Mme Virginie Klès. Pourquoi ne vous êtes-vous pas intéressé à ce dossier dès 2003, ou encore en 2005, malgré les demandes répétées du Conseil constitutionnel, que vous avez superbement ignorées ?
Monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez aucune leçon à donner en la matière ! Vous ne pouvez affirmer que le seul fait que votre majorité ouvre un dossier en souffrance depuis des années justifie la façon dont vous le traitez.
Mme Virginie Klès. Le Gouvernement auquel vous appartenez, jouant des calendriers avec maestria quand il s’agit de servir ses intérêts, utilisant la procédure d’urgence sans nécessité parfois, capable de faire voter des lois destinées à nous mettre en conformité avec des textes qui n’ont pas encore été débattus ou de faire appliquer des dispositions qui n’ont pas encore été votées, aurait dû se saisir de ce dossier il y a bien longtemps.
Or les élections de 2007 se sont bien faites sur un découpage fondé sur les données du recensement de 1982, alors même qu’à l’automne de l’année 2004 le gouvernement de M. Raffarin avait mis en place une commission pour y réfléchir.
Mme Virginie Klès. Ne pouvant que constater qu’il y avait eu au moins quarante circonscriptions irrégulières aux élections précédentes, si l’on s’en tient aux critères fixés par le Conseil Constitutionnel en 1986, ce qui conduisait à en modifier au moins quatre-vingts, le gouvernement de l’époque a reculé et refermé le dossier.
Monsieur le secrétaire d’État, ce n’est que contraint par le Conseil Constitutionnel, qui a, par une réserve d’interprétation sur la loi organique relative à l’outre-mer, subordonné la création de deux nouveaux sièges de députés pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy à un redécoupage général, que vous vous êtes décidé.
Mais je ne vous suivrai pas dans vos arguments « rétroviseurs » : regardons devant nous et avançons !
Le redécoupage étant nécessaire et acté, encore fallait-il mettre en place la méthode et les conditions de l’opération. Dans les pays dits « démocratiques », il est acquis que la nécessaire neutralité de l’opération interdit qu’elle soit le fait du Gouvernement, ni même du Parlement où la majorité décide. Dans certains pays, des commissions sont spécialement dédiées à cette opération, et il est de tradition – une tradition qui semble ne vous soucier que très modérément, cette fois ! – que leur rapport soit voté sans modification par le Parlement.
Traditionnellement encore, en matière de démocratie et de pouvoirs publics, nous aimons pourtant nous comparer à d’autres. Les modèles de nos voisins sont souvent avancés lorsqu’ils servent vos objectifs. Pourquoi cacher cette fois que cette comparaison conduit à la conclusion suivante : quel que soit le moyen retenu, les dispositions législatives adoptées au Portugal, en Italie, au Royaume-Uni, au Canada ou en Allemagne afin que la répartition géographique des sièges corresponde à celle de la population sont plus contraignantes qu’en France et les révisions plus fréquentes ?
Mais les apparences sont sauves ! Nous avons notre commission de l’article 25 de la Constitution, dites-vous. Ses avis ont-ils été suivis ? C’est une autre histoire …
Revenons à la commission et à sa composition, garante de son indépendance et de son impartialité comme de la pertinence de ses propositions.
Le Comité Balladur a pratiquement repris à l’identique la proposition n° 64 de la Commission de réforme du mode de scrutin de 1993, présidée par le doyen Vedel, qui est devenue l’article 25 de notre Constitution. Cet article dispose : « Une commission indépendante, dont la loi fixe la composition et les règles d’organisation et de fonctionnement, se prononce par un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de sénateurs ».
Cependant, une question importante reste en suspens : cette commission est-elle réellement indépendante, comme le prévoit l’article 25, ou n’est-ce qu’une illusion, un mot pour faire joli ?
