M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. J’irai dans le même sens que M. le rapporteur, en ajoutant quelques arguments.
Je ne pense pas du tout que le texte de la commission encourt un risque d’inconstitutionnalité, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord, il existe un organe constitutionnel où la règle de la parité doit être respectée : la commission mixte paritaire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Patrice Gélard. En cas de déséquilibre, il y a déport, c'est-à-dire que l’un des parlementaires ne prend pas part au vote. Et cette pratique est conforme à la Constitution, puisque le Conseil constitutionnel ne l’a jamais contestée.
Dès lors, on peut estimer que le texte constitutionnel instaure bien une parité. C’est à la loi organique, et non à la Constitution, qu’il appartient d’entrer dans le détail du fonctionnement. À mon sens, le système dit du « pairing », qui est déjà en vigueur dans nombre d’autres pays, s'applique parfaitement en l’espèce.
Par conséquent, nous devons, me semble-t-il, nous rallier à l'interprétation de M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je suis sincèrement convaincu que le Constituant – d’ailleurs, c’était la volonté du Sénat – souhaitait la parité, au moins en matière disciplinaire.
Ne donnons donc pas le sentiment que le principe de la parité n’est pas important lorsque la formation compétente statue en matière disciplinaire. Nous devons exiger la parité !
Par ailleurs, monsieur About, sachez qu’au CSM les membres siègent véritablement. Nous nous posons des questions qui n’ont pas lieu d’être et nous semblons laisser penser que le principe de parité en matière disciplinaire pourrait, en fait, être remis en cause par le jeu des règles de déport ou en cas d’empêchement d’un membre. Pour ma part, une telle attitude me gêne énormément.
Madame le ministre d’État, nous avons déjà eu beaucoup de difficultés à imposer que le principe de parité s’applique au moins en matière disciplinaire, comme c’est le cas dans les pays européens. Ne donnons pas le sentiment de vouloir le remettre en cause !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne paraissons pas le remettre en cause en disant que, le principe, c’est la parité, mais, après tout, si ce principe n’est pas respecté lors de l’exécution, ce n’est pas important ! Pour nous, le principe de parité doit être respecté y compris lors de l’exécution. Nous pourrions fixer le quorum à seize ! Ainsi, tous les membres seraient obligés de siéger. (Sourires.)
Je fais confiance aux membres des formations disciplinaires. D'ailleurs, l'expérience prouve que les magistrats et les non-magistrats sont présents, car ils sont appelés à se prononcer sur des affaires assez graves. La présence des personnes requises est donc assurée.
Madame le ministre d’État, je suggère de ne plus faire référence à un tirage au sort pour rétablir la parité, car celui-ci nous ramène effectivement au niveau de l’exécution. Mais respectons le principe de parité, qui a une valeur constitutionnelle.
À cet égard, l’argumentation selon laquelle le principe d’une parité effective lors des réunions des formations disciplinaires ne peut pas figurer dans la loi organique puisqu’il n’est pas mentionné dans la Constitution est parfaitement réversible : il faut préciser les conditions de mise en œuvre de la parité dans la loi organique puisqu’elles ne figurent pas dans la Constitution ! (Sourires.)
Pour ma part, je crois préférable de faire en sorte que le principe de parité en matière disciplinaire soit respecté en toute hypothèse.
M. le président. L'amendement n° 38, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Dans un premier temps, non seulement la commission des lois avait fixé le principe de la parité, en prévoyant que la formation compétente comprend un nombre égal de membres appartenant à l’ordre judiciaire et de membres n’y appartenant pas lorsqu'elle siège en matière disciplinaire, mais elle avait également prévu la technique permettant d’y parvenir en indiquant que, à défaut d’égalité, il est procédé par tirage au sort pour la rétablir.
D'ailleurs, avec un tel système, l’égalité fonctionne dans les deux sens. Si ce sont les magistrats qui sont majoritaires, il est également procédé au tirage au sort pour rétablir la parité.
Mais, dans une deuxième réunion, la commission des lois préféra supprimer la dernière phrase du texte proposé : « À défaut d’égalité, il est procédé par tirage au sort pour la rétablir. ». Elle souhaite en effet laisser la question du mécanisme permettant de rétablir la parité à l’appréciation du Conseil supérieur de la magistrature.
