compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Christiane Demontès,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d'un ancien sénateur
Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Ernest Cartigny, qui fut sénateur de la Seine-Saint-Denis de 1986 à 1995 et de 2002 à 2004.
Je tiens aussi à rappeler qu’il présida de 1989 à 1995 le groupe du RDE, Rassemblement démocratique européen, devenu aujourd’hui le RDSE.
3
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.
M. Jean Louis Masson. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 44 du règlement.
Aux termes de cet article, chaque sénateur peut, à titre individuel, déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Il s’agit d’un droit personnel qui ne s’inscrit spécifiquement ni dans une démarche de groupe ni dans une démarche collective.
Dans ces conditions, à l’évidence, il convient de traiter tous les sénateurs qui sont amenés à déposer ce type de motion sur un pied d’égalité, quelles que soient leur opinion, leur obédience politique, leur appartenance ou non à tel ou tel groupe.
Or j’ai déposé une motion d’irrecevabilité qui était en concurrence avec une autre, déposée simultanément. Ma motion a été refusée, le règlement n’autorisant le dépôt que d’une seule motion.
Si je comprends très bien que deux motions de même nature ne puissent être examinées sur le même texte, je considère comme inacceptable le motif invoqué par le Président pour justifier le refus de la mienne, à savoir qu’une motion déposée par un groupe politique était prioritaire par rapport à celle qui était déposée par un sénateur n’appartenant à aucun groupe. C’est une invention pure et simple, le règlement ne prévoit rien de tel !
Il n’y a aucune raison de dénier aux sénateurs non inscrits, sur une question qui touche à un droit personnel, la même légitimité et la même représentativité que celles de leurs collègues appartenant à un groupe.
Mes propos sont d’autant plus libres que nous avons été élus sur notre nom ; si certains de nos collègues avaient été contraints de se présenter dans les mêmes conditions, peut-être n’auraient-ils pas été élus... Je ne vois donc pas pourquoi les électeurs qui nous ont fait confiance en nous apportant leur suffrage ne seraient pas respectés à l’égal des autres !
Sachant que nous n’avons même pas la possibilité de formuler une explication de vote, puisque le règlement prévoit que, avant le vote d’une motion d’irrecevabilité, seul le représentant d’un groupe peut prendre la parole pour explication de vote – et je ne conteste pas ce point –, je souhaite que l’on respecte au moins les droits qu’offre le règlement du Sénat à ses membres n’appartenant à aucun groupe, lesquels doivent être traités de manière équitable !
Madame la présidente, je vous informe dès à présent que, avant l’examen de la motion tendant à opposer la question préalable, je ferai un rappel au règlement de même nature.
Mme la présidente. Je vous donne acte de ce rappel au règlement qui porte sur une décision prise par la conférence des présidents.
4
Candidatures à des organismes extraparlementaires
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de l’Établissement national des invalides de la marine et de deux sénateurs appelés à siéger au sein du Conseil national des villes.
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a fait connaître qu’elle propose les candidatures de :
- M. Charles Revet pour siéger au sein du Conseil supérieur de l’Établissement national des invalides de la marine ;
- MM. Pierre André et Thierry Repentin pour siéger en qualité de membres titulaires au sein du Conseil national des villes.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
5
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales et à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.
6
Délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés
Discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés (nos 48, 116 et 115).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd’hui saisis du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés.
Ce texte, qui constitue la dernière étape de l’ajustement de la carte électorale entamé voilà dix-huit mois, a été adopté sans modification par l’Assemblée nationale le 20 octobre dernier.
Vous vous trouvez ainsi dans la situation inédite, au moins depuis le début de la Ve République, de vous prononcer sur un projet délimitant les circonscriptions législatives. En effet, vous n’aviez pas examiné le texte qui, en 1958, a procédé à leur première délimitation, restée en vigueur pendant vingt-huit ans et sept élections législatives, car il s’agissait d’une ordonnance liée à la mise en place des institutions dans le cadre de l’article 92 de la Constitution.