La composition même de cette commission est critiquable dans sa structure au regard du principe d’impartialité. En effet, trois de ses six membres – presque la majorité – sont nommés par des autorités issues de la même formation politique. En outre, elle ne répond ni au souhait légitime d’y voir figurer une effective représentation des principaux partis politiques ni à la promesse du Gouvernement d’y faire siéger, outre des spécialistes du droit électoral, des démographes, des géographes ou des statisticiens, ce qui tend à renforcer la suspicion sur son caractère partisan.
Son indépendance est donc proclamée, mais elle est loin d’être effective. Elle aurait pourtant pu l’être si le souci de l’intérêt général poussait de temps en temps le Gouvernement à se contraindre à appliquer ce que la loi suggère, et que vous interprétez bien librement.
De plus, lorsque l’on sait que cette commission n’a procédé à aucune audition ni à aucune comparaison des différents projets, qu’elle n’a travaillé qu’en étroite collaboration avec le conseiller du Premier ministre, qu’elle est installée au ministère de l’intérieur, en relation unique avec le Gouvernement, on peut douter du réel souci d’indépendance dans son fonctionnement.
Les avis portaient sur la répartition des sièges et la délimitation des circonscriptions. On ne s’étonnera donc pas que la commission ait accepté la méthode dite des « tranches », ou méthode d’Adams, utilisée lors des précédents redécoupages.
Mme Virginie Klès. Je n’étais pas née à cette époque ! (Rires.)
Cette commission a aussi formulé différents types d’observations concernant la délimitation des circonscriptions. Or les mêmes critères appliqués à différents départements aboutissent à une proposition pour les uns, liant le Gouvernement, et à une suggestion pour les autres, ne l’engageant pas et lui permettant de ne pas prendre en compte ce qu’elle proposait. Hasard ?...
Les suggestions ont été balayées, même quand elles avaient la même force et reposaient sur des critères identiques formulés pour d’autres départements. Édifiant en termes d’équité !
Bernard Gaudillère indique, à juste titre, qu’aucune majorité politique en charge de l’opération de redécoupage n’a résisté à la tentation du « charcutage ». Votre ordonnance n’échappe malheureusement pas à cette règle.
Le Conseil constitutionnel rappelait pourtant dans sa décision du 8 janvier 2009 que la répartition devait se faire sur « des bases essentiellement démographiques » et « selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions législatives respectant au mieux l’égalité devant le suffrage ». La façon dont vous vous y êtes pris pour redélimiter ces circonscriptions montre bien votre volonté de ne servir qu’un intérêt partisan. Vous avez fait preuve de partialité dans la délimitation des nouvelles circonscriptions, sans règle claire et applicable à tous les cas de figure qui aurait assuré l’égalité sur le territoire de la République.
Sur le fondement de la décision du Conseil constitutionnel de 1986, la population d’une circonscription ne peut s’écarter de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions d’un département. C’est pourquoi, là encore, les termes du projet de loi concourent à une inégalité. Dans un département où la moyenne est de 125 000 habitants – tranche retenue aujourd’hui –, une circonscription pourra avoir 100 000 habitants, contre 150 000 pour une autre, soit 50 % en plus.
C’est donc bien à la commission dite « indépendante » de faire un choix géographique du découpage en l’absence de tous géographes ou experts autres que politiques, qui sont – ne soyons pas pudiques dans les termes, à l’inverse de notre collègue Richard Yung – maîtres en camouflages et petits arrangements entre amis.
La commission aurait pu susciter l’évolution des règles encadrant l’opération de redécoupage et notamment faire baisser ce pourcentage de 20 % à 10 %, comme le suggérait la Commission de Venise. Sans doute n’en a-t-elle pas eu l’autorisation !
En revanche, certaines formes particulières étoilées, étirées, ciselées de quelques circonscriptions, ainsi que des partages de cantons, voire de communes, attendent toujours des justifications liées à l’intérêt général.
Je reviens maintenant à la méthode choisie pour la répartition des sièges.
Le principe qui a guidé le redécoupage et l’allocation des sièges retenu par le Gouvernement est celui de la répartition par tranches, à savoir un siège pour une tranche de 125 000 habitants aujourd’hui, finie ou commencée, même de peu. La commission a justifié cette option comme permettant la meilleure synthèse entre une règle de calcul reposant sur des critères exclusivement démographiques et une approche tenant également compte de la réalité historique et humaine.
