M. Richard Yung. Ah !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. À mon tour, je commencerai par remercier le Président de la République, Nicolas Sarkozy, qui me permet d’être avec vous cet après-midi…
Dans ce haut lieu du bicamérisme, entendre parler de « vote conforme » me surprend toujours. Est-ce à dire que l’une des deux chambres serait inutile, ou que la révision du découpage des circonscriptions législatives d’importance politique majeure pour le pays ne nous intéresserait pas ? Ainsi, tout le monde serait touché, sauf les sénateurs ? Alors même que cette révision aura une influence certaine sur le redécoupage des cantons induit par le projet de réforme des institutions territoriales – les limites des nouvelles circonscriptions devront en effet être respectées –, cela ne nous concernerait pas ? Étrange conception du bicamérisme, curieuse façon de représenter les collectivités locales de la République ! À l’évidence, en matière de charcuterie politique, ce que le Gouvernement veut, la majorité sénatoriale le veut aussi !
Connaissant par avance les réponses, j’abandonnerai ce terrain du politicien pour celui, en principe plus favorable au débat, de la représentation des unités de vie réelle de notre territoire, tout particulièrement de l’intercommunalité à fiscalité propre, dont on s’accorde unanimement à reconnaître l’importance ; il me semble d’ailleurs que vous nous proposerez bientôt d’en renforcer le rôle, monsieur le secrétaire d’État.
Le présent découpage – on nous l’a rappelé – a été soumis à l’avis de la commission « indépendante » prévue à l’article 25 de la Constitution. À l’occasion de son audition par la commission des lois du Sénat, j’ai demandé à son président, Yves Guéna, s’il s’attacherait à tenir compte des réalités politico-administratives qui structurent les territoires, en particulier des bassins de vie et de l’émergence récente des intercommunalités. Il m’a répondu que, « dans la mesure du possible, il ferait en sorte que les circonscriptions soient en lien avec les territoires, notamment pour éviter de disséquer les intercommunalités lorsqu’elles ont une vie réelle et n’ont pas une dimension disproportionnée qui impliquerait de les découper pour respecter l’équilibre démographique, règle première s’imposant à la commission ».
À en juger les résultats, Yves Guéna et la commission qu’il préside sont tellement indépendants qu’ils le sont même à l’égard de ce qu’ils pensent être juste et pertinent !
L’exemple du Var, dont la croissance démographique justifiait la création d’une circonscription supplémentaire, en est l’illustration caricaturale. Sans se fatiguer, on a fabriqué celle-ci avec des bouts du territoire de trois anciennes circonscriptions… Résultat : on obtient une huitième circonscription résiduelle, qui couvre tout le nord du département, des Alpes-Maritimes aux Bouches-du-Rhône, soit environ 40 % de son territoire. Pour la parcourir d’est en ouest, vous avez le choix entre descendre le Verdon en kayak ou faire deux heures à deux heures et demie de route, suivant les chemins que vous emprunterez… Je regrette de ne pas pouvoir vous montrer une carte, mes chers collègues ! C’est un pur chef-d’œuvre de tératologie ou, plus probablement, de « je-m’en-foutisme » administratif, car, en l’espèce, il n’y avait aucun enjeu politicien. En effet, même M. Marleix aurait du mal à fabriquer dans le Var une circonscription naturellement favorable à la gauche ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
Un autre découpage, à la fois respectueux du principe constitutionnel d’égalité du suffrage et représentatif des bassins de vie et des intercommunalités, était possible ; je vous en présenterai les contours tout à l’heure.
J’ai proposé ce système au préfet ; je m’en suis également ouvert auprès de votre cabinet. Mais comme ces démarches n’ont servi à rien – ceux qui n’ont pas jugé nécessaire de se déplacer ont probablement gagné du temps ! –, je soumettrai un amendement à votre approbation, mes chers collègues.
Il est plaisant, comme vous l’avez fait tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, de se voir objecter que les limites de ces intercommunalités sont variables, alors que les cantons actuels, en principe immuables, seront tous remaniés dans quelques mois.