Saisis, en 1986, du projet de loi délimitant de nouvelles circonscriptions, à la suite du rétablissement du scrutin majoritaire, vous lui aviez opposé la question préalable, au motif qu’il n’appartenait pas à la Haute Assemblée de statuer sur les modalités d’élection des membres de l’Assemblée nationale.
La loi du 24 novembre 1986, qui régit le tracé des circonscriptions actuelles des députés depuis maintenant cinq élections générales, n’avait donc pas été discutée du tout dans cet hémicycle.
L’ordonnance dont il est question aujourd’hui – c’est sa première caractéristique – a été précédée d’une série de consultations, dont je veux souligner combien elle est absolument sans précédent dans le domaine sensible des élections.
Ce sont, tout d’abord, les préfets qui ont été chargés de recevoir tous les parlementaires de leur département, afin de recueillir leurs propositions. Certains, parmi ces derniers, à mon plus grand étonnement, ont reçu des consignes de ne pas se rendre à ces rendez-vous, qui étaient pourtant conformes à une tradition républicaine bien établie ; ils n’ont pu s’étonner, par la suite, que leurs projets n’aient pu être étudiés !
En outre, le Premier ministre a reçu à Matignon, le 16 septembre 2008, les responsables de tous les groupes et formations politiques représentés dans les deux assemblées.
J’ai ensuite moi-même reçu, comme le Premier ministre en avait exprimé la volonté, un très grand nombre de parlementaires, par région ou individuellement, et tous ceux qui l’ont souhaité ont pu accéder aux locaux du ministère de l’intérieur, où étaient consultables les cartes et les chiffres du recensement.
Puis nos projets ont été soumis à la commission indépendante prévue par l’article 25 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Cette commission, composée pour moitié de magistrats nommés par les plus hautes juridictions de notre pays et pour moitié de personnalités nommées après avis des commissions des lois des deux assemblées, a consacré pas moins de vingt-trois séances, dans le délai de deux mois qui lui était imparti, pour donner son avis sur nos projets, avant de se réunir à nouveau pour statuer sur sept départements.
Ces deux avis, remis au Premier ministre en juin dernier, ont été intégralement publiés au Journal officiel, et le Gouvernement, j’y reviendrai dans un instant, en a tenu compte dans de très nombreux cas.
Le projet d’ordonnance a alors été soumis, comme le prévoit la Constitution, au Conseil d’État, qui lui a consacré à son tour plusieurs jours de réunion et qui a procédé à son étude exhaustive, conduisant le Gouvernement à le modifier une nouvelle fois.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, la refonte partielle de la carte des circonscriptions s’est effectuée dans la plus grande transparence, en mettant les informations nécessaires à la disposition de tous. Certains d’entre vous s’en sont d’ailleurs fait l’écho au sein de la commission des lois.
La deuxième caractéristique de l’ordonnance qui vous est soumise est de faire application de deux nouvelles dispositions essentielles issues de la révision constitutionnelle de l’an dernier, concernant la création de députés pour les Français établis dans les pays étrangers et le nombre total de députés.
La création de sièges de députés représentant nos compatriotes établis hors de France, qui était déjà l’une des propositions du candidat François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981, figurait au programme des deux principaux candidats à la dernière élection présidentielle.
Devenu Président de la République, Nicolas Sarkozy a respecté son engagement et ainsi permis la solution d’un problème en suspens depuis bientôt trente ans. (M. Robert del Picchia applaudit.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Les futurs députés des « Français de l’étranger » seront, comme ceux des départements et des collectivités d’outre-mer, élus au scrutin majoritaire. Il a donc fallu, exercice inédit et difficile, « découper le monde » pour délimiter leurs futures circonscriptions.