Pourtant, elle n’est pas sans savoir qu’une telle méthode provoque d’importantes disparités de représentation pouvant aller d’un à deux. Cette méthode favorise également les départements ruraux au détriment des grands centres urbains. Cette considération n’est sans doute pas étrangère à votre choix, monsieur le secrétaire d’État, et votre commission la justifie en disant que le choix d’une méthode plus strictement fondée sur la représentation proportionnelle aurait eu pour effet d’augmenter sensiblement le nombre de départements n’élisant plus qu’un seul député. Et si tel était le prix finalement modique à payer pour respecter l’égalité de représentation des citoyens ? Un homme ou une femme, une voix : c’est la démocratie, c’est le suffrage universel de la République !
La société évolue. C’est l’une des raisons de la nécessité d’une telle révision. Aujourd’hui, le préfet de département est toujours face à deux élus, au moins, qui tirent leur légitimité du suffrage universel : un député et un président de conseil général. Est-ce parce que beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui à gauche qu’il vous semble si important de maintenir aussi souvent que possible deux députés par département, et non par souci de satisfaire à un impératif d’intérêt général ? Est-ce pour cela que vous avez de facto renoncé à tirer pleinement les enseignements de la décision du Conseil constitutionnel du 8 janvier 2009 à ce sujet ? Celui-ci saura apprécier, j’en suis sûre, le peu de cas que vous faites de ses recommandations.
De surcroît, ce système est le plus mauvais, car la règle d’un député pour toute tranche commencée ne va pas tenir avec un nombre maximum de députés fixé à 577, moins une dizaine de sièges pour les Français établis hors de France. Il y aura donc des tranches commencées non servies et l’équité voudra qu’on choisisse le plus fort reste, toute autre solution n’ayant aucune justification.
Le système s’apparentera donc à une proportionnelle au plus fort reste, avec comme quotient un nombre uniforme. Cette méthode désuète, qui a aujourd’hui disparu, est bien connue pour assurer une mauvaise proportionnalité et faire place à d’éventuels paradoxes. Nostalgie, quand tu nous tiens… Ou tradition, peut-être…
Si l’on avait souhaité garder le principe de cette méthode, mais si l’on avait aussi voulu être honnête, on aurait choisi de calculer un quotient réel : population des unités électorales concernées divisée par le nombre de sièges à attribuer, et, dans ce cas-là, avec une méthode proportionnelle beaucoup plus satisfaisante pour l’égalité du suffrage, notamment celle de Sainte-Laguë et non celle d’Adams.
Le fait même que les circonscriptions supprimées pour créer les onze destinées aux Français établis hors de France soient détenues pour environ les deux tiers par la gauche et par un tiers par la droite illustre encore les objectifs de votre redécoupage : donner à la droite, pensez-vous ou espérez-vous, un avantage structurel propre à lui garantir ou à tout le moins à lui faciliter l’obtention de la majorité absolue de l’Assemblée nationale.
Les exemples ne manquent pourtant pas, y compris récemment, qui vous ont montré qu’à trop vouloir manipuler les Français, à mépriser leur sens critique et leur sens civique, à les croire naïfs à outrance, les manœuvres et tripatouillages enclenchés par votre Gouvernement à des seules fins électoralistes ou démagogiques se sont retournés contre leurs instigateurs.
Rien ne prouve que le vote des Français lors des prochaines législatives se calquera sur vos supputations.
Vous aviez donc là une réelle occasion de mener objectivement et impartialement une réforme qui aurait aidé à la réconciliation des Français avec les politiques. Tel n’a pas été votre choix. Alors, à force d’utiliser le pouvoir que les Français vous ont confié à des fins très éloignées de l’intérêt général, les risques de vous prendre les pieds dans le tapis augmentent tous les jours.
J’ai un bien trop grand respect pour la démocratie, le suffrage universel et la Constitution pour vous laisser ainsi les bafouer et mépriser le droit d’expression égal par le vote de tous les citoyens.