Il est également plaisant d’entendre que tenir compte des intercommunalités reviendrait à confier le découpage électoral aux préfets. Comme si ce n’était pas déjà largement le cas ; je suis bien placé pour le savoir !
M. Pierre-Yves Collombat. Très franchement, si le Sénat s’inscrit aux abonnés absents sur des questions aussi simples, dont la solution s’impose avec autant d’évidence, je ne vois vraiment pas à quoi nous servons, si ce n’est peut-être à meubler les après-midi d’hiver… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai l’impression de vivre l’un de ces moments dont on pourra dire, plus tard, non sans fierté : « j’étais là ! ». Vous allez peut-être penser que j’exagère quelque peu l’importance de ce texte, ou du moins l’apport considérable qu’il représente pour la démocratie. Il n’en est rien : les Français de l’étranger vont entrer à l’Assemblée nationale, ce qu’ils demandent depuis qu’elle existe.
Aujourd’hui, enfin, nous allons discuter et, je l’espère, adopter un texte qui va permettre aux deux millions de Français dispersés à travers le monde d’être considérés comme des Français à part entière, ainsi que le disait tout à l’heure mon collègue Richard Yung.
Il y avait, jusque-là, un paradoxe injuste : être Français, tout en perdant le droit de participer à la vie politique du pays au sein d’un système bicaméral.
Les circonstances d’une époque aujourd’hui révolue, et sur lesquelles il serait trop long de revenir, avaient imposé ce compromis : le Sénat, mais pas l’Assemblée nationale. Le Président de la République a pris une décision que je n’hésite pas à qualifier de courageuse. Personne n’avait osé la prendre avant lui, même si beaucoup l’avaient promis.
Certains ne manquent pas d’affirmer que cette réforme serait dictée par des calculs, des considérations politiques. Il est regrettable de voir le mal par principe (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.), au lieu, pour une fois, de se demander si cette réforme ne sert pas l’intérêt général, tout simplement. Car tel est bien le cas !
On s’indigne aujourd’hui de voir onze sièges attribués aux Français de l’étranger. « C’est normal, ils votent à droite ! », entend-on jusque dans cet hémicycle… Ces vieilles caricatures ont toujours desservi les Français de l’étranger. Il faut rappeler qu’à l’étranger le score de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle n’a été que de 53,99 %, alors qu’il a été de 55,75 % en Lozère ; Jacques Blanc pourrait le confirmer. Pourtant, ce département perd un siège.
Je peux vous affirmer, mes chers collègues, qu’il est impossible de prévoir les résultats du futur scrutin, dans la mesure où jamais aucun équivalent d’élections législatives n’a jusqu’à présent été organisé à l’étranger. Je le répète : on ne sait pas ce qui se passera en 2012, et ce ne sont pas des calculs électoraux qui ouvrent les portes de l’Assemblée nationale.
Ne soyons pas simplistes : cette réforme est bonne et juste. Si elle est douloureuse pour certains, c’est simplement parce que les députés ont choisi de limiter le nombre de sièges dans leur assemblée. C’est cette limite constitutionnelle – je me souviens très bien que vous n’étiez pas convaincus de sa pertinence, mes chers collègues – qu’il faut éventuellement critiquer, pas la création des députés des Français de l’étranger.
Quant au découpage des onze circonscriptions, il est équilibré, dans toute la mesure du possible.
Il est facile de critiquer, moins facile de faire. J’ai moi-même, comme certains de mes collègues, tenté de découper le monde en onze circonscriptions, qui toutes respecteraient les multiples critères du Conseil constitutionnel. Je vous assure que c’est difficile, très difficile.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est même impossible !
M. Robert del Picchia. Ainsi, prenons l’exemple de la circonscription « Asie » : les Français qui résident dans cette région si particulière doivent assurément être représentés par un député. Mais ils ne sont que 74 000. On y a donc ajouté la Russie, mais les Français y sont peu nombreux, à peine plus de 5 000. La circonscription est déjà tellement étendue qu’il est difficile de repousser encore ses frontières. On demeure donc sous le seuil fatidique des 85 000, c’est-à-dire hors des clous constitutionnels. Mais on ne peut tout simplement pas faire autrement. Cet exemple illustre le casse-tête que vous avez réussi à démêler, monsieur le secrétaire d’État.
