés sur l’initiative des députés. Peut-être s’agit-il là d’une mesure positive, mais, dans la mesure où nous ne disposons à ce jour d’aucune simulation ni sur le dynamisme des nouveaux impôts ni sur le fonctionnement de ces fonds, il est très difficile de se prononcer maintenant sur l’efficacité d’un tel mécanisme. La clause de revoyure, si chère à la majorité sénatoriale, permettra – nous y veillerons avec un soin tout particulier ! – d’engager une réflexion objective sur ce sujet.

Le Gouvernement propose également d’en revenir partiellement au fameux « quatre-quarts » en créant deux autres fonds de péréquation. Au demeurant, ceux-ci ayant la même appellation que les deux précédents fonds, la lisibilité du texte n’en sera pas facilitée !

Ainsi, les collectivités seraient prélevées d’un quart du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée, prélèvement destiné à être réparti en fonction de trois critères : population, superficie et effectifs scolaires pour les régions ; population, bénéficiaires de minima sociaux ainsi que de l’allocation personnalisée d’autonomie et longueur de la voirie pour les départements. Le « quatre-quarts » deviendra donc un « quatre-douzièmes » !