Les règles de leur élection, et je sais que cette question intéresse ceux de vos collègues qui représentent déjà, dans votre assemblée, nos compatriotes établis hors de France, font l’objet d’adaptations afin que ces futures élections se déroulent dans les meilleures conditions possibles. Ainsi, les deux tours de scrutin seront espacés de quinze jours et non d’une semaine, et il sera possible de voter par correspondance ou par internet.
Il en sera débattu à l’occasion de la ratification de l’ordonnance no 2009-936 du 29 juillet 2009, qui énonce ces règles, et qui sera bientôt suivie d’un décret d’application.
Dans ce domaine, la concertation se poursuit, puisque j’ai encore eu tout récemment l’occasion d’en discuter, notamment avec les sénateurs représentant les Français de l’étranger et les responsables des Français de l’étranger dans les partis représentatifs.
La seconde innovation liée à la révision constitutionnelle est le plafonnement à 577 du nombre de sièges de l’Assemblée nationale, nombre résultant de la réforme de 1985, initiée par un gouvernement socialiste sous le premier septennat de François Mitterrand.
Il aurait certes été plus facile, comme cela avait été le cas dans le passé, d’opérer l’ajustement de la carte électorale avec une augmentation du nombre de sièges, et ce d’autant plus que la création en 2007 de deux nouveaux sièges pour les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, non pourvus aux dernières élections mais fixés dans le code électoral, et celle de sièges pour les Français de l’étranger, conduisait ipso facto à réduire le nombre de députés devant assurer la représentation des départements.
Les éléments de recensement dont nous disposions sont le recensement général opéré pour la première fois en application de la loi relative à la démocratie de proximité, ou loi « Jospin-Vaillant », du 27 février 2002, et publié à la fin de l’année 2008 pour les départements, le dernier recensement publié pour les collectivités d’outre-mer, ainsi que le nombre des immatriculations dans les consulats pour les Français établis à l’étranger, ce nombre étant pris en compte au 1er janvier 2006, par analogie avec la date retenue pour la population des départements.
Au vu de ces différents éléments démographiques, nous avons réparti les 577 sièges de députés au prorata de la population des départements, qui obtiennent 556 députés, soit quatorze de moins qu’en 1986, des collectivités d’outre-mer, qui seront représentées par dix députés, soit trois de plus qu’actuellement, et du nombre total – c’est le Conseil constitutionnel qui nous l’a imposé – des ressortissants immatriculés à l’étranger, qui seront désormais représentés par onze députés. Le projet initial du Gouvernement en prévoyait beaucoup moins.
Conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier, qui ne permet d’attribuer un siège à une collectivité d’outre-mer de faible population que si elle est très éloignée de tout autre département ou collectivité, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna conservent le siège de député dont elles ont constamment bénéficié depuis 1958. En revanche, les nouvelles collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, trop proches pour avoir chacune leur propre député, seront représentées par un député commun.
Pour en finir avec la question de la répartition des sièges, j’indique que la représentation de chacun des cent départements a été fixée en fonction de leur population respective, selon la méthode traditionnelle dite de la « tranche ».
Cette méthode, qui régit la répartition actuelle de vos sièges de sénateurs entre les départements, avait été adoptée en 1958, comme lors de l’introduction de la proportionnelle en 1985 et du retour au scrutin majoritaire en 1986. Elle permet de limiter les exceptions concernant les petits départements, à qui la décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier interdit d’attribuer deux sièges de député si le mode de calcul n’y conduit pas au vu de leur population. Avec cette méthode, seules la Creuse et la Lozère se retrouvent au-dessous du seuil donnant droit à deux députés, contre quatorze départements avec la méthode de la répartition proportionnelle.
Le nombre de sièges de député diminue dans vingt-sept départements, qui perdront ensemble trente-trois circonscriptions, et augmente dans quinze départements, qui gagneront ensemble dix-neuf circonscriptions, ainsi qu’en Polynésie française et à Mayotte.