Les exigences constitutionnelles doivent être légèrement adaptées à la représentation des Français de l’étranger : telle est la leçon que j’ai tirée de mes pénibles tentatives de découpage, et le Conseil constitutionnel le reconnaît.
Nos compatriotes à l’étranger sont en effet nombreux, très éparpillés, et vivent des choses très différentes, avec des difficultés propres à chaque région. Il faut donc adoucir les critères pour tenir compte, notamment, de la réalité des conflits – par exemple au Proche-Orient –, de la réalité vécue par les Français – je pense aux États-Unis –, et de la mobilité internationale, qui s’accélère en Asie
Il faut éviter au maximum que les Français résidant en Israël ne votent avec le Liban et l’Iran, à cause des conflits que l’on connaît.
Il faut une circonscription asiatique, pour anticiper sur les chiffres de la présence française de demain.
Il faut que les Français résidant aux États-Unis soient représentés par le même député, même si le plafond est alors légèrement dépassé.
Mes chers collègues, certains proposent de surseoir au découpage. Je m’oppose à cette idée. Certes, ce découpage est perfectible. Mais laissons-le vivre, évoluer, et nous l’adapterons,…
M. Jean-Marc Todeschini. Comme pour la taxe professionnelle !
M. Robert del Picchia. …forts d’une expérience électorale qui doit impérativement avoir lieu en 2012. Mieux vaut nous frotter au réel que de noyer cette réforme dans des tableaux de chiffres.
Ce que nous voulons avant tout, c’est être comme les autres. Nous allons enfin y arriver ; il était temps !
C’est pourquoi je remercie M. le secrétaire d’État et son équipe, qui ont bien voulu collaborer avec nous, tout au long du processus. Je remercie également ceux de nos collègues qui voteront cette réforme. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer ma courte intervention par, une fois n’est pas coutume, des félicitations et des remerciements, en ce moment particulièrement solennel, historique, même, pour les Français établis hors de France.
Remerciements et félicitations aux députés, qui ont compris que le sens de l’intérêt général voulait, à la fois, que l’on n’augmente pas leur nombre, en instaurant un plafonnement à 577, mais aussi qu’on laisse une place à des élus pour ces 2,3 millions Français de l’étranger, qui portent haut les couleurs de notre pays et se battent au quotidien pour le renforcement de notre influence et la promotion de nos intérêts, notamment en matière économique, culturelle et scientifique.
Remerciements aussi, et surtout, au Président de la République, pour avoir compris qu’il importait que nos compatriotes, parce qu’ils sont partie intégrante de la nation, soient eux aussi représentés à l’Assemblée nationale, et pour ne pas avoir hésité à proposer, avec beaucoup de courage, un changement de la Constitution en ce sens.
Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire voilà une dizaine d’années, cette non-représentation des Français de l’étranger était inacceptable parce qu’elle enfreignait les principes d’égalité et d’indivisibilité de la nation, principes intangibles depuis 1791, qui prohibent toute discrimination en fonction de l’attache territoriale lors de la désignation des représentants de la souveraineté nationale.
Certes, les Français de l’étranger ont été représentés au Conseil de la République dès 1946, et le général de Gaulle avait tenu à ce que cette représentation au Sénat figure expressément dans la Constitution de 1958. Mais rien ne pouvait remplacer à leurs yeux une représentation dans les deux assemblées.
Remerciements à vous, monsieur le secrétaire d’État, et à vos équipes, pour avoir su nous associer, sénateurs et représentants d’associations, au processus de consultation, de réflexion et de décision relatif à la définition des circonscriptions et à l’élaboration des modalités d’élection.
Je ne reviendrai pas sur notre déception de voir une seule circonscription, la onzième, englober près de la moitié du monde, de la Russie à l’Australie, en passant par la Chine et l’Inde. Je sais bien qu’il s’agit d’un impératif du Conseil constitutionnel, découlant d’un critère démographique. Je regrette toutefois qu’il soit basé sur les statistiques du 1er janvier 2006, car, depuis lors, nos compatriotes se sont établis en nombre croissant dans cette région du monde, et nous devons les y encourager.
