Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est donc appelé à se prononcer sur le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés.
Cette ordonnance, élaborée par le Gouvernement en application de l’habilitation qui figure à l’article 2 de la loi du 13 janvier 2009, a été ratifiée par l’Assemblée nationale le 20 octobre dernier.
En introduction à nos débats, il me semble important de rappeler que cette redéfinition de la carte législative est doublement nécessaire. En effet, il s’agit à la fois d’un impératif démocratique, puisqu’il est essentiel que tous les électeurs bénéficient d’une représentation juste et équilibrée, et d’une nécessité juridique, rendue incontournable par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
En premier lieu, la carte législative n’a pas été modifiée depuis 1986 : cet espace de plus de vingt ans entre deux actualisations est totalement inédit, et constitue même un record sous la Ve République.
Ainsi, le découpage actuellement en vigueur est fondé sur les chiffres issus du recensement général de la population de 1982, donc sur des statistiques vieilles de près de trente ans. Et l’on connaît l’évolution démographique de notre pays durant cette période !
Or, comme l’ont montré les résultats des recensements intervenus en 1990 et en 1999, ce tracé des circonscriptions est devenu obsolète et ne permet plus d’assurer l’égale représentation des citoyens, dont le vote a une valeur très différente selon la circonscription dans laquelle ils résident.
Comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, la deuxième circonscription de la Lozère, qui compte 36 000 habitants, est six fois moins peuplée que la sixième circonscription du Var, qui en compte 216 000.
Cet écart très substantiel, qui crée des disparités fortes entre les électeurs, n’est pas acceptable et viole les règles démocratiques élémentaires, notamment celle qui est inscrite à l’article 3 de notre Constitution, selon laquelle le suffrage est toujours égal.
Ce constat a d’ailleurs été rappelé, de manière ferme et constante, par le Conseil constitutionnel, dont les observations incitent depuis plus de dix ans le législateur à revoir la carte des circonscriptions législatives. Je rappelle à cet égard que le Sénat a récemment procédé, motu proprio, à cette révision.
En second lieu, comme je l’ai indiqué, la refonte des circonscriptions a été rendue absolument nécessaire par la révision constitutionnelle de 2008.
Le constituant a, en effet, prévu non seulement que les Français établis hors de France devraient désormais être représentés à l’Assemblée nationale, mais aussi que le nombre de députés serait, dans le même temps, plafonné à 577.
J’avais trouvé cette initiative intéressante mais un peu dangereuse ; cependant, à partir du moment où l’Assemblée nationale y tenait, nous devions nous conformer à la position de cette dernière pour ne pas déséquilibrer la Constitution.
Il était donc indispensable de repenser la composition de l’Assemblée afin qu’elle puisse intégrer les sièges dévolus à la représentation de nos compatriotes résidant hors de France, tout en conservant un nombre de membres inchangé.
La définition des circonscriptions, qui est une opération délicate et toujours controversée, est également un exercice « sous contrainte ». Encadré par le législateur, le redécoupage est également contrôlé étroitement par le Conseil constitutionnel et, depuis la révision constitutionnelle de 2008, surveillé par la commission prévue à l’article 25 de la Constitution, sans compter le Conseil d’État.
La première de ces contraintes est, naturellement, la loi d’habilitation, qui a fixé des critères précis pour guider le travail du Gouvernement, critères que celui-ci doit impérativement respecter, sous peine de s’exposer à la censure du Conseil constitutionnel.
Ces critères, dont nous devrons contrôler la bonne application avant de ratifier la présente ordonnance, reprennent largement ceux qui avaient été fixés en 1986.
Les circonscriptions doivent être constituées par un territoire continu, notamment dans le cas des villes de plus de 5 000 habitants et des cantons de plus de 40 000 habitants, qui ne sauraient en aucun cas être divisés.
Les écarts de population entre les circonscriptions ne peuvent être supérieurs à 20 % de la population départementale moyenne, et ils doivent être motivés par la seule volonté de prendre en compte un impératif d’intérêt général.
La deuxième contrainte est celle du juge constitutionnel, qui garantit la transparence et l’impartialité des opérations de redécoupage, et assure leur conformité aux principes contenus dans notre Constitution.