Tous ces chiffres ont fait l’objet d’un avis favorable de la commission indépendante de contrôle du redécoupage électoral, puis du Conseil d’État.
Je rappelle, en outre, que la valeur de la tranche, portée de 108 000 à 125 000 habitants, serait supérieure si l’on prenait en compte de nouveaux éléments de recensement.
Personne, je tiens à le souligner, ne devra donc s’étonner, par exemple, au vu des chiffres de population qui vont être connus d’ici à la fin de l’année et qui seront réputés être ceux qui ont été constatés au 1er janvier 2007, que certains départements franchissent le seuil leur redonnant apparemment droit à un député qu’ils ont perdu, parce que la tranche aura légèrement augmenté dans l’intervalle !
La troisième caractéristique de l’ordonnance qu’il vous est proposé de ratifier est de parvenir à un équilibre démographique des circonscriptions bien meilleur que la situation présente.
Les écarts démographiques entre nos 577 circonscriptions législatives, délimitées en 1986 sur la base d’un recensement général de population datant de 1982, sont considérables. Sans évoquer le cas particulier des circonscriptions des collectivités d’outre-mer, la seconde circonscription de la Lozère, par exemple, compte 35 794 habitants alors que la sixième circonscription du Var, la plus grande, en a 213 421.
Avec un rapport de représentativité allant ainsi de 1 à 6, c’est le principe même de l’égalité du suffrage, énoncé à l’article 3 de notre Constitution, qui n’est plus respecté et le Conseil constitutionnel s’en était légitimement ému à plusieurs reprises depuis 1999.
Les gouvernements qui se sont succédé depuis lors n’ayant pas remédié à ces écarts, le Conseil constitutionnel a demandé qu’un ajustement de la carte électorale soit entrepris « au lendemain des élections législatives de 2007 ». Il y a donc urgence à terminer l’exercice extrêmement difficile, et politiquement délicat, que le Président de la République et le Gouvernement m’ont confié !
Nous avons ainsi effectué ce que j’appelle un « redécoupage » dans les quarante-deux départements et les quatre collectivités d’outre-mer dont la population leur fait soit perdre une, deux ou trois circonscriptions, soit en gagner une ou deux.
Vingt-cinq autres départements de métropole et d’outre-mer, dont les inégalités de population apparues entre les circonscriptions doivent être réduites, ont fait pour leur part l’objet d’un simple « remodelage ».
Ils n’étaient que douze initialement, le Gouvernement ayant choisi, conformément aux termes de la loi d’habilitation du 13 janvier et aux engagements pris devant le Parlement, de ne pas modifier dans ces départements à nombre de sièges inchangé la carte des circonscriptions, lorsque la population de celles-ci ne s’était pas écartée de plus ou moins 20 % par rapport à la population moyenne départementale, limite déjà retenue en 1986.
Mais la commission, suivie d’ailleurs par le Conseil d’État, a considéré qu’il fallait réduire, dans ces départements également, les inégalités les plus flagrantes, et le Gouvernement a suivi son avis pour treize autres départements.
Au total, et afin de respecter au mieux la portée de l’habilitation de ne pas élaborer une nouvelle carte électorale complète, le nombre de circonscriptions dont les limites sont inchangées a ainsi été ramené à 238, sur un total de 577.
Les écarts démographiques entre les circonscriptions sont considérablement réduits : ils passent, si l’on exclut les petites collectivités d’outre-mer et les circonscriptions des Français de l’étranger, d’un rapport de 1 à 6 à un rapport de 1 à 2,4 sur l’ensemble du territoire. Le progrès est indéniable par rapport à 1986, où les populations variaient dans un rapport de 1 à 3,6.
Au sein d’un même département, la marge d’écarts est le plus souvent limitée entre plus et moins 15 % par rapport à la moyenne : aucune circonscription ne s’en écarte de plus de 17 %, alors que sept circonscriptions étaient dans ce cas en 1986.