Merci aussi d’avoir accepté que nous continuions à travailler ensemble au sein d’un groupe de travail appelé à préparer les décrets d’application. Mais je voudrais à nouveau vous exhorter, monsieur le secrétaire d’État, à la plus grande vigilance en ce qui concerne la préparation de ces élections législatives, afin que tout soit mis en œuvre pour que les Français de l’étranger puissent participer en nombre à ces élections.
Vous le savez, le fléau de l’abstention sévit aussi, hélas ! chez les Français de l’étranger. Les raisons en sont nombreuses, et je voudrais en particulier citer l’interdiction, jusqu’à une date très récente, de toute propagande électorale, y compris au sein de l’Union européenne, mais aussi des listes électorales consulaires mal tenues et, surtout, l’éloignement des centres de vote.
J’aimerais également rappeler que les chiffres de l’abstention sont artificiellement et mécaniquement gonflés par cette mauvaise tenue des listes électorales. En effet, nombre d’électeurs se trouvent encore inscrits sur les listes alors qu’ils ont quitté la circonscription, parfois depuis de nombreuses années.
Quel serait le taux de participation si les électeurs de Marseille ou de Bordeaux devaient se rendre à Paris deux fois, à quinze jours d’intervalle, pour voter ? Le vote par procuration ne peut être une solution, d’une part, parce que beaucoup considèrent qu’une telle procédure ne respecte pas le secret du vote et, d’autre part, parce qu’il nécessite des déplacements parfois longs et coûteux.
Dans une proposition de loi, déposée en 2007 et cosignée avec six de mes collègues, MM Cantegrit, Cointat, Duvernois, Ferrand, Guerry et Mme Kammermann, nous demandions le rétablissement du vote par correspondance, aboli en 1975, pour toutes les élections à l’étranger, qui n’est actuellement applicable qu’à celles à l’AFE. Une autre proposition de loi, déposée le 15 mai 2009, cosignée également par six sénateurs des Français établis hors de France, tend à autoriser la propagande électorale – indispensable pour obtenir un meilleur taux de participation – pour les élections à l’étranger.
Il serait par ailleurs nécessaire de mettre en place des campagnes d’information et de communication pour compenser l’éloignement de nos compatriotes vivant hors de l’Hexagone, qui souffrent d’un déficit d’information.
Les moyens adéquats doivent être mis en place par la loi, comme cela m’avait été rappelé lorsque j’avais protesté il y a une dizaine d’années auprès des services d’information du Premier ministre : à l’époque, les élections prudhommales bénéficiaient d’une campagne d’information télévisée dont le coût était supérieur à 1,7 million d’euros, hors achats d’espace, alors que les élections de l’Assemblée des Français de l’étranger n’avaient, quant à elles, même pas obtenu une seule ligne d’annonce dans la presse nationale.
Monsieur le secrétaire d’État, les Français de l’étranger sont privés de toute possibilité de vote et, a fortiori, de représentation au Parlement européen depuis la régionalisation de 2003. Je voudrais vous exhorter à veiller à ce qu’ils puissent, en cohérence avec la réforme constitutionnelle du 21 juillet 2008, être aussi représentés à l’échelle européenne avec la création d’une circonscription spécifique demandée par l’Assemblée des Français de l’étranger depuis 1993 et donc la possibilité pour eux de voter depuis leur pays de résidence.
J’aurais souhaité que les deux postes offerts à la France à la suite de l’adoption du traité de Lisbonne leur reviennent. Il n’en a pas été décidé ainsi, et je le regrette.
Nous comptons toutefois sur votre soutien pour que les Français de l’étranger puissent enfin, en 2014, apporter au Parlement européen, qui en a grand besoin, l’éclairage de leur expérience et de leurs compétences propres en matière internationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bécot.
M. Michel Bécot. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous faire part du mécontentement des Deux-Sévriens au sujet de ce texte qui engage l’avenir de nos territoires pour de nombreuses années.
Mme Nathalie Goulet. Ah oui !