Dès 1986, le Conseil constitutionnel a ainsi affirmé que l’Assemblée nationale devait être élue « sur des bases essentiellement démographiques » et que, en conséquence, la délimitation des circonscriptions « ne [devait] procéder d’aucun arbitraire ». Dès lors, s’il est possible de déroger aux principes fixés par la jurisprudence constitutionnelle afin de tenir compte de réalités naturelles ou de contraintes géographiques, ces dérogations doivent être exceptionnelles et « s’appuyer, au cas par cas, sur des impératifs d’intérêt général ».
Déjà stricte, la jurisprudence du Conseil est devenue encore plus exigeante avec sa décision sur la loi d’habilitation du 13 janvier 2009.
Il a, en effet, censuré des dispositions qu’il avait auparavant déclarées conformes à la Constitution : il a jugé que le législateur ne pouvait pas, sans contrevenir au principe d’égalité devant le suffrage, attribuer un minimum de deux députés à chaque département, comme c’était la tradition depuis très longtemps, et que, pour cette même raison, il ne pouvait pas, par principe, octroyer au moins un siège à toutes les collectivités d’outre-mer, alors que nous avions appliqué ce principe aux nouvelles collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
À ces contraintes de fond, s’est ajoutée une contrainte procédurale, celle qu’a créée la réécriture de l’article 25 de la Constitution en instituant une commission spécialement dédiée au contrôle des opérations de redécoupage.
Au vu de ce rôle majeur pour la démocratie, il était essentiel que l’indépendance de cette commission soit totale et effective. En conséquence, le Parlement a prévu que les membres de la commission, soumis à un régime d’incompatibilité particulièrement strict, pourraient voir leur mandat suspendu s’ils manquaient à leurs obligations.
Les assemblées se sont également réservé le pouvoir de contrôler la liste des personnalités appelées à siéger au sein de la commission, notamment par le biais du droit de veto sur les nominations présidentielles que leur donne l’article 13 de la Constitution. La commission des lois a ainsi eu l’occasion de se prononcer sur la désignation de son président et de l’un de ses membres. Je rappelle que siègent également au sein de la commission un membre du Conseil d’État, un membre de la Cour des comptes et un membre de la Cour de cassation, qui sont désignés par les assemblées de ces hautes juridictions.
Parallèlement, deux garde-fous ont été mis en place pour éviter que cette institution ne dépende, de quelque manière que ce soit, du pouvoir politique. Elle dispose d’une pleine autonomie financière, et le mandat de ses membres, d’une durée de six ans, n’est pas renouvelable.
Ces éléments mettent la commission à l’abri de toutes les pressions et de toutes les perturbations qui auraient pu nuire à la qualité et à la sérénité de son travail.
M. Pierre-Yves Collombat. La sérénité !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait, monsieur Collombat !
Je vous exposerai à présent les principales conclusions de la commission, qui a mené vingt-trois réunions en deux mois et qui a examiné le tracé de l’intégralité des circonscriptions, qu’elles aient été ou non touchées par l’ordonnance du Gouvernement.
Dans son premier avis public, la commission a validé l’utilisation de la méthode de la « tranche » et la fixation de sa valeur à 125 000 habitants ; elle a, en conséquence, marqué son plein accord avec la répartition des sièges prévue par l’ordonnance.
Toutefois, elle s’est montrée plus nuancée sur la délimitation des circonscriptions. Ayant donné un avis favorable pour 47 départements, elle a néanmoins proposé des alternatives pour 53 départements : dans 17 cas, il ne s’agissait que de « suggestions », c’est-à-dire de préconisations que la commission elle-même considérait comme accessoires et secondaires ; mais dans les 36 cas restants, elle a émis des « propositions », c’est-à-dire de véritables recommandations.
En réponse à ces remarques, le Gouvernement a soumis un nouveau projet à la commission pour la délimitation des circonscriptions de 7 départements. La commission a donc rendu un second avis, par lequel elle a donné son accord, totalement ou partiellement, sur le tracé des circonscriptions de quatre départements supplémentaires.
Au terme de ce processus ouvert et transparent, les « propositions » de la commission ont été suivies dans 23 départements. Ne demeurent donc plus que 13 départements pour lesquels le Gouvernement s’est écarté de ses préconisations ; à chaque fois, il a justifié cet avis divergent auprès du rapporteur de l’Assemblée nationale, en donnant des arguments précis et circonstanciés, qui figurent d’ailleurs dans le rapport de notre collègue député.