Pour ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. À vos yeux, ma chère collègue, la commission indépendante, issue de la loi du 13 janvier 2009, n’est pas légitime. Or ce texte a été validé par le Conseil constitutionnel. Nous n’allons donc pas en rediscuter indéfiniment.
Mme Virginie Klès. On peut tenir compte de ses suggestions !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous ne pouvez pas à la fois contester son existence et regretter que l’on ne suive pas ses avis !
Selon l’objet de la motion, le redécoupage ne permet pas à un parti ayant obtenu 50 % des voix de récolter 50 % des sièges. À l’appui de cet argument, que vous n’avez heureusement pas développé dans votre intervention, aucune source fiable n’est jamais citée ; celui-ci ne repose sur aucune réalité statistique.
Par ailleurs, vous contestez le système des tranches, que la commission et le Conseil d’État ont validé. Certes, ce système aboutit de temps en temps à des disparités, mais celles-ci étaient bien plus fortes auparavant. Par exemple, le fait que chaque département soit représenté par au moins deux députés, ce qui était admis par le Conseil constitutionnel, est maintenant considéré comme contraire au principe d’égalité devant le suffrage.
L’ordonnance qui nous est proposée répond beaucoup mieux que les précédentes, en particulier celle concernant le dernier redécoupage, aux critères fixés par le Conseil constitutionnel. Dès lors, comment peut-on dire qu’il s’agit d’un « charcutage » ?
Mes chers collègues, on ne peut pas laisser une telle décision aux seuls soins des parlementaires. Deux exemples contradictoires nous le montrent. Je pense à la prestation pour le moins surprenante de M. Masson, qui est parti.
M. Bernard Frimat. Il va revenir !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Alors, on pourra l’étriller. (Sourires sur les travées de l’UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Franchement, il est insupportable d’entendre de tels propos !
Je pense également à notre collègue Michel Bécot, qui déplore qu’il y ait une circonscription de moins dans les Deux Sèvres. Bien évidemment, le redécoupage conduit à des bouleversements ! Sur ce sujet, les neuf députés UMP de mon département n’arrivent même pas à se mettre d’accord entre eux.
M. Bernard Frimat. Personne n’est parfait !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Heureusement que la commission, le Conseil d’État et le Gouvernement arbitrent, sinon ce serait impossible. Je rappelle que le dernier redécoupage date de 1986, qu’il procédait d’une loi, mais qu’aucune modification n’avait été apportée par rapport à l’ordonnance.
Ne commençons donc pas à ouvrir le festival : moi, j’ai un petit peu moins ; moi, j’ai un petit peu trop.
M. Jean-Marc Todeschini. L’UMP serait perdante !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mon cher collègue, lors du dernier redécoupage électoral, j’étais alors député et j’ai entendu exactement la même chose à l’Assemblée nationale qu’aujourd’hui, à savoir que même si le parti au pouvoir était minoritaire en voix il garderait la majorité. L’histoire ne l’a pas vraiment confirmé.
M. Nicolas About. Cela ne marchait qu’à Marseille !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour toutes ces raisons, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité ne me paraît pas justifiée.
M. Jean-Marc Todeschini. C’est un fusil à un coup !
Mme Nathalie Goulet. Quand M. Charasse sera au Conseil constitutionnel …
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Madame Klès, vous avez présenté au nom de votre groupe un certain nombre d’arguments. Vous estimez, par exemple, que le projet de loi de ratification de l’ordonnance est contraire à la Constitution et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Au cours de mon intervention, j’ai donné les raisons pour lesquelles l’ordonnance du 29 juillet 2009 respecte parfaitement les critères fixés par la loi d’habilitation et les principes énoncés par le Conseil constitutionnel, qu’il a d’ailleurs rappelés il y a quelques semaines.
J’ai notamment précisé que nous étions parvenus à un bien meilleur équilibre démographique des circonscriptions, puisque l’on a ramené les écarts de un à six à un à deux. En outre, à l’intérieur des départements, de nombreuses disparités ont été supprimées ou réduites, conformément aux souhaits du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel.