M. Michel Bécot. Afin de tenir compte de l’évolution démographique du territoire français, un redécoupage du département des Deux-Sèvres est nécessaire. Toutefois, la décision arrêtée par les conseils des ministres des 29 juillet et 6 août 2009 a surpris les habitants de ce département puisqu’elle conduit à l’éclatement de la circonscription de Gâtine sur les trois circonscriptions restantes.
Un tel redécoupage fait totalement abstraction de l’histoire, de la géographie et de la culture de nos territoires et heurte profondément le sentiment identitaire qui anime les habitants de la Gâtine.
Cette proposition de redécoupage épargne intégralement l’ex-circonscription de Mme Royal. À partir de là, il vous a fallu recomposer les autres circonscriptions et aboutir, par voie de conséquence, à des solutions inexplicables.
Le redécoupage opéré dans les Deux-Sèvres est avant tout une incohérence géographique. Des cantons qui sont actuellement membres de la communauté d’agglomération de Niort seront rattachés à la circonscription de Parthenay, distante de presque 70 kilomètres, alors qu’ils sont plus proches de la circonscription de Niort. Quant aux cantons de Mazières et de Secondigny, qui sont situés à proximité de Parthenay et jouxtent mon canton, situé dans le nord du département, ils seront rattachés à la circonscription de Niort, distante de 50 kilomètres.
Ce redécoupage est également une incohérence historique puisque, selon l’histoire politique du département des Deux-Sèvres, quels qu’aient été les précédents découpages, les cantons de Mazières, Secondigny, Champdeniers et Coulonges ont toujours été rattachés à la circonscription de Parthenay.
Ce redécoupage présente aussi une incohérence administrative, car le pays de Gâtine, qui correspond à l’actuelle troisième circonscription, a derrière lui plus de trente années d’histoire de solidarité. Quelle logique à répartir ses dix cantons sur les trois futures circonscriptions ? Quelle logique à mobiliser trois députés sur un même territoire ? Quelle logique à faire éclater les votes des électeurs sur trois circonscriptions ?
Mais, surtout, ce redécoupage est une incohérence humaine. Comment expliquer que les cantons de Mazières et de Secondigny, au cœur de la Gâtine, situés à quelques kilomètres du bassin d’emploi de Parthenay, puissent être rattachés au bassin de vie niortais ?
Comment expliquer que des cantons de Gâtine soient rattachés au Marais, alors que les cantons du Marais – Mauzé, Frontenay, Beauvoir – font partie du bassin de vie de Niort et se trouvent insérés dans la Gâtine ?
Une solution simple consistait à rattacher les cantons membres de la communauté d’agglomération de Niort à la circonscription de Niort, chef-lieu du département, et à laisser les cantons ruraux de la Gâtine dans la circonscription de Parthenay. C’est d’ailleurs ce que nous, parlementaires, avions préconisé lorsque nous avions été consultés sur le sujet, mais il n’a visiblement pas été tenu compte de notre avis. Nous proposions de revenir au découpage d’avant 1986 en rognant sur les frontières pour répartir au mieux la population.
L’analyse que je viens de vous présenter est partagée par un très grand nombre d’élus et d’habitants des Deux-Sèvres. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas manqué de se mobiliser et d’exprimer leur désapprobation lors d’un rassemblement organisé le 25 septembre dernier, qui a réuni un grand nombre d’élus, entre quatre-vingts et cent maires.
Aussi, vous le comprendrez, monsieur le secrétaire d’État, je ne peux voter ce projet de loi ratifiant un redécoupage de notre département qui ne respecte ni l’histoire, ni la géographie, ni la sociologie de nos territoires.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Bel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 3.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, ratifiant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés (n° 116, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Virginie Klès, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Virginie Klès, auteur de la motion. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui est essentiel et ne saurait se satisfaire d’interventions, ou de non-interventions, d’ailleurs, « traditionnelles ».
Monsieur le président de la commission des lois, vous nous avez demandé, au titre de cette grande tradition, de ne pas intervenir dans un débat qui concernerait uniquement les députés.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’ai indiqué que c’était tout à fait justifié !