J’en viens maintenant au contenu de l’ordonnance, qui modifie les frontières de 339 circonscriptions.
Pour apprécier les dispositions qu’elle comporte et, donc, pour prendre la décision de ratifier ou non cette ordonnance, il importe que nous nous posions la question suivante : les critères posés par la loi d’habilitation et précisés par le Conseil constitutionnel ont-ils été effectivement mis en application par le Gouvernement ?
Pour répondre à cette question, je ferai plusieurs observations.
Aucune circonscription ne voit sa population s’écarter de plus de 20 % de la moyenne départementale : ce critère a donc été pleinement respecté. À vrai dire, il a même été dépassé, puisque l’écart maximal constaté est de 17,5 % ; dans de nombreux cas, il est bien inférieur.
Dans cette optique, je signale que seules 16 circonscriptions présentent un écart à la moyenne départementale supérieur à 15 %, contre 109 actuellement : il s’agit donc d’un net progrès pour les électeurs.
Le principe de continuité territoriale des circonscriptions a lui aussi été respecté, les seules exceptions à ce principe concernant des enclaves départementales ; ce fut d’ailleurs l’occasion de redécouvrir celles-ci, qu’habituellement on oublie…
Enfin, la délimitation des circonscriptions telle qu’elle résulte de l’ordonnance respecte les « bassins de vie » et les réalités territoriales.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est fluctuant !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous estimez que, pour les intercommunalités, la situation est fluctuante ; pour ma part, je la qualifierai plutôt d’évolutive : elle n’est pas figée pour le reste des temps.
À titre d’illustration, j’observe que l’ordonnance permet de réunifier dix villes moyennes qui étaient auparavant éclatées entre plusieurs circonscriptions et que, sur 3 600 cantons, seuls 42 ont été fractionnés.
Au vu de ces éléments, la logique même du recours aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, ainsi que la traditionnelle réserve du Sénat sur les textes qui concernent exclusivement les députés et pour lesquels nous suivons, en général, la position de l’Assemblée nationale, doivent nous inciter à ratifier la présente ordonnance sans l’amender.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au demeurant, mes chers collègues, puisque l’on tire argument du passé, lorsque la carte a été révisée en 1986, j’étais député : que ne nous a-t-on alors prédit que, de toute façon, la majorité ne perdrait jamais le pouvoir parce que, même minoritaire en voix, elle resterait majoritaire en sièges ! (Rires sur quelques travées de l’UMP.) On a vu ce qu’il est advenu !
De telles considérations ne tiennent pas, et ce d’autant moins que la dernière révision constitutionnelle et l’instauration du quinquennat ont introduit un changement d’une extrême importance : désormais, les députés seront toujours élus, sauf accident imprévisible, dans la foulée de l’élection présidentielle.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Or, jusqu’à présent, nos concitoyens ont toujours donné au Président de la République la majorité dont il avait besoin pour engager la politique pour laquelle il avait été élu.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Daniel Reiner. Ce n’est pas une règle !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas éternel !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à adopter ce projet de loi sans modification. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Josiane Mathon-Poinat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous devons aujourd’hui ratifier – ou non, d’ailleurs ! – une ordonnance qui a pour conséquence de bouleverser la carte des circonscriptions législatives.
Vous connaissez, monsieur le secrétaire d’État, notre aversion pour ce régime d’ordonnances, dont l’usage est d’ailleurs de plus en plus fréquent et qui grève les droits du Parlement, bien que vous prétendiez améliorer et renforcer le travail des parlementaires. Malgré la contradiction évidente avec vos propos, cela reste cohérent et en tout cas fidèle à la réforme constitutionnelle de 2008, qui ne visait nullement à donner de nouvelles prérogatives aux parlementaires. Les faits nous donnent raison !
Il s’agit pour l’heure des circonscriptions d’élection des députés. Dans sa déclaration en prélude à la discussion à l’Assemblée nationale – il l’a quelque peu rappelée dans son intervention –, M. Alain Marleix affirmait aux députés que la question posée « ne porte évidemment pas sur le tracé de telle ou telle circonscription », surtout si leur propre secteur d’élection est concerné.