La commission de contrôle et le Conseil d’État se sont prononcés en faveur d’écarts encore plus réduits, alors même que la loi d’habilitation du 13 janvier autorisait une marge allant jusqu’à 20 %.
Le Gouvernement a suivi leurs avis, en totalité ou en partie, dans vingt-trois départements. Il a estimé qu’il pouvait adopter une délimitation différente de celle que ces deux institutions ont préconisée pour vingt-trois des circonscriptions « montrées du doigt », parce que trop ou insuffisamment peuplées, soit à peine 4 % du total des circonscriptions.
Les raisons détaillées pour lesquelles le Gouvernement n’a pas suivi leur recommandation ont été publiées par le rapporteur du projet de loi de ratification devant l’Assemblée nationale et elles ont été fournies au président de votre commission des lois.
La quatrième caractéristique de l’ordonnance qu’il vous est proposé de ratifier est de respecter parfaitement les critères fixés par la loi d’habilitation et les principes énoncés par le Conseil constitutionnel.
Ainsi, l’écart démographique maximal de 20 %, jamais atteint dans les départements, est dépassé pour trois des onze circonscriptions destinées à la représentation des Français installés à l’étranger, qui ont été délimitées après consultation des associations et des sénateurs qui les représentent et après celle du ministère des affaires étrangères : les deux circonscriptions du continent américain, parce que nous avons voulu respecter la frontière entre les États-Unis et le Mexique, et la circonscription d’Asie-Océanie, à laquelle nous avions déjà donné une étendue considérable pour des raisons démographiques. En tout état de cause, ces écarts ont été autorisés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 janvier dernier.
Les autres exigences de la délimitation, reprises en général des critères utilisés en 1986, sont également satisfaites, qu’il s’agisse de la continuité des circonscriptions, de l’unité des communes ou de celle des cantons de moins de 40 000 habitants : quarante-deux des cantons de plus de 40 000 habitants, soit moins d’un quart, ont été partagés, afin de réduire les écarts démographiques entre des circonscriptions voisines.
Ce respect des limites cantonales, que le Gouvernement s’était imposé comme contrainte, comme pour le découpage de 1986, nous a conduits logiquement à prévoir, dans le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux, dont vous discuterez dans quelques mois, que les futurs cantons devront être délimités à l’intérieur des nouvelles circonscriptions législatives.
En revanche, il n’a pas été possible de respecter systématiquement la carte de l’intercommunalité, ce qui n’était d’ailleurs pas prévu dans la loi d’habilitation. Les limites des établissements publics de coopération intercommunale résultent de simples arrêtés préfectoraux. Elles ont donc un caractère fluctuant…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Évolutif !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … et elles ne constituent pas des circonscriptions électorales. Si l’on retenait ce critère, ce seraient les préfets qui effectueraient le découpage électoral en changeant les limites des EPCI…
M. Pierre-Yves Collombat. Pas du tout !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Mais si !
Le respect de ces exigences législatives et constitutionnelles a conduit le Conseil d’État à donner un avis favorable au présent projet de loi de ratification.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de ratification de cette ordonnance a été adopté sans modification, après quatre séances de débats, par l’Assemblée nationale, particulièrement concernée par ses dispositions, qui concernent toutes l’élection de ses membres.
Pour que les dispositions de cette ordonnance, qui prendront effet lors du prochain renouvellement général de l’Assemblée nationale, aient force de loi, notre régime bicaméral exige sa ratification par le Sénat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai lu les conclusions de votre rapporteur vous appelant à respecter votre traditionnelle réserve sur les textes qui concernent exclusivement les députés et à adopter le présent projet de loi de ratification sans modification.
Le Gouvernement vous invite à le suivre, parce qu’il a le sentiment d’avoir répondu de façon aussi satisfaisante que possible à la confiance que le Parlement lui avait accordée en lui confiant la mission délicate de l’indispensable ajustement de la carte électorale législative.