Mme Virginie Klès. Comment pouvez-vous ne pas voir que, loin de ne concerner que les députés, le texte qui nous est soumis remet en cause les fondements du suffrage universel ? C’est pourquoi les parlementaires, tous les parlementaires, qui représentent la République et émanent de celui-ci, doivent y prendre part.
Il est vrai que, depuis 1999, le Conseil constitutionnel n’a cessé de rappeler l’obligation de corriger les écarts démographiques apparus entre les circonscriptions depuis 1986. Nous souscrivons à la nécessité de redélimiter les circonscriptions pour y parvenir. Mais le résultat auquel aboutit le projet que vous nous proposez et la méthode utilisée sont inacceptables en raison de l’iniquité qu’ils produisent.
La Commission de Venise du Conseil de l’Europe a, dans son code de bonne conduite en matière électorale, ratifié par l’Assemblée parlementaire en 2003, fait de la question du critère de l’égalité démographique l’une des conditions du suffrage égal.
Le point 2-2 de ce code souligne, en particulier, que l’écart maximal admissible entre les circonscriptions ne devrait pas dépasser 10 %, et en tout cas 15 %, sauf circonstance spéciale et motivée par l’intérêt général. Il me semble que vous oubliez assez fréquemment ces deux conditions. Il est également précisé qu’un nouveau redécoupage « doit tenir compte d’un avis exprimé par une commission, comprenant en majorité des membres indépendants, et de préférence un géographe, un sociologue et une représentation équilibrée des partis ».
Nous sommes bien éloignés de ces recommandations avec le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 qui est soumis à notre examen aujourd’hui, dont les règles d’or sont opacité, complexité et partialité.
Nous ne partageons pas l’optimisme ou l’aveuglement bienveillant de M. le rapporteur quant au caractère constitutionnel de cette ordonnance. Certes, elle est peut-être conforme à la loi d’habilitation du 13 janvier 2009 qui a mis en place des critères précis pour orienter l’action du pouvoir exécutif. Mais, et c’est bien là tout le problème, ces critères ne sont pas satisfaisants au regard du principe d’égalité et de sincérité du suffrage universel, et nous allons le démontrer.
Nous entendons soumettre ce texte au Conseil constitutionnel pour lui permettre d’affiner sa jurisprudence et de sanctionner un parti pris manifeste qui sert les intérêts exclusifs d’une partie de la représentation nationale ; je veux bien évidemment parler de l’UMP et uniquement de ce parti,…
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Pas dans les Deux-Sèvres, Michel Bécot vient de dire le contraire !
Mme Virginie Klès. …le Nouveau Centre semblant avoir été défavorisé au terme des redécoupages et attributions de sièges envisagés.
Ainsi, nous le redisons, selon la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » et le suffrage « est toujours universel, égal et secret ».
Il est évidemment nécessaire d’organiser le redécoupage des circonscriptions, mais pas de n’importe quelle façon.
La loi du 11 juillet 1986 introduisait à l’article L. 125 du code électoral un alinéa ainsi rédigé : « il est procédé à la révision des limites des circonscriptions, en fonction de l’évolution démographique, après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation ». Mais le Conseil constitutionnel ayant considéré que le législateur ne pouvait se lier pour l’avenir, cet alinéa n’avait pas de valeur normative.
Ainsi, l’obligation qui aurait dû courir à partir de l’an 2000 – puisqu’il y avait bien eu deux recensements généraux en 1990 et 1999 – n’existait plus.
Je connais votre leitmotiv : « le gouvernement Jospin ne l’a pas fait, nous le faisons, donc nous le faisons bien ». Mais arrêtez de mélanger les genres et les questions ! Certes, le gouvernement Jospin ne s’est pas attelé à ce dossier, mais il n’a eu qu’un créneau pour le faire après les deux recensements prévus par le Conseil Constitutionnel, dont les résultats n’ont été définitifs que fin 2000. Comment réaliser un réel travail de fond à peine deux ans avant les élections législatives suivantes ? Sans outrepasser les prescriptions du Conseil Constitutionnel, il était possible et même souhaitable d’attendre que ces élections soient passées pour entamer une révision.