Étrange vision de la démocratie que celle dans laquelle les représentants de la nation, telle une simple chambre d’enregistrement, se voient demander d’approuver une décision gouvernementale sur un sujet éminemment politique.
Nous ne contestons pas l’opération de redécoupage des circonscriptions législatives. Nous sommes conscients de sa nécessité, les délimitations des circonscriptions actuelles, établies en 1986 sur la base d’un recensement de 1982, donnant lieu à de grandes disparités et nuisant grandement au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant le suffrage.
Ce que nous contestons, en revanche, c’est la méthode pour y parvenir.
Tout d’abord, le choix de vous confier cette réforme, monsieur le secrétaire d’État, vous qui êtes l’expert électoral de l’UMP, pose déjà problème. (M. le secrétaire d’État rit.) Ce choix est symboliquement malheureux, mais il est surtout lourd de sens, et il est légitimement permis de douter de l’impartialité du projet quand sa réalisation est confiée à une personne qui est juge et partie.
Il en est de même de la commission indépendante qui a été mise en place conformément à l’article 25 de la Constitution, commission qui devait garantir transparence et impartialité du processus. Or on peut remarquer que certains de ses membres ont assumé d’importantes fonctions politiques dans le passé.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela vaut mieux, au contraire !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cela laisse planer une ombre sur la crédibilité d’une telle commission.
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, il n’est pas tout à fait juste d’affirmer que l’annonce de la composition de la commission n’a fait l’objet d’aucune critique ! Les personnalités que sont MM. Yves Guéna et Bernard Castagnède ont suscité bien des émois, car leur nomination remettait en cause la stricte neutralité politique qu’exigeait une telle commission.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Celle-ci ne possède certes pas de grandes prérogatives, puisqu’elle se prononce seulement par avis public, mais, de fait, elle n’a modifié qu’à la marge le projet gouvernemental, et j’oserai dire qu’elle s’est contentée de l’entériner.
Ainsi, plus de 90 % des décisions gouvernementales furent acceptées ! Le rôle de la commission fut plutôt d’accompagner le Gouvernement et, sous couvert de consultation, de lui permettre de procéder tranquillement à une véritable manipulation électorale en découpant savamment la carte à son avantage.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Or il semble indispensable qu’un tel projet, dont le caractère politique est si marqué, soit confié à un organisme véritablement indépendant, et non à une commission qui n’a d’indépendante que le nom.
Je me fais l’écho des propos de mon collègue député M. François Asensi, qui estime : « Plus que jamais, il est nécessaire de mettre en place une commission composée d’experts en démographie, sociologie, géographie et statistique, qui conçoive un projet de redécoupage, sans être nommée par les pouvoirs en place, tout comme il me semble indispensable de graver dans la loi fondamentale l’obligation d’un redécoupage périodique afin d’éviter les effets d’aubaine pour les partis au pouvoir ».
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le découpage a pourtant préservé son siège !
Mme Josiane Mathon-Poinat. On ne peut que souscrire à cette proposition de M. Asensi !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas forcément !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous n’y souscrivez pas ? Ce serait pourtant là une véritable preuve d’indépendance !
M. Alain Gournac. Avec des géographes !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Et pourquoi pas des géographes ? En quoi les géographes vous gênent-ils ?
M. Pierre-Yves Collombat. Quels géographes ? La discipline a disparu en terminale !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il est vrai que l’on parlera peu de géographie ! Et les circonscriptions qui vont être taillées pour les députés de l’étranger valent leur pesant d’or !
Pour que ses prises de positions aient un véritable impact, une telle commission doit de surcroît posséder un certain pouvoir contraignant et non pas donner de simples avis. Mais cela semble vous déranger quelque peu ! (Mme Isabelle Debré s’exclame.)
Quant au Conseil d’État, vous avez, monsieur le secrétaire d’État, jugé inopportunes ses suggestions, qui, selon vous, « relevaient du perfectionnisme ».
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Or, en la matière, le perfectionnisme est pourtant vivement conseillé, n’est-il pas ? Car il ne s’agit ni plus ni moins que de permettre l’exercice de la démocratie, monsieur Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui ! Très bien !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Or on est en droit d’attendre le maximum de précisions sur un sujet aussi sensible !