Les écarts démographiques sont désormais d’un niveau acceptable pour la démocratie, notamment au regard de l’article 3 de la Constitution. Ainsi, au sein d’un même département, la marge de 20 % est très largement respectée alors que, en 1986, sept circonscriptions dépassaient 17,5 %. Au vu des chiffres du dernier recensement, soixante-dix-neuf circonscriptions sont dans ce cas ; pis, quarante-quatre circonscriptions présentent un écart de plus de 20 %.
Dans l’ordonnance, aucune des circonscriptions – à l’exception des trois circonscriptions des Français de l’étranger, pour des raisons qu’a avalisées par avance le Conseil constitutionnel – ne s’écarte de plus de 17,5 % de cette moyenne.
Contrairement à ce que vous avez pu dire, madame le sénateur, le principe constitutionnel de l’égalité des suffrages énoncé à l’article 3 de la Constitution n’est absolument pas violé par le nouveau découpage. Il l’était, en revanche, avant que le Président de la République et le Gouvernement ne nous demandent de procéder à l’ajustement de la carte électorale.
Cet ajustement aurait déjà dû faire l’objet d’une loi à deux reprises. La première fois, c’était en 1989, sous le gouvernement de M. Rocard. Certes, madame le sénateur, je sais que vous étiez très jeune à l’époque (Sourires.), mais vous avez tout de même une responsabilité collective au nom du groupe auquel vous appartenez. La seconde fois, c’était en 1999, sous le gouvernement de M. Jospin.
En ne procédant pas à cet ajustement, consécutivement à deux recensements, la Constitution n’a manifestement pas été respectée, ce qui a aggravé les disparités. Le découpage électoral actuel est fondé sur le recensement de 1982, qui est complètement obsolète du point de vue des critères démographiques.
M. Bernard Frimat. Nous ne le contestons pas !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le Conseil constitutionnel a demandé à maintes reprises qu’il soit procédé à ce réajustement de la carte électorale ; il a même utilisé le terme « impératif » : c’est un impératif pour le Gouvernement. Le Conseil constitutionnel avait même réclamé sa mise en œuvre immédiatement après les dernières élections législatives, qui datent, je vous le rappelle, de près de deux ans et demi.
Vous avez également invoqué l’article 4 de la Constitution, en affirmant que le découpage n’était pas équitable parce qu’il faudrait à l’avenir plus de 50 % des voix à la gauche pour obtenir la majorité des sièges. Cet argument est éculé ! Vous l’avez fait valoir en 1986 et la gauche a gagné les élections dix-huit mois après. Votre collègue Bruno Le Roux n’a jamais pu le démontrer à l’Assemblée nationale. Il a mélangé des choux et des carottes, comme on dit,…
Mme Nathalie Goulet. Voilà l’auvergnat !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … puisqu’il a utilisé des résultats de premier et de second tour,…
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il vaut mieux un scrutin proportionnel !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … ce qui est absolument infondé du point de vue de la technique électorale. Tous les spécialistes du Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF, l’ont d’ailleurs démontré.
Telles sont les raisons pour lesquelles je demande le rejet de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux pas vous convaincre, mais je peux au moins vous expliquer pourquoi je ne suis pas d’accord avec vous.
Nous voterons, bien sûr, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qu’a remarquablement présentée Virginie Klès. Nous ne contestons pas la nécessité du redécoupage, je vous l’ai dit. Vous citez les gouvernements de Michel Rocard et de Lionel Jospin. Or je crois savoir, mais peut-être suis-je mal informé, qu’entre 2002 et 2007 des gouvernements qui n’étaient pas socialistes n’ont pas non plus légiféré sur cette question…
L’argument, monsieur le secrétaire d’État, n’est pas celui-là. La loi d’habilitation, Jean-Jacques Hyest l’a rappelé, mentionne trois éléments : tout d’abord, les circonscriptions sont constituées par un territoire continu ; ensuite, elles comprennent toute commune dont la population est inférieure à 5 000 habitants ainsi que tout canton dont la population est inférieure à 40 000 habitants ; enfin, des écarts de population entre les circonscriptions sont autorisés dans la limite de 20 % par rapport à la population moyenne du département.