L’essentiel, c’est le respect, dans la loi organique, de ce que nous estimons être la volonté du Constituant. Il faut donc prévoir que magistrats et non-magistrats seront toujours présents en nombre égal au sein des formations du CSM siégeant en matière disciplinaire.
Les modalités du rétablissement de la parité pourront être définies dans le respect des exigences constitutionnelles par le Conseil supérieur de la magistrature, par exemple dans son règlement intérieur.
Cela étant, l’imagination a des limites, et il sera peut-être bien difficile au CSM d’envisager un dispositif autre que le tirage au sort pour rétablir la parité. Mais faisons-lui confiance !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. La phrase que cet amendement vise à supprimer est précisément celle qui est à l’origine de l’amendement du Gouvernement. Avec une telle disposition, nous nous serions retrouvés dans une situation impossible.
Dès lors que la commission propose la suppression de cette phrase, j’émets un avis de sagesse sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 11 bis, modifié.
(L'article 11 bis est adopté.)
Article additionnel après l’article 11 bis
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Collin, Charasse, Mézard et Plancade, est ainsi libellé :
Après l'article 11 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 18 de la même loi, il est inséré un article 18-2 ainsi rédigé :
« Art. 18-2 - Chaque membre du Conseil supérieur de la magistrature comporte un suppléant désigné dans les mêmes conditions que lui. Le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite Cour désignent respectivement parmi les magistrats du siège et du parquet de la Cour de cassation la personne appelée à les suppléer. Les suppléants siègent à la place de leur titulaire dans la formation compétente siégeant en matière disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature en cas de nouvel examen de la situation d'un magistrat lorsque la première décision a fait l'objet d'une annulation contentieuse par le Conseil d'État. »
Cet amendement n’est pas soutenu.
Article 12
I. – Après l’article 20-1 de la même loi, il est inséré un article 20-2 ainsi rédigé :
« Art. 20-2. – La formation plénière du Conseil supérieur a compétence pour connaître des demandes formulées soit par le Président de la République, au titre de l’article 64 de la Constitution, soit par le garde des Sceaux, ministre de la justice, sur les questions énumérées par l’article 65 de la Constitution, et pour se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats. Elle élabore et rend public un recueil des obligations déontologiques des magistrats. »
II (Non modifié). – Le dernier alinéa de l’article 20 de la même loi est abrogé.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 29, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase :
Supprimer les mots :
, et pour se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Les attributions de la formation plénière sur les questions relatives à la déontologie des magistrats sont déjà prévues, d’une part, par la Constitution et, d’autre part, par les dispositions de l’article 12.
Dès lors, il n’apparaît pas nécessaire d’apporter davantage de précisions dans le texte proposé par cet article pour l’article 20-2 de la loi organique du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature.
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
et
par les mots :
ainsi que
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 29.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les problèmes dont nous débattons actuellement ne sont pas d’ordre purement rédactionnel. En fait, il s’agit, pour une très large part, d’une question d’interprétation du texte constitutionnel : peut-être n’avons-nous pas été suffisamment vigilants, lors de son élaboration – mais il est trop tard pour le regretter –, sur la signification de telle ou telle phrase.
Le huitième alinéa de l’article 65 de la Constitution, qui concerne la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, est ainsi rédigé : « Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République au titre de l’article 64. Il se prononce, dans la même formation, sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la justice. […] »
Se pose donc un problème d’interprétation : soit le Conseil supérieur de la magistrature dispose d’une possibilité d’initiative pour se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats, soit, à l’instar des règles applicables aux questions concernant le fonctionnement de la justice, c’est uniquement sur la saisine du ministre qu’il peut se prononcer.
Selon la commission, le CSM, qui réagit à la demande du ministre sur toute question relative au fonctionnement de la justice, peut en revanche se prononcer spontanément sur les questions relatives à la déontologie des magistrats. C'est la raison pour laquelle la précision souhaitée par la commission est utile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je me suis déjà exprimée et je crois que mon analyse converge avec celle de M. le rapporteur. Je suis favorable à la possibilité qui vient d’être évoquée. Toutefois, il me semble que les rédactions combinées répondent tout à fait à la préoccupation de la commission.