Le Conseil d’État, qui selon vos dires monsieur le secrétaire d’État, a rendu un avis favorable sur ce projet de loi, voulait ainsi abaisser la marge d’écart à moins de 10 % entre les circonscriptions, dans le but de limiter autant que possible les disparités. C’est sans doute cela qui vous a paru trop perfectionniste, vous contraignant à un redécoupage intégral des circonscriptions électorales !
Il est assez scandaleux d’entendre le maître d’œuvre de cette réforme, légitime et nécessaire, affirmer qu’il ne cherche pas le meilleur système de répartition. Vous semblez, il est vrai, plus soucieux de trouver le meilleur moyen de permettre à votre famille politique de conserver le pouvoir : on peut, hélas, constater que, en la matière, vous avez été plutôt perfectionniste.
Votre réforme se fait donc selon la méthode des tranches, à savoir 1 député pour 125 000 habitants, car vous estimez que c’est celle qui touche le moins de départements. Or cette méthode, qui n’a plus cours dans le monde, ne permet en réalité que de servir vos intérêts politiques.
Vous créez onze circonscriptions pour les députés représentant les Français de l’étranger, conformément au nouvel article 24 de la Constitution, et trois pour les collectivités d’outre-mer. Si les collectivités d’outre-mer doivent évidemment être représentées, votre redécoupage ne permet pas une juste représentation. Ainsi, on peut souligner que dorénavant Saint-Martin et Saint-Barthélemy, collectivités autrefois rattachées à la Guadeloupe, disposeront d’un député : rien ne justifie ce choix, sauf peut-être le fait que la population résidente vous est plutôt favorable.
Le projet de loi modifie le nombre de sièges dans 42 départements. Il ne s’agit donc pas d’un simple ajustement de la carte électorale, d’une simple mise à jour : c’est bien une modification en profondeur. Il ne s’agit pas non plus d’une simple réforme technique, comme vous pouvez le laisser croire : c’est bien une réforme politique.
J’ajoute que la création d’une circonscription doit se faire selon la démographie, et non selon le territoire. Il n’est donc pas obligatoire qu’une collectivité dispose d’un député, comme l’a d’ailleurs rappelé le Conseil constitutionnel.
L’une des critiques majeures à l’encontre de ce projet de loi est que, conformément à l’article 24 de la Constitution, le nombre de sièges ne connaît aucune augmentation et reste fixé à 577. Cela manque de pertinence, car la population a largement augmenté depuis 1986 et compte aujourd’hui environ 7 millions d’individus de plus !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Certes ! Et nous ne l’avons pas votée justement parce qu’elle figeait ce chiffre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y avait peut-être d’autres raisons…
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il y en avait peut-être d’autres ; en tous les cas, elles se rapprochent le moins possible de la démographie !
Le nombre de députés doit être modulé en fonction de l’accroissement de la population, dans le but de parvenir à une plus juste représentativité.
Cette création enlève de facto des sièges aux circonscriptions de la métropole. Je vous rappelle que même le comité Balladur était en désaccord avec la détermination d’un nombre fixe de députés – sur ce point, nous étions d’accord avec lui !
Était-il opportun de créer aussi des sièges de députés pour représenter les Français de l’étranger, alors que ceux-ci sont déjà représentés au Sénat ? Cette population est doublement représentée, voire surreprésentée, ce qui n’est justifié par aucune logique si ce n’est politique : l’électorat des expatriés étant structurellement acquis à la droite, la création de ces circonscriptions sert de réserve de sièges pour le pouvoir actuel.
Le découpage des circonscriptions des Français de l’étranger n’a aucunement suivi les recommandations du Conseil constitutionnel, selon lesquelles la répartition devait se faire sur « des bases essentiellement démographiques » et respecter « au mieux l’égalité devant le suffrage ».
Il semble bien que, pour ces circonscriptions, les dérogations furent la règle ! La 11e circonscription est à ce titre emblématique : cette circonscription disparate rassemble des pays aussi proches que l’Ukraine, l’Australie et le Bangladesh, soit 51 millions de kilomètres carrés.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ils sont plus nombreux dans ces pays, que voulez-vous qu’on y fasse ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Ses dimensions battent tout de même en brèche votre argument selon lequel votre découpage est fait pour faciliter le contact entre l’élu et les citoyens !