Personne ne nie que ces mesures figurent dans la loi d’habilitation. Simplement, et c’est ce sur quoi repose le bien-fondé de la position de notre collègue, le Conseil constitutionnel, au considérant 26 de sa décision du 8 janvier 2009, précise que ces trois critères « pourraient, toutefois, par leur cumul ou par les conditions de leur application, donner lieu à des délimitations arbitraires de circonscription ».
Or nous estimons, avec un certain nombre de nos collègues de l’Assemblée nationale, que l’application de ces dispositions aboutit à des délimitations arbitraires, créant des situations où – pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel – le principe d’égalité est méconnu. C’est sur ce point que nous divergeons.
Vous fondez votre argumentation sur le fait que les trois critères sont respectés. Je vous crois suffisamment habile, monsieur le secrétaire d’État, pour ne pas commettre l’erreur manifeste de déclarer que l’un de ces trois critères n’est pas respecté. Toutefois, le Conseil constitutionnel a également énoncé que le cumul de ceux-ci pouvait aboutir à des situations méconnaissant le principe d’égalité.
Le suspense sur l’issue de ce débat est assez limité. Nous savons que c’est le Conseil constitutionnel qui, in fine, tranchera. C’est parce que nous votons sur la ratification de l’ordonnance de façon globale que nous mettons l’accent sur des situations particulières. Je comprends que des parlementaires estimant que certains éléments n’ont pas été respectés dans leur circonscription le disent, même s’ils n’appartiennent pas à ma formation politique. C’est le sens du débat parlementaire et, ensuite, le Conseil constitutionnel appréciera.
Comme nous pensons que vous avez sciemment aménagé, par esprit partisan, des situations où les critères sont globalement respectés, mais pas l’esprit de l’égalité de suffrage, nous soutiendrons cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Nous sommes conscients du sort qui lui sera réservé, mais notre débat n’existe que pour ce que le Conseil constitutionnel pourra en faire. Comme je suis d’un naturel optimiste, je n’ose tout à fait exclure qu’il en fasse bon usage… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Todeschini. Vous dites, monsieur le secrétaire d’État, que le député Bruno Le Roux aurait mélangé des carottes et des choux. Peut-être est-il jardinier, mais il n’est pas charcutier …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est un noble métier !
M. Jean-Marc Todeschini. Tout à fait ! En Moselle, on produit de la très bonne charcuterie !
Là, vous n’avez pas utilisé le couteau du charcutier, vous avez fait dans la dentelle ! Les critères que vous évoquez sont à géométrie variable, monsieur le secrétaire d’État. Vous invoquez le critère démographique ; je pourrais citer une circonscription en dessous de 9 % d’écart avec la moyenne départementale que vous avez remodelée, et une autre avec un écart de 13 % à laquelle vous n’avez pas touché…
Ensuite, vous nous reprochez d’avancer toujours les mêmes arguments. Vous êtes un orfèvre en la matière puisque vous étiez dans l’équipe de M. Pasqua, à l’époque ministre de l’intérieur, au moment du découpage électoral de 1986. J’essaie d’être raisonnable et de garder les mêmes arguments.
Vous faites disparaître la circonscription d’Aurélie Filippetti en Moselle, celle qui avait été taillée sur mesure pour Jean Kiffer, à l’époque l’un de vos alliés CNI, ou Centre national des indépendants, afin de conserver la majorité. Cela a fonctionné et c’est pourquoi j’ai dit qu’il s’agissait d’un fusil à un coup. Vous avez créé cette circonscription pour le docteur Jean Kiffer – il le dit sans détour dans la presse locale –, il est normal qu’elle disparaisse. Bien sûr, la gauche l’a récupérée depuis…
Le suffrage universel vous donnera tort, un jour ou l’autre.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
M. Jean-Marc Todeschini. Ils ne sont pas tranquilles !