Cet amendement me paraît donc redondant.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’essentiel est effectivement que nous soyons d'accord sur le fond.
Néanmoins, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Nous préférons donc que cette précision figure dans le projet de loi organique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote sur l'amendement n° 29.
M. Jean-Pierre Michel. Cette question n’est pas anodine ; elle est même lourde, comme dirait M. le rapporteur !
Aujourd'hui, le Conseil supérieur de la magistrature peut s’autosaisir – il n’a pas manqué de le faire en diverses occasions – pour rendre un avis sur des points de déontologie des magistrats, sur des questions diverses, sur des projets de réforme…
Si la rédaction proposée par le Gouvernement était adoptée, cela ne serait plus possible et le Conseil supérieur de la magistrature perdrait toute autonomie : il ne se prononcerait plus qu’à la demande de l’exécutif.
Il s’agirait vraiment d’une régression par rapport à la situation actuelle. Une telle évolution ne serait pas de nature à renforcer l’indépendance de la magistrature et celle du CSM, ni à améliorer l’image de l’institution judiciaire. Nous sommes loin des envolées de Mme le garde des sceaux sur la justice du xxie siècle !
C’est la raison pour laquelle nous soutenons résolument la position de la commission.
M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. L’interprétation de M. Michel est totalement erronée, mais ce n’est pas la première fois !
M. le président. Je mets aux voix l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Chapitre II
Dispositions modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature
Article 13
(Non modifié)
L’article 38 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est ainsi rédigé :
« Art. 38. – Les magistrats du parquet placés hors hiérarchie sont nommés par décret du Président de la République après avis du Conseil supérieur de la magistrature. » – (Adopté.)
Article 14
(Non modifié)
L’article 38-1 de la même ordonnance est ainsi rédigé :
« Art. 38-1. – La fonction de procureur général près une cour d’appel est exercée par un magistrat hors hiérarchie du parquet de la Cour de cassation, désigné à cet effet dans les formes prévues à l’article 38.
« S’il n’occupe pas déjà cet emploi lors de sa désignation en qualité de procureur général conformément à l’alinéa précédent, le magistrat est nommé concomitamment à un emploi hors hiérarchie du parquet de la Cour de cassation. En ce cas, les dispositions du troisième alinéa de l’article 39 ne sont pas applicables.
« Nul ne peut exercer plus de sept années la fonction de procureur général près une même cour d’appel.
« Six mois au moins avant l’expiration de cette période, le procureur général peut solliciter sa nomination en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires. Cette nomination est alors de droit au terme des sept années d’exercice de ses fonctions.
« À l’expiration de cette période, s’il n’a pas reçu d’autre affectation, le procureur général est déchargé de cette fonction par décret du Président de la République et exerce au sein de la Cour de cassation les fonctions auxquelles il a été initialement nommé. Il en est de même dans le cas où, avant ce terme, il est déchargé de cette fonction sur sa demande ou en application de l’article 45. »
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. L’article 14 du projet de loi organique vise à modifier l’article 38-1 de l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature afin d’instaurer, pour les procureurs généraux près les cours d’appel, des garanties d’affectation au terme des sept années d’exercice de leurs fonctions identiques à celles qui sont prévues pour les premiers présidents de cour d’appel.
Le Conseil supérieur de la magistrature a, en effet, compétence pour émettre un avis sur les nominations à tous les emplois hors hiérarchie du parquet, de sorte qu’une nomination concomitante des procureurs généraux à un emploi hors hiérarchie de la Cour de cassation est désormais possible.
S’il paraît justifié qu’un magistrat, à l’expiration d’un délai de sept ans et dans l’hypothèse où il n’aurait bénéficié d’aucune affectation, soit nommé, même en surnombre, au parquet général de la Cour de cassation, rien ne justifie, en revanche, une nomination automatique en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires.