Enfin, j’ajoute qu’il suffirait que le vote des Français de l’étranger, qui restent rattachés à une circonscription métropolitaine, soit enregistré au consulat pour qu’ils puissent élire leur représentant au sein de l’Assemblée nationale.
Il est d’ailleurs navrant, monsieur le secrétaire d’État, de voir votre empressement à créer des sièges de députés pour les expatriés, au regard de votre refus acharné, exprimé maintes et maintes fois, d’accorder le droit de vote aux résidents étrangers !
Votre redécoupage instaure une disparité entre les territoires et remet en cause le principe constitutionnellement garanti de l’égalité des citoyens devant le suffrage.
À la lumière des modifications qu’il introduit, on ne peut que constater un certain manque d’impartialité. J’en veux pour preuve que seul un groupe politique en tire profit : le vôtre. Une simple simulation permet de le constater : sur la base des résultats du dernier scrutin législatif, on peut estimer que, en utilisant ce redécoupage, 23 des 33 circonscriptions qui disparaissent concerneraient la gauche tandis que, sur les 33 qui sont créées, 24 seraient gagnées par la droite.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nos chiffres divergent !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous oubliez les députés élus au premier tour !
Mme Josiane Mathon-Poinat. J’en ai tenu compte !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Assurément, monsieur le secrétaire d’État !
Les circonscriptions représentant les Français de l’étranger sont à ce titre emblématiques : sur les 11 qui sont créées, on peut estimer que 9 vous seraient favorables. (M. le secrétaire d’État semble dubitatif.)
Vous nous expliquerez vos doutes, monsieur le secrétaire d’État !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On verra !
M. Alain Gournac. Laissez les électeurs choisir, vous serez surprise !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Laissons-les choisir, oui : nous aurons peut-être des surprises, je vous l’accorde.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela arrive souvent !
Mme Josiane Mathon-Poinat. J’ose espérer que c’est effectivement ce qui se produira !
Si le caractère politique du redécoupage est incontestable, vous ne pouvez guère nier qu’il s’agit d’une arme politique non négligeable pour le parti au pouvoir : il peut tranquillement se tailler des circonscriptions sur mesure pour faire élire ses forces, et ce sous couvert d’adapter les circonscriptions à une réalité démographique !
Nous ne cautionnons pas votre affirmation selon laquelle vous avez respecté les recommandations du Conseil constitutionnel. En effet, nous ne voyons pas exactement où vous vous êtes mis en adéquation avec le fait que « la délimitation des circonscriptions ne doit procéder d’aucun arbitraire » et que « toute dérogation doit s’appuyer sur des impératifs d’intérêt général ».
Nous venons de vous démontrer le contraire. Il y a ainsi de nombreux exemples de redécoupage où les principes adossés à ce projet n’ont pas été respectés, et ce dans le but de favoriser l’UMP.
La refonte de la carte des circonscriptions législatives instaure de nouvelles disparités et contrevient donc au principe d’égalité des citoyens devant le suffrage. Il est évident que votre redécoupage ne permet toujours pas que la voix d’un électeur dispose de la même force sur l’ensemble du territoire. Il y a également une inégalité entre les villes et les campagnes au profit de ces dernières qui, on le sait, sont structurellement plus conservatrices. Vous faites donc en sorte de surreprésenter l’espace rural que vous savez plus favorable à votre parti et, contrairement à vos propos, vous ne tenez pas toujours compte des « bassins de vie ».
Pour ce faire, il aurait fallu une réforme beaucoup plus audacieuse que celle que vous proposez, qui ne tend qu’à vous permettre de conserver le pouvoir.
Nous défendons depuis longtemps un mode de scrutin à la proportionnelle, qui semble plus à même de représenter fidèlement l’ensemble de nos concitoyens, d’être une photographie plus pertinente. Ce mode de scrutin écarte le bipartisme qui émousse la démocratie et freine l’abstentionnisme. La parité s’y exerce avec plus d’acuité.
Ce projet n’a donc pour unique ambition que de permettre à la majorité actuelle de se maintenir lors des prochaines élections.
Vous l’aurez compris, nous ne ratifierons pas cette ordonnance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)