Permettez-moi toutefois de terminer mon intervention en vous faisant part de deux observations plus générales, sur lesquelles je vous invite, comme je l’ai fait pour les députés, à réfléchir dans les prochains mois.
La première est liée à la méthode de recensement que nous utilisons et qui nous conduit, en matière électorale, à tenir compte de la population étrangère pour la répartition, entre les différentes parties de notre territoire, des sièges de député ou de sénateur, alors que chacun d’eux représente la nation. Cette population est ainsi prise en compte pour le calcul de sièges à l’attribution desquels elle ne peut pas participer puisqu’elle ne dispose pas du droit de vote.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Il en résulte des différences de représentation des députés selon l’importance de la population étrangère recensée dans leur circonscription respective, donc de leur nombre d’électeurs. Cette anomalie nous oblige à attribuer aujourd’hui un siège supplémentaire à Mayotte, et demain sans doute un autre à la Guyane, qui connaît également une très forte immigration venue des pays voisins.
Le Conseil constitutionnel a, certes, censuré en janvier dernier l’amendement, déposé par le député, socialiste, René Dosière et adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, qui aurait permis de prendre en compte la situation particulière de territoires où la population étrangère est très forte. Sans condamner a priori une méthode fondée sur la comptabilisation de la seule population française, il a refusé que nous puissions le faire de façon non uniforme dans notre pays.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ne faudrait-il donc pas, comme l’ont parfois fait la IIIe et la IVe République, prendre en compte la population française et non pas la population totale pour calculer le nombre de parlementaires de chaque département, afin de mieux respecter l’égalité du suffrage ? C’est une question sur laquelle il faudra, me semble-t-il, nous interroger à l’avenir, l’Assemblée nationale étant aussi l’expression de la souveraineté nationale.
M. Christian Cointat. C’est ce qui se passe pour les Français de l’étranger !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ma seconde observation est liée au nombre d’années qui s’écoulent entre deux modifications de la carte électorale : l’ajustement qu’il vous est proposé de valider est le douzième découpage depuis l’instauration du scrutin majoritaire uninominal en 1815 ; vingt-neuf chambres sur quarante et une ont été élues selon ce mode de scrutin auquel les Français sont très attachés.
Pour chacune de ces douze opérations, le débat s’est cristallisé entre les partisans de l’équilibre démographique optimal, quitte à susciter des soupçons, voire des polémiques, sur les choix retenus dans la délimitation des circonscriptions pour y parvenir, et ceux des circonscriptions administratives traditionnelles, le canton ou, pendant très longtemps, l’arrondissement, pour éviter les conflits, mais au risque d’un déséquilibre plus important dans les populations des circonscriptions, comme c’était le cas sous la IIIe République, qui conserva pendant soixante ans 40 % des circonscriptions.
Nous ne pouvons échapper à une réflexion sur la façon de concilier au mieux, à l’avenir, l’équilibre démographique, les entités géographiques, une rigoureuse équité politique et la nécessité d’un ajustement périodique : la méthode du recensement glissant mise en place par la loi de 2002 pourrait, en effet, nous conduire à effectuer des ajustements permanents de notre carte électorale.
Le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale s’est récemment préoccupé d’éviter une automaticité de ces modifications, impossible en pratique compte tenu de la difficulté de la tâche et de la nécessaire stabilité minimale des secteurs d’élection.
Il me semble – il vous appartiendra d’en débattre, car cela concerne aussi la répartition de vos sièges entre les départements – que l’on pourrait confier à la commission indépendante de contrôle le soin de faire un rapport, tous les dix ans par exemple, pour signaler les écarts de population les plus importants apparus dans les répartitions existantes. On pourrait d’ailleurs envisager, comme pour les commissions de délimitation en Grande-Bretagne ou la commission des circonscriptions en Allemagne, d’attribuer une compétence plus large à la commission que le Premier ministre a mise en place en avril dernier. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)