Cette disposition – souvenons-nous des affaires récentes d’Agen ou de Riom – n’a en fait qu’un seul objet, madame le garde des sceaux : permettre au Gouvernement de mettre fin aux fonctions des procureurs généraux qui résistent à leur nomination à la Cour de cassation en les nommant directement inspecteurs généraux adjoints des services judiciaires, ce qui autorise de plus une certaine discrétion, l’audience solennelle d’installation à la Cour de cassation pouvant donner lieu à la tenue de certains propos…
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la faculté offerte aux procureurs généraux d’être nommés automatiquement inspecteurs généraux adjoints des services judiciaires au bout de sept années d’exercice effectif de leurs fonctions.
L’article 14 du projet de loi organique tend pourtant à aligner les garanties offertes aux procureurs généraux dans le cadre de leurs obligations de mobilité sur celles dont bénéficient d’ores et déjà les premiers présidents de cour d’appel. Nous n’allons pas nous en plaindre, nous qui souhaitons l’unité du corps !
Au nombre de ces garanties figure notamment la nomination automatique, sur demande de l’intéressé, en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires. Rien ne justifie d’exclure les procureurs généraux du bénéfice de cette garantie.
De plus, il est tout à fait pertinent que l’inspection des services judiciaires puisse bénéficier, par ce biais, de l’expérience d’un ancien procureur général.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Il n’y a en effet aucune raison de ne pas instaurer pour les procureurs généraux près les cours d’appel des garanties d’affectation identiques à celles qui sont déjà prévues pour les premiers présidents de cour d’appel.
Certains parlent beaucoup des garanties de statut et d’indépendance ; nous, nous agissons !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. M. Lecerf ne dit pas toute la vérité.
La nomination en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires des premiers présidents de cour d’appel intervient sur leur demande, puisqu’ils sont inamovibles et ne peuvent recevoir une autre affectation, même s’il s’agit d’un avancement, contre leur volonté.
En revanche, pour les procureurs généraux, il s’agira d’une nomination d’office ! Si un procureur général ne veut pas quitter sa cour d’appel au bout de sept ans d’exercice de ses fonctions, il sera possible de le nommer d’autorité inspecteur général adjoint des services judiciaires, ce qui est plus discret qu’une nomination en tant qu’avocat général en surnombre à la Cour de cassation.
M. le président. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Une fois de plus, M. Michel se trompe : la nomination d’un procureur général en qualité d’inspecteur général adjoint des services judiciaires interviendra à la demande de l’intéressé.
M. le président. Monsieur Michel, l'amendement n° 14 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Michel. Ce que vous affirmez n’est écrit nulle part, madame le garde des sceaux. Cela étant, je retire mon amendement, au bénéfice des assurances que vous venez de donner, qui figureront au Journal officiel et dont tous les parquets de France pourront prendre connaissance !
M. le président. L'amendement n° 14 est retiré.
Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
Article 14 bis (nouveau)
Après le premier alinéa de l’article 43 de la même ordonnance, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive. » – (Adopté.)
Article 15
(Non modifié)
L’article 45 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au 1°, les mots : « La réprimande » sont remplacés par les mots : « Le blâme » ;
2° Au 7°, après le mot : « suspension » sont insérés les mots : «, totale ou partielle, ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 6 rectifié est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 15 rectifié est présenté par M. Michel, Mme Klès, MM. Collombat, Frimat et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Au 7°, les mots : « avec ou sans suspension des droits à pension » sont supprimés.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 6 rectifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet article, qui vise des sanctions pouvant frapper un magistrat auteur d’une faute disciplinaire, pourrait à notre sens être amélioré.
À l’évidence, assortir la révocation d’une suspension, totale ou partielle, des droits à pension est une sanction disproportionnée. Même si cette sanction n’a quasiment jamais été prononcée, ce qui témoigne du peu d’empressement du Conseil supérieur de la magistrature à la mettre en œuvre, elle ne doit pas figurer dans la loi.
Le magistrat a cotisé pour sa retraite pendant toute la durée de son activité professionnelle. Il ne nous semble pas possible de le priver de sa pension, quelle que soit la faute commise. Je crois d’ailleurs que la suppression des droits à pension n’est prévue dans aucun autre corps de la fonction publique.
M. Patrice Gélard. Si, pour les militaires révoqués !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quoi qu’il en soit, une telle sanction est trop forte. Je propose donc de la supprimer.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 15 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise lui aussi à supprimer la possibilité d’assortir la révocation d’un magistrat d’une suspension totale ou partielle de ses droits à pension.
Certes, le 7° de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit, parmi les sanctions disciplinaires applicables aux magistrats, la révocation avec ou sans suspension des droits à pension.
Nous pensons qu’il ne faut pas maintenir une telle disposition. Je rappelle qu’elle a été supprimée du code de la fonction publique en 2003, dans le cadre de la réforme des retraites. Quel que soit le comportement d’un magistrat, rien ne justifie qu’on lui retire le bénéfice des cotisations qu’il a effectivement versées au long de sa carrière. Supprime-t-on les droits à pension aux salariés licenciés pour faute lourde ? Non, fort heureusement ! Chacun comprend que les droits à pension sont des droits acquis par le versement de cotisations.
Par ailleurs, il ne vous aura pas échappé, madame le garde des sceaux, que le Conseil d’État, dans l’arrêt Colombani du 7 janvier 2004, a jugé que les dispositions permettant de priver totalement un fonctionnaire de sa pension de retraite étaient contraires au droit au respect des biens protégés par l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ce sujet est tout à fait consensuel : nous sommes tous d’accord avec la proposition formulée par Mme Borvo Cohen-Seat et M. Sueur.
Je précise que la suspension des droits à pension n’a été prononcée qu’à trois reprises par le Conseil supérieur de la magistrature depuis 1959, à chaque fois pour sanctionner des magistrats qui avaient commis des fautes très lourdes, dont la dimension matérielle était évidente, tel le détournement de fonds publics ou l’enrichissement frauduleux.
Certes, prévoir dans le projet de loi organique que la suspension des droits à pension puisse n’être que partielle pouvait déjà apparaître comme un progrès, mais est-ce vraiment le cas ? En effet, le Conseil supérieur de la magistrature prononcerait peut-être plus facilement une telle sanction, moins radicale que la suspension totale des droits à pension.
En tout état de cause, nous assistons à une évolution du droit. M. Sueur a cité à juste titre l’arrêt Colombani. Il convient également de souligner que la suspension des droits à pension ne figure plus dans le statut de la fonction publique et a été supprimée, par coordination, du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans le cadre de la réforme des retraites de 2003. Il n’y a aucun intérêt à ce qu’un fonctionnaire, eût-il commis de très graves fautes, se trouve placé dans l’obligation soit de poursuivre ses activités répréhensibles, soit de dormir sous les ponts !
La commission est donc favorable à ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Lors de son examen du présent projet de loi organique, le Conseil d’État, dont je connais la jurisprudence, monsieur Sueur, n’a cependant formulé aucune observation sur ce point.
Cela tient sans doute d’abord au fait que les magistrats, vous le reconnaîtrez, ne sont pas tout à fait des fonctionnaires comme les autres : ils bénéficient, certes, de davantage de garanties, mais ils disposent également d’un certain nombre de pouvoirs exorbitants du droit commun. C'est la raison pour laquelle il est prévu que la gamme des sanctions pouvant les frapper soit extrêmement large.
Bien entendu, la révocation avec suspension des droits à pension n’est prononcée, comme l’a rappelé M. le rapporteur, que dans des cas tout à fait exceptionnels, où la faute est à la mesure des pouvoirs exorbitants que j’évoquais, notamment lorsqu’il y a eu malversations financières. De tels comportements, au-delà de l’opprobre qu’ils jettent sur leur auteur, peuvent nuire à la réputation et à l’image du corps tout entier. C’est pourquoi la sanction doit pouvoir être absolument dissuasive.
Les droits à pension constituant un droit patrimonial, toute atteinte à ces droits doit être proportionnée à la gravité des faits, afin que la sanction ne soit pas excessive. Dans cette optique, il conviendrait de prendre en compte d’éventuels revenus extérieurs de l’intéressé, tirés par exemple d’un patrimoine.
Bien entendu, seules des circonstances extraordinaires et d’une exceptionnelle gravité pourront justifier que la suspension des droits à pension soit prononcée. Pour autant, notre volonté de garantir, aux yeux de tous les Français, l’absolue intégrité et l’honneur des magistrats nous amène à souhaiter le maintien de cette sanction extrême.
Le Gouvernement est donc défavorable aux deux amendements identiques.